La créativité organisationnelle vue comme sous l’angle du management stratégique : proposition du concept de capacité créative d’une organisation Guy Parmentier Univ. Grenoble Alpes/CERAG [email protected] Bérangère Szostak Université de Lyon 2/COACTIS [email protected] Résumé : Cet article a pour objectif de contribuer au champ de la créativité organisationnelle en explorant les capacités organisationnelles, et ainsi de proposer le concept des capacités créatives des organisations. Le raisonnement débute par l’analyse de la littérature spécifique au champ de la créativité organisationnelle (CO). Elle témoigne d’une grande richesse : sont retenus différents niveaux d’analyse (individu, groupe, organisation, environnement), des approches théoriques variées (componentielle, interactionniste et évolutionniste), et des empiries multiples (industries créatives, secteur traditionnel…). Mais il manque un concept fédérateur situé au niveau macro de l’organisation pour unifier l’ensemble de ces travaux. C’est pourquoi les auteurs proposent de rapprocher la CO au courant des capacités organisationnelles. La créativité est alors vue comme une capacité organisationnelle complexe susceptible de nourrir les capacités dynamiques en apportant les idées nécessaires à l’évolution et au renouvellement de l’organisation. Il s’agit des capacités créatives d’une organisation. Les contributions développent le concept proposé et discutent des implications pour de futures recherches. Mots-clés : créativité organisationnelle, recherche conceptuelle, capacités créatives. 1 INTRODUCTION La créativité organisationnelle (ou CO) est un champ d’études investigué en sciences de gestion par le truchement de différents niveaux d’analyse : individu, groupe, contexte et territoire (Amabile, 1988 ; Woodman et al., 1993 ; Ford, 1996 ; Csikszentmihalyi, 1997 ; Drazin et al., 1999 ; Grandadam et al., 2013; Parmentier, 2014 ). Les chercheurs se demandent ainsi comment la créativité organisationnelle participe au renouveau des organisations, notamment à sa stratégie d’innovation (Le Loarne, 2006 ; Carrier et Gélinas, 2011) ou à la stratégie de croissance (Chanut-Guieu et Guieu, 2014). Des recherches ont aussi opté pour étudier des terrains où la créativité est le cœur de l’activité des organisations : les industries créatives (Napier et Nilsson, 2006; Svejenova et al., 2007 ; Tschang, 2007 ; Parmentier et Mangematin, 2009 ). Que ce soit dans les jeux vidéo, le design, le théâtre, le parfum, les chercheurs explorent ces terrains comme des cas emblématiques pour mettre en exergue des contributions donnant à penser, plus globalement, la créativité des organisations. Si ces recherches sont d’une grande richesse, et avec des numéros spéciaux qui y font écho1, nous observons une limite : les auteurs ne se rattachent pas à une approche commune de la CO et les approches classiques de la créativité componentielle, interactionniste et évolutionniste de la créativité organisationnelle, issue de travaux en psychologie, ne permettent pas d’appréhender la créativité au niveau macro de l’organisation. Sans vouloir réduire le spectre d’analyse des travaux futurs sur la CO, la réponse apportée à ces critiques consiste ici à proposer le concept de « capacité créative d’une organisation » en référence au champ du management stratégique. Le résultat principal de cette recherche consiste donc à avancer le concept de « capacités créatives des organisations » pour mieux prendre en compte l’organisation comme niveau d’analyse. En outre, nous montrons que les capacités créatives se construisent autour de cinq objets : (i) l’organisation de la circulation et 1 Voir les numéros spéciaux ou dossiers thématiques de la Revue Française de Gestion (2006), la revue Gestion (2013) et la Revue Internationale de la PME (2014). 2 l’évaluation des idées ; (ii) l’ouverture des processus de création et des frontières de l’organisation ; (iii) l’équipement de l’organisation de méthodes, outils et autres dispositifs organisationnels pour réaliser des actes créatifs ; (iv) la marge laissée dans la gestion des ressources, qualifiée de slack organisationnel, afin de permettre à la créativité de se déployer ; et (v) l’aménagement d’espaces favorables aux discussions sur les idées et solutions aux problèmes en vue de la socialisation des idées. Cet article est structuré en trois temps. Dans la première partie, est présentée une approche historique critique de la créativité (1.1.) puis de la créativité organisationnelle (1.2.). Dans la seconde partie, Il est montré ce qu’apporte le courant des « capacités organisationnelles » (2.1.) à la CO pour amener le concept des « capacités créatives » (2.2.). Dans une troisième partie, nous nous focalisons sur l’approche des capacités organisationnelles par le truchement des processus (3.1.), et détaillons dans le cas des capacités créatives six processus emblématiques (3.2.). Pour conclure, une attention est, enfin, conduite sur les implications du concept des « capacités créatives » des organisations pour les futures recherches en créativité dans le champ du management stratégique. 1. LA CO : UNE APPROCHE DE LA CREATIVITE OU L’ORGANISATION EST UNE COLLECTION D’INDIVIDUS 1.1 Définition de la créativité : des approches et des objets de recherche liés aux travaux en psychologie Il est délicat de proposer une définition du concept de « créativité » car chaque auteur propose généralement la sienne. Pour pallier cette situation, il semble important de revenir sur les premiers travaux abordant l’acte de création puis par la suite de créativité à partir de 19502. L’approche dite mystique valorise un état non rationnel de l’individu en lien avec l’intervention divine, ce qui permet de mieux comprendre l’expression « génie créatif ». La 2 Le terme créativité apparaît pour la première fois dans les travaux de Baron en 1951, Baron, F. (1951). « The Disposition Towards Originality », Journal of Abnormal and Social Psychology, vol. 51, n°, 478–85. 