Des malentendus constructifs en didactique des langues

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Des malentendus constructifs
en didactique
des langues-cultures
Article initialement paru dans les Actes du colloque du 15 au 17 avril 2004, G.
Bacha, G. Laroux & A. Séoud (dirs.), Presses Internationales de la Faculté des
Lettres de Sousse (Tunisie), éditions officielles de la République tunisienne, pp.
285-292.
Nathalie AUGER, Université Paul-Valéry, Montpellier 3
1. Malentendu et apprentissage des langues-cultures
Dans cet article, je vais m'attacher à montrer combien le malentendu est présent
dans le cadre de l'apprentissage d'une langue, plus peut-être que dans n'importe
quelle situation interactionnelle. En effet, les interactants se trouvent dans ce cas
dans un entre-deux linguistique et culturel qui va être générateur de malentendu.
Je vais donc profiter de mon expérience à la fois de chercheur (sociolinguiste,
analyste du discours et des interactions) et de praticienne (enseignement du français
langue étrangère (FLE) et formation de formateurs en FLE) pour "plaider", en
quelque sorte, en faveur de la prise en compte du malentendu en didactique des
langues-cultures. Pour cela, je vais d'abord montrer combien le malentendu est
présent pendant l'apprentissage, qu'il s'agisse d'un véritable mal-entendre ou d'un
malentendu qui engendre une réelle "divergence d'interprétation entre deux
personnes qui croyaient se comprendre" (Petit Robert, 1991). Nous verrons aussi que
cette problématique, si elle est prise en compte d'un point de vue didactique, n'a que
peu de réalisation pédagogique. C'est ainsi qu'il se révèle alors très intéressant
d'analyser les particularités du malentendu qui peut émerger dans le cadre de la
communication exolingue où il arrive souvent qu'un natif prenne un problème de
compétence communicationnelle pour une intention pragmatique. Un passage en
revue des lieux linguistiques où peuvent se loger ces malentendus sera alors
nécessaire. On verra alors quelles pistes de remédiations on peut emprunter, sachant
que, le malentendu étant omniprésent, il se révèle intéressant de l'utiliser comme
point d'appui pour la construction des savoir, savoir-faire, savoir-apprendre et savoirêtre des apprenants en langue.
2. Le malentendu est la norme en didactique des languescultures
Au regard des remarques qui ont déjà été faites sur la définition de la notion de
malentendu il me semble que, dans le cas qui nous occupe, il convient d'affirmer de
nouveau que le malentendu nous surprend parce que nous avons toujours l'illusion
que le langage est transparent, que nous pouvons nous comprendre, peut -être parce
que cette pensée nous offre l'économie d'un conflit... ce qui est loin d'être
négligeable non seulement en tant que locuteur mais surtout en tant que sujet ! Cet
idéal de transparence, on pourrait encore y croire si les interactants étaient de la
même langue-culture. Dans ce cas, le malentendu provient généralement d'un conflit
de valeur plutôt que d'une structure linguistique entraînant une divergence
d'interprétation (même si on n'exclut pas des calculs d'inférence différents, dans des
cas de variations régionales, sexuelles, générationnelles, de situations etc.). Mais
dans le cadre de l'apprentissage des langues, c'est le manque de compétence
linguistique qui provoquera le plus souvent le malentendu quand il s agit de parler
avec un natif. Cependant, avant même d'entrer dans une communication exolingue,
l'apprenant face à son apprentissage de la langue voit son chemin semé de
malentendus.
2.1. Itinéraire d'un mal-entendu dans la classe
Dans la classe de langue, la première chose que l'on tente de faire acquérir
aux apprenants est une compétence de segmentation du continuum sonore.
