carte blanche De la dysphagie du patient à la gastroparésie médicale 1 La thuyone (C10H16O) est une cétone monoterpénique qui provoque des sensations de désinhibition et, à for tes doses, des hallucinations. On distingue l’α et la b thuyone, la première étant la plus toxique. Toutes deux sont présentes dans l’armoise et l’absinthe. Leur con­ centration dans cette dernière – du moins telle qu’elle est commercialisée – est limitée à 35 mg/litre, ce qui semble nettement inférieur au seuil au­delà duquel les effets désinhibiteurs et hallucinogènes (parfois recher­ chés) commencent à apparaître. Dr Alain Frei Gastroentérologie FMH 30, avenue Louis Ruchonnet 1003 Lausanne [email protected] faire, telle est la question. Je ne l’ai pas fait. Et vous, seriez­vous restés de marbre ? De fait, nous sommes souvent compliqués dans nos relations. Je n’ai jamais reçu de feed­ back de ce type et pourtant je suis bien cer­ tain que ma carrière n’a pas toujours été exempte de choix discutables. Ici, je m’ima­ gine à la place du collègue dont je devrais contester l’attitude, car de la remarque au grief et jusqu’au jugement il y a un continuum fragile qui exprime nos vulnérabilités réci­ D.R. Madame Gobet* n’a pas de peine à avaler les aléas de l’existence. Sa dysphagie aux solides est essentiellement mécanique, spontanément pathologique dans un pre­ mier temps, «cadeau» iatrogène dans un deuxième. Le bilan complet avait conclu à une lésion tumorale circonscrite en dysplasie de haut grade, non infiltrante et non disséminée du tiers supérieur de l’œsophage, à la portée d’un traitement endoscopique non invasif. Depuis qu’un deuxième avis chirur­ gical a été demandé, les troubles sont pires qu’auparavant, consé­ quence d’une sténose anastomo­ tique serrée ; se méfiant des faux­ négatifs écho­endoscopiques et selon le principe de précaution, le chirurgien a opté pour une résec­ tion chirurgicale oncologique. La pa­ tiente a fait confiance… L’absence de cancer est confirmée. Mainte­ nant, la dysphagie frise l’aphagie, les régurgitations pénibles, sou­ vent insomniantes pourrissent les bronches et l’existence de Madame Gobet, d’autant plus que la sténose résiste obstinément aux diverses tentatives de corrections endoscopiques. Il faudra pro­ bablement se résoudre à une seconde inter­ vention et la patiente a préféré un autre opé­ rateur. La situation est pénible pour la malade et me «reste sur l’estomac» ; le pylore peine à s’ouvrir au débat. La manière plutôt orientée dont j’ai dépeint cette histoire évoque bien mon désaccord avec la décision prise par le chirurgien. Mais n’est­on pas toujours plus intelligent a posteriori ? La volonté peut­être un peu présomptueuse d’offrir le mieux sur le plan vital plutôt qu’un activisme numismate a probablement été le moteur de sa contre­ attitude. C’était donc pour le bien de la pa­ tiente, lui «sauver» la vie quitte à en gâcher la qualité. Interpeller le collègue ou ne pas le proques à la critique. Qui suis­je pour juger alors que le risque d’erreur nous pend au nez quotidiennement ? Comment être vrai sans juger, comment recevoir une vérité sans se sentir jugé ? Insécurité maladive ? Amour­ propre mal placé ? Projections chez l’autre d’un malaise égotique ? Pusillanimité ? Un peu plus d’humilité, de simplicité et moins d’ego seraient incontestablement tout béné­ fice pour notre pratique, notre formation continue informelle et donc pour la prise en charge de nos patients. Hum, cette page a pris des airs de confi­ dences sur le divan de l’analyste, en espérant que ce dernier soit resté dans la présence attentive qu’il se doit et non dans le jugement. Un psychanalyste écoute… ou s’endort. Si vous avez lu cette dernière sentence, c’est que vous n’avez pas dormi. Merci ! «Lorsque donc quelqu’un te met en colère, sache que c’est ton jugement qui te met en colère.» (Epictète) * Nom fictif Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 20 février 2013 42_45.indd 2 435 18.02.13 12:03