Année 2013/2014 Semestre 1 Institut des Sciences et Pratiques d’Education et de Formation Master de l’Enseignement Scolaire, de la Formation et de la Culture Anthropologie de la diversité et Education Stéphane Pawloff Propos introductifs A propos de l’anthropologie (dans ses rapports avec la notion de diversité en jeu dans les pratiques éducatives) 1 En guise d’introduction à notre cours de M2 Pro intitulé Anthropologie de la diversité et éducation, et puisque je ne pourrai pas être présent lors du premier cours du 18 septembre, je vous propose de revenir textuellement sur quelques bases qui vont nous permettre de définir notre champ et notre angle de réflexion (des bases dont nous pourrons discuter lors de notre cours du 25 septembre 2013). Le titre du cours est assez explicite dans le fond : il s’agit de porter un regard anthropologique sur la problématique de la diversité pour repérer et tenter de comprendre les affinités de cette problématique avec les pratiques « éducatives ». Ce faisant, nous nous efforcerons de suivre un fil spécifique dans ce travail de réflexion anthropologique sur l’éducation, celui des savoirs pratiques professionnels dans les métiers de l’éducation – « éducation » étant entendue ici au sens large mais j’y reviendrai. L’objectif de ce cours est ainsi clairement de soutenir chez chaque praticien de l’éducation la prise en compte, mais aussi les « savoirs y faire » avec la problématique de la diversité dans sa propre pratique professionnelle. Pour ce faire, il s’agit de préciser un certain nombre de points : - Celui de l’angle disciplinaire de référence : l’angle anthropologique Celui du critère de problématisation : la notion de diversité Celui enfin des pratiques concernées : les pratiques d’éducation Avant de nous retrouver la semaine du 25 septembre, je vous propose donc de prendre pied dans ce cours en découvrant pour certains ou en redécouvrant pour d’autres ce qu’est la discipline nommée anthropologie pour apercevoir d’une part ses profondes affinités avec les questions d’ordre éducatif et d’autre part sa pertinence heuristique pour penser la problématique de la diversité (en vue de savoir la pratiquer)1. Je vous propose ici d’envisager brièvement et successivement plusieurs points : - La définition, l’objet et la visée de l’anthropologie les 5 domaines que l’on peut repérer dans la discipline anthropologique les concepts de société et de culture comme fondements de l’anthropologie dite « sociale et culturelle » Chemin faisant, nous essayerons de repérer en quoi l’éducation et par extension les pratiques éducatives seraient un objet privilégié de l’anthropologie, voire une dimension interne à toute anthropologie. 1 Vous trouverez dans la bibliographie du cours que je vous remettrai le 25 septembre des références à mêmes de situer et de compléter les apports du cours lui-même. 2 L’anthropos-logos Etymologiquement, l’anthropologie, c’est le savoir– logos – (et par extension « la science ») sur l’homme – anthropos. Pour faire l’histoire de ce savoir – ce que nous ne ferons pas ici -, il s’agirait autant de faire l’histoire des réflexions que nous, êtres humains, faisons sur l’être humain, sur les êtres humains, au sein de notre propre culture occidentale, au moins depuis la Grèce Antique (mais également au sein de toute culture humaine), que de faire l’histoire de la constitution de l’anthropologie comme discipline à visée scientifique. Nous pourrions ainsi apercevoir comment toute définition de l’être humain dépend profondément de la conception que l’on a de l’être humain en général et des êtres humains en particulier. Nous apercevrions également que dans toutes les cultures du monde, la conception qu’une culture se fait des êtres humains est en étroite inter-dépendance avec la conception qu’elle a de ce qui n’est pas – considéré comme – humain. L’anthropologie comme regard ou point de vue spécifique nous invite ainsi à prendre en considération les représentations que les êtres humains ont des êtres humains – mais aussi des êtres non humains ou de ce qui en l’homme pourrait n’être pas humain. Représentations qui varient dans l’histoire de chaque culture et dans les rapports entre cultures, sur fond de quelques invariants que nous nous efforcerons de repérer. Mais l’anthropologie nous conduit également ou peut-être d’abord à ne pas tenir compte seulement des « représentations » - qui relèvent d’abord du monde la pensée – mais des pratiques et des actes réels – qui relèvent plutôt du monde de l’action. L’anthropologue François Laplantine propose la définition suivante de l’anthropologie : c’est ainsi « l’étude de l’homme tout entier », et « l’étude de l’homme dans toutes les sociétés, sous toutes les latitudes, dans tous ses états et à toutes les époques »2. Le projet savant anthropologique ainsi défini est donc d’une ampleur considérable. Comme nous allons le voir avec les différents domaines de l’anthropologie, il s’enracine d’abord dans la prise de conscience de l’apparition de l’espèce humaine dans une histoire « naturelle », celle de l’apparition des espèces vivantes animales sur la Terre. Il est d’ailleurs tout à fait singulier que cette histoire « naturelle » de l’homme ait amené à une définition scientifique de l’être humain en tant qu’homo sapiens sapiens – être doué de savoir, et précisément de savoir réflexif3. Nous voyons d’ors et déjà comment l’anthropologie intéresse l’éducation 4 et l’éducateur qui passe son temps à transmettre, inculquer, diriger des savoirs de toutes sortes - des savoirs faire aux savoirs être. 2 François Laplantine, L’anthropologie, Editions Seghers, 1987, p.16. Définir – scientifiquement - ainsi l’être humain – par la référence à un type de savoir, le savoir réflexif – doit continuer à nous interroger pour en tirer les conséquences, comme nous y invite Nicolas Adell dans son ouvrage Anthropologie des savoirs. 4 Nous verrons plus tard la définition que je vous propose du terme d’éducation ou plutôt des « phénomènes d’éducation » dans ce cours. 