Chapitre 1 : Les kimberlites et leurs mégacristaux dans le manteau

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Chapitre 1 :
Les kimberlites et leurs mégacristaux
dans le manteau lithosphérique cratonique.
Problématiques associées
Chapitre 1 : Les kimberlites et leurs mégacristaux dans le manteau lithosphérique cratonique. Problématiques associées 1.1.
Introduction Les kimberlites sont des roches ultramafiques alcalines, riches en éléments volatils,
réparties mondialement, et pourtant relativement rares ; elles suscitent un intérêt croissant
depuis leur identification à la fin du XIXème siècle. Ces roches volcaniques explosives sont
issues de profondeurs peut-être non égalées par d’autres magmas terrestres ; elles se mettent
en place à des vitesses supérieures à la vitesse du son. Les kimberlites ont la particularité de
transporter à la surface de la Terre des diamants extrêmement bien préservés et des xénolites
mantéliques de péridotite à grenat, ce qui permet d’une part d’étudier la composition de
régions profondes du manteau sous les cratons et, d’autre part, de déterminer les interactions
(i.e. déformation, fusion, métasomatisme) qui peuvent se produire près de la limite entre
l’asthénosphère convective profonde et la lithosphère rigide sus-jacente.
La diversité des lithologies mantéliques et crustales échantillonnées par les kimberlites
lors de leur ascension permet d’étayer nos connaissances sur la nature de la lithosphère dans
des régions ciblées de la Terre. Par ailleurs, les kimberlites sont aussi associées à une suite de
cristaux de grande taille, les mégacristaux, classiquement représentés par des minéraux
silicatés ferromagnésiens : le grenat, l’olivine, le clinopyroxène, l’orthopyroxène et la
phlogopite, et un oxyde titanifère : l’ilménite. L’origine de ces mégacristaux et la nature du
lien génétique éventuel avec la kimberlite-hôte sont sujettes à débats depuis une quarantaine
d’années. Avant de rentrer dans le vif du sujet, il est important de brosser l’état des
connaissances sur les objets géologiques autour desquels l’histoire des mégacristaux
s’articule : les kimberlites et la lithosphérique mantélique cratonique.
1
1.2.
Problématique associée aux kimberlites Avant que le nom de « kimberlite » ne soit attribué à ces roches d’après la localité-type de
Kimberley, en Afrique du Sud, où elles ont été découvertes en 1871, Lewis (1887 ; 1888 ;
cités dans Mitchell, 1986) les décrit comme des péridotites porphyriques fortement micacées.
La nature primaire vraie de la kimberlite est particulièrement difficile à établir (e.g. Price et
al., 2000 ; Kamenetsky et al., 2007) étant donné le caractère explosif de sa mise en place sous
forme de pipes ou dykes et l’abondance de cristaux et roches exotiques constituant la brèche
kimberlitique exposée en surface. La définition de la kimberlite a donc évolué, notamment à
cause du débat concernant l’origine des mégacristaux qui ont tantôt été considérés comme des
phases primaires (Mitchell, 1979), tantôt comme des xénocristaux (Skinner and Clement,
1979 ; Clement et al., 1984). Il est maintenant accepté que le terme « mégacristal » (Dawson,
1980) utilisé pour caractériser ces cristaux de grande taille (généralement supérieure au
centimètre) est dénué de connotation génétique, ce qui permet de s’affranchir de ce débat dans
la définition de la kimberlite.
Skinner and Clement (1979) sont parmi les premiers à donner une définition extensive de
cette roche, qui rend compte de sa nature hybride et complexe (Field et al., 2008):
« Kimberlite is a volatile-rich, potassic ultrabasic igneous rock which occurs as small
volcanic pipes, dykes and sills. It has a distinctive inequigranular texture resulting from the
presence of macrocrysts set in a fine-grained matrix. This matrix contains as prominent
primary phenocrystal and/or groundmass constituents, olivine and several of the following
minerals: phlogopite, carbonate (commonly calcite), serpentine, clinopyroxene (commonly
diopside), monticellite, apatite, spinels, perovskite and ilmenite. The macrocrysts are
anhedral, mantle-derived, ferromagnesian minerals which include olivine, phlogopite,
picroilmenite, chromian spinel, magnesian garnet, clinopyroxene (commonly chromian
diopside) and orthopyroxene (commonly enstatite). Olivine is extremely abundant relative to
the other macrocrysts, all of which are not necessarily present. The macrocrysts and
relatively early-formed matrix minerals are commonly altered by deuteric processes, mainly
serpentinization and carbonatization. Kimberlite commonly contains inclusions of upper
mantle-derived ultramafic rocks. Variable quantities of crustal xenoliths and xenocrysts may
also be present. Kimberlite may contain diamond but only as a very rare constituent. ».
A ce jour, la combinaison d’abondantes études pétrographiques et géochimiques
(éléments majeurs, en trace, isotopes radiogéniques) de roches kimberlitiques fraîches,
provenant généralement des faciès profonds (hypabyssaux) des structures éruptives, permet
une relativement bonne caractérisation de ces roches.
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1.2.1. Description pétrographique et classification des kimberlites D’un point de vue pétrographique, les kimberlites sont des roches inéquigranulaires,
de composition minéralogique variée, généralement composées de phénocristaux (ou
microphénocristaux) d’olivine largement dominante, de phlogopite et de spinelle riche en Cr,
dispersés dans une matrice constituée d’olivine, de phlogopite, de spinelle titanifère, de
pérovskite, de sulfures, d’ilménite magnésienne, de magnétite, de monticellite, d’apatite, de
calcite, de dolomite, de serpentine et rarement de chlorures (e.g. Mitchell, 1986 ; 2008 ;
Kamenetsky et al., 2008). La présence de ces phases et leurs abondances relatives ne sont pas
constantes et dépendent de la nature du magma kimberlitique et de son degré de
différenciation.
Deux types de kimberlite ont rapidement été identifiés en Afrique du Sud : ils ont
initialement été dénommés « type basaltique » et « type micacé », sur base pétrographique par
Wagner (1914). Plus tard, ils ont été appelés « Groupe I » et « Groupe II », sur base
isotopique (Smith, 1983), ou encore « kimberlite » et « orangéite », sur base minéralogique
par Mitchell (1995).
La kimberlite de type basaltique contient typiquement moins de 5 % de phénocristaux de
mica, alors que celle de type micacé, ou lamprophyrique, contient de nombreux phénocristaux
de mica dans une matrice qui en est également riche. Cette classification, longtemps utilisée,
est en fait inappropriée : le terme « basaltique » suggère en effet la présence de plagioclase
alors que les kimberlites en sont dépourvues et le second, une relation avec les lamprophyres,
ce qui n’est pas démontré (Demaiffe, 1995).
Bien que la présence de kimberlites du Groupe II n’ait été démontrée qu’en Afrique du
Sud, la classification isotopique en Groupe I et Groupe II est celle qui, à ce jour encore, est
mondialement utilisée. Ce sont les compositions isotopiques initiales du Sr, (87Sr/86Sr)0, et du
Nd, (143Nd/144Nd)0 ou εNd0, qui ont initialement permis de différencier les deux groupes de
kimberlites (Smith, 1983). Le Groupe I a une signature isotopique un peu moins radiogénique
en Sr ((87Sr/86Sr)0 faibles : 0,703-0,705) et un peu plus radiogénique en Nd (εNd0 proches de 0
à faiblement positifs) que l’actuelle composition de la Terre globale silicatée (« Bulk Silicate
Earth », BSE). Elles présentent dès lors des similarités avec les basaltes d’îles océaniques
d’affinité alcaline (« ocean island basalts », OIB) (e.g. Kramers et al., 1981). Une source
sublithosphérique légèrement appauvrie en éléments incompatibles a rapidement été proposée
pour ces roches. La signature isotopique du Groupe II, plus riche en mica, est plus
radiogénique en Sr ((87Sr/86Sr)0 élevés : 0,707-0,712) et moins radiogénique en Nd (εNd0
nettement négatifs : -5 à -12). Leur source, semblable à celle des lamproïtes, résiderait dans le
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manteau lithosphérique sous-continental (« subcontinental lithospheric mantle », SCLM)
ayant subi un événement d’enrichissement ancien en éléments incompatibles.
La géochimie isotopique du Pb (e.g. Fraser et al., 1985/86; Weis and Demaiffe, 1985 ;
Davies et al., 2001) et de l’Hf (e.g. Nowell et al., 1999 ; Tappe et al., 2011) ne donne pas de
réponse simple au sujet de la caractérisation de la source des deux groupes de kimberlite. Ce
point ne sera pas discuté dans le cadre de cette partie introductive.
1.2.2. Composition du magma kimberlitique primaire A ce jour, on n’a pas observé de verre kimberlitique non cristallisé (e.g. Mitchell,
1986) et les roches aphanitiques, dont la composition se rapproche le plus du magma
primaire, sont relativement rares (Edgar and Charbonneau, 1993 ; Price et al., 2000 ; Mitchell,
2008).
Globalement, le magma kimberlitique a une composition ultramafique, caractérisée par
ses faibles concentrations en SiO2 (~ 25-35 %) et Al2O3 (~ 1-4 %), sa concentration élevée en
MgO (~ 15-35 %) et la valeur élevée de son rapport Mg# (MgO/(MgO+FeO) ~ 85) (e.g.
Demaiffe, 1995 ; Price et al., 2000 ; le Roex et al., 2003 ; Harris et al., 2004 ; Mainkar et al.,
2004). Les kimberlites sont riches en alcalins (K2O > Na2O) et en éléments en trace
compatibles (Ni, Cr, Co, Sc, V,…) et incompatibles (terres rares, Nb, Ta, Zr, Hf, U, Th, Rb,
Sr, Ba,…). Les teneurs en éléments volatils (CO2 + H2O + CH4), bien que difficiles à
quantifier à cause du dégazage du magma lors de son ascension, sont également
particulièrement élevées dans ce magma (~ 10-20 %).
Le caractère ultramafique (forte teneur en MgO) du magma kimberlitique reflète
l’abondance des cristaux d’olivine dont l’origine n’est pas toujours clairement établie. En
effet, depuis toujours, les descriptions pétrographiques des kimberlites (e.g. Mitchell, 1986 ;
1995) ont fait la distinction entre 1) des macrocristaux d’olivine de taille moyenne (1-5 mm),
arrondis à sub-arrondis et présentant des signes de déformation, généralement considérés
comme des xénocristaux et 2) de plus petits cristaux d’olivine, automorphes à
subautomorphes, considérés comme des phénocristaux ; l’origine de ces « phénocristaux » est
cependant toujours ambiguë. S’il s’agit de xénocristaux (e.g. Kamenetsky et al., 2008 ; Brett
et al., 2009 ; Arndt et al., 2010), la concentration en MgO du magma kimberlitique primaire
est surestimée.
La teneur en SiO2 du magma primaire est également toujours sujette à débats (e.g.
Kamenetsky et al., 2008 ; Mitchell, 2008). En effet, l’orthopyroxène, qui est une phase
abondante dans le manteau, est rare dans les kimberlites et il est proposé que le magma
kimberlitique dissolve l’orthopyroxène lors de son ascension en surface (e.g. Russell et al.,
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2012). La résorption de l’orthopyroxène aurait non seulement une implication sur la
concentration en SiO2 du magma, mais également sur l’abondance des cristaux d’olivine (e.g.
Brett et al., 2009). En effet, dans un magma riche en H2O (CO2/(CO2+H2O) < 0,4),
l’orthopyroxène se dissoudrait selon une réaction incongruente donnant l’olivine et un liquide
riche en silice (Eggler et al., 1973, cités dans Mitchell, 2008).
La composition du magma kimberlitique primaire, que certains appellent parfois « protokimberlite », est donc difficile à déterminer précisément. Bien que la kimberlite soit
généralement définie comme un magma silicaté ultramafique riche en carbonates, il est
probable que la composition de la roche exposée en surface soit le résultat de procédés
complexes et tardifs (dégazage, serpentinisation, carbonatisation; e.g. Kamenetsky et al.,
2007 ; Sparks et al., 2009) et il a été proposé récemment que la « proto-kimberlite » formée
en profondeur dans le manteau soit en fait un liquide essentiellement non silicaté, riche en
chlorures, alcalins et carbonates (Kamenetsky et al., 2007 ; 2008) dont la composition aurait
été modifiée par l’interaction avec des minéraux mantéliques (essentiellement olivine et
orthopyroxène) et l’assimilation et/ou la dissolution de ceux-ci lors de son ascension.
