Théorie de la motivation sociale dans les Troubles du Spectre Autistique (TSA): rôle du déficit de motivation sociale dans le jugement social physionomique chez des adolescents autistes de haut niveau Raphaël Delage, Master 2 Recherche en Sciences Cognitives Université Paris Descartes Ecole Normale Supérieure Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales 2014/2015 Superviseur : Coralie Chevallier, Equipe Cognition Sociale, Laboratoire de Neurosciences Cognitives, Inserm U960 1 DECLARATION D’ORIGINALITE : Les recherches expérimentales sur l’autisme illustrent l’influence grandissante des sciences cognitives en psychiatrie. La psychologie évolutionniste postule que certains processus cognitifs, au même titre que des traits physiques, sont expliqués par la théorie de l’évolution. Le fil qui relie les recherches appliquées à l’autisme et les modèles théoriques de la psychologie évolutionniste peut paraitre ténu. C’est pourtant le parti pris de la théorie du déficit de motivation sociale dans l’autisme. La motivation sociale a deux niveaux de description. Au niveau ultime, on la décrit comme la tendance innée qui permet aux organismes vivants de certaines espèces d’augmenter leur fitness en renforçant la coopération inter individuelle, l’altruisme, le mutualisme. Au niveau proximal, elle est caractérisée par la recherche et l’entretien de lien social et d’affiliation. D’après certains travaux théoriques, un déficit de motivation social pourrait être un facteur causal crucial intervenant dans le développement de l’autisme. Dans cette étude, nous formulerons l’hypothèse que le déficit de motivation sociale et l’autisme entrainent des atypicités dans le traitement cognitif des indices physionomiques et dans le jugement social. Dans un premier temps, nous tenterons de justifier la cohérence de ce postulat au regard des théories de la psychologie évolutionniste. Dans un second, nous proposerons un schéma expérimental permettant d’évaluer cette hypothèse. D’après nos recherches bibliographiques, l’originalité de ce travail tient en cette articulation d’une démarche théorique dans le champ de la psychologie évolutionniste permettant de fonder des hypothèses concernant les processus cognitifs propres à l’autisme. Les précédents travaux étudiant les déterminants du jugement et de la catégorisation sociale dans l’autisme ne s’étant pas munies d’un tel arrière-plan théorique ; leurs hypothèses, leur design expérimental, et les modèles cognitifs élaborés étaient alors nécessairement différents. 2 DECLARATION DE CONTRIBUTION Coralie Chevallier, Richard Delorme, Lou Safra, Christina Ioannou, Frédérique Amsellem et moi-même (Raphaël Delage) ont contribué à cette étude. Définition de la question scientifique: Coralie Chevallier, Richard Delorme et Raphaël Delage Méthodologie expérimentale: Coralie Chevallier, Lou Safra et Raphaël Delage Recherches bibliographiques: Coralie Chevallier et Raphaël Delage Programmation expérimentale : Lou Safre, Christina Ioannou et Raphaël Delage Collecte des données : Frédérique Amsellem, Christina Ioannou et Raphaël Delage Analyse des données: Lou Safra et Raphaël Delage Interprétation des résultats: Coralie Chevallier, Lou Safra et Raphaël Delage Rédaction du mémoire: Raphaël Delage Relecture du mémoire, commentaires et conseils: Coralie Chevallier 3 TABLE DES MATIERES DETAILLEE : I-INTRODUCTION 1/ UNE APPROCHE EVOLUTIONNISTE DES CAPACITES D’INTERACTIONS SOCIALES A/ Argumentaire épistémologique de la psychologie évolutionniste B/ Le paradigme évolutionniste : fitness de l’individu, environnement collaboratif, choix du partenaire 2/MOTIVATION SOCIALE : DEFINITION, FONDEMENTS, NIVEAU ULTIME ET PROXIMAL 3/PROCESSUS COGNITIFS DE PHYSIONOMIE SOUS TENDANT LE JUGEMENT SOCIAL A/ Qu’est-ce qu’un jugement social ? B/ Quels sont les fondements cognitifs du jugement social ? C/ Phylogénie et ontogénie des processus inconscients de physionomie 4/PROCESSUS COGNITIFS DE PHYSIONOMIE SOUS TENDANT LE JUGEMENT SOCIAL DANS L’AUTISME II - METHODES 1/ POPULATION DE L’ETUDE 2/ TACHE EXPERIMENTALE 3/ MESURE DE LA MOTIVATION SOCIALE 4/MESURE DU QUOTIENT INTELLECTUEL 5/ VERIFICATION DE LA COHERENCE DES DONNEES EXPERIMENTALES 4 6/ PRETRAITEMENT DES DONNEES EXPERIMENTALES 7/ ANALYSES STATISTIQUES III - RESULTATS IV- DISCUSSION 1-SYNTHESE ET INTERPRETATION DES RESULTATS 2- MESURE T’ON VRAIMENT LA MOTIVATION SOCIALE? 3-INFLATION METHODOLOGIQUE DU POIDS DES INDICES PHYSIONOMIQUES DANS LA FORMATION DU JUGEMENT SOCIAL 4-QU’APPELLE T’ON AUTISME ? 5-AUTRES BIAIS METHODOLOGIQUES A/ Age des participants B/ Comorbidité du Trouble du Déficit Attentionnel et Hyperactivité (TDAH) et prise de traitement psychostimulant C/ Validité de l’échelle d’anhédonie sociale pour la population recrutée 6-PLACE DU PARADIGME EVOLUTIONNISTE DANS NOTRE DEMARCHE SCIENTIFIQUE 7-CONCLUSION 5 I -INTRODUCTION : 1/ UNE APPROCHE EVOLUTIONNISTE DES CAPACITES D’INTERACTIONS SOCIALE A/ Argumentaire épistémologique de la psychologie évolutionniste La psychologie évolutionniste fournit un cadre théorique à l’étude de l’esprit, des cognitions et des comportements humains. Plus une orientation ou un paradigme scientifique qu’une discipline aux objets et au cadre expérimental institués, elle influence et se nourrit des conceptualisations théoriques et études expérimentales issues de plusieurs champs disciplinaires attenant aux sciences cognitives : la psychologie cognitive, l’éthologie, la biologie théorique, l’anthropologie, la sociologie, la philosophie de l’esprit, l’économie (Rose & Lucas, 2001). L’axiome de cette réflexion est la généralisation de la théorie moderne de l’évolution aux traits psychologiques, processus cognitifs et comportements humains. Elle impose la réduction scientifique des manifestations de l’esprit ainsi caractérisés par des déterminants et mécanismes causaux. Elle respecte ainsi l’hypothèse darwinienne permettant de rentre inutile le recours à toute téléologie. Pour clarifier par la suite les postulats de la psychologie évolutionniste, il convient tout d’abord de s’en remémorer l’argumentaire et d’en justifier les contraintes épistémologiques. La théorie de l’évolution, comprise dans son influence sur l’apparition et la sélection de traits physiques, postule une explication causaliste et mécanistique. Un trait phénotypique ne se 6 maintient pas « dans le but », ou « afin » de fournir un certain avantage à un individu, à un membre ou à une espèce donné. La compréhension des chaines causales conduisant à cet évènement privent la téléologie de sa vertu de recours indispensable. De manière probabiliste et indéterminée, sous l’influence de mutations génétiques stochastiques, des traits phénotypiques émergeants peuvent fournir un avantage à un être vivant dans un environnement donné. Cet avantage augmente la durée de vie de cet être vivant, favorise ses chances de reproduction et de transmission verticale de son génotype contenant le code du trait phénotypique avantageux. Les êtres vivants dépourvus de ce trait phénotypique, dépourvus d’avantage compétitif, n’augmentent pas leur durée de vie et n’augmentent pas leurs chances de reproduction et de transmission de leur patrimoine (Barkow, Cosmides, & Tooby, 1995). Avec le temps, le trait phénotypique avantageux se diffuse par verticalité et se maintient. Ainsi en est-il du pelage blanc des ours polaires et de la station verticale des premiers hominidés. L’avantage pour lequel un trait phénotypique a été sélectionné acquiert dans notre langage courant une portée finaliste. On dira ainsi volontiers que le pelage blanc de l’ours polaire existe car il le camoufle. Pour être logique et exact, il conviendrait plutôt d’affirmer que la robe blanche d’un ours polaire a permis dans un environnement ancestral de lui donner un avantage compétitif dans la recherche de nourriture. En vertu de cet avantage, ce caractère phénotypique a pu se maintenir (Gayon & De Ricqlès, 2010). Si cette nuance a une portée limitée quand elle concerne un trait physique, elle est importante quand elle concerne un trait mental, ou un processus cognitif. La psychologie évolutionniste est fréquemment critiquée sur ce manque de clarté et le finalisme qu’elle induit (Confer et al, 2010). Nous développerons par la suite une étude des capacités cognitives de physionomie. Nous tenterons d’évaluer qu’elle peut être son rôle dans le jugement social que portent les 7 neurotypiques et les autistes lors de la rencontre d’un tiers. Ignorer la nuance entre finalité et fonction aurait pour conséquence d’entretenir l’ambiguïté à propos d’une adéquation réelle entre traits physionomiques et traits mentaux. B/ Le paradigme évolutionniste : fitness de l’individu, environnement collaboratif, choix du partenaire Si la théorie darwinienne de l’évolution avait pour clef de voûte la compétition pour les ressources afin de maximiser la probabilité de transmission de ses gênes, les théories évolutionnistes modernes font de la collaboration inter-organismes une valeur sélective. Le mutualisme, compris comme la coopération entre organismes vivants pour le partage des bénéfices, est une tendance comportementale des organismes contredisant en apparence la compétition au sens darwinien (Lehmann & Keller, 2006). Cependant, il convient comme le suggère Dawkins de considérer le niveau de la compétition génétique et non inter-organismes. La finalité n’est pas la transmission du patrimoine génétique d’un organisme mais la transmission du patrimoine génétique identique, distribué au sein de plusieurs organismes. Ainsi, à l’échelle de l’organisme, un comportement altruiste ou collaboratif à première vue paradoxal, permet l’augmentation de la probabilité de transmission de copies de gènes identiques portés par un apparenté (Dawkins, 2006). La tendance à la coopération mutualiste entre individus a une forte valeur sélective globale, c’est-à-dire qu’elle favorise la transmission des gènes propres à l’individu mais aussi ceux des apparentés. Nous ne reviendrons pas sur les théories explicatives du mutualisme et accepterons la pertinence de cette hypothèse chez l’homme. Nous nous concentrerons sur deux de ses conséquences particulièrement intéressantes pour notre propos. 