Théâtre de l’Ephémère PARCOURS JUMELAGE 2016-2017 Dossier de ressources pour petites formes théâtrales A la découverte du répertoire de Philippe Dorin et de ses personnages fantastiques ! Ils se marièrent et eurent beaucoup, Compagnie Sylvaine Fortuny. Crédit photo : Andrey Lukin 1 A la découverte du répertoire de Philippe Dorin et de ses personnages fantastiques ! Cetteannée,lejumelageouvrelerépertoirede l’auteurdramatiquePhilippeDorinetsonécriture poétique.Lesélèvesjumelésvontdécouvrir7deses pièces,sélectionnéesparleThéâtredel’Ephémère etlescoordinatricesdépartementalesClaire-Marie DuvaletEvelyned’Olier. Auteurcontemporainimportantdanslepaysage théâtralpourlajeunesse,PhilippeDorinécrit depuispresque30anspourlesenfantsetles adolescents. Reconnaissableentretous,lestylethéâtralde PhilippeDorin,depièceenpièce,s’estaffirmédans sonrythmevisueletsonore,danslamatérialité ramasséedesalangue,danssonhumourtendreet profondnaissantd’uneconnivencemétathéâtralequi nesemetjamaisensurplombparrapportàson lecteur.(MarieBernanoce,auteuredeVersun théâtrecontagieux,invitéelorsdutempsfort jeunessele14janvier2017auThéâtrede l’Ephémère) Organisésencomitédelecture,lesjumelésvont devoirchoisirensemblel’unedecespièceset concevoirunemiseenscène,aidésdecomédiens professionnelsetdeleursprofesseurs.Danscette miseenscèneilsdevrontrespecterunecontrainte scénique,quenousleurimposonsafindestimuler leurcréativité:l’esthétiqueducostumedescène. Lesvêtementstropgrands,troppetits,abîmés,mal assortis,etc.pourrendrecomptedespersonnages décalésaveclemonderéel,dansl’écriturede PhilippeDorin. Les textes de Philippe Dorin sont publiés pour la plupart à l’école des Loisirs et montés par de nombreuses compagnies en France, dont celle qu’il a fondée avec Sylviane Fortuny « Pour ainsi dire » qui mène des projets en direction du jeune public depuis 1994. LASELECTION BIBLIOGRAPHIQUEDU JUMELAGE: Bougeplus! Sacrésilence Soeur,jenesaispasquoifrère Lesenchaînés 2084 Dansmamaisondepapier, j’aidespoèmessurlefeu Lemondepointàlaligne Dossier élaboré par Claire-Marie Duval et Evelyne d’Olier, professeurs et coordinatrices départementales (DAAC). 2 Parcours conçu par le Théâtre de l’Ephémère : Didier Lastère Coordination : Valérie Dieumegard Rédaction du dossier de ressources : Claire-Marie Duval et Evelyne d’Olier Formation des professeurs : Didier Lastère Aide à la recherche de costumes : Valérie Berthelot Aide à la mise en scène des petites formes théâtrales : Valérie Berthelot, Delphine Aranéga, Margot Charon, Camille Lorrain. Classes jumelées : les secondes d’exploration du lycée Bellevue (Le Mans – 72), les secondes d’exploration « Arts du spectacle » du lycée Racan (Château-du-Loir – 72), les premières L du lycée Le Mans Sud (Le Mans – 72), les sixièmes A du collège Jean Rostand (Ste Jamme sur Sarthe – 72), les Secondes A du lycée Douanier Rousseau (Laval – 53), les premières ES C du lycée Ambroise Paré (Laval – 53), les quatrièmes C du collège Emmanuel de Martonne (Laval – 53), les cinquièmes B du collège René Cassin (Ernée – 53). SOMMAIRE Philippe Dorin et l’écriture théâtrale ....................................................................... p.4 Présentation des textes de la bibliographie du parcours jumelage ....................... p.6 2084 ........................................................................................................................... p.10 Bouge plus ! ................................................................................................................. p.12 Les enchaînés .............................................................................................................. p.14 Sacré silence ............................................................................................................... p.16 Le monde point à la ligne ............................................................................................ p.18 Dans ma maison de papier ........................................................................................ p.20 Sœur je ne sais pas quoi faire ..................................................................................... p.21 Le costume, métamorphose du corps ...................................................................... p. 23 3 Philippe Dorin et l’écriture théâtrale Auteur, c’est la petite place que j’ai pu me trouverpourentrerdanslafamilleduthéâtre,ilyaun peu plus de trente ans. Un peu comme lorsqu’on engage un batteur dans un groupe de rock. Ce n’est peut-être pas le meilleur batteur du monde, mais il a très envie de faire partie du groupe. Ce métier d’auteur, j’ai mis longtemps à l’apprendre. Je me suis trompé beaucoup. Mais comme tous les textes que j’écrivais au cours de cet apprentissage devaient s’adresser aux enfants, on peut dire que ce sont eux qui m’ont appris mon métier d’écrivain. Le jour ou l’adulte que j’étais et les enfants à qui je m’adressais sesontretrouvésautourdesmêmesmots,jecroisque jesuisdevenuécrivain.Sansdouteparcequ’ilsnenous racontaient pas la même histoire, mais qu’ils étaient notretronccommun.Ecrire,c’esttoujourslaquestion delamétaphore. Mon désir est toujours d’écrire une belle histoirepourlesenfants,avecundébutetunefin,de beaux personnages qui traversent de grandes épreuves, avec des rebondissements, de grandes bataillesetlaconquêted’unbeauroyaumeàlafin,et peut-êtremêmelecœurd’unejolieprincesseàlaclé. Mais je n’y arrive jamais. C’est sans doute ça qui me sauve. Les scènes m’arrivent dans le plus grand désordre. Elles se contredisent sans cesse. Les personnagesneracontentjamaislagrandehistoire.Ce sont juste des petits commentaires qu’ils font, des bavardagesinutilessurdesdétailssansimportance,un peu comme des enfants à qui vous voulez enseigner quelquechosed’essentieletquin’arrêtentpasdefaire desremarquessurlatenuequevousportez,lestemps qu’ilfaitdehorsouqu’est-cequ’onvamangercesoir. C’est