Une étude comparative récente (Becker and le Roex, 2006) de kimberlites hypabyssales
en Afrique du Sud met en évidence les différences de compositions en éléments majeurs et en
trace entre les kimberlites des Groupes I et II. Les kimberlites du Groupe I sont typiquement
moins magnésiennes (~ 22-28 % MgO), et moins riches en SiO2 (~ 21-30 %) et K2O (~ 0,21,7 %) que celles du Groupe II (~ 23-29 % MgO ; ~ 28-36 % SiO2 ; et ~ 1.6-4,6 % K2O).
Elles sont en revanche plus riches en CaO (~ 10-17 % vs. ~ 8-13 %) et CO2 (~ 5-14 % vs. ~ 17 %) ; ainsi qu’en TiO2 (1-5 % vs. < 1,5 %). Arndt et al. (2010) estiment les teneurs en MgO
des liquides kimberlitiques primaires en tenant compte de la surestimation des cristaux
d’olivine considérés comme phénocristaux ; ils obtiennent des valeurs légèrement inférieures
pour les kimberlites des Groupes I (20,2 %) et II (22,6 %).
Lorsque l’abondance des éléments en trace dans les kimberlites est normalisée par rapport
à celle du manteau primitif (Fig. 1.1), les kimberlites du Groupe I présentent des anomalies
négatives en K, Rb, Sr, Ti et Hf. Les kimberlites du second groupe présentent également des
appauvrissements relatifs en Ti, Sr, Rb et K mais aussi en Nb et Ta et ont par ailleurs un
enrichissement relatif en Pb. Les deux groupes de roches présentent un fort fractionnement
des terres rares ; elles sont enrichies en terres rares légères (« light rare earth elements »,
LREE) par rapport aux terres rares lourdes (« heavy rare earth elements », HREE).
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1.2.3. Source et genèse des magmas kimberlitiques L’extrême enrichissement en éléments incompatibles et le fractionnement important
entre les éléments lithophiles d’incompatibilité semblable (e.g. Sr-Nd, Eu-Ti, HREE) dans les
kimberlites ont rapidement été identifiés comme conciliables avec de faibles taux de fusion
partielle de sources mantéliques métasomatiquement enrichies (e.g. Dawson, 1971 ; Bailey,
1980 ; Wyllie, 1980 ; Mitchell, 1986), et les faibles abondances en HREE comme reflétant la
présence de grenat résiduel dans la zone de formation de ces magmas (e.g. Ringwood et al.,
1992 ; Tainton and McKenzie, 1994 ; le Roex et al., 2003). Ces modèles semi quantitatifs
sont donc en faveur de l’origine du magma kimberlitique par fusion partielle, à de faibles
taux, de péridotites à grenat métasomatisées.
Wyllie (1980) a montré l’importance du rôle des éléments volatils, CO2 et H2O, dans la
genèse de ces magmas. De nombreuses études expérimentales modélisant la fusion partielle à
de faibles taux (généralement < 1 %) de systèmes synthétiques simplifiés de péridotite – CO2
(H2O), à des pressions dans la gamme de 3 à 10 GPa, ont montré que des péridotites
(lherzolites ou harzburgites) à grenat et carbonates (dolomite ou magnésite) sont de bons
candidats pour la région-source des magmas kimberlitiques (e.g. Canil and Scarfe, 1990 ;
Dalton and Presnall, 1998 ; Ulmer and Sweeney, 2002). Les expériences de fusion –
cristallisation réalisées sur des échantillons naturels de kimberlite aphanitique révèlent
cependant l’absence d’olivine et/ou d’orthopyroxène au liquidus de ces magmas, et aucune
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expérience n’est parvenue à stabiliser une phase carbonatée dans la gamme des températures
du liquidus des kimberlites. Ces dernières se seraient donc sans doute formées à des
températures supérieures au solidus des péridotites carbonatées, où les carbonates ont déjà
disparu (Ulmer and Sweeney, 2002). D’autres roches-sources, nécessitant parfois des taux de
fusion plus élevés (e.g. 10-50 %, Mitchell, 2004), ont alors été proposées : grenatites (Edgar
and Charbonneau, 1993), veines riches en carbonates (Mitchell, 2004) ou riches en mica et
clinopyroxène (Foley, 1992) dans un substrat de lherzolites et/ou harzburgites
(potentiellement riches en carbonates), ou encore un mélange entre des harzburgites
introduites dans la zone de transition du manteau lors de la subduction d’une lithosphère
océanique et une pyrolite asthénosphérique refertilisée par les liquides relâchés par la fusion
de cette même lithosphère (Ringwood et al., 1992 ; Kesson et al., 1994).
Ces modèles quantitatifs, bien que s’accordant sur la nécessité d’une pression minimale de
3 GPa pour la genèse de ces magmas, diffèrent et sur la nature du protolite avant fusion, et sur
la profondeur de formation du magma kimberlitique. Si les modèles en faveur de l’origine par
fusion de péridotites à grenat métasomatisées voient une source dans le manteau
lithosphérique cratonique profond (Tainton and McKenzie, 1994; Ulmer and Sweeney, 2002 ;
le Roex et al., 2003; Harris et al., 2004 ; Becker and le Roex, 2006), ou dans les parties
supérieures du manteau asthénosphérique (Canil and Scarfe, 1990 ; Price et al., 2000 ;
Mitchell, 2004), d’autres suggèrent une origine à des profondeurs encore plus élevées (> 300
km), dans la zone de transition du manteau (410-660 km), voire même à la limite manteaunoyau (D’’ ; 2700-2900 km) (e.g. Ringwood et al., 1992 ; Edgar and Charbonneau, 1993 ;
Kesson et al., 1994 ; Girnis et al., 1995).
1.2.4. Relation avec d’autres types de magmas ultramafiques alcalins Des relations spatiales et/ou temporelles (e.g. Jelsma et al., 2009) sont communément
observées entre le magmatisme kimberlitique et d’autres types de magmas alcalins soussaturés en silice et riches en éléments incompatibles, comme les carbonatites, les
lamprophyres ultramafiques (aillikites, monchiquites, alnoïtes, melnoïtes,…), les lamproïtes à
olivine et les melilitites à olivine. Elles ont rapidement soulevé la question de la possible
existence d’un lien génétique entre ces différents types de magmas continentaux (e.g.
Dawson, 1971).
Les études expérimentales menées par Brey (1978) et Canil and Scarfe (1990) ont
démontré que, bien que kimberlites et melilitites à olivine puissent toutes deux provenir de la
fusion de péridotites à grenat et carbonates, les premières se forment à des plus hautes
pressions (> 5 GPa), où la magnésite est une phase stable au solidus des péridotites, alors que
les secondes sont générées à des pressions inférieures (~ 3 GPa) où c’est la dolomite qui est
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stable. L’étude expérimentale dans le système CMAS (CaO-MgO-Al2O3-SiO2) – CO2 de
Dalton and Presnall (1998) a montré qu’il existe un continuum de compositions de liquides au
solidus d’une lherzolite à grenat carbonatée à 6 GPa : de carbonatitique (à 1380 °C) à
kimberlitique (à 1505 °C), en passant par des compositions intermédiaires comparables à
celles des lamprophyres ultramafiques riches en carbonates, pour des taux de fusion variant
entre 0 et 1 %. Ces auteurs concluent que, si ces procédés s’appliquent sur une large gamme
de pressions, on obtiendrait sans doute la large gamme de compositions de magmas alcalins
sous-saturés en Si aujourd’hui observés en surface de la Terre. Gudfinnsson and Presnall
(2005) poursuivent ainsi les expériences, mais sur des gammes de pressions et températures
plus étendues (3-8 GPa et 1340-1800 °C). Ils confirment que, pour des pressions ~> 5 GPa,
tant que le CO2 est une phase stable au solidus, les liquides évoluent depuis une composition
carbonatitique vers une composition kimberlitique avec l’augmentation de température, et
donc du degré de fusion. Ils observent également le changement de composition de liquide
kimberlitique à melilitique pour des pressions < 4 GPa et notent que, lorsque le CO2 est
absent du solidus des péridotites à ces pressions, les liquides formés tendent à être de
composition picritique et basaltique avec la diminution de température.
Malgré ces diverses études expérimentales, les relations génétiques entre carbonatites,
kimberlites et lamprophyres ultramafiques alimentent encore toujours les débats à l’heure
actuelle (e.g. Francis and Patterson, 2009 ; 2010 ; Mitchell and Tappe, 2010).
1.2.5. Propriétés physiques et modèle magmatique de mise en place du magma kimberlitique La composition chimique du magma kimberlitique rend compte de son caractère
particulièrement peu visqueux et de sa faible densité, ce qui lui permet des vitesses de
remontée exceptionnellement rapides depuis sa région-source à des grandes profondeurs dans
le manteau (McGetchin and Ulrich, 1973), où la température est estimée à 1300-1400 °C pour
une pression minimale de 4-5 GPa (e.g. Tainton and McKenzie, 1994 ; Kavanagh and Sparks,
2009). Les méthodes utilisées pour estimer ces vitesses sont variables :
-
vitesse de dissolution des xénocristaux de grenat (Canil and Fedortchouk, 1999),
-
profils isotopiques de l’Ar dans les phlogopites (Kelley and Wartho, 2000),
-
calculs basés sur des observations empiriques et principes physiques (> 4 à 20 m/s,
Sparks et al., 2006), ou sur la mécanique des fluides (30 à 50 m/s, Wilson and Head,
2007), ou encore
-
profils de diffusion de l’hydrogène dans les xénolites d’olivine (5 à 37 m/s, Peslier et
al., 2008).
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Toutes ces méthodes s’accordent sur des vitesses incroyablement rapides en comparaison
avec d’autres magmas terrestres (e.g. magmas alcalins mafiques : 0,2-0,5 m/s; Peslier and
Luhr, 2006). L’apport de magma kimberlitiques est estimé à 102-105 m3/s pour des éruptions
pouvant durer de quelques heures à plusieurs mois (Sparks et al., 2006). En subsurface (< 5
km), les températures des kimberlites dites hypabyssales sont estimées à 1000-1150 °C (e.g.
Mitchell, 2008 ; Kavanagh and Sparks, 2009).
Les propriétés physiques du magma kimberlitique sont responsables de la structure
typique « en entonnoir » (« pipes ») de ces intrusions. En surface, les intrusions
kimberlitiques se présentent sous forme de pipes ou diatrèmes de 1 à 10 km de large
(Mitchell, 1986) qui ne représentent que la partie superficielle (< 2500 m) d’un système
magmatique profond dans lequel le magma remonte le long de dykes étroits d’environ 1 m de
diamètre (Sparks et al., 2006). Ces dykes, qui parfois affleurent en surface (« kimberlite de
fissure »), peuvent également être connectés à des sills en profondeur. La structure typique de
ce système magmatique est présentée Fig. 1.2 (Hawthorne, 1975 ; Mitchell, 1986).
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Cette structure est basée sur les observations réalisées par Dawson (1971) et Hawthorne
(1975), qui ont été les premiers à reconnaître que le magma kimberlitique est capable de se
différencier, et ont identifié des faciès kimberlitiques épiclastique et pyroclastique, et la
gradation, en profondeur, à des kimberlites hypabyssales non brèchiques (Mitchell, 1986).
Trois faciès texturaux (du plus superficiel au plus profond), chacun étant associé à un
mode d’activité magmatique, sont donc distingués :
-
le faciès de cratère, constitué de tuffs pyroclastiques ou de dépôts épiclastiques, et
plus rarement de laves;
-
le faciès de diatrème, représenté par des brèches kimberlitiques et/ou des kimberlites
tuffiques ;
-
le faciès hypabyssal, constitué des roches issues directement de la cristallisation, en
profondeur, du magma kimberlitique.
Deux grands modèles sont proposés pour expliquer la morphologie et la vitesse
supersonique des systèmes magmatiques kimberlitiques (Field et al., 2008 ; White and Ross,
2011) : un modèle purement magmatique et un modèle phréatomagmatique.
Dans le modèle magmatique, l’ensemble des éléments volatils observés dans les roches
kimberlitiques est d’origine juvénile et l’explosivité de l’éruption est attribuée au relâchement
soudain de ces gaz (initialement dissous dans le magma) lors de la décompression.