L'apprenant ne peut pas, en effet, percevoir cette segmentation de prime abord. Son
apprentissage commence donc par un mal entendu, un mis-hearing, une divergence
d'interprétation entre le calcul interprétatif que pourrait effectuer un natif et la
sienne, sans même rentrer dans la phase de production. Ce mis-hearing serait
comme un premier niveau de malentendu, d'ordre physiologique. En effet, il est très
difficile de discriminer des phonèmes que l'on n'entend pas puisque depuis l'âge de
6 ans le cortex cérébral s'est plastifié, le crible phonologique s'est installé,
phénomène qui engendre de grandes difficultés à entendre des sons qui n'existent
pas dans la langue ou les langues maternelles. Le mal entendu peut donc être
d'ordre physiologique mais aussi psychologique si l'on ne souhaite pas apprendre
une langue pour telle ou telle raison, soit parce qu'on n'a pas choisi d'apprendre
cette langue (cas des publics "captifs" : écoliers, enfants migrants etc.) ou alors
pour d'autres raisons, personnelles, liées à la subjectivité, à la faculté d'être ou non
"bousculé" dans ses habitudes dans une situation que certains (plus souvent les
adultes) vivent comme "régressives" tel ce médecin psychiatr e que j'ai eu autrefois
en cours et qui ne pouvait s'exercer à discriminer des sons et des mots tant le
blocage psychologique étant grand. En effet, le langage étant son outil de travail et
un objet fort d'identification sociale, il refusait inconsciemment l'apprentissage et
donc "n'entendait rien".
Bien évidemment, un apprenant qui n'entend pas, au sens premier du terme,
aura donc beaucoup de mal à reproduire des sons et entrer dans la nouvelle langue.
Mal entendre entraîne alors un mal produire qui engendrera de nouveau un mal
entendre chez les locuteurs natifs et donc un mal comprendre... un malentendu.
Avant de parler de la communication exolingue entre un étudiant de langue
étrangère et un natif, il convient donc de revenir sur le fait que le malentendu initial,
si l'on peut dire, est un malentendu par rapport à soi-même, aux langues déjà
possédées puisque ces langues forment un filtre par rapport aux nouvelles
acquisitions.
Mettons que ce malentendu réflexif cède petit à petit la place à une maîtrise
de plus en plus importance de la langue étrangère, il faut tout de même rappeler que
le langage est constitué d'une telle diversité de niveaux linguistiques (pour ne
parler que de ceux-là pour le moment) dans lesquels le malentendu peut émerger,
qu'il reste très complexe d'acquérir une compétence de natif et que, même dans ce
cas, les interférences avec la langue 1 peuvent toujours réapparaître dans certaines
situations particulières (stress, émotion etc.) pouvant alors provoquer du malentendu.
2.2. De l'ignorance du malentendu dans les méthodes et les manuels de
langues ?
Force est de constater que la question du malentendu n'est guère considérée en
tant que telle au fil des méthodologies en didactique des langues -cultures. Pour aller
vite, on peut dire que la question du recours ou non à la langue maternelle en classe,
visibles selon les méthodes, peut rejoindre cette question du malentendu. En effet,
les méthodologues ont toujours été interpellés, de façon intuitive d'abord, puis de
manière scientifique ensuite, par le fait que la langue maternelle sert de prisme au
travers duquel la nouvelle langue est apprise (dès les années 30, avec Henri Frei par
exemple). Ces interférences peuvent conduire non seulement à des productions
erronées mais aussi à des malentendus avec les natifs. Cette prise de conscience
s'érige en principe d'apprentissage dans la méthode grammaire -traduction où le
contre - sens offrirait une sorte d'archétype du malentendu absolu et devient alors
l'erreur la plus fortement sanctionnée. La méthode directe, elle, fait exactement le
contraire. Elle rejette la présence de la langue maternelle en classe ainsi que toutes
activités de comparaison pour éviter ces " confusions sauf que... l'interl a ngue se
construit tout de même toujours en référence aux langues connues, que celles-ci
soient actualisées ou non dans la salle de classe. Les approches communicatives ont
mis en avant les différentes composantes qui participent de la compétence de
communication à l'instar de Sophie Moirand (1990) et d'Henri Bo yer (1995). Pour la
première auteure, la composante linguistique soit la connaissance et l'appropriation
(et la capacité à les utiliser) des modèles phonologiques, lexicaux, grammaticaux et
textuels du système de la langue ne saurait exister sans la compos ante discursive,
référentielle (la connaissance des domaines d'expériences et des objets du monde et
de leurs relations) et socioculturelle (les règles sociales, les normes interactionnelles
etc.). Henri Boyer affine encore la perspective dans ce sens. En mettant au jour cinq
composantes, il explicite combien le couple langue-culture est indissociable. Il
apparaît distinctement dans la dimension socio-pragmatique qui rend compte des
rituels sociaux mais aussi dans la composante ethnosocioculturelle qui met en jeu
les représentations, les valeurs communautaires, les implicites codés éminemment
en œuvre dans les médias par exemple. Une compétence de communication qui
mettrait en œuvre ses différentes composantes préviendrait le malentendu,
transformerait en quelque sorte le locuteur étranger en un véritable locuteur natif.