peut-être ça, le détour de l’enfance, d’être toujoursàcôtédusujetprincipal,deregardertoujours ailleurs que là où on devrait. C’est ça aussi, la métaphore, que l’essentiel ne soit jamais dit. Le résultat, c’est que je me retrouve toujours avec un paquet de scènes surgies de nulle part, toutes hors sujet, très loin de la belle histoire que je m’étais fixée au départ et de l’idée que je me fais du métier d’auteur. Mais ça vient du cœur, sans préméditation, unpeucommelesenfantsquidisenttouthautettrès fortleschosesqu’onnedoitpasdire,entoutcaspas commeça,niàcemomentlà. Quandonécritpourlesenfants,rienquepour lesenfants,onestmoinsbienconsidéré.Onestmoins regardé comme « auteur principal ». C’est peut-être aussiçaquimesauve.Parcequejepeuxfaireunpeu cequejeveux.Onnem’attendpasaucoindubois.J’ai une grande liberté. Je fais mes petites salades. Ça ne me pèse pas. Et, au bout du compte, je m’en fous un peudel’êtreoupas,écrivain. PhilippeDorin Tablerondeautourdesécrituresthéâtralesjeunesse ThéâtredelaVille–17avril2013 «Aujourd'hui encore tout ce que j'écris m'apparaît comme fruit d'un miracle. Je suis toujours lepremierétonnéparcequim'arrive.C'estsansdoute pour cela que mes histoires et mes personnages semblent toujours surgir de nulle part. Ce sont de courtes scènes que je n'attendais plus. Elles ne sont pas très nombreuses et n'en disent pas beaucoup. On dirait les miettes d'un grand repas auquel je n'étais pasconvié.Jelesrecueilledanslecreuxdemamain.Je videlefonddesverres.Jelèchelacuillère.J'essaiede fairemonmieldetoutçapourqueçapuisseévoquer auspectateurl'histoirequin'yestplus.Commeunami mel'avaitditunjour:Danstestextes,l'histoirebrille parsonabsence. En fait on pourrait dire que mes histoires se situent toujours le matin. Même si c'est le soir ou la nuit que ça se passe, l'esprit, c'est le matin, au commencement de la journée. Parce que, dans la vie, lematin,mêmesivousavezuneidéeassezprécisedu programme de votre journée, dans les faits, ça ne se passe jamais comme prévu. Il y a toujours des contre temps, des moments d'attente, des surprises plus ou moinsbonnes. Le lieu où se passent mes histoires n'est rien d'autre que le théâtre lui-même, comme si la scène était la source et le lieu de toutes les histoires. Les personnagesnesontriend'autrequelespersonnages quilesincarnent,etsouventjelesconnais.Ilssemblent toujours débarquer de nulle part, comme si la scène était le dernier refuge qu'ils aient pu trouver. Drôle d'endroit pour une rencontre ! C'est là que sous nos yeux, ils vont construire leur vie. Moi, l'auteur, je les laisse passer devant. Je me contente de m'incliner et de suivre derrière. Pour mes personnages, le monde n'existepas.Cesonteuxquil'inventent.Àchaquepas qu'ilsfont,lemondes'agrandit. 4 Quand j'écris, ce sont toujours les mots qui commandent. Dans mes textes, les rebondissements de l'histoire passent d'abord par des rebondissements delalangue. Cequej’écrisn’estquelenégatifdel’histoire.Ceque j’essaiedefairevoir,cesontplutôtleschoses invisibles,commeletempsquipasseoulebruitdes couleurs. Lachosequej'essaied'avoirtoujoursàl'esprit quand j'écris, c'est cet instant où l'enfant, dans la classe, suit tranquillement son cours, quand tout à coup, son regard est attiré par quelque chose d'inattenduquisepasseparlafenêtre.C'estlàqu'est le théâtre, dans ce moment de diversion. Le théâtre, c'estregarderailleurs.Pourl'auteur,c'estdétournerle regardduspectateurducoursnormaldesavie. Pour finir, je voulais vous offrir un verre. Quand je n'arrive pas à écrire, je déteste que la page reste blanche. Alors, je la roule, comme ça. Je fais un petitourletau-dessus,commeça.Jelapinceaumilieu, comme ça. Et ça fait un verre. Comme ça j'ai quand mêmel'impressiondefairedelapoésie.Etmêmedes verresàpied.» PhilippeDorin ExtraitdeDanslavieaussi,ilyadeslongueurs.Mars 2015 5 Pièce 2084 Bouge plus ! Personnages Thématiques Type d'écriture Genre Le présentateur, personnage d'aujourd'hui. HP, le haut-parleur suspendu au-dessus du castelet qui donne des ordres. Vincent, Vanessa et Marie, manipulateurs. Numéros 3, 5 et 11, clones de Vincent Marie et Vanessa. Numéro 8 et 9, clones de Mozart, RV, GG et DD, robots machinos. Têtedelard, Boutchelou et Lumgo, créatures. Numéros 26, 31, 43, 25, clones d'homme, de femme, de chien, d'enfant. Numéro Zéro, clone de canette de coca. Numéro 1/5000é, clone de susucre. XLER, évolution du N°3. La maman, le petit T. Dans 2084, un futur plein d’avenir (titre donné par la compagnie Flash marionnettes), Philippe Dorin met en scène une mise en garde contre certaines dérives dans la société actuelle du « toutécran », « toutréseau », « toutglobal », « tout virtuel »... Une succession de scènes qui semblent n'avoir aucune suite, et pourtant, les personnages évoluent… Les écritures sont différentes selon les personnages qui prennent la parole. Spectacle « jeune public ». Le début annonce « Scènes de marionnettes ». C’est du Guignol, dans sa férocité à dépeindre les travers de notre temps. Une drôle de farce cruelle et lucide. 