www.planseisme.fr QUAKonSCARPS CONTEXTE DE REALISATION Anticiper la date d’occurrence et la magnitude des forts séismes qui nous frapperont dans les prochaines décennies est un enjeu de première importance car cette anticipation est primordiale au dimensionnement approprié de nos infrastructures et à la préparation de nos sociétés au risque sismique qu’elles encourent. L’une des clés de cette anticipation est une bonne connaissance des forts séismes « similaires » qui se sont produits par le passé, dans les derniers millénaires. Il s’agit en particulier de connaître leur date d’occurrence et leur magnitude. Cette connaissance du passé nous sert alors de miroir pour anticiper les périodes de retour et la magnitude maximum des grands événements à venir. Or, actuellement, notre connaissance des grands séismes passés est très restreinte, en particulier car rares sont les outils disponibles pour restituer la mémoire sismique. L’objectif du projet QUAKonSCARPS a été de développer une nouvelle approche susceptible de restituer cette mémoire. OBJECTIFS Notre objectif a été d’utiliser la chimie comme outil pour restituer la mémoire des grands séismes passés. Sur certains types de failles (i.e., à mouvement vertical), chaque fort séisme provoque l’exhumation d’une partie de la faille. De quelques dizaines de centimètres à quelques mètres, cette exhumation met brutalement à l’affleurement les roches de la faille, jusqu’alors enfouies sous la surface du sol. Lorsque ces roches sont de nature calcaire, un élément chimique particulier, le 36 nucléide cosmogénique Cl, se forme dès lors que la roche est mise à l’affleurement et reçoit les rayons cosmiques. Sa concentration augmente ensuite progressivement avec la durée d’exposition de la roche à la surface de la Terre. Notre objectif a été d’utiliser cette propriété chimique pour dater les phases d’exhumation sismique produites par les grands séismes passés et mesurer les quantités d’exhumation : chaque nouveau fort séisme exhume une nouvelle portion de roche, à un temps différent du séisme précédent. Une faille aujourd’hui exhumée (et préservée de l’érosion) est ainsi constituée d’une succession de portions ayant été exposées aux rayons cosmiques pendant des temps différents. Ces portions ont donc des concentrations en 36 Cl fondamentalement différentes les unes des autres. 36 La mesure continue des concentrations en Cl dans les roches de la faille depuis sa base jusqu’au sommet de sa partie non-érodée (en général, une dizaine de mètres de haut) peut alors permettre de retrouver l’âge des différentes exhumations et donc des différents forts séismes, ainsi que les quantités d’exhumation, liées à la magnitude de ces séismes. Ces données du passé qui décrivent quand et ce que furent les grands séismes des derniers millénaires peuvent alors être extrapolées aux anticipations du futur. PROGRAMME DES TRAVAUX ET COUT Le projet QUAKonSCARPS a été réalisé de 2007 à 2010 sur financement de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR, programme CATTEL). Il a été piloté par Isabelle Manighetti (aujourd’hui au laboratoire GEOAZUR, Nice), et a rassemblé quatre laboratoires nationaux, ISTERRE (Grenoble), CEREGE (Aix-en-Provence), GEOSCIENCES MONTPELLIER (Montpellier), et IPGP (Paris). Il a bénéficié d’une aide de 500 000 € (hors salaire des personnels permanents). Nous avons appliqué la nouvelle méthode développée aux failles sismiques d’Italie centrale dont l’une a produit le séisme meurtrier de l’Aquila en 2009. Plus de 1000 échantillons de roche ont été prélevés et analysés dans le cadre de ce projet. RESULTATS OBTENUS Nous avons développé un nouveau protocole de 36 modélisation des mesures de concentration en Cl dans les roches de faille exhumées sismiquement, dédié à restituer les âges et quantités d’exhumation et leurs incertitudes à partir de la mesure de concentrations 36 infimes en Cl dans les roches de faille. Ce nouveau code a été mis à la disposition de la communauté internationale (Schlagenhauf et al., G.J.Int., 2010). Nous avons également développé une autre méthode chimique, basée sur la mesure du contenu en éléments chimiques Terres Rares dans les roches exhumées sismiquement. Cette seconde méthode permet de mesurer les quantités d’exhumation, mais non les âges. Indépendante de la première approche, elle permet de 36 valider les résultats issus de la méthode Cl. Cette deuxième approche chimique a été décrite et mise à la disposition de la communauté internationale (Carcaillet et al., EPSL 2008 ; Manighetti et al., Terra Nova, 2010). 