Les obsèques de la lionne : conclusion

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Les obsèques de la lionne, Fables, Lafontaine
I.
L’art de l’apologue
A. Un récit bref
-Schéma narratif complet
-51 vers, pas de détails inutiles
-Sommaire + ellipses
B. Un récit vivant et plaisant
-Variété :
-du mètre (8/12 syllabes)
-des rimes
-des discours (DD + DI  verbes de parole
-Rythme alerte, rapide (cf. vbs d’action)
Enjambements + rejets
Propositions brèves + juxtaposées
+Bref
-Animaux personnifiés, cf. titres + sentiments humains (colère, vengeance…) +
actions (parler…)
C. Un récit didactique
-Moralité (v. 52-55)
cf. vbs à l’impératif = conseil au lecteur
+ Présence explicite du moraliste, cf. commentaire v17 à 20 « je»
+Présence implicite cf. modalisateurs : « au moins », « simples ressorts »,
« flatteurs »
II.
Une peinture de la cour
A. La satire du roi
-Violent + excessif (≠ »honnête homme »)
cf. « cris »manque de retenue
+ Champ lexical violence
+Hyperboles
-Manque de piété (v. 14)
-Crédule, naïf, manipulable, cf. métaphore du poisson (animal idiot) « gober
l’appât »
B. Satire des courtisans
-Serviles, cf. empressement « aussitôt accourut » + manque de personnalité
Antithèse « un esprit »
= foule indistincte : « on », « chacun » ≠ « mille corps » = pronoms indéfinis
-versatiles : changement constant
Chiasme et antithèse (v.18) renforcés par la double métaphore animale
« caméléon », « singe »imitation ≠ sens critique
-hypocrites et obséquieux : lexique « surcroit d’affliction »/ « flatteurs »
-hostiles : délation
III.
Une mise en scène de la parole
A. Du lion
B. Des courtisans
C. Du cerf
Autre plan possible :
I- Une fable riche et complexe, entre
classicisme et originalité…
A- Rythme et structure
« Les obsèques de la lionne », long poème de La Fontaine, possède toutes
lescaractéristiques classiques d’une fable tout en montrant une
certaine originalitéde traitement et de construction.
Les 55 vers se répartissent en plusieurs sous-ensembles variés, contrairement à
d’autres fables plus « monolithiques », se contentant d’un court récit et d’une morale.
Le récit et la morale se retrouvent ici mais selon un rythme et une organisation plus
complexes: une première partie correspond à un récit de mise en situation (les
obsèques, v.1 à 15), tandis qu’une seconde partie voit l’intervention directe de
l’auteur (v.16 à 23) et crée une pause dans le récit.
Celui-ci reprend au vers 23 autour de l‘opposition du Cerf et du Lion (v.23 à 38)
puis devient un « récit dans le récit » avec l’histoire racontée par le Cerf (v.39 à 51).
La fable se clôt enfin, de manière classique, sur une courte morale (v.52 à 55).
Cette structure variée maintient un rythme soutenu qui entraîne le lecteur dans un
récit plaisant tout en l’incluant dans les commentaires et considérations du fabuliste.
De la même manière, l’alternance entre octosyllabes et alexandrins et ladiversité
des rimes (plates, alternées, embrassées…) donnent à la fable toute safluidité.
Cette impression est aussi renforcée par la dimension théâtrale de la fable.
B – Une dimension théâtrale
Les fables de La Fontaine représentent un genre littéraire complexe, puisqu’elles
évoquent d’abord la poésie (du fait de la versification et des contraintes poétiques)
tout en s’inspirant bien souvent d’apologues antiques en prose et en empruntant
au genre théâtral.
La fable « Les obsèques de la Lionne » est une bonne illustration de cette
complexité.
La construction de la fable peut ainsi évoquer une pièce en trois actes, où
l’intervention directe de l’auteur ferait office d’ « entracte ».
