2. L`Interruption médicale de grossesse

publicité
Master Droit de la famille
Pratique judiciaire
Mort et Science
SOMMAIRE
INTRODUCTION
I- Le combat de la science contre la mort
A- La mort comme condition de vie
1- Qu'est ce que le don?
2- Le problème du consentement
B- Les progrès de la médecine pour la vie
1- La recherche médicale : instrument du progrès
2- L'acharnement thérapeutique : la vie à tout prix
II-La science au service de la mort
A'- La volonté d'une mort digne
1/ L'euthanasie ou comment la science donne la mort
2/ Les soins palliatifs ou comment la science accompagne la mort
B'- La mort avant la vie
1/ IVG
2/ IMG
3/ Eugénisme
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION
S'interroger sur la mort c'est s'interroger sur la vie.
Or, comme le disait Xavier Bichat, médecin biologiste et physiologiste français, « la vie est
l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort ».
A contrario donc la mort survient quand ces fonctions ont cessé de résister. Autrement dit, la
mort correspond tout simplement à la fin de la vie.
Ce qui nous intéresse ici c'est quand et selon quel critère pour la science, entendue comme la
science médicale, la vie cesse et donc que la mort survient. Notre étude exclue l'approche de
la mort par les autres sciences telles que les sciences humaines. Seule l'approche scientifique
de la médecine sera envisagée.
De façon traditionnelle la mort médicale correspond à un arrêt cardiaque et respiratoire qui se
caractérise par trois critères lesquels sont l'absence totale de conscience et d'activité motrice
spontanée, l'abolition de tous les réflexes du tronc cérébral et enfin l'absence totale de
ventilation spontanée.
Progressivement cette définition s'est élargie, élargissant par la même occasion le concept
même de mort. Le problème était celui des personnes assistées par ventilation mécanique et
qui ont conservé une fonction hémodynamique. En ce cas la science impose de vérifier le
caractère irréversible de la destruction encéphalique par deux électroencéphalogrammes nuls
et aéractifs effectués à une heure d'intervalle minimal de quatre heures ou par un angiographe
objectivant l'arrêt de la circulation encéphalique. En effet, la communauté scientifique
s'accorde à dire que la destruction du système nerveux central est un stade irréversible et à
l'heure actuelle aucun médecin n'a jamais pu rétablir une activité cérébrale. Ces personnes ne
vivent plus elles survivent artificiellement. Sans la science et ses techniques la mort serait
survenue naturellement depuis longtemps.
Et donc, si pendant longtemps la définition médicale de la mort était cardiovasculaire, elle est
devenue principalement aujourd'hui cérébrale. En effet, si autrefois c'était le cadavre qui
faisait la mort aujourd'hui ce n'est plus le cas. La mort ne se montre plus, elle se démontre
scientifiquement par un coma dépassé qui traduit la perte totale et irréversible de l'activité du
cerveau et du tronc cérébral. La frontière entre le vivant et le mort s'estompe. Le coeur peut
battre, le corps resté chaud, l'homme est pourtant déjà mort pour les médecins comme pour la
loi. Le critère de la mort par la destruction du cerveau étant aujourd'hui le critère unique et
invariable au sens médicale comme juridique.
C'est pourquoi il faut essayer d'appréhender la mort dans son acception médicale et
scientifique c'est à dire au regard de la façon dont la médecine s'en préoccupe. A cet égard il
faut observer deux courants, deux approches. Une science qui va lutter et combattre cette mort
pour la repousser encore et encore et une science qui au contraire va l'aider, l'accompagner
voire la provoquer.
A ces approches, il faut intégrer nécessairement tous les problèmes moraux posés par
l'avancée de la science, sa capacité à repousser les limites du vivant et du mort.
C'est toute la question éthique qui s'est traduit par une réaction législative sans précédent en
1994 réitérée en 2004. Ces lois dites lois de bioéthiques sont le fruit de l'ensemble des
recherches qui portent sur les problèmes moraux suscités par l'emploi de nouvelles techniques
biomédicales. Les interventions sur le patrimoine génétique, l'euthanasie, les soins palliatifs,
le prélèvement d'organes et l'expérimentation sur l'être humain sont autant de problèmes, qui
nécessite une réflexion pluridisciplinaire, portant sur les pratiques de la biologie et de la
médecine, en vu de leur assigner des limites éthique, qui relèvent donc de l'ordre social de la
morale constituant des règles d'action et des valeurs qui fonctionnent comme normes dans une
société1. A cet égard a été crée un comité national consultatif éthique pour les sciences de la
vie et de la santé composé de personnalité éminentes des mondes médical, scientifique,
philosophique et religieux qui émettent des recommandations qui font autorité.
La question qui se pose est alors de comprendre comment la science utilise la mort et plus
précisément comment elle essaie de la combattre pour repousser l'inéluctable (I). Pour ensuite,
voir comment la mort se sert de la science, autrement dit comment la science peut devenir le
bras armé de la mort (II).
I- Le combat de la science contre la mort
Grâce à la science, la mort a pu devenir un allié pour la vie (A) tout en restant l'ennemi de
toujours qu'il faut vaincre (B).
A- La mort comme condition de vie
Par nature la vie n'est pas conditionnée par la mort. La vie procède d'elle-même, même si à
l'origine un matériel biologique est nécessaire, elle n'a besoin que d'elle même pour se
maintenir par la suite. De sa poursuite ne nécessite pas en principe la perte d'une autre vie.
C'est l'homme qui a introduit un tel « échange » en dehors de tout devoir de responsabilité
d'un individu envers un autre. Et si la nature n'exige pas de payer une vie d'une mort, l'homme
a introduit cet enchevêtrement de situations. Ainsi la mort se met au service de la vie au
travers du don d'organes qui a pu se développer grâce aux avancées de la science quant à la
technique de la greffe. Le don ici envisagé est celui qui procède d'une personne décédée pour
une personne dont la vie est en sursis. La mort devenant alors condition de vie grâce à la
science2.
1- Qu'est-ce que le don?
D'un point de vu juridique, le droit associe don et donation qu'il définit comme étant un
contrat par lequel une personne (le donateur) transfère la propriété d'un bien à une autre (le
donataire) qui l'accepte sans contrepartie et avec intention libérale. De ce point de vu la
donation peut se faire entre vif, elle est alors conventionnelle et irrévocable ou par testament,
elle est alors unilatérale et librement révocable.
Mais la question qui se pose est comment le droit appréhende cette notion lorsqu’elle
l'envisage dans la sphère de la médecine et de la recherche.
A cet égard le terme de don désigne l'acte de prélèvement d'une partie du corps humain sur
une personne en vue de le transplanter sur une autre. Le don constitue alors un prélèvement.
L'organe étant indispensable à la vie le don d'organe est conditionné par la mort d'un autre
individu. Il était donc indispensable que la société pose un cadre à cette pratique.
1
« A quoi sert la bioéthique ? » Jean-Paul Thomas. Les petites pommes du savoir.
« Les éléments du corps humain, la personne et la médecine » Emmanuelle Grand, Christian Hervé, Grégoire
Moutel. L'harmattan.
2
Gratuité, volontariat, anonymat sont les trois caractéristiques revendiquées par les lois dites
bioéthiques de 1994 pour rendre possible le don d'organe.
La gratuité tout d'abord, qui traduit la volonté de soustraire les pratiques de transplantation du
domaine économique. Il est clair que sont évités ainsi les dérives et les abus entrainé par
l'appât du gain ou l'exploitation de la misère d'individu qui n'aurait comme unique ressource
que leur propre corps.
L'anonymat, ensuite, qui protège les individus de tout abus et tout génération de situation
pathologique consécutive à la douleur d'avoir perdu un proche pour les familles des donneurs
ou à la culpabilité d'avoir bénéficié de la mort d'une personne pour le receveur.
Et pour finir, le volontariat qui pose la reconnaissance de la liberté d'un individu à déterminer
par lui même ce qu'il choisit de faire ou de ne pas faire. C'est ce que certains auteurs appellent
le respect de l'autodétermination du sujet3.
Mais, sur ce point la loi se contredit dans ses principes lorsqu'elle substitue à la volonté non
exprimée d'une personne décédée le consentement présumé.
2- Le problème du consentement
En effet, les donneurs d'organes les plus nombreux sont des personnes en état de mort
cérébrale. C'est de leur état que se trouve la source principale de difficultés puisque ces
personnes ne peuvent par essence exprimer aucun consentement.
Cependant, il est un principe posé par la loi Caillavet de 1976 qui veut que toute personne non
inscrite sur le registre national automatisé des refus de prélèvement d'organe est
potentiellement donneurs dés lors que sa mort cérébrale est constatée. Et ce au nom du
principe de solidarité. Ce principe vient empiéter sur les droits fondamentaux de chacun en
déclarant toute personne en état de mort cérébrale consentante.
Mais, il faut noter que la pratique médicale a du mal à se résoudre à prélever sans l'accord de
la famille à défaut de pouvoir obtenir celui du défunt. Mais si ce recours à la famille paraît le
plus direct pour obtenir la position du défunt à l'égard du prélèvement, il n'est pas toujours le
plus légitime, les relations de la personne avec sa famille n'étant pas toujours facile à
appréhender.
Par ailleurs, la famille se trouve dans une situation délicate. En effet, qu'elle refuse ou accepte
le prélèvement elle prend le risque d'aller à l'encontre de la volonté du défunt; et si elle refuse
elle prive un individu d'une chance de survie. Rappelons que cette décision se prend dans un
contexte de douleur et de deuil.
Le problème majeur vient de la définition même de la mort cérébrale, en effet, si elle a
comme principal intérêt de pouvoir prélever des organes pour rendre possible des greffes et
donc pouvoir sauver d'autre vie, elle remet en cause la vision traditionnelle de la mort puisque
la personne respire toujours, son cœur bat encore!!Des questions éthiques se posent alors : à
partir de quand est-il moralement possible au médecin de mettre un terme à la vie du patient
dont le cœur bat encore mais dont le cerveau est définitivement mort ? A partir de quand est-il
moralement acceptable de prélever des organes ?
C’est pourquoi, il semble nécessaire d'informer dans le but non pas d'obtenir des organes à
tout prix mais d'alimenter une réflexion suffisamment documentée pour permettre une prise
de décision face aux dons d'organes bien antérieure au décès. Ainsi, le choix qui serait pris en
amont permettrait aux soignants comme aux familles de se libérer d'un choix à faire en lieu et
place de l'intéressé.
3
« Les éléments du corps humain, la personne et la médecine » Emmanuelle Grand, Chritian Hervé, Grégoire
Moutel . L'harmattan.
Ce qu'il faut comprendre c'est que pour la famille du donneur admettre le prélèvement revient
alors au sens le plus fort du terme accepter la mort de l'être aimé, ce qui expliquerait les
réticences des familles qui viennent d'apprendre le décès d'un proche qui pourtant respire
encore grâce à la technique de la ventilation artificielle mais dont le cerveau est
définitivement mort sans aucun espoir d'amélioration avec le temps.
La difficulté est là, la science permet de maintenir en vie des personnes qui naturellement sans
l'intervention de l'homme serait mort. La science repousse ainsi les limites du vivant mais cela
pose d'innombrable question sur le devenir de ces Hommes. En effet, car même si la personne
est médicalement considérée comme morte, son cœur ne cessera de battre qu'une fois que son
assistance respiratoire sera débranchée. Dans ce cas « débranché quelqu'un » est-ce lui ôter la
vie ? Quelle signification ce geste prend t-il alors ? Tout simplement cela revient à se
demander si maintenir en vie c'est maintenir la vie ?
Ainsi, la science par ces progrès créée de nouvelles situations qui posent des problèmes
auxquels chacun peut avoir sa propre réponse en fonction de ses convictions personnelles.
Mais, il reste indéniable que la mort grâce aux progrès de la science est devenu un moyen de
sauver des vies tout en posant le problème de savoir ce qu'est la vie et quand cesse t-elle ?
Mais la science médicale ne s'est pas arrêté là, elle continue encore et toujours à vouloir
reculer le plus possible le moment de la mort par le biais de la recherche.
B- Les progrès de la médecine pour la vie
Ils sont l'outil premier de l'augmentation de notre espérance de vie. Ils nous permettent de
vivre plus longtemps dans de meilleure condition physique. Mais jusqu'où peut aller la
recherche pour nous sauver chaque jour un peu plus ? Jusqu'où ira t-on ? Jusqu'où avons-nous
le droit d'aller ?
1- La recherche médicale : instrument du progrès
Tout d'abord, il convient de définir exactement ce qu'il faut entendre par recherche médicale.
La recherche médicale est un travail scientifique qui permet à l'homme d'améliorer ses
connaissances dans le domaine de la santé. Mais, ce qui nous intéresse plus particulièrement
c'est surtout la recherche biomédicale qui recouvre tout essai ou expérimentation organisé ou
pratiqué sur l'être humain en vu du développement des connaissances biologiques et
médicales. Le plus souvent cela consiste à observer les effets d'un nouveau traitement par
comparaison avec un traitement classique ou une absence de traitement.
Bien entendu ces essais sont réalisés par l'homme sur l'homme. Dès lors, il faut poser les
limites de ce qu'il peut se faire. Et il semble nécessaire de trouver un juste équilibre entre la
liberté de la recherche, les droits des malades et le respect des valeurs essentielles de notre
société4.
C'est ce qui a été recherché dés 1947 avec le code de Nuremberg issus du procès des
médecins nazis qui a introduit la nécessité d'affirmer des principes éthiques clairs qui doivent
s'imposer à tous chercheurs et médecins lors de recherches et ceci en réaction aux
expérimentations faites par les nazis dans les camps qui ont profité de la « chair humaine
disponible à volonté » pour procéder à toutes sortes d'expériences au gré de leurs fantaisies
souvent sadiques qui ont aboutit à la mort ou bien ont fait de la vie de « ces cobayes humain »
un véritable enfer.
4
Http://www.inserm.fr Institut national de la santé et de la recherche médicale.