On voit bien que l'entreprise est plus que vaste. Comment enseigner toutes ces
composantes ? Le locuteur natif qui voit son système linguistique et social comme
une série d'évidences a de grandes difficultés à analyser les particularités de son
propre système en regard d'autres langues. Des études contrastives existent et sont
bienvenues pour dissiper ces malentendus. Mais que faire dans les classes
hétérogènes, je pense par exemple aux classes d'accueil d'Enfants Nouvellement
Arrivés en France qui constituent un de mes terrains d'enquêtes ?
Dans les manuels, il n'est guère question non plus des dimensions autres
que linguistiques. Le découpage des unités de méthodes en actes de parole qui
permettrait l'entrée dans les rituels sociaux se borne souvent à des activités de
jeux de rôles et à l'écoute de dialogues fabriqués. Les méthodes SGAV, pré communicatives, ont d'ailleurs été critiquées à ce sujet, car, pour une situation
donnée, certains actes de parole étaient donnés à apprendre par cœur sans qu'il n'y
ait plus de place pour que l'apprenant puisse pratiquer et intégrer les différentes
formes de variations. Même si les manuels actuels évoluent par rapport à la
problématique qui nous occupe aujourd'hui, on peut regretter le peu d'études de
corpus oraux d'un point de vue des rituels conversationnels.
2.3. Où se loge le malentendu ?
Mettons que notre apprenant ait suivi un enseignement de français langue
étrangère avec un manuel actuel et qu'il se trouve dorénavant en communication
avec un locuteur natif. Il peut y avoir malentendu aux différents niveaux de la
communication. Avant même de parler, il peut déjà être catégorisé ou catégoriser
l'autre car l'ensemble entier de l'appareil neuro-sensoriel permet l'appréhension des
choses et les transmet avant d'être représenté dans le cerveau. Les cinq sens
rentrent donc en action et peuvent induire du malentendu. Par la seule vision de
l'interlocuteur, couleur de sa peau, tenue vestimentaire, le malentend u peut
s'installer. En effet, un étudiant étranger qui ne sait pas, du point de vue de la
compétence référentielle, ce que peut signifier dans le système cible porter un
collier de perles et un foulard Hermès ou un jogging avec une casquette retournée
par exemple, se trouve pré-catégorisé sans le savoir. Car on est face à plusieurs cas
de figure : soit ses tenues signifient des représentations différentes selon l'origine
des locuteurs, soient, et c'est là que le malentendu est plus pernicieux, cela ne
signifie rien dans le système des origines, donc comment savoir que cela peut
provoquer une catégorisation, voire une réaction chez l'autre ? L'odorat, bien sûr,
catégorise aussi les individus : dans quelle situation se parfumer, comment ? Qui
d'entre-nous ne s'est pas représenté, au théâtre par exemple, la personne assise
derrière nous rien qu'à son parfum ? Bien évidemment, la proxémie, le toucher et le
non-toucher, le mimo-gestuel sont aussi des éléments générateurs de malentendu.
Deux hommes se tiennent la main : simple signe d'amitié (au Maghreb, par
exemple) ou d'homosexualité (au Canada, par exemple) ? Doit -on se prendre dans
les bras pour se dire bonjour, se faire une bise, deux, trois, ou bien encore quatre ?