3 3 Toute anthropologie et toute l’anthropologie depuis son apparition comme discipline – disons au milieu du XIX° siècle pour l’anthropologie définie en tant qu’étude de l’être humain comme être social et culturel – est traversée par deux questions récurrentes et insistantes : - qu’est-ce qu’un être humain ? comment est-on et/ou devient-on humain ? Or le devenir humain est au cœur de l’objet des pratiques d’éducation – si l’on s’en tient à la double étymologie du terme, educere – conduire vers – et educare – prendre soin de. Puisque l’être humain nait deux fois en quelque sorte : biophysiologiquement d’abord, au moment de l’expulsion du ventre maternel (après le développement in utéro) ; subjectivement ensuite, par l’éducation, premier moteur des différentes étapes de socialisation. Nous voyons en quoi l’anthropologie dans sa définition générique concerne « intimement » ce que l’on nomme « éducation ». Mais également ce que l’on peut nommer « diversité », comme nous allons le voir, puisque si l’anthropologie entendue comme anthropos-logos insiste d’abord sur l’Homme en tant qu’espèce spécifique et unifiée, l’anthropologie comme ethno-logos (ethnologie) mais même comme socio-logos (sociologie) insiste sur la diversité et la pluralité des manières de transmettre une culture et de faire société (culture et société dont je vous propose une définition un peu plus loin) ; des manières également de produire et de transmettre des savoirs. 4 Les cinq domaines de l’anthropologie Pour préciser le champ d’étude, de problématisation et de recherche de la discipline anthropologie, il est possible de suivre le découpage proposé par l’anthropologue François Laplantine en « cinq domaines principaux »5. Chacun de ces domaines est défini par un certain abord des êtres et des phénomènes humains, privilégiant une dimension ou une autre de l’homme et des hommes. Nous allons voir comment l’anthropologie définie dans son acception la plus large se situe en fait à l’intersection des dites sciences de la nature - où l’homme est envisagé comme individu vivant animal issu d’une évolution - et des dites sciences de la culture ou sciences de l’homme – où l’homme est envisagé comme sujet d’un milieu et d’une histoire sociales et culturelles. L’anthropologie biologique « L’anthropologie biologique », historiquement la première à s’être constitué sous l’appellation d’anthropologie, « (désignée autrefois sous le nom d’anthropologie physique) est l’étude des variations des caractères biologiques de l’homme dans l’espace et dans le temps »6. Si ce domaine de l’anthropologie ne sera que peu mobilisé dans le cadre de ce cours, l’anthropologie biologique nous renseigne néanmoins sur les conditions biologiques – principalement neuro-génétiques – qui rendent possibles, voire nécessaires, la diversification des êtres humains et des cultures humaines. Pour le dire d’une formule lapidaire, l’être humain est biologiquement « déterminé à ne pas l’être » (c’est la théorie de l’ouverture du programme génétique qui nous l’apprend) : il naît prématuré et dépendant longtemps de son environnement, de son milieu, et d’abord de ses parents et de sa famille, de ceux qui prennent soin de lui et le conduisent dans l’existence (cette caractéristique est connue sous le terme de néoténie) ; enfin, l’être humain apprend et devient ce qu’il est au fil des expériences qu’il fait du monde, expériences qui le marquent et le transforment en profondeur, comme fondamentalement ouvert (les avancées récentes sur la plasticité cérébrale et sur les possibilités de transformation tout au long de l’existence sont très explicites à ce propos). En un mot, l’être humain est biologiquement ouvert à la dimension inédite des événements, à la diversité des expériences de vie et des rencontres sociales et culturelles. Enfin, si l’anthropologie biologique intéresse l’éducation, c’est aussi parce qu’elle fournit à la pensée éducative et mon de l’éducation (notamment « nationale ») une partie de ses théories, de ses conceptions et de ses représentations, d’ailleurs plus ou moins réelles, ou plus ou moins imaginaires. Et de ces théories et représentations sont déduites des pratiques éducatives et des modalités pédagogiques. Mieux vaut-il quant même ne pas être totalement ignorant à la fois des avancées réelles sur la biologie du développement de l’enfant et des débats-combats idéologiques auxquelles les différentes théories biologiques de l’être humain peuvent donner lieu dans la sphère éducative (le cas complexe de l’autisme est à ce titre assez paradigmatique à ce jour). 5 François Laplantine, op. cit., p. 17. 6 5 L’anthropologie préhistorique « L’anthropologie préhistorique » - second domaine -, quant à elle, « est l’étude de l’homme à travers les vestiges matériels enfouis dans le sol (ossements, mais aussi toutes traces de son activité passée) »7. Là encore, les enjeux actuels au sein de certaines sciences humaines – psychologie et sciences sociales principalement – quant à l’histoire des hommes et des sociocultures, à leur « évolution », aux causes et aux modalités d’apparition du langage et de la conscience réflexive sont tels, qu’ils finissent toujours par s’impliquer dans et par impliquer les pratiques éducatives, autant au niveau de la force de persuasion de leurs rhétoriques théoriques que pour les applications pratiques qui peuvent en être faites. A ce titre, l’ouvrage de Jean-François Dortier L’homme, cet étrange animal – Aux origines du langage, de la culture et de la pensée 8 est exemplaire : écrit en 2004 par le directeur du mensuel Sciences humaines, mensuel à mi-chemin entre exposés et vulgarisations scientifiques, il propose une synthèse de ce qu’il nomme les « nouveaux courants de recherche » autour de l’homme (du « fait humain ») pour en venir à exposer sa propre thèse sur l’homme, « cet étrange animal », caractérisé par « le langage, la culture et la pensée », thèse sur l’aptitude à produire un certain type de représentations mentales, les idées, au moyen de ce qu’il nomme « la machine à idées ». Et ces nouveaux courants de recherche sont d’après Jean-François Dortier, l’éthologie, la psychologie évolutionniste, les sciences cognitives, de nouveaux courants en paléanthropologie et en archéologie, et des abords renouvelés de grandes problématiques anthropologiques, celles des origines du langage et de l’art. Nous avons là, très concrètement, un objet et un lieu d’étude précis du passage des savoirs en sciences humaines vers les pratiques médico-sociales. Mais nous avons là aussi une illustration de la manière par laquelle une conception de l’homme « à prétention scientifique » vient s’ancrer dans une préhistoire de l’espèce humaine argumentée par différents scénarii – puisqu’en anthropologie préhistorique, il ne s’agit toujours en dernier ressort que de « reconstitutions », plus au moins argumentée sur des vestiges matériels et des croisements interdisciplinaires mais toujours « reconstituées »9. 7 François Laplantine, op. cit., p. 18. Jean-François Dortier, L’homme, cet étrange animal – Aux origines du langage, de la culture et de la pensée …, Sciences Humaines Editions, 2004, p.2-5. 