L’une des premières règles affirmées et réaffirmées depuis est le consentement volontaire,
libre et éclairé du sujet humain. Ce principe bien qu'affirmé depuis 1947, réaffirmé par la
déclaration d'Helsinki de 1964 formulée par l'association médicale mondiale, a dû être rappelé
avec force en 1966 date à laquelle sont révélées au Etats-Unis une série d'expérience réalisée
au mépris de toutes règles éthiques.
Par exemple, l'injection de cellules cancéreuses vivantes sur des personnes âgées et séniles
placées en institution pour analyser les résistances immunologique ou encore l'injection du
virus de l'hépatite B à de jeunes résidents d'une institution psychiatrique de l'état de new-york
pour voir comment se développe la maladie.
.
La recherche ne peut se permettre au nom du progrès de dénigrer la vie de certaine personne.
Elle se doit de protéger au maximum la santé des participants bien avant les intérêts de la
science.
L'éthique doit s'imposer à tous chercheurs et permettre d'assurer la protection des personnes
tout en permettant des découvertes scientifiques essentielles pour faire reculer la mort.
Il faut préciser qu'une fois de plus, c'est la loi qui en 1988 a fixé des règles pour ces essais et
qui a surtout mis en place des comités devenus depuis 2004 des comités de protection des
personnes qui ont pour mission de protéger les personnes en s'appuyant sur l'analyse et la
validation des procédures d'information et de consentement puis sur les critères de sécurité et
d'indemnisation des personnes se prêtant à la recherche sans avoir à se prononcer sur l'intérêt
scientifique de la recherche envisagée.
Il faut bien comprendre que si les personnes sont autant protégées c'est qu'incontestablement
la recherche comporte des risques non négligeables rappelés par l'accident londonien de 2006.
En effet, au cours d'un essai médicamenteux mené dans un service de recherche clinique, six
des huit volontaires ont présentés d'intense douleur (céphalée et douleurs abdominales) puis
rapidement des vomissements suivis d'une perte de connaissance nécessitant des transferts en
réanimation et soins intensifs. Les deux personnes indemnes sont celles ayant reçu le placebo.
Des risques existent.
Mais ils sont, cependant, mis en balance avec le bénéfice retiré par l'expérience. Autrement
dit, l'importance de l'objectif recherché doit être médicalement et humainement supérieure aux
contraintes et risques encourus par le sujet.
En conclusion, la recherche ne peut pas tout se permettre mais reste indispensable aux progrès
de la médecine, c'est elle qui aujourd'hui nous permet de vivre plus longtemps, c'est elle qui
sans doute nous permettra de vaincre des maladies aujourd'hui incurable et qui nous a permis
de trouver les remèdes aux maladies autrefois mortelles.
Et qui pourquoi pas pourrait nous offrir un jour l'immortalité grâce à la cryonie, procédé de
cryoconservation (conservation à très basse température) d'humains ou d'animaux dont la
subsistance ne peut plus être médicalement assurée, dans l'espoir de pouvoir les ressusciter
ultérieurement. Dans l'état actuel du savoir-faire médical, le procédé n'est pas réversible. Mais
aux Etats-Unis des sociétés commerciales proposent très légalement à leurs clients cette
nouvelle forme d'embaumement par congélation en caisson pour une résurrection dans un
futur capable de n’assurer rien de moins que l'immortalité. Parmi les militants, se trouvent bon
nombre de chercheurs qui espèrent de grandes avancées dans la médecine, notamment dans
les nanotechnologies, qui pourraient permettre la régénération des tissus et des organes au
niveau moléculaire, voire inverser les effets du vieillissement ou des maladies.
L'argument de base en faveur de la cryonie est que la mémoire, la personnalité et l'identité
sont stockées dans la structure chimique du cerveau. Mais bien que cette hypothèse soit
communément acceptée en médecine, et que l'on sait que l'activité cérébrale peut rester un
moment à l'arrêt et reprendre ensuite, l'idée de pouvoir conserver un cerveau avec les
méthodes actuelles de façon suffisamment satisfaisante pour permettre sa résurrection reste
mal acceptée et surtout impossible. Les partisans de la cryonie mettent pourtant en avant des
études qui laisseraient à penser que les fortes concentrations en cryoconservateurs circulant
dans le cerveau avant son refroidissement peuvent empêcher son endommagement et feraient
se conserver la structure fine des cellules qui seraient le siège supposé de la mémoire et de
l'identité. Pour les opposants, la pratique actuelle de la cryonie ne devrait pas pouvoir se
justifier, compte tenu des limitations actuelles de la technologie: à l'heure actuelle, on n'arrive
à cryoconserver de façon réversible que les cellules, les tissus, les vaisseaux sanguins et de
petits organes d'animaux. Ce procédé impossible aujourd'hui et sans doute jamais réalisable
poserait néanmoins de grave questionnement quant à la définition même de la mort et quant
aux statuts de « ces ressuscités »5.
En attendant la mort est toujours inéluctable et passe nécessairement par la vieillesse qui
grâce à la médecine est une période de la vie de plus en plus longue. En effet, avec les progrès
de la médecine, l'utilisation des antibiotiques pour combattre les infections l'espérance de vie
rallonge.
Le vieillissement massif de la population est le témoin de la faculté pour la science à
repousser le moment de la mort. Mais si la vie est allongée il faut se demander à quel prix. La
vieillesse est le témoin d'une dégradation lente et irrémédiable de la vie qui se traduit par une
perte d'autonomie et d'indépendance. Ainsi, il faut prendre en considération cette réalité
scientifiquement possible dans notre société pour une meilleure considération et prise en
charge de « nos vieux ».
Si comme il a été dit, il est évident que la science par ses progrès a repoussé et repousse
encore la mort, cette dernière reste inéluctable. Se pose alors la question de ce qui est appelé
la fin de vie qui renvoie au caractère incurable d'une maladie dont la mort sera quoiqu'il sera
fait l'issue finale.
La problématique est de savoir s'il faut maintenir la vie à tout prix ? Le débat ici est celui de
l'acharnement thérapeutique.
2- L'acharnement thérapeutique : la vie à tout prix
L'acharnement thérapeutique consiste à utiliser systématiquement tous les moyens médicaux
dont on dispose pour maintenir une personne en vie. L'expression a d'abord désigné des
tentatives de réanimation dans les cas de coma dépassé, c'est à dire un état dans lequel se
surajoute à l'abolition totale des fonctions de vie relationnelle (conscience, mobilité,
sensibilité, réflexes), une totale absence des fonctions de la vie végétative. L'emploi s'est
étendu aux traitements appliqués dans le seul but de prolonger la vie, mais sans améliorer la
qualité de celle-ci : on peut ainsi obtenir une rémission, mais au prix d'une souffrance qui n'a
rien apportée de positif. Le caractère agressif de ces traitements explique la présence du terme
acharnement, qui décrit habituellement l'ardeur de l'animal sur sa proie. L'acharnement
thérapeutique désigne une action qui n'a en réalité plus rien de thérapeutique. Il n'existe plus
de moyen d'améliorer l'état du patient, dont on prolonge la vie de manière artificielle au prix
de souffrances pour le patient et son entourage accompagné souvent d'une perte de conscience
et d'une vie végétative pour un résultat médiocre ou nul si l'on intègre durée et qualité de
survie. En d'autres termes, l'acharnement thérapeutique constitue le fait de poursuivre un
traitement lourd qui devient disproportionné par rapport au bénéfice du patient. Mais, dans le
monde médical on rencontre souvent la notion d'obstination ou de persévérance thérapeutique.
C'est là, la difficulté du pronostic qui rend fragile la frontière entre l'acharnement
5
« L'espoir qui venait du froid »Documentaire ARTE Connaissance et découvertes.
répréhensible et l'obstination louable. Dans bien des cas c'est seulement a posteriori que l'on
sait ce que l'on aurait dû faire. En effet, l'acharnement thérapeutique ne pose de problème que
parce que parfois cet acharnement peut devenir sur le long terme bénéfique pour le patient.
Pour le médecin, la position est délicate, s'il ne fait rien on lui reprochera son inaction mais
s'il fait quelque chose et qu'au final l'état du patient n'est pas améliorée voir pire encore on lui
reprochera aussi.
Et tout le débat oppose caractère sacré de la vie et respect de la personne.
En effet, il paraît évident que le caractère sacré de la vie motive et justifie le maintien de la
vie a tout prix. Le code pénal n'enjoint-il pas de porter assistance à une personne en péril. Et
les termes de l'article 2 du code de déontologie médical n'imposent-il pas le principe selon
lequel le médecin est au service de l'individu et exerce sa mission dans le respect de la vie et
de la personne humaine. La mission du médecin est de guérir par tous les moyens dont il
dispose, il travaille à maintenir en vie son patient. Et aujourd'hui il le peut plus que jamais
grâce aux progrès de la médecine dans le combat des maladies. On détient les moyens de
maintenir en vie les malades en état végétatif chronique, on peut soigner des infections
nouvelles qui surviennent dans une agonie due à une autre cause. Cesser d'agir n'est ce pas
capituler devant la mort alors qu'on peut encore faire quelque chose pour la vie ? Cependant
peut-on réduire le respect du malade au respect de la vie ? En effet mieux vaut-il assurer un
confort de vie qui vaille la peine d'être vécue ou de survivre plus longtemps mais dans des
souffrances intolérables. Francis Bacon (1561-1626) homme d'état et philosophe anglais
charge le médecin d'accorder la bonne mort « J'estime que c'est la fonction du médecin de
rendre la santé et d'adoucir les peines et les douleurs, et non seulement lorsque cet
adoucissement peut conduire à la guérison mais aussi lorsqu’il peut servir à procurer une mort
calme et facile »
Ainsi, une fois affirmer l'irréversibilité du processus de mort imminente il paraît inutile de
continuer les traitements en vu d'une amélioration impossible ou en vu de lutter contre les
maladies grave qui pourraient survenir6.
C'est au regard de ce débat sur le refus de l'acharnement thérapeutique que sont apparues les
revendications au profit de l'euthanasie qui s'inscrit dans une autre logique, ce n'est plus la vie
qu'on cherche à protéger mais la mort qu'on cherche à provoquer.
II-La science au service de la mort
Le théâtre de la mort s’est profondément modifié le siècle dernier. Dans les années soixantedix, la mort, de plus en plus médicalisée, a ouvert un débat passionné sur la puissance de la
médecine, l’acharnement thérapeutique, l’euthanasie…Aujourd’hui, le développement du
concept d’accompagnement et de soins palliatifs ne manque pas soulever de nouvelles
questions quant à la possibilité de mourir dans des conditions dignes. (A’)
La question de l’avortement, bien qu’apparemment entré dans les mœurs, créé aussi la
polémique et ce, même hors de nos frontières où certains Etats l’a prohibe toujours ; c’est tout
le problème d’une « mort » avant la vie. (B’)
6
« Ethiques de la fin de vie » Paula La Marne. Ellipses.1999.
A- La volonté d’une mort digne
Dès lors que les progrès de la médecine dans la préservation et le prolongement de la vie ont
connu des avancées décisives, s'est posée la question des limites à poser aux pratiques de
«maintien de la vie». Le débat public sur ce sujet a amené la profession médicale, les
philosophes et les théologiens à débattre du sujet de la qualité de la vie, et des droits pour un
être humain de déterminer le moment où cette qualité s’est dégradée tant qu'il devient
acceptable et licite de mettre un terme à son agonie et sa souffrance, et in fine amené les États
à légiférer en ces matières, dans le cadre de l'arsenal législatif connu en France comme lois de
bioéthique. Il est à noter que ce qui n’est pas éthique aujourd’hui pourrait l’être dans un futur
proche, et inversement, puisque les lois bioéthiques sont appelées à être modifiées en 2009.
La volonté d’une mort digne se pose principalement au travers la pratique de
l’euthanasie et des soins palliatifs.
1. L’euthanasie ou comment la science « donne » la mort
• Histoire et définition
Le mot euthanasie (gr: ευθανασία - ευ, bonne, θανατος, mort) est formé de deux
éléments tirés du grec, le préfixe eu, « bien », et le mot thanatos, « mort »; il signifie donc
littéralement bonne mort, c'est-à-dire mort dans de bonnes conditions. À l'origine,
l'euthanasie désigne donc l'ensemble des moyens et recours permettant de soulager, d'abréger
ou d'éviter l'agonie à une personne en fin de vie7. Ainsi, il apparaît que dès l’Antiquité, le
terme oscille entre deux significations opposées, celle de mort douce 8 et celle de suicide9,
c’est-à-dire mort bonne sans être douce, jugé préférable à une mort plus pénible10.
7
Le Trésor de la Langue Française (TLF) la définit comme une «mort douce, de laquelle la souffrance est
absente, soit naturellement, soit par l'effet d'une thérapeutique dans un sommeil provoqué» et, presque dans les
mêmes termes ; le Grand Robert de la langue française (GRLF) comme une «mort douce et sans souffrance,
survenant naturellement ou grâce à l'emploi de substances calmantes ou stupéfiantes»; Le Petit Larousse 2007
(PL07) enfin, s'attachant plutôt à une définition légale, la donne comme l’«acte d'un médecin qui provoque la
mort d'un malade incurable pour abréger ses souffrances ou son agonie», et précise qu'il est «illégal dans la
plupart des pays».
Le poète grec Cratinos (Ve s. av. J.-C.) emploie l’adverbe euthanatôs pour désigner aussi bien une belle mort
qu’une mort douce. Chez Posidippe (vers 300 av. J.-C.), euthanasia signifie autant bonne mort que mort douce :
l’homme ne désire rien de mieux qu’une mort douce » (Fragment 16). Suétone (63 av. J.-C., 14 apr. J.-C., Vie
des douze Césars, « Auguste », 99) rapporte que l’empereur Auguste, expirant dans les bras de Livie, eut
l’euthanasia (mort rapide et sans souffrance) qu’il avait toujours souhaitée. V. N. AUMONIER, B. BEIGNIER
et P. LETELLIER, L’euthanasie, Que sais-je, PUF, 2006.
