THÉÂTRE Mardi 18 février 2014 Amos Oz, les vagues de l’âme Marie-Pierre Genecand Le désir compliqué d’Albert (Robe de son fils (Caroline Imhof). Et la mer, partout, toujours, qui apaise par son va-et-vient incessant. (Catherine Monney) Le désir compliqué d’Albert (Roberto Molo) pour Dita, la petite amie de son fils (Caroline Imhof). Et la mer, partout, toujours, qui apaise par son va-et-vient incessant. (Catherine Monney). Monney) A Sierre avant une tournée romande, Denis Maillefer adapte «Seule la mer», d’Amos Oz. Une proposition très graphique qui restitue avec tact la poésie mélancolique de l’auteur Et si nous étions tous des oasis esseulées au milieu du désert? C’est avec cette question mélancolique qu’on a quitté la première de Seule la mer, très belle adaptation, graphique, du roman poétique d’Amos Oz par Denis Maillefer. C’était au Théâtre Benno Besson, à Yverdon, jeudi dernier. Dehors, il pleuvait. Dedans, il pleurait. Mais d’un sanglot doux comme le clapotis d’une mer nourricière. Car l’Israélien Amos Oz n’est pas un terroriste. Juste un observateur à la fois bienveillant et lucide de nos âmes solitaires. Le spectacle, une réussite de délicatesse, sera bientôt à Meyrin, à Vidy-Lausanne, puis à Fribourg et à La Chaux-de-Fonds. Dès demain, il est à l’affiche du Théâtre Les Halles, à Sierre. Une mère décédée (Anne Alvaro, filmée et projetée). Un veuf sur le flanc (Roberto Molo). Un fils qui part se chercher au Tibet (Cédric Leproust). Une petite amie chaotique (Caroline Imhof). Un producteur explosé (Joël Maillard). Un amant blingbling (Baptiste Morisod). Une prostituée charitable (Léa Pohlhammer) et une voisine sans âge, ­parfois traversée par le désir (Jacqueline Corpataux)… Autant de personnages aux gestes précis, mesurés, qui, au micro, conversent dans le style direct ou se racontent de manière indirecte. Dans le roman comme sur la scène, ils sont déjà un peu les spectateurs d’eux-mêmes. Mais pas autant que Pierre-Isaïe Duc. De bout en bout, cet acteur attachant et fidèle collaborateur de Denis Maillefer est le narrateur bienveillant de cette communauté qui semble flotter sans jamais pouvoir s’amarrer. Denis Maillefer est un habitué des chroniques sensibles, sentimentales même, où les protagonistes confessent leurs quêtes et leurs failles. Le codirecteur des Halles de Sierre avec Alexandre Doublet, affectionne aussi les visuels clean sans être cliniques, scénographies aux lignes claires où l’image filmée ajoute un supplément de rêve, l’idée une échappée. Ici, dans Seule la mer, le décor de Yangalie Kohlbrenner joue un rôle capital dans la réussite de l’adaptation dramatique. Le principe? Un cadre surélevé, qui place les personnages en hauteur, dans une horizontalité cinématographique. Et qui, à travers des portes coulissées par le narrateur, reflète les tableaux poétiques propres à ce roman d’Amos Oz. Car Seule la mer, paru en 1999 pour les 60 ans de l’auteur, n’est pas un récit classique. L’ouvrage procède par bulles narratives qui dressent le portrait d’une communauté de la classe moyenne chahutée par les turbulences de l’existence. On pense parfois au Musée de ­l’innocence d’Orhan Pamuk pour ce regard tranquille sur ses contemporains. Parfois, le scanner psychologique et sociologique s’émaille d’une observation politique – Amos Oz est un des leaders du mouvement La Paix maintenant –, mais le plus souvent, les options de la vie – partir ou non, aimer ou non, créer ou non – sont les seuls objets du récit. Livre de la maturité, donc, dans le sens où l’auteur, qui se cite lui-même et se coule dans le