Je ne reviendrai pas dans ce domaine sur les études de E.T. Hall, fondatrices sur la
question du malentendu relative à la question de l'espace et du temps.
Enfin, si l'on aborde maintenant la question de l'ouïe, donc ce que l'on
entend, sens primordial dans la communication, le malentendu surgit enco re. Mais
écoutons plutôt ce récit de vie d'une apprenante anglophone de français langue
étrangère (apprenante anglaise qui a de la famille aux USA) :
" Après deux ans en France, je ne comprenais toujours pas les Français. Ils
persistaient à me couper la parole, à me trouver pédante quand je me faisais mal
parce que je disais "aouch", à me trouver "excitée" quand je me trouvais
simplement enthousiaste, en même temps froide dans les moments de crise. Ils
me trouvaient impolie de les tutoyer ou de les appeler par leur prénom dans le
contexte du travail, en même temps trop polie parce que toujours ponctuelle.
C'était à n'y rien comprendre. Moi aussi de toute façon je leur rendais bien la
pareille : si j'étais trop ponctuelle alors eux étaient laxistes, s'ils me trouvaient
impolie, je les taxais de conventionnels ".
2.4. Le malentendu dans la communication exolingue ou quand on
prend une défaillance communicationnelle pour une intention
pragmatique
Cet extrait de corpus, demandé à l'occasion d'une enquête sur l es
représentations interculturelles à des étudiants de FLE qui passaient une année en
France, en dit long à la fois sur les niveaux de la communication touchés par le
malentendu et sur les représentations qui en découlent.
La linguistique peut aider à remonter aux origines de ces malentendus. Ainsi,
dans la première occurrence, "ils persistaient à me couper la parole", il s'agit d'un
malentendu autour du silence (en millisecondes) entre deux tours de parole. Cette
norme est intégrée depuis l'enfance. Les dernières études sur cette question
montrent que cette initiation se fait dès les premières semaines de la vie entre la
mère qui "mono-dialogue" et son bébé. Elle parle et répond à sa place, laissant ainsi
le temps de silence adéquat à la prise de tour suivante, même si, bien évidemment,
ce temps est variable selon les langues.
Ensuite, quand l'étudiante exprime son incompréhension à se voir catégorisée
de "pédante" quand elle dit "aouch", ce phénomène provient d'une diphtongue
incongrue pour un francophone car inexistante dans sa langue (on ne prononce pas
deux voyelles de suite). Comme toutes les langues ont tendance à aller vers une
économie, une réduction de son système, une simplification, un ajout
supplémentaire (ici une seconde voyelle) semble arti ficiel, "pédant", surtout d'un
point de vue situationnel (contexte où l'on se blesse et où l'on a plutôt tendance à
aller vers la rapidité et l'économie). La courbe intonative de "aouch", et de
l'anglais en général, comporte également de larges variations qui n'existent pas en
français. L'italien qui comporte également de plus grandes variations intonatives
qu'en français (mais moins qu'en anglais) sera davantage catégorisé comme langue
"chantante" et non "pédante". Pourquoi ? Tout simplement en raison de notre seuil
de "tolérance" par rapport à l'altérité. Un peu plus ou un peu moins de variation
par rapport à la norme fait généralement entrer la langue dans une catégorisation
positive. Mais les études montrent que "trop" de variations entraînent souvent un
rejet, une catégorisation axiologiquement négative.
Dans l'occurrence suivante : " à me trouver "excitée" quand je me trouvais
simplement enthousiaste", le malentendu provient de "excited " qui est un " fauxami" qui signifie "enthousiaste" et non "excité" en anglais. Cette divergence
d'interprétation associée à une courbe intonative d'une large amplitude par
rapport au français renforce la catégorisation déjà confortée par le malentendu
sur "excité". De même, "froide dans les moments de crise" provient d'une courbe
intonative très "plate" en anglais dans les séquences de conflits alors qu'en
français on aura au contraire de larges plages de variations d'amplitude. Ensuite,
l'occurrence : "Ils me trouvaient impolie de les tutoyer ou de les appeler par leur
prénom dans le contexte du travail" met en évidence l'absence de distinction
tu/vous en anglais qui appelle alors un malentendu sur la question de la politesse.