9 Voir François Laplantine, op. cit., p.18 ; mais aussi André Langaney, Jean Clottes, Jean Guilaine, Dominique Simonnet, La plus belle histoire de l’homme – Comment la Terre devint humaine, Editions du Seuil, Octobre 1998. Dans ce dernier ouvrage, comme l’écrit Jean Clottes, alors conservateur général du Patrimoine, à propos de l’apparition et des conditions d’apparition précises de l’Homo sapiens : « Nous possédons malheureusement peu d’informations sur ce second peuplement. Quelques fossiles, un crâne découvert en Chine, des outils et des traces d’activités anonymes, ici ou là … C’est faible. Nous devons donc reconstituer la continuité des événements, par déductions en nous aidant des enseignements de la paléogéographie, cette science qui reconstitue l’évolution des continents dans le temps » [souligné par nous], p.44. 8 6 L’anthropologie linguistique Venons-en donc à la troisième dimension repérée par François Laplantine : « l’anthropologie linguistique »10. En effet, « seule l’étude de la langue permet de comprendre : - Comment les hommes pensent ce qu’ils vivent, c’est-à-dire leurs catégories psycho-affectives et psycho-cognitives (ethnolinguistique) ; - Comment ils expriment l’univers et le social (étude la littérature non seulement écrite, mais de tradition orale) ; - Comment enfin ils interprètent leurs propres savoirs et savoir-faire (c’est le domaine de ce que l’on appelle les ethnosciences). L’anthropologie linguistique, qui est une discipline carrefour, est loin de concerner l’étude des seuls dialectes. Elle s’intéresse aux champs immenses ouverts par les nouvelles techniques modernes de communication (les mass média et la culture de l’audiovisuel) »11. Que le langage, les langues, la parole, le discours, la communication, …, concernent les pratiques d’éducation peut paraître un poncif tant toute pratique d’éducation (familiale, scolaire) s’appuie fondamentalement sur le langage et ses différents ressorts. Si l’anthropologie linguistique a pour objet les catégories psycho-linguistiques et psycho-affectives de chaque groupe social et culturel, les manières d’exprimer le monde, les manières d’interpréter et de construire les savoirs et les savoirs-faire sociaux, nulle doute qu’elle peut servir aux praticiens de l’éducation, et à plus d’un titre. D’une certain manière, on peut considérer que la linguistique, noyau de l’anthropologie linguistique, occupe une véritable fonction de « discipline carrefour », comme l’écrit François Laplantine. Ce n’est pas des professionnels de l’éducation, et a fortiori de l’enseignement et de la formation, qu’il s’agit de persuader de cela . L’anthropologie psychologique La quatrième dimension de l’anthropologie selon François Laplantine est ce qu’il nomme « l’anthropologie psychologique » en tant qu’« étude du processus et du fonctionnement du psychisme humain. […] la dimension psychologique (et aussi psychopathologique) est absolument indissociable du champ dont nous cherchons à rendre compte ici. Elle en est une partie intégrante »12. L’anthropologie dite psychologique concerne intimement notre cours centré sur l’intérêt d’une anthropologie de la diversité pour des praticiens de l’éducation. 10 François Laplantine, op. cit., p.18. François Laplantine, op. cit., p.18. 12 François Laplantine, op., cit., p.19. 11 7 Trois questions au moins peuvent nous retenir ici : - La question de la cognition - La question du psychisme - La question du normal et du pathologique La question de la cognition, de la pensée, des apprentissages, …, n’est pas seulement une problématique neuro-cérébral : dans l’éducation, il faut toujours un « sujet apprenant » en plus d’un « cerveau fonctionnant ». Problématique que nous retrouvons au niveau du plan psychique qui permet de penser dans l’éducation à la fois le registre affectif et la dimension de l’inconscient : nous savons d’une part que les liens éducatifs se structurent sur fond d’investissements affectifs (et c’est bien là l’une des grandes problématiques de l’école et à l’école) et que d’autre part le rapport au savoir et à l’apprentissage se construit aussi à partir des enjeux inconscients de chacun. Enfin, la question du pathologique, et donc de la norme et du normal, ne peut pas ne pas concerner le champ éducatif dont les pratiques quelles qu’elles soient sont toujours jugées et jaugées au regard d’une norme : dans toute société, chaque sujet doit se conformer avec plus ou moins de bonheur et de malheur à un système de normes. Et nous savons que s’il y a des méthodes standard pour apprendre, voire pour se soigner, dans le fond, à bien y regarder, chaque sujet se révèlera dans une trajectoire et des modalités singulières qui mettent en jeu le divers et la diversité. L’anthropologie sociale et culturelle (ou ethnologie) Ainsi, une cinquième et ultime dimension de l’anthropologie est constituée par la dite « anthropologie sociale et culturelle (ou ethnologie) » qui « n’est que l’un des aspectes de l’anthropologie. L’un des aspects dont l’étendue est tout à fait considérable, puisqu’il concerne tout ce qui constitue une société : ses modes de productions économiques, ses techniques, son organisation politique et juridique, ses systèmes de parenté, ses systèmes de connaissance, ses croyances religieuses, sa langue, sa psychologie, ses créations artistiques »13. Nous touchons là le cœur de ce qui va constituer notre cours : les rapports entre les pratiques éducatives (au sens large, nous les définirons un peu plus tard, lors de notre cours du 25 septembre) et les liens sociaux d’un côté, et les appartenances culturelles de l’autre. Pour faire de l’anthropologie sociale et culturelle, il s’agit de savoir quand même ce que les concepts de société (et donc de lien social) et de culture veulent dire. Ce qui sera notre dernier point pour cet avant-propos de notre cours, avant donc de venir plus directement à la problématique de la diversité telle que l’anthropologie peut l’appréhender et telle qu’elle peut intéresser des praticiens de l’éducation. 13 François Laplantine, op., cit., p.20. 