Espaece est une pièce conçue, scénographiée et mise en scène par

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Espaece est une pièce conçue, scénographiée et mise en scène par
Aurélien Bory, jouée du 4 au 8 Janvier 2017 au théâtre du Nord à Lille.
Cette pièce est plutôt originale tant dans la forme que dans le fond. En
effet, la pièce ne nous raconte pas d’histoire comme la plupart des
représentations que nous sommes allés voir précédemment. Celle-ci met en
scène l’espace pour que cette dimension ne soit plus un mystère pour le
spectateur mais qu’elle s’ouvre à lui. Aurélien Bory s’est inspiré de l’essai Espèce
d’espace de Georges Perec, d’où son titre Espaece, en disant vouloir rendre
hommage au génie de Perec, en se saisissant des outils du théâtre de la même
manière dont celui-ci s’est servi de l’alphabet.
En effet, durant toute la représentation, les acteurs vont arpenter la scène,
en longueur, largeur et hauteur, par tous les moyens, danse, marche, course,
chant et autres méthodes possibles et imaginables. C’est une pièce qui, à la fois,
est poétique, mais en même temps délibératrice d’un message. Je pense
qu'Aurélien Bory veut nous inciter à prendre davantage en considération
l’espace qui nous entoure, le décor dans lequel nous vivons et qui ne nous
intéresse même plus de part sa quotidienneté. Et c’est justement, je pense, ce
qu’il veut nous faire intégrer avec son interprétation et son adaptation de l’essai
de Georges Perec.
Nous découvrons alors un plateau dépourvu de tout décor, mis à part un
mur, représenté par un assemblage de panneaux de bois peints en noir, qui
s’avère le décor à lui seul. Puis, arrivent sept personnes qui tiennent chacune un
livre et s’alignent devant ce panneau noir. S’ensuit un jeu de regard entre eux,
puis avec les livres. Ils forment ensuite des lettres grâce à ces bouquins, qui
finissent par former des mots. Ainsi, au dessus d’eux s’inscrit la phrase “j’écris
que j’écris” en parallèle avec Espèce d’espace. La lumière est telle que tout le
plateau est éclairé, il n’y a aucune ombre. Puis, tout le monde sort du plateau ;
descendent alors sur scène trois tuyaux, d’aluminium peut être. Sur scène, nous
avons donc ces trois tuyaux qui font toute la largeur du plateau en étant répartis
sur la profondeur de celui-ci. Avec, sur les trois tuyaux, qui ressemblaient à des
barres, un homme, une femme, et de nouveau un homme. Ces barres se mettent
alors à se balancer de droite à gauche grâce à la force diffusée par ces Hommes.
Puis, ces personnages s’accrochent aux barres et suivent les mouvements de
celles-ci tout en s’accrochant, se décrochant, sautant, volant même parfois au
rythme de leur balancement. La lumière était très douce, ni froide, ni chaude,
mais davantage froide que chaude. Tout était silencieux mis à part le
cliquettement des barres au rythme de leur va et vient. Tout était très lent, très
rythmé et à la fois incontrôlable, intouchable, ininterrompable, ce qui donne une
dimension très poétique à cette scène qui s’approche de la dimension du rêve.
Pour cette première partie de la pièce qui pourrait être associée à la première
scène, le plateau a été exploré dans toute sa largeur. Puis les Hommes se
detachent, s’en vont et les barres remontent.
S’avance alors le panneau noir qui se deplie. On se rend compte qu’il s’agit
en fait d’une structure très imposante, constituée de quatre panneaux amovibles
et pliables… Les acteurs vont donc, pendant une bonne partie de la pièce
arpenter ce décor, le tourner, le plier, se cacher, se chercher. Mais ils vont
également grimper au sommet de celui-ci pour se laisser tomber à la renverse,
ou encore tout simplement pour le contourner ; ils y grimpent, passent de l’autre
côté et redescendent. Sont installées sur les panneaux des extrémités, des
portes, et, sur les deux panneaux du milieu, des sortes de trappes. Je pense en
fait que ce sont des trous suffisamment hauts et larges pour pouvoir laisser
passer un homme couché, mais comme ces passages sont invisibles de là où nous
sommes, je pense qu’ils sont recouverts d’un battant de caoutchouc noir. Ainsi
lorsque le décor s’avance et se recule, certains acteurs passent en dessous et
disparaissent ou apparaissent.
La première apparition par cette “chatière” est plutôt étonnante, ensuite
on s’y fait. Mais je trouve que c’est un système très ingénieux pour renouveler
les entrées et sorties des personnages. D’ailleurs toute cette idée de décor
amovible, qui, finalement, arpente le plateau de long en large et nous permet,
grâce aux tentatives des personnages, de lui échapper, de mieux comprendre et
appréhender le plateau, cet espace scénique dont Aurélien Bory veut tant nous
faire part. Grâce à ce “mur”, qui est le seul décor de la pièce, nous avons pu
comprendre les espaces latéraux ainsi que la profondeur, ou encore la hauteur
du plateau.
Un peu plus tard, la scène est plongée dans le noir et une lumière verte
fluo apparaît sur ce que je pense être un drap noir. Je ne sais pas par quel
procédé mais lorsque cette lumière passait sur le drap alors un trait vert fluo
restait dessiné sur cette étoffe. Alors s’est ensuivi une série de dessins, passant
du cercle parfait à la forme du corps d’un Homme. Tout cela dans le noir. Peutêtre que cette partie racontait une histoire que je n’ai pas su déchiffrer mais j’ai
surtout trouvé cette scène énigmatique, sortie d’un film de science fiction, hors
de son temps, et je crois aussi, un peu magique.
Or, après l’exploration du plateau grâce aux décors, que ce soit les tuyaux
ou le “mur”, il reste toujours une dimension non-explorée de cet espace scénique
que les panneaux ne peuvent nous aider à comprendre: le son.
En effet, dans une troisième partie, l’un des personnages nous chante un
opéra en nous mimant une histoire, qui, je pense, se déroulait durant la guerre.
Sûrement en parallèle avec l’histoire personnelle de Georges Perec qui a perdu
ses parents durant la Seconde Guerre Mondiale. C’est donc grâce à lui que nous
découvrons cette dernière dimension d’un espace complet qui n’est autre que le
plateau de théâtre.
Enfin, tous les personnages se replacent sur scène devant le “mur” avec
chacun, un ou deux livres et se remettent à former des mots et des phrases.
Cette pièce est pour moi une façon ludique de révéler les potentialités d’un
espace comme l’est le plateau de théâtre en décrivant le monde entier et notre
manque de connaissances à propos de l’espace qui nous entoure et qu’Aurélien
a réussi à nous transmettre grâce au théâtre et son incroyable créativité, en
s’appuyant sur l’ouvrage de Perec, paru en 1974, qui lui s’aidait des mots, et qui
est toujours d’actualité, aujourd’hui en 2017.
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