3 dimension surnaturelle va disparaître peu à peu grâce à la pensée d’Aristote, tout d’abord, puis aux débats philosophiques notamment sur le génie et le talent au cours du XVII siècles et suivants. D’autres approches vont, en revanche, émerger pour préciser ce qu’est la créativité, qui est créatif, quelles sont les caractéristiques d’un individu créatif. Depuis le XIX siècle, l’approche psychologique occupe une place centrale dans les travaux autour de la créativité. La capacité à associer des idées apparait comme un trait majeur du créatif ; des recherches sur des personnes éminentes vont alors être conduites (études de cas et études statistiques) pour comprendre cette capacité individuelle. Les travaux sur la créativité au cours du XX siècle marquent encore ceux de nos jours. Ribot et Cox montrent que l’intelligence combinée à la motivation et aux émotions s’avère essentielle dans la pensée créative (Ribot, 1900; Cox, 1926). En 1926, Graham Wallas ouvre une nouvelle perspective en proposant un modèle du processus créatif en quatre étapes : (i) préparation mentale, (ii) incubation, (iii) illumination : l’idée arrive à la conscience, (iv) vérification de l’idée par des tests (Wallas, 1926). A partir des années 50, ces avancées vont être creusées : Baron étudie la nature des personnes créatives (Baron, 1951) ; Guilford avance que le créatif a des capacités intellectuelles spécifiques et des capacités d’analyse, d’évaluation et de synthèse (Guilford, 1950). Ce dernier met en avant, en 1956 et 1967, cinq opérations intellectuelles : cognition, mémoire, pensée divergente (trouver de nombreuses idées à partir d’un stimulus unique), pensée convergente et évaluation. Des méthodes de créativité vont alors être développées pour favoriser la pensée divergente. De cette approche pragmatique sortent, notamment, le brainstorming (Osborn, 1948) et le Creative Problem Solving (Lubart, 2003). L’influence du milieu culturel est soulignée notamment par Simonton (Simonton, 1984). Depuis la fin du XX siècle, les chercheurs se focalisent sur la dimension cognitive, c’est-à-dire sur les représentations mentales, les processus de traitement et de transformation de l’information. Une dernière approche est dite multivariée : des 4 psychologues considèrent la créativité comme la convergence de facteurs cognitifs, conatifs et environnementaux (Sternberg et Lubart, 1999; Botella et al., 2013; Fürst et al., 2014; Storme et al., 2014). Si cette construction du concept de « créativité » court sur plusieurs siècles, notre posture est ancrée dans les réflexions du XX siècle (cf. figure 1). Cela permet, à notre sens, de mieux comprendre la construction plus récente du concept de « créativité organisationnelle » (section 1.2.). Ceci dit, de ces approches et objets de recherche, nous retenons plusieurs points clés de définition. La créativité est tant que résultat : la production idées nouvelles, utiles et porteuses de valeur pour le milieu dans lequel elle s’exprime. La créativité en tant que processus : la génération, la capture et la sélection d’idées en s’appuyant sur des individus créatifs, dépendant de la qualité du milieu et pouvant être développée par des méthodes spécifiques. Les objets majeurs de recherche Les approches de recherche Figure 1 – Représentation historique des approches de la « créativité » et des objets de recherche (1900-2000) Approche psychologique Approche cognitive Approche processuelle Approche pragmatique 1900 1926 La capacité à associer des idées chez un individu créatif. Années 60 1956 Années 80 2000 Les représentations mentales et les processus de traitement et de transformation de l’information. La convergence de facteurs cognitifs, Les méthodes de créativité conatifs et environnementaux (brainstorming, Creative Problem Solving…) Les capacités intellectuelles, d’analyse, d’évaluation et de synthèse de l’individu créatif. Le processus créatif. L’intelligence combinée à la motivation et aux émotions. Approche multi-variée 5 1.2 La créativité organisationnelle : des recherches essentiellement ancrées dans un individualisme méthodologique Les recherches étudiant la créativité organisationnelle sont récentes (Shalley et Zhou, 2008; Joo et al., 2013). Elles suivent ceux en créativité qui proposent de décrire la nature des personnes créatives dans le milieu spécifique qu’est celui de l’organisation, de construire la mesure de la créativité des individus (salariés, managers, dirigeants, équipe de direction), de définir les facteurs dispositionnels (traits de caractère, émotions, qualités de la personne) et situationnels (contexte interne de l’organisation et/ou du groupe de travail) favorables ou non à l’expression de cette créativité (Dominguez, 2013; Joo et al., 2013; Sarooghi et al., 2015). Ces recherches revendiquent, en outre, leur rattachement aux travaux de Teresa Amabile, en particulier son article de 1988 « A model of creativity and innovation in organizations », qui a été le premier à traiter des niveaux individuels et organisationnels en lien avec l’innovation (Amabile, 1988). Amabile défend une approche componentielle qui est considérée comme « canonique » dans la littérature sur la créativité organisationnelle. Trois composantes sont essentielles pour qu’il y ait créativité : la motivation (intrinsèque et extrinsèque), les compétences propres au domaine de l’individu (expertise, talents), les compétences propres à la créativité. Elle translate ce modèle au niveau de l’organisation pour qualifier l’innovation. En outre, elle souligne que certaines tâches nécessitent des interactions avec un petit groupe. Comme il est difficile de distinguer la contribution de chaque individu, elle avance que la créativité du groupe est à comprendre comme la créativité individuelle 3. Ce raisonnement conduit à construire les réflexions sur la créativité en partant systématiquement de l’individu qui devient, finalement, le niveau d’études de base à toute recherche en créativité organisationnelle. Cet individualisme méthodologique est la méthode de pensée avancée par Amabile (1988) et se retrouve dans les travaux postérieurs. 