8 Les concepts de culture et de société Là n’est pas le lieu de déployer en profondeur et de manière exhaustive les concepts complexes de société et de culture. Je vous propose donc ici de nous en tenir à une seule définition pour chaque concept que j’emprunte à l’anthropologue Maurice Godelier et sur laquelle je vais m’appuyer pour faire résonner quelques points à mon avis tout à fait intéressants pour notre cours. Voici ce qu’écrit Maurice Godelier : « Par culture, nous entendons l’ensemble des représentations et des principes qui organisent consciemment les différents aspects de la vie sociale ainsi que l’ensemble des normes, positives ou négatives, et des valeurs qui sont attachées à ces manières d’agir et de penser. Par société, nous entendons un ensemble d’individus et de groupes qui interagissent en se référant à des règles et à des valeurs communes d’action et de pensée et se considèrent comme appartenant à un même « tout » qu’ils reproduisent ou devraient reproduire à chaque fois qu’ils agissent pour leurs propres intérêts. Et cette société et cette culture préexistent toujours à la naissance de chaque individu »14. En anthropologie, quand nous parlons de culture, nous parlons d’abord de langage et de représentation(s), ceci est tout à fait fondamental. La vie collective humaine et la vie humaine dans les collectifs met en jeu et se construit autour de et à partir du langage que les linguistes qualifient de « langage à double articulation », articulation des sons entre eux et articulations des sens entre eux (mais aussi articulation des sons et des sens). L’être humain comme être de culture est donc fondamentalement un être de langage, donc également un être de représentation(s), ce qui a des conséquences anthropologiques éminentes dont nous essayerons de mesurer la porter concernant l’éducation qui est quand d’abord et avant tout affaire de langue(s), de parole et langage (sur fond d’affaires de corps). Et si la culture, donc le langage, fait de l’être humain un être de conscience (et même de conscience réflexive) comme le précise Maurice Godelier, elle l’inscrit aussi à un autre niveau et inscrit également un autre niveau en lui, celui de l’inconscient, dont les psychanalystes bien sûr ont largement parlé mais pas seulement puisque l’un des plus éminent anthropologue français, Claude Lévi-Strauss, a largement étudié cette question15. Par ailleurs, en anthropologie, lorsque nous parlons de société16, nous parlons d’abord d’individus, c’est-à-dire des uns et des autres, et des rapports (et des relations) entre ces uns et ces autres, des manières par lesquelles ces individus se lient et se relient entre eux (et donc aussi ce qui circule entre eux). Rappelons que, étymologiquement, société vient du latin socius qui désigne « l’autre », et précisément « l’autre compagnon ». 14 Maurice Godelier, Au fondement des sociétés humaines – Ce que nous apprend l’anthropologie (2007), Flammarion, 2010, p.160-161 15 Claude Lévi-Strauss définissait lui la culture comme un ensemble de systèmes symboliques, c’est-à-dire de systèmes langagiers avant tout. 16 Nous reviendrons sur les distinctions entre anthropologie, ethnologie et sociologie. 9 L’anthropologie sociale et culturelle cherche donc à savoir comment des individus deviennent des sujets sociaux, c’est-à-dire des êtres reliés entre eux et en eux par le langage, des êtres qui échangent, transmettent, conservent, sacrifient des choses de différentes natures, des êtres qui ne s’adaptent pas seulement à la nature, mais qui produisent de la nature pour vivre comme dit Maurice Godelier. Or c’est effectivement par et dans l’éducation que cela devient possible et se réalise. Et paradoxalement, « ce qui, en effet, caractérise l’unité de l’homme […], c’est son aptitude pratiquement infinie à inventer des modes de vie et des formes d’organisation sociale extrêmement diversifiés »17. Voyons un peu alors ce que peut recouvrir cette notion et cette problématique du divers et de la diversité … 17 François Laplantine, op. cit., p.21/22. Ce qui peut se formuler de manière analogique dans une perspective clinique psychanalytique : les êtres humains sont reliés sur un mode spécifiquement humain précisément par ce qui les sépare – la dimension du manque, des manques. Mais nous le développerons largement. 10 Rite / mythe Pour finir ici : 1° FL, les cinq pôles théoriques de la pensée anthropologique contemporaine (syst symboliques / sociale / culturelle / structurale et systémique / dynamique) 2° L’anthropologie aujourd’hui : - Etat des lieux 1986 : Revue L’Homme, Anthropologie, état des lieux : p.12 : - actuelle dissolution de la communauté anthropologique - Parcellisation qui résulte de la diversité des problématiques propres à chaque terrain p.13 : - maintenir les deux bouts de la chaine : unité / diversité p.14-15 : def de l’anthropo : se définit par son objet qui commande sa méthode p.18 : les illusions (spatiale) de l’exotisme (cf : dans l’endotique, c’est encore toujours l’exotique qui est visé) et (temporelle) du progrès p.20 : approches divergentes : LS / Dumont / Sperber - Etat des lieux 2007 : Godelier, Au fondement des sociétés humaines : p.7/8 : le débat de 2002 sur l’anthropo : dépassée ou à venir ? + oubli du terrain et déconstruction p.9/13 : la crise, un passage obligé p.18 : auj : 2 mvts inverses : intégration et mondialisation des activités et rapports écos / segmentation politique et culturelle : p.20 : la quête de l’essence de chaque nation p.26 et suiv : déconstruire les sciences sociales non pour les faire disparaître mais pour les reconstruire : - p.31 : le déconstructionnisme et la question de l’autorité - p.32 : le déconstructionnisme et la question de la référence : cf : moi : problématiques de l’autorité et de la référence : problématiques centrales pour penser auj les questions de la société et de la culture, et de l’éducation et de l’éducation spécialisée : cf : Legendre : dogme et référence / Lebrun : affaiblissement de la transcendance et double problématique de la référence et de l’autorité / en ES : autorité : ordre (1° sens) et assomption subjective (2° sens) + référence : question du référent dans les institutions (sens organisatioinstitutionnel et sens transférentiel) p.34 et suiv : Vers : mort de 5 vérités anthropo réputées éternelles … 11 FL : 5 domaines Ici : sciences sociales : anthropologie / ethnologie / sociologie qq concepts clés : culture / société / ethnie / … : voir : - concept de culture - Godelier : p.46 + 160 : culture / représentation / imaginaire et société / rapport / symbolique Diversité La diversité sociale et culturelle comme conséquences d’invariants anthropologiques liés à l’espèce homo sapiens sapiens : - Langage et arbitraire - Sexualité et dérégulation 2 dialectiques : - Identité / altérité Ressemblances / différences 6 axes : La notion de diversité qui guide le cours et met en jeu la relation « soi / autre » et la double dialectique « identité / altérité » et « ressemblances / différences » peut être déclinée à l’aide des quelques binaires (non exhaustifs) suivants : - Vivant / mort - Homme / femme - Enfant / adulte - Famille / hors famille - Classe Socio-Professionnelle / hors Classe Socio-Professionnelle - Communauté culturelle / hors communauté culturelle - Normes / hors normes Education 4 champs de pratiques (1 non pro et 3 pro): - Famille et domestique + Enseignement(s) et institution scolaire Formation des adultes et monde du travail Education spécialisée et problématiques spécifiques hors normes 12 Fabrication de la problématisation à partir d’une perspective anthropologique La fabrication de la problématisation s’appuie sur trois éléments au moins qui, d’une façon ou d’une autre, doivent partir de quelque chose qui vous intéresse et qui est en rapport avec une dimension de la diversité humaine : - des pratiques éducatives concrètes, vécues et/ou observées et/ou lues (sachant ce que ce qui est qualifié ici d’ « éducatif » recouvre trois ensembles de pratiques relationnelles : les pratiques relationnelles actualisées à l’intérieur de la famille ; les pratiques relationnelles actualisées à l’intérieur de l’institution scolaire ; les pratiques relationnelles actualisées à l’intérieur des institutions spécialisées, d’éducation et d’accompagnement spécialisé(e)s) - une question de départ qui porte sur le point qui vous intéresse, précisément, dans les pratiques éducatives choisies - un concept socio-anthropologique (au moins) pertinent pour problématiser et éclairer le point en jeu dans les pratiques choisies La notion de diversité qui guide le cours et met en jeu la relation « soi / autre » et la double dialectique « identité / altérité » et « ressemblances / différences » peut être déclinée à l’aide des quelques binaires (non exhaustifs) suivants : - Vivant / mort - Homme / femme - Enfant / adulte - Famille / hors famille - Classe Socio-Professionnelle / hors Classe Socio-Professionnelle - Communauté culturelle / hors communauté culturelle - Normes / hors normes La plupart du temps, il s’agit d’abord de choisir le champ éducatif ou les pratiques éducatives qui vous intéressent, puis la question que vous allez finalement privilégier, enfin le concept socio-anthropologique qui va vous permettre de problématiser et d’éclairer le point cerné par votre question et en jeu dans les pratiques choisies (attention, ceci est indicatif et non protocolaire : en fonction de chacun, ces trois moments peuvent arriver dans le désordre et/ou s’interpénétrer). La question de départ devient ce que l’on peut nommer une problématique lorsqu’au fil du travail, vous reformuler peu à peu votre question en la précisant de plus en plus, en choisissant de plus en plus justement les termes exacts de la question, et en intégrant dans la question le concept socio-anthropologique élu. Les différentes lectures que vous pouvez faire (article(s), ouvrage(s), …) accompagnent ces étapes de problématisation. Il est important de prendre des notes et les références précises des passages qui vous ont marqué au fil de vos lectures pour ne pas avoir à les (re)chercher au moment où vous voudrez les utiliser. 13 Ecriture de la note de problématisation sous la forme d’un article et selon le style d’un essai L’écriture de la note de problématisation se fait en 2 temps : 1° la construction d’un plan détaillé 2° l’écriture du texte lui-même Le plan détaillé Une fois la problématisation bien avancée, et avant de se lancer dans l’écriture du texte en tant que tel, il vous faut construire un plan détaillé (sans nécessairement vous préoccupez des propos introductifs qui s’écrivent généralement en dernier). Ce plan détaillé doit faire apparaître : a) Les grandes idées ou points forts de la problématisation (chaque partie et chaque paragraphe de chaque partie fait ressortir une idée clé ou un point fort) b) L’articulation logique entre ces idées ou ces points (qui soutient votre analyse et votre argumentation) Le concept socio-anthropologique choisi, qui est lui-même une manière de problématiser une dimension humaine, peut vous servir de fil conducteur. Dans tous les cas, et ce d’autant lorsque l’on adopte le style de l’essai, un article cherche à montrer et/ou à démontrer quelque chose : l’intérêt de votre manière de problématiser socio-anthropologiquement la dimension ou le point humain concerné. Dans le cadre de cet article, et au regard de votre master, cet intérêt doit avoir comme horizon les pratiques ou les champs de l’éducation. L’écriture du texte Attention : tout texte s’écrit en plusieurs fois. Une fois une première version obtenue (le fameux « premier jet »), un travail intéressant et éprouvant de reprise(s) et de réécriture s’ouvre à vous. Certains auteurs peuvent avoir besoin de réécrire 6, 7, 8 … versions avant d’obtenir un texte qui leur paraît adressable. Donc patience et courage. Au fil de ce travail de réécriture, il faut peu à peu vous préoccuper des futurs lecteurs : faire œuvre donc de pédagogie en sachant « se dédoubler », c’est-à-dire occuper alternativement une position d’écrivant, et une position de lecteur (il faut savoir se faire lecteur de soi-même, mais de soi-même comme un autre : donc se mettre à la place du ou des futurs lecteurs qui ne pourront avoir recours à vous lors de la lecture pour comprendre ce que vous avez voulu dire). Le titre (voire le sous-titre) se fabrique une fois l’article terminé. Il est important parce qu’il va constituer la première accroche du lecteur, et parce qu’il doit rendre compte en une formule « ramassée » de ce que vous voulez faire passer en substance. Enfin, le style de l’essai laisse une place importante au travail littéraire de la langue et à vos particularités singulières d’auteur. Conseil : une fois l’article écrit, faites-le lire à quelqu’un d’autre avant de faire les dernières retouches. Possibilité : si certains le souhaitent, et si leur article le permet, nous verrons comment proposer votre article à des revues dans le champ de l’éducation. 