Cependant, alors que certains considèrent que le magma kimberlitique remonte de manière
explosive à de grandes vitesses depuis sa zone de formation à de grandes profondeurs (200250 km) dans le manteau (e.g. Wilson and Head, 2007), d’autres pensent que la vitesse
augmente considérablement lors du relâchement de ces gaz aux profondeurs (sub-)crustales
(e.g. McGetchin and Ulrich, 1973 ; Dawson, 1971 ; Sparks et al., 2006 ; 2007). Les premiers
considèrent donc que l’ensemble de l’ascension du magma se fait via la rapide propagation
d’un dyke à partir de profondeurs anormalement élevées et que l’ensemble du procédé éruptif
peut être réalisé en très peu de temps (1 h environ), alors que les seconds imaginent une
propagation plus lente d’un diapir ascendant jusqu’à une moins grande profondeur, où se
forme le dyke, et considèrent que la mise en place des kimberlites est un procédé complexe en
plusieurs étapes, de l’ordre de quelques jours à plusieurs mois. Le modèle phréatomagmatique
(e.g. Lorenz and Kurszlaukis, 2007 ; Kurszlaukis and Lorenz, 2008) fait le rapprochement
entre les maars-diatrèmes observés pour le volcanisme phréatomagmatique plus récent (e.g.
Massif Central, Eifel) et les structures kimberlitiques, considérant donc que ces dernières sont
produites en conséquence de la réaction du magma (pouvant contenir des espèces volatiles
dissoutes) avec l’eau superficielle (nappe phréatique, lac, glacier etc.), menant à la répétition
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d’éruptions thermo-hydrauliques explosives. Ces auteurs considèrent que, même si les teneurs
en éléments volatils dissous sont élevées dans le magma, elles ne sont pas suffisantes pour
créer les structures observées ; l’explosivité est donc une conséquence directe de l’interaction
avec l’eau de surface.
Ces deux modèles sont toujours discutés car les preuves physiques qui permettraient
éventuellement d’en favoriser l’un plutôt que l’autre sont manquantes, ce qui est
vraisemblablement une conséquence directe de l’érosion et de l’altération subies depuis la
mise en place des kimberlites il y a minimum 30 Ma (e.g. McClintock et al., 2009 ; White and
Ross, 2011).
1.2.6. Répartition géographique et temporelle des kimberlites Les kimberlites sont connues sur chaque continent, dans les régions où le socle est
stabilisé depuis longtemps et donc particulièrement épais, c'est-à-dire dans les cratons d’âge
archéen (> 2,5 Ga) à paléoprotérozoïque (> 1,6 Ga). Les kimberlites sont regroupées en
provinces magmatiques qui s’étendent sur quelques km² et contiennent une à plusieurs
dizaine(s) d’intrusions qui enregistrent le plus souvent un âge unique de mise en place. Il y a
17 ans, un article de synthèse de Janse and Sheahan (1995) répertoriait 5000 occurrences
kimberlitiques connues, dont 500 étaient diamantifères et 50 avaient été exploitées pour les
diamants. Ces chiffres se sont évidemment considérablement accrus depuis étant donné les
développements incessants de l’exploration par de grands groupes miniers actifs à travers le
monde (e.g. De Beers).
La Fig.1.3 (Jelsma et al., 2009) illustre la distribution géographique à travers le monde
des roches kimberlitiques et des autres types de roches ultramafiques alcalines associées
(lamproïtes, melnoïtes et carbonatites). Les occurrences de kimberlite et lamproïte à olivine
sont restreintes aux cratons archéens et aux ceintures orogéniques paléoprotérozoïques qui les
bordent, alors que les carbonatites et lamprophyres ultramafiques (e.g. aillikites, melnoïtes)
semblent associées aux zones de rifts continentaux (Mitchell, 1991 ; Mitchell and Tappe,
2010). Notons également que les kimberlites du Groupe II n’ont été identifiées qu’en Afrique
du Sud et se sont mises en place entre 114 et 200 Ma. Leur similarité compositionnelle et
minéralogique avec les lamproïtes, absentes d’Afrique du Sud mais présentes sur d’autres
continents, suggère que ces kimberlites sont l’expression du magmatisme alcalin
ultrapotassique local (Mitchell, 1991).
11
Fig.1.3. Distribution mondiale des kimberlites (● ) et roches alcalines associées [lamproïtes (○ ), melnoïtes (x), et
carbonatites (+)]. Les zones en gris clair représentent les régions cratoniques Archéennes et Paléoprotérozoïques.
(Jelsma et al., 2009)
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30-59 Ma
60-79 Ma
80-99 Ma
100-149 Ma
150-399 Ma
400-599 Ma
600-1899 Ma
1800-2671 Ma
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Cape Fold Belt
Fig.1.4. Distribution des kimberlites dans la partie sud du continent africain : les âges des intrusions et les
données structurales (linéaments majeurs, ceintures orogéniques) sont également illustrés sur un modèle
d’élévation topographique. (Jelsma et al., 2008; 2009).
12
Les âges des kimberlites sont répertoriés depuis le Paléoprotérozoïque (e.g. 2,2 Ga,
Australie ; ~ 1,7 Ga, Afrique du Sud et Venezuela) jusqu’au Tertiaire (e.g. Heaman et al.,
2003). Bien entendu, plus les occurrences sont récentes, plus les kimberlites apparaissent
abondantes dans la littérature vu la plus grande chance de préservation. Au
Mésoprotérozoïque, elles sont connues en Afrique du Sud, au Brésil, en Australie, en Sibérie,
en Inde, au Groenland et au Canada (Haggerty, 1999 ; Heaman et al., 2003). La plupart des
kimberlites connues à travers le monde se sont mises en place au milieu du Crétacé (~ 80-120
Ma) (e.g. Haggerty, 1999 ; Jelsma et al., 2004). Heaman et al. (2003) distinguent deux types
de périodicité dans la mise en place des provinces kimberlitiques: 1) d’abondantes périodes de
courte durée (≤ 20 Ma) définissant des provinces relativement locales, comme par exemple
sur le continent est-européen (50-60, 95-105, 150-170, 220-240, 350-370, 400-410, 590-605
Ma) ou nord-américain (48-56, 70-78, 86-88, 94-103, 140-160, 170-180 Ma) et 2) des
périodes relativement longues (30-50 Ma ou plus) dans lesquelles le magmatisme se répand
sur une plus grande étendue spatiale, comme par exemple en Afrique du Sud (85-120 Ma
kimberlites du Groupe I et 114-200 Ma kimberlites du Groupe II). D’autre part, si pour
certaines périodes le magmatisme kimberlitique est répertorié sur l’ensemble des continents, il
existe des périodes qui, à l’échelle mondiale, en sont dépourvues : c’est le cas entre 250 et
360 Ma (Heaman et al., 2003).
En parallèle, de nombreuses études structurales se concentrent sur la répartition spatiale
du magmatisme kimberlitique à différentes échelles : distribution et orientation des différents
pipes ou dykes kimberlitiques au sein d’une province, des différentes provinces entre elles au
sein d’un même craton ou encore des différents groupements de provinces de même âge entre
différents cratons (Marsh, 1973 ; Helmstaedt and Gurney 1995 ;
White et al., 1995 ;
Vearncombe and Vearncombe, 2002 ; Heaman et al., 2003 ; Stubley, 2004 ; Jelsma et al.,
2004 ; Snyder and Lockhart, 2005 ; Jelsma et al., 2009).
A une échelle très locale (de l’ordre de la dizaine de km), l’orientation et la forme des
intrusions au sein d’une province mettent en évidence une ou plusieurs directions qui se
reflètent également dans la distribution des provinces au sein du craton, impliquant un
contrôle tectonique local et régional dans la mise en place des kimberlites. A l’échelle locale,
les occurrences kimberlitiques reflètent les structures crustales majeures ; elles se mettent en
place à l’intersection des failles et fractures de la croûte supérieure. A l’échelle régionale, les
kimberlites se distribuent dans les zones linéaires majeures du socle, représentées par des
zones de couloirs de failles ou de fractures. Ces corridors tectoniques sont d’ailleurs souvent
identifiés comme les extensions continentales des zones de fractures océaniques
transformantes, impliquant que des fractures profondes, failles ou zones de cisaillement dans
13
la croûte continentale, traversent la lithosphère jusqu’à de grandes profondeurs (e.g. Marsh,
1973 ; Helmstaedt and Gurney 1995 ; White et al., 1995 ; Vearncombe and Vearncombe,
2002). Ces corrélations sont surtout établies entre les intrusions du Mésozoïque et plus jeunes,
et les failles transformantes océaniques actuelles. La relation serait en effet plus difficile à
établir entre la géométrie des transformantes des océans disparus et les structures des
provinces alcalines plus âgées (e.g. White et al., 1995). A l’échelle régionale, plusieurs
directions sont dessinées par différents corridors tectoniques et ces directions sont souvent
répétées par des structures parallèles dans le craton, que ce soit par l’orientation des marges
du continent, des ceintures orogéniques, des rifts, ou la distribution du magmatisme. La Fig.
1.4 (Jelsma et al., 2008 ; 2009) nous donne l’exemple de la distribution des kimberlites en
Afrique du Sud : les différentes périodes de magmatisme sont mises en évidence, en parallèle
avec les linéaments majeurs de la lithosphère et la localisation des grandes ceintures
orogéniques dans cette région.
Il semble donc que ces magmas suivent des chemins de faible résistance lors de leur
ascension et exploitent des anisotropies pré-existantes correctement orientées (e.g. White et
al., 1995) ; même s’il a aussi été localement mis en évidence que les kimberlites ne se mettent
pas préférentiellement en place dans les zones affaiblies, mais plutôt dans des corridors
parallèles, situés entre ces dernières, où la croûte est encore compétente (Vearncombe and
Vearncombe, 2002).
1.2.7. Modèles tectoniques de mise en place des kimberlites La mise en évidence du regroupement du magmatisme kimberlitique dans le temps et
dans l’espace, et à différentes échelles, a mené à différentes interprétations relatives aux
mécanismes responsables de la fusion mantélique lui donnant naissance en profondeur.
Le modèle de plume tectonique (i.e. panache) (e.g. Morgan, 1983 ; le Roex, 1986 ;
Mitchell, 1991 ; Haggerty, 1994 ; 1999 ; Davies et al., 2001 ; Heaman et al., 2003 ; Torsvik et
al., 2010) considère qu’une remontée (« upwelling ») mantélique convective hypothétique
fournit, à un moment donné, la source de chaleur nécessaire à la fusion du manteau qui génère
les kimberlites. Ces corps convectifs ascendants, initiés par des instabilités thermiques à la
limite noyau-manteau, sont considérés comme stationnaires. La répartition linéaire du
magmatisme kimberlitique retrace donc le mouvement absolu des plaques lithosphériques audessus.
L’hypothèse de subduction lithosphérique (e.g. Ringwood et al., 1992 ; Kesson et al.,
1994 ; McCandless, 1999 ; Gaffney et al., 2007 ; Kamenetsky et al., 2008) se base sur le
relâchement (décarbonatation/déshydratation) des fluides emprisonnés dans la lithosphère
14
océanique lorsqu’elle atteint des profondeurs suffisantes et entraîne alors la fusion partielle du
manteau sus-jacent. La distribution spatio-temporelle des kimberlites reflète alors les
variations de vitesse de convergence des lithosphères océanique et continentale, et les âges
des intrusions seront progressivement plus jeunes en direction de la fosse océanique.
Le dernier modèle établit un lien direct entre le magmatisme kimberlitique et la tectonique
des plaques, c'est-à-dire entre les périodes d’assemblage, de stabilité et de rupture des
supercontinents (Rodinia et Gondwana/Pangée) et la fusion mantélique favorisée par le
relâchement des contraintes lors de la fragmentation de ces supercontinents et l’ouverture des
océans associés (Anderson, 1994 ; White et al., 1995 ; Jelsma et al., 2004 ; 2009 ; O’Neill et
al., 2005 ; Snyder and Lockhart, 2005 ; Moore et al., 2008 ; Secher et al., 2009). Les
variations de direction et de vitesse des plaques lithosphériques lors des grands épisodes
tectoniques (rifting ou convergence) se reflètent alors dans la distribution du magmatisme. Ce
dernier est ainsi induit par les perturbations thermiques associées à cette tectonique qui
implique la formation ou la réactivation de failles lithosphériques et la localisation des
contraintes majeures. La progression en âge des kimberlites au sein d’un même corridor
tectonique est due au relâchement progressif du stress lié à la fracturation de la lithosphère
supérieure.