9
L’historien grec Polybe prête au roi de Sparte Cléomène, après son échec militaire, le désir de se suicider pour
trouver une mort belle et honorable (euthanatesai) plutôt que de tomber entre les mains de ses ennemis
(Polybe(202-120 av. J.-C.), Histoires, V, 38, 9). Cicéron (106-43 av. J.-C.) paraît avoir souhaité une bonne mort
(euthanasian) dont Atticus lui écrit qu’elle ressemblerait à une désertion (Lettres à Atticus, XVI, 7, 3). Flavius
Joseph raconte l’histoire de ces quatre lépreux qui préfèrent avoir une mort « plus douce » en se rendant à
l’ennemi pour périr égorgés, plutôt qu’en mourant d’inanition hors de la ville (Antiquités juives, IX, 4, 5). V. N.
AUMONIER, B. BEIGNIER et P. LETELLIER, L’euthanasie, Que sais-je, PUF, 2006.
10
N. AUMONIER, B. BEIGNIER et P. LETELLIER, L’euthanasie, Que sais-je, PUF, 2006.
8
Le mot a été inventé par l’homme d’Etat et philosophe anglais Francis Bacon11 (15611626), et apparaît dans un texte de 1605, The Advancement of Learning dont la forme
définitive a été donnée en 162312. Il constate chez les médecins du XVIIème siècle, un total
manque d’intérêt pour le traitement de la douleur. Il les invite à un effort de recherche en ce
domaine, afin de permettre au malade d’échapper aux affres des derniers moments de la vie et
de s’éteindre, l’heure venue, de manière « douce et paisible »13. On voit là la difficulté de
cerner les notions puisque les frontières de l’euthanasie embrassent les contours de soins
palliatifs.
« L'office du médecin n'est pas seulement de rétablir la santé, mais aussi d'adoucir les
douleurs et souffrances attachées aux maladies ; et cela non pas seulement en tant que cet
adoucissement de la douleur, considérée comme un symptôme périlleux, contribue et conduit
à la convalescence, mais encore afin de procurer au malade, lorsqu'il n'y a plus d'espérance,
une mort douce et paisible ; car ce n'est pas la moindre partie du bonheur que cette
euthanasie [...]. Mais de notre temps les médecins [...], s'ils étaient jaloux de ne point
manquer à leur devoir, ni par conséquent à l'humanité, et même d'apprendre leur art plus à
fond, ils n'épargneraient aucun soin pour aider les agonisants à sortir de ce monde avec plus
de douceur et de facilité14. Or, cette recherche sur l’euthanasie extérieure distincte de cette
autre euthanasie, l’euthanasie intérieure qui a pour objet la préparation de l’âme, fait partie
de ce qu’il faut souhaiter. »
Il est défini comme «mort heureuse» dans le Dictionnaire de Trévoux (éd. 1771), ce qui
atteste de son emploi en français dès ce siècle.
Jusqu'à la fin du XIXe siècle, il garde ce sens d' « adoucissement de la mort », « mort arrivant
en milieu de sommeil provoqué afin d’éviter une agonie douloureuse »15.
Dans une acception plus contemporaine et plus restreinte, celle retenue par le Petit
Larousse, l'euthanasie est décrite comme une pratique visant à provoquer la mort d'un
individu atteint d'une maladie incurable qui lui inflige des souffrances morales et/ou
physiques intolérables, spécialement par un médecin ou sous son contrôle16.
On emploie aussi le mot pour désigner l'acte d'aider une personne qui le souhaite, et
quelles que soient ses motivations, à mourir. Dans ce cas, les termes plus appropriés seraient
plutôt l'aide au suicide ou le suicide assisté. Un autre usage abusif du mot est son application
aux soins palliatifs, qui ne visent jamais à hâter le décès ou éviter le prolongement de l'agonie
des patients même si, pour soulager la douleur, il arrive aux soignants d'user de doses
d'analgésiques ou d'antalgiques risquant d'anticiper la mort.
11
On trouve cependant la première allusion à une « eu-thanasie » dans la Vie des douze Césars (cf. note 2) ; la
seconde allusion est Thomas More.
12
V. Patrick VERSPIEREN, « Euthanasie », in Encyclopedia universalis, t. 9, p. 113; N. AUMONIER, B.
BEIGNIER et P. LETELLIER, L’euthanasie, Que sais-je, PUF, 2006.
13
T. MARMET (sous la coordination de.), Ethique et fin de vie, Pratiques du champ social, Eres, 1997.
V. Francis Bacon, Du progrès et de la promotion des savoirs, livre II, partie 3, p. 150. Gallimard, 1991.
15
C. AMBROSELLI, L’éthique médicale, « Que sais-je ? », n°2422, PUF, 1988, p.49.
16
TLF : «Fait de donner délibérément la mort à un malade (généralement incurable ou qui souffre atrocement).
Euthanasie agonique»; PL07 : «Euthanasie passive : acte d'un médecin qui laisse venir la mort d'un malade
incurable sans acharnement thérapeutique» ; GRLF : «Usage des procédés qui permettent de hâter ou de
provoquer la mort pour délivrer un malade incurable de souffrances extrêmes, ou pour tout motif d'ordre
éthique».
14
Longtemps appliqué à des pratiques destinées aux seuls humains, le mot est désormais
employé pour les autres espèces, et l'on parle alors d'euthanasie animale, effectuée dans
l'intérêt supposé d'un animal ou de l'un groupe d'animaux, par opposition à l'abattage, effectué
dans l'intérêt des humains17.
Le terme d'euthanasie a aussi été utilisé dans le cadre de certaine théories eugéniques
de la première moitié du XXe siècle pour désigner le fait d'éliminer certaines populations
jugées inaptes à la vie en société ou défavorables à la destinée du groupe social (malades
mentaux, handicapés), notamment dans le programme nazi Aktion T4 mis en place par le
national-socialiste du Troisième Reich en 1939, et qui s'inscrit dans le programme plus large
d'hygiène raciale des nazis, dont l'achèvement est la «solution finale», l'élimination planifiée
des juifs au premier chef, mais aussi des tsiganes et autres populations considérées
indésirables à qui on donne la « grâce de la mort ».
Après la seconde guerre mondiale, le mot est principalement associé à son emploi de la
première moitié du siècle, et à ce titre connoté négativement.
Ce n'est que dans la décennie 1970, et dans le cadre de la lutte contre ce qu'on commence à
nommer acharnement thérapeutique que l'on revient à un emploi plus proche du sens initial,
tout en lui ajoutant des acceptions nouvelles.
Le concept et la pratique de l'euthanasie ne sont pas un problème nouveau et ils ne
sont pas aussi liés qu'on le croit souvent aux développements de la médecine moderne. Il
suffit en effet d'être gravement malade pour que se pose cette question. L'euthanasie est donc
un problème persistant dans lequel s'affrontent des idéologies de différents horizons.
En Grèce antique, le principe ne posait généralement pas de problèmes moraux : la conception
dominante était qu'une mauvaise vie n'est pas digne d'être vécue, c'est pourquoi eugénisme
(par exposition) et euthanasie ne pouvaient en général pas choquer.
Cependant certains, tel Hippocrate, avaient une conception autre des choses et, dans le
serment qui porte son nom, il est interdit aux médecins toutes les formes d'aides au suicide:
« Je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si
on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion ; semblablement, je ne
remettrai à aucune femme un pessaire abortif18. »
L'euthanasie a en outre été pratiquée par les Celtes, chez les Gaulois c'est "le dieu au maillet",
Sucellos qui, semble-t-il, était le patron de ces pratiques. En Bretagne armoricaine, surtout
dans le Vannetais, un « maillet bénit» (Mel Béniguet) a été utilisé jusqu'au début du XXème
siècle pour achever ceux dont la mort s'éternisait sur la demande de la famille et sous l'autorité
du prêtre et de quelques notables de la paroisse. L'utilisation du "Mel Béniguet" a été attesté à
Guénin, Locmariaquer, Carnac, Guern ou encore Brec'h.
17
GRLF: «Le mot ne s'est employé qu'à propos des humains. Il s'est étendu aux animaux que l'on s'applique à
faire mourir sans souffrance, ce qu'autorise l'étymologie»; PL07: «Acte comparable pratiqué par un vétérinaire
sur un chien, un chat, etc.».
18
En France, ce serment a été réactualisé en 1996 par le professeur Bernard Hoerni dans un sens plus libéral
tenant compte des évolutions de la société, notamment en ce qui concerne le concept d'acharnement
thérapeutique: «Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne
provoquerai jamais la mort délibérément».
• Typologie
Plusieurs formes d’euthanasie sont listées par les auteurs. Il est courant de distinguer
l’euthanasie active de l’euthanasie passive.
L’euthanasie active désigne un acte volontaire administré par un tiers en vue d'abréger la vie
du patient.
L’euthanasie passive consiste à cesser un traitement curatif ou à arrêter l'usage d'instruments
ou de produits maintenant un patient en vie et se distingue de l'euthanasie active par le fait
qu'on n'utilise aucun moyen hâtant sa mort. En pratique cependant, cette distinction est
confuse. En effet, le crime peut être dissimulé. Plus radicalement, J. Rachels, dans l’article
« Active and passive euthanasia », The New England Journal of Medicine, 9 janvier 1975,
292, 2,78-80), a montré que l’omission pouvait être tout aussi coupable que l’action19
D’autres distinctions sont parfois proposées. Par exemple celle de G.D. Lundberg :
euthanasie passive, semi passive, active, accidentelle, suicidaire, active ; ou encore celle
du Council on Ethical and Juridical Affairs de l’American Medical Association : euthanasie
volontaire (lorsqu'un individu a la capacité mentale et physique de demander de l'aide pour
mourir et qu'il le demande), non volontaire, involontaire (sans consentement du patient ou
du tuteur), suicide assisté20.
Tant de distinctions pointent la complexité d’une définition de cette notion et de cette
pratique.
• Législation et pratique judiciaire
La majorité des États ne reconnaît pas ou interdit l'euthanasie et les autres formes d'aide à
la fin de vie, mais dans beaucoup d'entre eux, notamment en Europe et en Amérique du nord,
il existe une tolérance implicite ou explicite à l'encontre de ces pratiques, pour autant qu'elles
se déroulent dans un cadre réglementé.
L'euthanasie est autorisée, sous conditions, dans certains pays européens, comme la Belgique
et les Pays-Bas, pour certains malades atteints de maladies incurables.
En Suisse, si l'euthanasie reste interdite, le suicide assisté est en revanche autorisé dans les
mêmes conditions que pour les deux pays mentionnés, par le biais de l'association Exit Suisse.
(Autres Associations : Exit International, Dignitas , La Chrysalide ...)
En France, si la loi réprime formellement l'euthanasie et le suicide assisté, entre 1998 et 2005
les textes réglementaires et législatifs ont cependant élargi les possibilités de cessation de
l'acharnement thérapeutique et étendu les droits du malade « à une fin digne »; et dans la
pratique judiciaire, la plupart des affaires ressortant de ces questions donnent le plus souvent
lieu, depuis le début de la décennie 2000, à des non-lieux ou à des peines symboliques.
• Affaires judiciaires
19
20
N. AUMONIER, B. BEIGNIER et P. LETELLIER, L’euthanasie, Que sais-je, PUF, 2006.
P. LA MARNE, Ethiques de la fin de vie : acharnement thérapeutique, euthanasie, soins palliatifs,
Ellipses, 1999.
De nombreuses affaires judiciaires ayant trait à l’euthanasie ont défrayé la chronique.

Le 15 mars 2007 en France, le jury des assises de la Dordogne a condamné le docteur
Laurence Tramois à un an de prison avec sursis, et a acquitté l'infirmière Chantal Chanel.
En 2003, le médecin avait prescrit et l'infirmière avait administré une injection mortelle de
potassium à Mme Druais, 65 ans, une patiente atteinte d'un cancer du pancréas en phase
terminale, elles étaient depuis accusées d'empoisonnement. Les juges et les jurés n'ont
donc pas suivi totalement l'avocat général Yves Squercioni qui demandait des peines de
principes plus lourdes : un an de prison avec sursis contre l'infirmière et deux ans de
prison avec sursis contre le médecin. La défense avait plaidé l'acquittement en demandant
aux jurés de mettre fin à "l'hypocrisie" entourant selon elle ce débat de société. Le
ministère public souhaitait quant à lui des peines symboliques pour que soit rappelé le
principe de droit qui interdit à un médecin de donner la mort.


En 2003, l'affaire Vincent Humbert, décédé en France (qui a d'ailleurs accéléré le
processus de législation en France).
Au niveau européen, la Cour Européenne des Droits de l'Homme se montre très
réticente à l'égard de l'euthanasie. On peut notamment le constater dans l'affaire Diane
Pretty c. Royaume-Uni du 29 avril 2002, dans laquelle la Cour a refusé de reconnaître
un quelconque "droit à la mort" par le biais de l'article 2 CEDH, consacrant le droit à
la vie. En effet, pour la Cour, celui-ci ne saurait être interprété sans distorsion de
langage de manière négative, c'est-à-dire comme conférant un droit diamétralement
opposé, à savoir un droit à mourir. Il ne saurait davantage conférer un droit à
l'autodétermination en ce sens qu'il donnerait à tout individu le droit de choisir la mort
plutôt que la vie. En conséquence, il n'est pas possible de déduire de l'article 2 CEDH
un droit à mourir, que ce soit de la main d'un tiers ou avec l'assistance d'une autorité
publique.
• Euthanasie et religion
La tradition juive
Le judaïsme ne tolère l’euthanasie active en aucune circonstance. L’interdiction de tuer est
l’une des interdictions les plus absolues de la Torah (sauf en cas de légitime défense) 21 .
L’influence passive peut être autorisée sous certaines conditions. Le problème de fond est de
savoir quelle est la limite exacte entre une passivité permise et une passivité qui provoque la
mort ? Les décisionnaires sont unanimes à déclarer tout ce qui peut hâter la mort, même, selon
certains, si c’est la compassion qui inspire ce geste22.