36 Nous avons appliqué la méthode Cl à environ 1000 échantillons de roches prélevées sur une dizaine de failles sismiques à haut risque en Italie centrale. Les résultats obtenus montrent que chaque faille a rompu www.planseisme.fr lors de phases paroxysmales au cours desquelles, non pas un, mais trois à quatre forts séismes se sont produits en cascade sur un temps très court (quelques centaines d’années). Ces périodes paroxysmales ont en revanche été suivies par une période plus calme (pas de fort séisme ou un seul fort séisme) qui a perduré quelques milliers d’années. Les essaims paroxysmaux se sont par ailleurs produits de façon synchrone sur toutes les failles étudiées dans la région, c’est-à-dire que toutes les failles, pourtant distantes de plusieurs dizaines de kilomètres les unes des autres, ont rompu aux « mêmes moments » (aux incertitudes d’âges près) (Benedetti et al., 2013). L’aléa sismique a donc été exceptionnellement élevé lors des phases paroxysmales, d’une part du fait de l’occurrence rapprochée dans le temps de plusieurs forts séismes sur une même faille, d’autre part du fait de la synchronisation des événements sismiques dans toute la région qui a multiplié leur nombre total. Les résultats montrent également que l’amplitude des quantités d’exhumation et donc les magnitudes des forts séismes préhistoriques ont été contrôlées par certaines propriétés intrinsèques des failles rompues. Enfin, les résultats révèlent pour la première fois qu’une relation existe entre le niveau relatif de déformation auquel est soumis une faille à un instant donné, et la date et la magnitude du prochain fort séisme sur cette faille. Cette relation nous a permis d’identifier quelles étaient les failles de la région d’étude les plus susceptibles de rompre dans les prochaines décennies à siècles, et de préciser l’ordre de grandeur de leur date d’occurrence et de leur magnitude (Benedetti et al., 2013). Les résultats obtenus sont donc fondamentaux pour anticiper l’aléa et le risque sismique dans la région d’étude, tandis que les nouveaux outils chimiques développés peuvent maintenant être appliqués à d’autres failles sismiques au monde. REFERENCES PARTENAIRES TECHNIQUES 1. ISTERRE-Grenoble 2. CEREGE-Aix en Provence 3. GEOSCIENCE MONTPELLIER-Montpellier 4. IPGP-Paris 5. GEOAZUR-Nice PARTENAIRES FINANCIERS 1. ANR, programme CATTEL 2. INSU-CNRS 3. Soutien du laboratoire ISTerre 4. Ministère de la Recherche (contrat de thèse) ILLUSTRATIONS Benedetti, L., I. Manighetti, Y. Gaudemer, R. Finkel, J. Malavieille, K. Pou and ASTER Team, Earthquake synchrony and clustering on Fucino faults (Central Italy) as revealed from in situ 36Cl exposure dating, J. Geophys. Res., VOL. 118, 1–27, 2013. Schlagenhauf A., Manighetti I., Benedetti L., Gaudemer Y., Finkel R., Malavieille J., and Pou K., Earthquake supercycles 36 in Central Italy, inferred from Cl exposure dating,Vol.307,487-500, Earth. Planet. Sc. Lett., 2011. Manighetti. I., Boucher E., Chauvel C., Schlagenhauf A., and Benedetti L., Rare Earth Elements record past earthquakes on exhumed limestone fault planes, Vol.22, 477-482, Terra Nova, 2010. Schlagenhauf A., Gaudemer Y., Benedetti L., Manighetti I., et al., Using in-situ Chlorine-36 cosmonuclide to recover past earthquake histories on limestone normal fault scarps: A reappraisal of methodology and interpretations ; Geophys.J.Int.,182(1), 36-72. Carcaillet, J., Manighetti I., Chauvel C., Schlagenhauf A., and Nicole JM., Identifying past earthquakes on an active normal fault (Magnola, Italy) from the chemical analysis of its exhumed carbonate fault plane, Earth Planet. Sci. Lett., 271, 145-158, 2008. Evolution des phases d’accumulation (pointillés noirs) et de relâchement sismique (séismes, en rouge) des déformations au cours des derniers 15 000 ans sur la faille de Vélino-Magnola en Italie centrale. La plupart des forts séismes se sont produits en essaims (‘clusters’, en vert) sur des temps courts, l’occurrence de ces essaims s’inscrivant dans des ‘super-cycles’ de forts séismes (en noir) (Schlagenhauf et al., EPSL 2011).