rôle du narrateur, établit un constat sans hostilité de l’humanité. Il ­décrit les vides du quotidien, mais ne les décrie pas. Il parle, sans le juger, du désir d’un homme d’une soixantaine d’années pour l’amoureuse de son fils qui est, lui, parti au Tibet, recomposer le puzzle de son identité… Il croque aussi avec gourmandise, mais sans méchanceté, le portrait d’un producteur tocard, rescapé d’une enfance agitée. Visuellement, le voyage dans l’Himalaya est traduit sans complexe sur la scène, à travers d’immenses images de sommets enneigés. A l’instar de la mer qui, souvent, submerge la scénographie de son va-et-vient apaisant, ces éléments naturels donnent de l’ampleur aux séquences confinées en appartement. Un relief que procure aussi la voix de Billie Bird, chanteuse lausannoise dont les sonorités graves scandent la narration. Mais, bien sûr, tout le mérite de la réussite revient aux comédiens. Qui parviennent à trouver un ton entre le réalisme des situations et la distance du questionnement permanent. Bien sûr, la présence d’un narrateur contribue aussi à cet effet de suspense mais, dans leur corps souvent perché, comme dans leur regard au lointain, les acteurs installent déjà ce doute sur la réalité des personnages. Clin d’œil tchekhovien à l’auteur israélien, fan de l’écrivain russe. «Des personnages comme des oasis esseulées au milieu du désert», a observé Pierre-Isaïe Duc après avoir lu le roman. On partage son sentiment. Seule la mer, Théâtre Les Halles, Sierre, du 19 fév. au 1er mars. Puis tournée romande sur www.theatre-en-flammes.ch Société Loisirs et culture 18.02.2014, 00:01 - Loisirs et culture Actualisé le 17.02.14, 21:53 Un océan de sentiments THEATRE Jacqueline Corpataux et Pierre-Isaïe Duc, au milieu d'un cadre filmé. C'est le décor original de la pièce présentée à Sierre dès mercredi. C. MONNEY La Cie le Théâtre en Flammes présente "Seule la mer" au Théâtre Les Halles à Sierre. Une création qui mêle jeu scénique et vidéo. "C'est une histoire de vie, simple et émouvante." Le metteur en scène Denis Maillefer définit de cette manière la pièce "Seule la mer", jouée par la compagnie Le Théâtre en Flammes, à Sierre, au Théâtre Les Halles dès mercredi. La pièce est tirée d'un roman d'Amos Oz, auteur israélien qui évoque souvent Tchekhov, ce qui a plu à Denis Maillefer, entre autres choses contenues dans le sujet. "Derrière cette histoire qui peut ressembler à un vaudeville, entre les lignes, il y a des petits gestes, des petites choses... C'est très humaniste, sans pour autant que cela soit gnangnan. Il y a une idée profonde, ce n'est pas une histoire à l'eau de rose. Dans la pièce, il y a beaucoup de désir, d'êtres humains qui se loupent, qui doivent se dépatouiller, en manque de fric, ou dans le deuil..." Drôle de narrateur "Seule la mer" bénéficie en outre d'une scénographie originale, avec des photos animées et des séquences vidéo, qui, souv ent, entourent un rectangle dans lequel les acteurs évoluent sur scène. La pièce est menée par un narrateur (joué par Pierre-Isaïe Duc) qui intervient à côté des personnages, "comme un fantôme, sans qu'ils le voient". Ce protagoniste malicieux intervient pour raconter ou se mêle à l'action, créant des décalages, "un peu comme dans "La Rose pourpre du Caire", de Woody Allen" , raconte Denis Maillefer. Déjà jouée deux fois à Yverdon-les-Bains, la création du Théâtre en Flammes, qui a bénéficié d'une aide importante de Label + Théâtre Romand, semble séduire le public. "C'est une pièce tout à fait abordable. Nous avons monté des choses bien plus pointues." Le