Sommes-nous ce que le passé a fait de nous

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« Sommes-nous ce que le passé a fait de nous ? »
Le « Dasein » est l’existence humaine en tant que présence intentionnelle à l’être qu’il
perçoit. Selon Heidegger, on peut différencier la conscience d’être au moment présent,
l’« Être là», de celle d’avoir été ou d’être prochainement. Il implique donc une opposition
entre la personne qu’on est et celle qu’on a été.
Par définition, un individu est le résultat de ce qu’il est advenu au cours de sa vie jusqu’à
aujourd’hui. En effet, les évènements antérieures influent forcément notre comportement
ou du moins notre pensée actuelle. Le « moi » antérieur est forcément différent du « moi »
actuel.
Cependant, on ne peut pas affirmer n’être que le fruit de notre passé, puisqu’à tout
moment, par une action générée par nous-même ou par un évènement extérieur, la
personne que nous sommes peut changer, physiquement ou psychologiquement.
Résultons-nous simplement de notre passé ? Ou bien jouissons-nous d’un pouvoir de
contrôle de notre nature plus fort que l’irréversibilité du passé ?
Dans un premier temps, dans notre développement, nous verrons que nous sommes ce que
le passé a fait de nous. Puis nous examinerons les limites de cette théorie pour la contredire.
Enfin, nous établirons l’existence d’une complémentarité des éléments passés et actuels
nécessaire à la définition d’un individu au moment présent.
Oui, nous sommes ce que le passé a fait de nous. Mais que sommes-nous ? Bien sûr,
l’individu est une personne physique, la combinaison de données scientifiques : on définit
quelqu’un aux yeux de la science par son poids, sa taille, son groupe sanguin… L’être en tant
que présence matérielle est la personne que l’autre peut considérer, appréhender : c’est
notre corps qui nous permet de nous exprimer en société, c’est aussi lui qui nous définit aux
yeux des membres de cette société et du reste des êtres conscients.
Mais le « moi » qui intéresse le philosophe, c’est le « moi » en tant qu’être conscient, voire
en tant que la conscience même. Je suis parce que je vis, dès ma naissance, je deviens un
être conscient d’être en vie, donc de constituer quelqu’un. Par ailleurs, pour Freud, le moi
est l’une des 3 parties de l’appareil psychique, avec le surmoi et le ça, et constituerait
l’adaptation des pulsions et des désirs du « ça » aux conditions du monde extérieur. Chez
Fichte en revanche, le « moi » est absolu et est l’acte originaire de la pensée qui en exprime
la stricte autonomie.
Nous étudierons donc l’évolution de ce moi au long de notre développement philosophique.
Tout être humain est régi par son passé, premièrement de manière involontaire. On peut
noter 2 paramètres irrémédiables qui définissent ce que nous sommes sans que nous
puissions le contrôler : l’hérédité et l’éducation.
Le premier est indiscutable. Le pouvoir héréditaire, soit ce qui se transmet de la famille à
l’enfant dès la naissance, est complètement aléatoire. Il détermine des caractères physiques
(la couleur des yeux, des cheveux, la forme du nez ou de la bouche) et des combinaisons
d’ordre plus complexes comme la prédétermination à contracter tel cancer ou telle maladie.
S’il on considère le « moi » défini scientifiquement, il semble que celui-ci résulte en effet de
l’hérédité, s’il on oublie les changements physiques liés à des accidents ou des opérations.
L’éducation joue également un rôle majeur dans la construction du « moi ». N’étant pas
dirigé par l’instinct, l’Homme doit conquérir par la culture ce que la nature lui a refusé. Kant
a d’ailleurs écrit : « L’Homme est la seule créature qui doive être éduquée. ».
C’est pendant l’enfance qu’intervient l’étape majeure d’éducation et de socialisation, celle-ci
s’opérant tout au long de la vie d’un individu. Ainsi, en considérant un moi adulte, ou du
moins adolescent, on est ce que notre entourage – familial, amical, scolaire – nous a poussé
à être, par des mécanismes de conditionnement et d’intériorisation de normes et de règles.