14 Définition du concept de culture « Ensemble complexe incluant les savoirs, les croyances, l’art, les mœurs, le droit, les coutumes, ainsi que toute disposition ou usage acquis par l’homme vivant en société .» Edward Burnett Tylor (1832 – 1917), anthropologie britannique Première définition du concept de « culture » Sigmund Freud, Le malaise dans la culture, PUF, 1995 (1948) : p.32/33 « Il nous suffit de répéter donc que le mot « culture » désigne la somme totale des réalisations et dispositifs par lesquels notre vie s’éloigne de nos ancêtres animaux et qui servent à deux fins : la protection de l’homme contre la nature et la réglementation des relations des hommes entre eux. » p.83/84 « Nous ne pouvons donc nous tranquilliser qu’en énonçant que le procès culturel est cette modification du procès de vie que celui-ci connaît sous l’influence d’une tâche assignée par l’Eros et suscitée par l’Ananké, la nécessité réelle ; et cette tâche est la réunion d’êtres humains isolés en une communauté les liant libidinalement entre eux. […] ; dans l’avenir organique, nous voyons encore les forces lutter les unes contre les autres et les résultats du conflit se modifier constamment. Ainsi les deux tendances, celle au bonheur individuel et au rattachement à l’humanité, ont-elles aussi à combattre l’une contre l’autre en chaque individu ; ainsi les deux procès du développement individuel et du développement culturel doivent-ils nécessairement s’affronter avec hostilité et se disputer l’un à l’autre le terrain. Mais ce combat entre l’individu et la société n’est pas un rejeton de l’opposition, vraisemblablement inconciliable, des pulsions originaires, Eros et mort, il signifie discorde dans l’économie de la libido entre le moi et les objets, et il autorise un équilibre final chez l’individu, tout comme aussi, nous l’espérons, dans l’avenir de la culture, même si de nos jours il rend encore la vie de l’individu si pénible.» 15 * Postulat : universalité de la culture et du psychisme humain François Laplantine, Ethnopsychiatrie psychanalytique, Beauchesne, 2007 : p.71/72/73 « Le concept de culture et plus précisément d’universalité de la culture dans sa relation à la diversité des cultures est épistémologiquement fondateur de la démarche même de l’ethnopsychiatrie. […] Autrement, dit, ce qui varie quand on passe d’une société à une autre, ce ne sont nullement les matériaux culturels utilisés […] mais la manière dont ils s’organisent. Et de la même façon, la très grande diversité des formations psychologiques – d’un individu à l’autre, mais aussi de nous-mêmes à nous-mêmes dans le temps – ne doit pas nous dissimuler l’unité fondamentale du psychisme humain. Les processus de transmission de la culture ne consistent pas seulement dans l’acquisition pédagogique de contenus matériels, mais aussi dans l’intériorisation de modèles de conduite nous indiquant dès notre plus petite enfance ce qu’il convient d’exprimer et ce qu’il convient de refouler. […] Il convient de montrer l’existence d’une véritable homologie structurelle du psychisme et de la culture, dont l’un ne saurait être considéré comme dérivé de l’autre, car ils sont tous les deux ; selon l’expression de Georges Devereux, des « coémergents ». Il est impossible de concevoir une culture qui ne serait pas vécue par un psychisme (la première n’existe nulle part ailleurs que dans le second). Et réciproquement, il est impossible de penser la formation même de la personnalité, c’est-à-dire les processus d’acquisition cognitifs et affectifs, indépendamment de la culture. Autrement dits, les processus psychiques ne sont rien d’autre que la face « interne » de processus culturels, qui peuvent être de ce point de vue qualifiés d’ « externes ». Le psychologique, c’est le dedans de la culture, alors que la culture est le « dehors » du psychisme. Mais le « dehors » nous renvoie toujours au « dedans » et réciproquement, le psychologue et l’ethnologue ne travaillant pas sur des objets distincts, mais à partir de point de vue différents sur un objet rigoureusement identique. Nous touchons véritablement ici au fondement incontournable de la démarche ethnopsychiatrique, qui ne peut se constituer que par un acte de rupture totale avec les idéologies en apparence rivales, mais en fait complémentaires, du psychologisme et du sociologisme. L’ethnopsychiatrie n’atteint véritablement sa majorité qu’en s’affirmant comme exploration psychologique en profondeur des matériaux culturels tant manifestes que refoulés et des productions d’un inconscient partout identique et aussi pleinement anthropologique (l’étude des processus universels d’humanisation de l’homme par la culture, qu’il convient de distinguer de la simple ethnisation, ou processus d’acquisition de telle ou telle culture régionale). » 16 * Concepts d’acculturation, de déculturation, de transculturation François Laplantine, Ethnopsychiatrie psychanalytique, Beauchesne, 2007 : p.77/78 « Le processus de déculturation permet de rendre compte du processus qui consiste à détacher les matériaux de culture de leur matrice qui leur donnait sens pour les métamorphoser en symptômes. C’est un processus de désinvestissement social non seulement de la culture à laquelle on appartient, mais de toute culture, et qui a pour corollaire un appauvrissement de la personnalité et une souffrance de l’individu. La déculturation doit être mise en relation avec l’acculturation c’est-à-dire avec la situation dans laquelle une culture dominante impose ses systèmes de valeurs et de comportements à une culture dominée. […] L’acculturation pathogène se produit notamment lorsque deux cultures distinctes entrecroisent deux séries de stimulations contradictoires, lorsque l’individu est littéralement pris en étau de tous côtés, rejetés non seulement par la culture d’accueil, mais par sa propre culture, ou lorsque les défenses apprises par la culture dans laquelle il a été élevé ne sont plus d’aucune utilité dans un autre milieu. L’individu refuse sa propre société sans pour autant arriver à intérioriser les valeurs de l’autre société. » […] La transculturation consiste dans la réciprocité des échanges entre les cultures, et notamment dans les processus par lesquels une culture qui s’affirme comme dominante se laisse peu à peu transformer par une culture considérée comme dominée ou devant être dominée. » Voir aussi : - Notions de déculturation névrotique / psychotique (p.79/80) Notions de psychothérapie intraculturelle / transculturelle / métaculturelle (p.83/86) Les critères ethnopsychiatriques du normal et du pathologique (p.86/89) 17 * Concepts de sujet de l’inconscient / sujet du social Maurice Godelier, Jacques Hassoun, Meurtre du Père, Sacrifice de la Sexualité – Approches anthropologiques et psychanalytiques, Arcanes, 1996 p.7/12 « D’autres participants à notre séminaire ont mis au travail l’hypothèse suivante : que le sujet soit un effet de l’articulation signifiante implique qu’il est toujours d’avance pris dans la culture. Ce débat qui a traversé notre séminaire pendant deux ans nous a permis de