FMC 847 Suivi de la maladie veineuse thrombo-embolique Coordonné par le MG, il implique idéalement un spécialiste des maladies vasculaires. Par Jean-Philippe Galanaud, Isabelle Quéré, service de médecine interne et maladies vasculaires, CHU-hôpital Saint-Éloi, 34295 Montpellier Cedex 5. [email protected] L a thrombose veineuse profonde (TVP) et l’embolie pulmonaire (EP) sont les principales expressions cliniques de la maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV), affection fréquente, grave (jusqu’à 25 % de décès en cas d’EP non traitée) et multifactorielle. Son incidence augmente avec l’âge (jusqu’à 1 %/habitant/an après 75 ans).1 Le traitement anticoagulant (AC), à dose curative, est à débuter avant même la confirmation diagnostique en cas de forte probabilité clinique.2 Les AC ont permis de quasiment faire disparaître les décès par embolie pulmonaire. Cet article se focalise sur le suivi à moyen et à long termes après la phase aiguë (premier mois). PARCOURS DE SOINS Il n’y a pas de recommandation spécifique.2-4 La gestion de la MTEV doit être idéalement collégiale, impliquant le médecin traitant, qui a un rôle de coordinateur des soins, et un spécialiste des maladies vasculaires (médecin vasculaire le plus souvent, cardiologue, interniste ou pneumologue si le patient a fait une EP). Une enquête récente a montré que si les généralistes connaissent bien la prise en charge globale de la MTEV (utilisation quasi systématique d’un AC à posologie curative), près de la moitié déclarent ne pas adapter la durée du traitement au type d’atteinte et à la situation clinique.5 Dans la pratique, plus des deux tiers des MTEV avérées sont soignées de façon collaborative.5, 6 Une fois la phase aiguë passée, les objectifs du suivi à moyen et long termes sont : – éduquer le patient : informations sur la maladie, le risque de récidive, la prise en charge ; – réaliser un éventuel bilan étiologique ; – surveiller le traitement anticoagulant : observance, adaptation posologique, efficacité (absence de récidive) et tolérance (pas de complication hémorragique) ; – déterminer la durée du traitement anticoagulant de la MTEV ; – dépister les éventuelles séquelles. Rythme du suivi : une consultation à 1 ou 3 mois puis annuelle ou plus précoce en cas d’événement intercurrent (complication hémorragique ou récidive TE, arrêt de l’AC…) ou d’adaptation thérapeutique : relais héparine-antivitamine K décalé (chez un patient d’emblée à risque hémorragique ou nécessitant des explorations invasives initiales, en cas notamment de suspicion de cancer), adaptation posologique du rivaroxaban à J21, etc. GESTION DE L’ANTICOAGULATION Quelle durée optimale ? C’est un des sujets les plus débattus, notamment en cas de maladie idiopathique. La décision doit tenir compte d’une part du risque de récidive à l’arrêt et d’autre part du risque hémorragique et de la préférence du patient (tableau). Après une TVP proximale (poplitée ou supra-poplitée) ou une EP, il est recommandé de traiter au minimum 3 mois ;2-4 en effet, des durées plus courtes exposent à un sur-risque de récidive thrombo-embolique à l’arrêt. Cette règle ne s’applique ni en cas de contre-indication aux anticoagulants (risque hémorragique principalement) ni à la TVP distale (infra-poplitée, tableau), TABLEAU DURÉE DE TRAITEMENT ANTICOAGULANT APRÈS UN ÉPISODE DE MTEV TVP distale TVP proximale ou EP 1er épisode avec FF transitoire* 6 semaines AC 1er épisode idiopathique ≥ 3 mois AC selon contexte ≥ 6 mois AC (± au long cours si bonne tolérance) Facteur de risque persistant** ≥ 3 mois AC selon contexte ≥ 6 mois AC (prolongé tant que facteur persiste) TVP récidivante ≥ 3 mois AC selon contexte Traitement AC prolongé si récidive idiopathique Risque hémorragique Surveillance clinique élevé, et échographique contre-indication AC Traitement AC ou filtre cave si extension proximale 3 mois AC Filtre cave, traitement AC une fois risque hémorragique/contreindication AC levés AC : traitement anticoagulant à dose curative ; FF : facteur favorisant. * alitement, chirurgie récente, immobilisation plâtrée ou fracture de membre. ** cancer non guéri, syndrome des antiphospholipides ou thrombophilie majeure (hors mutation facteur II et V hétérozygotes). LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 29 l N° 952 l DECEMBRE 2015 TOUS DROITS RESERVES - LA REVUE DU PRATICIEN MEDECINE GENERALE !847!