3 « We should examine the appropriateness of applying the individual creativity model to small groups, considering the group as an entity similar to the mind of one individual. » (Amabile, 1988, p.141.) 6 C’est ainsi que Woodman et al. affinent ce que l’on entend par créativité organisationnelle en précisant au niveau du groupe que la créativité est fonction de la créativité individuelle de chacun des membres, mais aussi du contexte, de sa composition (variété des profils), des caractéristiques et mode de fonctionnement du groupe (Woodman et al., 1993). La créativité organisationnelle est alors étudiée par l’approche dite interactionniste. Sont distingués (i) les « inputs » à savoir la personne créative, le groupe et l’organisation, (ii) la transformation au cours de processus créatif qui est fonction du comportement créatif et de la situation créative, (iii) le résultat créatif (nouvelle idée, processus, produit/service) qui est la créativité organisationnelle, et (iv) les interactions entre ces trois facteurs. La performance d’une organisation en matière de créativité organisationnelle est, en outre, fonction de la performance du groupe qui elle-même dépend de celle des individus. La dernière approche significative dans la littérature est celle de Ford : l’approche évolutionniste (Ford, 1996). L’analyse concerne l’action créative et sont étudiés les facteurs qui mènent intentionnellement l’individu à entreprendre une action créative, c’est-à-dire ce qui contraint et facilite l’action créative tant au niveau individuel que collectif. Ford (1996) avance une théorie de l’action créative individuelle qui insiste sur l’influence du passé de l’individu (ses croyances, ses échecs, ses réussites, ses capacités) et sur les influences des champs sociaux (groupes, organisations, institutions, marchés). Des informations découlent des actions créatives et impliquent la capacité d’absorption de l’organisation (Cohen et Levinthal, 1990) pour reconnaître sa valeur, l’assimiler et l’utiliser à des fins productives. Ford (1996) rappelle, néanmoins, que cette capacité organisationnelle est plus que la somme des capacités individuelles ; il y a aussi l’ensemble du réseau de communication interne et externe à l’entreprise qui facilite le transfert et l’utilisation des nouvelles informations. Ainsi l’organisation augmente la probabilité de saisir les opportunités internes et externes. 7 Qualification de l’approche Figure 2 – Représentation historique des principales approches de la « créativité organisationnelle » depuis Amabile (1988). Approche componentielle Approche interactionniste Approche évolutionniste Nature de l’approche 1988 La créativité résulte de facteurs dispositionnels et situationnels favorables ou non à l’expression d’une idée nouvelle, utile et originale. 1993 1996 La créativité organisationnelle est le résultat de l’interaction entre les facteurs dispositionnels, situationnels au cours du processus créatif. La théorie de l’action créative étant sous l’influence de l’individu et des champs sociaux, la créativité organisationnelle impose d’étudier les capacités organisationnelles entre autres sa capacité d’absorption. Les recherches depuis ces travaux emblématiques du courant sur la créativité organisationnelle adoptent ces approches (Shalley et al., 2004; Gilson et al., 2005; Harvey, 2014; Harrison et Rouse, 2015). Au travers des approches componentielles, interactionniste et évolutionniste, il est à noter un entrelacement des niveaux individuel, du groupe et de l’organisation. Il s’agit d’une approche multi-niveau mais dont la démarche débute par l’individu pour appréhender l’organisation. Or, si le potentiel créatif individuel caractérisé par des traits de personnalité et des styles cognitifs spécifiques s’exprime pleinement dans des climats créatifs et des environnements de travail favorables à la créativité, la créativité s’appuie sur des capacités cognitives spécifiques dans un ensemble de processus qui peuvent être à la fois individuels et collectifs. En outre, la prise en compte du contexte dans l’analyse des phénomènes de créativité se focalise jusqu’à présent au niveau individuel et du groupe et ne prend pas en compte les caractéristiques et processus plus globaux de l’organisation. C’est la conséquence de l’individualisme méthodologique adopté par les premiers chercheurs sur la créativité, en l’occurrence les psychologues. L’étude de la créativité organisationnelle doit d’être enrichie d’une démarche débutant au niveau de l’organisation. C’est pourquoi nous proposons de revisiter les travaux scientifiques sur la créativité organisationnelle avec cette 8 démarche. Au regard des résultats majeurs des recherches effectuées, l’approche des capacités organisationnelles apparait comme permettant de respecter la nature de la créativité organisationnelle (cf. figure 2) tout en l’inscrivant dans une démarche plus holistique. 