dégager cette proposition : héritier d’une transmission qui le précède et dont une part demeure en partie insue, le sujet est représenté par ce que nous pouvons nommer l’équivocité du symbolique. » […] « Je pense qu’il y a un point fondamental qui nous a unit spontanément. Nous avions probablement l’un et l’autre formulé en nous depuis longtemps l’idée que le sujet social et le sujet inconscient ne peuvent qu’émerger en même temps. C’est cela que nous devons explorer, expliciter pour en tirer toutes les conséquences. C’est cela qui doit nous servir de point d’entrer. […] Le sujet inconscient […] n’a pas de raison de précéder ontologiquement et historiquement le sujet social. Le lien social n’est pas seulement construit à partir de l’inconscient. D’ailleurs interrogeons cette opposition. Le sujet social ne se réduit pas au sujet conscient et le sujet inconscient ne peut exister sans que quelque chose de fondamentalement social, le langage, une langue quelconque, donc partagé avec autrui, n’existe. Mais l’autre est déjà en moi avant même que je parle. Bien qu’il commence à exister autrement et à prendre mille figures à partir du moment où je parle. Je ne vais pas plus loin sur ce thème sauf à dire : le sujet inconscient et le sujet social me semble émerger en même temps parce qu’ils n’existent que comme les deux parts mêlées, interpénétrées, d’un être social tout à fait unique parmi les autres espèces sociales. » […] 18 « C’est à partir de là que je présenterai des analyses du noyau imaginaire du pouvoir, ainsi des objets et sujets fétiches qui peuvent l’incarner. Je suis en train de mettre en évidence la double métamorphose qui permet l’inscription de l’ordre social dans le corps et se réalise par et dans l’articulation des rapports de parenté aux autres rapports sociaux. Car, - et c’est actuellement une hypothèse, que j’espère pouvoir légitimer par mes recherches -, dans toute société une double métamorphose se réalise à l’insu des individus. Les rapports économiques et politiques pénètrent dans les rapports de parenté et, en y pénétrant, ils se métamorphoses alors en attributs de ces rapports, en éléments de la parenté qui qualifie tel ou te parent ou tel ou tel rapport de parenté. Or tout ce qui tombe dans la parenté tombe finalement dans la sexualité, dans le corps sexué et se métamorphose une seconde fois en attribut de tel ou tel sexe, de l’homme ou de la femme. Ainsi se constitue en chacun d’entre nous, bien avant même notre naissance, une intimité impersonnelle, faite de toutes représentations du corps qui véhiculent l’ordre des structures sociales, ordres qui s’enfouissent dans le corps, corps d’un garçon ou corps d’une fille, avec pour conséquences des destins différents voire opposés pour chacun. Et cette intimité paradoxalement impersonnelle est le point de suture en nous du social et de l’inconscient, lieu commun au sujet social et au sujet inconscient. » 19 Godelier, Aux fondements des sociétés humaines – Ce que nous apprend l’anthropologie (2007), Flammarion, 2010 : p.34-35-37-39-40-41209-220- : cf : notamment primat du S sur I ou l’inverse ? p.42 : le noyau de « réalités imaginaires » de tout rapport humain : « […] un autre fait majeur s’est imposé à moi, la présence et l’importance, au cœur de tous les rapports humains de quelque nature qu’ils soient (politiques, religieux, économiques), de noyaux de « réalités imaginaires » en tant que composantes essentielles de ces rapports, leur donnant sens et s’incarnant dans des institutions et des pratiques symboliques. Ce sont eux qui leur confèrent une existence sociale manifeste, ainsi que le statut de « vérités », d’« évidences » » : moi : cf : n’est-ce pas là une position équivalente à celle : 1/ de Castoriadis dans L’institution imaginaire de la société, Editions du Seuil, 1975 : p.190 : le symbolique est utilisable qu’à être décomplété par un fond imaginaire : « Un symbolisme est maîtrisable, sauf pour autant qu’il renvoie, en dernier lieu, à quelque chose qui n’est pas du symbolique [cad de l’imaginaire]. » + « Les déterminations symboliques que nous venons d’étudier n’en épuisent pas la substance. Il reste une composante essentielle, et, pour notre propos, décisive : c’est la composante imaginaire de tout symbole et de tout symbolisme, à quelque niveau qu’ils se situent. + p.190 : sens courant du terme « imaginaire » : « Rappelons le sens courant du terme imaginaire […] : nous parlons d’imaginaire lorsque nous parlons de quelque chose d’« inventé » - qu’il s’agisse d’une invention « absolue » (« une histoire imaginée de toutes pièces »), ou d’un glissement, d’un déplacement de sens, où des symboles déjà disponibles sont investis d’autres significations que leur significations « normales » ou canoniques […]. Dans les deux cas, il est entendu que l’imaginaire se sépare du réel, qu’il prétende se mettre à sa place (un mensonge) ou qu’il ne le prétende pas (un roman) ». p.190 : les rapports profonds entre le symbolique et l’imaginaire : « Les rapports profonds et obscurs entre le symbolique et l’imaginaire apparaissent aussitôt si l’on réfléchit à ce fait : l’imaginaire doit utiliser le symbolique, non seulement pour s’exprimer, ce qui va de soi, mais pour « exister », pour passer du virtuel à quoi que ce soit de plus. Le délire le plus élaboré comme le phantasme le plus secret et le plus vague sont faits d’ « images » mais ces « images » sont là comme représentant autre chose, ont donc une fonction symbolique. Mais aussi, inversement, le symbolisme présuppose la capacité imaginaire. Car il présuppose la capacité de voir dans une chose ce qu’elle n’est pas, de la voir autre qu’elle n’est. Cependant, dans la mesure où l’imaginaire revient finalement à la faculté originaire de poser ou de se donner, sous le mode de la représentation, une chose et une relation ne sont pas (qui ne sont pas données dans la perception ou qui ne l’ont jamais été), nous parlerons d’un imaginaire dernier ou radical, comme racine commune de l’imaginaire effectif et du symbolique. C’est finalement la capacité élémentaire et irréductible d’évoquer une image. Fond L’emprise décisive de l’imaginaire sur le symbolique peut être comprise à partir de cette considération : le symbolisme suppose la capacité de poser entre deux termes un lien permanent de sorte que l’un « représente » l’autre. Mais ce n’est que dans les étapes très avancées de la pensée rationnelle lucide que ces trois éléments (le signifiant, le signifié et leur lien suis generis) sont maintenus comme simultanément unis et distincts, dans une relation à la fois ferme et souple ». … à voir si j’ai besoin de la suite : voir p.191-19220 193-194 … en tout cas, jusqu’à maintenant, Castoriadis ne décrit pas précisément et concrètement vraiment ce que recouvrent les termes de « symbolique » et d’ « imaginaire ». 