2084 offre au regard du public des formes esthétiques hors normes : robots, clones, mutants... Or, on sait à quel point les enfants (et pas seulement les plus jeunes d’entre eux) sont attirés par les formes non réalistes, fantaisistes, prospectives. Le père (qui n'assume pas son rôle de père), La mère (une ogresse, une mégère), l'enfant (être incompris). Mais il y a aussi la chaise, des fleurs, la table. Personnages, animaux, objets sont tous au même niveau, voire interchangeables. Ils peuvent prendre la parole à tour de rôle. La cellule familiale comme création du monde. La naissance de la vie, mais aussi la révolte au sein de la famille, l'explosion de celle-ci. Mais pas de conflit, juste une analyse des relations qui ne sont ni jamais acquises ni stables. Les non-dits. La standardisation des esprits, la disparition de toute vie privée, la prolifération des mondes virtuels. La famille se met en place sur scène, sous nos yeux. « L'auteur de théâtre serait là pour donner de l'ordre et du sens au monde qui nous entoure. » On retrouve des principes d'écriture chers à Philippe Dorin : des répétitions, la musicalité des mots et des sons, les phrases brèves et la vivacité et rapidité de l'écriture, l'étrangeté et l'absurde des propos, qui pourtant nous disent quelque chose sur le monde. Rien n'est jamais réaliste. Et soudain un personnage, quelque chose existe parce que quelqu'un le nomme. Quatre parties - un Prologue, La chaise, La table, un épilogue dans lesquelles il y a plusieurs scènes interchangeables. Le langage n'est pas fait pour communiquer, il est là pour faire exister les personnes ou les choses. Tout ou presque est au présent, au présent d'apparition. Le langage se déstructure aussi parfois comme le monde se déstructure. Un texte qui est fait pour être joué, dit à haute voix et entendu , pour qu'on perçoive la musicalité des mots et des silences, la vivacité et la rapidité des phrases. L'enfant invente une grammaire (p.23) comme création du langage. Il interroge ce langage. C'est aussi lui qui annonce que nous sommes au théâtre au début du texte. « Là, ça va commencer », dit-il. 6 Pièce titre Les Enchaînés Sacré Silence Personnages Thématiques Nils, un petit garçon, un singe. Bernard, présentateur, Jeanne et José. André, Sabina et KIKI, leur chien. Séverine, une petite fille, Jipé et une grenouille. Fortuné, deux joueurs de tennis, deux joueurs de foot, un petit joueur. Penny, une fille, Balti, son copain, Gloria, la copine de Penny, Ralf, le mec de Gloria, Le pote, un copain de Balti. Un deuxième singe, un petit singe, Hippolyte, un adolescent, Stéphane, un homme seul. Une femme tronc, une paire de jambes d'homme. Un couple, un reporter. Jim, un vieux bluesman. Éliot, un petit garçon. La télévision. le décervelage en règle que font subir la plupart des chaînes de télévision à leurs téléspectateurs. Et ce, dans tous les pays et toutes les cultures. Philippe Dorin souhaite dans le jeu « une grande pauvreté des mots et des situations d'une extrême simplicité dans chacune des scènes, afin de rendre au mieux le discours creux, la grossièreté du langage, et le mépris constant qui prédomine à l'intérieur de l'écran ». Les effets produits par la télévision : l'inactivité, la passivité. Lumpe marchande de sons. Écho une jeune femme. La solitude, le bruit, le son, les jeux de mots, le langage, L'écoute, l'émotion. Type d'écriture « C'est une suite de scènes qui pourront être des scènes destinées aux enfants, une destinée aux adultes et une sous la forme d'un cabaret. » Le spectateur est tour à tour spectateur et acteur. Le style est simple, direct, les phrases sont courtes, les situations simples. Peu de mots, la pauvreté du langage renvoie à la pauvreté des propos de la télévision. Le ton est cinglant et drôle à la fois. Courtes scènes qui se suivent sans lien évident, ce sont les personnages qui sont les fils conducteurs de l'histoire. Une construction hachée qui renvoie au rythme rapide de la télévision et au « zapping » des téléspectateurs. L'écriture est très répétitive. Écho répète inlassablement les mêmes mots que Lumpe. Il faut trouver des pistes pour éviter la lassitude. Là encore, Philippe Dorin joue avec les mots dès le début de la pièce, les mots qui évoquent des bruits, des sons. Des mots commencés mais pas terminés, des inversions de mots dans les phrases, des mots manquants… Des silences. Genre Autre commande d'écriture de la compagnie Flash Marionnettes à Philippe Dorin. Texte pour « tout public à partir de 10 ans », un texte pour marionnettes, avec la virulence et la cruauté d'un théâtre de Guignol. Texte « coup de poing » mais Les Enchaînés n'est pas un manifeste contre la télévision. La pièce est écrite pour les enfants tout autant que pour les parents, car pour les publicistes les enfants sont « le cœur de cible » de la télévision. Réflexion poétique sur le langage, les bruits qui nous entourent, et le silence. Plaisir de jouer avec les mots, les sons, les émettre, les prononcer, les articuler, s'en mettre plein la bouche. Pièce qui invite à regarder les mots et écouter les images, une recherche poétique et musicale. 7 Pièces titres Personnages thématiques La ou les naissances du monde. Le monde point à la ligne La Grande qui deviendra la Petite Dame et le petit monsieur. La Petite qui deviendra le petit Léo Les personnages du conte font naître la nuit et l'écriture. Philippe Dorin crée le monde avec des mots et rien d'autre. « Au début le monde n'était qu'un petit chien qui montait la garde. » (p.14) Type d'écriture Langues particulières, sonorités, certains passages sont chantés, des onomatopées simulent les actions, la petite perd progressivement le langage dont il ne reste que des a-u-oi, oua, et ne fait plus qu'aboyer. « Ça commence comme dans un conte. Ça continue comme dans un songe . Ça finit par un gros mensonge. » Dans ma maison de papier j'ai des poèmes sur le feu La vieille dame, la jeune fille, le promeneur La naissance, la mort, la vie. La vieille dame ne se sent pas prête à mourir et souhaite prolonger encore un peu la vie en replongeant dans son enfance et veut retrouver la petite fille qu'elle a été. On est dans l'intimité de la pensée de cette vieille dame au seuil de la fin de sa vie. Le titre évoque la poésie, on est déjà dans un univers onirique, mais il dit aussi la fragilité de la vie, la futilité des choses matérielles, et l'urgence à vivre. Une histoire, une narration, des petites scènes très courtes sans titre, à deux personnages, principalement la petite fille et la vieille dame. Les scènes sont annoncées par une phrase : « On entend fredonner la petite fille, ou le promeneur, ou la vieille dame » ou par le mot « silence », sauf les dernières scènes comme une accélération du temps qui