2. LA CREATIVITE VUE COMME UNE CAPACITE ORGANISATIONNELLE Les approches organisationnelles de la créativité comportent des limites pour comprendre la créativité des organisations. Le modèle componentiel d’Amabile (1988) établit un processus de créativité de groupes, des composantes individuelle et organisationnelle de la créativité, mais il se focalise au niveau organisationnel davantage sur l’innovation que sur la créativité (Amabile, 1988). Le modèle interactionniste de Woodmann et al. (1993) relie la créativité organisationnelle aux caractéristiques des individus, des groupes et de l’organisation, mais les processus créatifs et l’acte créatif sont absents de leur modèle (Woodman et al., 1993). Le modèle évolutionniste de Ford (1996) propose un processus social de sélection de l’acte créatif au niveau individuel ; mais il ne relie pas les processus de créativité individuelle et organisationnelle (Ford, 1996). L’approche par les climats organisationnels démontre que les managers peuvent avoir une forte influence sur la créativité organisationnelle avec des modes de gestion qui intègrent les dimensions du KEYS4 et du SOQ5 (Amabile et al., 1996; Ekvall, 1996). Les recherches sur la créativité organisationnelle se sont principalement centrées sur la créativité dans les organisations ou avec l’organisation. Elles ont ignoré le management stratégique et les business models. L’approche par les capacités organisationnelles permet alors d’enrichir ces recherches, car elles adoptent comme point de départ de l’analyse le niveau organisationnel et stratégique ; elle examine en particulier les processus et routines qui constituent les bases de l’organisation. KEYS : échelle de mesure proposée par Amabile et al. (1996) pour évaluer la qualité de l’environnement de travail par rapport à la créativité. 5 SOQ pour Situational Outlok Questionnaire : échelle de mesure du climat organisationnel favorable à la créativité (Ekvall, 1991). 4 9 2.1 Définition des capacités organisationnelles La capacité organisationnelle, dérivée de la théorie RBV6, décrit une capacité située au niveau de l’organisation qui exploite de manière efficiente ses ressources et compétences pour transformer les facteurs de production entrants en produits et services, et qui lui permet de posséder une position unique sur le marché avec un avantage compétitif (Collis, 1994). Au niveau organisationnel, une capacité est à la fois intégrée dans des routines organisationnelles et dans des processus de production. Les auteurs en distinguent quatre, avec un niveau de complexité croissante : les capacités fonctionnelles, les capacités centrales, les capacités d’absorption et les capacités dynamiques (Govind Menon, 2008) (voir tableau 1). Si les premières sont considérées comme incontournables, les capacités centrales sont, quant à ell, les ressources et compétences qui sont stratégiquement importantes pour atteindre un avantage concurrentiel. La capacité d’absorption est définie comme « une aptitude de l’organisation à reconnaître la valeur d’une nouvelle information, l’assimiler et à l’utiliser à des fins commerciales » (Cohen et Levinthal, 1990). Les capacités dynamiques marquent une évolution forte dans cette approche, car sont introduits la notion du temps et l’influence de l’environnement. Elles forment « l’aptitude de l’organisation à intégrer, construire et reconfigurer des compétences internes et externes pour répondre à des changements rapides de l’environnement » (Teece et al., 1997) afin d’acquérir un avantage compétitif (Teece, 2007). Plus récemment Teece (2007) a redéfini les capacités dynamiques sous un angle plus stratégique, elles seraient « la capacité à détecter et établir les opportunités et les menaces, pour saisir les opportunités, et maintenir la compétitivité en améliorant, combinant, protégeant, et quand c’est nécessaire en recombinant les actifs tangibles et intangibles » (Teece, 2007) (p. 1319). En définitive, capacités fonctionnelles, capacités centrales, capacités d’absorption, et capacités dynamiques, participent toutes à la performance de l’entreprise. 6 RBV pour Resources Based View. 10 2.2 La capacité créative d’une organisation Le concept de capacité créative a peu été évoqué dans la littérature, il est répertorié comme une capacité organisationnelle par Govind Menon (2008) sans pour autant qu’elle soit définie. A ce jour, une seule étude publiée évoque le développement des capacités créatives dans les organisations créatives (Napier et Nilsson, 2006). Napier et Nilsson (2006) étudient les capacités créatives de trois organisations créatives : un théâtre, une équipe de football et une entreprise de développement de logiciel. Ils définissent les capacités créatives comme « des routines et processus qui améliorent l’habileté organisationnelle pour les actions et comportements créatifs ». Toute la question est alors de comprendre ce que sont les capacités créatives. Dans son étude Napier et Nilsson (2006) identifient le rôle central de l’entrepreneur créatif dans la mise en place d’une structure, de processus et de routines de collaboration dans la création favorable à la créativité organisationnelle. Cet entrepreneur est le principal architecte et développeur des capacités créatives d’une organisation. Toutefois, les capacités créatives constatées empiriquement dans son étude sont très différentes d’une organisation à l’autre et ne lui permettent pas d’identifier clairement les processus et routines des capacités créatives organisationnelles. Dans le cas du théâtre, il s’agit de la capacité à mettre en œuvre l’idée et la vision d’origine du réalisateur à tous les stades de réalisation ; pour le football, ce sont les routines et processus qui supportent les actions et comportements créatifs durant le match ; pour l’entreprise de développement logiciel, c’est l’habileté à apprendre en permanence et à s’adapter par l’expérimentation. Ces résultats méritent d’être étendus pour renforcer le construit théorique proposé par Napier et Nilsson (2006). En référence aux approches jusqu’ici avancées (voir le tableau 1), la capacité créative d’une organisation est l’aptitude, à l’aide de processus et de routines, de générer, capter, sélectionner et intégrer des idées et solutions nouvelles, appropriées, utiles et faisables pour améliorer, changer et renouveler les procédés et productions de l’organisation ainsi que 11 l’organisation elle-même. Cette capacité organisationnelle complexe est alors susceptible de nourrir les capacités dynamiques d’une organisation en apportant les idées nécessaires à l’évolution et au renouvellement