Il a par exemple été mis en évidence :
-
que l’activité kimberlitique mésoprotérozoïque (~ 1,1 Ga) correspond à la période
durant laquelle le supercontinent Rodinia était assemblé (1200-750 Ma) (Haggerty,
1999)
-
que l’abondant magmatisme crétacé enregistré à travers de nombreux continents
(Afrique, Amérique du Nord, Brésil, Sibérie) coïncide avec l’ouverture des océans liés
à la séparation (« breakup ») de la Pangée, initiée à 100 Ma (Haggerty, 1999 ; Jelsma
et al., 2009). La période de plus de 110 Ma durant laquelle le magmatisme
kimberlitique semble absent, à l’échelle mondiale, reflète alors la stabilité relative de
la lithosphère lorsque le supercontinent Gondwana était stable (Heaman et al., 2003).
1.2.8. Intérêt des kimberlites L’étude des kimberlites est intrinsèquement intéressante que ce soit par la nature
particulière du magma, leur répartition, ou les mécanismes tectoniques impliqués lors de la
fusion d’une source dont la composition précise est toujours discutée. Outre cet intérêt
pétrologique, les kimberlites sont également remarquables pour l’abondance et la diversité des
xénocristaux et des xénolites échantillonnés à différentes profondeurs par le magma lors de sa
remontée rapide. Parmi ces xénocristaux se trouvent bien entendu les mégacristaux qui font
15
l’objet de cette thèse, mais également les diamants dont l’intérêt économique n’est pas à
démontrer.
1.2.8.1.
Diamants Les diamants sont des minéraux extrêmement rares car leur formation nécessite
des conditions de pressions élevées (> 5 GPa) (Kennedy and Kennedy, 1976). Ils se forment
donc essentiellement dans les régions cratoniques où la lithosphère est suffisamment épaisse
(Fig. 1.5 ; Stachel and Harris, 2008). Par ailleurs, ils ne seront retrouvés en surface de la Terre
que si des procédés particuliers les y emmènent. Les magmas de type kimberlite ou lamproïte
ont à ce titre toute leur importance car, grâce à leur grande profondeur d’origine et à leur
vitesse d’ascension particulièrement élevée, ils rendent possible l’échantillonnage du diamant
et sa préservation lors de la remontée en surface, ne laissant pas le temps pour la
transformation en graphite (polymorphe de basse pression), ou la combustion en C gazeux
(Haggerty, 1999). Notons tout de même que dans des circonstances exceptionnelles, les
diamants peuvent atteindre la surface par des processus tectoniques de collision tardive, lors
de l’exhumation des massifs péridotitiques (e.g. Haggerty, 1999; Su et al., 2011). Ces
occurrences ne sont cependant jamais économiques.
16
Les intérêts de l’étude du diamant sont nombreux (répartition et abondance du C dans le
manteau, nature primaire ou biogénique du C et donc procédés de recyclage crustal,
conditions d’oxydoréduction du manteau…) mais ce sont également de puissants outils pour
l’étude de la composition du manteau à de grandes profondeurs. Les diamants sont en effet
parfois pourvus d’inclusions minérales (1 % sur plus d’un million d’échantillons examinés),
généralement considérées comme syngénétiques, surtout à cause de leur forme typiquement
cubo-octaédrique imposée par le diamant hôte, quel que soit le système cristallin propre au
minéral inclus (Stachel and Harris, 2008). Ces inclusions sont principalement regroupées en
deux grands types, le type péridotitique (P-type) et le type éclogitique (E-type), qui
correspondent respectivement aux types de roches dans lesquelles les diamants sont trouvés
en tant que phase accessoire : les péridotites diamantifères et les éclogites diamantifères (e.g.
Stachel et al., 1998b). Les inclusions de type E (grenat riche en Ca-Fe, clinopyroxène riche en
Ca-Na, coesite, rutile, kyanite, sulfure) sont moins abondantes que celles de type P (Mgolivine, pyroxènes riches en Mg, grenat riche en Cr et Mg, Cr-spinelle, sulfure), ce qui
suggère que le composant péridotitique du manteau est prédominant sur le composant
éclogitique (e.g. Helmstaedt and Gurney, 1995). Au sein des inclusions de type P, les
inclusions harzburgitiques sont nettement plus abondantes que les inclusions lherzolitiques,
relativement rares (e.g. Shirey et al., 2004). Ces dernières sont subdivisées en fonction des
teneurs en Ca et Cr des grenats : les grenats harzburgitiques étant typiquement appauvris en
Ca et généralement riches en Cr par rapport aux grenats lherzolitiques (Fig. 1.6 ; Stachel and
Harris, 2008). Le diagramme du % CaO vs. % Cr2O3 dans les grenats est utilisé depuis de
nombreuses années pour faire la distinction entre les paragenèses lherzolitique (grenat saturé
en Ca, à l’équilibre avec le clinopyroxène) et harzburgitique (grenat subcalcique) (Sobolev et
al., 1973 ; Gurney, 1984 ; Grütter et al., 2004). La limite entre ces domaines, représentée par
une ligne, serait en fait mieux représentée par un intervalle de concentrations (~ 1 % de large)
étant donné qu’elle dépend notamment des conditions de pression et de température (Griffin
et al., 1999a ; b). Les sulfures riches en Fe (types P ou E lorsque la teneur en Ni est > 22 % ou
< 12 %, respectivement) sont les inclusions les plus abondantes des diamants, ce qui suggère
que le S pourrait avoir un rôle important lors de leur formation (Haggerty, 1999 ; Stachel and
Harris, 2008). Les diamants présentent également des inclusions du manteau plus profond (>
300 km) : on a en effet identifié du grenat riche en Si, de type majorite (e.g. Moore and
Gurney, 1985), représentant une solution solide de pyroxène dans le grenat, stable seulement
dans les conditions de la lithosphère inférieure et dans la zone de transition du manteau (410660 km), ainsi que la Ca-Si-pérovskite (CaSiO3) du manteau inférieur (Stachel et al., 2004),
ou encore des inclusions témoignant de conditions fortement réductrices, peut-être dans le
noyau métallique (SiC, Fe et FeC) (Haggerty, 1994).
17
Depuis de nombreuses années, les chercheurs ont exploité les méthodes de datation de ces
inclusions (e.g. Sm-Nd sur grenat ; Re-Os sur sulfures essentiellement) afin d’identifier les
grands épisodes de formation des diamants et surtout – considérant le lien syngénétique entre
les diamants-hôtes et leurs inclusions – les grandes époques de formation de la lithosphère
mantélique, et donc son histoire. Ces âges sont principalement distribués depuis l’Archéen au
Protérozoïque (~ 3,3 - 1,5 Ga) et les inclusions de type E sont généralement plus jeunes (< 2,9
Ga) que celles de type P, ce qui confirme les relations supposées entre les éclogites et les
péridotites du manteau (e.g. Haggerty, 1999 ; Shirey et al., 2004 ; Shirey and Richardson,
2011) ; les premières étant le plus souvent interprétées comme le produit du métamorphisme
d’une lithosphère océanique lors de la subduction dans le manteau lithosphérique continental
à dominance péridotitique.
Cette partie introductive sur les diamants et les inclusions ne vise pas à discuter de
l’origine des lithologies péridotitiques et éclogitiques dans le manteau mais à démontrer
l’intérêt de l’étude des inclusions des diamants, car elles sont variées, souvent abondantes et
surtout préservées des interactions avec l’environnement extérieur une fois emprisonnées dans
le diamant-hôte. C’est à ce titre qu’elles seront également souvent utilisées comme base de
comparaison pour l’étude des minéraux du manteau et donc aussi des mégacristaux.
18
1.2.8.2.
Xénolites Des fragments de roches mantéliques ou crustales sont abondamment remontés en
surface de la Terre par les roches alcalines éruptives (basaltes alcalins, kimberlites,
lamproïtes, lamprophyres). Ces fragments, généralement arrondis par abrasion lors du
transport dans le magma, sont de taille variable, le plus souvent centimétrique à décimétrique,
mais peuvent atteindre le mètre (Pearson et al., 2003). Plusieurs types de roches sont trouvés
en enclaves :
-
des péridotites, des éclogites ou des pyroxénites issues du manteau supérieur,
-
des granulites issues de la croûte inférieure et
-
des xénolites de diverses lithologies composant le substrat crustal traversé par le
magma.
Les xénocristaux provenant de la fragmentation de l’ensemble de ces roches sont également
nombreux. Beaucoup plus rarement, des roches contenant des indices de la présence
antérieure de grenat majorite d’origine très profonde (> 300 km) ont également été observées
dans les kimberlites (Haggerty, 1995 ; Deines and Haggerty, 2000).
Mis à part les massifs orogéniques de péridotites affleurant à divers endroits du globe (e.g.
Menzies et al., 2010), les xénolites mantéliques échantillonnés par les magmas sont à la base
de nos connaissances sur la composition du manteau lithosphérique. Ils ont l’avantage de
pouvoir représenter un manteau plus profond que les massifs de péridotite mais ils sont par
contre de plus petite taille et ne permettent pas d’étude structurale. Cependant, contrairement
aux roches des massifs péridotitiques qui se sont progressivement exhumées, donc
rééquilibrées, et qui sont exposées à la surface depuis un certain temps, les xénolites ont été
rapidement entraînés en surface par le magma-hôte et retiennent ainsi les conditions propres à
leur lieu de formation (e.g. Pearson et al., 2003). De plus, étant ramenés par différents types
de magma à différentes périodes, les xénolites sont en quelque sorte la « photographie figée »
du manteau lithosphérique à un moment précis dans l’histoire d’un continent.
Dans la plupart des kimberlites à travers le monde, ce sont les xénolites de nature
péridotitique qui dominent ; ils sont majoritairement ou exclusivement composés des trois
silicates principaux : l’olivine (Ol), l’orthopyroxène (Opx) et le clinopyroxène (Cpx) auxquels
s’ajoute(nt) une (ou plusieurs) phase(s) alumineuse(s) (< 5-20 % vol.) dont la composition est
directement liée à la profondeur d’origine de la roche (~ spinelle < 3 GPa < grenat). Quelques
kimberlites, comme celles de Roberts Victor (Afrique du Sud), Udachnaya (Sibérie) et MbujiMayi (République Démocratique du Congo, RDC), ramènent majoritairement des nodules
d’éclogite. Les roches péridotitiques sont définies dans la nomenclature internationale IUGS
19
en lherzolite, harzburgite et wehrlite, sur base des proportions modales d’olivine,
d’orthopyroxène et de clinopyroxène (Fig. 1.7 ; Streckeisen, 1974). Lorsqu’il s’agit de l’étude
des xénolites, certains auteurs utilisent une approche thermodynamique considérant que
quelles que soient les proportions modales des phases présentes dans une roche, leur présence
seule requiert qu’il y ait un équilibre entre ces phases et affecte donc le nombre de degrés de
liberté du système. Ainsi, une harzburgite est définie comme une roche totalement dépourvue
de clinopyroxène, étant donné que sa présence réduirait d’une unité le nombre de degrés de
liberté du système (O’Hara et al., 1975; cités dans Pearson et al., 2003 ; Harte, 1977).
Les kimberlites, qui se mettent en place au centre des cratons et près de leurs marges,
ramènent essentiellement des xénolites de péridotites à grenat et, plus rarement, des roches du
faciès à spinelle (Nixon, 1987), alors que les basaltes alcalins des régions non cratoniques
échantillonnent presque exclusivement des roches du faciès à spinelle (e.g. McDonough,
1990 ; Ionov et al., 1993a).
20
1.3.
Problématique associée à la lithosphère cratonique 1.3.1. Généralités et particularités Les plaques lithosphériques rigides se déplacent en surface de la Terre grâce aux
mouvements de convection de l’asthénosphère sous-jacente. La lithosphère, au travers de
laquelle la chaleur circule par conduction, se compose de la croûte terrestre reposant sur la
partie superficielle rigide du manteau supérieur, le manteau lithosphérique. En milieu
océanique, une lithosphère relativement âgée (< 75 Ma) atteint une épaisseur maximale de
l’ordre de 100 km au-delà de laquelle elle devient trop dense et s’enfonce dans le manteau
asthénosphérique (Parsons and McKenzie 1978, cités dans McKenzie et al., 2005). En milieu
continental, la lithosphère est plus épaisse et atteint généralement 100-140 km (e.g. Priestley
and McKenzie, 2006 et références dedans).
Les cratons archéens (> 2,5 Ga) ou paléoprotérozoïques (> 1,6 Ga) sont généralement
caractérisés par une lithosphère particulièrement épaisse (175-250 km). La croûte continentale
sous la plupart des cratons atteint en moyenne 40 km d’épaisseur (McKenzie and Priestley,
2008), où le Moho marque la transition avec le manteau lithosphérique. La base du manteau
lithosphérique correspond à un rapide changement du gradient de température sur une certaine
épaisseur (< 50 km), appelée couche limite thermique (« Thermal Boundary Layer », TBL ;
McKenzie et al., 2005). La base de cette TBL, correspondant à la limite supérieure de
l’asthénosphère, est communément définie par la profondeur à laquelle le géotherme
conductif moyen local intercepte l’adiabat mantélique de 1380 °C (Lee et al., 2011).