passe, une fin à laquelle la vielle dame doit se résoudre. Chaque scène est ponctuée par «Allume» et « Éteins » comme un passage nécessaire de la lumière à l'obscurité où la petite fille accompagne la vieille dame. Genre Poétique, assurément. Le texte nous annonce que nous sommes au théâtre : « Au théâtre pour que ça commence, il faut éteindre toutes les petites lampes .» Clic. Comme dans d'autres pièces, il suffit de nommer les choses pour qu'elles existent. C'est la magie du théâtre, et personne ne dira le contraire. Avec ce procédé, Ph. Dorin fait apparaître sur scène, donc au monde, tout ce dont il a besoin dans son écriture. Théâtre d'objets. Un joli poème qui parle aux enfants de la vieillesse, de la mort, et de cette peur de la mort chez les vieilles personnes. Qui parle aussi du temps qui passe. Qui parle de la vieillesse et de la mort aux enfants de façon simple et juste. Les metteurs en scène qui se sont frottés à ce texte, ont créé un univers onirique, poétique, loin du réalisme. 8 Pièces titre Personnages Thématiques Élisabeth, une femme de Les relations familiales, plus de 70 ans les secrets de famille et Catherine, une femme leurs conséquences. Les entre 35 et 40 ans mots qu'il ne faut pas Carole, une femme entre prononcer, personne ne 35 et 40 ans, fusil à sait pourquoi. l’épaule Les hommes ont la clé Sophie, une jeune fille des secrets, ils sont d’une vingtaine évoqués mais ils sont Sœur, je ne sais pas d’années, très jolie absents pour diverses quoi frère. Lili (la petite), une petite raisons. fille de 9 ans, une poupée Evocations de contes dans les bras Type d'écriture Genre Une histoire, ou plusieurs Contrairement à histoires successives. presque tous les autres Des situations très textes de Ph. Dorin, on concrètes, et d'autres plus a ici un lieu repéré : la imaginées. maison des sœurs. Elle Des jeux de mots, des est vide, mais les cinq jeux d'enfants, des jeux sœurs sont chez elles et sans arrêt : chaque scène se racontent des commence par « Comme histoires, des histoires si elles se tenaient dans de leur vie passée dans la cuisine, dans le lesquelles il y a des bureau, comme si elles secrets. posaient pour une Un huis clos, une photo. » etc. Cette histoire policière dont didascalie de début de les objets sont les clés. scène donne des Le texte alterne entre indications de lieu et réalité et imaginaire. d'action, mais commence toujours par « Comme si », Notes : Le contenu de ces tableaux est largement inspiré des nombreux documents sur les pièces de Philippe Dorin que l'on peut facilement retrouver. Il est intéressant de noter que dans les pièces de Philippe Dorin, le cadre spatio-temporal n'est jamais défini, jamais précisé. Philippe Dorin préfère laisser faire l'imagination des spectateurs. 9 2084 La pièce débute par un présentateur qui nous invite, pour enfin mettre fin à l'ennui, à nous propulser en 2084. Il compte les années et s'éteint. Nous voilà dans un monde fait de marionnettes manipulées, parfois sorties de scènes par des robots machinos quand elles dépassent les bornes. Monde idéal ? Oui, si on veut, nous vivons dans un monde totalement virtuel. Plus d'émotions, nos relations sont contrôlées par un certain HP qui commente nos comportements… Quoi qu'il en soit, il est inutile de se révolter. LE PERSONNAGE VIRTUEL Dans un cloaque, en dessous du castelet. Deux créatures, Boutchelou et Têtedelard Boutchelou : Eh, Têtedelard, tu sais la petite différence qu'il y a entre toi et moi ? Têtedelard : Non. Boutchelou : C'est que moi je suis un personnage virtuel. Têtedelard : Ah ouais ? Boutchelou : Ouais ! Têtedelard : C'est quoi, Boutchelou un personnage virtuel ? Boutchelou : Ça veut dire que j'existe pas. Boutchelou : C'est nouveau, ça ? Boutchelou : Oui, ça vient de sortir. Têtedelard : Mais alors pourquoi t'es là quand même ? Boutchelou : Pour t'emmerder ! Têtedelard : Ah ouais ! Boutchelou : Eh ouais ! Têtedelard : Ça veut dire quoi, réellement un personnage virtuel ? Boutchelou : Ça veut dire que si tu me fous ton poing dans la gueule, là, tout de suite, je vais rien sentir du tout. Têtedelard : Ah ouais ? Boutchelou : Ouais, ouais, ouais ! Têtedelard : Et pourquoi je te foutrais mon poing dans la gueule, Boutchelou ? Têtedelerd : Parce que t'es un gros con. Têtedelard : Ah ouais ? Boutchelou : Ouais ! Têtedelard : C'est virtuellement que tu causes, là ? Boutchelou : Pas du tout ! Gros con ! Gros con ! Gros con ! Têtedelard met son poing dans la figure de Boutchelou qui s'écroule. Têtedelard : Personnage virtuel ! Si y a bien une chose qui sera jamais virtuelle, c'est la connerie. Il sort en traînant le corps de Boutchelou par une jambe. PHONETIC Deux robots machinos entrent avec un piano et un tabouret qu'ils installent sur le castelet. Conversation entre eux sur un ton très quotidien. RV : O-V-X-T-B, DD ? DD : B-5-D', RV. RV : T-HS ? DD : AX+B, DD ! G-T-P-Q-R-O-DRH. RV : O ? T-T-P-Q-R-O-DRH ? C-T-X-K-3-V-F-T' ? DD : C-T-X-K-3-V-O-M-R-TT. RV : È-C-OK ? DD : C-O-Q ! RV : S-T-P-H-K-1-CDI ? DD : C-G-G-K-1-CDI. RV : X-T-3-Z, C-DRH. DD : C-D-PD. RV : S-T-P-M-O-STO. V-D-5-S-T-L-CGT-O-Q. DD : X-T-Z, RV ! G-P-T-3-BM. RV : O-B-R-Q ? DD : C-B-O ! RV : C-T-D-BM-TDI ? 