Islam
La décision du malade d’en finir avec sa propre vie ne peut être acceptée car « sa vie ne lui
appartient pas ». Le moment de la mort est issu du seul décret de Dieu. Nul n’est autorisé à la
devancer, ce qui suppose l’interdit du crime, du suicide mais aussi de l’euthanasie 23 .
L’euthanasie est interdite juridiquement (shar’an), car elle correspond à un meurtre commis
« Celui qui détruit une vie est comme s’il détruisait un monde entier » (Michna de Sanhédrin, 37 a).
N. AUMONIER, B. BEIGNIER et P. LETELLIER, L’euthanasie, Que sais-je, PUF, 2006 ; T. MARMET
(sous la coordination de.), Ethique et fin de vie, Pratiques du champ social, Eres, 1997.
23
« Celui qui ôte une vie est considéré comme ayant tué l’humanité entière, celui qui sauve une vie est considéré
comme ayant sauvé l’humanité entière » (S5, V32).
21
22
par le médecin, même lorsqu’il agit à la demande du patient, en ayant l’intention d’abréger sa
souffrance. Bien entendu le devoir du médecin est de soulager les patients et diminuer leur
souffrance, mais sans pouvoir ôter la vie ou abréger les affres de la mort. Le Coran invite à la
recherche mais dans le cadre d’une éthique bien définie. Le médecin ne peut pas être plus
miséricordieux envers le patient que Dieu qui lui a donné la vie et qui la lui reprend dans les
conditions qu’il veut. La seule chose permise est de laisser le patient mourir naturellement. Si
l’islam interdit l’euthanasie, cela ne signifie pas qu’il soit favorable à l’acharnement
thérapeutique ; il laisse le médecin à ses responsabilités et lui fait confiance quant à discerner
les cas où il faut se battre jusqu’au bout et ceux dont l’issue fatale est inéluctable et où il
convient de laisser se réalisé le destin en essayant d’assurer au malade une fin de vie paisible
et une mort dans la dignité, sans l’accabler par des thérapeutiques agressives ou inutiles24.
Religion catholique
Pour le catholicisme, dont la doctrine à ce sujet a été explicitée par la lettre encyclique
Evangelium vitae (L'Évangile de la vie) du pape Jean-Paul II en 1995, l'euthanasie est en
opposition directe avec le 6e commandement : « Tu ne tueras point » (Exode XX/13). En
conséquence, toute forme d'euthanasie est prohibée. « L’euthanasie est donc un crime
qu’aucune loi humaine ne peut prétendre légitimer. Des lois de cette nature, non seulement ne
créent aucune obligation pour la conscience, mais elles entraînent une obligation grave et
précise de s’y opposer par l’objection de conscience » (Evangelium vitae, n°72-73)25.
Le Vatican a réaffirmé en septembre 2007 que l'alimentation des patients dans un "état
végétatif" était "obligatoire", à propos du cas de Terri Schiavo, une américaine dans le coma
pendant 15 ans et décédée en 2005 après que son alimentation eut été interrompue.En
revanche, l'acharnement thérapeutique est lui aussi refusé : « Il faut distinguer de l’euthanasie
la décision de renoncer à ce qu’on appelle l’acharnement thérapeutique, c’est-à-dire à
certaines interventions médicales qui ne conviennent plus à la situation réelle du malade,
parce qu’elles sont désormais disproportionnées par rapport aux résultats que l’on pourrait
espérer ou encore parce qu’elles sont trop lourdes pour lui et pour sa famille. Dans ces
situations, lorsque la mort s’annonce imminente et inévitable, on peut en conscience renoncer
à des traitements qui ne procureraient qu’un sursis précaire et pénible de la vie, sans
interrompre pourtant les soins dus au malade en pareil cas » (Evangelium vitae, n° 6).
• Quid des arguments pour et contre l’euthanasie
De nombreux arguments sont avancés par les détracteurs de l’euthanasie :elle est
interdite par de nombreuses religions: l'homme ne dispose pas de sa vie, c'est un don
(christianisme et islam par exemple) ; les risque de dérapage sont souvent invoqués (pressions
financières sur le malade à cause du coût élevé des soins pour les proches , pressions
financières pour les plus pauvres, qui risquent de « préférer » mourir rapidement , pressions
morales de la part des proches , difficulté de changer d'avis à partir d'un certain point
(inconscience) , interférence fréquente entre les notions de souffrance du patient et de
souffrance de l'entourage , idéal pour dissimuler un meurtre). les risques de dérive :
eugénisme, sélection des individus par rapport à une conception de la vie bonne, par suite,
cela pourrait devenir un instrument de domination sociale, sans compter les héritiers qui
peuvent en profiter pour accélérer un héritage...Une partie des médecins estime que les
N. AUMONIER, B. BEIGNIER et P. LETELLIER, L’euthanasie, Que sais-je, PUF, 2006 ; T. MARMET
(sous la coordination de.), Ethique et fin de vie, Pratiques du champ social, Eres, 1997.
25
N. AUMONIER, B. BEIGNIER et P. LETELLIER, L’euthanasie, Que sais-je, PUF, 2006
24
progrès en matière d'antidouleurs et de tranquillisants (soins palliatifs) rendent l'euthanasie
inutile. De plus, l'incapacité de décider, la décision pouvant être prise par quelqu'un d'autre,
reste au cœur du débat.
Les partisans de l’euthanasie ne manquent pas non plus d’arguments. Ils évoquent la valeur
fondamentale qu'est la dignité humaine : les mourants dans les sociétés modernes sont
abandonnés à l'hôpital et leurs souffrances sont peu prises en compte par les médecins ,une
légalisation de l'euthanasie éviterait la clandestinité du geste, de fait, le geste étant encadré,
évite aussi les dérives ; la maladie est socialement perçue comme une dégradation ; la maladie
peut entraîner des altérations des facultés psychiques (raison et volonté en particulier) sur
lesquelles reposent les valeurs morales de l'Occident ; l'euthanasie met fin à la souffrance ;
l'Homme est seul titulaire des droits associé à son corps, seul maître de sa vie ; c'est la simple
application de la liberté individuelle. Il doit être le seul à décider de ce qu'il veut faire de son
corps mais aussi de son esprit, c’est-à-dire de ce qui fait qu'il existe en tant qu'Homme.
Juridiquement, le corps humain, considéré comme une "chose sacrée", est un élément
extrapatrimonial. Il ne peut donc être question de propriété de celui-ci. Ceci résulte des
principes d'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes contenus dans le Code
Civil (art. 16 et s.). D’autres arguments sont avancés: la liberté de choix du malade, qui sait
mieux que quiconque ce qu'il désire. Cela permettrait aussi d'éviter l'acharnement
thérapeutique régi et limité par la loi Kouchner du 4 mars 2002. La dépendance très
importante ou totale de l'aide d'autrui, le sentiment d'inutilité sociale et la maladie, épreuve
difficile à surmonter, pousseraient à admettre cette pratique.
La volonté d’euthanasie a créé le débat sur les conditions du mourir. Mais la mise en
évidence des dangers ou des limites de cette position ont fait avancer la réflexion. Les soins
palliatifs sont nés de cette critique.
2. Les soins palliatifs ou comment la science « accompagne » la mort
Les soins palliatifs sont des soins actifs délivrés dans une approche globale de la
personne atteinte d'une maladie grave, évolutive ou terminale. L’objectif des soins palliatifs
est de soulager les douleurs physiques et les autres symptômes, mais aussi de prendre en
compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle afin d'améliorer la qualité de vie des
personnes.
Les soins palliatifs et l'accompagnement sont interdisciplinaires. Ils s'adressent au malade en
tant que personne, à sa famille et à ses proches, à domicile ou en institution. La formation et le
soutien des soignants et des bénévoles font partie de cette démarche.
Dans la délivrance des soins aux malades on distingue des soins curatifs, ayant comme
objectif la guérison ou le maintien d'une fonction vitale défaillante en attendant la guérison, et
des soins palliatifs qui ont comme objectif l'amélioration de la qualité de vie du patient par
une prise en charge pluridisciplinaire.
Toutefois, des soins curatifs peuvent être dispensés aux patients en soins palliatifs. Ainsi, un
traitement médical ou chirurgical, à visée curative peut être indiqué pour un patient en soins
palliatifs.
Le traitement de la douleur, le traitement des symptômes inconfortables (nausées,
constipation, anxiété...) sont des composantes essentielles de la phase palliative.
On distingue aussi les soins à visée préventive qui ont pour objectif de fournir à l'organisme
par divers moyens, la possibilité de s'armer de façon efficace pour combattre les atteintes de la
maladie et garder un état de santé optimal.
Enfin, il existe les soins de réhabilitation qui visent à faire retrouver à l'organisme et à sa
physiologie un état de fonctionnement optimal.
Les soins palliatifs peuvent, et doivent être pratiqués par toutes les équipes soignantes
spécialisées dans l'accompagnement des malades en fin de vie, aussi bien au domicile qu'en
milieu hospitalier, il existe des situations complexes nécessitant l'intervention d'équipes de
soins palliatifs (à caractère pluridisciplinaire).
En France, on distingue habituellement : les Unités de Soins Palliatifs où se gèrent des
situations de phases terminales complexes ne pouvant se dérouler au domicile ou en milieu
hospitalier traditionnel en raison notamment de la survenue de syndromes réfractaires, c’est-àdire résistants aux traitements habituels, altérant la qualité de vie restante du malade ; les
Équipes Mobiles de Soins Palliatifs qui interviennent soit au sein des services d'un même
hôpital, soit au sein de plusieurs établissements, soit à domicile, pour venir appuyer et
conseiller les équipes référentes dans la prise en charge de patients atteints de maladies graves
et potentiellement mortelles. Elles n'ont pas vocation à se substituer à l'équipe soignante ; les
Réseaux de maintien à domicile, sont chargés de coordonner l'action des soignants et des
équipes mobiles prenant en charge un patient atteint d'une maladie grave et potentiellement
mortelle ; d'autres structures comme par exemples les HAD, services d'Hospitalisation à
domicile, ou des lits identifiés pour la pratique des soins palliatifs au sein d'un service,
complètent l'ensemble de ces structures spécialisées « en soins palliatifs ».
Il existe un « mouvement en faveur des soins palliatifs ». Il s'agit de l'ensemble des valeurs
portées par ce qu'on appelle « le mouvement des soins palliatifs » dont l'origine remonte aux
pionnières anglo-saxonnes du « Saint Christopher Hospice » autour de Cicely Saunders. Le
docteur Maurice Abiven (1924-2007), spécialiste de médecine interne, fut l'un des pionniers
de la pratique des soins palliatifs en France et Charles-Henri Rapin, médecin gériatre suisse
l'est dans le monde francophone de la gériatrie. Ce mouvement s'appuie sur des concepts
éthiques faisant une large part à l'autonomie du malade, au refus de l'obstination
déraisonnable ainsi qu'au refus de vouloir hâter la survenue de la mort.
Les partisans des soins palliatifs en tant que concept de prise en charge, sont donc opposés à
l'euthanasie définie comme l'administration de substances à doses mortelles dans le but de
provoquer la mort dans un objectif compassionnel. Un des points importants défendu par le
mouvement des soins palliatifs est la place à reconnaître dans notre société à « celui qui
meurt ». Pour le mouvement des soins palliatifs, il est important de se rappeler que la mort est
un phénomène naturel de la vie.
Il existe de nombreuses définitions « officielles » des soins palliatifs: définition de la loi
française (Juin 1999), définition de l'OMS, etc. En France, la nouvelle loi d'avril 2005 apporte
un substrat juridique fort à ce système de valeurs.
On peut à titre d’exemple rappeler la position de l’Eglise à ce sujet : la Congrégation
pour la doctrine de la foi a rappelé l’obligation d’alimenter et d’hydrater les malades en état
végétatif, dans un document rendu public le 14 septembre 2007. Le Vatican répond à deux
questions posées par les évêques américains à la suite de l'affaire Schiavo en 2005. Il dit oui à
l’administration de nourriture et d’eau, « moralement obligatoire », mais non à la possibilité
d’interrompre la nourriture et l’hydratation fournie par voies artificielles à un patient en état
végétatif permanent.
Les soins palliatifs sont ainsi souvent invoqués comme une réponse à la demande
d’euthanasie. Il a été montré que si les souffrances du malade sont prises en charge et
soulagées, la demande d’euthanasie, souvent, s’éteint d’elle-même. Mais il est tout de même
difficile de ne pas signaler que parfois, les pratiques palliatives peuvent comporter des
échecs : certaines douleurs résistent à toutes les thérapeutiques antalgiques et surtout certaines
souffrances morales sont irréductibles26. Le débat n’est donc pas clos.
Ainsi la science médicale joue un rôle dans l’accompagnement de la fin de vie, en la hâtant
selon certains, en la laissant s’installer selon les autres, en la soulageant parfois ou du moins
en essayant. Mais la science peut influer sur la mort en tout début de vie pour y mettre un
terme, voir même avant la vie pour l’empêcher…c’est selon.
B’- La mort avant la vie
La question est de savoir si la science peut avoir une influence sur la mort avant même
que la vie n’ait été donnée : cette formulation semble paradoxale, et peut être l’est –elle, mais
c’est là tout le débat de l’avortement.
L'avortement se définit comme l'interruption avant son terme du processus de
gestation, c'est-à-dire le développement qui commence à la conception par la fécondation d'un
ovule par un spermatozoïde formant ainsi un œuf, se poursuit par la croissance de l'embryon,
puis du fœtus, et qui s'achève normalement à terme par la naissance d'un nouvel individu de
l'espèce.
L'avortement peut être spontané : on parle de fausse couche. Le terme médical de fausse
couche s'applique quel que soit le terme de la grossesse du premier jour de la grossesse jusque
la prise en charge médicale du fœtus. Avant 12 semaines d'aménorrhée c'est une fausse
couche précoce et après cette période il s'agit d'une fausse couche tardive (la majorité des
œufs fécondés ne sont pas viables dans des conditions normales et sont éliminés très
rapidement par l'organisme). Aussi, la science n’intervenant pas dans ce type d’avortement, il
ne fera pas l’objet de plus de développement.