Il en va de même de l'utilisation du prénom, systématique dans toutes les
relations hiérarchiques aux Etats-Unis par exemple, phénomène qui n'existe que
très rarement en français. Enfin, "trop polie parce que toujours ponctuelle" nous
ramène à la question de la gestion du temps cher à E.T. Hall. Ces variations,
visibles aussi selon les régions, voire les villes sont tangibles. On parle par
exemple du quart d'heure montpelliérain où le retard de 15 minutes tend à
devenir une norme.
Ce qui semble incroyable dans ce mini-récit, c'est que des faits de langage
servent ensuite immédiatement à catégoriser l'autre. Que cette catégorisation soit
parfois complètement contradictoire est un phénomène courant dans ce type de récit.
On peut catégoriser impoli dans la gestion des pronoms personnels et des prénoms,
trop poli en gestion du temps, froid ou excité en raison d'une différence d'utilisation
des courbes intonatives etc. Ces discours montrent aussi qu'immédiatement une
axiologie se met en place, généralement négative pour l'autre et positive pour soi
sous peine d'une auto-dévalorisation qui serait par trop pénible.
On remarque aussi que ces expériences de communication qui ont dû être
singulières finissent par catégoriser l'ensemble du groupe langagier. "On prend
l'autre comme un prototype de son groupe" dit M. Abdellah -Pretceille (1998) alors
qu'il n'en est qu'un représentant. Car en somme c'est la "relation à l'autre" qui est
primordiale plutôt que la "relation culturelle" en tant que telle. Malheureusement
dans le cadre de l'apprentissage des langues, il semble que la culturalisation de
l'autre soit omniprésente. L'autre, dont la racine a aussi donné des mots comme
allergie, altercation ou aliénation est souvent considéré dans ses rituels comme
dépassant notre seuil de tolérance : il est toujours trop ou pas assez comme nous
(trop ponctuel, trop laxiste). Ainsi, le Roman (et donc pas très loin derrière " les
Suisses...") est trop lent et l'espagnol trop rapide du point de vue du débit du flux
sonore pour une oreille francophone (ethnocentrique ?).
Pire, tout se passe comme si l'autre faisait exprès de nous imposer sa vision
du monde en se montrant grossier, en ne respectant pas nos rituels conversationnels
et nous croyons que, pour autant, il ne nous respecte pas et qu'il peut être mal
intentionné : comble du malentendu qui lui repose sur la bonne foi des deux parties.
Et pourtant, dans ces exemples c'est bien de malentendu qu'il s'agit, non d'un calcul
stratégique du discours dû à la mauvaise foi ou avec une visée ludique par exemple,
chacun vivant ses pratiques langagières comme une série d'évidences , qui, en fait,
n'en est pas une !
Comme ces représentations sont axiologiques, les locuteurs se les revoient,
se rendent la pareille, phénomène commun quand on fréquente les études sur la
génèse des représentations comme dans La communication interculturelle de
Ladmiral et Lipianski.
Mais ces axiologiques ne traduisent que le sentiment d'insécurité de la
présence de l'autre qui nous parle. Ils nous permettent de nous replier sur notre
groupe d'origine pour ne pas être trop blessé alors que l'on devrait se poser la
question suivante : quand j'actualise ce type d'axiologique, qu'est -ce que cela dit
de moi, de mon système, de mes rituels, qu'en est -il de mes évidences bouleversées
?
Il semble vraiment dommage de voir que, malgré une très bonne compétence en
français, l'étudiante de ce corpus n'ait jamais été alertée sur la question des variations
culturelles et les échanges rituels que Catherine Kerbrat-Orrecchioni (1994) a si
finement décrits dans le 3 eme tome de sa trilogie sur les interactions verbales.
3. Quelques pistes de remédiation
Tout d'abord, il conviendrait d'informer les apprenants en langue de la
question du malentendu dans les rituels conversationnels, mais aussi au niveau du
lexique, de la syntaxe etc.