_MG952_FMC_Galanaud.indd 847 10/12/2015 12:48 s brachiales Artères pulmonaires ntercostales ne basilique ale médiane Cœur Veine cave inférieure FMC 848 Veines hépatiques épigastrique céphalique eine ulnaire Veine cave inférieure ale médiane Veine iliaque commune ue inférieure Veine iliaque interne Veine iliaque externe ire profonde Veine fémorale commune superficielle nes digitales Veine fémorale profonde Veine fémorale (superficielle) Veine poplitée Tronc tibio-péronier Veine tibiale antérieure v. soléaires Veine fibulaire V. jambières V. musculaires Creux poplité v. gastrocnémiennes Veine tibiale postérieure v. profondes proximales et tronc tibio-péronier v. distales profondes Fig. 1 – Réseau veineux profond des membres inférieurs. pour laquelle la place des AC et leur posologie restent discutés. Si une TVP ou une EP survient sous pilule estroprogestative, le traitement anticoagulant n’est pas habituellement prolongé audelà de 6 mois (contraception par DIU au cuivre ou progestative pure recommandée chez ces patients). Choix de la molécule En théorie, elle a déjà été choisie au cours du 1er mois (HBPM, fondaparinux, AVK, anticoagulant oraux directs [AOD]). Sous AVK (warfarine, Coumadine ; fluindione, Préviscan ; acénocoumarol, Sintrom, Minisintrom), si l’INR est bien équilibré (compris entre 2 et 3 ; INR cible = 2,5), il faut le surveiller au moins 1 fois par mois. Si un médicament pouvant interférer avec l’anticoagulant (antibiotiques par exemple) est prescrit, les contrôles doivent être plus rapprochés pour adapter la posologie de l’AVK. Il n’y a pas lieu de lui substituer un AOD en cas de bon équilibre. Quatre AOD sont ou seront bientôt disponibles dans la prise en charge de la MTEV : rivaroxaban, Xarelto ; apixaban, Eliquis ; dabigatran, Pradaxa ; edoxaban, Lixiana). Seul le Xarelto est actuellement remboursé dans cette indication. Le contrôle régulier de l’hémostase n’est pas nécessaire mais il est impératif de surveiller la fonction rénale (au moins 2 fois/an si clairance < 60 mL/min). Quand arrêter ? La durée prévisionnelle peut évoluer en fonction des résultats du bilan étiologique (lors de la découverte d’un cancer par exemple, il est prolongé tant que ce dernier n’est pas guéri et que le rapport bénéfice/risque est favorable), de la tolérance et de la préférence du patient. Un traitement à long terme doit être réévalué régulièrement. En cas de décision d’arrêt, il faut informer le malade des risques et des signes de récidive (douleur ou œdème unilatéral de membre en cas de TVP ; dyspnée, douleur thoracique, tachycardie en cas d’EP) et des mesures thromboprophylactiques à respecter (si hospitalisation, chirurgie, plâtre : avertir le médecin de l’antécédent de MTEV ; lors d’un voyage en avion : bonne hydratation, déambulation fréquente, compression élastique, voire anticoagulant préventif). Le médicament peut être interrompu d’emblée, sans décroissance de doses. À son arrêt, il faut réaliser un écho-doppler veineux des membres inférieurs chez les patients ayant fait une TVP, afin de dépister d’éventuelles séquelles thrombotiques (diagnostic différentiel d’une récidive) ; en cas d’EP, scanner thoracique et scintigraphie de référence ne sont pas recommandés en règle générale, en raison de leur caractère irradiant. COMPRESSION ÉLASTIQUE Elle est prescrite pour diminuer l’œdème et la douleur de la TVP aiguë et éviter la