8 Tout d’abord, la coopération comme pivot de l’évolution implique une tendance innée à la socialité et à la motivation sociale, ce sur quoi nous reviendrons dans le prochain paragraphe. Deuxièmement, la coopération expose à un degré d’incertitude sur les intentions et le comportement altruiste ou égoïste d’autrui. Elle implique une certaine régulation des interactions humaines en vertu d’une prévision des comportements coopératifs ou non d’un tiers (Kaplan, Hooper, & Gurven, 2009). Cette régulation pourrait être l’œuvre de certains processus cognitifs impliqués dans le choix du partenaire, entendu dans son acception large et non au sens d’un choix entièrement délibératif, réflexif et métacognitif (Baumard & Sheskin, 2015). 2/MOTIVATION SOCIALE : DEFINITION, FONDEMENTS, NIVEAU ULTIME ET PROXIMAL La coopération dans l’espèce humaine comprise au sens naturaliste d’un moyen de renforcer la fitness d’un organisme implique qu’une tendance comportementale héréditaire favorise la rencontre entre individus. Dans la littérature contemporaine, cette disposition est entendue par le concept de motivation sociale à son niveau évolutionnaire ultime. Diverses hypothèses théoriques et faits empiriques contribuent à donner à ce concept général des origines génétiques, des mécanismes neurobiologiques et une expression comportementale propres à lui conférer un niveau d’explication proximal (Chevallier, Kohls, Troiani, Brodkin, & Schultz, 2012). Au niveau comportemental, on observe en effet chez l’homme une recherche du lien social, une préférence pour les objets sociaux aux objets non sociaux, des efforts pour maintenir et renforcer le lien social et un plaisir social récompensant cette recherche. Plusieurs données empiriques issues de recherches en psychologie sociale confirment ces observations écologiques : les visages et parties du corps humains attirent plus rapidement l’attention que les 9 autres objets, ont un seuil de perception plus bas (George, Driver, & Dolan, 2001). Les yeux exercent une attraction pour la perception visuelle particulièrement nette, en particulier pour les jeunes enfants. Au cours d’expériences sociales comme dans le jeu du dictateur, les participants s’engagent spontanément dans des stratégies collaboratives contraires à leur bénéfices directs et en rapportent une expérience plaisante (Cason & Mui, 1998). Les mises à l’épreuve expérimentale d’expériences d’exclusion sociale entrainent déplaisir et stratégies comportementales de ré-affiliation (imitations comportementales des autres participants, attitudes pro-sociales, flatterie, adoption d’opinions similaires) (Williams & Jarvis, 2006). 3/PROCESSUS COGNITIFS DE PHYSIONOMIE SOUS TENDANT LE JUGEMENT SOCIAL Dans cette étude, nous allons nous intéresser à l’existence chez l’homme de processus cognitifs inconscients dont la fonction serait de diminuer l’incertitude de la rencontre avec un tiers humain et d’adapter le comportement d’un individu. Plus particulièrement, nous étudierons les processus de physionomie sous tendant le jugement social. A/ Qu’est-ce qu’un jugement social ? Du point de vue de la philosophie de l’esprit, le sujet de l’ontologie du jugement porte à controverse. Cette dernière oppose les tenants d’un représentationisme du jugement, visant à défendre une réduction légitime du jugement comme représentation mentale entrant dans la chaine causale des processus mentaux, et les partisans d’un holisme de l’esprit qui considèrent 10 qu’un jugement ne peut être réduit à un état mental et qu’il ne peut être étudié qu’au sein d’une contextualité signifiante (Dretske, 2004). Notre étude ne se donnant pas pour objectif de soutenir l’une de ces thèses, nous n’aurons qu’à admettre que des processus cognitifs puissent influer sur le jugement social, et parmi ceux-ci nous nous proposons d’étudier certains processus cognitifs inconscients. De nombreuses études en psychologie sociale ont pu confirmer que le jugement social était un processus cognitif sous-tendu à la fois par des sous-processus cognitifs inconscients et conscients. Il va en effet de soi que le jugement social possède des aspects conscients, réflexifs, déclaratifs, et métacognitifs. Ainsi le langage, l’analyse, le raisonnement entre autres ont un rôle dans la coopération humaine, dans le traitement de l’information sociale liée à la rencontre avec un tiers, dans la fabrication d’un jugement social, et dans sa communication. Nous croyons intéressante l’hypothèse que, parallèlement et dans une interaction complexe qu’il reste à modéliser et expliquer, des processus implicites plus spécialisés puissent remplir également cette fonction. B/ Quels sont les fondements cognitifs du jugement social ? Plusieurs processus cognitifs sociaux implicites ont déjà été théorisés et font l’objet de recherches expérimentales. Parmi ceux-ci, on évoquera bien évidemment les capacités cognitives dites de théorie de l’esprit (ou de lecture mentale, terme anglophone : « mindreading ») qui permettent la prévision des croyances, des intentions et des désirs d’un autre individu et qui se développent au cours de l’ontogénèse (Frith & Happé, 1994). Cette hypothèse fait notamment l’objet d’une recherche nombreuse et fructueuse dans le champ des troubles autistiques. Conjointement, d’autres processus inconscients ont été étudiés. Citons 11 l’hypothèse de l’existence d’une biologie naïve et d’une sociologie naïve (Hirschfeld, 2001), capacités cognitives implicites de compréhension du fonctionnement du monde biologique et sociologique. Cette dénomination étend à d’autres champs de connaissances le concept de psychologie naïve, habilité que permettraient les capacités de théorie de l’esprit. Enfin, de nombreux travaux ont montré l’existence de processus impliqués dans la reconnaissance des visages et dans la compréhension des émotions véhiculées par ces visages. Des études d’IRM fonctionnelle, de MEG et d’EEG ont permis d’en identifier les corrélats neuraux (amygdale et gyrus fusiforme) (Guyer et al., 2008). Nous ferons pour notre part l’hypothèse d’une physionomie naïve sous tendue par des capacités cognitives implicites de compréhension des traits physiques de visages même dénués d’expressions émotionnelles franches. Ces processus pourraient être expliqués par la théorie de l’évolution. C/ Phylogénie et ontogénie des processus inconscients de physionomie Pour justifier de son origine évolutionniste, un mécanisme psychologique doit avoir possédé une fonction chez les hominidés vivant à l’époque du Pléistocène, alors groupés en tribus grégaires de chasseurs cueilleurs. Les contraintes environnementales ayant contribué à la sélection du mécanisme doivent donc être celles interagissant avec le cerveau et la psychologie humaine de cette époque paléolithique. On parlera de contraintes environnementales ancestrales (Barkow et al., 1995). A cette époque, langage et écriture sont des moyens de médiation de l’information moins développés qu’à notre époque contemporaine, les institutions et assignations sociales moins complexes. Pour prévoir le comportement d’un tiers, les possibilités de coopération et les potentialités d’approche sociale, il est probable que le cerveau humain doive alors traiter une information comportementale à la portée signifiante plus rudimentaire : 12 l’information physionomique. Des capacités cognitives remplissant cette fonction, au potentiel hautement adaptatif, ont ainsi pu émerger dans ces conditions. Les réseaux anatomofonctionnels les sous tendant ont pu être conservés et transmis à l’homme contemporain en raison de l’avantage évolutif qu’ils confèrent. Il n’est pas ici question de poursuivre les objectifs de la pseudoscience de physionomie qui essayait malencontreusement de démontrer une corrélation réelle entre critères physiques et traits psychologiques d’un individu (Hartley, 2005). Largement infirmée par diverses études scientifiques, cette croyance en une physionomie pourrait cependant elle-même être la conséquence de la physionomie naïve que nous cherchons à étudier. Il en va de même des préjugés sur un individu inconnu après une très brève exposition ou rencontre. Poursuivant ce but, Oosterov et Todorov ont identifié deux dimensions orthogonales de confiance et de dominance (basées sur des variations sélectives de traits physiques) universellement reconnues par les évaluateurs et suffisantes pour décrire l’évaluation de visages émotionnellement neutres. En construisant un modèle de visages de synthèse exprimant avec une intensité variée des traits jugés respectivement soumis ou dominants et dignes de confiance ou indignes de confiance, ils ont démontré que plusieurs jugements sociaux et émotions (comme la sympathie ou la peur) pouvaient être reproduits comme une fonction de ces deux variables (Oosterhof & Todorov, 2008). Sans préjuger de l’existence réelle de « traits physionomique de la dominance et de la confiance », ce travail confirme l’existence de traits physionomiques inspirant universellement les mêmes jugements sociaux. Cela constitue un argument pour l’existence de capacités cognitives physionomiques issues de l’évolution. 13 Figure 1. Exemples de morphes modélisés par Oosterhov et Todorov. A gauche, le visage présente un faible indice de confiance (-3) et un fort indice de dominance (+3). A droite, le visage présente un fort indice de confiance (+3) et un fort indice de dominance (+2). Lou Safra et Coralie Chevallier, membres de l’équipe de recherche, ont montré que les jugements sociaux pouvaient être reproduits comme une fonction de ces deux dimensions modulée par la motivation sociale de l’individu évaluateur. Ainsi en est-il du jugement de sympathie. Quand les individus à forte motivation sociale sont autant sensibles aux dimensions de dominance et de confiance, les individus à faible motivation sociale prennent significativement moins en compte la dimension de confiance. 