Michel Matarasso Mercier P., Histoire de l'anthropologie. In: Revue française de sociologie. 1967, 8-2. pp. 245-248. Citer ce document / Cite this document : Matarasso Michel. Mercier P., Histoire de l'anthropologie. In: Revue française de sociologie. 1967, 8-2. pp. 245-248. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_1967_num_8_2_3168 Bibliographie revient la tâche de dessiner avec netteté ce qui devient sous sa plume « physique sociale ». A côté de cette analyse beaucoup plus vigoureuse que ce qui sera écrit quinze ans plus tard dans le Cours, le chapitre du Dr Bailly (attribué à SaintSimon par Gurvitch) et intitulé « De la physiologie (3) appliquée à l'améliora tion des institutions » (t. V) paraît bien plat et est d'une inspiration organiciste étrangère à Saint-Simon lui-même. En fait, les plans de la physiologie sociale de Saint-Simon restent inachevés. On en trouve une ébauche dans le Travail sur la gravitation (t. V) postérieur de quelques mois au Mémoire et où la « Science de l'Homme » prend place à côté du « Système du monde ». F. A. Isambert. Mercier, Paul. Histoire de l'anthropologie. Paris, Presses Universitaires de France, 1966, 222 p. 8 F (Le Sociologue 5). Peu d'ethnologues ont, jusqu'aujourd'hui, eu le goût ou l'audace d'écrire l'histoire de leur propre discipline. Pourtant, plus que toute autre, parmi les sciences de l'homme, l'ethnologie, ou l'anthropologie sociale culturelle (peu importe !) , n'a pas manqué d'attester, à travers les études de terrain, la conti nuité de son entreprise théorique. Prenant soin de ne se laisser réduire, ni à la relation de voyage ou d'explo ration, ni et encore moins — excepté dans sa phase initiale — à quelque philo sophie sociale en vigueur, mais empruntant à celle-là la fraîcheur des premières impressions que laisse sur l'esprit du chercheur la découverte d'une nouvelle société (lointaine, dépourvue d'archives), et à la seconde des modèles d'inter prétation de la transformation des sociétés, l'ethnologie s'est d'emblée voulue très empirique et très explicative. Peut-être comme l'histoire de la vie quoti dienne, a-t-elle visé un déchiffrement instantané de l'actualité, une lecture codée de l'événement saisi sur le vif dont le chef-d'œuvre inégalé reste — et restera pendant longtemps encore, croyons-nous — Les Argonautes du si controversé Malinowski. Avant d'arriver à cette maîtrise de l'analyse il a fallu, on s'en doute, ces récits ornés des voyageurs, qui de l'antiquité au xviii* siècle européen, en passant par l'Islam, ont fourni le matériau d'une « préhistoire de l'ethnologie ». Reste à préciser les commencements de cette histoire. S'il est un siècle qui fut spontanément ethnologique, le xviii", alliant avec aisance, au sens aigu de l'observation l'exercice des « lumières », où le situer : à l'orée de l'ethnologie « officielle » ? dans sa préhistoire ? Dès 1838, la Société d'Ethnologie de Paris est créée, suivie, deux années plus tard, de l'Ethnological Society à Londres. П est instructif de noter, à notre sens, qu'entre ces deux dates, A. Comte publie le célèbre Cours de philo sophie positive dans lequel il propose, pour désigner l'étude de la société, le terme de sociologie. Désormais, c'est à l'épistémologie évolutionniste (que Spencer consacrera en Angleterre) que les recherches viendront référer leur mode d'ex plication. Que ses mécomptes aient été considérables, nul aujourd'hui n'en disconvient. Ce qui pourtant semble plus original, c'est d'entrevoir, en filigrane de cette interprétation bien des linéaments de l'anthropologie du changement social, en honneur aujourd'hui. (3) On ne peut qu'attribuer à une erreur de correction le fait que la couverture du tome V porte dans sa liste de titres : « De la psychologie sociale. » 245 Revue française de sociologie Quoi qu'il en soit, c'est à une approche de type géographique que sacrifient d'autres générations, particulièrement en Allemagne, en