« Diamant : applications en bio imagerie et nanosciences » François Treussart, Laboratoire de photonique quantique et moléculaire (ENS Cachan/CNRS) CONTEXTE : Le diamant intéresse depuis de nombreuses années les chercheurs, notamment dans les domaines de l’électronique et de la médecine : ce matériau possède des propriétés remarquables de transparence, de stabilité chimique, de conductivité thermique, et de conductivité électrique, pouvant être modulées en fonction du taux de dopage par des impuretés. Dans la nature, ces impuretés font la variété et la richesse des diamants. En laboratoire, la synthèse permet de les choisir et d’en maîtriser la concentration. Depuis les années 1990, les chercheurs ont accéléré les connaissances sur ce matériau, en cherchant à le fabriquer eux-mêmes, à le « synthétiser ». Maîtriser l’élaboration du diamant, c’est améliorer la connaissance de ce matériau, et pouvoir mieux en exploiter les propriétés les plus intéressantes, en particulier électriques, thermiques, et optiques. L’essentiel se joue donc dans la gestion des impuretés introduites au coeur de la structure diamant. Deux techniques de synthèse sont utilisées : • procédé HPHT : croissance dans des presses industrielles sous haute pression, jusqu’à 50 000 fois la pression atmosphérique, et haute température, soit 1500 °C environ ; • procédé CVD : croissance dans des réacteurs en phase vapeur (mélange d’hydrogène et de méthane) à basse pression, et à des températures de l’ordre de 800°C. Ce deuxième mode de croissance est amélioré par la réalisation d’un plasma micro-onde dans la chambre de croissance. Le diamant est utilisé dans de nombreuses applications : outils de découpe (pour sa dureté), conducteur thermique (grande conductivité thermique), fenêtre optique pour l’infrarouge et en particulier pour les laser à CO2 (transparence dans le domaine infrarouge). Les développements actuels sur le diamant visent par exemple la fabrication de détecteurs de rayonnement pour la dosimétrie médicale, la mise au point d'implants semi-conducteurs pour la biologie et l'interface directe avec les tissus vivants (le diamant est un des seuls semiconducteurs biocompatibles), ou l’électronique : les charges porteuses y ont une grande mobilité… Dans le cas de cette dernière application, des impuretés de bore ou de phosphore sont généralement introduites, lors de la synthèse, pour doper le diamant afin d’en faire un matériau semiconducteur de type p ou n respectivement, et d’obtenir des propriétés électriques d’intérêt. Lorsqu’on ne vise aucun dopage, il existe cependant toujours quelques impuretés dans le matériau produit. Certaines de ces impuretés peuvent émettre de la lumière sous excitation lumineuse : on dit qu’elles sont fluorescentes et on nomme couramment ces défauts « centres colorés photoluminescents ». Lorsque la densité de ces centres colorés au sein de l’échantillon de diamant est suffisamment faible (à savoir de l’ordre de 0.01 % d’impuretés dans le cas de l’atome d’azote), il devient possible de les observer à l’échelle d’émetteurs individuels par simple microscopie de fluorescence, c’est à dire en observant, à l’aide d’un microscope de fort grossissement, la lumière qu’ils émettent sous excitation laser. En pilotant leur excitation, il est alors possible de leur faire émettre à la demande des impulsions lumineuses contenant un photon et un seul. On réalise ainsi une source de photons uniques qui peut être utilisée pour construire des clés de cryptographie afin d’établir des communications parfaitement sûres. Jusqu’à présent, parmi les quelques 800 centres colorés ayant été répertoriés dans le diamant, quasiment toutes les études d’émetteur unique ont porté sur un seul type de défaut : le centre coloré N-V qui correspond à l’association d’une impureté d’azote et d’une lacune dans la maille cristalline. Par rapport à d’autres émetteurs de lumière comme les molécules de colorant ou les nanocristaux de semiconducteurs, le centre NV du diamant offre un avantage essentiel : une émission sans fluctuations et surtout une stabilité dans le temps parfaite, c’est à dire qu’ils ne se dégradent pas et continuent d’émettre de la lumière indéfiniment, et ce dans les conditions ambiantes. Ils peuvent ainsi servir dans de nombreuses applications où la stabilité de l’émission est nécessaire, par exemple dans des études fondamentales telles que l’étude du couplage d’un émetteur unique avec une nanostructure, ou bien pour le suivi sur le long terme du devenir de nanoparticules de diamant contenant de tels émetteurs, que l’on aura introduites dans des cellules ou dans un organisme pour des études biologiques. Le centre coloré NV dispose de surcroit de propriétés