La grossesse peut être interrompue volontairement sans raison médicale on parle alors
d’interruption volontaire de grossesse (IVG). On emploie généralement cette expression pour
désigner un acte effectué à la demande d'une femme non désireuse de sa grossesse. En France,
26
N. AUMONIER, B. BEIGNIER et P. LETELLIER, L’euthanasie, Que sais-je, PUF, 2006
l'avortement ne peut-être pratiqué qu'avant la 12ème semaine de grossesse, c'est-à-dire 14
semaines après le début des dernières règles. (1)
Enfin la grossesse peut être interrompue pour des raisons médicales tenant soit au fœtus soit à
la femme enceinte. On parle dans ce cas d'interruption médicale (IMG) ou thérapeutique de
grossesse (ITG). (2)
1. L’Interruption volontaire de grossesse
L'IVG est chez l'être humain, au-delà d'un phénomène physiologique concernant la
femme enceinte et l'embryon ou le fœtus qu'elle porte, un phénomène social, touchant la
cellule familiale et la société dans leurs valeurs morales. À ce titre, il n'y a rien d'étonnant
qu'il soit sujet à controverse tant du point de vue juridique que religieux et philosophique. Le
débat est spécialement vif car ce qui constitue l'un des pires crimes pour les uns (meurtre d'un
être innocent et sans défense), représente un droit pour les autres (libre disposition de son
corps, pour la femme).
Luc Boltanski 27 , sociologue français contemporain, note que, bien que l'avortement soit
presque toujours réprouvé, toutes les sociétés ont développé et pratiquent des techniques
abortives, le plus souvent en secret. L'avortement (ou l'infanticide du nouveau-né par
"accident" simulé) apparaît en effet parfois comme une réponse "simple" ou "décente" à des
grossesses hors mariage ou non désirées pour d'autres motifs.
L’Union soviétique fut l'un des premiers États modernes à reconnaître légalement le droit à
l'IVG (en 1920) - durant une période limitée toutefois, Staline ayant en 1936 supprimé ce
droit issu de la Révolution.
Chaque année il y a plus de 200 000 avortements en France, soit 14 IVG pour mille femmes
de 15 à 49 ans. Dans les années 75-85 l'ordre de grandeur du taux avortement/naissances était
de l'ordre de 33% en France, mais il a chuté depuis et se rapproche lentement de 25% dans les
années 2000. Après le pic de 1982 la tendance est à une baisse régulière 28 . L'avortement
clandestin est resté un phénomène significatif jusqu'en 1995, où il a commencé à régresser. Ce
n'est qu'en 2003 que ces cas, jugés marginaux, ont disparu des statistiques officielles. Cette
disparition très progressive montre que la dépénalisation de l'avortement ne suffit pas à le
banaliser.
Le changement de régime de la natalité française est l'effet de la révolution sexuelle
consécutive à la fin des années 1960: libéralisation des mœurs et généralisation de la
régulation des naissances. Elle coïncide approximativement avec la dépénalisation de
l'avortement de 1975, ce qui conduit certains opposants à l'avortement à lier les deux
phénomènes (le déficit de naissance en France serait dû aux avortements pratiqués).
V. L. BOTANLSKI, La condition fœtale : Une sociologie de l'avortement et de l'engendrement, Gallimard,
broché, essai, 2004.
28
Source : INED (Institut National d’Etudes Démographiques)
27
• Considérations éthiques ou religieuses relatives au droit à l'avortement
Les partisans du droit à l'avortement considèrent souvent que sa pénalisation est immorale
dans la mesure où elle conduit à des avortements clandestins, causes de fortes souffrances
humaines, tant psychologiques que biologiques.
Cependant, pour les adversaires de l'avortement, qu’ils fondent leur position sur une approche
religieuse ou non, le problème éthique est la défense de la dignité de l'être humain dès l'instant
de la conception. La comparaison du nombre des victimes n'est pas un argument pertinent de
ce point de vue, puisque la mortalité due aux avortements clandestins reste bien entendu
inférieure au nombre d'avortements pratiqués. En outre, la dépénalisation de l'avortement ne
supprime pas les souffrances psychologiques que peut subir la femme qui s'y décide29.
• Considérations éthiques ou religieuses relatives à l'acte d'avortement
Dans la plupart des sociétés humaines l'IVG est sujet à de violentes polémiques.
Il était traditionnellement interdit, pour différents motifs : maintien de rites familiaux : dans
de nombreuses sociétés, les enfants s'occupent de l'esprit de leurs ancêtres après leur mort ;
(notamment : tradition chinoise où l'avortement n'a jamais été illégal ni interdit mais était une
décision familiale et/ou sociale à laquelle la femme ne participait pas mais qu'elle subissait
uniquement), raisons démographiques : les gouvernements pensant que l'autorisation de
l'avortement fait baisser le nombre de naissance, motifs religieux : la plupart des religions
interdisent l'avortement car elles le considèrent comme une atteinte à la vie humaine
(notamment les religions monothéistes, mais aussi les religions orientales) ; inégalité entre les
sexes : l'homme ayant, ou aurait !, la primauté dans la décision d'avoir (ou non) un enfant, la
femme se voyait refuser le droit de prendre la décision d'avorter. La découverte en 2006, par
des chercheurs des Université de Yale et d’Oxford, que les premiers neurones apparaissent
dès le 31e jour suivant la fertilisation a apporté un certain renfort aux opposants à l'IVG qui
cherchent dans la science des éléments pour conforter leur position.
Les modifications sociales - affaiblissement de l'influence religieuse et de la sacralisation du
processus procréatif, importance décroissante du nombre par rapport à la richesse pour les
États, progrès médicaux, rapports sexuels chez les jeunes relativement plus précoces dans les
pays occidentaux et plus tardifs dans les autres, mauvaise information sur les moyens de
contraception, individualisme, affaiblissement du poids des traditions et égalité des droits
entre l'homme et la femme - ont progressivement atténué l'interdit, puis permis une
légalisation plus large (extension des cas concernés, allongement de la période légale…).
Sur le plan éthique, l'avortement soulève une question délicate sur la nature de l'embryon. Une
incompréhension se manifeste en particulier entre ceux qui estiment qu'un embryon humain
ne devient un être réellement humain et conscient que lors du début d'une activité cérébrale, et
ceux qui pensent que l'humanité ne dépend pas de l'évolution de la personne mais est
intrinsèque à sa nature humaine, dès la conception. D'un côté, l'avortement met fin à la vie de
"quelque chose" de vivant, pouvant potentiellement donner un être humain, doté d'une identité
"Cette question est un piège. Personne n’est « pour » l’avortement. Avorter, ce n’est pas une partie de plaisir
que l’on revendique en criant : « Vive l’avortement ! » On ne milite pas « pour l’avortement ». Mais « pour la
légalisation de l’IVG » ou « pour le maintien de la loi permettant les IVG » dans les pays où l’IVG est déjà
légale.
La
différence
est
énorme."
in
Site
Internet :
Les
chiennes
de
garde
(http://www.chiennesdegarde.org/article.php3?id_article=333&var_recherche=avortement)
29
génétique propre, et susceptible à terme d'acquérir l'ensemble des attributs humains. Un
avortement n'a donc pas la même nature, par exemple, qu'une amputation. D'un autre côté,
l'avortement porte sur un être précaire et inachevé, qui n'a aucune autonomie biologique
réelle. Suivant les cultures, suivant les positions de chacun, on parle ou non de tuer une
"personne" humaine en devenir.
En termes d'éthique, étant acceptée une interdiction de principe "tu ne tueras pas", ne faut-il
faire aucune différence quand l'organisme concerné présente des différences d'autonomie
d'une telle nature? Mais dans l'affirmative, où placer la limite, et pourquoi? La difficulté de
cette question vient de ce que la nature de l'embryon change à la fois physiologiquement, mais
en même temps continûment entre la conception et la naissance. Si tout le monde convient
qu'à l'instant précédant l'accouchement on a affaire à un être humain à part entière, tandis qu'à
l'instant avant la conception il n'y a que deux cellules appartenant aux parents, il existe dans
cette période de neuf mois deux possibilités, soit l'humanité débute à l'instant de la
conception, soit se présente un choix illimité de moments où fixer le début de la vie.
La difficulté du législateur est de trancher parmi toutes les positions possibles pour fixer un
délai légal d'IVG, délai qui fait nécessairement des mécontents de part et d'autres. Les uns et
les autres pouvant se réclamer de valeurs peu négociables (la vie humaine d'un côté, la liberté
de l'autre). Cela explique que l'avortement soit depuis quelques décennies un sujet de
controverse inépuisable.
En outre, la solution éthique ne peut pas faire l'économie d'une réflexion sur le drame que
peut représenter le choix dans un sens ou dans l'autre, compte tenu des pressions sociales
intenses qui s'entrecroisent sur la question.
D'un point de vue légal, la solution conduit à définir une limite précise au statut d'un
embryon, autorisant l'avortement en-deçà, et en le condamnant éventuellement au-delà. La
plupart des pays du monde ayant des législations différentes et variables avec le temps, on
peut en conclure que cette limite n'a pas été trouvée, la science ne pouvant pas, ou
difficilement, apporter une réponse.
• Avortement et religions
Les religions ou philosophies posant l'hypothèse des réincarnations sont assez neutres sur le
sujet, tandis que celles qui considèrent que la vie est unique (et donc spécialement sacrée),
comme le catholicisme, expriment davantage de réserves, voire une condamnation.
Cependant, parmi ces dernières, la plupart n'ont pas une position unanime sur le problème de
l'avortement - ou du moins ne l'expriment pas avec autant de force.
Bouddhisme
Le bouddhisme considère que l'existence, bhava, commence à l'instant de la conception. Il
interdit donc généralement l'avortement puisqu'il supprime une vie. Il reconnaît cependant
qu'il existe des situations qui le justifient. La définition exacte de ces situations est
généralement reconnue comme un problème social qui sort du cadre de la philosophie
bouddhiste.
Catholicisme
S'appuyant notamment sur Tertullien qui affirme au IIème siècle: Il est déjà un homme celui
qui doit le devenir (Homo est qui futurus est, Apologeticum, 9, 6-8), dès le concile d'Elvire
vers l'an 300, l'Église catholique punit l’interruption de grossesse d'excommunication, quel
que soit le stade de développement du fœtus. Toutefois, la question de savoir à quel moment
le fœtus doit être considéré comme entièrement humain (ce qui rend l'avortement
condamnable au même titre qu'un meurtre) a été longuement débattue.
Au Concile de Vienne en 1312, « l’Eglise Catholique a exclu tout dualisme entre le corps et
l’âme dans la nature humaine, niant ainsi la préexistence de l’âme avant le corps ; il faut les
deux pour constituer un être humain, l’âme animant le corps. Toutefois le Concile n’a pas
précisé à quel stade du développement humain avait lieu cette union de l’âme et du corps ».
La thèse de l'animation médiate (c'est à dire différée), qui avait la faveur de Saint Thomas
d'Aquin, parait être la plus répandue chez les pères conciliaires mais elle n'est pas rendue « de
fide », c'est à dire engageant la foi. Le Concile de Trente (1563), ne prend lui non plus pas
partie quand à la date de l'animation du fœtus. Cependant, l'avortement n'est pas condamné en
tant que meurtre sur un être humain, mais à cause du respect dû à l'embryon dès sa
conception, que sa nature entièrement humaine soit réalisée ou non.
En 1679, Innocent XI confirme que la condamnation de l'avortement est indépendante des
controverses théologiques sur la date d'« animation » de l'âme. Ensuite, les différents papes
reviendront à de nombreuses reprises sur ce sujet sensible. La bulle effraenantum de Sixte V
en 1588 fait de tout avortement un crime méritant excommunication. Elle fut annulée par son
successeur Grégoire XIV trois ans plus tard en raison des abus provoqués par une application
trop stricte de la sentence.
C'est à partir de la fin du XIXe siècle que la papauté favorise la thèse de « l'animation
immédiate » définissant que l'être humain existe dès la conception, par la lettre Apostolicae
Sedis de Pie IX en 1869. Pour autant, si la condamnation de l'avortement est renforcée par
cette thèse, celle-ci n'est pas « de fide ». Casti connubii de Pie XI en 1930, Humanae Vitae de
Paul VI en 1968, et enfin Evangelium vitae de Jean-Paul II en 1995 vont répéter cette
condamnation absolue de l'avortement provoqué.
Aujourd'hui, dans l'Église catholique 30 , « qui procure un avortement encourt
l'excommunication latae sententiae », c'est-à-dire d'une exclusion automatique du simple fait
que l'acte ait été commis, sans que l'autorité cléricale ait à se prononcer. On peut noter que
cette forme d'excommunication, provoquée par l'acte même (ce n'est pas une juridiction
ecclésiastique qui décide d'excommunier) est rarissime pour les laïcs (la plupart des cas
recensés dans le droit canon concerne les clercs), ce qui montre bien la force de l'interdit pour
l'Église catholique.
Bien que le magistère semble avoir tranché définitivement la question, une thèse subsiste chez
certains théologiens « libéraux » dans le cas où la grossesse entraîne un risque de mort pour la
mère : ils considèrent qu'une « légitime défense » peut être alors moralement acceptable.
Leurs contradicteurs rappellent quant à eux l'incertitude du pronostic médical.
30
Voir la position officielle de l'Eglise catholique romaine
(http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19741118_declarationabortion_fr.html)
L'Eglise entend porter un jugement sévère sur l'acte lui-même et non pas condamner la
personne, ce que montre sa recommandation sur l'accueil pastoral qui doit être réservé aux
femmes ayant avorté : elle souligne que cet acte, qu'elle considère très grave, est traumatisant
pour la personne qui l'a vécu, qui doit donc du fait même être accompagnée avec une
sollicitude toute particulière. D'autre part, l'Église affirme que l'avortement résulte souvent
d'une pression sociale31, contre laquelle il convient de lutter par des actions sociales adaptées
(éducation à la responsabilité sexuelle, centre d'accueil pour mères en détresse).