14 4/PROCESSUS COGNITIFS DE PHYSIONOMIE SOUS TENDANT LE JUGEMENT SOCIAL DANS L’AUTISME. Le paradigme évolutionniste et l’étude des processus inconscients de physionomie naïve pourraient contribuer à améliorer la compréhension des atypicités du fonctionnement cognitif des troubles du spectre autistique (TSA). En effet, un déficit en motivation sociale pourrait être une des causes intervenant dans le développement de l’autisme et du déficit de théorie de l’esprit (Chevallier et al., 2012). Les personnes autistes montrent des difficultés significatives à la recherche, au maintien du lien et au plaisir social. Le déficit dans l’acquisition de la théorie de l’esprit pourrait être la conséquence d’anomalies précoces de l’exposition sociale liées à une motivation sociale défaillante. Il semble en effet que des déficits d’orientation sociale puissent être mesurés à un âge très précoce du développement (6 mois), c’est-à-dire à un âge du développement où aucun déficit de lecture mentale n’a pu être démontré (Elsabbagh, Mercure, et al., 2012). De plus, diverses atypicités cognitives dans le traitement cognitif des informations faciales ont été mises en exergue par des précédents travaux. Les autistes montrent des difficultés à la compréhension des émotions (peur, colère, joie) véhiculées par les visages (Braverman, Fein, Lucci, & Waterhouse, 1989). La connectivité des réseaux amygdaliens et fusiformes, impliqués dans la lecture faciale, est moindre lors de l’exposition à des visages (Schultz et al., 2003) (Schultz, 2005). Les participants autistes portent une attention moindre aux régions oculaires des visages et davantage à des régions atypiques. D’autres études affirment que les autistes ne montrent aucune différence de catégorisation sociale, d’usage des stéréotypes sociaux (White, Hill, Winston, & Frith, 2006). Dans une étude menée avec des ressources méthodologiques 15 proches des nôtres, les autistes montrent une différence dans la reconnaissance de la sympathie lorsque les stimuli utilisés sont des morphes mais pas des visages photographiés (Forgeot d’Arc et al., 2014). D’autres résultats suggèrent que le autistes portent un jugement différent sur des visages lorsqu’on leur demande s’ils sont dignes de confiance (Adolphs, Sears, & Piven, 2001). Ces résultats parfois contradictoires posent des problèmes d’interprétation irrésolus à ce jour et ne s’intègrent pas dans une perspective neuro-développementale (Happé & Frith, 2014) et de prise en compte de la motivation sociale. L’hypothèse gouvernant notre étude est que le déficit de motivation sociale pourrait au cours du développement modifier les processus inconscients de physionomie naïve dans l’autisme. Considérant ces perspectives théoriques et les résultats des précédents travaux : -La perception, le traitement des indices physionomiques de « dominance » et de « confiance », le jugement de « confiance » et de « dominance » pourraient être modifiés dans l’autisme et lorsqu’il existe un déficit de motivation sociale -Il devrait exister un déficit significatif de motivation sociale dans la population autiste. -Comme dans la population neurotypique adulte, le déficit de motivation sociale devrait majorer l’impact de la dimension de dominance et diminuer l’impact de la dimension de confiance dans la formation du jugement de sympathie. 16 II – MATERIELS ET METHODES : 1/ Population de l’étude : L’objectif du protocole expérimental est l’étude et la comparaison du fonctionnement des processus cognitifs de physionomie à l’adolescence chez des individus aux phénotypes autistique et neurotypique. Nous avons donc constitués deux groupes de participants aux caractéristiques distinctes : « Adolescents TSA + » et « Adolescents TSA - ». Le groupe « Adolescents TSA + » a été constitué par des adolescents de 12 à 17 ayant reçu le diagnostic d’autisme. Les diagnostics retenus étaient les suivants : syndrome autistique selon les critères du DSM-IV (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), (American Psychiatric Association, 2000) syndrome d’Asperger selon le DSM-IV, syndrome autistique selon le DSM-V (APA, 2013). La concordance de ces diagnostics avec les résultats aux échelles ADI ® (Autism Diagnostic Interview) et ADOS ® (Autism Diagnostic Observation Schedule) était nécessaire lorsque ces tests aveint été effectués. Leur passation n’était pas un pré-requis absolu car cela aurait eu pour conséquence de limiter largement les effectifs. En raison des contraintes de faisabilité de l’expérience, un QI > 70 était un critère nécessaire à l’inclusion. Pour recruter ces participants, nous avons mis à profit une collaboration entamée l’année passée entre l’équipe Cognition Sociale du Laboratoire de Neurosciences Cognitives (LNC) et le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’Hôpital Robert Debré. Au sein des 17 différentes unités fonctionnelles du service, nous avons plus particulièrement bénéficié de la collaboration de l’unité de recherche clinique. L’ensemble de ces adolescents est actuellement suivi dans le service ou l’a été par le passé. Ce suivi a pu être réalisé en consultation ambulatoire ou lors d’une hospitalisation. Il a consisté en une prise en charge psychiatrique, psychothérapeutique individuelle ou groupale, éducative, de rééducation orthophonique ou psychomotrice. Pour certains, la prise en charge a pu associer plusieurs espaces thérapeutiques. Parfois, le relai a été transmis à une autre structure (Centre Médico-Pédagogique, autre service hospitalo-universitaire) ou à des professionnels de santé libéraux. La qualité de l’alliance thérapeutique entre les patients, leurs familles et le service a grandement favorisé leur participation à notre protocole. Le répertoire des participants aux activités de recherche biomédicale actuelles ou passées de l’unité a ainsi été porté à notre disposition. L’état civil des participants, le diagnostic psychiatrique retenu, et les coordonnées des parents y figurant ont permis une première préinclusion et la prise de contact. Ces informations ont été complétées par la recherche des diagnostics retenus pour les participants. Les dossiers médicaux, les comptes rendus d’hospitalisation, les échelles d’évaluation (ADOS et ADI) ont été utilisées. Les QI ont été également consignés. Cette première évaluation a permis la pré-inclusion de 40 participants potentiels, soumise à l’avis des membres de l’unité de recherche clinique. Les familles de 3 participants n’ont pas été contacté à leur demande pour des raisons diverses (familles trop sollicités, état conflictuel des relations entre la famille et le service, etc.). 37 familles ont été contactées par téléphone. 21 participants, dont les parents avaient donné leur consentement à la participation et répondant 18 aux critères d’inclusion, ont finalement été inclus. 3 ont été exclus en raison de de diagnostics manquants ou erronés Le groupe « adolescents TSA - » a été constitué par des adolescents de 12 à 17 ans n’ayant jamais reçu le diagnostic d’autisme. Comme pour les participants inclus dans le premier groupe, un QI > 70 était requis pour l’inclusion. Pour recruter ces participants, nous avons contacté plusieurs établissements de la région Ile de France par différents moyens : contact direct avec l’administration, contact avec des enseignants de notre entourage, contact avec des enseignants d’établissement ou étaient scolarisé des élèves de notre entourage. Nous avons finalement mis en place une collaboration avec le Lycée et Collège Public Rabelais, situé à Meudon (Hauts de Seine), seul établissement dont la direction a donné son accord à notre présence. Des demandes d’autorisation parentale ont été distribuées à la moitié des classes de la sixième à la première. Parmi les élèves ayant rendu ces autorisations, nous avons sélectionné de manière aléatoire un panel d’élèves répondant grossièrement aux exigences d’appariement sur l’âge et le sexe et dont le calendrier scolaire permettait la passation des tâches. 22 participants contrôle ont finalement été inclus. Pour l’ensemble des participants, des critères d’exclusion susceptibles de favoriser des biais méthodologiques ont été fixés. 19 Les troubles psychiatriques aigus ou chroniques, les affections chromosomiques, métaboliques, neurologiques, susceptibles de biaiser l’attribution des résultats aux phénotypes neurotypique ou autistique ont été systématiquement recherchés. Pour les participants du groupe « adolescents TSA + », ces antécédents ont été recherchés dans les dossiers médicaux, comptes rendus d’hospitalisation et de consultation et dans les échelles de dépistage utilisés par l’équipe de recherche. En particulier, il était prévu d’exclure les participants présentant un diagnostic clinique d’ « épisode dépressif majeur » ou de diagnostic de dépression retrouvé à l’aide de l’échelle pédiatrique MDI-C (Test MDI-C- ECPA). En effet, les participants déprimés présentent des troubles de l’éprouvé global du plaisir susceptibles de biaiser l’évaluation de la motivation sociale. Pour les participants du groupe « adolescents TSA - », ces antécédents ont été recherchés auprès des parents, des enseignants et du médecin scolaire. De plus, ma qualification de psychiatre a été mise à profit par un recueil des impressions cliniques subjectives à l’issue de la passation des tests. Cette évaluation psychiatrique toutefois sommaire, aurait pu être idéalement complétée d’un entretien clinique, d’un entretien semi-structuré ou de la passation d’échelles de dépistage. Des contraintes de temps et l’absence d’autorisation de la pratique médicale en milieu scolaire ont entravé cette exigence de rigueur. Aucun participant présentant de telles comorbidités n’a été exclu. 20 Participants groupe TSA + Participants groupe TSA INCLUSION Age chronologique (ans) 12-17 Niveau de fonctionnement > 70 12-17 > 70 intellectuel (score QI) Diagnostic Autisme Pas d’autisme Troubles du Spectre Autistique Syndrome d’Asperger EXCLUSION Antécédents Psychiatriques Antécédents Médicaux Schizophrénie précoce Schizophrénie précoce Traumatisme crânien Traumatisme crânien sévère sévère Phénylcétonurie, Sclérose Phénylcétonurie, Sclérose Tubéreuse de Bourneville, Tubéreuse de Bourneville, Trisomie 21 Trisomie 21 Syndrome de l’X Fragile Syndrome de l’X Fragile Syndrome de Turner Syndrome de Turner Autres pathologies Autres pathologies chromosomiques chromosomiques Affections actuelles psychiatriques Episode Dépressif Majeur Trouble Anxieux Episode Dépressif Majeur Trouble Anxieux Généralisé Généralisé Tableau 1. Critères d’inclusion et d’exclusion des groupes TSA + et TSA- 21 2/ Tâche expérimentale Dans la continuité du travail de Lou Safra, la tâche expérimentale a été élaborée avec l’aide d’une batterie de visages de synthèses (ou morphes) issus du modèle en 2D d’évaluation des visages par Osterhoof et Todorov. Ce modèle repose sur la variation sélective de traits physiques du visage suivant deux dimensions orthogonales qualifiées de dominance et de confiance. Ces dimensions ont été identifiées à l’aide d’analyses en composant principal des jugements émis sur des visages émotionnellement neutres. Elles sont suffisantes pour la description d’un visage. Puis à l’aide d’une évaluation statistique des données expérimentales, les dimensions physiques de confiance et de dominance sur les visages ont été modélisées. Trente morphes ont été sélectionnés parmi l’ensemble, avec une dispersion homogène dans les deux dimensions. A chaque dimension, respectivement de dominance et de confiance, est assignée une valence comprise entre -3 et +3. A titre d’exemple, le visage « +3,-3 » exprimera une très forte dominance et une très faible confiance. 