2/ de Legendre dans De la Société comme Texte… p.17-18 : l’affaire de la représentation humaine et la problématique de l’image : « Premièrement, il s’agit de prendre acte de la question du langage et de lui rapporter ses effets : construction de l’identité, énigmatisation du monde. […] Ainsi convient-il en priorité de remonter vers le constat suivant : le monde n’est pas donné à l’homme, si ce n’est par le langage qui le sépare des choses et le divise de lui-même. Et cette déchosification généralisée, une sorte de dématérialisation de la matérialité du monde, lui impose le joug d’un univers de la représentation, su et insu, bien plus difficile d’accès à nos investigations que celui où se meuvent, pour survivre elles aussi, les autres espèces perfectionnées. Mais, que veut dire : le langage divise l’homme de lui-même ? Là, nous touchons au noyau ultra-sensible que comporte l’univers humain de la représentation, à la grande affaire de la division subjective dévoilée par la problématique du Miroir, laquelle met en scène la violente question à civiliser, popularisée dans notre culture depuis Freud par le mythe antique de Narcisse : la vie de l’image redoublant la vie physique, une vie inscrite comme une longue parenthèse entre naître et mourir. […] En quoi une société pourrait-elle assumer la fonction d’un Miroir, c’est-à-dire s’autoinvestir d’une fonction spéculaire, qui en somme équivaut à introduire la théâtralité – hiérarchie d’une scène et manœuvre de la fiction – comme condition d’organisation religieuse, politique, économique, des groupes humains ? L’examen des montages dogmatiques nous ouvre à ces arcanes, à condition de ne pas oublier au départ que le jeu des images et, dans son prolongement oublié, l’activité de la pensée sont des effets inséparables de la vie du langage. » Reprise Godelier : p.42-43 : confusion théorique entre imaginaire et symbolique : « Il m’a semblé qu’une grande confusion théorique entourait les notions d’imaginaire et de symbolique, domaines intimement associés et complémentaires mais qu’il ne faut en aucun cas confondre. […] Je me suis essayé à clarifier ce problème. L’imaginaire, c’est de la pensée. C’est l’ensemble de représentations que les humains se sont faites et se font de la nature et de l’origine de l’univers qui les entoure, des êtres qui le peuplent ou sont supposés le peupler, et des humains eux-mêmes pensés dans leurs différences et/ou leurs représentations. L’imaginaire, c’est d’abord un monde idéel, fait d’idées, d’images et de représentations de toutes sortes qui ont leur source dans la pensée. Or, comme toute représentation est en même temps le produit d’une interprétation de ce qu’elle représente, l’Imaginaire, c’est l’ensemble des interprétations (religieuses, scientifiques, littéraires) que l’Humanité a inventées pour s’expliquer l’ordre ou le désordre qui règne dans l’univers ou dans la société, et pour en tirer des leçons quant à la manière dont les humains doivent se comporter entre eux et vis-à-vis du monde qui les entoure. Le domaine de l’Imaginaire est donc bien un monde réel mais composé de réalités mentales (images, idées, jugements, raisonnements, intentions) que nous appellerons globalement des réalités idéelles qui, tant qu’elles sont confinées dans l’esprit des individus, restent 21 inconnues de ceux qui les entourent et ne peuvent donc être partagées par eux et agir sur leur existence. Le domaine du Symbolique, c’est l’ensemble des moyens et des processus par lesquels des réalités idéelles s’incarnent à la fois dans des réalités matérielles et des pratiques qui leur confèrent un mode d’existence concrète, visible, sociale. C’est en s’incarnant dans des pratiques et des objets qui le symbolisent que l’Imaginaire peut agir non seulement sur les rapports sociaux déjà existants entre les individus et les groupes, mais être aussi à l’origine de nouveaux rapports entre eux qui modifient ou remplacent ceux qui existaient auparavant. L’Imaginaire n’est pas le Symbolique, mais il ne peut acquérir d’existence manifeste et d’efficacité sociale sans s’incarner dans des signes et des pratiques symboliques de toutes sortes qui donnent naissance à des institutions qui les organisent, mais aussi à des espaces, à des édifices, où elles s’exercent. » + p.45 : liens entre I et S et rapports entre violence et consentement : « C’est donc toute la question des rapports entre violence et consentement dans la genèse et la perpétuation des rapports de domination et d’exploitation caractéristiques des sociétés inégalitaires qui se trouve à la fois posée et éclairée par le jeu des liens entre l’Imaginaire et le Symbolique dans la production des rapports sociaux. » p.46 : à propos de la nécessité de distinguer mais pas d’opposer entre l’Imaginaire et le symbolique, et donc entre une anthropologie culturelle (comme étude des représentations que les individus se font de leurs rapports et de leur place) et une anthropologie sociale (comme étude des rapports entre les individus et entre les groupes) + p.47 : pourquoi la nécessité de penser l’articulation et l’interpénétration de l’I et du S ? « Ceci tout simplement parce qu’un rapport social, quel qu’il soit, ne saurait naître ni se reproduire sans qu’il ait un sens (ou plusieurs) pour ceux qui le produisent comme pour ceux qui le reproduisent. […] En fait, aussitôt que des individus et/ou des groupes entrent dans un rapport social quelconque, ce rapport n’existe pas seulement entre eux mais également et simultanément en eux. Font donc partie du rapport lui-même les formes et les contenus de conscience de ceux qui les produisent et/ou les subissent. Et ces formes de conscience constituent la part idéelle de ce rapport social » + nbp : ref. à L’idéel et le Matériel, p197 et suivantes : « La part « idéelle » du réel (social) et la distinction entre idéologique et non idéologique » : les 4 fonctions principales de la pensée, cad de la représentation : 1/ rendre présentes à la pensée des réalités extérieures et intérieures aux êtres humains 2/ re-présenter, c’est toujours interpréter la réalité (ce qui suppose des systèmes de représentations) 3/ organiser les rapports des hommes entre eux et avec la nature 4/ légitimer et illégitimer les rapports des hommes entre eux et avec la nature 22