Après la mise en situation initiale, décrite au passé simple, le récit se
resserreautour des personnages du Lion et du Cerf : le fait de leur donner la parole
au présent à travers le discours direct (vers 33 à 50) leur donne de l’épaisseur et
les met directement en scène sous les yeux du lecteur.
Les rebondissements (dénonciation et attaque du Cerf ; réplique de celui-ci) et
ledénouement inattendu (« Le Cerf eut un présent », v.51) font aussi de la fable un
récit de fiction vivant et mouvementé.
C. La mise en scène d’animaux-humains
Comme souvent dans ses Fables, La Fontaine met ici en scène des animaux
anthropomorphes (au comportement humain).
Ce mélange est d’emblée annoncé dans le titre, « Les obsèques de la Lionne »,
liant un animal et une cérémonie humaine par excellence, celle de l’hommage aux
morts.
L’un des personnages principaux est le Lion, dont le statut symbolique de roi des
animaux est rappelé tout au long de la fable à travers plusieurs
appellations(« Prince », v.3 ; « Roi », v.30 ; « Monarque », v.33) et l’abondance
de possessifssoulignant sa puissance (« sa Province », v.6 ; « ses Prévôts », v.8).
Le Cerf, quant à lui, n’est défini que par l’expression « Chétif hôte des bois » (v. 33),
qui souligne sa faiblesse face à son interlocuteur.
Notons enfin la présence de « Loups » (v.36), qui, en accord avec la culture
populaire, représentent ici la violence.
Ces personnages-animaux sont cependant très proches des humains.
Par rapport à d’autres fables où les animaux parlent mais agissent de manière plus
bestiale (vivant dans la nature, se battant…), les références au monde animalsont
ici très réduites. Ainsi les termes « antre » (v.13) et « rugir » (v.16) sont les seuls à
l’évoquer directement.
La description détaillée du cérémonial du vers 7 à 10 rappelle ostensiblement
lemonde humain (« obsèques », « Prévôts », « cérémonie », « compagnie »), tout
comme le fait que Lion n’ait pas de griffes mais de « sacrés ongles » (v. 36).
Tout en suivant les codes classiques qu’il applique à la rédaction de ses Fables
(versification, schéma récit/morale, mise en scène d’animaux), on peut souligner que
La Fontaine choisit ici de livrer un récit long et mouvementé, où les animaux
semblent plus que jamais humains et où il intervient lui-même directement.
Ces caractéristiques sont ici au service d’une violente satire de la Cour.
II- … au service d’une féroce satire de la
Cour
A- Intervention de l’auteur et implication du lecteur
Comme on l’a vu, le récit est ici interrompu par une intervention directe de La
Fontaine.
Le changement d’énonciation au vers 17 voit l’irruption de la première personneet
s’accompagne d’un passage au présent de vérité générale.
Ces éléments permettent de sortir du récit pour décrire le caractère hypocrite et
stérile de la vie à la cour.
On note que le fabuliste utilise à la fois des verbes didactique (« je définis », v.17)
et d’appréciation (« on dirait », v.22) pour construire son argumentation.
La présence de l’auteur peut également être perçue à travers des éléments plus
subtils : ainsi, son soutien au personnage du Cerf transparaît dans la question
rhétorique du vers 25 : « comment eût-il pu faire ? », qui explique le
comportement du Cerf et le disculpe.
Ces interventions de l’auteur vont de pair avec l’implication du lecteur, qui se
trouve interpellé dès le vers 11 (« jugez ») puis dans la morale finale.
Il est aussi inclus par le pronom indéfini « on » (v.15 et 22) et l’adjectif possessif
« notre » (v.24). Ces éléments lui permettent de se sentir directementimpliqué dans
le récit, mais aussi dans la partie argumentative et didactique de lafable, impression
renforcée par l’alternance entre fiction et commentaire.
Ces procédés sont ainsi utilisés par La Fontaine pour mettre habilement en œuvre
sa double visée de fabuliste : plaire et instruire.