En revanche, l'Église condamne sévèrement les membres du corps médical procédant à
l'avortement (et ce, même dans le cas de prescription de médicament abortif — par exemple la
« pilule du lendemain ») en les excommuniant. Ceci s'applique également aux hommes
politiques qui défendent l'avortement.
Islam
L'islam prohibe l'avortement mais cet interdit est plus ou moins sévère suivant les
circonstances et l'état de développement du fœtus. L'interdiction est absolue après 120 jours
de grossesse (insufflation de l'âme réelle). Hormis pour l'école malékite, l'avortement peut
être admis avant les 120 jours en cas de grande nécessité reconnue (malformation du fœtus,
danger vital pour la femme enceinte, viol, femme handicapée ne pouvant assurer l'éducation
de l'enfant).
Judaïsme
L'avortement n'est pas explicitement mentionné dans les commandements de la Torah.
Cependant, certaines de ses dispositions concernent la vie fœtale, directement ou non. La
disposition la plus sévère est liée à l'interdiction de tuer. Cette interdiction est directe dans le
cas où la halakha considère que le fœtus est un être vivant, mais les sources talmudiques ne
sont pas univoques ni même claires à ce sujet (par exemple, Rachi semble indiquer qu'un
fœtus n'est pas nécessairement un être humain). Pour ce qui est des autres dispositions, le
respect généralement dû à la vie humaine (manifeste dans l'interdiction de blesser ou de
détruire la semence humaine) conduit également à argumenter contre l'avortement. De ce fait,
cet acte est généralement considéré comme "contraire à la loi", et réprouvé en conséquence.
Cependant, le Talmud ne considère qu'un fœtus ne soit formé qu'après quarante et un jours, un
avortement avant ce délai est donc considéré moins sévèrement.
La loi juive autorise l'avortement si le fœtus constitue une menace directe pour l'intégrité de la
femme enceinte. Les limites de cette menace sont cependant très discutées. La Mishna (Oh
7,6) dit explicitement que l'on doit sacrifier le fœtus pour sauver la mère, parce que la vie de
la mère a priorité sur celle de l'enfant qui n'est pas né. Par suite, la plupart des autorités
rabbiniques autorisent l'avortement en cas de menace vitale pour la femme, mais d'autres
étendent cet avis au cas du risque d'aggravation d'une maladie physique ou psychique de la
mère. Pour certains rabbins cette menace peut même être étendue au cas d'adultère, voire aux
grossesses extraconjugales du fait de l'atteinte grave à l'honneur qu'elles entraînent.
Dans leur immense majorité (on peut citer l'exception du rabbin Eliezer Waldenberg), les
autorités juives ne reconnaissent pas les infirmités du fœtus comme une indication de
31
Voir l'encyclique "Evangelium vitae".
(http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_25031995_evangeliumvitae_fr.html)
l'interruption de la grossesse. Rav Moshe Feinstein interdisaient ainsi les diagnostics prénatals
qui entraînent les parents à demander une action abortive.
Église orthodoxe
Les Églises orthodoxes des sept conciles se réfèrent au canon 91 du concile Quinisexte de
692 : « Les femmes qui procurent les remèdes abortifs et celles qui absorbent les poisons à
faire tuer l'enfant qu'elles portent, nous les soumettons à la peine canonique du meurtrier ».
En général elles reconnaissent que certains cas extrêmes, comme un danger de mort pour la
femme enceinte, peuvent justifier un acte abortif. C'est alors à la femme de prendre cette
décision. La position des Églises orthodoxes rejoint, sur le plan de la morale, celle du
catholicisme.
Protestantisme
Les Églises protestantes historiques (presbytérienne, épiscopalienne, méthodiste…) adoptent
des positions variées. L'avortement est une question éthique, et les protestants considèrent le
plus souvent qu'en matière de morale, c'est à chacun de prendre ses responsabilités face à
Dieu. Ils acceptent généralement l'avortement en cas de grave danger pour la femme enceinte,
et ne condamnent pas formellement les autres cas. Ainsi par exemple, la Fédération des
Églises protestantes de la Suisse a soutenu la révision du code pénal donnant aux femmes le
droit de décider librement sur l'interruption d'une grossesse dans les 12 premières semaines.
Les Églises évangéliques interdisent fermement l'avortement.
• Aspects légaux
Le débat juridique traduit directement le problème éthique. Le droit inaliénable de tout
individu à la vie est un élément constitutif de la société civile, qui participe à la définition de
la nature humaine. Dans la pratique, le droit doit poser des limites entre ceux qui sont
effectivement reconnus comme individus et "le reste". Ainsi, « le droit de toute personne à la
vie est protégé par la loi »32, mais la Cour Européenne des Droits de l'Homme a considéré que
« en l'absence d'un consensus européen sur la définition scientifique et juridique des débuts de
la vie, le point de départ du droit à la vie relevait de la marge d'appréciation que la Cour
estime généralement devoir être reconnue aux Etats dans ce domaine »33.
Dans le droit moderne, la solution est généralement que le nouveau-né n'acquiert sa
personnalité juridique qu'à la naissance et à condition de naître « vivant et viable ». Avant sa
naissance, il n'est donc pas une personne. C'est un "objet juridique" éventuellement porteur de
droits privés ou publics. C'est pour cette raison que la Cour de cassation en France a rejeté à
plusieurs reprises la qualification d'homicide (qui suppose la mort d'une personne humaine)
quand un embryon meurt suite à un accident.
La libéralisation de l'avortement (limité à un certain avancement de la grossesse) résulte
initialement de la prise en compte de la situation de "la femme enceinte que son état place
dans une situation de détresse" (art. 317-1). Il conduit à une "dépénalisation", c’est-à-dire que
32
33
Article 2 CEDH
CEDH, 8 juillet 2004, aff. Vo c/France ; C-53924/00
la situation de détresse est considérée comme un mal objectif, plus grave que la fin de la
grossesse, et que la société ne doit pas sanctionner l'acte qui y met fin.
La notion de "droit à l'avortement", en revanche va plus loin. Elle revient à considérer que
l'embryon n'a pas à bénéficier d'une protection particulière, parce que la femme enceinte doit
pouvoir choisir en toute liberté de conduire ou non à terme sa grossesse, sans avoir à justifier
de ses raisons.
Le droit français dispose que l'enfant à naître doit être considéré comme né chaque fois que
cela va dans son intérêt, ce qui semble constituer un empêchement à la reconnaissance d'un tel
droit, alors que la première approche semble plus compatible.
L'approche par la dépénalisation conduit à entourer l'avortement d'entretiens psychologiques
et de formalités diverses, destinées à assurer que l'avortement demandé n'est pas "de simple
convenance". En pratique, ce filtre s'avère d’un formalisme peu pertinent : dès lors qu'une
"dépénalisation" est inscrite dans la loi, elle revient en pratique à un "droit à l'avortement",
aux procédures administratives près.
Dans la majorité des pays européens, l'interruption volontaire de grossesse peut être
légalement pratiquée dans les dix à douze premières semaines d'aménorrhée (vingt-et-une aux
Pays-Bas) alors qu'il n'y a pas de limite légale à l'interruption médicale de grossesse. D'un
point de vue médical, il n'est pas possible de définir une « bonne » durée, le choix est
fondamentalement politique.
En Europe, certains pays comme l'Irlande ou Malte n'autorisent pas l'IVG, ce qui peut être
rapproché de l'importance de la population catholique dans ces pays. Il n'y a pas de position
commune en Europe.
Le 11 février 2007, un référendum sur la question au Portugal conduit à 60% en faveur d'une
dépénalisation, mais avec une participation inférieure au 50% requis pour que ce résultat soit
juridiquement contraignant.
France
En France, l'avortement a longtemps été pénalisé, passible des travaux forcés à perpétuité,
voire de la peine de mort (Marie-Louise Giraud, dite « la faiseuse d'anges », avorteuse
pendant la guerre, a été guillotinée le 30 juillet 1943).
La dépénalisation de l'avortement et l'encadrement légal de l'interruption volontaire de
grossesse (IVG) se firent en 1975, à l'époque où Simone Veil était ministre de la Santé du
Gouvernement Chirac sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing.
Cette décision arrivait après un mouvement mené dans les débuts des années 1970 par les
mouvements féministes, qui se fondaient sur plusieurs arguments : le droit à l'avortement
relevait du droit à disposer de son corps, les IVG clandestines se déroulaient dans des
conditions sanitaires préoccupantes, l'accès à la contraception était insuffisant.
En 1972, le procès de Bobigny, où fut jugée une jeune fille mineure qui avait avorté après un
viol, devient un procès politique autour de l'avortement, qui suscite de larges débats et aboutit
à l'acquittement de la prévenue.
La loi n° 75-17, du 17 janvier 1975, relative à l'interruption volontaire de grossesse34 posa
deux formes d'interruption de grossesse (avant la fin de la dixième semaine et thérapeutique).
Elle fut confirmée par la loi n° 79-1204, du 31 décembre 1979, relative à l'interruption
volontaire de grossesse35.
La dernière tentative pour limiter l'impact de cette loi sur l'avortement échoua devant le
Conseil d'État le 31 octobre 1980 36 . Madame Lahache avait subi un avortement sans en
informer son mari. Ce dernier avait attaqué devant le Conseil d'Etat l'administration
hospitalière qui l'avait pratiqué, estimant que son avis était requis pour autoriser cet acte,
d'autant que sa femme n'était pas, selon lui, dans une situation de détresse. Le Conseil d'État a
statué comme suit: « les articles L162-1 à L162-11 du code de la santé publique permettent à
toute femme enceinte qui s'estime placée par son état dans une situation de détresse et qui s'est
soumise aux consultations prévues par certains de ces articles d'obtenir l'interruption de la
grossesse avant la fin de la 10ème semaine. Si, d'après le dernier alinéa de l'article L162-4,
"chaque fois que cela est possible, le couple participe à la consultation et à la décision à
prendre", il ressort de ce texte, éclairé par les travaux préparatoires de la loi, que cette
disposition, qui présente un caractère purement facultatif, n'a ni pour objet, ni pour effet de
priver la femme majeure du droit d'apprécier elle-même si sa situation justifie l'interruption de
sa grossesse. »
L'avortement est remboursé par la Sécurité sociale depuis la loi du 31 décembre 1982. La
période légale pendant laquelle une femme peut pratiquer de sa seule volonté une interruption
de grossesse avait été initialement fixée aux dix premières semaines de grossesse, soit douze
semaines d'aménorrhée. La loi n° 2001-588, du 4 juillet 2001, relative à l'interruption
volontaire de grossesse et à la contraception37 allongea la période de dix à douze semaines de
grossesse. En revanche, l'avortement pour motif thérapeutique peut être pratiqué au-delà du
délai des douze premières semaines et jusqu'au dernier moment de la gestation.
Jusqu'à la promulgation du nouveau Code pénal en 1994, le droit français connaissait
l'infraction d'avortement. Ainsi, jusqu'à cette date, l'interruption légale de grossesse était
comprise juridiquement comme une dérogation à un délit. La loi de 1975 n'avait créé qu’un
fait justificatif qui permettait d'éviter les poursuites pénales. Désormais, l'interruption
volontaire de grossesse est défendue comme un droit, voire une liberté pour la femme
dans la limite des douze premières semaines de gestation (12 semaines de grossesse, soit
14 semaines d'aménorrhée). À l'appui de cette analyse, on relève fréquemment que le
nouveau Code pénal et le Code de la santé publique posent une série d'infractions qui ont pour
finalité la protection de l'avortement légalement organisé. Cependant, la législation maintient
le principe que l'avortement n'est ouvert qu'à la femme enceinte qui estime que son état place
dans une situation de détresse. Sont prohibées les interruptions de grossesse pratiquées sans le
consentement de l'intéressée, les interruptions de grossesse pratiquées en violation des règles
posées par le Code de la santé publique.
La loi n° 93-121, du 27 janvier 1993, portant diverses mesures d'ordre social, a introduit dans
le Code de la santé publique l'infraction d'entrave aux opérations d'interruption de grossesse.
34
JO, 18 janvier 1975, p.739
JO, 1er janvier 1980, p.3
36
CE, 31 oct. 1980, Lahache, n° 13028, http://www.rajf.org/article.php3?id_article=1134
37
JO, 7 juillet 2001, p.10823
35
La loi du 2 juillet 2004 a autorisé l'utilisation du RU 486 pour un avortement médicamenteux
chez le médecin de ville et depuis 2007 l'IVG médicamenteuse peut être délivrée dans les
Centres de Planification et d'Education Familiale (CPEF).
Le Serment d'Hippocrate prêté par tout médecin interdisait l'avortement ("je ne remettrai à
aucune femme un pessaire abortif") ; il dut pour cette raison être réformé en 1996.
• Quelques positions sur l’avortement à l’étranger
Canada
Actuellement, les lois sur l'avortement au Canada sont parmi les moins restrictives au monde.
La section du Code criminel du Canada traitant de l'avortement a été supprimée par la
décision de la Cour suprême dans la cause R. c. Morgentaler (1988), établissant que la
restriction sur l'IVG allait à l'encontre du droit de la sécurité de la personne garanti aux
femmes par la Charte canadienne des droits et libertés.
Dans le cas de R. c. Morgentaler (1993), la Cour a également annulé les restrictions sur l'IVG
relevant des provinces. Actuellement, l'IVG sur demande est légale partout au Canada, bien
que certaines provinces en restreignent la disponibilité par le biais de distribution de services
ou de ressources, notamment au Nouveau-Brunswick.