Les cratons reposent sur des racines mantéliques épaisses, froides et visqueuses, qui sont
stables depuis longtemps et agissent comme centres de nucléation autour desquels s’articulent
les continents. Ils doivent leur stabilité à la composition du manteau lithosphérique qui est
anhydre et typiquement fort appauvri en éléments lourds magmaphiles (Fe, Al, Ca) par
rapport à la composition estimée du manteau primitif (e.g. Boyd, 1989 ; McDonough, 1990).
En effet, si la lithosphère océanique ne peut excéder 100 km d’épaisseur, la lithosphère
continentale âgée est moins dense et a donc tendance à « flotter » sur l’asthénosphère. Elle
favorise ainsi également la survie de la croûte continentale sus-jacente, la protégeant de
l’instabilité convective de l’asthénosphère, par une combinaison de flottaison et de force
mécanique (Jackson et al., 2008 et références dedans).
D’une manière générale, les blocs cratoniques typiques sont stables depuis l’Archéen (la
Fig. 1.8 illustre la distribution des cratons archéens sur Terre; Lee et al., 2011) et différentes
études ont pu montrer que l’âge de la croûte continentale reflète celui du manteau
lithosphérique sous-jacent (e.g. Pearson, 1999 ; Griffin et al., 2003). Cependant, de plus en
21
plus de travaux montrent que certaines régions stables depuis le Protérozoïque reposent
également sur un manteau d’âge archéen (e.g. N. Botswana, Carlson et al., 1999b ; Griffin et
al., 2009). En conséquence, une forte épaisseur lithosphérique n’est pas nécessairement
restreinte aux centres des cratons, mais peut aussi s’étendre sous les ceintures orogéniques
plus jeunes qui les bordent (e.g. Namibie, Boyd et al., 2004 ; Venezuela, Schulze et al.,
2006). Les profils d’épaisseur lithosphérique peuvent être indirectement estimés à partir de la
tomographie des ondes sismiques de surface et des calculs thermobarométriques sur les
xénolites (McKenzie et al., 2005). Ils ont révélé l’existence de vastes régions sous lesquelles
la lithosphère est épaisse : cette lithosphère s’étend généralement au-delà des bordures
géologiques des cratons et peut former un continuum entre les différentes unités cratoniques
d’un continent. Ainsi, il semblerait qu’une épaisse lithosphère relie en profondeur les
différents cratons du sud du continent africain (Congo-Kasaï, Tanzanie et Kalahari ; Fig. 1.9 ;
Priestley and McKenzie, 2006), formant ainsi le « core » ou noyau d’Afrique du Sud.
La situation se complique encore si l’on considère certaines régions d’âge archéen qui
semblent dépourvues de lithosphère réfractaire épaisse, ce qui pourrait signifier soit que cette
lithosphère ne s’est jamais formée (e.g. Mojave, SW USA), soit qu’elle a été éliminée (craton
nord de Chine ; Rudnick et al., 2004 ; Priestley and McKenzie, 2006), ce qui va à l’encontre
de l’image communément admise de la pérennité et de la stabilité de la lithosphère cratonique.
En Tanzanie par exemple, la proximité du Rift Est Africain (« East African Rift System »,
EARS) au craton tanzanien est en train de modifier la composition de la lithosphère sous le
craton (Lee and Rudnick, 1999), la rendant progressivement plus dense par imprégnation de
magmas en profondeur, ce qui mènera peut-être à terme à son élimination par recyclage (i.e.
« délamination ») dans l’asthénosphère.
Ainsi, l’échantillonnage du manteau lithosphérique par des magmas à différentes périodes
dans l’histoire d’un craton est particulièrement intéressant car il permet d’observer l’évolution
de la composition du manteau au cours du temps. En Afrique du Sud, les kimberlites du
Groupe II (> 110 Ma) et du Groupe I (< 100 Ma) sont toutes deux abondantes dans le craton
du Kaapvaal et il semblerait que l’épaisseur de la lithosphère réfractaire se soit réduite
d’environ 30 km sur ce court laps de temps (Griffin et al., 2003). Des réactivations
tectonothermiques de la lithosphère cratonique se marquent également dans le flux de chaleur
mesuré en surface. Les cratons sont typiquement caractérisés par un faible flux de chaleur
(30-40 mW/m² en général ; jusqu’à 13 mW/m2 pour le craton nord-atlantique dans le sudouest du Groenland ; Bizzarro and Stevenson, 2003) ; ce flux s’élèvera si la lithosphère est
réactivée.
22
Fig.1.8. Distribution des socles crustaux d'âges précambrien (> 540 Ma) et phanérozoïque (< 540 Ma). Les cratons Archéens (en
rouge) sont respectivement les cratons de la Slave Province (1), du Wyoming (2), de la Superior Province (3), du Groenland (4),
Fennoscandien (5), Sibérien (6), Nord de Chine (7), Ouest Australien (8), Indien (9), de Tarim (10), de Tanzanie (11), du Kaapvaal
(12), du Congo (13), d'Afrique de l 'Ouest (14), d 'Amazonie (15) et du Plateau du Colorado (16). (Lee et al., 2011, modifié d'après
Goodwin, 1991 et Pearson and Wittig, 2008).
Mbuji-Mayi
no diamond
diamond-bearing
Fig.1.9. Variations régionales de l'épaisseur lithosphérique en Afrique (McKenzie and Priestley, 2006; 2008).
Les profils d'épaisseur sont calculés à un intervalle constant de 2 ° en latitude et longitude (correspondant à environ 400 km; points
noirs). Les cercles roses représentent les occurrences des kimberlites diamantifères alors que les jaunes représentent celles des
kimberlites non diamantifères et des basaltes alcalins. Les chiffres dans les cadres représentent les épaisseurs lithosphériques
estimées à partir des xénolites. Les contours jaunes représentent approximativement les limites des cratons. Les lettres a, b, c et d
correspondent aux cratons de l 'Afrique de l'Ouest, de l'Angola ou Congo, de Tanzanie et du Kalahari (regroupant les cratons du
Zimbabwe et du Kaapvaal) . Notons que le craton de l'Angola comprend ici les blocs de l'Angola et du Congo-Kasaï et que la
lithosphère sous la province kimberlitique de Mbuji-Mayi qui nous intéresse est estimée à 220 km d'épaisseur.
23
Dans la partie est du craton nord de Chine, les différents échantillonnages réalisés par les
kimberlites à l’Ordovicien d’une part, et par les basaltes alcalins tertiaires d’autre part,
témoignent d’une diminution d’épaisseur de la lithosphère archéenne de l’ordre de 80-140
km ; le flux de chaleur actuel sous ce craton est de 60 mW/m² (Rudnick et al., 2004 et
références dedans), ce qui est similaire aux terranes phanérozoïques (> 60-80 mW/m² ; Lee et
al., 2011). La bordure est du craton de Tanzanie est plus affectée par l’ouverture de l’EARS
que le centre de ce craton, ce qui se marque également dans les géothermes respectifs (50-55
mW/m² vs. 23-47 mW/m² ; Dawson, 1999 ; Lee and Rudnick, 1999 et références dedans).
1.3.2. Composition unique du manteau lithosphérique cratonique ? La lithosphère mantélique sous le craton du Kaapvaal et à ses marges est
particulièrement bien connue étant donné l’abondance des études depuis de nombreuses
années (e.g. Nixon, 1987 ; Boyd, 1989 ; Grégoire et al., 2003 ; Simon et al., 2003 ; 2007).
Elle sert donc souvent de base de comparaison pour les études, plus récentes, sur d’autres
cratons à travers le monde.
Le manteau lithosphérique cratonique est principalement représenté par des xénolites de
péridotite à grenat mais le faciès à spinelle est également commun (e.g. Boyd et al., 1997 ;
Ionov et al., 2010). Deux types de péridotites, qui diffèrent par leur texture et leur condition
d’équilibre, ont rapidement été distingués (e.g. Gurney and Harte, 1980 ; Boyd, 1987 ; 1989) :
des péridotites granulaires, grossièrement grenues (« coarse » ou « granular ») et de basse ou
moyenne température (< 1100 °C) et des péridotites déformées (« sheared ») de plus haute
température (HT) (> 1100 °C). Les harzburgites (et lherzolites) de basse température (BT)
sont les plus abondantes et caractérisent un manteau particulièrement réfractaire, pauvre en
Al, Fe, Ca, Ti et Na (communément appelés « composants basaltiques »). Les olivines sont
caractérisées par leur Mg# élevé (92-94) en comparaison à celles d’un manteau fertile primitif
(Mg#= 89,3 ; McDonough and Sun, 1995), des lithosphères plus jeunes en dehors des cratons
(« xénolites off-craton », Mg#= 90 ; McDonough, 1990), et des lithosphères océaniques
(ophiolites, péridotites abyssales ou xénolites issus des basaltes océaniques) (Boyd, 1989 ;
Pearson et al., 2003).
Ce caractère fortement réfractaire a rapidement été interprété comme reflétant une origine
résiduelle suite à des degrés de fusion partielle élevés et à l’extraction des liquides produits à
partir du manteau primitif (e.g. Boyd and Mertzman, 1987). Cependant, alors que les
péridotites des milieux océaniques et des localités « off-craton » reflètent bien leur origine
résiduelle par la corrélation positive qui existe entre le Mg# de l’olivine et la proportion
modale du même minéral (Fig. 1.10a), les péridotites cratoniques de BT de la lithosphère du
Kaapvaal qui contiennent des proportions d’olivine variables (40-70 % poids) pour des
24
valeurs de Mg# globalement élevées, s’éloignent de cette tendance (Fig. 1.10b ; Boyd, 1989).
Les péridotites de HT quant à elles sont notamment plus riches en Fe (Mg#= 89-91) et
contiennent plus d’olivine ; elles tombent autour de la tendance décrite par les péridotites
océaniques (Fig. 1.10c).
Dans les péridotites de BT des cratons du Kaapvaal (Boyd, 1989) et de Sibérie (Boyd et
al., 1997 ; Fig. 1.10b), des enrichissements anormaux en orthopyroxène (20-50 % poids) ont
été observés ; ils se marquent dans les variations des proportions modales d’olivine. Ces
péridotites sont donc caractérisées par des rapports Mg/Si élevés, ce qui va à l’encontre des
propriétés normalement appauvries de ces lithosphères. Différentes hypothèses (détaillées ciaprès) ont été proposées pour expliquer ce caractère contradictoire. Cependant, une question
primordiale est depuis longtemps débattue : les compositions des manteaux lithosphériques
sous les cratons du Kaapvaal et de Sibérie sont-elles représentatives du manteau
lithosphérique cratonique à travers le monde ?
Une étude récente (Ionov et al., 2010) sur des xénolites particulièrement frais du craton
sibérien remet en cause l’enrichissement en Si observé précédemment. Bien que certaines
péridotites présentent un enrichissement en Opx, elles sont nettement moins abondantes que
ce qui avait été montré par Boyd et al. (1997). Ces derniers avaient en fait étudié des xénolites
relativement altérés. Les études des cratons nord-atlantique (Groenland) et nord-américain
25
(provinces Slave et Superior) semblent révéler l’absence de xénolites riches en Si (Kelemen et
al. 1998 ; Francis, 2003 et références dedans) (Fig. 1.10b). Les xénolites du craton de
Tanzanie ou de la ceinture protérozoïque le bordant à l’Est présentent des enrichissements
variables en Opx, mais moindres que dans le craton du Kaapvaal (Rudnick et al. 1994 ; Lee
and Rudnick, 1999). De plus, les harzburgites de BT de la kimberlite du Groupe II de Finsch
(118 Ma), située dans le craton du Kaapvaal, ne sont pas enrichies en Opx (< 17 %) (Gibson
et al., 2008).
Il semble donc que les preuves s’accumulent pour suggérer qu’une composition
« cratonique » unique n’existe pas et que les différents cratons auraient plutôt subi des
histoires évolutives différentes, voire même des modes de formation légèrement différents
(e.g. Griffin et al., 2003).