C’est aussi dans cette double perspective que s’inscrit l’emploi, tout au long de la
fable, d’une ironie féroce.
B- L’ironie et la parodie comme instruments de
dénonciation
Dès les premiers vers des « obsèques de la Lionne », La Fontaine tourne en
dérision le comportement des courtisans lors des obsèques.
En utilisant le verbe « s’acquitter » (v.3), il adjoint à un comportement moral (les
condoléances) une valeur marchande qui évoque l’obligation.
L’expression « rugir en leurs patois » au vers 16 crée à nouveau un décalage
comique, entre la violence et la noblesse du verbe « rugir » et la trivialité des
« patois », c’est-à-dire des dialectes des courtisans.
L’ironie culmine sans doute aux vers 26-27, où une phrase qui évoque le conte de
fée (« la Reine avait jadis ») s’achève dans une grande violence (« étranglé sa
femme et son fils » ), mise en valeur par l’enjambement qui rejette le verbe au
début du vers suivant.
Le fabuliste recourt également à la parodie pour dénoncer les travers de la Cour.
Les vers 13-14 peuvent ainsi évoquer le registre tragique, avec le thème de
ladouleur extrême et la tournure vieillie qui place le verbe en fin de proposition :
« Le Prince aux cris s’abandonna/Et tout son antre en résonna ».
Le même procédé d’insistance parodique se retrouve dans tout le récit du Cerf,qui
mêle des références religieuses dans un ensemble à la fois lyrique etmystique.
Après la parodie d’une apparition biblique aux vers 42-43, mise en valeur par le
passage à l’octosyllabe (« Tout près d’ici m’est apparue ; et je l’ai d’abord
reconnue »), La Fontaine utilise tout un champ lexical religieux : « Dieux »,
« Champs Elysiens » « saints » (v.45-47), qui culmine dans la double exclamation
finale « Miracle, apothéose ! » (v.50).
C- Une satire implacable qui mène à plusieurs
morales
L’apologue que constitue cette fable se clôt tout naturellement sur une courte
morale, mais la partie la plus critique est sans nul doute celle constituée par la
parenthèse d’intervention du fabuliste.
Après une énumération en forme de chiasme au vers 18 (« Tristes, gais, prêts à
tout /; à tout indifférents »), qui juxtapose des termes contraires pour montrer
l’absence de volonté propre des courtisans, La Fontaine résume l’hypocrisie de
la cour en opposant dans une rime (v.19-20) l’« être » et le « paraître ».
On peut également relever l’utilisation de plusieurs comparaisons
animales(« peuple caméléon », « peuple singe ») : cette fois-ci, ce ne sont pas les
animaux qui agissent en humains mais les courtisans qui deviennent de
simples bêtes.
Cette métaphore filée, qui va crescendo, se poursuit avec l’évocation de l’absence
de conscience propre (« un esprit anime mille corps ») puis la qualification de
« simples ressorts », qui achève avec violence la déshumanisation des
courtisans, devenus simples machines.
Notons que la morale finale contient aussi une référence animale évoquant
lacrédulité bornée des Rois : « Ils goberont l’appât » (v.55).
La critique de la fable paraît en cela assez vive puisque La Fontaine s’en prend plus
rarement, dans ses Fables aux souverains qu’aux courtisans, et le fait en général de
manière voilée.
Ici, le Roi est évoqué ouvertement à la fois dans sa violence (les trois impératifs
des vers 37-38 : « venez », « vengez », immolez ») et dans sa faiblesse.
Les obsèques de la lionne : conclusion
Dans cette fable riche et audacieuse, La Fontaine utilise ses talents de conteuret
sa force d’argumentation pour délivrer plusieurs enseignements et morales. Tout
en divertissant le lecteur, il s’inspire de la cour de Louis XIV pour dénoncer
l’hypocrisie des courtisans et révéler les travers et faiblesses du pouvoir.
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