D’ailleurs, ceux-ci s’ajoutent à la notion d’héritage social. En effet, nous sommes
conditionnés inconsciemment par le cadre social dans lequel nous grandissons. Bourdieu et
son « habitus » se sont d’ailleurs attelés à prouver que la source des opinions politiques ou
des goûts d’une personne se trouve principalement dans la classe sociale d’où elle vient.
Nous avons démontré que des processus involontaires ayant eu lieu dans le passé pouvaient
déterminer ce que nous sommes dans le présent. Il en existe également d’autres de types
volontaires, c’est-à-dire des changements que nous avons décidés : les choix que nous avons
faits au cours de notre vie qui déterminaient une condition s’appliquant postérieurement au
moment du choix. On peut citer comme exemple, l’engagement dans des études : je suis
particulièrement instruit dans tel domaine puisque j’ai choisi, il y a quelques années, de
passer un diplôme dans ce domaine. L’irréversibilité du temps transforme n’importe quelle
décision en une certaine fatalité, puisque l’individu est en quelque sorte condamné à subir
les conséquences de ses actes sans pouvoir les annuler.
Sommes-nous condamnés à subir les conséquences du passé ? En considérant que je ne suis
que le fruit de mon expérience, je renie toute liberté et j’affirme ne pouvoir que « récolter
les graines semées ».
Ou bien jouissons-nous, aujourd’hui, d’un libre-arbitre sur notre condition actuelle ?
L’Homme est en effet doué d’une autonomie lui permettant d’être conscient de son état et
de le modifier. Pour toute la philosophie classique, la liberté signifie l’indépendance
intérieure et la capacité morale de se déterminer en suivant les seuls conseils de la raison et
de l’intelligence. Selon Voltaire, « la liberté consiste à ne pas dépendre des lois », citations
s’appliquant aux lois juridiques mais pouvant élargir son champ d’application aux lois
naturelles comme le temps. Le cas extrême d’une manifestation de ce libre-arbitre est le
suicide, mais un changement de vie par celui de la profession ou du lieu de vie en est
également une.
La théorie du passé régissant le « moi » actuel n’est donc pas universelle.
Malgré tout, la preuve d’une liberté à toute épreuve suffit-elle à déterminer ce que nous
sommes ? Cela induirait que nous sommes quelqu’un que nous avons en grande partie
souhaité être, à l’encontre parfois du passé qui nous prédéterminait autrement. Mais alors,
pourquoi ne sommes-nous donc pas tous dans un état d’une forme approchée du bonheur ?
« Le bonheur est par définition, ce qu’il y a de mieux pour l’individu ; le bonheur est le
souverain-bien. », disait Aristote. Or la liberté d’agissement sur notre condition n’est-elle pas
exercée par tous dans ce but ? On agit pourtant bien pour notre bien et non dans l’optique
de se dégrader ou de dégrader son mode de vie.
Il semble que cette théorie soit également contestable. Se pourrait-il, si l’absence totale du
poids du passé et de libre arbitre est impossible, qu’une combinaison des deux soit la
solution à la problématique ?
Sommes-nous ce que le passé a fait de nous additionné à ce que nous faisons aujourd’hui ?
Or, ce que nous faisons aujourd’hui se répercute forcément dans un futur plus ou moins
proche. Ce serait donc le « moi » passé et le « moi » que nous aspirons aujourd’hui à être,
qui formerait le « moi » actuel, à la fois passif et actif.
De plus, les conséquences du passé, qu’elles soient dues à des évènements involontaires ou
choisis, peuvent être adaptées pour être moins subies. Après un accident grave, je peux
choisir d’abréger mes souffrances ou de me battre pour la vie. Certains actes menés
aujourd’hui résultent donc de la volonté de gérer les actes passés, et permettent ainsi de
contourner l’irréversibilité du temps. Et si, finalement, nous étions ce que nous faisons de
notre passé ?
Nous conclurons donc notre démarche philosophique en disant que nous ne sommes non
pas exclusivement ce que le passé a fait de nous, mais aussi ce que nous faisons du passé
ainsi que des nouveaux enjeux qui s’offre à nous aujourd’hui.
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