public sierrois pourra en juger dès mercredi. "Seule la mer" , les 19, 20, 21, 22, 26, 27, 28 février et 1er mars à 19 h 30 au Théâtre Les Halles à Sierre. Le 19 février, repas offert à la fin du spectacle, et le 26 février, rencontre avec l'équipe à l'issue de la représentation. Réservations: 027 452 02 97 et www.theatreleshalles.ch " Dans cette pièce, il y a une idée profonde. Ce n'est pas une histoire à l'eau de rose." DENIS MAILLEFER METTEUR EN SCENE La pièce jouée au Théâtre Les Halles met aux prises plusieurs personnages, animés par de forts sentiments. A Tel-Aviv. Albert Danon est seul. Sa femme Nadia vient de mourir d'un cancer, et son fils Rico est parti au Tibet. Bettine, une vieille amie, veuve elle aussi, s'inquiète pour Albert. Surtout lorsque Dita, la petite amie de Rico, emménage chez lui. Un certain Doubi Dombrov veut produire le scénario de Dita, mais il veut surtout Dita, qui couche avec Guigui, en pensant à Albert, ou à Rico, qui pense à sa mère, et qui ne veut pas rentrer du Tibet. Le synopsis de "Seule la mer" peut faire d'abord penser à un vaudeville. Pourtant, le propos développé dans la pièce est bien plus profond que ce que l'action semble indiquer. L'histoire es t tirée d'un roman constitué de poèmes qui se suivent: "Le découpage s'est fait naturellement" , explique le metteur en scène Denis Maillefer, qui signe l'adaptation avec Marie-Cécile Ouakil. "Nous avons essayé de rester dans cette littérature, qui est à la fois poétique et toute simple." JJ Par JOEL JENZER J. Dubuis enseignes www.jdubuis.ch Enseignes lumineuses, technique LED Fabrication et pose d'enseignes 56 CULTURE LeMatinDimanche I 16 FÉVRIER 2014 Le metteur en scène romand adapte pour la scène le grand écrivain israélien Denis Maillefer prend la mer avec Amos Oz Denis Maillefer (au centre, en vert) guide ses comédiens dans ce chassé-croisé de récits où se mêlent le proche et le lointain, la mer et la haute montagne, Tel-Aviv et l’Asie. THÉÂTRE Denis Maillefer transpose «Seule la mer», un texte magnifique composé de courts poèmes, et en tire une pièce complexe et subtile, triste et drôle. Mireille Descombes Il est des livres qui capturent, qui littéralement ravissent. On s’y sent tellement chez soi qu’on les déguste en traînant les pieds, de peur d’en perdre une miette, d’avancer trop vite, et de devoir alors s’en séparer. «Seule la mer» du célèbre écrivain israélien Amos Oz fait partie de ces ouvrages à vrai dire plutôt rares. Quand on apprend que Denis Maillefer, codirecteur des Halles à Sierre depuis 2011, s’apprête à porter à la scène ce texte insolite et qui ne ressemble à rien, on éprouve un premier élan de jalousie. Et s’il allait nous le voler, nous l’abîmer, et qu’après plus rien jamais ne soit pareil? Les très beaux moments découverts en répétition nous rassurent: l’homme de théâtre et l’homme de plume se sont rencontrés. Magnifiquement. De cette complicité, beaucoup déduiront que Denis Maillefer est un inconditionnel d’Amos Oz, qu’il se précipite sur ses livres aussitôt publiés et qu’il rêve depuis toujours de travailler sur l’un de ses textes. Eh bien, non! Ce presque quinquagénaire – il est né en 1965 dans le canton de Vaud – a découvert l’écrivain assez récemment, par le biais d’une tierce personne qui, un jour, lui a donné à lire «Seule la mer». «Et ce qui est amusant, se souvient-il, c’est qu’à la première lecture, je n’étais pas particulièrement emballé. Et puis tout d’un coup, ça a fait tilt. C’est un roman magnifique, un récit polyphonique dont la structure se prête particulièrement bien à la scène.» Un