Autriche, aux EtatsUnis : la délimitation des aires de civilisation, des cycles culturels, et la diffusion de certains aspects, matériels, institutionnels, voire idéels, à l'intérieur et entre ces aires, semblent jeter quelque clarté nouvelle sur les sociétés qu'étudie l'et hnologue. C'est par surcroît d'exigence théorique que les recherches, dès lors, s'efforcent de référer la société à la société elle-même; et de manière symétrique et inverse, l'homme à ses composants organique et psychologique. Kroeber, on le sait, pose la dichotomie, bien connue, « organique-superorganique » : elle amorce celle, plus large, qui a cours aujourd'hui encore, de comportement-culture, estimant d'ailleurs éliminer tout versant philosophique et atteindre d'emblée le roc (pour la pensée américaine : la réalité empirique) . Ce dont les anthropologues américains sont à cent lieues de se douter, c'est que le soupçon métaphysique ne se laisse pas expulser aisément; et qu'à mani puler tel ou tel concept : behaviorisme, organique, superorganique, fonction, culture, etc., nul ne sort quitte vis-à-vis de la « machine infernale ». Plus grave, la définition empirique jetée à tous les vents de l'enquête ne peut pas ne pas donner lieu à des variations. Kroeber et Kluckhohn parviennent à recenser 160 définitions de la culture. Mais à cette profusion conceptuelle — symptôme remarquable d'abondance ou d'indigence théorique — vient s'appa rierune prolifération de « traits » empiriques que le raffinement de l'appareil méthodologique accroît continûment. En 1921, L. Spier, étudiant la société des Indiens des Plaines et le complexe culturel « The Sun Dance », distingue quel ques 80 traits. A quelque temps de distance, pour l'étude systématique d'autres sociétés, Kroeber et ses disciples en dégagent 8.000. Bien plus que le nombre impressionnant d'éléments dont le traitement ne fait guère problème aujourd'hui, ce qui met l'esprit en éveil est l'impasse épistémologique à laquelle cette démar che aboutit. Lorsque Radcliff e-Brown définit l'œuvre de Kroeber comme « une fantas tique réification d'abstractions », nous ne pouvons pas ne pas trouver ce juge ment excessif à l'endroit d'un savant que son génie et son immense travail ont porté, avec Boas, au premier plan de l'ethnologie américaine — mais dont plus que tout autre sans doute, il a accusé les pentes et les limites. A travers Kroeber, la critique de Radclifîe-Brown atteint les fondements de la théorie anthropologique aux Etats-Unis. Lorsque, pour éclairer la société, on ne la réfère à rien d'autre qu'à ellemême, une des réponses possibles est celle du fonctionnalisme. Que Bronislaw Malinowski soit meilleur observateur et meilleur homme de terrain que théo ricien n'échappe à personne. L'ambiguïté du concept de fonction l'atteste suff isamment. Reste cependant qu'H a inauguré un mode d'approche global de la société, et que le fonctionnalisme privilégiant la dimension synchronique a anticipé sur Yanalyse structurale comme RadclifEe-Brown l'a conduite dans la dernière partie de son œuvre. Au vrai, l'anthropologie sociale britannique paraît, à quelque distance, avoir tenu une position médiane entre la contribution amér icaine et les différents courants qui en France ont donné à l'ethnologie une place grandissante. Mais là où P. Mercier voit quelque diversité nous sommes plus sensible, pour notre part, à la continuité qu'elle présente. Griaule en Afrique, Leenhardt en Mélanésie, P. Rivet, J. Soustelle en Améri quecentrale et du Sud, Métraux aussi (bien que ressortissant suisse), bien d'autres encore, tous travaillent en liaison avec l'Institut d'Ethnologie de Paris, avec Mauss et à travers lui avec l'équipe de V Année sociologique, puis des Annales sociologiques; sans compter la jeune équipe de sociologues, à vocation 246 Bibliographie ethnologique de l'Année sociologique, en grande partie décimée pendant le premier conflit mondial (nous