10 DD : VHS ! RV : TF1 ! LVMH ! R2D2 ! T-B-P-O-5-3-P-6-T-Z, DD ! DD : G-T-N, RV RV : TTC ! BP-GPL ! Q-S-F, M-T, DD ? DD : J-C-P, RV. VRP ! RV : VRP ! D-T-Q-3-L-M-D-O, VRP ! RV : G-T-K-2-F-ANPE. RV : X-R-2-K-2-C-P-H-ANPE, DD. DD : A ? X-R-K-2-C-M ? RV : X-R-K-2-PÔLE EMPLOI DD : PÔLE EMPLOI ? RV : CQFD ! DD : C-QQ-TOUT COURT. PÔLE EMPLOI ! RV : Allez, JV, DD ! DD : OÉ ! J-DVD-O-SI. RV : POMME Q ! DD : POMME Q ! Ils sortent. Pistes de lecture : « Ce texte fait référence bien entendu à 1984 de Georges Orwell écrit en 1948 et mêle ironie, poésie et humour. Il est une « réactualisation » des préoccupations qui furent celles de l’auteur de 1984. Orwell écrivit 1984 comme un cri d’alerte contre un régime totalitaire, le stalinisme. Cependant, contrairement à 1984, que l’absolue noirceur tout autant que le niveau de langue ne destine pas aux enfants ou pré-adolescents, 2084 fait la part belle au rire et laisse entrevoir un certain espoir… » Le Big Brother de George Orwell, c’est votre voisin. La pièce est une commande de la compagnie Flash Marionnettes à Philippe Dorin, donc écrite pour des marionnettes. Peut-on la jouer sans marionnettes ? La pièce est faite d'une succession de scènes entre RV et DD, les machinos, les Numéros 3, 5, 11 et, pour une scène, les numéros 25, 26, 31, 43, dont on ne perçoit pas la suite à la première lecture. Et pourtant… Les titres de chaque scène sont très énigmatiques : Le présentateur, Générique génétique, Pour copie conforme, Phonétic, Mozart cloné, le personnage virtuel, Des fois ça tient à un cheveu, Mozart dépouillé, Equation, manipulation… Au final, le monde est dirigé par les puces électroniques. Même les marionnettistes finissent par être dépassés. Il faut impérativement lire cette pièce à voix haute pour goûter la saveur des mots. « Ce qui m’intéresse dans l’écriture de 2084, ce n’est pas tant de développer une représentation du monde purement fantaisiste et imaginaire, mais de mettre l’accent sur certaines dérives de notre époque pour les pousser vers la construction d’une société de l’absurde. (...) Les marionnettes feront le reste. Leur capacité d’invention, d’identification et de métamorphose fera la part belle aux modestes propositions que je pourrai leur faire. Elles portent en elles-mêmes la métaphore de la société de manipulation que nous construisons pour le futur. Elles, comme nous, ne pourront pas y échapper... » Ph. Dorin 11 Bouge plus ! « Trois personnages : le père, la mère, l'enfant. Trois objets : les fleurs, la chaise, la table. Bouge plus!, c'est une suite de tentatives pour essayer de faire tenir tout cela debout. C'est un peu comme une photo de famille, quelqu'un dit : « On bouge plus ! » mais, au final, y en a toujours un qui est flou, ou qu'on voit pas, ou qui fait la grimace. Les personnages, ça doit être comme les enfants qui disent toujours tout haut et trop fort les choses qu'on ne doit pas dire, en tout cas pas comme ça, ou pas à ce moment-là, et qui mettent tout le monde dans l'embarras, qui laissent sans voix. Bouge plus ! doit toujours montrer que c'est quelque chose qui s'essaie ». Philippe Dorin. Les fleurs Lumière. L'enfant, seul L'enfant : Je sera un pot. J'aura des fleurs dedans. Je sera posé sur une petite étagère, juste au-dessus d'eux. Je sera beau ? I pourront toujours bien me sentir. Un coup, je tombera. J'aura juste un petit bout de cassé. I le recolleront. I me reposeront sur la petite étagère, juste au-dessus d'eux. Mais surtout pas du côté où c'est recollé, ça ferait moche ! Un autre coup, je retombera. Je sera en mille morceaux, ce coup-là. Heureusement, j'aura juste le temps de rattraper les fleurs d'une main. Sinon, i balanceraient tout à la poubelle et j'aura été foutu. Noir ✵ Le père : Allume ! Lumière, le père, la mère. Le père : C'est qui qui… ? La mère : Qui quoi ? Le père : Qui qui ? La mère : éteins ! Noir ✵ Le père : Allume ! Lumière, le père, la mère, l'enfant. Le père : Le père ! Le mère : La mère ! L'enfant : Le père ! Le père : C'est pris ! L'enfant : Déjà ? Le père : Fallait venir avant ! La mère : Pas de pot ! L'enfant : Alors, la mère ! La mère : C'est pris aussi. L'enfant : Qu'est-ce qui reste ? Le père : La table, la chaise, les fleurs, l'enfant. L'enfant : C'est tout ? Le père : Oui ! L'enfant : Alors, l'enfant ! La mère : Ouf ! L'enfant : Est-ce que je pourra avoir les fleurs quand même ? Le père : Si tu veux ! L'enfant : Chouette ! Le père : Eteins ! Noir Pistes de lecture : « Cette pièce a été conçue comme une suite de scènes pouvant servir de matériel à la construction d'un spectacle. L'ordre peut en être changé. Certaines scènes peuvent être répétées plusieurs fois, sur des modes différents ou en interchangeant les rôles. Des scènes muettes peuvent être ajoutées. Les temps de silence doivent être extrêmement dilatés. Au contraire, ne pas s'appesantir sur les temps de dialogue. Il faut toujours qu'on garde l'impression de quelque chose qui s'essaie. Merci. » Ph. Dorin 12 Contrairement à beaucoup d'autres pièces de Philippe Dorin, ce n'est pas une pièce pour jeune public. On voit dans cette scène que le rôle doit être distribué pour chacun. Le personnage, pour exister, doit être nommé par un autre personnage. Les objets et les personnages sont mis sur le même plan : l’enfant est un enfant mais aurait pu être le père, la mère, voire les fleurs. La famille est bien ancrée dans le quotidien. Polysémie, homophonie des mots, silences. Il y a peu de mots différents. Des « Allume » et des « Eteins » ponctuent les scènes. C'est un texte fait de répétitions, d'énumérations, comme plusieurs textes de Philippe Dorin. 13 Les Enchaînés Chansons, tennis, guerres, famille, football, repas, jeux, achats, copains, histoires… c’est la vie, c’est le monde, notre jolie terre toute ronde. Erreur ! Le monde est devenu plat et rectangulaire, c’est une télécommande pour voir le monde dans la télévision. Et là, pas le choix : soit vous êtes dans la télévision, soit vous êtes dehors. Si vous êtes dedans, attention à la concurrence, si vous êtes dehors pas de problème : vous serez toujours assis, vous ne direz plus rien, vous regarderez, c’est tout. BRAVE TYPE André et Sabrina, assis dans le canapé, face au public. Le chien, couché à leurs pieds. André mange des Curly. Un temps. SABRINA : Chéri ? ANDRÉ : Oui ! SABRINA : Entre Brad Pitt et toi ? ANDRÉ : Eh bien ? SABRINA : Y a pas tant de différence. ANDRÉ : Tu crois ? SABRINA : Non ! si c'était Brad Pitt qui était assis à ta place, dans le canapé, moi ça me dérangerait pas du tout. Silence. REPUB Séverine surgit avec Jipé face au