L'étude de corpus contrastif est dans ce domaine très intéressant, nous le
pratiquons avec les Enfants Nouvellement Arrivés en France aux différents niveaux
phonologique, syntaxique, des temps verbaux, des rituels, du lexique, du mimo gestuel etc.
Cela dit, il s'agit davantage d'une prise de conscience que d'un travail en
profondeur car comment prendre en compte toutes les variation s de ces groupes si
hétérogènes? Ce qui compte avant tout c'est que les enfants prennent conscience des
universaux singuliers qui existent : toute langue a son système avec différents niveaux
linguistiques mais ni le traitement ni l'organisation ne s'effectuent de la même manière.
Il en va de même pour les thèmes conversationnels, les représentations et les pratiques.
Cette prise de conscience permet de mettre les systèmes su r un pied d'égalité tout en
mettant au jour les points de convergence et de divergence qui peuvent engendrer des
malentendus. Il en est également ainsi de la raison d'être du projet d'Éveil aux langues initié
dans l'Union européenne. Une fois un certain nombre de corpus observé (interactions
verbales, mots du lexique, système syntaxique, etc), on entraîne les apprenants à une
attitude véritablement sociolinguistique dans le sens où ils sont dans une démarche
d'observation participante active. Oui, je participe à la conversation mais si j'ai la sensation
d'une asynchronisation, je me demande ce qui ne va pas. Y a -t-il un malentendu ? Je peux
demander à mon interlocuteur ou garder cela en mémoire pour observer si ce phénomène est
récurrent car le problème de ce type de malentendu c'est qu'il n'est souvent jamais signalé à
l'autre et donc jamais vraiment résolu. Il entraîne alors en revanche une catégorisation de
l'autre rarement actualisé verbalement (du moins devant lui, sauf dans les cas de conflits
caractérisés).
Comme nous l'avons vu, quand une composante communicationnelle manque (par
exemple au niveau des référentiels ou du socio -culturel) on peut utiliser une autre
composante (par exemple linguistique) pour résoudre le malentendu, c'est -à-dire
demander une explication, effectuer une reprise du tour de son interlocuteur... enfin
tout énoncé qui signalera le phénomène de malentendu qui aura alors une chance d'être
résolu et qui permettra, non seulement la levée du malentendu mais assurera la
construction de la relation interpersonnelle.
4. Reconnaître le malentendu pour le dépasser
J'ai voulu montrer ici le danger que peut constituer l'ignorance du malentendu
interlinguistique souvent passé sous silence sous prétexte d'une "citoyenneté du monde"
ou d'un "politiquement correct" par exemple qui donnerait l'illusion d'une
communication transparente, sans conflit. Or il s'agit du contraire, si le malentendu
n'est pas signalé, il n'a aucune chance d'être résolu et met à mal la construction de la
relation interpersonnelle qui, elle seule, se révèle garante de la poursuite de la
communication. Sinon, les interlocuteurs se retrouvent dans la situation que Guy
Larroux évoque ici même dans son article " Le temps du malentendu ", c'est -à-dire dans
la situation " la plus triste " puisque aucun des protagonistes n'a conscience et ne
reconnaît ni ne verbalise ce malentendu. Chacun reste donc sur son quant à soi,
catégorisant secrètement l'autre. Le malentendu est partie prenante de la
communication, voire omniprésent dans le cad re interculturel. Le malentendu peut être
langagier (vision du monde différente perceptible dans le lexique, la gestion de la
conversation, la relation à l'espace et au temps etc.), et même s'il n'est pas toujours
perçu comme tel, il entraîne cependant une représentation de l'autre, souvent réductrice
voire stéréotypique. Le malentendu peut aussi concerner les systèmes de valeurs
propres aux différentes cultures, phénomène que je n'ai pas vraiment traité ici faute de
place. Mais l'on peut très bien imaginer , avec des apprenants de niveau linguistique
suffisamment avancés, de parler aussi de ces valeurs pour éviter certains malentendus,
notamment sur la question des rôles, problématique par ailleurs développée dans
l'article co-écrit avec Claudine Moïse dans ce même ouvrage.
Références bibliographiques
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