pensons personnellement à Robert Hertz dont l'œuvre d'une portée considérable est aujourd'hui presque entièrement oubliée). Non, croyons-nous, jusqu'à la dernière guerre, l'effort n'a pas été vain (1). Aussi essentielle, à nos yeux, est la tradition ethnologique française qui, de Durkheim à Cl. Lévi-Strauss, à L. Dumont et à R. Bastide entre autres, s'est maintenue constante. Ce n'est pas par hasard qu'à travers toute son œuvre, Cl. Lévi-Strauss a été l'un des contemporains à rester fidèle à l'œuvre de Durkheim, notamment au Durkheim des Formes élémentaires, car s'il a épuré l'esprit humain des connotations controversables de la conscience collective, il a posé comme essentielle, en accord avec le fondateur de l'Ecole sociologique française et avec Mauss, « la tendance logico-esthétique de l'esprit humain de concevoir sous forme de groupes les ensembles physique, biologique, social, qui composent son « univers » (Anthropologie structurale, p. 8) . Lorsque R. Bastide, étudiant les religions africaines au Brésil dresse un catalogue des catégories et des modes de connaissance des sociétés noires, met tant à profit les faits d'interpénétration des civilisations, il ne fait rien d'autre semble-t-il que prolonger, enrichir et actualiser cette découverte première. Depuis Durkheim et Mauss en effet, un point reste fondamental : l'analyse des structures de la société passe par celles de l'esprit humain auxquelles elles s'appliquent. Toutes les contributions ultérieures restituent à l'ethnologie fran çaise — au-delà des controverses — son unité d'inspiration et sa continuité (2) . Cette perspective maussienne, alliée à la linguistique structurale telle qu'un Roman Jakobson la dégage (qui la dotera d'un versant méthodologique de haut rendement) , et d'autre part à l'apport de Radcliffe-Brown, est susceptible d'éclai rer l'effort de l'anthropologie structurale que, depuis un quart de siècle, Cl. LéviStrauss conduit de manière systématique. Qu'aujourd'hui l'étude des « superstructures » plus que celle des transfor mations sociales, accapare son attention ne doit pas nous abuser. Des recherches bien connues portent sur la morphologie sociale (structure de parenté, organi sation de l'espace social) . Plus encore La pensée sauvage précise clairement : « Ce livre est consacré à l'idéologie et aux superstructures. Nous n'entendons nullement insinuer que les transformations idéologiques engendrent les trans formations sociales. L'ordre inverse est seul vrai. La conception que les hommes se font des rapports entre la nature et la culture est fonction de la manière dont se modifient leurs propres rapports sociaux. » La faveur que P. Mercier attribue à l'étude du changement social, en accord d'ailleurs avec l'esprit des travaux contemporains, rencontre une perspective soucieuse de ces modifications, celle du « dynamisme social » prenant appui sur le concept de situation sociale de Glukman, de situation coloniale de Balandier. Le concept de situation, comme celui de domination sur lequel il s'appuie égale ment (domination matérielle, domination d'une minorité ethnique, rapports de civilisations) renvoient à une analyse de la structure du pouvoir et de la décision. C'est vers une anthropologie de la décision que devrait s'acheminer, croyons(1) Sans mentionner — car ce point n'était pas l'objet spécifique du livre — les recherches d'archéologie préhistorique et de technologie qui ont placé les contribu tions françaises au premier plan des travaux internationaux. (2) Mauss, prenant pour base des travaux de psycho-pathologie, de pathologie collective, a donné à cette orientation de la recherche une ampleur sans précédent en l'adossant à la découverte de l'activité symbolique de l'esprit; I. Meyerson l'a prolongée, de même Granet, Soustelle, dans leurs études sur la Chine, le Mexique; Lévy-Bruhl même, inspirateur des travaux de Leenhardt — tous deux empruntant d'ailleurs à la phénoménologie — s'y sont engagés, Griaule et d'autres africanistes : G. Dieterlein, D. Zahan ont élaboré une symbolique transcendantale. 