de l’organisation (Teece et al., 1997; Napier et Nilsson, 2006 ; Teece, 2007 ). Tableau 1 : Les différentes capacités organisationnelles en fonction de leur degré de complexité. Nature de la capacité organisationnelle7 Capacité fonctionnelle Capacité centrale Capacitéd’absorption Capacité créative Capacité dynamique Définition Aptitude pour effectuer une activité de base de la firme (par exemple la production). Ressources et compétences qui sont stratégiquement importantes pour atteindre un avantage concurrentiel. Aptitude de l’organisation à reconnaître la valeur d’une nouvelle information, l’assimiler et à l’utiliser à des fins commerciales Aptitude à générer des idées nouvelles, appropriées, utiles et faisables pour améliorer, changer et renouveler les productions de l’organisation ainsi que l’organisation ellemême Aptitude de l’organisation à intégrer, construire et reconfigurer des compétences internes et externes pour répondre à des changements rapides de l’environnement 3. L’APPROCHE PAR LES PROCESSUS DE LA CAPACITE CREATIVE DES ORGANISATIONS Les capacités créatives favorisent la génération, sélection, et intégration des idées et solutions nouvelles, appropriées, utiles et faisables, et agissent sur le changement et le renouvellement des procédés et productions de l’organisation ainsi que l’organisation elle-même. Elles sont considérées comme ancrées dans le design organisationnel et de facto sont à contextualiser : elles n’existent qu’en rapport avec le contexte interne et l’interaction de l’organisation avec son environnement concurrentiel, juridique, technologique notamment. En cela, elles sont à même de nourrir de manière juste les capacités dynamiques des organisations. Sujettes à l’influence de cet environnement, il importe de comprendre leur évolution dans le temps. 7 Certaines capacités sont systématiquement évoquées aux pluriels (capacités centrales et capacités dynamiques) alors que d’autres peuvent être utilisées au singulier (capacité d’absorption, capacité créative et capacité fonctionnelle). 12 3.1. Les différentes approches pour étudier une capacité organisationnelle Les débats autour des capacités dynamiques indiquent la nature d’une capacité organisationnelle. Suivant les définitions 8 , les capacités dynamiques sont appréhendées comme une aptitude (Teece et al., 1997), une habileté (Teece, 2007), une compétence (Danneels, 2008), un ensemble de routines (Zollo et Winter, 2002), ou un ensemble de processus (Eisenhardt et Martin, 2000). Deux approches se détachent pour étudier leurs constituants : (i) une approche par les processus (Teece et al., 1997; Eisenhardt et Martin, 2000 ; Teece, 2007 ; Teece, 2010 ) et (ii) une approche par les routines (Zollo et Winter, 2002). L’approche par les processus identifie des processus spécifiques tel que, par exemple, la détection (sense) des opportunités ou menaces (Teece, 2007) ou encore, la création et l’acquisition de nouvelles connaissances pour adapter l’entreprise aux nouvelles réalités du marché (Eisenhardt et Martin, 2000). L’approche par les routines recherche « des configurations stables d’activités collectives au travers lesquelles une organisation génère et modifie systématiquement ses routines opérationnelles » (Zollo et Winter, 2002) (page 340). Dans cette dernière vision, les capacités dynamiques sont stables et systématiques ; elles aboutissent à des routines, c’est-à-dire à des habitudes qui résultent d’une succession d’actions répétées sans cesse. En fonction de la dynamique de l’environnement, des processus simples et expérimentaux aux résultats incertains dans des marchés très instables deviendraient des routines, c’est-à-dire des processus stables avec des résultats certains (Eisenhardt et Martin, 2000). L’approche par les routines semble privilégier une approche plus micro, centré sur l’intégration au niveau de l’individu de schémas d’actions répétitifs alors que l’approche processus, est plutôt macro, centrée sur des successions d’actions organisées collectivement. De plus, d’autres études identifient les facteurs favorables au développement des capacités Voir la synthèse de Altintas présentée à l’AIMS 2009 Altintas, G. (2009). "Capacités dynamiques : Revue de littérature, limites et voies de recherche," in AIMS. Grenoble. 8 13 dynamiques, les mécanismes d’apprentissage (Zollo et Winter, 2002), le rôle des ressources (Rothaermel et Hess, 2007), ou le rôle des managers (Adner et Helfat, 2003 ; Teece, 2007). Ces recherches sur les capacités dynamiques adoptent principalement deux approches : (i) une approche par les facteurs et (ii) une approche par les processus. Dans la lignée de Woodman et al. (1993) et de Ford (1996), nous nous focalisons sur la créativité organisationnelle avec comme ancrage le niveau organisationnel. Aussi, nous examinons les macro-processus qui permettent à une organisation de développer ses capacités créatives. 3.2. Processus de soutien à la construction de la capacité créative d’une organisation Les processus créatifs se déploient au niveau individuel et collectif selon des séquences très similaires : préparation, incubation, illumination et vérification (Poincaré, 1908 ; Wallas, 1926) et identification du problème, préparation, génération, validation et sélection des idées (Amabile, 1988). Les phases de ces processus ne s’enchaînent pas forcément de manière linéaire ; il peut notamment y avoir reformulation du problème durant la phase de génération d’idées et de nombreux allers et retours entre les phases. Au final, si les idées générées ne permettent pas de résoudre le problème identifié, le processus recommence afin d’obtenir des idées plus performantes (Amabile, 1988). Cette approche managériale des processus, qui correspond à la créativité contributive identifiée par Unsworth (2001) avec des problèmes fermés et une motivation intrinsèque (Unsworth, 2001), ignorent toutefois les phénomènes