« capitalisme est un mot de combat… »

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Où en est le capitalisme ?
Introduction
« Capitalisme est un mot
de combat… »
Jean-Marc Daniel
C’
est par cette phrase que
François Perroux, le célèbre
– bien qu’aujourd’hui passablement oublié – économiste français, débute le
petit livre qu’il consacra en 1948 au capitalisme. Pourquoi « mot de combat » ? Parce
que, explique François Perroux, le mot est
utilisé abondamment par ceux qui font le
procès de l’économie de marché et du libéralisme. Procès, nous dit Perroux, dont ceux
qui l’organisent souhaitent faire en sorte qu’il
soit évident pour tous que l’accusé – l’économie de marché – est condamné d’avance
et qui plus est à la peine capitale.
Entre fantasme et paranoïa
Perroux, germaniste éminent, connaissait et
admirait l’œuvre de Schumpeter. Et il fai-
sait souvent allusion aux différents textes
du grand économiste autrichien affirmant
que, si le capitalisme avait gagné la bataille
des faits dans la mesure où il a procuré à
l’humanité un accroissement spectaculaire
de sa richesse et de son bien-être matériel, il
avait perdu celle des idées dans la mesure où
sans cesse des groupes violents en paroles et
parfois en actes remettent en cause sa légitimité. Schumpeter ne cachait pas sa crainte
d’une victoire finale des planificateurs et des
bureaucrates communistes, victoire obtenue
par l’écœurement des entrepreneurs et des
chefs d’entreprise.
Les bureaucrates staliniens qui avaient pris
le pouvoir en 1948 dans le pays d’origine de
Schumpeter – la Tchécoslovaquie – ont finalement quitté la scène historique, emportés par
leur médiocrité et discrédités par les drames
sanglants et les échecs économiques retentissants qui ont rythmé leur passage au pouvoir.
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Et pourtant, le procès dénoncé par Perroux
se poursuit, les procureurs d’aujourd’hui
refusant de voir le sang sur les mains des
procureurs de naguère – ceux des années
1950 – et véhiculant une version fantasmée
et paranoïaque de la situation économique
mondiale.
D’un capitalisme à l’autre
Pour instruire ce dossier, ils s’appuient sur
la crise, sans en donner une définition bien
précise, sans-doute parce que le mot a été
bien galvaudé.
L’économie mondiale traverse une passe
difficile, c’est évident. L’économie dominante, celle des États-Unis, a vu depuis 2008
sa croissance potentielle passer de 3 % à
1,5 %. La croissance en Europe se traîne
et la rue – d’Athènes, de Madrid ou de
Lisbonne – clame son désarroi, sa colère et
son angoisse face à la baisse de son niveau de
vie et à des taux de chômage destructeurs –
25 % en Espagne. Dans les pays émergents, le
doute s’installe face à une inflation en accélération, que les économistes connaissent bien,
au point de lui avoir donné le nom d’« effet
Balassa-Samuelson », mais que les politiques
n’arrivent pas à juguler.
Pour autant, il serait ridicule de croire que
nous allons inexorablement vers la fin du
capitalisme. Il a jusqu’à présent survécu
à tous ses fossoyeurs et il en sera encore
de même cette fois-ci. Simplement, à
chaque fois, il s’adapte. Le capitalisme d’aujourd’hui, dominé par les Américains, le dollar et le pétrole, n’est pas le capitalisme du
XIXe siècle, dominé par le Royaume-Uni, l’or
et le charbon. Des mutations se sont faites,
revenant à chaque fois au constat selon
lequel la croissance économique repose sur
trois piliers : une énergie relativement bon
marché, du progrès technique, de la concurrence pour permettre une rémunération
efficace des facteurs de production que sont
le capital et le travail.
Aujourd’hui, par-delà le débat sur les gaz
de schiste, le problème énergétique est une
des clés du retour de la croissance. Depuis
quarante ans, chaque choc pétrolier casse la
dynamique de la croissance, chaque contrechoc relance la machine, de même que le
choc charbonnier des années 1860 avait
plongé l’Europe dans la stagnation. Le problème du progrès technique, c’est-à-dire de
l’innovation, est également central au point
d’être devenu une sorte de poncif inévitable des discours politiques du moment.
Mais innover est difficile et ne se décrète
pas.
Un monde différent
Restent entre les mains des décideurs la
concurrence, l’économie de marché, l’acceptation sans états d’âme du capitalisme. La
crise actuelle n’est pas celle de la liberté
économique ; elle résulte de la politique
monétaire américaine des années 2000
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menée pour permettre à l’État de s’enrichir
sans limites ; elle résulte de l’accumulation
générale de dettes publiques et privées nées
du refus de laisser jouer sur les marchés
financiers les mécanismes de marché, c’està-dire cette idée simple qu’il ne doit pas y
avoir de « too big to fail » et que celui qui se
trompe, qu’il dirige une entreprise automobile ou une banque, doit faire faillite.
Le petit livre de François Perroux était un
des premiers « Que sais-je ? » publiés par
les PUF. Depuis, cette maison d’édition a
demandé à plusieurs économistes d’actualiser ou de réécrire le « Que sais-je ? » sur le
capitalisme. Le dernier en date de ces auteurs
est Claude Jessua, collaborateur régulier de
Sociétal, à qui nous avons demandé de critiquer un de ces nombreux ouvrages du
moment sur le capitalisme. Il recense avec la
constance habituelle les défauts du système
pour en annoncer une fois encore la fragilité
qui pourrait se révéler mortelle.
Nous pensons à Sociétal qu’il n’en est rien,
mais que le monde de demain, toujours capitaliste, plus que jamais assis sur la propriété
privée, sera différent du monde d’aujourd’hui.
Et il sera meilleur s’il accepte de faire une
entière confiance à l’entrepreneur, cet acteur
économique essentiel qui, par les investissements qu’il réalise, convertit le savoir scientifique en progrès technique et donc en
croissance économique.
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