247 Revue française de sociologie nous, l'étude du changement social. Mais celle-ci ne conduira-t-elle pas à une lecture codée de l'actualité, et de manière systématique ou non, à une approche structurale ? Nous posons aujourd'hui la question, persuadé qu'étant tous acquis au changement social, économistes, sociologues, psychologues et anthropologues en attendent une théorie et une méthode qui échappent à la « fantastique réification d'abstractions » (3) . M. Matarasso. Armengaud, André. Démographie et sociétés. Paris, Stock, 1966, 213 p., tabl. 15 F. En quelques pages brèves et denses, ce petit livre présente l'état actuel des connaissances, et surtout de la problématique, sur les rapports entre la démogra phie et la société globale, dans l'histoire et jusqu'à notre temps: les caractères particuliers aux populations anciennes, la « révolution démographique » du xixe siècle et le vieillissement qu'elle a provoqué dans les pays de civilisation industrielle, enfin l'explosion démographique aujourd'hui, dans les pays du tiers -monde. A. Armengaud est bien connu par sa thèse sur la démographie languedocienne au xrx* siècle et par un manuel d'histoire démographique (écrit en collaboration avec M. M. Reinhard) . Sans doute, dans cet essai, n'a-t-il prétendu ni à l'exhaustivité ni à l'originalité, et cependant le seul rapprochement dans l'espace d'un livre court, des situations éloignées dans le temps et des théories qui se propo sentde les expliquer, permet une meilleure intelligence des faits et de leurs interprétations, et met en valeur des relations et des différences en général négligées. Voici un exemple : la juxtaposition, donc la comparaison, de la révolution démographique du xix6 siècle dans l'Europe occidentale, et de l'explosion démo graphique du xxe siècle dans le tiers-monde. On ne peut pas ne pas être frappé par les ressemblances : points de départ apparemment voisins, mêmes structures démographiques de type ancien; ensuite même recul de la mortalité, grâce aux progrès encore lents au xix" siècle, très rapides au xxe, de l'hygiène et de la médec ine. Par conséquent, ici et là, à un siècle d'intervalle, même poussée de popupulation. On ne peut pas être moins frappé par cette différence : au xix" siècle en Europe occidentale, l'essor démographique a été plus ou moins tôt freiné par le contrôle des naissances. Au xxe siècle, dans les pays du tiers-monde, cette compensation n'intervient pas, ou alors, au Japon, ce n'est pas spontanément, mais elle est imposée par l'Etat, grâce aux moyens de pression et de propagande massifs dont il dispose. Ailleurs les méthodes contraceptives se heurtent à la répugnance ou à l'incompréhension. Il faut les introduire du dehors, par la contrainte. En Europe occidentale elles ont été à la fois volontaires et secrètes, d'abord pratiquées dans la clandestinité conjugale. Pourquoi cette différence dans l'évolution du comportement, sinon parce qu'il existait ici une cause pro fonde qui n'apparaît pas, ou pas encore, là : le sentiment moderne de la famille, l'organisation de la famille autour de l'enfant, de son éducation, de sa promot ion ? C'est la place nouvelle de l'enfant dans la mentalité moderne qui est, je pense, à l'origine d'une comptabilisation restrictive des naissances, en même (3) La lecture de l'ouvrage de P. Mercier nous a fait regretter l'absence d'un index des auteurs. Mais plus encore celle d'un second tome qui mentionnerait avec l'acti vitési importante des revues d'ethnologie, de niveau international, les contributions récentes des jeunes équipes d'ethnologues aussi bien en France, qu'en Angleterre et aux Etats-Unis. Il n'était assurément pas possible de faire entrer ces informations dans les 222 pages imparties à l'auteur, en raison du cadre même de la collection. 248