spontanés de créativité. Les membres d’une l’organisation sont constamment confrontés à des problèmes à résoudre. Les solutions au problème identifié existent le plus souvent dans les procédures de travail, des savoir-faire ou des connaissances portées par les individus. Cependant, en cas de nouveau problème, la créativité proactive et la recherche d’une solution spontanée sur un problème ouvert, sont indispensables à la résolution dudit problème. La théorie évolutionniste de Ford (1996), basée sur l’action créative, semble la plus adaptée pour expliquer cette créativité proactive (Ford, 1996). Elle postule l’existence de processus de 14 variation, de sélection et de rétention des idées au niveau individuel et collectif. La variation consiste à choisir l’acte créatif plutôt que l’habitude face à une situation donnée ; la sélection à retenir les résultats de l’acte créatif pour les intégrer dans des modes d’actions ; et la rétention à la transformer en une habitude. Toutefois, Ford (1996) décrit davantage les facteurs influençant l’action créative individuelle que les processus qui la soutiennent. Cette approche nous semble néanmoins intéressante pour identifier les processus organisationnels qui favoriseraient la variation, la sélection et la rétention des idées. Nous proposons six processus de soutien à la capacité créative d’une organisation : l’équipement, l’ouverture, le relâchement, la collecte, la socialisation et l’évaluation. Le processus d’équipement. La formation à la créativité fait partie du contexte organisationnel à la créativité car elle encourage les comportements créatifs (Woodman et al., 1993), et améliore les performances des brainstormings qui génèrent davantage d’idées et de meilleure qualité (Baruah et Paulus, 2008). Le processus d’équipement consiste donc à équiper l’organisation en méthodes, outils et autres dispositifs organisationnels pour accomplir des actes créatifs. Cela implique de former les collaborateurs aux méthodes de créativité pour qu’ils puissent s’approprier les méthodes et prennent l’initiative d’organiser des sessions de créativité si nécessaire. L’équipement passe aussi par la mise à disposition et à la formation à des outils qui permettent de rapidement visualiser et tester une idée et de recueillir des avis sur les idées : boîte à outils d’utilisateurs pour l’innovation (Parmentier et Gandia, 2013), focus groupe en ligne (Rolland et Parmentier, 2013), outils de simulation, et outils de prototypage rapide (e.g. outils dans les fablabs : imprimante 3D, contrôleur Arduino, outils de découpe de matériaux etc.). Le processus d’ouverture. La créativité implique la proposition de nouveaux cadres, et points de vue de remise en cause des repères existants. L’ouverture de l’organisation à des sources externes d’idées, de concepts, de connaissances et d’innovation met l’individu en 15 relation avec des informations et des cadres de pensées différents, et nourrit ainsi sa capacité à penser différemment, pour détecter et réévaluer un problème, préparer la génération d’idées. L’ouverture à une communauté d’utilisateurs ou de marque (Jeppesen et Frederiksen, 2006 ; Parmentier, Forthcoming), l’ouverture à un territoire créatif (Aoyama et Izushi, 2003 ; Simon, 2009), une position favorable dans les réseaux à la fois pour l’individu et l’organisation (Perry-Smith, 2006) sont autant de comportements et facteurs favorables à l’acte créatif. De même, la co-conception du produit et service introduit la possibilité aux utilisateurs de modifier et personnaliser l’offre selonleurs besoins et usages, d’où une nouvelle perspective sur la nature et les fonctions de celle-ci (Parmentier et Mangematin, 2014). L’ouverture peut aussi être interne quand les membres d’une organisation effectuant des activités différentes se mettent en relation et partagent leurs idées et points de vue. Ainsi les formes d’ambidextrie organisationnelle sont susceptibles de nourrir en nouvelles perceptives les membres d’une organisation (Raisch, 2008; Parmentier et Mangematin, 2009 ). Le processus d’ouverture consiste plus globalement à rendre poreuses les frontières de l’organisation afin de nourrir le processus de créativité avec de nouvelles perspectives tant en termes d’identification des problèmes que de nouvelles idées grâce à la fertilisation croisée. Le processus de relâchement. Une organisation constamment sous tension avec une utilisation maximale des ressources, et notamment du temps disponible, a tendance à limiter la créativité de ses membres (Amabile et al., 2002). La créativité a besoin d’incertitude et de marges de manœuvre pour que les combinaisons d’informations et d’idées puissent se matérialiser. Le slack organisationnel étant un stock de ressources inemployé et/ou sous employé (Penrose, 1959),il apparait comme important pour maintenir un bon fonctionnement de l’organisation (Cyert et March, 1963) : il agit en tant qu’amortisseur pour absorber les chocs internes et externes, et initier le changement (Bourgeois Iii, 1981). Ce slack est un élément important pour l’innovation en permettant l’expérimentation et la création dans des 16 contextes pour lesquels ces comportements seraient rejetés par l’organisation (Cyert et March, 1963). Ainsi les temps non dédiés à des projets de l’organisation pour les ingénieurs chez 3M et Google facilitent l’expression des problèmes et des solutions non détectés par les routines classiques de l’organisation. L’augmentation de la densité de ces forces créatives augmente la performance de l’innovation (jusqu’à un certain point) quand elle peut faire appel au slack organisationnel (Chen et Huang, 2010). Ainsi le processus de relâchement semble nécessaire au travail créatif comme en font l’hypothèse Woodman et al. (1993, p. 314) en reliant performance créative et mise à disposition d’une réserve de ressources (slack resources). Cohendet et Simon (2007) ont qualifié