survenue d’un syndrome post-thrombotique (SPT). Les résultats, débattus, d’un essai récent (étude SOX) ont remis en cause son utilisation à long terme à visée préventive. En pratique, au-delà de la phase aiguë, le bénéfice est incertain et, chez les patients ne se plaignant d’aucun signe/symptôme d’insuffisance veineuse et ayant une bonne reperméation sans reflux à l’écho-doppler, le port d’une compression élastique pendant 2 ans pour prévenir le SPT ne se justifie plus. Cela ne concerne que les TVP proximales (manque de données dans la TVP distale ou après survenue d’un EP sans TVP). En revanche, en cas d’insuffisance veineuse avérée, primaire (varices) ou secondaire à la TVP, elle est indispensable (bas ou chaussettes, classe 3 idéalement ou classe 2 si cela favorise l’observance) du lever au coucher pour soulager le patient et prévenir l’aggravation des symptômes et les complications cutanées : sclérose cutanée, dermite ocre, ulcère variqueux de jambe. BILAN ÉTIOLOGIQUE Si aucun facteur déclenchant n’est retrouvé, ce bilan est utile pour déterminer (et éradiquer) la cause et adapter éventuellement l’anticoagulant (durée, type). Le dépistage des cancers après un épisode de MTEV idiopathique n’est pas encadré par une recommandation spécifique. En pratique, il faut rechercher à l’interrogatoire des antécédents personnels et familiaux de MTEV et des facteurs de risque de cancer et examiner le patient de façon exhaustive (bilan dermatologique, toucher pelvien, palpation des aires ganglionnaires). Outre les tests biologiques standard (hépatique, électrophorèse des protéines plasmatiques, hémogramme, etc.) sont réalisés une imagerie thoraco-abdomino-pelvienne (scanner/radio/écho), un dosage du PSA chez l’homme et un bilan gynécologique (frottis, mammographie) chez la femme. Les autres examens (coloscopie…) ne se justifient qu’en cas de point d’appel clinique. Le bilan de thrombophilie, à réaliser idéalement à distance de la phase aiguë, en dehors de tout traitement anticoagulant, recherche une forme constitutionnelle, fréquente (mutations des facteurs II et V), ou rare via les dosages de l’antithrombine III, des protéines C et S, la détection d’un syndrome des antiphospholipides ou SAPL (lupus anticoagulant, anticorps anticardiolipines et anti-bêta2-GP1). LA REVUE DU PRATICIEN MÉDECINE GÉNÉRALE l TOME 29 l N° 952 l DECEMBRE 2015 TOUS DROITS RESERVES - LA REVUE DU PRATICIEN MEDECINE GENERALE !847!_MG952_FMC_Galanaud.indd 848 10/12/2015 12:48 FMC 849 À RETENIR S’assurer de la bonne tolérance du traitement anticoagulant, de son observance. En fixer la durée : au moins 3 mois en cas de TVP proximale ou d’EP. Faire le bilan étiologique de la MTEV et dépister ses complications chroniques (récidive, syndrome post-thrombotique ou cœur pulmonaire chronique post-embolique). Il peut être demandé si : – 1er épisode de TVP proximale ou d’EP idiopathiques chez les moins de 50 ans ou la femme en âge de procréer ; – 1er épisode de TVP proximale de site inhabituel (cérébral…) ; – toute récidive de MTEV dont le 1er épisode est survenu avant 50 ans ; – TVP distale idiopathique récidivante dont le 1er épisode est survenu avant 50 ans. L’étude génétique est interdite chez les mineurs. La découverte d’une thrombophilie faiblement thrombogène (mutation hétérozygote des facteurs II ou V) n’a aucun impact sur la prise en charge. La découverte d’un SAPL, à confirmer par un 2e dosage à 3 mois, impose le maintien de l’anticoagulation. DÉPISTAGE DES SÉQUELLES Syndrome post-thrombotique C’est le développement d’une insuffisance veineuse secondaire par destruction valvulaire (mécanisme de reflux) ou obstruction résiduelle.7 Facteurs de risque : caractère proximal de la TVP (30 à 40 % des patients font un SPT ; ilio-fémoral > poplité > sural), antécédent de TVP ipsilatérale, obésité, insuffisance veineuse préexistante. Le diagnostic est clinique : signes