1.3.3. Stratification compositionnelle du manteau lithosphérique cratonique ? Les corrélations directes entre les compositions des xénolites de péridotite à grenat, ou
indirectes à partir de la composition des xénocristaux de grenat (à partir desquels il serait
possible de déterminer la composition de la roche hôte ; e.g. Gaul et al., 2000 ; Griffin et al.,
2003 ; Kobussen et al., 2009), et les estimations thermobarométriques permettent de mettre en
évidence la structure compositionnelle de la lithosphère sous les cratons. De nombreux
cratons présentent des arguments suggérant une stratification compositionnelle qui se reflète
par une augmentation de la fertilité (diminution du Mg# de l’olivine) avec la profondeur.
Cette stratification se marque surtout par la présence commune des lherzolites fertiles de HT
(Mg#= 89-91) près de la base de la lithosphère, alors que les harzburgites réfractaires de BT
(Mg#= 92-94) sont concentrées dans les 150 km supérieurs (Lee et al., 2011 et références
dedans ; Fig. 1.11). C’est le cas sous les cratons de Sibérie (Boyd et al. 1997), du Kaapvaal
(Boyd and Mertzman 1987 ; Viljoen et al., 2009), de Tanzanie (Lee and Rudnick, 1999 ;
Rudnick et al., 2004), du Groenland (Bizzarro and Stevenson, 2003) et de la province Slave
du craton nord-américain (Kopylova and Russel, 2000 ; Kopylova and Caro, 2004 ;
Schmidberger and Francis, 2001 ; Schmidberger et al., 2001 ; Menzies et al., 2004). Cette
dernière province présente par ailleurs une augmentation progressive unique de fertilité au
sein même des 150 km supérieurs (Kopylova and Russell, 2000) (Fig. 1.11). Cependant, tous
les cratons ne présentent pas de stratification (e.g. craton nord de Chine, Rudnick et al.,
2004). De plus, il semble que la structure de la lithosphère puisse également évoluer avec le
temps, comme montré par les xénocristaux de grenat de la province Superior du craton nordaméricain (Scully et al., 2004) qui reflètent une stratification dans les échantillons ramenés
par les kimberlites du Phanérozoïque mais pas dans ceux des kimberlites et roches alcalines
26
du Protérozoïque. Bien que les estimations indirectes obtenues à partir des xénocristaux de
grenat (e.g. Griffin et al., 2002) corroborent en général les études provenant des roches
péridotitiques, Ionov et al. (2010) ne voient pas d’évolution modale ou chimique pouvant
refléter une stratification dans leur étude des xénolites frais du craton de Sibérie.
L’origine de cette stratification est toujours largement discutée (Kopylova and Caro, 2004
et références dedans). Elle pourrait :
-
soit résulter de la refertilisation préférentielle de la base de la lithosphère réfractaire
par des magmas d’origine asthénosphérique,
-
soit refléter la structure primaire de la lithosphère au moment de sa formation : elle
serait alors le résultat de taux de fusion moins élevés à HP qu’à plus faible
profondeur, ce qui conduirait à des lithologies résiduelles relativement plus fertiles.
Par ailleurs, bien que les péridotites de HT et de BT ont en général le même âge et
résulteraient dès lors d’un épisode unique de formation à l’Archéen (e.g. Walker et al., 1989 ;
Pearson et al. 1995 ; Carlson et al., 1999b), les xénolites de HT de certaines localités
semblent enregistrer des âges plus jeunes que la lithosphère plus réfractaire sus-jacente. Ces
dernières pourraient avoir été formées lors d’un processus de sous-plaquage plus récent (e.g.
craton archéen du Wyoming, Carlson et al., 1999a ; de Tanzanie, Chesley et al., 1999 ; marge
du craton nord-atlantique, Schmidberger et al. 2001). Cette croissance plus récente pourrait
alors soit prendre place lors de différents événements de subduction qui construiraient les
racines cratoniques en profondeur et latéralement, soit résulter de l’accrétion par le bas de
diapirs de péridotites et d’éclogites modérément appauvris (Kopylova and Caro, 2004 et
références dedans).
27
1.3.4. Modèles de formation du manteau lithosphérique cratonique Les idées concernant le mode de formation de la lithosphère cratonique se sont
multipliées et ont évolué suite aux divers arguments apportés lors d’études de différents
cratons à travers le monde.
Les premiers modèles considéraient la lithosphère mantélique enrichie en Si sous les
cratons du Kaapvaal et de Sibérie comme typique : l’enrichissement en Opx était le résultat de
la différenciation même de la lithosphère. Ainsi, ont été invoqués des modèles impliquant de
forts taux de fusion (50-80 %) à grande profondeur (> 250 km) avec extraction de liquide
ultramafique komatiitique et formation de résidus péridotitiques enrichis en Si qui auraient
ensuite évolué (réactions métamorphiques d’exsolution et de transformation des minéraux)
lors du refroidissement à plus faible profondeur (Boyd, 1989) ou par ségrégation physique de
cumulats d’olivine et d’orthopyroxène (Boyd et al., 1997), ou encore par mélange entre les
harzburgites résiduelles et cumulatives dans de larges plumes mantéliques (Herzberg, 1993 ;
Griffin et al., 2003). Herzberg (1993) propose également la formation du manteau
lithosphérique par cristallisation directe à partir d’un océan magmatique riche en SiO2 lors de
la différenciation initiale de la Terre, ou à partir d’une source enrichie en SiO2 par le mélange
du manteau avec une météorite chondritique lors d’un impact. Récemment encore, il a été
proposé que la composition acceptée de la « pyrolite » (e.g. McDonough and Sun, 1995) pour
le manteau primitif ne soit peut-être pas valable pour le manteau à l’Archéen et qu’il faudrait
considérer une source plus enrichie en Si et Fe (plus chondritique) dans les modèles de fusion
du manteau primitif au cours de l’histoire précoce de la Terre (Francis, 2003 ; Herzberg,
2004).
Par la suite, des théories ont proposé que l’enrichissement en Opx pourrait provenir de
processus secondaires, comme l’interaction entre un manteau résiduel réfractaire et des
fluides hydratés (Kesson and Ringwood, 1989 ; Bell et al., 2005 ; Simon et al., 2007) ou des
liquides (Rudnick et al., 1994 ; Kelemen et al. 1998 ; Simon et al., 2003 ; Gibson et al.,
2008 ; Rehfeldt et al., 2008 ; Rapp et al., 2010) riches en Si provenant de la déshydratation ou
de faibles taux de fusion partielle d’une lithosphère océanique en subduction.
On pense maintenant que des processus secondaires (i.e. métasomatiques) peuvent en
effet être à l’origine de l’enrichissement en Si observé dans certaines régions mais pas dans
toutes (e.g. Bernstein et al., 2007), ou même à certaines périodes mais pas à d’autres (e.g.
Gibson et al., 2008), ce qui suggère que la composition du manteau lithosphérique cratonique
puisse évoluer avec le temps.
28
Cependant, le débat reste toujours ouvert concernant la différenciation initiale du manteau
lithosphérique cratonique. En effet, alors que les compositions de la lithosphère océanique
jeune et de la lithosphère continentale phanérozoïque semblent compatibles avec les
processus observés aux rides médio-océaniques actuelles, càd la fusion à de faibles
profondeurs (< 3 GPa) et degrés modérés (< 30 %) d’extraction de liquide basaltique (e.g.
Boyd, 1989 ; Walter, 1998 ; Lee et al., 2011) ; quelles sont la profondeur et l’étendue de la
fusion nécessaire pour former un manteau résiduel cratonique de composition fortement
réfractaire ?
Diverses études expérimentales modélisant la fusion d’un manteau primitif représenté par
une péridotite fertile (type pyrolite), sur différentes gammes de pressions et températures, ont
été réalisées en vue de contraindre ces paramètres (e.g. Walter, 1998 ; Herzberg, 2004). Ces
études permettent en effet la comparaison entre les résidus obtenus expérimentalement et les
roches naturelles mais, là encore, les conclusions restent controversées car elles peuvent
différer en fonction des éléments (majeurs ou en trace) qui sont utilisés pour les comparaisons
(détails et discussions dans Bizzarro and Stevenson, 2003 ; Canil, 2004 ; Herzberg, 2004 ;
Ionov and Hofmann, 2007 ; Pearson and Wittig, 2008 ; Wittig et al., 2008 ; Lee et al., 2011).
De plus, comme le soulignent Wittig et al. (2008), les estimations de composition du manteau
primitif à partir desquels les modèles de fusion sont contraints peuvent varier d’une
expérience à l’autre et les courbes dessinant l’évolution des résidus d’extraction de liquide à
différents taux de fusion et différentes pressions sont dès lors relativement faiblement
contraintes. Par ailleurs, la comparaison des données expérimentales avec les xénolites est
biaisée (voir Ionov and Hofmann, 2007 ; Wittig et al., 2008 ; Griffin et al., 2009) car les
xénolites ont souvent subi des réenrichissements secondaires (voir section 1.4). A ce jour, il
semblerait que le manteau lithosphérique sous le craton nord-atlantique (Groenland) soit le
plus réfractaire (pauvre en orthopyroxène, riche en olivine et Mg# moyen de 92,8), et donc le
plus proche d’une composition purement résiduelle (Bernstein et al., 2007 ; Wittig et al.,
2008 ; Griffin et al., 2009).
Deux grands modèles, reflétant des environnements géotectoniques différents, ont été
proposés pour la formation initiale du SCLM des cratons. Ces modèles diffèrent surtout en ce
qui concerne les pressions initiales et/ou finales de fusion (≤ 3 GPa, e.g. Kelemen et al., 1998
ou > 5-7 GPa ; Walter, 1998) mais s’accordent sur la nécessité de taux de fusion élevés à
l’Archéen (30-50 % ; Lee et al., 2011).
29
b.1. Empilement/accrétion
de lithosphères océaniques
Fusion à HP
a. Différenciation dans
un mégaplume
F = 40% Mg
#
~ 93
Fusion à BP
F = 0% Mg
#
~ 89.5
b.2. Epaississement et accrétion
en milieu type arc
Fig.1.12. Représentations schématiques des deux grands modèles de formation de la lithosphère mantélique cratonique.
a. Fusion polybarique à haute pression dans la tête d’un gigantesque plume (F = degré moyen de fusion; les Mg # des
olivines résiduelles correspondants sont indiqués);
b. Fusion polybarique à basse pression (au niveau des dorsales océaniques ou sous un arc en maturation) suivi
d’épaisissement lithosphérique par empilement de lithosphères océaniques (1) ou épaississement et accrétion d’arc (2).
Modifié d’après Lee (2006) et Lee et al. (2011).
Fig.1.13. Modèle de formation et de différenciation de la lithosphère cratonique proposé par Pearson and Wittig (2008)
(combinaison des modèles de la Fig.1.12b.1- 2).
Dans ce modèle, la fusion initiale (anhydre) se fait à BP au niveau d’une ride océanique archéenne, laissant un manteau
résiduel composé d’harzburgites relativement fertiles (1) qui subira ensuite une seconde fusion à BP (hydratée)
accompagnée par du métasomatisme (enrichissement en Opx) au niveau d’une zone de subduction (2), formant ainsi les
harzburgites réfractaires des cratons. Ce manteau appauvri refroidit et s’épaissit alors par empilements tectoniques de
lithosphères océaniques (3) qui vont progressivement se différencier par contrastes de densité pour donner la lithosphère
cratonique observée aujourd’hui (4).
Le lecteur se référera à l ’article sus-cité pour plus de détails.
30
Le premier modèle (Fig. 1.12a) considère la formation d’épaisses racines lithosphériques
réfractaires « in-situ » lors d’épisodes de fusion importante à haute pression (5-7 GPa) dans
un gigantesque « plume » mantélique (i.e. panache) particulièrement chaud, propre à
l’Archéen ; la chaleur nécessaire à la fusion proviendrait de la désintégration radioactive des
isotopes à relativement courte durée de vie (e.g.
26
Al) (e.g. Herzberg, 1993 ; Griffin et al.
2003). Une variante de ce modèle suggère la possibilité de grands « overturns mantéliques »
liés à une plus forte convection associée à la température élevée du manteau à cette période
(Davies, 1995 ; Boyd et al., 1997 ; Griffin et al., 2003). Ce modèle considère donc la
formation d’un manteau compositionnellement stratifié (taux de fusion plus élevés dans la tête
du plume menant à des lithologies plus réfractaires, Mg# >) lors d’un épisode unique et ne
nécessite pas d’épaississement progressif pour construire les épaisses racines lithosphériques
que nous observons aujourd’hui. Une alternative est considérée par Arndt et al. (2009) qui
proposent que la lithosphère cratonique se construit lors d’épisodes de fusion successifs via le
passage répété de plus petits plumes laissant à chaque fois un manteau résiduel réfractaire de
faible densité en surface qui, progressivement, empêchera l’ascension des plumes suivants et
permettra ainsi l’épaississement de la lithosphère par le bas.