livre composé d’une succession de courts ou plus longs poèmes, certains très narratifs, d’autres plus allusifs et lyriques. Narrateur malicieux Avant de monter «Seule la mer», Denis Maillefer n’a pas eu de contact avec Amos Oz. Il s’est engagé à rester fidèle au texte, à ne rien réécrire et a obtenu facilement les droits pour la pièce. «Il nous a fallu bien sûr couper, et ce ne fut pas facile de choisir, car si tout n’est pas nécessaire à la compréhension de l’intrigue, tout est splendide. Pour le reste, nous nous sommes tenus à une adaptation assez classique du texte, en gardant la structure du roman et le rôle du narrateur qui évolue sur scène et mène le récit.» « C’est un roman magnifique, un récit polyphonique dont la structure se prête particulièrement bien à la scène» DENIS MAILLEFER Metteur en scène Omniscient et malicieux, ce narrateur – dans lequel on peut reconnaître l’auteur – propose au spectateur des résumés, comme dans les séries télévisuelles. Il évolue parmi les personnages et peut s’entretenir avec eux. Ces derniers le consultent sur un scénario en cours d’écriture et, à l’inverse, il lui arrive, de façon très drôle, de recevoir de l’un deux un commentaire sur ce qu’il vient d’écrire. C’est lui aussi qui, au tout début de la pièce, et donc du roman, donne le cadre et le contexte de cette histoire de deuil, de solitude, de désir et de création: «Non loin de la mer, rue Amirim/M. Albert Danon vit seul. C’est un amateur/d’olives et de feta./ Un homme affable, conseiller fiscal de son état./ Il y a peu, un matin,/ un cancer de l’ovaire emporta sa femme, Nadia/ Elle laissa des robes, une coiffeuse, des napperons/finement brodés. Leur fils unique, Enrico David,/ est parti crapahuter dans les montagnes, au Tibet.» Pour incarner ce chassé-croisé de récits qui s’entre-tissent entre le proche et le lointain, la mer et la haute montagne, entre Tel-Aviv et l’Asie, Denis Maillefer s’appuie sur une solide distribution. Avec la scénographe Yangalie Kohlbrenner et l’éclairagiste Laurent Junod, il a imaginé, pour accueillir les acteurs, une grande boîte rectangulaire munie de persiennes mobiles. Ecrin pour les personnages, elle fonctionne également comme un écran sur lequel sont projetées de magnifiques images vidéo. Des paysages et bien sûr la mer, la ville ou la façade d’un grand hôtel, mais aussi des visages dont celui de Nadia, la femme et la mère morte, qui n’apparaît dans la pièce que filmée. Les accessoires sont réduits à l’essentiel: une table, quelques chaises, un matelas, une poignée d’objets. Installée au pied de la scène, Billie Bird (alias Elodie Romain) interprète en live la musique et les chansons (sur des textes d’Amos Oz) qu’elle a composées pour l’occasion. Complexe et subtile, cette pièce est à la fois triste et drôle, pleine d’espoir dans la vie, de sensualité, de tolérance Catherine Monney pour les failles humaines. Pour Denis Maillefer, elle participe d’une envie de «prendre le courage ou le trouble d’être vrai», de se situer en rupture avec certaines tendances du théâtre actuel à jouer sur le cynisme, l’ironie et le deuxième degré. Dans «Seule la mer», certaines scènes érotiques peuvent être crues, mais jamais trash. Recherche de la simplicité Cette nouvelle création s’inscrit aussi, et plus directement qu’on ne pourrait le penser, dans le prolongement de ses précédents spectacles, dont «In Love with Federer». «Bien sûr, ce ne sont pas des projets de même nature, mais ils participent d’une même recherche de la simplicité. J’ai toujours aimé l’autofiction, les récits à la première