public. SÉVERINE : Repub ! Une grenouille passe. LA GRENOUILLE : Coa ! Coa ! Coa ! Coa ! SÉVERINE, à Jipé: Vas-y ! Jipé donne un grand coup de poing sur la grenouille. LA GRENOUILLE : Coca ! Coca ! Coca ! Coca ! Elle sort en claudiquant. SÉVERINE : Y a un net progrès, là ! Ils disparaissent. Pistes de lecture : - Les scènes avec André et Sabrina reviennent régulièrement dans la pièce, et les didascalies initiales sont toujours les mêmes (« André et Sabrina, assis dans le canapé, face au public. Le chien, couché à leurs pieds. André mange des Curly. Un temps. »), ce qui souligne la consommation de télévision quotidienne. Le canapé et les curly complètent la satire des coach potatoes. A la fin de la pièce, André a pris la place du chien... - Le titre de la scène (« Brave type ») est un jeu sur le nom de Brad Pitt. De manière satirique, l’auteur dénonce la confusion entre vraie vie (André sur le canapé) et fantasme alimenté par la télévision (Brad Pitt sur le canapé). - La fin de la scène fonctionne comme une chute d’histoire drôle ou de devinette : Quelle est la différence entre André et Brad Pitt ? Il n’y en a pas ! - La pièce est faite d’une succession de scènes parfois très courtes, comme les scènes de pub Coca Cola. « Repub » est la reprise d’une scène de pub précédente où Séverine et Jipé donnaient le choix entre un coca et un cocard : la grenouille qui fait « Coa ! » a droit au cocard et, désormais, fait « Coca ! Coca ! », ce qui est un « net progrès » ! Le jeu de mots simpliste évoque la télévision abêtissante et son matraquage publicitaire infantilisant. - Les Enchaînés est accompagné de la mention « Scènes de marionnettes » et a été créé par la compagnie Flash Marionnettes : peut-on envisager de le jouer sans marionnettes ? Quelques repères pour lire la pièce : www.lacoupole.fr/medias/article/109/pdf/dossier_pedagogique_les_enchaines.pdf 14 Sacré silence Une route dans un désert de silence. Lumpe, marchande de sons, roule devant elle son bidon plein de bruits, à la recherche de clients. Une jeune femme apparaît, une petite boîte de Coca vide à la main. Ce n'est pas vraiment la rencontre que Lumpe espérait faire car cette jeune femme s’appelle Echo... 1 Une route abandonnée dans un désert. Un carrefour, signalé par trois ou quatre réverbères. Lumpe, marchande de sons, apparaît, en roulant son bidon plein de bruits devant elle. LUMPE Soupirs, murmures, frôlements, rumeurs ! Bruissements, froissements, crissements ! Sacré silence ! Clapotis, cliquetis, gargouillis, gazouillis ! Un petit bruit qui court, madame ? Ragots, potins, cancans, ronrons, tous les sons sont dans mon bidon Grognements, borborygmes, onomatopées ! Vlan, brrr, couic, splash, pan pan, y a qu'à demander ! Crac en vrac, toc toc en stock, cui cui gratuits ! Maudit silence ! Un son de cloche pour le monsieur ? Allez, non ? Alors un bruit de couloir, un seul, discret, ni vu ni connu ! une bonne petite langue de vipère, psss psss psss psss, chut ! S'agit pas que ça s'entende, compris ? Motus ! Au diable la loi du silence ! Ouvrez grand vos oreilles ! Faut qu'y ait du grabuge, bande de carpes ! Des craquements, des grondements, du fracas, de la pétarade ! N'ayons pas peur des mots, tonnerre de tonnerre ! Barouf, bazar, boucan, le tout pour... tant ! Chahut, ramdam, tintouin, y en a besoin tsoin tsoin ! Meuh, bêêê, coucou, drelin drelin, hi han, dzim boum, pouf, patapouf, et PATATRAS ! Lumpe tombe. Le bidon se renverse. Sacré silence ! Lumpe se relève. Maudit désert ! Un petit client, un seul, c'est pas trop demander ! Chat sans miaou, clé sans cric crac, fusil qui cherche pan ! Quelqu'un à qui causer, quoi ! — Bonjour ! — Bonjour ! — Ça va ? — Ça va ! — Un brin de causette ? — Un brin de causette ! — Taratata Taratata... — Taratata Taratata... Y en a des choses à dire, dans mon bidon. La bonne bavette, moi j'aime ça ! Sacrée pipelette, même ! Sacré silence ! Pistes de lecture : - La situation de départ – Lumpe est marchande de sons – permet une adresse directe aux spectateurs, à qui Lumpe propose ses sons (« Un petit bruit qui court, madame ? », « Un son de cloche pour le monsieur ? »). - Le personnage de Lumpe, marchande de sons, ouvre aussi de nombreuses possibilités verbales pour l'auteur, qui déploie toutes les nuances de sons - du moins fort (« Soupirs, murmures, frôlements, rumeurs ! ») au plus tonitruant (« Chahut, ramdam, tintouin »), jusqu’au PATATRAS en majuscules, qui coïncide avec la chute de Lumpe. - Les onomatopées sont aussi nombreuses (« Vlan, brrr, couic, splash, pan pan »), et permettent toutes sortes de jeux sonores sur scène. Philippe Dorin joue aussi avec les expressions populaires liées au bruit : « Alors un bruit de couloir, un seul, discret, ni vu ni connu ! une bonne petite langue de vipère... ». L’écriture recourt aussi aux jeux de mots autour du bruit (« toc toc en stock »). - Mais tous ces bruits sont ponctués des imprécations de Lumpe contre le silence (« Sacré silence », qui est aussi le titre de la pièce). Marchande de sons, elle ne semble pas supporter le silence et rêve d’« une bonne 15 bavette » qu’elle imagine déjà (« - Bonjour ! - Bonjour ! - Ça va ? - Ça va ! - Un brin de causette ? - Un brin de causette ! »), sans se douter qu’elle va précisément se heurter à ce même jeu d’échos dès sa rencontre de la scène suivante avec Echo. - Le décor est celui d’un désert peuplé de silence. Lumpe est arrivée à un carrefour : la rencontre peut se produire... Quelques repères pour lire la pièce : www.cndp.fr/crdp-reims/cddp08/espacejeunesse/sacre_silence/sacre_silence.htm 16 Le Monde, point à la ligne : La Petite ne peut plus parler en langage humain, mais la Grande se fait son traducteur pour nous raconter une histoire. Ca débute comme un conte : Autrefois, le monde était bien rangé au fond d'une armoire. Un jour, un petit garçon est entré, en pleurant. Il s'est précipité vers l'armoire pour y prendre un mouchoir et il a mis un tel désordre que le monde s'est renversé. Du monde d'avant, il n’est resté que ce petit mouchoir. Commence alors un voyage initiatique où le petit Léo va découvrir le temps qui se met en marche, le premier sourire, les premiers mots de l’écriture et tous les secrets que pouvait renfermer ce petit mouchoir... 