Le second modèle (Fig. 1.12b) se base sur le fait que, quelle que soit la pression initiale
au début de fusion, la fin de fusion a lieu dans le domaine de stabilité du spinelle (< 3 GPa ;
e.g. Canil, 2004 ; Boyd et al., 2004 ; Bernstein et al., 2007). De ce fait, pour atteindre la
gamme de pressions aujourd’hui enregistrée par les xénolites mantéliques (3-7 GPa ; e.g. Lee,
2006), la lithosphère a dû s’épaissir au cours du temps via des procédés tectoniques
secondaires. Alors que certains considèrent la formation initiale en milieu anhydre (type ride
médio-océanique) plus probable (e.g. Bernstein et al., 2006 ; 2008), d’autres pensent que
l’eau a dû jouer un grand rôle lors de la fusion initiale du manteau pour laisser des résidus si
réfractaires (Pearson and Wittig, 2008) et envisagent donc une genèse dans un milieu
comparable à celui des arcs insulaires actuels (Griffin et al., 2003 ; Parman et al., 2004 ;
Simon et al., 2007 ; Pearson and Wittig, 2008 ; Ionov et al., 2010). La lithosphère atteint alors
son épaisseur caractéristique soit par chevauchements/empilements de lithosphères
océaniques subductées aux marges convergentes (Fig. 1.12b.1) (Helmstaedt and Schulze,
1989 ; Kelemen et al., 1998 ; Stachel et al., 1998b ; Wittig et al., 2008), soit par accrétion et
remaniement lithosphérique sous les arcs continentaux au-dessus d’une zone de subduction
(Fig. 1.12b.2) (Lee, 2006 ; Lee et al., 2011) ; ces deux procédés n’étant par ailleurs pas
mutuellement exclusifs (e.g. Lee et al., 2011). Pearson and Wittig (2008) proposent un
modèle (Fig. 1.13) dans lequel la fusion initiale (anhydre) se passe au niveau d’une dorsale
océanique et produit un résidu harzburgitique relativement fertile qui n’atteindra son caractère
typiquement réfractaire que lors d’un second épisode de fusion (hydratée cette fois) dans le
31
manteau, au-dessus d’une zone de subduction. Ce manteau appauvri est variablement enrichi
en Si (et donc en Opx) par les fluides et/ou liquides issus de la plaque subductée et s’épaissit
progressivement par empilements successifs de lithosphères océaniques. Le manteau
cratonique atteint finalement sa configuration stable (lithologies les moins denses « flottant »
au-dessus des lithologies les plus denses) par différenciation gravitationnelle.
Ces discussions ont des implications importantes quant à la composition du manteau
lithosphérique résiduel formé à l’Archéen.
De fait, si l’on considère l’hypothèse plausible de l’origine des péridotites cratoniques
comme résidus de fusion partielle avec taux de fusion élevé (~ 40 %) à l’Archéen, en partie
ou totalement dans le domaine de stabilité du spinelle, les résidus sont des dunites ou
harzburgites appauvries, composées essentiellement d’olivine ± orthopyroxène ± spinelle. Or
les xénolites aujourd’hui échantillonnés contiennent communément du grenat et du
clinopyroxène. L’origine de ces phases est alors discutée.
Certains auteurs ont observé une relation spatiale proche entre le clinopyroxène, le grenat
et l’orthopyroxène dans les lherzolites à grenat ; l’olivine par contre semble y avoir une
situation texturale indépendante. Les phases en question se seraient formées par exsolution,
lors du refroidissement et/ou lors de la déformation, à partir d’un orthopyroxène plus fertile
(riche en Al, Ca et Cr) (Cox et al., 1987). Cette possibilité est confirmée d’une part par de
rares xénolites dans lesquels de telles exsolutions sont préservées (Dawson, 2004), d’autre
part par l’expérimentation (Canil, 1991). La plupart des lherzolites à grenat observées seraient
en fait initialement des harzburgites sans grenat ; les caractéristiques texturales d’exsolution
auraient été masquées par la déformation et la recristallisation.
Ce modèle ne fait cependant pas l’unanimité et un nombre croissant de travaux suggèrent
une origine métasomatique, et non métamorphique, pour le grenat et le clinopyroxène (e.g.
Pearson et al., 2003 ; Simon et al., 2003 ; 2007).
32
1.4.
Le métasomatisme dans le manteau lithosphérique Il semblerait que ce soit lors de la Première Conférence Internationale sur les Kimberlites
(1973, Cape Town) que l’importance des processus métasomatiques a réellement été mise en
évidence lors de l’étude des nodules du manteau lithosphérique. Par la suite, ce concept a pris
de plus en plus d’ampleur. Des synthèses sur le sujet ont été réalisées assez rapidement et sont
encore communément utilisées pour référence (e.g. Boettcher and O’Neill, 1980 ; Menzies
and Hawkesworth, 1987 ; Bailey, 1987).
L’importance de la présence d’éléments alcalins et de composés volatils dans la source
des magmas alcalins mafiques à ultramafiques qui échantillonnent le manteau lithosphérique
a déjà été soulignée. L’ajout d’éléments lithophiles et volatils à une source mantélique
réfractaire permet notamment d’abaisser sa température de fusion.
Les xénolites mantéliques de la lithosphère continentale (cratonique ou non) peuvent
présenter des signatures minéralogiques et/ou géochimiques variées qui mettent en évidence
différents types de métasomatisme. Le lien entre les procédés magmatiques et
métasomatiques est un sujet controversé : le magmatisme est-il un précurseur du
métasomatisme observé dans les xénolites et/ou le métasomatisme mantélique est-il
nécessaire au déclenchement du magmatisme ? (e.g. Bailey, 1987, Lloyd, 1987).
1.4.1. Définition du métasomatisme Le métasomatisme est le plus souvent défini comme un procédé subsolidus engendrant
la modification chimique - addition et redistribution (avec ou sans soustraction) d’éléments dans une roche ou dans les minéraux qui la constituent, via l’interaction avec des fluides ou
des liquides. Cette interaction peut se faire par infiltration de l’agent métasomatique dans les
roches encaissantes ou par simple diffusion chimique des éléments au travers de ces roches.
Les éléments impliqués dans les procédés métasomatiques sont les éléments volatils et
incompatibles (e.g. O, H, C, F, Cl, S, P, Na, Rb, K, Ba, Sr, Y, Zr, Nb et REE) et les
« composants basaltiques » (e.g. Ca, Al, Ti, Fe).
Le métasomatisme peut se matérialiser par l’apparition de nouvelles phases -les plus
communes étant le mica et l’amphibole- dans les xénolites mantéliques, par remplacement de
phases préexistantes ou par injection sous forme de veines : il s’agit alors d’un
métasomatisme de type « modal » (Harte, 1983) (ou « patent » ; Dawson, 1984). Le
métasomatisme peut également être identifié par des enrichissements en éléments à caractère
incompatible dans la roche totale ou dans les minéraux qui la composent, sans modification
minéralogique associée : il s’agit alors du métasomatisme de type « cryptique » (Harte, 1983 ;
33
Dawson, 1984). Ce type de métasomatisme est débattu par certains auteurs qui soulignent
que, sans autre preuve de métasomatisme avéré, une surabondance en certains éléments par
rapport à la composition de référence du manteau primitif ne devrait pas être considérée
comme une preuve suffisante de processus métasomatique mais simplement interprétée
comme un enrichissement car les processus impliqués ne sont pas clairement identifiés ; de
plus, l’existence d’un protolite appauvri n’est pas démontrée (Bailey, 1987 ; Menzies and
Hawkesworth, 1987).
1.4.1.1.
Fluide vs. liquide : précisions Harte (1987) précise que le terme fluide peut désigner aussi bien un liquide silicaté,
qu’une vapeur ou une solution à l’état supercritique. Cependant, les auteurs utilisent
abusivement le terme fluide pour décrire un composant riche en espèces volatiles dissoutes
(e.g. H2O-CO2), différent du liquide (~ magma) qui, lui, est riche en solides dissous (e.g.
silicates). C’est donc selon les termes les plus couramment utilisés que nous continuerons nos
descriptions. Notons également que toutes les espèces volatiles (H2O, CO2, CO, CH4, H2,
SO2, H2S) sont solubles dans les liquides silicatés mais que H2O et CH4 sont plus solubles que
CO2, CO et H2S (Eggler, 1987 et références dedans).
La composition des fluides dans le manteau dépend de la fugacité en oxygène (fO2)
ambiante qui varie notamment avec les conditions de P-T (e.g. Frost and McCammon, 2008).
La composition des fluides peut être représentée en fonction de la fO2 à une P et T données
(e.g. 6 GPa et 1200 °C ; Fig. 1.14a). On observe alors que sous des conditions oxydantes, les
espèces volatiles dominantes des fluides sont H2O-CO2, alors que sous des conditions
réductrices, il s’agit de CH4-H2O. Les espèces oxydées et réduites sont présentes aux plus
basse et haute pressions, respectivement (Fig. 1.14b). Dans la gamme de profondeur du
manteau lithosphérique (~ 200 km), les espèces dominantes sont donc H2O-CO2 et, avec
l’augmentation de pression, les proportions d’H2O augmentent par rapport à celles de CO2. Ce
dernier est en effet rapidement consommé par des réactions de carbonatation étant donné que
les carbonates sont stables sur une grande gamme de pressions (> 16 kbar) dans la lithosphère.
Le soufre dans le manteau subsolidus est à l’état réduit et se trouve principalement dans les
sulfures (Eggler, 1987).
34
Nous verrons qu’il n’est pas aisé de distinguer l’action d’un fluide de celle d’un liquide
métasomatique mais les paramètres qui permettent parfois d’établir cette distinction
comprennent notamment (Menzies and Hawkesworth, 1987) :
-
l’étendue du métasomatisme : e.g. un fluide hydraté devrait être capable de migrer sur
de plus grandes distances dans le manteau qu’un liquide silicaté (Simon et al., 2007 et
références dedans) ; les fluides riches en CO2 semblent essentiellement immobiles,
contrairement aux liquides carbonatés (e.g. Menzies and Chazot, 1995 et références
dedans) ;
-
les éléments transportés : solubilité préférentielle de certains éléments dans les
liquides (e.g. Ti) par rapport aux fluides, ou dans certains types de fluides par rapport
à d’autres (e.g. un fluide riche en H2O mobilise une plus large gamme d’éléments –
e.g. alcalins, Al et Si – qu’un fluide riche en CO2 qui semble essentiellement
transporter les terres rares).
D’autre part, ces deux agents métasomatiques ne sont pas forcément inconciliables si l’on
considère qu’un liquide, s’il n’a pas épuisé tous ses éléments volatils par la cristallisation de
phases hydratées ou carbonatées, pourra relâcher une phase fluide résiduelle, riche en H2O
et/ou CO2, lors du refroidissement dans le manteau.
35
D’une manière analogue, la composition d’un liquide métasomatique peut évoluer au
cours de la percolation au travers des roches mantéliques, par réaction avec ces roches et la
cristallisation ou la dissolution de minéraux. Des procédés de ce type ont été variablement
dénommés : « percolative fractional crystallization » (PFC 1 ; Harte et al., 1993), « reactive
porous flow » ou « chromatographic effect » (e.g. Ionov et al., 2002a et références dedans).
Dans ces modèles, les éléments les moins incompatibles 2 sont les premiers à réagir avec les
roches ou les minéraux et leur abondance diminue donc dans le liquide métasomatique au
cours de la percolation. Les roches qui réagissent en dernier avec ce liquide évolué (i.e. les
plus éloignées de la source de l’agent métasomatique) sont donc les plus enrichies en
éléments les plus incompatibles, tout comme le liquide résiduel. Les roches les plus proches
de la source du liquide métasomatique auront le plus interagi avec le liquide initial et seront
donc les plus susceptibles d’atteindre l’équilibre avec le liquide (Ionov et al., 2002a).
Deux types de métasomatisme sont discutés : l’un à caractère silicaté (fluide ou liquide)
et l’autre à caractère carbonaté (fluide ou liquide). Ces processus métasomatiques se passent
« in-situ » dans le manteau et doivent être distingués du métasomatisme d’infiltration tardif
qui représente l’empreinte laissée par le magma-hôte sur les xénolites et les xénocristaux
entraînés en surface (e.g. Gurney and Harte, 1980). Ce métasomatisme tardif est typiquement
identifié par :
-
la présence de phlogopite, de serpentine, de carbonates ou de phosphates finement
grenus situés aux limites des grains, dans les interstices ou dans de fines veines, et
-
la formation de kelyphite (association symplectitique finement grenue de phlogopitespinelle-clinopyroxène-plagioclase) souvent observée autour des grenats au contact
avec l’olivine dans les péridotites.