magnétiques remarquables puisqu’elles sont détectables optiquement. Ces propriétés permettent d’utiliser le centre coloré NV comme capteur optique de champ magnétique. Le principe de la détection optique des propriétés magnétiques est le suivant : lorsque le centre NV est exposé à un champ radiofréquence à une fréquence proche de celles des fours à microonde, l’intensité de la lumière qu’il émet varie. Lorsque l’on applique un champ magnétique au voisinage du centre NV, la fréquence microonde à laquelle il résonne est déplacée proportionnellement à l’amplitude de ce champ par un effet bien connu en physique quantique. Grâce à la détection optique de cette fréquence déplacée, il est possible de remonter à l’amplitude du champ magnétique. C’est dans ce domaine d’application que des progrès importants ont été réalisés en 2008 et 2009. DOMAINES D’APPLICATIONS EMERGENTS POUR LES CENTRES COLORES DU DIAMANT : 1 – Nanodiamants photoluminescents : marqueurs pour l’imagerie biologique L’application à la bio-imagerie des nanoparticules de diamant photoluminescentes a connu un essor considérable en l’espace des quatre années qui se sont écoulées depuis la démonstration de principe par le groupe de H.-C. Chang à l’Academia Sinica (Taiwan), et on peut s’attendre à ce qu’elles aient à l’avenir un succès comparable à celui des nanoparticules semiconductrices, dans le domaine du marquage fluorescent. Durant l’année 2009 le marquage par les nanodiamants a été étendu des cellules, aux petits organismes comme les vers à reproduction rapide et les souris. 2 - Capteurs de faibles champs magnétiques à des échelles nanométriques La fin de l’année 2008 et le début de 2009 auront été marqués par une nouvelle application très prometteuse des centres NV : ils ont été utilisés par les chercheurs de l‘université de Harvard (équipes de Mikhail Lukin, de Ronald Walsworth et de Amir Yacobi) et ceux de l’université de Stuttgart (équipe de Jörg Wrachtrup et Fedor Jelezko), indépendamment, pour réaliser un capteur très sensible de champs magnétiques. On cherche ici à réaliser un senseur magnétique à l’échelle nanométrique (nanocristal de diamant manipulé par une pointe de microscope à force atomique) pouvant mesurer le champ magnétique d’un seul proton, voire d’un seul électron si ces derniers sont situés à une distance de quelques nanomètres du centre NV. Ceci ouvre de passionnantes perspectives en biologie moléculaire et en science des matériaux, telles que la possibilité de déterminer la structure de biomolécules in vivo. Les travaux complémentaires de l’équipe de l’université de Stuttgart soulignent l’intérêt de la détection optique des résonances de spin électronique du centre NV pour améliorer la sensibilité des techniques d’imagerie par résonance magnétique, ainsi que leur résolution spatiale. L’équipe rapporte la localisation spatiale d’un centre NV unique dans un nanocristal avec une résolution nanométrique grâce à l’utilisation d’une pointe de microscope à force atomique magnétique. L’une des perspectives les plus novatrices de cette technique serait de pouvoir imager les petits courants ioniques impliqués dans l’activité neuronale, par le biais de l’image des champs magnétiques associés à ces courants. 3- Améliorer la résolution de la microscopie optique super-résolue L’autre avancée majeure de l’année 2009 concerne l’utilisation du centre NV pour l’imagerie optique superrésolue (résolution très inférieure à la limite de diffraction). Une fois de plus, c’est la stabilité parfaite de l’émission du centre NV qui a été mise à profit pour les utiliser dans deux techniques « phare » dans ce domaine : la microscopie STED (STimulated Emission Depletion) et la microscopie par dépeuplement de l’état excité (GSD, Ground State Depletion). Les perspectives dans le domaine de la superrésolution à centres colorés NV sont d’une part l’application à la bioimagerie (pour « résoudre » des structures de taille très inférieure à la longueur d’onde marquées par des nanodiamants) et d’autre part l’adressage optique sélectif de deux centres colorés distant d’une dizaine de nanomètre dans le diamant massif, dans le but d’étudier les couplages entre propriétés magnétiques de deux colorés voisins. Il serait ainsi possible à l’avenir d’utiliser les centres NV comme bits quantiques pour faire des opérations sur un ensemble de centres colorés, à la manière des chaînes d’ions piégés qui ont été développées ces dernières années, mais cette fois dans un matériau solide et dans des conditions de fonctionnement qui sont celles du milieu ambiant (température, pression). Les centres colorés dans le diamant deviennent ainsi des candidats sérieux pour la réalisation de l’ordinateur quantique.