22 Figure 2. Distribution des morphes dans les deux dimensions orthogonales de dominance et de confiance. Pour les besoins de l’étude, les valences assignées aux visages ont été ramenées à un intervalle [-3, +3] L’expérience est réalisée dans un lieu calme, bureau ou espace ouvert calme protégé par des auvents, où seuls sont présents l’expérimentateur et le participant. Elle nécessite un moniteur portable avec écran et clavier comme interface avec le participant. La tâche expérimentale a été programmée à l’aide du logiciel E-PRIME ®. Elle est constituée de trois sous-tâches distinctes proposées dans un ordre aléatoire. Chaque sous-tâche utilise des stimuli identiques, à savoir les trente morphes sélectionnés. Les sous-tâches sont structurées 23 d’une manière similaire. Chaque visage est exposé sur l’écran au participant pendant 2 secondes. Après chaque exposition d’un visage, il est demandé au participant de remplir une échelle visuelle analogique chiffrée de 1 à 9. Cette notation permettre de quantifier le jugement porté par l’expérimentateur sur le morphe. Le jugement étudié diffère suivant la sous tâche : il est respectivement demandé au participant d’évaluer le degré de dominance, de confiance et de sympathie. Les questions posées sont les suivantes : « A quel point trouvez-vous ce visage dominant ? », « A quel point trouvez-vous ce visage digne de confiance ? », « A quel point trouvez-vous ce visage sympathique ? ». L’échelle visuelle analogique est composée des neuf chiffres disposés horizontalement sur l’interface. Le participant doit cliquer sur le chiffre correspondant à son choix. Le curseur est placé initialement sur le chiffre 5 pour ne pas biaiser l’évaluation. Il est demandé au participant de distribuer la notation sur l’ensemble des valeurs entre 1 et 9 dans la mesure de ses choix. Aucune contrainte de temps n’est prévue pour l’évaluation du jugement. 24 Figure 3. Interface proposée au participant. Après une fixation d’une seconde, un visagestimulus apparait à l’écran pendant deux secondes puis disparaît. Lorsque l’interface de réponse apparait, le participant clique à l’aide du pointeur numérique sur le chiffre correspondant à sa réponse. 3/ Mesure de la motivation sociale L’échelle d’anhédonie sociale pour enfants et adolescents (Social Anhedonia Scale) est une échelle validée et largement utilisée (Kazdin, 1989). Originellement anglo-saxonne, elle est traduite et validée pour un usage en langue française (Perot et al., 1999). Elle consiste en un hétéro-questionnaire soumis au participant par l’expérimentateur. Les 39 items, spécialement adaptées à l’enfance et à l’adolescence, explorent une variété de plaisirs sociaux, sensoriels, physiques, ludiques, de réputation et d’estime de soi. A chaque situation imaginaire soumise au jugement du participant, celui doit choisir l’appréciation la plus adaptée : « Plaisant », 25 « Plaisant », « Pas plaisant ni déplaisant ». Ils permettent de recueillir un score d’Anhédonie Physique, d’Anhédonie Sociale, et d’Anhédonie Autre. Nous utiliserons dans le protocole le score d’Anhédonie Sociale et l’assimilerons à la mesure de la motivation sociale (se reporter au chapitre « Discussion » pour la justification de cette démarche). 4/ Mesure du Quotient Intellectuel Les participants du groupe « TSA + » ayant réalisé des tests de QI au cours de précédents protocoles, leurs résultats ont été extraits de la banque de données fournie par le service (échelle WISC IV® - Wechsler Intelligence Scale for Children). Les participants du groupe « TSA - » ont passé quatre modules de l’échelle WISC IV : matrices de Raven, épreuve des symboles, épreuve des similitudes, épreuve des séquences lettres et chiffres. A partir des scores à ces épreuves, l’équivalent du QI total a été calculé d’après une formule validée pour en donner une évaluation satisfaisante (Grégoire, 2006). 5/ Vérification de la cohérence des données expérimentales Deux participants ont été exclus en raison d’un problème technique pendant la réalisation de la tâche. Aucun participant ayant fourni des données incohérentes au regard de plusieurs critères fixés en amont n’a dû être exclu : -aucun participants n’a été exclu pour avoir répondu trop rapidement (200 ms) afin d’éviter des durées perceptives trop basses pour avoir permis un traitement cognitif ou trop élevées et ayant fait appel à des processus cognitifs autre que les premières impressions. -aucun participant n’a été exclu en raison d’un taux de réponse insuffisant. 26 -aucun participant n’a été exclu en raison d’une distribution insuffisante de la variance des réponses, qui implique des réponses stéréotypées à l’excès. -aucun participant n’a été exclu pour des réponses témoignant de leur incompréhension des consignes risquant de biaiser les résultats (aucune réponse au-dessus ou en dessous de la note moyenne 5, utilisation exclusive de la note minimale 1 et de la note maximale 9). 6/ Prétraitement des données expérimentales Les données utilisées pour le traitement statistique sont les suivantes : -« indices de physionomie » de confiance et de dominance = valence a priori des dimensions de confiance et de dominance assignés aux visages modélisés (entiers relatifs compris entre -3 et +3) -«jugement de sympathie », «jugement de confiance » et « jugement de dominance » par quantification expérimentale (entiers entre 1 et 9) -« anhédonie sociale » : somme des items du questionnaire de Kazdin relatifs à l’anhédonie sociale -« autisme » : variable binaire de 1 (diagnostic d’autisme) et 0 (pas de diagnostic d’autisme) On parlera d’indices physionomiques positifs de confiance ou de dominance pour des indices qui favorisent le jugement de confiance et de dominance et d’indices physionomiques négatifs de confiance ou de dominance pour des indices qui favorisent le jugement de défiance et de soumission. 27 D’une importance plus secondaire, l’« anhédonie physique », l’« anhédonie autre », et l’« anhédonie totale (somme des trois scores) ont été calculés selon le même procédé. L’ensemble de ces données a été traité par transformations affines et redistribué entre -1 et 1 pour favoriser la comparabilité et l’analyse statistique. 7/ Analyses statistiques La réalisation d’un appariement permettra l’augmentation de la puissance de notre étude et d’éviter l’attribution des différences entre les deux groupes à des biais de composition des groupe. Avant toute analyse 16 sujets témoins parmi les 22 inclus ont été choisis pour être appariés sur l’âge, le sexe et le QI aux 16 sujets autistes inclus. La significativité statistique de cet appariement a été mis à l’épreuve du test t de Student. Un test T de Student a ensuite été réalisé pour mesurer la différence de motivation sociale entre les groupes. Des régressions linéaires simples ont été utilisées pour mesurer l’impact global de la motivation sociale sur l’évaluation des trois jugements sociaux testés (dominance, confiance et sympathie). La significativité statistique était mise à l’épreuve de tests t de Student. Le même test a été utilisé pour mesurer l’impact du phénotype autistique sur ces trois jugements sociaux. 28 Des régressions linéaires simples ont été utilisées pour étudier la sensibilité aux indices physionomiques de dominance dans la formation du jugement social de dominance, et la sensibilité aux indices physionomiques de confiance dans la formation du jugement social de confiance. Ensuite, un modèle mixte de régression linéaire multiple a été utilisé pour mesurer les interactions fines entre motivation sociale, indices physionomiques de dominance et de confiance et jugement social de sympathie. Il a été utilisé également pour étudier les interactions entre autisme, indices physionomiques de dominance et de confiance et jugement social de sympathie. Dans ce modèle, le jugement social est implémenté de la manière suivante : Sympathie : b0 +βC*Confiance(indices) +bD*Dominance(indices) +bAS.*Anhédonie Sociale +bC.D*Confiance(indices)*Dominance(indices) +bC.AS*Confiance(indices)*Anhédonie Sociale +bD.AS*Dominance(indices)*Motivation Sociale +bC.D.AS*Confiance(indices)*Dominance(indices)*Anhédonie Sociale +π+ε et 29 Sympathie : b0 +bC*Confiance(indices) +bD*Dominance(indices) +bA*Autisme +bC.D*Confiance(indices)*Dominance(indices) +bC.A*Confiance(indices)*Autisme +bD.A*Dominance(indices)*Autisme +bC.D.A*Confiance(indices)*Dominance(indices)*Autisme +π+ε Avec b0 l’ordonnée à l’origine, bX le coefficient associé à chaque facteur de régression choisi, π l’ordonnée à l’origine aléatoire spécifique à chaque sujet et ε l’erreur résiduelle. Le jugement social de sympathie est dans ce modèle modulé par les indices physionomique de dominance et de confiance, par la motivation sociale et par les interactions réciproques de ces facteurs. Enfin, un modèle mixte équivalent de régression linéaire multiple a été utilisé pour mesure les interactions fines entre motivation sociale, jugement social de dominance, jugement social de confiance et jugement social de sympathie. III - RESULTATS : L’appariement réalisé a permis de constituer deux groupes comparables. Ainsi, les deux groupes ne montrent pas de différence significative sur le sexe (dans les deux groupes, 17 sujets dont 82,3% de garçons (n=13) et 17,7 % de filles (n=4)). Cette asymétrie de genre correspond 30 globalement au ratio masculin de 4:1 de l’autisme retrouvé dans les études épidémiologiques. On ne trouve ni différence d’âge (âge moyen TSA+ : 14.41, TSA- : 13.76, p= 0.29) ni différence de QI entre les deux groupes (TSA+ : 105.12, TSA- : 105.71, p= 0.92). Groupe TSA + Groupe TSA - Recrutement Hôpital Robert Debré Collège et Lycée Rabelais Effectif total N==17 N=17 Effectif masculin N=13 (82,3%) N=13 (82,3%) Age minimum et maximum [12,3-17] [12,2-16,6] Age moyen 14.41 13.76 QI moyen 105.1 105.7 Tableau 2. Caractéristiques des participants inclus dans l’étude Les résultats concernant la différence de motivation sociale répliquent en partie ceux des précédentes études. On mesure un score d’anhédonie sociale plus élevé dans le groupe TSA+ (36.11) que dans le groupe TSA- (31.35) de manière significative (p= 