ce slack dans les organisations créatives, de slack créatif (creative slack). Ils identifient l’accès à des communautés de spécialistes internes à un grand studio de jeu vidéo, comme un montant de ressources accessibles à tout moment dans les équipes de production, afin de discuter, évaluer et diffuser les idées émises dans les projets de développement (Cohendet et Simon, 2007). Le processus de relâchement consiste donc à laisser de la marge au niveau des ressources afin de permettre à la créativité de se déployer dans toute l’organisation. Toutefois ce relâchement doit être modéré et équilibré avec les contraintes. L’action de la contrainte sur la créativité est différente suivant que ce soit une contrainte liée au résultat de la créativité ou une contrainte liée processus créatif, et suivant la perception qu’en ont les équipes de travail (Rosso, 2014). Ainsi le relâchement n’est pas antinomique avec la contrainte, et la contrainte est même nécessaire à la créativité (Lampel et al., 2014). Un relâchement au niveau du temps disponible peut être concomitant à une contrainte pour créer une tension créative. Organiser la séquence du relâchement est un processus important pour stimuler la créativité des collaborateurs. Le processus de collecte des idées. Une première approche organisationnelle de ces processus consiste à déployer les phases de la créativité de groupe dans un processus global 17 qui implique l’ensemble des collaborateurs. Les systèmes de management des idées (SMI) mettent en place au niveau de l’organisation des processus informatiques pour collecter, améliorer, et évaluer les idées. Ces systèmes n’intègrent pas de méthodes de créativité en ligne, mais ils permettent d’opérationnaliser l’étape de validation et de communication des idées. Plus qu’une simple boîte à idées, ils permettent de garder la trace des idées voire, quand ces systèmes s’intègrent à des réseaux sociaux d’entreprise, d’enrichir collectivement les idées. Les SMI adaptés mettent en place des processus simples et rapides, impliquent le management intermédiaire et mesurent la performance du système (Getz et Robinson, 2003). Au niveau organisationnel, ils permettent de développer une culture basée sur l’expression et le développement des idées, et ils encouragent à traiter les problèmes plutôt que les ignorer (Getz et Robinson, 2003). Le processus de socialisation des idées. Cela consiste à aménager des espaces favorables aux discussions sur les problèmes, les idées et les solutions aux problèmes. Il s’agit pour l’individu créatif de tester ses idées afin d’obtenir une évaluation de leur pertinence et de les enrichir grâce à l’expertise de ses collègues (Zhou et George, 2001). La communication sur les idées fait intégralement partie du processus de créativité (Amabile, 1996). Ce processus favorise l’engagement des participants dans les phases de préparation, génération et validation des idées (Binnewies et al., 2007), soutient leur créativité quand l’encouragement organisationnel est élevé (Zhou et George, 2001). Le retour des collaborateurs sur les idées (Harrison et Rouse, 2015) et des relations basées à la fois sur le conseil, le partage de connaissances et l’amitié sont favorables à la créativité des individus dans les organisations (Lee et Lee, 2015). De plus, de nouvelles idées apparaissent inévitablement dans la collaboration lors du processus de création. Par exemple, dans le théâtre d’improvisation, la création collective se construit dans la collaboration à partir de petite création individuelle (Sawyer et DeZutter, 2009). Cette situation, où le résultat n’est pas prévisible, où chaque 18 participant contribue les uns après les autres, correspond bien à un processus de socialisation des idées dans lequel les idées se partagent et s’enrichissent dans la discussion sans en anticiper le résultat. L’espace de socialisation des idées peut prendre la forme d’aménagement de temps dédié à la discussion sur les idées ou de temps plus diffus de discussion quand les pratiques de management laissent une place importante aux interactions entre les membres d’une unité. L’ampleur du réseau, la position centrale du créateur d’idées dans les réseaux sociaux internes à l’organisation, et la position d’intermédiaire dans des réseaux externes à l’organisation vont favoriser la socialisation des idées. La virtualisation des interactions dans des espaces dédiés à la discussion sur les idées est aussi une forme favorable à la socialisation des idées. Elle prend la forme dans l’entreprise de réseau social d’entreprise et dans les communautés d’utilisateurs et de marques de forum de discussion dédié. Dans les communautés d’utilisateurs en ligne, la virtualisation facilite l’apport de l’expertise des lead users (Mahr et Lievens, 2012 ; Parmentier et Gandia, 2013) et plus généralement le feedback des pairs sur les idées (Franke et al., 2008). Le processus d’évaluation des idées. Dans les processus de créativité, l’évaluation des idées est une phase déterminante pour sélectionner les meilleures idées pour l’entreprise. Au-delà des critères d’évaluation qui communément sont basés sur la nouveauté, la faisabilité, la pertinence et la finition des idées (Dean et al., 2006), la gestion de cette évaluation peut avoir un fort impact sur la créativité des groupes dans les organisations. En effet la succession de l’évaluation individuelle puis collective semble le dispositif le plus efficace pour sélectionner les bonnes idées (Girotra et al., 2010). De plus, l’évaluation régulière des idées durant le travail créatif collectif soutient l’engagement des participants et guide le travail créatif (Harvey et Kou, 2013). Enfin, le feedback des managers et collègues joue un rôle actif et positif dans la création de prototype (Harrison et Rouse, 2015). L’évaluation occupe donc un 19 rôle central dans la génération et la sélection des idées ; une communication