Dessous des cartes : La Chine change Jean

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Dessous des cartes : La Chine change
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Jean-Christophe Victor, présentateur
Une fois encore, la Chine change. Alors, peut-être politiquement avec le renouvellement de ses
dirigeants, mais sûrement économiquement, car il y a plusieurs signaux qui indiquent que les 30
Glorieuses qu’elle vient de vivre sont maintenant derrière elle. Or, on le sait, tout changement interne
en Chine a désormais des conséquences mondiales.
Regardez ce premier graphe : il nous montre l’évolution du produit intérieur brut chinois ces 50
dernières années. Et le démarrage, on le voit sur la courbe, c’est le début des années 80 avec les
réformes économiques lancées par Deng Xiaoping. Ainsi, de 1980 à 2004, environ 500 millions de
Chinois seraient sortis du seuil de pauvreté qui est de 1 dollar par jour et par personne selon la
Banque mondiale. Or, 500 millions de Chinois, cela représente tout de même 7 % de la population
mondiale, ce qui mécaniquement a entraîné une réduction de la pauvreté à l’échelle mondiale. En fait,
sur une cinquantaine d’années, le taux de croissance moyen du PIB chinois a été d’environ 8 %. Mais
une telle croissance a aussi des conséquences négatives. On va donc tenter de repérer quelques
signes qui montrent un essoufflement de l’économie chinoise.
D’abord, le modèle de croissance chinois s’est largement reposé sur la demande extérieure : les
exportations de marchandises se dirigeant principalement vers l’Asie et l’Océanie, vers l’Europe et vers
l’Amérique du Nord. Or, la crise économique mondiale a entraîné une chute de croissance des
économies américaines, européennes et asiatiques, révélant ainsi la trop grande dépendance de la
Chine vis-à-vis de la bonne santé économique du reste du monde. Conséquence de cette baisse de la
demande mondiale : le taux de croissance du PIB chinois a sensiblement baissé en 2008. C’est ici le
premier symptôme d’essoufflement de l’économie chinoise.
Deuxième symptôme : cela concerne l’énergie. Regardez cet autre schéma : il nous montre le
différentiel sur les 20 dernières années entre les capacités de production de pétrole de la Chine et la
consommation. Et on le voit, l’écart est grand et il est appelé à se creuser principalement sous l’effet
du développement économique et de l’urbanisation. Ainsi en 2035, la Chine représentera 30 % de la
demande mondiale d’énergie et le paradoxe c’est que, par sa demande grandissante, le pays luimême contribue à l’augmentation mondiale des prix du pétrole et ainsi s’auto-pénalise. Donc, sa
consommation d’énergie représente à la fois et un moteur et un frein pour son développement.
Le troisième symptôme d’essoufflement concerne l’environnement. Regardez maintenant la courbe de
l’augmentation des émissions de CO2 qui est la directe corrélation de ce qui précède. La Chine a
dépassé les États-Unis dès 2006 et elle est devenue la première puissance émettrice de CO2 et elle
devrait quasiment doubler ses émissions d’ici 2030. Or, en 2011, elle a refusé lors de la conférence de
Copenhague sur le climat de mettre en œuvre des normes internationales contraignantes sur les
émissions de CO2. En fait, la Chine a, sur ce dossier, une posture strictement nationale qui ne
correspond ni à l’ampleur de son impact sur l’environnement mondial, ni à la volonté de prendre des
responsabilités internationales. Et même si elle investit massivement dans les énergies renouvelables,
en particulier dans le photovoltaïque, c’est avant tout parce qu’il s’agit d’un secteur économique
prometteur. Les motivations de la Chine sont en fait beaucoup plus économiques qu’écologiques.
Quatrième symptôme d’essoufflement économique : l’aggravation des inégalités dans le pays. En 20
ans, le modèle de croissance chinois a créé de nombreux déséquilibres. Il y a d’abord d’importantes
inégalités de revenus entre les grandes villes qui bénéficient du développement économique et le
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reste du pays, jusqu’alors délaissé par les pouvoirs publics. Et puis regardez cet autre document qui
est très intéressant, il date de 2009 : c’est une carte anamorphosée, c’est-à-dire que la taille des
provinces chinoises est représentée proportionnellement au nombre d’habitants. Vous voyez, la
population est très inégalement répartie sur le territoire chinois. Elle se concentre principalement sur
le littoral, et demeure assez faible à l’ouest du pays. À cette inégalité de répartition démographique se
superpose une inégalité de richesse. Les provinces les plus foncées sont celles où le PIB par habitant
est le plus élevé, et les plus claires, celles où il est le plus faible. Alors, on le voit très bien, la
production de richesses est beaucoup plus importante dans les provinces côtières par rapport au
centre ou plus encore à l’ouest du pays. Alors pourquoi ? Et bien parce que c’est là qu’à partir des
années 80 ont été implantées les premières zones économiques spéciales. Les régions du littoral ont
ainsi capté l’essentiel des investissements publics et étrangers. Et la croissance induite a généré des
inégalités, créé des tensions et des conflits ouverts à l’intérieur même de ces zones. Les
revendications portent sur les salaires, la pollution, les droits sociaux, la corruption et plus rarement
sur les droits démocratiques, sujets qui, on le sait, restent tabous en Chine. Cette pression sociale a
eu aussi pour conséquence une hausse des salaires. Par exemple, entre 2009 et 2011, le salaire
minimum dans la province du Guangdong a augmenté de près de 20 % par an.