0.01). Cette différence n’est pas retrouvée en terme d’anhédonie physique (TSA+ : 14.29 contre TSA- : 12.76, p=0.01) mais nous mesurons également une légère diminution d’anhédonie autre (non physique, non sociale) (TSA+ : 22, TSA- : 17, p=0.04). Il est probable que cette différence soit expliquée par l’hétérogénéité caractérisant la catégorie des plaisirs « autres ». En effet, on y retrouve autant des plaisirs ludiques ne relevant pas des plaisirs physiques ou sociaux (« Un samedi soir, tu restes éveillé en regardant la télévision aussi longtemps que tu le souhaites », « Ton chien a réussi à apprendre le nouveau tour que tu essayes depuis longtemps de lui enseigner ») que des 31 plaisirs liés à l’éprouvé d’une fierté, d’une réussite, et d’une bonne estime de soi (« c’est la dernière minute du match de football et tu marques un but », « tu gagnes le premier prix à un concours organisé dans ton école »). Cette dernière gamme de plaisir s’apparente au plaisir social puisqu’elle implique la réussite aux yeux d’un tiers. Le score globale d’anhédonie est plus élevé chez les adolescents autistes (TSA+ : 72.41, TSA- : 63.12, p=0.01). Figure 4. Différence des scores d’anhédonie entre les groupes TSA+ et TSA-. Les résultats significatifs sont surmontés d’une *. L’anhédonie sociale n’a pas d’influence simple significative sur le jugement social. En effet, les analyses en régression linéaire simple ne montrent pas d’interaction simple avec le jugement subjectif de sympathie (bAS=-0.01 +/-0.01), t(32) = -0.71, p= 0.48. On ne retrouve pas non plus d’effet sur le jugement subjectif de dominance (bAS=10^-5), t(32)= 0.01, p=0.99 ou sur le jugement subjectif de confiance (bAS=-0.01 +/- 0.01), t(32)=-0.68, p=0.50. 32 L’autisme diminue la propension des sujets à juger un visage dominant (bA=-0.15+/-0.07), t(32)= -2.04, p=0.04. A contrario, aucun effet significatif n’est retrouvé sur le jugement de sympathie (bA=-0.08 +/- 0.05), t(32)= -1.59, p=0.12 ou sur le jugement de confiance (bA=-0.06 +/-0.052), t(32)= -1.29, p=0.21. Si l’anhédonie sociale et l’autisme n’ont pas d’effet simple systématique sur les jugements sociaux, ils ont un effet sur la variance de l’évaluation de ces jugements. Une diminution de la variance autour du score moyen montre une diminution de la prise en compte des indices extrêmes, une augmentation montre une meilleure prise en compte des indices extrêmes. On peut ainsi affirmer que nos analyses permettent de mesurer la sensibilité aux indices de confiance et de dominance pour former respectivement, le jugement de confiance et de dominance. Conformément au modèle développé par Oosterhoof et Todorov, plus les indices physionomiques de dominance seront élevés (c’est-à-dire plus les traits saillants de dominance seront accentués), plus le visage sera jugé par les individus comme dominant. Le même principe est observé pour la confiance. Ces résultats confirment la pertinence du modèle développé par ces deux auteurs pour former des visages de synthèse inspirant universellement ces jugements sociaux (Oosterhof & Todorov, 2008). On observe que le phénotype autistique conduit les individus à être moins sensibles aux indices de dominance (-0.09 +/- 0.01), t(202)= -5.47, p=0.01, mais pas aux indices de confiance (- 0.023+/-0.01), t(202)= -1.48, p=0.14. Concernant l’anhédonie sociale, on observe que celle-ci diminue légèrement la sensibilité aux indices de confiance (-0.01+/-0.01), t(202)=-4.17, p=0.01 comme de dominance (-0.01 +/- 0.01), t(202)= -4.33, p=0.01. 33 Les analyses par régression linéaire multivariée mettent en évidence que les indices physionomiques positifs de confiance du visage ont une interaction positive avec le jugement de sympathie attribué au même visage (bC=0.54+/-0.026), t(980)= 20.77, p=0.01 alors que les indices positifs de dominance influent négativement sur le jugement de sympathie (bD=-0.14 +/-0.03), t(980)= -5.76, p=0.01. Ces résultats répliquent ceux des précédents travaux d’Osterhoof et Todorov et de Safra et Chevallier. On observe de manière significative une double interaction négative entre anhédonie sociale et indices physionomie de confiance d’une part et jugement de sympathie de l’autre (bAS.C-0.01+/0.01), t(980)=- 4.15, p=0.01. On ne retrouve pas d’interaction entre anhédonie sociale, indices de dominance et jugement de sympathie. Or on sait que les indices positifs de confiance favorisent le jugement positif de sympathie. Cela signifie donc que lorsque l’anhédonie sociale est forte, les indices physionomiques de confiance sont moins pris en compte dans la formation du jugement de sympathie que lorsque l’anhédonie sociale est faible. Les indices de dominance sont alors proportionnellement favorisés. Une nouvelle fois, ces résultats répliquent ceux des études précédentes. De la même manière, on retrouve une double interaction positive entre phénotype autistique et dominance et sympathie (bA.D = 0.171+/-0.035), t(980)= 4.81, p=0.01 sans interaction significative entre autisme, confiance et sympathie. De cela suit que les indices de dominance sont moins pris en compte par les patients autistes, qui favorisent proportionnellement plus les indices de confiance. 34 IV- DISCUSSION : Tout d’abord, nous proposerons une synthèse des résultats de notre étude et un modèle des processus cognitifs intervenant dans la formation du jugement social. Il conviendra ensuite de mettre ces résultats en perspective. Cela se traduira dans un premier temps par une réflexion critique sur la réduction méthodologique de la réalité de l’autisme et de la motivation sociale. En filigrane s’imposera alors la nécessité d’élaborer un paradigme méthodologique idéal neuro-développemental et dynamique de l’autisme. D’autres biais méthodologiques et insuffisances de l’étude seront ensuite explicités. Enfin, nous tenterons de mettre en évidence la place du cadre épistémologique de la psychologie évolutionniste dans notre démarche. 1-SYNTHESE ET INTERPRETATION DES RESULTATS Rappelons que notre étude se donne l’ambition d’émettre des hypothèses sur les processus cognitifs sous tendant la formation du jugement social de sympathie. Elle étudie plus particulièrement les opérations de physionomie naïve y contribuant et stipule l’hypothèse de différences dans ses opérations suivant le phénotype autistique ou neurotypique des participants et leur niveau de motivation sociale. L’hypothèse que ces variables puissent influencer le jugement social est d’une part héritée de résultats expérimentaux montrant des différences dans l’évaluation sociale chez des individus autistes (Adolphs et al., 2001) et de différences dans l’évaluation sociale en fonction du niveau de motivation sociale des individus. Elle s’inscrit d’autre part dans la continuité de la théorie du déficit de motivation sociale dans l’autisme. 35 Nous schématiserons le jugement social des participants à notre étude comme un processus cognitif à trois étapes : 1/ perception des indices physionomiques sur le visage-stimulus 2/traitement cognitif des indices physionomiques 3/jugement de sympathie formé à partir des indices physionomiques A chaque étape, nous étudierons l’influence de la motivation sociale et de l’autisme. Avant tout, il convient de noter que de manière identique aux études déjà menées, les autistes possèdent d’après nos résultats un déficit de motivation sociale. L’observation réitérée de cette corrélation ne permet pas toutefois d’affirmer la causalité du déficit de motivation sociale dans le développement de l’autisme, ce à quoi nous reviendrons dans le prochain paragraphe. A l’étape de la perception des indices, la motivation sociale et l’autisme ont des effets différents. Ces effets sont étudiés grâce à la comparaison des valences objectives de dominance et de confiance et de l’évaluation subjective de ces dimensions d’après le modèle expérimental d’Oosterhoof et de l’évaluation subjective de ces dimensions par les participants. Bien que l’on n’observe pas de de différence significative systématique entre valences objectives et évaluation subjective, on met en évidence une diminution significative de la variance des scores de dominance et de confiance chez les individus autistes ou à faible motivation sociale. Cela montre que les indices extrêmes de dominance et de confiance ne sont pas pris en compte par ces participants ou dans d’autres termes qu’il existe chez ces individus un lissage dans l’évaluation de la dominance ou de la confiance. On peut ainsi en conclure à une baisse de sensibilité aux indices physionomiques. 36 D’après nos résultats, le déficit de motivation sociale entraîne une baisse de la sensibilité des individus aux indices physionomiques de confiance et de dominance. L’autisme entraine une baisse de sensibilité aux indices de dominance mais pas aux indices de confiance. Concernant le traitement cognitif des indices physionomiques au cours du jugement social de sympathie, les effets de l’autisme et de la motivation sociale varient également. Ces effets sont déduits des interactions entre facteurs indépendants d’un modèle d’évaluation de la sympathie analysé en régression linéaire multiple. Le jugement de sympathie y est exprimé en fonction des indices de dominance/confiance et de l’anhédonie sociale ou de l’autisme. On met alors en évidence que le déficit de motivation sociale diminue l’impact des indices de confiance dans le jugement de sympathie et que l’autisme diminue l’impact des indices de dominance. Logiquement, le poids de la dimension non affectée croit proportionnellement. La troisième étape de notre modèle est l’occasion de nouvelles interactions. Le déficit de motivation sociale ne modifie pas la sympathie évaluée par les participants à partir d’indices physionomiques identiques. Les jugements subjectifs de confiance et de dominance ne sont pas affectés non plus. L’autisme n’a pas d’effet sur le jugement de sympathie. A contrario, il a un impact négatif sur le jugement de dominance mais ne modifie pas le jugement de confiance. Nous pouvons accepter provisoirement les conclusions suivantes avant d’en discuter certains aspects dans les paragraphes suivants. Premièrement, les traits physionomiques des visages influencent les jugements sociaux portés par un individu sur un tiers. Le jugement de sympathie est l’un de ceux-ci. D’après le modèle 37 d’Oosterov et Todorov, deux dimensions physionomiques sont majoritairement prises en compte et se modulent mutuellement: la dominance et la confiance. Deuxièmement, l’influence des indices de dominance et de confiance dans la formation du jugement de sympathie est modulée par deux facteurs. Le déficit de motivation sociale diminue le poids des indices de confiance et majore par défaut le poids des indices de dominance. L’autisme diminue le poids des indices de dominance et majore par défaut le poids des indices de confiance. Troisièmement, on retrouve un déficit de motivation sociale dans l’autisme. Ce déficit de motivation sociale n’est pas isolé puisque d’autres domaines de l’éprouvé hédonique semblent également atteints d’après nos résultats. Quatrièmement, au vu des effets divergents de la motivation sociale et de l’autisme, la théorie du déficit de motivation sociale dans l’autisme n’explique pas à elle seule l’altération du jugement social. Il pourrait cependant être un facteur parmi d’autres expliquant cette altération. 