personne, l’intimité, l’idée de la confession», reconnaît-il. Ce ne sont pas les amoureux d’Amos Oz qui le lui reprocheront. x c A voir «Seule la mer», d’après Amos Oz, mise en scène Denis Maillefer avec la compagnie Théâtre en Flammes. A Sierre, Théâtre Les Halles, du 19 au 22 février et du 26 février au 1er mars. Puis en mars à Meyrin (GE), Vidy-Lausanne, Villars-sur-Glâne (FR) et La Chaux-de-Fonds (NE). Toutes les dates sur www.theatre-en-flammes.ch Jean-Quentin Châtelain rejoint l’enfance de Blaise Cendrars SCÈNE Le comédien romand est une fois encore seul en scène, cette fois pour «Bourlinguer» avec Blaise Cendrars. C’est un Hercule aux pieds nus, le visage levé vers le ciel et l’œil clos, qui surgit du noir. Corps immense de sexagénaire ventru, immobile pendant les 80 minutes du spectacle: Jean-Quentin Châtelain impose une présence minérale mais vibrante, comme envahie par les souvenirs, les vrais comme les faux. Alors, lorsqu’ils sortent de sa bouche dans les mots de Blaise Cendrars, on a l’impression qu’ils étaient là contenus, attendant d’enfin pouvoir s’écouler. Le comédien romand est devenu le champion du soliloque depuis Contrôle qualité «Mars», de Fritz Zorn, en 1986, ce récit terrible d’un jeune homme accusant sa famille et la bourgeoisie zurichoise d’avoir provoqué son cancer. Il s’est illustré depuis chez Pessoa, chez Romain Gary, chez Beckett, et rien ne paraît plus naturel que de le voir choisir un épisode de la tétralogie de Blaise Cendrars, «Bourlinguer», écrite entre 1945 et 1949, tant la connivence est immédiate entre l’auteur voyageur, inventeur de sa propre vie, et le comédien à qui s’accroche si aisément l’image de l’ombrageuse solitude aventurière. Le texte, tiré de «Gênes», évoque en réalité des bribes d’enfance napolitaine vers laquelle l’écrivain de La Chaux-de-Fonds revient à l’âge de 20 ans, en 1906, endetté et fourbu. Il découvre un paysage défiguré par les projets immobiliers et se cloître dans le jardin du tombeau de Virgile où, enfant, il a dressé les escargots avec Elena. Il y ressuscite ses premiers émois amoureux et l’imaginaire du petit peuple italien, mais la désillusion guette: «Il ne fait pas bon revenir dans le paradis de son enfance qui est un paradis perdu, le paradis des amours enfantines.» Toxico genevois en manque Jean-Quentin Châtelain impose une présence minérale. Carole Parodi La nostalgie s’accroche aux longues phrases que Jean-Quentin Châtelain déroule presque sans ponctuer, comme des rubans de Möbius. Sa voix reste surprenante, avec l’accent traînant et le timbre nasillard d’un toxico genevois en manque, là où on atten- drait de l’instinct, une autorité rauque – un Jean Gabin. Mais cette incantation monocorde, peu à peu, installe un effet de psalmodie, à mesure que les souvenirs affluent, et c’est presque en chaman que Jean-Quentin Châtelain termine sa traversée, mise en scène avec une sobriété liturgique par Darius Peyamiras. On réalise alors qu’il était parti en transe, et qu’on l’avait suivi, loin, très loin… Jean-Jacques Roth c A voir «Bourlinguer», Théâtre de Poche, Genève, jusqu’au 2 mars, puis au Théâtre de Vidy, Lausanne, du 5 au 23 mars. 58∑THÉÂTRE Les silences de l Le Vaudois Denis Maillefer adapte «Seule la mer», le roman d’ Il fait s’entrecroiser destins et désirs dans une pièce émouv JULIEN BURRI PASSIONS «T ous les fleuves vont à la mer. Et la mer est silence», dit un personnage de la nouvelle pièce de Denis Maillefer, Seule la mer, inspirée du beau roman éponyme de l’Israélien Amos Oz. La mise en scène hightech entrecroise plusieurs niveaux de narration, le