Alors, est-ce que la Chine risque de perdre progressivement cet avantage d’une main-d’œuvre à faible
coût ? La hausse relative des salaires, en effet, a poussé de nombreuses entreprises et chinoises et
étrangères à délocaliser leur production vers d’autres pays d’Asie. Foxconn, sous-traitant d’Apple, a
ainsi réorienté une partie de sa production vers le Vietnam et nombre d’entreprises du textile sont
parties vers le Bangladesh où les salaires sont nettement moins élevés.
Bien, résumons nos diagnostics d’essoufflement : inégalités et instabilité sociales relatives,
préoccupations environnementales, dépendance énergétique, baisse de la demande extérieure. Alors,
les nouveaux dirigeants chinois sont contraints de revoir partiellement leur modèle économique. Car il
y a une inquiétude autour des prévisions de croissance. On peut le déduire en regardant ce schéma
prévisionnel pour les 20 prochaines années : le taux de croissance annuel moyen aujourd’hui est de
8,6 %, il serait de 7 % à la fin de la décennie puis tomberait à moins de 6 puis à 5 % d’ici 2030. Et si
ces projections sont exactes, la baisse est très nette par comparaison avec les années 2000. Or, si la
croissance ne se maintient pas à un niveau suffisamment élevé, il y a risque de tensions sociales, car
le pacte tacite, c’est-à-dire la direction politique pour le Parti, en échange de garantie de croissance
pour tous, serait rompu. Et bien face à cela, une première réforme a été entreprise depuis le début
des années 2000, c’est ce qu’on appelle la politique du Go West. Cette politique est liée au territoire et
se comprend en reprenant notre carte anamorphosée. On l’a vu, les zones côtières sont plus
densément peuplées et plus riches que la Chine de l’intérieur ou la Chine de l’Ouest. C’est aussi dans
les provinces côtières que les hausses de salaire ont été les plus importantes. Or, à l’intérieur du pays,
il existe un énorme réservoir de main-d’œuvre, moins chère que sur les côtes. Donc les dirigeants
vont orienter les investissements vers l’intérieur de la Chine avec trois objectifs : poursuivre le
développement du pays, conserver l’avantage de l’offre d’une main-d’œuvre bon marché et enfin,
dissuader les Chinois de l’intérieur de migrer vers les villes des provinces côtières. L’ambition, en
somme, est de redéployer le système productif chinois vers l’Ouest grâce à une sorte de délocalisation
interne. C’est cela, ce qu’on appelle la politique du Go West. Cette politique d’aménagement du
territoire s’accompagne d’une vague d’investissements publics dans les infrastructures de transport.
Bien, revenons maintenant à une carte de géographie physique où nous faisons figurer les lignes
ferroviaires à grande vitesse. Pour l’année 2013, 79 milliards d’euros en investissements publics
devraient être engagés dans ce secteur. Ils permettront, entre autres, la construction de nouvelles
lignes qui s’inscrivent dans cette politique du Go West.
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Autre défi de taille provoqué par la croissance chinoise : la pollution atmosphérique. Circulation
automobile de plus en plus dense, utilisation du charbon dans les usines ou les centrales électriques.
On estime que la pollution atmosphérique serait aujourd’hui la première cause des mécontentements
et des manifestations et ce, dans plusieurs grandes villes du pays. Selon une étude britannique parue
en décembre 2012, la pollution atmosphérique serait le quatrième facteur de risque de décès en
Chine. Elle aurait causé la mort prématurée d’un million 200 mille personnes en 2010. Alors quelle est
la réaction du pouvoir chinois face à ce problème majeur ? On voit là, sur ce graphique, le budget
alloué à la lutte contre la pollution environnementale qui a été multiplié par 4 entre 2001 et 2009. Le
gouvernement a par ailleurs annoncé qu’il allait investir 12 milliards et demi d’euros pendant 3 ans
pour lutter contre la pollution qui sévit à Pékin. Mais attention, ce sont des données difficiles à calculer
et à vérifier et donc elles doivent être prises avec prudence.
Vous voyez, tous ces éléments font apparaître que la réforme économique va précéder la réforme
politique, du moins s’il y en a une. En tout cas, les dirigeants chinois vont poursuivre la libéralisation
des prix et on ne peut pas leur reprocher de ne pas avoir déjà libéralisé le système financier chinois
pour l’ouvrir totalement au grand vent de la finance internationale quand on constate les dégâts que
celle-ci entraîne à l’échelle mondiale. Puis deuxièmement, on ne peut plus voir la Chine comme un
pays émergent : son économie a des impacts mondiaux et elle est face à des problématiques
identiques aux nôtres, notamment sur le plan social et sur le plan environnemental. De toute façon,
nous imaginons toujours des changements en Chine à l’aune de notre propre vision : soit inscrits dans
des cycles, soit inscrits dans des ruptures brutales, soit en fonction de ce que nous redoutons, soit
parce que ça nous arrange d’avoir peur de la Chine. Et bien, rassurez-vous, la Chine continuera à nous
surprendre.
Biblio
Sur ce pays passionnant, vous pouvez lire « Le grand livre de la Chine » par Claude Chancel et Libin
Liu Le Grix aux Éditions Eyrolles, c’est un bon outil pour une première approche de la Chine. Vous
pouvez lire aussi « Chine, l’envers et l’endroit » par Éric de La Maisonneuve aux Éditions du Rocher, ce
sont les défis que soulève cette croissance chinoise. Vous pouvez lire aussi « Que veut la Chine ? De
Mao au capitalisme » par le sinologue français François Godement aux Éditions Odile Jacob et puis
également aux Éditions Odile Jacob « La Voie chinoise, capitalisme et empire » de Guo Bai et Michel
Aglietta.
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