2- MESURE T’ON VRAIMENT LA MOTIVATION SOCIALE? L’échelle d’anhédonie sociale pour les enfants est un instrument clinique et de recherche permettant de quantifier le déficit hédonique dans trois secteurs : le plaisir physique, le plaisir social et le plaisir autre. Durant nos développements, nous avons assimilé anhédonie sociale et motivation sociale sans en discuter la pertinence. 38 La motivation sociale, dans l’acception qu’en retiennent les théoriciens de son déficit dans l’autisme, est caractérisée par un ensemble de dispositions cognitives et de mécanismes biologiques orientant les individus vers la recherche et le maintien de lien sociaux. Elle est considérée comme un facteur causal du développement de processus cognitifs sociaux au cours du développement précoce (Chevallier et al., 2012). D’après ces auteurs, elle est sous forte influence génotypique bien que son degré d’héritabilité n’ait jamais été mesuré. Cela est probablement expliqué par le fait que sa définition comme ses contours restent vagues. La motivation sociale est en effet un concept plus qu’un phénotype mesurable et quantifiable. Pour approximer sa quantification, il est nécessaire de faire appel à des dimensions phénotypiques plus précises et identifiables, comme le plaisir social. D’un point de vue sémantique ou logique, ces notions ne sont pourtant pas identiques. Selon le CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales), la motivation psychologique est « l’ensemble des facteurs dynamiques qui orientent l'action d'un individu vers un but donné, qui déterminent sa conduite et provoquent chez lui un comportement donné ou modifient le schéma de son comportement présent ». Le plaisir est quant à lui « l‘état affectif agréable, durable, que procure la satisfaction d'un besoin, d'un désir ou l'accomplissement d'une activité gratifiante ». Le plaisir est ainsi un état affectif n’impliquant pas nécessairement une capacité ou une disposition à l’action contrairement à la motivation. Le plaisir social pourrait être, parmi d’autres, un facteur de motivation aux interactions sociales. La motivation sociale pourrait développer un besoin, source de plaisir lorsqu’il est satisfait. D’un point de vue neurobiologique, on sait cependant que la dopamine est un neuromédiateur utilisé à la fois dans les circuits neuronaux de la motivation et du plaisir, principalement dans les aires dopaminergiques méso-limbiques et cortico-frontales (Love, 2014). 39 Du point de vue de la clinique neurologique et psychiatrique, les notions sont connexes mais pas identiques. Les symptômes conatifs d’aboulie, de manque d’envie et d’initiative d’une part et les symptômes hédoniques comme le manque de plaisir ou le déplaisir sont souvent affectés par les mêmes affections, que ce soit la dépression, la schizophrénie dans sa forme déficitaire, ou le syndrome parkinsonien mais ne le sont pas nécessairement conjointement ou de manière synchrone (Guelfi, & Rouillon, 2012). Bien que le plaisir soit vécu subjectivement comme un levier de l’action, il existe de nombreux cas ou le manque de plaisir n’entraîne pas nécessairement de manque de motivation. La motivation puise alors ses ressources dans d’autres registres, celui du devoir ou de l’obligation par exemple. Rien ne permet d’affirmer que les corrélats neurobiologiques et cognitifs de cette gamme d’actions humaines soient identiques à ceux du plaisir social. On pourra arguer que ces considérations subjectives, empiriques et cliniques relatives à la motivation s’éloignent du concept scientifique de motivation sociale. Mais elles sont utiles, faute de pouvoir identifier précisément ce que dénomme celui-ci : facteur causal impliqué dans le développement de l’autisme dont il resterait à préciser l’ontologie cognitive et neurobiologique ou simple vocable issu de la psychologie naïve ? Il n’existe ni connaissance fine des corrélats neurobiologiques de la motivation sociale, ni outil d’évaluation phénotypique validé. Faute de cela, nous devons recourir à une réduction ontologique et méthodologique de la motivation sociale au plaisir social engendrant une certaine approximation. Cette réduction est fréquente lorsque la complexité logique, linguistique et pratique d’une notion dépasse la capacité de corrélation avec un état cérébral. Elle est source de débats épistémologiques au sein comme au dehors des institutions 40 scientifiques et philosophiques des sciences cognitives. Il nous semble que cette réduction doit être assumée car elle permet l’accumulation de connaissances scientifiques. Bien que n’ayant pas un niveau de preuve évident et pouvant être parfois de bon droit taxées de spéculatives, ces connaissances scientifiques peuvent déboucher sur l’élaboration future d’hypothèses fructueuses. Elles permettent également la complémentarité inter disciplinaire propre aux sciences cognitives car la rencontre de notions psychologiques, biologiques ou cognitives se fait souvent au prix de telles réductions. Il convient toutefois d’expliciter clairement le recours à de telles réductions pour éviter les équivoques et favoriser le dialogue scientifique critique avec les sciences pratiques et les autres disciplines voisines des sciences cognitives. Dans le champ des troubles autistiques qui nous occupe, les hypothèses cognitives causales concurrentes et complémentaires du déficit de motivation sociale et du déficit de théorie de l’esprit ont toutes deux des interactions avec le plaisir social. Ainsi, quand bien même le déficit de théorie de l’esprit serait lié à d’autres facteurs causaux que le déficit de motivation sociale, il peut avoir pour conséquence une baisse du plaisir social. Faire l’expérience quotidienne d’un handicap dans la compréhension des états mentaux d’autrui peut entrainer sans doute un déplaisir social lié aux conséquences gênantes, douloureuses et aversives ressenties et vécues. De cela découle que la quantification d’une anhédonie sociale chez les autistes est plus une vérification statistique d’une évidence clinique qu’une preuve de la théorie de la motivation sociale. La méthodologie employée dans notre étude est insuffisante pour étudier l’autisme comme un processus neuro-développemental dynamique. Elle fige l’expression de la motivation sociale d’un individu à l’expression phénotypique du plaisir social à un âge avancé de son développement. D’après la théorie de la motivation sociale, celle-ci est davantage une tendance 41 orientant le développement cognitif précoce. Son déficit dans l’autisme pourrait à la fois être un des facteurs causaux du déficit de théorie de l’esprit et modifier la formation de jugements sociaux par la modulation de l’intégration cognitive des indices physionomiques. D’importantes difficultés conceptuelles liées à ce concept se posent dans son étude scientifique. Dans l’analyse des corrélations statiques comme dans les inférences et modélisations qu’on tire de celles-ci, il conviendrait donc de faire preuve de prudence dans l’emploi du vocabulaire et de préférer le terme « anhédonie sociale » à celui de « déficit de motivation sociale ». Cependant, conserver l’usage du terme « motivation sociale » permet d’expliciter le lien entre niveau évolutionnaire ultime et niveau proximal de notre projet de recherche. 3-INFLATION METHODOLOGIQUE DU POIDS DES INDICES PHYSIONOMIQUES DANS LA FORMATION DU JUGEMENT SOCIAL Notre protocole a pour but de tester l’influence, en population autiste et neurotypique, du traitement cognitif des indices physionomiques. A ces fins, nous avons choisi de présenter des stimuli constitués par des morphes issus d’un précédent travail. Ce choix permet de minimiser les autres facteurs impliqués dans la formation du jugement social. En effet, le visage est artificiel, inanimé, aucun trait de personnalité n’est mis en avant, la situation de rencontre entre l’évaluateur et le stimulus est neutre de tout antécédent, de tout contexte historique et narratif. L’évaluation est brève, ce qui amoindrit le recours à l’imaginaire des participants. Une méthodologie plus écologique ou le choix de photos comme stimuli aurait probablement conduit à fortement diminuer ou à faire disparaitre le poids statistique des indices physionomiques. Par exemple, la différence de jugement de sympathie entre autistes et neurotypiques retrouvée lorsqu’ils évaluent un visage de synthèse disparait lorsqu’ils regardent 42 une photographie (Forgeot d’Arc et al., 2014). Cet artifice méthodologique nécessaire ne doit pas conduire à sous-estimer l’influence de facteurs essentiels au jugement social, dans des registres métacognitifs, déclaratifs ou conscients. 