chant (assuré par la Lausannoise Billie Bird) et la parole de huit personnages. Parmi eux, citons Albert, qui a perdu sa femme atteinte d’un cancer. Son fils, Rico, parti oublier son deuil au Tibet. Dita, l’amie de son fils, qu’il héberge et dont il tombe amoureux. Les autres prétendants de Dita, Guigui et Dombrov… Ces personnages s’efforcent de vivre, simplement. De vivre, et d’aimer. A la fin, nous savons déjà que ne restera de leurs élans, de leurs espoirs, que la mer. La mer que l’on voit depuis les immeubles de Tel-Aviv. Rien de pessimiste pour autant dans ce spectacle choral ambitieux, mais plutôt une utopie fraternelle pleine de tendresse. Le sel de la vie. Le désir, même suspendu, est très présent entre les lignes d’Amos Oz. La sexualité est un frêle barrage contre la mer. «Comme le sel sur la peau, rêve Denis Maillefer. Le pire, c’est quand il n’y a plus de désir, de désir de sexe ou de tout autre chose. Baiser, c’est survivre, et les personnages sont des survivants, conscients ou non.» La pièce développe sa propre morale. Albert tombe amoureux de sa presque belle-fille, qui se douche nue devant lui? Ni l’auteur ni le metteur en scène ne lui jettent la pierre. «Dita pense qu’on n’appartient qu’à soi, et elle couche avec qui elle veut. Cette philosophie est à l’opposé de ce fantasme si vain de l’amour éternel, de ce symbole affreux de mettre un cadenas sur un pont et de jeter la clé, du théâtre de Feydeau que je n’aime pas, de la guerre des sexes et de l’infidélité classique avec son lot de désespoirs. Il y a dans le roman l’utopie d’un monde où l’on ne possède pas l’autre, et je partage cette idée.» Seule la mer est aussi une vanité. Les vagues sont inéluctables. Chacun essaie de s’en consoler. «Autant profiter un peu de ce qui passe sous nos yeux, dans nos cœurs, contre notre peau. C’est très tchekhovien, un peu désespéré et plein de plaisirs aussi», commente le metteur en scène, qui a d’ailleurs monté La cerisaie, de Tchekhov. Dans sa forme, le spectacle suit cette houle, amenant tantôt un personnage, tantôt un autre, au premier plan. Il faut un moment pour entrer dans cette mer, accompagné par un narrateur prévenant (Pierre-Isaïe Duc) peut-être parfois trop présent. On retrouve le goût de MailL’HEBDO 13 FÉVRIER 2014 A a d’ v Amos Oz, au théâtre. ante et fraternelle. DAVID GAGNEBIN-DE BONS |CATHERINE MONNEY e la mer DENIS MAILLEFER Le codirecteur du Théâtre Les Halles, à Sierre, signe une mise en scène chorale dans un décor qui évoque une baie vitrée ouverte sur la mer. lefer pour ces riens qui font les drames. Le refus de l’ironie glacée, à la mode (et autant des bons sentiments visqueux). C’est un spectacle qui se veut fragile, tout en étant très construit. Si son découpage de voix retarde l’immersion totale du spectateur, il n’étouffe pas son émotion. L’eau pourrait monter aux yeux, mais les larmes s’arrêtent en chemin. Elles viendront, plus le spectacle sera rodé. Cette retenue est la même chez les personnages. «Les mots que nous taisons, de peur d’être touchés», disent-ils. Les silences de la mer disent leur besoin de consolation et le nôtre. Impossibles à rassasier.√ «Seule la mer». Avec Anne Alvaro, Billie Bird, Jacqueline Corpataux, Pierre-Isaïe Duc, Caroline Imhof, Cédric Leproust, Joël Maillard, Roberto Molo, Baptiste Morisod et Léa Pohlhammer. Yverdon, Benno Besson. 13 et 14 février. Sierre, Théâtre des Halles. Du 19 février au 1er mars. Genève, Forum Meyrin. 10 et 11 mars. Lausanne, Théâtre de Vidy. Du 18 au 23 mars. Villars-sur-Glâne, Nuithonie. 27 et 28 mars. 13 FÉVRIER 2014 L’HEBDO