d’insuffisance veineuse sur un membre ayant été le siège d’une TVP. Afin de le distinguer d’une TVP aiguë, il est à rechercher à partir de 3 mois après la thrombose. Il n’existe aucun traitement curatif validé. La prévention après une TVP est donc cruciale : elle repose en premier lieu sur un traitement anticoagulant bien conduit pendant les premiers 3 mois ; la compression élastique (au moins force 2, au mieux force 3) soulage la symptomatologie et prévient les complications graves (ulcère variqueux). Devant un SPT sévère lié à un syndrome obstructif de localisation ilio-fémorale, on peut proposer une désobstruction avec angioplastie-stenting. œur pulmonaire chronique C post-embolique Une HTAP chronique (par opposition à celle de l’EP aiguë) peut être due à l’obstruction artérielle résiduelle responsable d’une fibrose vasculaire occlusive.4 Complication rare mais grave de l’EP (1 à 4 % des patients), ses manifestations cliniques ne sont pas spécifiques : dyspnée progressive, moindre capacité à l’effort. L’auscultation cardiopulmonaire est volontiers normale. Le diagnostic repose sur la mesure d’une PA pulmonaire moyenne ≥ 25 mmHg, en dehors d’un épisode thrombo-embolique aigu au cathétérisme cardiaque. L’angioscanner thoracique peut mettre en évidence des thrombi à l’origine d’obstructions vasculaires partielles ou complètes. L’analyse du parenchyme pulmonaire permet d’exclure d’autres causes responsables de la symptomatologie respiratoire. La scintigraphie montre des Basal Compression Fig. 2 – Thrombose veineuse profonde. Examen échographique : la veine poplitée n'est pas dépressible. défects de perfusion avec ventilation conservée. Ces 2 derniers examens orientent vers l’étiologie post-embolique de l’HTAP et, lorsqu’elle est très symptomatique, évaluent l’indication de la chirurgie (endartériectomie pulmonaire dans un centre expert), seul traitement curatif (uniquement en cas de thrombi proximaux). Le riociguat (Adempas) est préconisé en cas d’échec ou d’inaccessibilité de la chirurgie. Compte tenu de la fragilité de ces patients et du risque élevé d’EP mortelle en cas de récidive, le maintien de l’anticoagulant au long cours est recommandé. Diurétiques et oxygénothérapie sont indiqués. Le dépistage par échographie cardiaque, à partir du 3e mois après l’EP aiguë, est justifié en cas de suspicion clinique mais peut être proposé de façon systématique après une EP grave avec dysfonction ventriculaire droite initiale. l RÉFÉRENCES 1. Galanaud JP, Messas E, Blanchet-Deverly A, et al. Management of venous thromboembolism : a 2015 update. Rev Med Interne 2015;36:746-52. 2. Kearon C, Akl EA, Comerota AJ, et al. Antithrombotic therapy for VTE disease: Antithrombotic Therapy and Prevention of Thrombosis, 9th ed: American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines. Chest 2012;141(2 suppl):e419S-94S. 3. Mismetti P, Baud JM, Becker F, et al. [Guidelines for good clinical practice: prevention and treatment of venous thromboembolism in medical patients]. J Mal Vasc 2010;35:127-36. 4. Konstantinides S, Torbicki A, Agnelli G, et al. 2014 ESC Guidelines on the diagnosis and management of acute pulmonary embolism. Eur Heart J 2014;35:3033-69. 5. Almosni J, Meusy A, Frances P, Pontal D, Quéré I, Galanaud JP. Practice variation in the management of distal deep vein thrombosis in primary vs. secondary cares: a clinical practice survey. Thromb Res 2015;136:526-30. 6. Ternisien-Payerols A, Meusy A, Terminet A, et al. [Home care for acute pulmonary embolism: feasibility and general practitioner acceptability]. J Mal Vasc 2015;40:223-30. 7. Galanaud JP, Kahn SR. Postthrombotic syndrome: a 2014 update. Curr Opin Cardiol 2014;29:514-9. Liens d’intérêts : JP Galanaud : Bayer HealthCare, Daiichi Sankyo. I Quéré : Aspen, Bayer HealthCare, Daiichi Sankyo, LEO Pharma, Thuasne. 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