3 La Grande reprend la chanson, tout en enfilant un tablier. LA GRANDE De l'autre côté de la route Qu'est-ce qu'il y a, qu'est-ce qu'il y a ? De l'autre côté de la route Qu'est-ce qu'il y a, un p'tit pois. De l'autre côté de la route Qu'est-ce qu'il voit, qu'est-ce qu'il voit ? De l'autre côté de la route Qu'est-ce qu'il voit, ce p'tit pois ? Il voit un grand pommier Qu'a toujours froid au pied (bis) au refrain II voit un gros marron Qu'a une bosse sur le front (bis) au refrain II voit une p'tite fontaine Qui pleure comme une madeleine (bis) au refrain Elle reprend le récit. Et puis un jour, pendant que le petit chien dormait, un petit garçon est entré brusquement dans la maison de la petite dame. Il pleurait toutes les larmes de son corps. Il s'est précipité vers l'armoire où le monde était bien rangé pour prendre un mouchoir, et toutes les piles de mers, de rivières, de montagnes et de ciel se sont renversées. Et le monde s'est répandu partout. Jusqu'en Chine ! Il y avait même de la terre jusque sous les semelles des chaussures, jusque sous les ongles. Elle ramasse précautionneusement la dernière feuille de papier blanc. Il n'y avait que le petit mouchoir qui était resté tout blanc et qui n'était pas froissé. Le petit garçon le tenait dans sa main, et il n'osait plus bouger. Elle sort une casquette de la poche de son tablier. Elle la pose sur la tête de la Petite. Elle lui glisse la dernière feuille de papier blanc dans la main. Pistes de lecture : - L’écoute du conte est préparée par la comptine, qui rappelle la chanson « Derrière chez moi, savez-vous ce qu’il y a ? » ; les questions éveillent l’attention du public et le décor se plante peu à peu. 17 - La fin de la chanson amène le thème du gros chagrin du petit garçon (comme la fontaine, il « pleure comme une madeleine »), ce qui entraîne la nécessité du mouchoir, ce qui provoque la catastrophe du monde renversé selon une chaîne logique qui rappelle encore les chansons d’enfants. - Au début, la Grande enfile un tablier qui va lui permettre d’endosser le rôle de la petite Dame dans la scène suivante, de même qu’elle pose sur la tête de la Petite la casquette qui la transforme en petit Léo de la scène 4 : le changement de personnage s’opère par des moyens très simples - La ramette de papier de la première scène a été entièrement froissée, mais il reste une feuille qui devient « le petit mouchoir qui était resté tout blanc et qui n'était pas froissé ». Et c’est de ce petit mouchoir, de cette feuille blanche de l’écrivain, que va renaître le monde... Page de la compagnie « Pour ainsi dire » (Sylviane Fortuny et Philippe Dorin) sur la pièce : compagniepourainsidire.org/spectacle/le-monde-point-la-ligne/#prehistoire 18 Dans ma maison de papier, j'ai des poèmes sur le feu. Une petite fille arrive et construit sa maison imaginaire. Elle s’installe et attend. Deux minutes plus tard, quand la lumière s'éteint et se rallume, elle est devenue une vieille dame dans une maison qui lui semble soudainement bien petite et c’est déjà le soir. Un mystérieux promeneur passe et lui annonce qu’elle va bientôt mourir. Comment est-ce possible ? Hier encore elle était une enfant. La preuve, les chaussures qu'elle a toujours aux pieds. Mourir d'accord, mais pas avant d'avoir retrouvé, le temps d’une pensée, la petite fille qu’elle a été, pour lui rapporter ses chaussures d’enfant. Mais la petite fille lui demande de rester plus longtemps et de veiller sur elle pendant la nuit... On entend fredonner le promeneur. La vieille dame : Allume ! La vieille dame et le promeneur face à face. Le promeneur : J'ai vu de la lumière, alors je suis venu. La vieille dame : Qu'est-ce que tu veux ? Le promeneur : Toi, tu vas mourir ! La vieille dame : Quand ? Le promeneur : Quand je le dirai ! La vieille dame : Tu vas le dire quand ? Le promeneur : Maintenant ! La vieille dame : Tu veux pas attendre un petit peu ? Le promeneur : L'heure, c'est l'heure ! La vieille dame : Il y a deux minutes, je n'étais encore qu'une petite fille. Le promeneur : C'est comme ça ! La vieille dame : Regarde, j'ai toujours ses chaussures aux pieds. Le promeneur : Et alors ? La vieille dame : Et alors, tu ne vas quand même pas m'emporter avec les chaussures d'une petite fille aux pieds ? Le promeneur : Qu'est-ce que ça peut faire ? La vieille dame : Tu n'as pas honte ? Laisse-moi au moins les lui rendre ! Le promeneur : Ce sera long ? La vieille dame : Le temps d'une pensée ! Le promeneur : Ce sera loin ? La vieille dame : Juste derrière la porte ! Le promeneur : Alors, dépêche-toi ! La vieille dame : Éteins ! Noir Pistes de lecture : Ce texte est presque une histoire, les scènes se suivent, la lecture est aisée. Le déroulement des scènes, ponctué par « Allume ! », « Éteins ! » au début et à la fin de chaque courte scène, rend compte de l'urgence dans laquelle se retrouve la vieille dame et de la vitalité de la jeune fille. Cela donne aussi du rythme à la pièce. « Tous les enfants sont à l’intérieur d’une vieille personne, mais ils ne le savent pas encore. » Ph. Dorin 19 Sœur, je ne sais pas quoi frère Cinq soeurs de dix à soixante-quinze ans, unies comme les cinq doigts de la mains, sont recluses dans une maison vide, quelque part en Russie. Elles se racontent des histoires. Leur père a déserté la maison. Entre elles, il existe des secrets. Des secrets liés aux hommes dont elles rêvent. Un secret lié à un meurtre qu’elles auraient commis un soir pour se venger d’un mariage non souhaité et qui expliquerait la présence du fusil de Carole. Un