Au Québec, il arrive que l'État distribue des feuillets aux citoyens concernant le
remboursement gratuit d'une ou de plusieurs IVG. Le programme de remboursement est
aujourd'hui estimé à 13 millions de dollars pour 40 000 femmes. À l'exception de quelques
ghettos afro-américains et hispaniques américains, le peuple québécois a le taux d'IVG le plus
élevé en Occident.
Suisse
La Suisse a été parmi les premiers pays à autoriser l'interruption de grossesse si la vie ou la
santé de la mère était en danger, en 1942. Après avoir interprété le terme de santé strictement
au sens de santé physique, la jurisprudence élargit son interprétation à la santé psychique au
cours des années 70 et la pratique s'est peu à peu libéralisée. En 2002, le peuple a accepté en
votation populaire (par 72% de oui) une nouvelle législation dite régime du délai qui permet
l'interruption volontaire de la grossesse dans les 12 premières semaines d’aménorrhée.
Belgique
Pour être légale, l'IVG doit être pratiquée avant la 12ème semaine de grossesse (ou 14
semaines d'aménorrhée). Les conditions suivantes doivent être respectées: la femme doit
présenter un état de détresse reconnu par un médecin (cet état n'est pas défini par la loi);
l'interruption doit être pratiqué par un médecin; des informations sur les alternatives possibles
à l’avortement doivent être à disposition de la patiente; un délai de 6 jours doit être respecté
entre le premier contact et le jour de l’avortement38. Concernant les mineures, la loi n'impose
aucun accord parental.
38
Concernant le dernier point la jurisprudence reconnaît qu'il n'est pas toujours possible à respecter en cas
d'urgence.
Notons également qu'aucun médecin ou personnel médical (y compris les étudiants) n'est
obligé de participer à une IVG si cela va à l'encontre de ses convictions personnelles.
Cependant, le médecin est obligé, le cas échéant, d'adresser la patiente vers un centre ou un
médecin qui pourra accéder à sa demande.
Au dessus de 14 semaines d'aménorrhée, l'interruption thérapeutique de grossesse est possible
en cas de risque pour la santé de la mère ou de l'enfant.
États-Unis d'Amérique
La conclusion de l'arrêt Roe v. Wade de la Cour suprême en 1973, fut que le droit d'une
femme à l'avortement concerne le droit à la vie privée protégé par le 14ème amendement.
L'avortement est autorisé dans tous les États, jusqu'en 2005, dans les conditions suivantes :
jusqu'à la fin du premier trimestre, la décision de l'avortement est laissée au jugement de la
femme enceinte. Au cours du second trimestre, l'État, ayant comme objectif la santé de la
femme enceinte peut, éventuellement, réguler cet avortement de façon raisonnable
relativement à la santé "maternelle".
Selon l'institut Guttmacher, un organisme américain spécialisé, cité par Le Monde du
1er novembre 2005, 1 290 000 de femmes ont subi une IVG en 2002 aux États-Unis, soit un
taux proche de 5 pour mille, qui est un des plus forts des pays riches. 67% d'entre eux
concernent des femmes non mariées. Le nombre de femmes ayant avorté est passé de 30 %
dans les années 80 à 21 %, mais reste néanmoins un des plus forts des pays riches. Ce taux
serait dû à des difficultés grandissantes dans l'accès à la contraception, alors que le
gouvernement promeut l'abstinence.
Depuis 1992, la Cour suprême a reconnu aux États la possibilité d'apporter des restrictions
aux modalités d'avortement. 487 lois ont été adoptées pour réduire sa portée, ainsi des
notifications parentales sont exigées dans 33 états. Le juge Samuel Alito préconisait même
une notification à l'époux.
Si Roe v. Wade devait être déjugé et les états libres d'autoriser ou non l'IVG, 21 pourraient de
nouveau la bannir. Certains disent que les restrictions y sont parfois déjà si élevées que la
situation n'en serait guère changée dans la pratique.
Le 7 novembre 2006, la proposition d'interdire l'IVG dans le Dakota du Sud a été rejetée par
les citoyens39.
Mexique
Alors que l'IVG est pénalisée dans toute l'Amérique du Sud (sauf Cuba et Guyana), la
province de Mexico a voté le 24 avril 2007 l'autorisation de l'IVG jusqu'à 12 semaines (et plus
en cas de danger pour la santé de la mère, de viol ou de malformation du foetus)40.
39
« Le Dakota du Sud rejette l'interdiction totale de l'avortement », Libération, 08 novembre 2006.
http://www.liberation.fr/actualite/monde/215788.FR.php.
« Au Mexique, l’avortement est autorisé dans la capitale », L’Humanité, 26 avril 2007.
http://www.humanite.fr/2007-04-26_International_Au-Mexique-l-avortement-est-autorise-dans-la-capitale.
40
2. L’Interruption médicale de grossesse
L'interruption médicale de grossesse (IMG) peut être indiquée lorsque la grossesse met
gravement en danger la vie de la mère ou lorsque le fœtus est atteint d'une maladie grave
incurable au moment du diagnostic. Elle est possible en France à tout âge de la grossesse
jusqu'au terme de la grossesse
En France, "La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de
celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie" (art. L 2211-1
du code de la santé publique).
En revanche, le fœtus n'a, aux yeux de la loi française, aucune existence en tant que
« personne ». Ce n'est qu'à la naissance, s’il naît vivant et viable, qu'il obtient le statut de
personne et acquiert ainsi la personnalité juridique. La loi française permet de causer la mort
d'un fœtus in utero par des techniques médicales (quand cet acte est licite), puis de déclencher
l'accouchement sur un fœtus mort, sans s'exposer au crime d'assassinat.
Les termes de la loi Veil Pelletier (en particulier l'article 162-12 du Code de la santé publique)
forment un cadre délibérément peu « directif », en accord avec l'état des connaissances de
l'époque (1979), laissant un important degré d'interprétation médicale. Les modalités pratiques
de « l'interruption médicale de grossesse » ont été depuis précisées, entre autres, par l'article
13 de la loi 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits
du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, qui énonce
que : « En outre, si l'interruption de grossesse est envisagée au motif qu'il existe une forte
probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue
comme incurable au moment du diagnostic, l'un de ces deux médecins doit exercer son
activité dans un centre de diagnostic prénatal pluridisciplinaire ».
• Indications :
Toute maladie maternelle, dont l'évolution peut être gravement perturbée par une grossesse,
même normale, peut être indication à une IMG. Ces indications sont rares aujourd'hui :
pathologie cardiaque grave, avec risque de décompensation cardiaque durant la grossesse ;
pathologie cancéreuse, où le retard de traitement occasionné par la grossesse peut être
gravement préjudiciable à la survie maternelle ; pathologie psychiatrique, lorsque la grossesse
entraîne la décompensation d'une névrose préexistante avec risque suicidaire.
Dans ces cas de pathologies maternelles, l'avis de deux médecins experts est requis (l'un
expert de la pathologie maternelle et l'autre, si possible, membre d'un centre de diagnostic
anténatal).
Une IMG peut être indiquée pour tout risque important de pathologie fœtale grave, reconnue
comme incurable au moment du diagnostic : malformation d'un organe fonctionnel létale à
plus ou moins brève échéance (agénésie rénale, hypoplasie pulmonaire, extrême prématurité
inéluctable) ; atteinte cérébrale ou nerveuse risquant d'entraîner un déficit neurologique grave
(hydrocéphalie, agénésie de diverses régions cérébrales, atteinte infectieuse cérébrale) ;
anomalie chromosomique avec déficit intellectuel ; autres malformations ou maladies fœtales
entraînant une qualité de vie gravement perturbée.
Dans ces situations, l'avis des parents est prépondérant. Après consultations auprès de
plusieurs spécialistes concernés (obstétricien, chirurgien infantile, neuro-pédiatre, cardiopédiatre, généticien, psychiatre...), le couple formule une demande, qui est examinée par un
centre de diagnostic anténatal pluridisciplinaire. Le centre de diagnostic anténatal rend alors
un avis (favorable ou défavorable) sur l'IMG.
• Aspects moraux
Les aspects moraux de l'IMG sont multiples et continuent de faire couler beaucoup d'encre...
En elle-même, la notion de « risque » de malformation grave est très subjective, chaque
couple étant libre de choisir le risque qu'il accepte de courir pour avoir un enfant (toute
grossesse étant de toute façon une prise de risque). Le centre de diagnostic anténatal doit
apprécier en conscience si le risque théorique justifie ou non d'interrompre la grossesse.
La notion de « qualité de vie inacceptable » est elle aussi très subjective. On peut comprendre
par exemple qu'un couple de pianiste vivrait comme un terrible handicap l'agénésie d'une
main chez leur enfant. Là encore, la mission du centre de diagnostic anténatal est de
« replacer » cette qualité de vie dans un sens général.
La notion de « handicap mental » est entièrement soumise à l'idée que s'en fait la société. On
peut se demander comment serait ressentie par cette société le handicap de la Trisomie 21, par
exemple, si les structures de prise en charge de tels enfants étaient plus développés, avec une
réelle volonté d'intégrer dans la société des individus au quotient intellectuel certes inférieur à
la normale, mais heureux de vivre avec.
De plus, certains s’interrogent sur la moralité d’un tel acte puisqu’ « une seconde avant » la
naissance prévue de l’enfant, la mère peut décider de mettre un terme à sa grossesse, alors
qu’ « une seconde après », cet acte serait qualifié d’infanticide et puni comme tel.
Enfin, bien que les conditions pour accorder une IMG sont très strictes, le risque de dérive
eugénique est souvent évoqué : l'idée actuelle d'« enfant unique parfait » fait craindre des
excès.
3. L’Eugénisme
L'eugénisme désigne la volonté d'améliorer l'espèce humaine. Ce souhait, qui existe depuis
l'antiquité peut se traduire par une politique volontariste d'éradication des caractères jugés
handicapants ou de favorisation des caractères jugés « bénéfiques ». Par exemple, à Sparte
l'eugénisme a longtemps été pratiqué : les enfants nés malades ou faibles étaient tués dès la
naissance ainsi que les handicapés mentaux et physiques. De cette manière, seuls les plus
« forts » subsistaient et pouvaient se reproduire.
On peut distinguer l'eugénisme, pratique humaine, sociale et collective, de la préoccupation
individuelle généralisée (chez l'homme et chez les animaux) d'assurer à ses enfants le
« meilleur » co-reproducteur (quoique « meilleur » puisse signifier : taille des cornes, couleurs
des plumes, ou étendue du patrimoine ou de la culture, etc.), ainsi que de la pratique qui
consiste à favoriser le plus prometteur de ses enfants. Ces stratégies ne se préoccupent pas du
devenir de l'espèce humaine, mais seulement de l'avenir de ses propres enfants ou de sa
famille. Néanmoins, les méthodes et les buts, une fois sommés sur l'ensemble des individus,
sont bien les mêmes.
L'eugénisme plus strict qui serait régi par une société pose de sérieuses questions éthiques car
il implique une sélection portant nécessairement une part de subjectivité et une part de
contrainte (envers les individus écartés ou à l'égard des individus incités à se reproduire, voire
à se reproduire avec telle personne et nulle autre).
En outre, l'histoire du XXème siècle a fourni des exemples de graves dérives morales associées
aux politiques eugéniques (programme Aktion T4).L'"Eugénisme est la direction propre à
l'évolution humaine": Logo du Second International Congress of Eugenics, 1921, décrivant
l'eugénisme comme un arbre dont le tronc est crée à partir des différents champs de
connaissances de l'humanité.
• Histoire du terme « eugénisme »
L'étymologie du mot « eugénisme » est grecque : eu (« bien ») et gennân (« engendrer »), ce
qui signifie littéralement « bien naître ». La signification du terme eugénisme a évoluée depuis
sa première utilisation. Le terme eugénisme est dérivé du terme eugénique. Le terme (the
eugenics) a été popularisé par le psychologue et physiologiste anglais, Francis Galton, demicousin de Charles Darwin par le biais d'Erasmus Darwin.
En 1883, Francis Galton (ne connaissant pas les travaux de Gregor Mendel sur la transmission
des caractères héréditaires) écrivit un ouvrage utilisant pour la première fois le terme the
eugenics. À l'époque, Galton ne faisait pas la distinction entre : l'amélioration génétique des
humains par sélection de caractères héréditaires jugés souhaitables et/ou élimination des
caractères jugés indésirables et ; l'amélioration des individus par des interventions portant sur
leurs conditions de vie.
Cette absence de séparation nette entre aspect génétique et aspect social ne s'est dissipée que
progressivement.
En 1936, Julian Huxley définit l'eugénique comme l'ensemble des méthodes visant à
améliorer les races humaines. Son objectif est de compenser sur le long terme l'effet anti
sélectif des systèmes sociaux et politiques des pays développés. À cette époque, le terme
d'eugénique semble avoir eu une définition beaucoup plus sociale que génétique. (Voir la
malencontreuse terminologie "Darwinisme social".)
Le principe initial défini par Galton était directement en rapport avec l'enseignement et les
travaux de Darwin, lui-même très influencé par Malthus. Les mécanismes de la sélection
naturelle sont contrecarrés par la civilisation humaine. En effet, un des objectifs de la
civilisation est d'une certaine façon d'aider les défavorisés, donc de s'opposer à la sélection
naturelle qui entraînerait la disparition des plus faibles. Mathématiquement et si les conditions
de survie restent identiques entre toutes les époques (c'est ce point qui est largement
contestable), la perte d'efficacité liée à la protection de la civilisation pourrait entraîner une
augmentation progressive du nombre d'individus inadaptés. Les partisans de l'eugénisme ont
donc proposé des compensations de ces effets au sein des sociétés dites évoluées.
Les principes de l'eugénisme sont posés sur cette conception de base : compenser la perte des
mécanismes de sélection naturelle. Cette conception a inspiré plusieurs philosophies, théories
et pratiques sociales.
Un humaniste comme Jean Rostand a mis en garde dans son ouvrage Pensées d'un biologiste
contre le fait qu'une société qui prendrait sérieusement en mains la question de l'eugénisme
pourrait bien s'assurer un avantage décisif sur les autres.