4-QU’APPELLE T’ON AUTISME ? Dans notre étude, les participants inclus dans le groupe « Troubles du Spectre Autistique » sont en réalité atteint d’une forme d’autisme spécifique, l’autisme de haut niveau ou syndrome d’Asperger. Les personnes atteintes de ce diagnostic possèdent des troubles des interactions sociales et de la communication mais ont un niveau intellectuel préservé (« Orphanet: Syndrome d’Asperger »). Le terme « haut niveau » est ambigu car il pourrait laisser croire à un niveau intellectuel supérieur à celui de la population globale alors qu’il est relatif à celui des autistes déficitaires sur le plan intellectuel. Cela se vérifie dans notre étude puisqu’il n’existe pas de différence significative de QI entre les deux bras de population. Les autistes de haut niveau ont une prévalence d’1/2000 alors que l’autisme concerne soixante-deux personnes sur dix mille (Elsabbagh, Divan, et al., 2012). La catégorisation nosologique de l’autisme de haut niveau comme partie du continuum des troubles du spectre autistique ou diagnostic indépendant n’est pas tranché et donne lieu à des désaccords. Ces désaccords sont autant liés à la détermination ou non d’étiologies génoenvironnementales communes qu’aux conséquences idéologiques, pratiques et sociales nombreuses liées à la nosologie qui en font un fait social complexe dépassant souvent les enjeux scientifiques. Au-delà des progrès dans l’origine causale et l’expression cognitive de ces troubles, les effets de recherches en sciences cognitives sur la prise en charge psychosociale et médicale des personnes atteintes d’autisme, sur leur intégration dans le corps social sont fréquemment sujets 43 à controverse. Ils mériteraient une analyse détaillée à part entière qui ne pourra faire partie de notre étude. Comme pour la majeure partie des recherches en sciences cognitives, les autistes présentant un retard mental sont exclus en raison de l’impossibilité à effectuer les tâches requises qui nécessitent un niveau intellectuel minimal. En effet, notre protocole présente pour prérequis la compréhension de consignes à sémantique relativement complexe et une praxie gestuelle fine. Il semble ainsi nécessaire d’indiquer en vue d’éviter des généralisations potentiellement abusives et pour prévenir les controverses évoquées que la population inclue dans notre étude est représentative de l’autisme de haut niveau et non de l’autisme en général. L’inclusion de participants autistes avec retard mental nécessiterait des innovations méthodologiques importantes. 5-AUTRES BIAIS METHODOLOGIQUES A- Age des participants : La population de notre étude se restreint à une population adolescente et pré-adolescente (12 à 17 ans). Ce fait s’explique autant par des réalités d’organisation et de collaboration entre unités de recherche que par des choix méthodologiques. En effet, un accord de collaboration unit depuis cette année l’équipe de cognition sociale du Laboratoire de Neurosciences Cognitives et l’unité de recherche clinique du service de Pédopsychiatrie de l’hôpital Robert Debré. Cette collaboration s’inscrit dans le cadre d’un accord global délivré par le Comité de Protection des Personnes aux activités de recherche clinique du service. 44 Cette organisation permet des facilités de recrutement évidentes. Les coordonnées des sujets et de leur famille, précédemment inclus dans d’autres protocoles ont été mises à notre disposition. Les diagnostics des patients sont posés par les psychiatres du service et complétés par la passation d’échelles diagnostiques telles que l’ADI ou l’ADOS réalisées par les neuropsychologues travaillant au sein de l’unité de recherche. Les participants et leurs familles sont déjà sensibilisés à l’importance de la recherche biomédicale et aux contraintes que cela peut leur imposer. Ces contraintes sont acceptables à leurs yeux en raison de la confiance qu’ils accordent aux équipes soignantes du service. Nous avons pu mesurer tout au long de la réalisation de notre projet combien cette confiance a facilité la prise de contact et favorisé leur participation. L’aide que nous a apporté le service a permis la réalisation de notre étude et l’inclusion d’un nombre de sujets relativement important dans un temps restreint au vu des contraintes méthodologique lourdes liées aux projets de recherche biomédicale. Il n’existe pas à ce jour de telle collaboration avec un service de psychiatrie adulte qui permettrait l’inclusion de patients autistes adultes. Les tentatives passées de collaboration avec des associations de personnes autistes ou de familles ne présentaient pas les mêmes avantages logistiques et de communication que lors de la collaboration avec un service. Le choix de ne pas inclure des enfants de moins de 12 ans était lié à la contrainte de développer des outils adaptés à cet âge. Ces raisons expliquent l’âge des participants. Au vu des différences cognitives de l’adolescence par rapport à l’âge adulte, il convient d’être prudent quant à une hypothétique généralisation des résultats. En effet, bien que peu d’études de cognition sociale n’aient été menées à ce sujet, on peut faire l’hypothèse que l’évaluation de la dominance, de la sympathie et de la dignité de confiance ne sera pas la même à l’adolescence qu’à l’âge adulte. En effet, la recherche d’appartenance à un groupe de congénères du même âge comme la défiance de l’autorité sont connus par les cliniciens de 45 l’adolescence (Marcelli, Braconnier, & Gicquel, 2013). D’autres spécificités dans les interactions sociales des adolescents sont également sensibles. Toutefois, rien n’indique que ces différences soient liées à une évaluation physionomique des visages modifiée par rapport à l’âge adulte. B- Comorbidité du Trouble du Déficit Attentionnel et Hyperactivité (TDAH) et prise de traitement psychostimulant Parmi le groupe « TSA », 3 participants ont reçu le diagnostic de TDAH et reçoivent pour cette raison un traitement par méthylphénidate. L’impact d’un tel diagnostic et d’un tel traitement sur la cognition sociale est mal connu. Ce diagnostic est fréquemment co-morbide des troubles autistiques et il présente des similitudes symptomatiques. Quelques biais potentiels (impulsivité excessive) ont été exclus par notre protocole (exclusion des réponses trop rapides pour présager d’un traitement cognitif satisfaisant). Les troubles de l’attention n’ont cependant pas été recherché de manière synchrone à la passation des tâches (le diagnostic ayant été porté rétrospectivement dans le groupe TSA et n’ayant pas été recherché dans le groupe contrôle) et pourraient représenter un biais dans la perception des indices physionomiques. C- Validité de l’échelle d’anhédonie sociale pour la population recrutée A notre connaissance, il n’existe aucune échelle validée de mesure de la motivation sociale ou de l’anhédonie sociale pour l’adolescence. L’échelle d’anhédonie sociale utilisée a été validée en langue anglaise pour des enfants âgés de 6 à 13 ans et sa traduction en langue française pour des enfants de 6 à 12 ans. D’autres échelles ont été validées pour l’âge adulte. D’après notre évaluation empirique, la rédaction de l’échelle utilisée était plus appropriée pour des 46 participants de 12 à 17 ans que les échelles utilisées à l’âge adulte. Quelques plaisirs étaient cependant très enfantins (« ta mère reste à côté de toi avant que tu t’endormes »). Les participants étaient prévenus et il leur était demandé de répondre malgré cela la réponse qui leur paraissait la plus juste. 6-PLACE DU PARADIGME EVOLUTIONNISTE DANS NOTRE DEMARCHE SCIENTIFIQUE Nous avons fait le choix d’expliciter les fondements de nos hypothèses sur la formation du jugement social physionomique dans l’autisme et d’en dégager les limites, relevant de la spéculation et de la réduction ontologique et méthodologique. Nous croyons que c’est à cette condition que les résultats retrouvés par notre protocole de recherche pourront avoir un intérêt scientifique. Ces fondements sont largement issus de la psychologie évolutionniste. En effet selon celle-ci, les comportements humains comprennent deux niveaux d’analyse complémentaires : le niveau évolutionnaire ultime et le niveau proximal. C’est en vertu de l’avantage conféré par un comportement donné dont les causes explicatives et les mécanismes s’étudient au niveau proximal que celui-ci a pu être stabilisé et transmis au cours des générations successives, conservé dans l’espèce humaine. Cette complémentarité permet l’analyse de la motivation sociale, ensemble de dispositions cognitives et de mécanismes biologiques orientant les individus vers la recherche et le maintien de lien sociaux. 47 En effet au niveau évolutionnaire, la motivation sociale est un moyen de renforcer la fitness d’un organisme, la tendance comportementale héréditaire favorisant la rencontre entre individus. Or la tendance à la coopération mutualiste entre individus a une forte valeur sélective globale, c’est-à-dire qu’elle favorise la transmission des gènes propres à l’individu mais aussi ceux des apparentés. Cette réflexion évolutionniste nous a conduits à suivre l’hypothèse que le jugement social de sympathie porté sur un individu pouvait avoir pour origine causale le traitement cognitif des indices physionomiques présents sur un visage. Elle nous a également engagés à faire l’hypothèse que le déficit de motivation sociale, mesuré au niveau du phénotype des individus, puisse être un facteur causal dans la formation du jugement social de sympathie en modulant les indices physionomiques traités (indices de dominance et de confiance). Enfin, cette réflexion évolutionniste a permis à des auteurs de dégager l’hypothèse du déficit de motivation social dans l’autisme. Nous avons voulu étudier et comparer dans notre travail les effets du déficit de motivation social et de l’autisme dans la formation du jugement social. Nos résultats ne permettent pas d’affirmer ni d’infirmer les affirmations de la psychologie évolutionniste qui restent essentiellement spéculatives. Mais sans ce cadre épistémologique théorique, même spéculatif, nous n’aurions probablement été en mesure d’envisager les liens pouvant unir la motivation sociale, la perception physionomique d’un visage, l’autisme et le jugement social de sympathie. 48 7-CONCLUSION Le jugement social est un processus cognitif complexe possédant des aspects conscients et inconscients. Parmi ces derniers, le traitement des indices physionomiques de dominance et de confiance présents sur le visage d’un tiers ont une influence causale dans la représentation d’un jugement de sympathie. Le déficit de motivation sociale ainsi que le phénotype autistique ont des influences contrastées sur la représentation d’un jugement de sympathie. Pour les besoins de notre étude, nous avons simplifié la chaîne causale de sa formation et l’avons modélisé comme un processus cognitif à trois étapes : 1/Perception des indices physionomiques sur le visage-stimulus 2/Traitement cognitif des indices physionomiques 3/Jugement de sympathie formé à partir des indices physionomiques Le déficit de motivation sociale et le phénotype autistique influencent différemment chacune de ces étapes : 1/ Le déficit de motivation sociale entraîne une baisse de la sensibilité des individus aux indices physionomiques de confiance et de dominance. L’autisme entraine une baisse de sensibilité aux indices de dominance mais pas aux indices de confiance. 