secret lié à leur naissance et qui expliquerait la présence de la poupée que la plus jeune porte dans ses bras. 1ERE PARTIE. LA RECONSTITUTION Comme si elles se tenaient debout dans la cuisine, groupées autour d'Elisabeth. CATHERINE : Vas-y ! ELISABETH : D'abord, les hommes étaient tous assis autour de la table. CATHERINE : Et nous ? ELISABETH : Et nous, on les entendait dans la pièce à côté. CATHERINE : Qu'est-ce qu'ils disaient ? ELISABETH: Ils parlaient surtout de Carole. SOPHIE : Et le père ? CAROLE : Et dans les plats, la viande n'y était plus. Un temps. CATHERINE : Et après ? ELISABETH : Après, ils étaient tous debout sur la table. CATHERINE : Et nous ? ELISABETH : Et nous, on avait prudemment fermé la porte à clé. CATHERINE : Qu'est-ce qu'ils faisaient ? ELISABETH : Ils chantaient tous des chansons pour Carole. SOPHIE : Et le père ? CAROLE: Et dans les bouteilles, la vodka n'y était plus. Un temps. CATHERINE : Et enfin ? ELISABETH : Enfin, ils étaient tous couchés sous la table. CATHERINE : Et nous ? ELISABETH : Et nous, la vaisselle ! CATHERINE : Pourquoi ils pouvaient dormir tranquille ? ELISABETH : Le père leur avait donné la main de Carole. SOPHIE : Et Carole ? CAROLE : Et dans le coin, le fusil n'y était plus. Un temps. CATHERINE : Passons dans le bureau ! Elles changent toutes de place. Pistes de lecture : - Le titre de la scène - « reconstitution » - est une clef de lecture : d’une réplique à l’autre se reconstitue une scène du passé des cinq soeurs, celle de la demande en mariage de Carole. Si l’on observe le type de phrases, on constate que seules Elisabeth (la plus âgée) et Carole (concernée par la demande) racontent, alors que les autres (Catherine et Sophie) posent des questions qui font avancer le récit. La Petite, elle, comme dans les autres scènes du début de la pièce, ne participe pas au dialogue. - On procède aussi à une « reconstitution » après un meurtre. Le mystère est lancé : qui est mort ? qui a tué ? La présence du fusil est un indice inquiétant... 20 - Les sœurs, « groupées autour d'Elisabeth », semblent former un groupe soudé représenté par le « nous » collectif. - L’atmosphère russe, signalée par la vodka, et l’évocation des sœurs peuvent faire penser au théâtre de Tchékhov (Les trois Sœurs...). - L’expression du jeu, du faire-semblant (« comme si elles se tenaient debout dans la cuisine ») est intéressante : comment imaginer ces lieux et comment faire « passer dans le bureau » ? Chaque changement de scène est aussi un changement de lieu, ce qui suppose des choix de scénographie. Dossier pédagogique du Théâtre des Bergeries de Noisy-le-sec sur la pièce : www.theatremassalia.com/soeur-je-ne-sais-pas-quoi-frere-dossier-pedagogique-theatre-des-bergeries-noisy-lesec/ Page de la compagnie « Pour ainsi dire » (Sylviane Fortuny et Philippe Dorin) sur la pièce : compagniepourainsidire.org/spectacle/soeur-je-ne-sais-pas-quoi-frere/ 21 Le costume, métamorphose du corps Costume trop petit, étriqué, pantalon trop court... Corps coincé dans la gêne, la pauvreté ou le ridicule... Armand Dranem, « Le vrai Jiu Jitsu » (1905) https://i.ytimg.com/vi/yms4h_Lo4nk/hqdefault.jpg Charlie Chaplin en Charlot http://static.ladepeche.fr/content/media/image/zoom/20 14/12/28/201412280579-full.jpg Ivan Chary, Compagnie du petit Monsieur, 2016 http://www.petitmonsieur.com/images/stories/cliquez.jpg 22 Costume trop grand, pantalon trop vaste, trop long... Corps qui s’épanouit ou qui flotte dans un rêve... Le clown Grock https://s3.amazonaws.com/gs-geo-images/e4362ddf-c07b-4a1a-bbee-428583a336b3.jpg « Pierrot riant », Nadar, 1855 http://www.metmuseum.org/toah/works-of-art/1998.57/ 23 Costume de gros... Corps de caricature... Le Docteur de la Commedia dell’arte https://www.flickr.com/photos/valeriebart/sets/72157622779402551/show/ Edwige Pelissier dans Mademoiselle Espérance, de Gilles Asacaride Costume de Virginie Breger sabinearman.files.wordpress.com/2015/06/dsc_0476.jpg Daumier, « Baissez le rideau, la farce est jouée. » 24 Le Roi se meurt, de Ionesco Théâtre de la Carambole, 2008 – Costumes de Catherine Bihl http://www.catherine-bihl.com/images/realisations/roi%20se%20meurt%207.jpg Costumes à échasses... 25 Corps de géants... Volver, un regard en arrière, de la compagnie Triade nomade – théâtre perché, 2006-2013 http://www.assahira.com/#!Tride%20Nomade%20:%20Volver_Assahira_1/zoom/c1msm/cfg7 http://images.lindependant.fr/images/2011/05/12/les-rythmes-musicaux-et-la-grace-des-acteurs-n-ont-pas_238439_516x343.jpg Costumes à l’envers... 26 Corps surréalistes... We are the Monsters, de Colette Sadler, 2016 http://www.southbankcentre.co.uk/sites/default/files/imagecache/production_main_image/images/15121223_we_are_the_monsters_secindary_web.jpg We are the Monsters Quatre danseurs incarnent un groupe de monstres qui évoluent dans un espace commun constitué de dizaines de cartons. Ces figures monstrueuses prennent forme à partir d’un corps renversé, tordu, déformé et sont habillées avec nos pantalons, nos vestes, nos pulls, nos chaussures. http://www.madeinscotlandshowcase.com/sites/www.madeinscotlandshowcase.com/files/imagecache/show-slide/MiS_Brochure_Gold_Bug_Final_web1.jpg 27 http://www.southbankcentre.co.uk/sites/default/files/imagecache/production_main_image/images/15121223_we_are_the_monsters_web.jpg http://i.embed.ly/1/display/resize?key=1e6a1a1efdb011df84894040444cdc60&url=http%3A%2F%2Fwww.edinburghg uide.com%2Ffiles%2Fimages%2FWe%2520are%2520the%2520Monsters%2520Sadler%2520Stammer%2520Prod.preview.jpg 28 Des costumes faits de sacs plastiques... More more more future, de Faustine Linyekula, Studios Kabako Cie, 2009 - Costumes, Xuly Bët http://azenda.cdn.cahri.net/IMG/jpg/mmmf_c_Agathe-Poupeney-1.jpg ... ou de papier... Übü Király d’Alfred Jarry, mise en scène Alain Timar, 2012 http://mardishongrois.blogspot.fr/2012/09/ubu-kiraly-texte-alfred-jarry-mise-en.html 29