• Interprétations de l'eugénisme
La conception darwinienne n'a pas été reçue de la même façon dans tous les pays. Ainsi la
France, par exemple, est restée longtemps réticente aux idées darwiniennes car marquée par le
lamarckisme et influencée par la position de l'Église Catholique.
La théorie de Lamarck est réfutée depuis la découverte de la génétique. Il est cependant
intéressant de faire un bref rappel.
Pour Lamarck, le moteur de l'évolution reposait surtout sur l'hérédité de caractères acquis,
favorisant la descendance d'individus ayant fait l'effort de s'adapter. Selon Lamarck,
l'amélioration des races humaines passe par conséquent par l'amélioration des conditions de
vie, de façon à ce que la modification de son environnement améliore à terme la qualité de
l'homme futur. Cet eugénisme là - qui fut aussi raciste parfois - a constitué la position
eugéniste dominante en France, ainsi qu'une incitation - hélas ici bien inutile, puisque les
caractères acquis ne se transmettent pas - à la pratique du sport.
Pour Darwin, le moteur de l'évolution reposait sur la sélection naturelle éliminant les
individus les moins adaptés à la survie et ne favorisant que les plus aptes à la reproduction (y
compris dans le fait de séduire un partenaire et de prendre soin de la progéniture) ; prudent,
toutefois, Darwin expliqua aussi dans L'Origine des espèces que sa théorie restait compatible
avec une éventuelle transmission de caractères acquis.
• De bonnes intentions, des moyens discutables, un but incertain
Selon ses défenseurs, l'eugénisme visait à assurer une humanité plus adaptée, donc en principe
plus heureuse. Ce n'est donc pas sa fin en elle-même qui a été critiquable, mais bien souvent
les moyens choisis. Si le diabète, l'hémophilie et d'autres maladies héréditaires venaient à être
éliminées par thérapie génique, tout le monde en serait ravi ; cette forme d'eugénisme ne pose
pas les difficultés de sa variante du XIXe et XXe siècles, périodes où les moyens utilisés
avaient dépassé les bornes autorisées par nos propres valeurs.
Mais quid de l'orientation à choisir, même par des moyens licites ?
Par exemple, au XVIIIe siècle, on aurait pu vouloir favoriser l'émergence d'hommes robustes
capables surtout d'une grande endurance pour devenir portefaix ou travailleurs de force.
L'eugénisme aurait ici augmenté le nombre des inadaptés.
Le XIXe siècle aurait favorisé sans doute l'apparition d'un autre type d'humain : l'employé aux
écritures à la mode de Dickens, capable d'additionner douze heures par jour de longues
colonnes de chiffres sans se fatiguer ni se tromper. Quel emploi la deuxième moitié du
XXe siècle, où un ordinateur faisait le même travail en un temps bien plus court, aurait-elle pu
trouver pour un type d'homme n'ayant que ces qualités-là à offrir ? L'eugénisme aurait là
encore augmenté le nombre des inadaptés. Et dans les deux cas en moins de six générations.
« Nous devons éviter que nos jolis objectifs deviennent les geôliers de nos enfants », disait
Myron Tribus (« We should ensure that our goals do not become their gaols », avec un jeu de
mots entre goals/buts et gaols/geoles ).
Bien plus que les moyens employés, qui peuvent dans certains cas être irréprochables, c'est
probablement là que se trouve la principale impasse de l'eugénisme. Même lorsque celui-ci
s'attache à autre chose qu'à la simple élimination - en observant une stricte éthique - des
maladies héréditaires. Car, dans certains cas particuliers, ce qui est une maladie peut être,
aussi, un facteur de survie : que l'on repense par exemple à la célèbre drépanocytose, maladie
héréditaire qui permet de résister au paludisme.
La variété et le nombre (la biodiversité) représentent autant d'opportunités possibles
d'adaptation des systèmes vivants à des conditions futures inconnues, et donc à la survie de
l'espèce. L'élimination systématique de tous les caractères jugés handicapants ou superflus à
un moment donné pourrait parfaitement abréger la durée de vie d'une lignée... Les
sélectionneurs de races animales, qui le savent, prennent soin de conserver (sous forme de
paillettes de sperme congelées, par exemple, ou sous forme d'information : c'est l'un des
enjeux du séquençage génétique) les caractères que par ailleurs ils éliminent dans les animaux
de production. Ils savent qu'un demi-siècle peut s'intéresser à la seule quantité, et par exemple
le demi-siècle suivant au contraire à des qualités gustatives, etc.
Mais grâce à cet exemple, on peut considérer qu'il suffirait de conserver certains caractères,
tout en les supprimant de l'humanité présente, pour les réintroduire à l'avenir si le besoin s'en
faisait sentir. Une telle pratique eugénique permettrait à l'humanité de maîtriser son
adaptabilité et son évolution. Les auteurs de science-fiction et de politique-fiction
s'interrogent néanmoins sur le sens que les eugénistes donnent au mot « bénéfique » : pour les
individus, ou simplement pour l'État ?
• France
La question de l'eugénisme est traitée par le code pénal, dans le Sous-titre II du Titre I du
Livre II, intitulée « Des crimes contre l'espèce humaine » :
Article L 214-1 : « Le fait de mettre en œuvre une pratique eugénique tendant à l’organisation
de la sélection des personnes est puni de trente ans de réclusion criminelle et de
7 500 000 euros d’amende ».
Article L 214-3 : « Cette peine est portée à la réclusion criminelle à perpétuité et de
7 500 000 euros d’amende lorsqu’elles sont commises en bande organisée »
À l'Assemblée nationale, le scrutin n° 167 sur l’ensemble du projet de loi relatif à la
bioéthique, a été adopté avec modifications en deuxième lecture séance du mardi 8 juin 2004
(310 votants, 304 suffrages exprimés, 187 pour, 117 contre).
Cependant, aussi claire qu'elle paraisse, la position française est en pratique bien plus
ambiguë, si on considère les obligations de dépistage (visites prénatales obligatoires) et les
facilités légales ainsi que l'encouragement à l'avortement lorsque l'enfant à naître présente des
malformations (IMG) : ne s'agit-il pas manifestement de pratiques eugénistes, qui ne posent
pas de problèmes sociaux ?
• Pays anglo-saxons, germaniques ou nordiques
Des programmes de stérilisations contraintes furent mis en place en Suède, en Suisse et aux
États-Unis pendant l'entre-deux-guerres. La plupart des pays protestants furent touchés, à
l'exception de la Grande-Bretagne, où cependant Herbert George Wells et Winston Churchill
déploraient que la politique eugéniste ne soit pas développée (cette controverse est rapportée
dans le livre de Matt Ridley : Génome.)
• Japon Showa
Lors de la phase de l'expansionnisme du Japon Showa, les gouvernements nippons successifs
mirent en place des mesures visant la stérilisation des handicapés mentaux et des "déviants",
dont notamment une Loi nationale sur l'Eugénisme, promulguée en 1940 par le gouvernement
Konoe.
En vertu de la Loi Eugénique de Protection (1948), la stérilisation pouvait être imposée aux
criminels "avec des prédispositions génétiques au crime", aux patients souffrant de maladies
génétiques comme l'hémophilie, l'albinisme, l'ichthyosis, et de maladies mentales comme la
schizophrénie, la maniaco-dépression et l'épilepsie.
D'autre part, les Lois sur la Prévention de la Lèpre de 1907, 1931 et 1953, la dernière n'étant
abolie qu'en 1996, permettaient l'internement des malades dans des sanatorium où
l'avortement et la stérilisation étaient monnaies courante. En vertu de l'ordonnance coloniale
coréenne de prévention de la lèpre, les malades coréens pouvaient aussi être soumis à des
travaux forcés.
• Ailleurs en Asie
Des pays comme la Chine ou Singapour ont lancé depuis le milieu des années 1990 une
politique d'eugénisme franchement affirmée visant à favoriser les naissances dans les milieux
urbains aisés et à les limiter dans les milieux ruraux défavorisés. Les experts locaux ont
précisé que « des ressources humaines de qualité » étaient nécessaires à la modernisation du
pays mais que les tendances présentes laissaient présager une « qualité de population
moindre ».
• Allemagne nazie41
Jusqu'en 1933, l'eugénisme était considéré comme une technique de l'arsenal scientifique. Il
s'agissait d'améliorer telles ou telles souches humaines à travers le contrôle de la reproduction.
À travers l'eugénisme, les scientifiques espéraient éliminer les pathologies héréditaires (on
parle d'eugénisme médical) ainsi que les déviances sociales qui pourraient avoir une origine
héréditaire, par exemple la criminalité là où celle-ci se révèlerait congénitale.
Une politique eugéniste particulière propre à l'Allemagne nazie s'est mise en place dès 1933.
Elle consistait d'une part à favoriser la fécondité des humains considérés comme supérieurs.
41
V. article: « L'Eugénisme sous le nazisme » (http://fr.wikipedia.org/wiki/L'Eugénisme_sous_le_nazisme).
(Politique pro-nataliste, soutien familial, pouponnières, lebensborn ...) ; d'autre part à prévenir
la reproduction des humains considérés comme génétiquement déficients (diabétiques,
myopes, etc.) et de ceux considérés comme inférieurs ou mentalement non désirables (les
criminels, arriérés mentaux, etc.).
L'Allemagne a cherché à lutter contre l'avortement pour les femmes considérées comme
supérieures, alors que dans le même temps la circulaire secrète de 1934 autorisait l'avortement
pour les femmes devant être ultérieurement stérilisées. Le décret secret de 1940 a été encore
plus loin en rendant obligatoire l'avortement pour les femmes « inférieures ». 200 000 femmes
furent ainsi stérilisées jusqu'en 1945.
Un autre exemple est celui de l'homosexualité, considérée par cette mouvance comme une
maladie. L'Allemagne eugéniste proposait aux homosexuels le choix entre la castration
volontaire ou la mise en camps de concentration.
Avant même l'arrivée d'Hitler au pouvoir, une majorité de scientifiques et d'hommes
politiques étaient favorables à l'eugénisme. La loi de 1934 portant sur la stérilisation
eugénique s'est mise en place à l'aide de la participation active du docteur Gütt (médecin haut
fonctionnaire), de Falk Ruttke (juriste) et Ernst Rüdin (psychiatre génétique suisse). Cette loi
impose la stérilisation obligatoire pour les malades atteints de neuf maladies considérées
comme héréditaires ou congénitales (cécité, alcoolémie, schizophrénie...). On estime que
400 000 allemands ont été stérilisés entre 1934 et 1945. Ces stérilisations ont fait l'objet d'un
quasi consensus dans la communauté médicale allemande.
D'autres pratiques, hors cadre légal, ont été utilisées pour éliminer les personnes indésirables,
camps de concentration pour les alcooliques, criminels, délinquants, asociaux divers,
castration des criminels sexuels et homosexuels, stérilisation des enfants métis nés de mères
allemandes et pères africains, nord africains, indochinois de l'armée d'occupation française,
extermination des tziganes et des juifs.
L'eugénisme allemand et ses variantes suédoise et états-unienne n'étaient pas des actes isolés
de pervers, mais au contraire le résultat d'une politique d'élimination systématique, basée sur
des techniques « scientifiques », et organisée par l'administration.
Il est également intéressant de noter que cette forme d'eugénisme avait remis en avant une
notion déjà considérée mythique : celle de « race aryenne » ; les anthropologues de l'époque
parlaient plutôt de race nordique ou de race alpine.
En définitive, certes la science peut être le bras droit de l’homme pour repousser les
limites de la vie, voire de la mort, reste à savoir si la main qu’elle lui tend ne le pousse pas
vers les bas fonds les plus pervers.
BIBLIOGRAPHIE
Dictionnaires :

Le Grand Robert de la langue française


Le Petit Larousse 2007
Le Trésor de la Langue Française
Ouvrages :








AMBROSELLI (C.), L’éthique médicale, « Que sais-je ? », n°2422, PUF, 1988, p.49.
AUMONIER (N.), BEIGNIER (B.) et LETELLIER (P.), L’euthanasie, Que sais-je,
PUF, 2006.
BENOIT- BROWAEYS Dorothée, La bioéthique, Les essentiels Milan, 1995.
LA MARNE (P.), Ethiques de la fin de vie : acharnement thérapeutique, euthanasie,
soins palliatifs, Ellipses, 1999.
MARMET Thierry (sous la coordination de), Ethique et fin de vie, pratiques du
champ social, Eres,
MOUTEL Grégoire, « Les éléments du corps humain, la personne et la médecine »
Emmanuelle Grand, Christian Hervé, L'harmattan.
THOMAS Jean-Paul, « A quoi sert la bioéthique ? », Les petites pommes du savoir
THOMAS Louis - Vincent, La mort, Que sais-je, PUF, 5ème édition, 2004.
Sites Internet :











Les chiennes de garde :
http://www.chiennesdegarde.org/article.php3?id_article=333&var_recherche=avortem
ent
« Au Mexique, l’avortement est autorisé dans la capitale », L’Humanité, 26 avril 2007,
http://www.humanite.fr/2007-04-26_International_Au-Mexique-l-avortement-estautorise-dans-la-capitale
http://www.ined.fr
http://www.inserm.fr
http://www.legifrance.fr
« Le Dakota du Sud rejette l'interdiction totale de l'avortement », Libération, 08
novembre 2006, http://www.liberation.fr/actualite/monde/215788.FR.php
Arrêt Lahache: Conseil d’Etat, 31 octobre 1980, n° 13028,
http://www.rajf.org/article.php3?id_article=1134
La position officielle de l'Eglise catholique romaine :
http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_do
c_19741118_declaration-abortion_fr.html
L’encyclique Evangelium vitae :
http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/encyclicals/documents/hf_jpii_enc_25031995_evangelium-vitae_fr.html
http://www.wikipedia.com (encyclopédie en ligne)
« L'eugénisme sous le nazisme »,
http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Eug%C3%A9nisme_sous_le_nazisme
Téléchargement