2/Tandis que le déficit de motivation sociale diminue le poids des indices de confiance et majore par défaut le poids des indices de dominance, l’autisme diminue le poids des indices de dominance et majore par défaut le poids des indices de confiance. 49 3/ Le déficit de motivation sociale n’a pas d’influence sur la sympathie évaluée par les participants à partir d’indices physionomiques identiques. L’autisme n’a pas non plus d’influence significative. Dans le domaine du jugement social de sympathie, la théorie du déficit de motivation sociale dans l’autisme n’est donc pas un facteur explicatif majeur. Ces affirmations doivent être nuancées par l’étude précise de la notion de motivation sociale dans sa portée évolutionniste, des difficultés à la définir précisément et des difficultés méthodologique dans l’élaboration d’un paradigme neuro-développemental de l’autisme. 50 BIBLIOGRAPHIE Adolphs, R., Sears, L., & Piven, J. (2001). Abnormal processing of social information from faces in autism. Journal of Cognitive Neuroscience, 13(2), 232‑240. American Psychiatric Association (2000). Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition: DSM-IV-TR®. American Psychiatric Association (2013). Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition: DSM-V®. Barkow, J. H., Cosmides, L., & Tooby, J. (1995). The adapted mind: Evolutionary psychology and the generation of culture. Oxford University Press. Baumard, N., & Sheskin, M. (2015). Partner Choice and the Evolution of a Contractualist Morality. The Moral Brain: A Multidisciplinary Perspective, 35. 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Au niveau proximal, elle est caractérisée par un ensemble de dispositions cognitives et de mécanismes biologiques orientant les individus vers la recherche et le maintien de lien sociaux. Au niveau évolutionnaire ultime, sa fonction est d’augmenter l’adaptation des individus dans un environnement social collaboratif, notamment par la recherche d’interactions sociales profitables. Elle est considérée comme un facteur causal du développement de processus cognitifs sociaux au cours du développement. Le déficit de motivation sociale a été démontré dans les TSA, et pourrait être une cause du développement atypique de processus cognitifs sociaux dans cette pathologie (Chevallier et al, 2012). Cette étude aura pour objet le jugement social, processus cognitif permettant de produire des jugements sociaux automatiques et des jugements sociaux explicites. Ce processus intègre les mécanismes de perception sociale, leur traitement représentationnel et émotionnel et le comportement d’orientation sociale. Le jugement social automatique est sous-tendu par des mécanismes cognitifs de bas niveau et permet l’adaptation rapide d’un individu à son environnement social. De nombreuses études de psychologie sociale ont démontré le rôle 55 causal de la perception d’indices sociaux physiques véhiculés par les visages dans les jugements sociaux automatiques. Oosterhof et Todorov (2008) ont montré grâce à des visages de synthèse que les jugements sociaux étaient influencés par deux dimensions orthogonales : l’évaluation de la possibilité d’approche sociale (confiance) et de la force physique (dominance). Plus récemment, les travaux développés dans l’équipe de recherche dont je fais partie ont montré que la motivation sociale module le poids de ces deux dimensions (Safra, 2014). La question qui est au centre de cette étude est de savoir si le déficit en motivation sociale dans l’autisme module le jugement social de la même manière. Le jugement social dans les TSA est une thématique encore peu développée dans la littérature scientifique et qui montre des résultats contradictoires (Adolphs et al., 2001, White et al. 2006, Forgeot d’Arc et al. 2014). A ce titre, ce travail peut contribuer à mieux comprendre les troubles de la cognition sociale dans l’autisme. Hypothèse principale : Le déficit de motivation sociale des adolescents autistes de haut niveau cause une altération du jugement social automatique. Plus précisément, le déficit en motivation sociale devrait conduire les participants autistes à accorder moins de poids aux informations de confiance lors de la production du jugement social automatique. Matériel et méthodes : Population de l’étude : 40 sujets seront recrutés et séparés en deux groupes : 20 adolescents TSA de haut niveau (groupe 1) et 20 adolescents neurotypiques (groupe 2). Pour être inclus, les participants des deux groupes devront être âgés de 12 à 17 ans, le diagnostic de TSA devra être retenu pour les participants du groupe 1 et exclu pour les sujets du groupe 2 et ne pas répondre aux critères d’exclusion retenus. 56 Les participants du groupe 1 seront recrutés dans le service de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Robert Debré, et les participants du groupe 2 dans d’autres services du même hôpital et dans des institutions scolaires ou parascolaires. Stimuli expérimentaux : 30 visages de synthèse issus de l’étude d’Oosterhof et Todorov (sélectionnés pour leur variabilité morphologique dans les deux dimensions orthogonales de confiance et de dominance) seront utilisés comme stimuli. Pilotes : Dans un premier temps, les expériences suivantes seront soumises à 30 participants adultes de population générale (recrutés à distance) puis à 10 sujets adolescents (recrutés dans des institutions scolaires ou parascolaires). Expérience: Au cours de trois tâches), 30 visages seront présentés au sujet dans un ordre aléatoire (durée d’exposition : 3 sec.). Après chaque exposition le degré de dominance, de confiance et de sympathie (suivant la tâche) sera quantifié par le participant. Mesure de la motivation sociale : Durant ces deux expériences, les sujets seront soumis à la version traduite de l’échelle d’anhédonie sociale pour enfants et adolescents (SAS). Critère de jugement : La mesure du jugement social automatique sera réduite pour les besoins de l’étude à la quantification du degré de sympathie d’un sujet pour un visage et à la quantification de sa préférence pour un visage. Données : Quantification a priori de la valence de dominance et de confiance des visages, quantification expérimentale de la valence de dominance, de confiance et de sympathie des visages, de la motivation sociale seront les données de notre étude. 57 ANNEXE 2 : ECHELLE DE KAZDIN D’ANHEDONIE SOCIALE POUR LES ENFANTS Consignes : exposer les situations imaginaires suivantes. Pour chacune d’elles, l’enfant doit dire s’il la trouve très plaisante, plaisante, pas plaisante ni déplaisante. Cotation : coter la réponse suivant les modalités suivantes : 1- Très plaisante 2- Plaisante 3Pas plaisante ni déplaisante. Les indices S, P et A réfèrent aux catégories sociale, physique et autre de l’anhédonie. Additionner les cotes pour calculer les sous-scores d’anhédonie sociale, d’anhédonie physique et d‘anhédonie totale. Additionner les trois sous scores pour calculer le score total d’anhédonie. 1- Tu es allongé dans ton lit un samedi matin, en écoutant tes chansons préférées. P 2- Tu sors de chez toi, en portant les nouveaux vêtements que tu viens d'acheter, et beaucoup de personnes complimentent ton style. S 3- Accidentellement, tu entends ton professeur dire au directeur que tu es un(e) élève formidable. S 4- Un jour d’été, tu es allongé(e) sur la pelouse, en regardant le ciel et les nuages, et tu imagines qu’ils ont des formes d'animaux. P 5- En jouant à ton jeu vidéo préféré, tu bats le meilleur score. A 58 6- Tu pars pour une longue promenade dans les bois avec ton copain/ta copine/ton/ta meilleur(e) ami(e). S 7- Ton ami(e) te dit que tu es la/le meilleur(e) ami(e) qu’elle ait jamais eu. S 8- Apres avoir couru si vite que tu en as un point de côté, tu t'arrêtes pour te reposer et reprendre ton souffle. P 9- Tu ouvres une carte d’anniversaire, que tu as reçu d'un(e) ami(e) et tu y trouves 10€. S 10- Tu descends la rue à toute vitesse en vélo en gardant parfaitement le contrôle. P 11- Ton professeur te félicite parce que tu es un(e) étudiant(e) formidable. S 12- Toute ta famille part ensemble pour de longues vacances. S 13- Tes camarades t’élisent délégué(e) de classe. S 14- Un samedi soir, tu restes éveillé en regardant la télévision aussi longtemps que tu le souhaites. S 15- Tu manges ton repas préféré, que quelqu’un a cuisiné pour toi. A 16- Ton chien a réussi à apprendre le nouveau tour que tu essayes depuis longtemps de lui enseigner. P 17- C’est la dernière minute du match de football et tu marques un but. A 18- A l’heure de te coucher, ta mère/ton père s'assied avec toi jusqu’à ce que tu t'endormes. S 19- Ta mère te dit que tu as très bien rangé ta chambre. S 20- Tu participes à une fête avec tous tes amis, avec de la bonne musique et beaucoup de bonne nourriture. S 21- Tes parents te mettent au lit et t’embrassent en te souhaitant bonne nuit. S 22- Tu es avec tes meilleurs amis, autour d’un feu et tu fais griller des saucisses au cours d’une nuit fraiche. S 59 23- Ton ami(e) vient te trouver en pleurant à propos de quelque chose qui lui est arrivé à l’école, tu en parles avec lui et réussis à le consoler. S 24- Tu ranges tes affaires et tu retrouves ton pull préféré, que tu pensais avoir perdu. 25- Tu te fais un(e) bon(ne) ami(e) à qui tu peux presque tout dire. A 26- Une personne que tu aimes beaucoup, t’appelle et te demande de venir jouer avec elle. 27- Tu manges ton bonbon préféré. S 28- Tu rentres de l’école à la maison et sens ton gâteau préféré en train de cuire dans le four. S 29- Tu gagnes le premier prix à un concours organisé dans ton école. A 30- On t’offre un petit chiot pour ton anniversaire. A 31- Tu es choisi comme capitaine de ton équipe. S 32- On t’offre le nouveau jeu que tu demandais depuis l’année dernière. A 33- C'est le matin de Noel et en ouvrant tes cadeaux tu découvres que tu as reçu tout ce que tu avais espéré. A 34- En te promenant dans un magasin de disques pour acheter un nouvel album, tu découvres que ton chanteur préféré est là pour signer des autographes. A 35- Le jour de ton anniversaire, tous tes amis organisent pour toi une fête surprise. S 36- Tu fais quelque chose de courageux et ta photo apparaît dans le journal. A 37- Tu es élu meilleur joueur de ton équipe. A 38- Tu es accusé à tort d’avoir enfreint une règle de l’école. Quand tu arrives au bureau du directeur, tes amis sont là pour te défendre. S 39- Ta mère/ ton père te dit qu’en raison de tes bonnes notes, tu es dispensé de ranger ta chambre pendant un mois. A 60