claire et juste des critères est de nature à stimuler la créativité des individus et des groupes, : l’organisation affiche ainsi l’importance qu’elle accorde aux idées. Au niveau organisationnel les processus d’équipement, d’ouverture, de relâchement, de collecte, de socialisation et d’évaluation favorisent l’acte créatif plutôt que la routine et l’habitude. Ils facilitent l’évaluation du résultat pour ensuite sélectionner e retenir les actions créatives les plus intéressantes pour l’organisation. Tableau 2 : Processus organisationnels de soutien à la créativité organisationnelle Processus Définition Implémentation Equiper l’organisation en méthodes, outils et moyens pour réaliser des actes créatifs. Formation aux méthodes à la créativité. Développement de Boîte à outils d’utilisateurs pour l’innovation. Mise à disposition d’outils de simulation et de prototypage rapide. Ouvrir les frontières de l’organisation et les produits et services afin de nourrir le processus de créativité en nouvelles perspectives sur l’identification des problèmes, et favoriser la fertilisation croisée. Connexion à des communautés d’utilisateurs, d’innovateurs ou communautés de marque créative et innovante. Possibilité de personnaliser et détourner l’usage des produits et services. Connexion à des territoires créatifs et/ou réseaux d’innovation. Laisser de la marge dans les ressources, du slack créatif, afin de permettre à la créativité de se déployer. Temps de travail dédiés à libre disposition des équipes créatives. Connexion à des communautés internes de spécialistes. Alternance de forte pression et de relâchement dans les projets créatifs avec des objectifs clairs. Aménager des espaces favorables aux discussions sur des idées et solutions. Mise en réseaux de l’ensemble des collaborateurs (réseaux sociaux d’entreprise). Management d’espace de discussion sur les idées. Mode de management favorisant les interactions entre les membres d’une unité. Collecte Organiser les flux de circulation des idées au niveau de l’organisation. Système de management des idées. Concours internes de création. Evaluation Organiser l’évaluation des idées au niveau de l’organisation. Comité d’évaluation et établissement de critères précis d’évaluation. Equipement Ouverture Relâchement Socialisation 20 4. IMPLICATIONS POUR LES RECHERCHES EN MANAGEMENT STRATEGIQUE Nous avons développé une première approche des capacités créatives des organisations (Napier et Nilsson, 2006) en détaillant six processus qui soutiennent la construction de ce type de capacité organisationnelle. Considérer la créativité organisationnelle comme une capacité nous permet de dépasser l’approche, certes importante, induite par l’individualisme méthodologique (Amabile, 1988), et d’étudier la créativité par le prisme du management stratégique valorisant la dimension corporate (Woodman et al., 1993; Ford, 1996). Ce travail montre que la créativité peut se gérer et s’organiser au niveau de l’organisation ce qui favorise la constitution de son avantage concurrentiel. Si les phénomènes de créativité sont souvent analysés en lien exclusif avec l’innovation, les aborder sous l’angle des capacités organisationnelles souligne le rôle de la créativité organisationnelle dans le renouveau de l’organisation elle-même (Drazin et al., 1999; Durand, 2006; Yong et al., 2014). Ce premier propos reste, en revanche, une image partielle de cette capacité. Les six processus sont à compléter et à développer, car la créativité est un phénomène complexe et multiniveaux. Il est probable que d’autres processus (ou sous-processus) soutiennent sa construction en tant que capacité organisationnelle. De plus, une capacité organisationnelle peut être s’appréhendé par ses micros fondations ; les approches individuelle et contextuelle gardent alors toutes leurs pertinences pour le management stratégique. Un travail théorique important doit être mené pour les relier au concept de micros fondations et aux macro processus des capacités créatives. De même, l’approche par les facteurs nous semble une piste intéressante pour comprendre comment les climats organisationnels favorables à la créativité, qui ont été construits empiriquement, peuvent se relier au concept de capacité créative d’une organisation (Parmentier, 2014). 21 Il reste encore beaucoup à faire pour inscrire la créativité comme un phénomène aussi important que l’innovation dans le management stratégique. La créativité ne doit plus seulement être un objet scientifique pour les psychologues et les psychosociologues, mais intéresser les chercheurs en théorie des organisations et en management stratégique car elle permet de changer de point de vue et de dessiner l’image d’une organisation plus créative, plus agile et profitant plus pleinement des connaissances et des idées de ses collaborateurs (Carrier et szostak-Tapon, 2014). De plus en plus d’organisations prennent la mesure des enjeux liés à la gestion de la créativité, que ce soit pour profiter du formidable potentiel créatif de leur collaborateur ou en faire un élément de leur ADN. Néanmoins s’engager dans une telle démarche pour une entreprise demandera d’aller plus loin que le déploiement de techniques de créativité sans vision stratégique, elle nécessitera le plus souvent de reconfigurer l’organisation en profondeur et de mettre en place des processus spécifiques pour en faire une capacité propre, en tant que vecteur de performance. Bibliographie Adner, R. and Helfat, C. E. (2003). « Corporate Effects and Dynamic Managerial Capabilities », Strategic Management Journal, vol. 24, n° 10, 1011-25. Amabile, T. M. (1988). « A Model of Creativity and Innovation in Organizations », Research in Organizational Behavior, vol. 10, n°, 123. Amabile, T. M. (1996). Creativity in Context: Update to "the Social Psychology of Creativity". Westview Press, Place. 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