Ces minéraux métasomatiques sont généralement appelés minéraux métasomatiques
secondaires (e.g. Delaney et al., 1980) et ne seront pas discutés.
1
Cet acronyme sera utilisé dans la suite de ce travail pour faire référence à ce type de procédé.
Cette notion dépend de la facilité qu’ont les éléments à entrer dans une roche ou à quitter le liquide. Elle est
caractérisée par le coefficient de partage, pour un élément donné, entre le liquide et la roche : Droche/liquide. Plus
l’élément entre facilement dans la roche (donc dans les minéraux qui la constituent), plus le D est élevé. Un
élément compatible est caractérisé par une valeur de D > 1.
2
36
1.4.2. Métasomatisme de type silicaté Ce type de métasomatisme peut être subdivisé en trois parties :
1) un métasomatisme riche en Si associé à une lithosphère en subduction ; il a été
invoqué récemment dans les études du manteau lithosphérique ;
2) un métasomatisme de basse température (BT) causé par un fluide hydraté et/ou
un liquide alcalin riche en LREE ;
3) un métasomatisme de haute température (HT) induit par un liquide silicaté
riche en Ti et Fe.
Les métasomatismes de BT et HT ont été distingués depuis longtemps dans les études
de la lithosphère mantélique cratonique (Menzies et al., 1987).
Ces différents métasomatismes ont principalement été mis en évidence dans le craton du
Kaapvaal car il est de loin le mieux étudié. L’identification des agents métasomatiques
responsables des enrichissements et la comparaison avec des magmas connus, observés en
surface de la Terre, ne sont pas des questions faciles à résoudre ; elles nécessitent une bonne
connaissance du contexte géologique et de l’histoire géotectonique de la région. C’est
pourquoi seules les études menées sur les roches du craton du Kaapvaal permettent pour le
moment la construction de modèles intégrant l’ensemble de ces paramètres (e.g. Bell et al.,
2005 ; Simon et al., 2007 ; Rehfeldt et al., 2008).
1.4.2.1.
Métasomatisme riche en Si Ce métasomatisme modal (déjà discuté dans la section 1.3.4) serait à l’origine de
l’enrichissement en orthopyroxène observé dans les xénolites mantéliques (harzburgites,
webstérites) de certaines régions (e.g. Kaapvaal). L’orthopyroxène est stabilisé aux dépens de
l’olivine par l’interaction des péridotites réfractaires (dunites ou harzburgites) avec des fluides
hydratés et/ou des liquides riches en Si provenant de la déshydratation et/ou de la fusion
partielle d’une lithosphère océanique subductée. Les différences texturales et minéralogiques
observées dans les divers xénolites riches en orthopyroxène de la lithosphère du Kaapvaal
pourraient résulter de procédés de type PFC produisant un continuum de compositions de
fluides/liquides métasomatiques dérivés d’une lithosphère en subduction (Bell et al., 2005).
Une preuve directe de l’existence de ce type de métasomatisme provient d’un échantillon
rare d’harzburgite à grenat de la kimberlite de Bultfontein (Kaapvaal) qui est traversé par une
veine d’orthopyroxénite riche en phlogopite et grenat. Ce métasomatisme introduirait donc,
en plus de l’orthopyroxène, du grenat et de la phlogopite, et de rares carbonates et sulfures
(Bell et al., 2005).
37
1.4.2.2.
Métasomatisme de BT riche en LILE et LREE Le manteau lithosphérique cratonique est essentiellement composé de péridotites
granulaires réfractaires de BT (< 1100 °C). Il est maintenant largement reconnu que ces
roches, malgré leur appauvrissement typique en composants basaltiques, sont enrichies en
éléments en traces incompatibles (Shimizu, 1975 ; Dawson, 1984 ; McDonough, 1990). Cet
enrichissement en LREE, LILE (e.g. K, Rb, Ba, Sr) et H2O (Menzies et al., 1987) serait dû à
un métasomatisme de BT, bien connu dans le sud du continent africain (e.g. cratons du
Kaapvaal et du Zimbabwe ; Erlank et al., 1987 ; van Achterbergh et al., 2001). Dans certains
xénolites, il peut se matérialiser par la présence de phlogopite et/ou d’amphibole, et d’autres
phases plus exotiques, comme l’apatite, le sphène et divers oxydes.
Une étude particulièrement détaillée sur les xénolites de la kimberlite de Bultfontein
(région de Kimberley, craton du Kaapvaal) a permis à Erlank et al. (1987) de proposer une
séquence métasomatique progressive idéale, depuis des péridotites à grenat (GP) vers des
péridotites à phlogopite et richtérite potassique sans grenat (PKP), en passant par des
péridotites à phlogopite et grenat (GPP) et des péridotites à phlogopite sans grenat (PP). La
phlogopite accompagnée du diopside, d’abord et la K-richtérite ensuite, se forment donc aux
dépens du grenat. Les phases métasomatiques sont cependant capables de remplacer
l’ensemble des minéraux des protolites péridotitiques. Dans cette « localité-type »,
l’amphibole est principalement la K-richtérite, mais l’édénite est un important constituant des
péridotites métasomatisées d’autres localités (e.g. Winterburn et al., 1990). Les oxydes
métasomatiques les plus courants appartiennent au groupe du spinelle mais peuvent évoluer
vers des oxydes titanifères (ilménite, rutile, titanates riches en LILE du groupe lindsleyitemathiasite (LIMA)) avec la séquence métasomatique (Erlank et al. 1987). Le zircon, les
sulfures, la calcite, l’apatite et la pérovskite peuvent être des phases accessoires (Konzett et
al., 2000 ; Dawson et al., 2001). Les minéraux métasomatiques sont souvent présents à
l’équilibre textural avec les autres phases des péridotites (lherzolites, harzburgites ou
wehrlites) et, plus rarement, sous forme de veines diffuses. On observe en même temps une
variation progressive de la composition des minéraux au cours de la séquence (e.g. diminution
de l’Al dans le cpx, l’opx, la phlogopite et les spinelles, enrichissement en Fe dans l’olivine,
et en Ti dans le cpx).
Bien que les roches PKP soient considérées comme les extrêmes métasomatiques de la
séquence, elles ne proviennent pas nécessairement toutes de la transformation originale d’une
GP, d’autant plus que grenat et K-richtérite ne sont pas stables aux mêmes conditions de
pression et température. Dans les péridotites qui ne présentent pas de preuve claire de
métasomatisme modal (i.e. présence de phase hydratée), les profils enrichis en REE des
38
clinopyroxènes et des grenats permettent néanmoins de suggérer un métasomatisme cryptique
(e.g. Grégoire et al., 2003). Ce métasomatisme de BT est communément attribué à des fluides
hydratés riches en LILE et LREE. Il a été indirectement associé à l’activité magmatique du
Karoo, répandu en Afrique du Sud il y a ~ 200 Ma (Erlank et al., 1987 ; Hawkesworth et al.,
1990), ou aux processus magmatiques/métasomatiques qui ont donné naissance aux roches de
type MARID ou PIC, et donc éventuellement au magmatisme kimberlitique (e.g. Kramers et
al., 1983 ; Dawson, 1984 ; Menzies et al., 1987 ; Kinny and Dawson, 1992 ; Dawson et al.,
2001 ; Grégoire et al., 2002 ; 2003).
Ces roches MARID particulières (Dawson and Smith, 1977) sont composées d’un
assemblage de Mica (phlogopite) - Amphibole (K-richtérite) - Rutile - Ilménite - Diopside. Ce
sont des roches grossièrement grenues avec des proportions modales fort variables qui
présentent souvent des litages et des déformations. La phlogopite est généralement
dominante, suivie par le diopside et la richtérite. Des phases accessoires comme
l’orthopyroxène, le zircon, la calcite ou l’apatite peuvent occasionnellement être observées
(Konzett et al., 1998 ; 2000 ; Grégoire et al., 2002).
Un lien entre l’assemblage MARID et le magma kimberlitique est proposé depuis longtemps
(Dawson and Smith, 1977 ; Kramers et al., 1983 ; Menzies et al., 1987). Ces MARIDs sont
interprétées comme des pegmatites hydratées qui auraient cristallisé sous des conditions
oxydantes à partir d’un magma chimiquement similaire aux kimberlites (Dawson and Smith,
1977).
Les similarités minéralogiques et compositionnelles entre l’assemblage MARID et les
phases métasomatiques (phlogopite ± diopside ± K-richtérite) observées dans les péridotites
de BT suggèrent un agent métasomatique identique (Kramers et al., 1983 ; Dawson, 1984). Il
a été proposé que des liquides cristallisent l’assemblage MARID dans des veines ou dykes
dans le manteau et que des liquides résiduels expulsés (riches en vapeur et éléments
incompatibles) métasomatisent le manteau environnant. La cristallisation des roches MARID
a été variablement attribuée à des magmas silicatés mafiques riches en alcalins, similaires :
-
aux kimberlites du Groupe I (Dawson and Smith, 1977 ; Menzies et al., 1987), ou
du Groupe II (potentiellement avec fractionnement d’olivine et différenciation
d’un composant carbonatitique tardif ; Sweeney et al., 1993 ; Konzett et al., 1998 ;
2000 ; Grégoire et al., 2002),
-
aux magmas de type lamproïtique riche en Mg (Waters, 1987),
-
ou encore aux magmas parents du volcanisme du Karoo (Erlank et al., 1987 ;
Konzett et al., 1998).
39
Des inclusions type MARID et des péridotites à richtérite-phlogopite ont également été
observées dans des laves alcalines sous-saturées en Si (lamprophyres alcalines et néphélinites)
au Maroc, dans un environnement non cratonique (Wagner et al., 1996). Elles ont alors été
liées à l’interaction du manteau lithosphérique avec un fluide hydraté potassique non lié au
magma-hôte.
Un autre assemblage métasomatique, les glimmérites ou roches PIC, composé de
Phlogopite ± Ilménite ± Clinopyroxène (diopside) (± rutile ± calcite) a également été identifié
dans les kimberlites des cratons du Kaapvaal et du Zimbabwe (e.g. Konzett et al., 2000 ; van
Achterbergh et al., 2001 ; Grégoire et al., 2002). La terminologie PIC n’a été introduite que
récemment par Grégoire et al. (2002) pour distinguer cet assemblage des roches MARID dont
il diffère par l’absence de K-richtérite, la faible abondance de rutile et la composition des
phases communes aux deux assemblages.
Les roches PIC ont été attribuées à la cristallisation, en profondeur, d’un liquide mafique
silicaté alcalin similaire aux kimberlites du Groupe I. Le lien entre les roches MARID et les
kimberlite du Groupe II est alors réaffirmé (Grégoire et al., 2002 ; 2003). Ces auteurs
proposent ainsi que les deux types de magma kimberlitique présents en Afrique du Sud ont
respectivement cristallisé les roches PIC et MARID dans le manteau lithosphérique et que des
composants riches en éléments volatils et en incompatibles ont variablement métasomatisé le
manteau environnant, donnant naissance à deux types de péridotite dans la suite
métasomatique de Erlank et al. (1987). Ces péridotites se distinguent sur base des profils
d’enrichissement en LREE des clinopyroxènes : celles du Type 1 sont liées aux roches PIC
(Fig. 1.15d), et donc aux kimberlites du Groupe I, et celles de Type 2 aux roches MARID
(Fig. 1.15e), et donc aux kimberlites du Groupe II (Grégoire et al., 2003). Par ailleurs, ils
n’excluent pas un lien entre ces magmas via la différenciation progressive du magma parental
des roches PIC vers celui des roches MARID par un procédé de type PFC.
Dans les péridotites affectées par le métasomatisme de BT, le clinopyroxène est souvent
décrit en association avec des phases hydratées (e.g. Erlank et al., 1987). Cependant, il
apparaît à l’équilibre textural et une origine secondaire ne peut pas être démontrée sans
équivoque. Le clinopyroxène, qu’il soit présent en association avec des phases hydratées dans
la roche, ou non, est enrichi en LREE (e.g. Menzies et al., 1987 ; Fig. 1.15d-f ; comparaison
avec les profils en pointillés des cpx de péridotites non métasomatisées) mais l’origine de cet
enrichissement est débattue.
40
Clinopyroxène
Grenat
Péridotite à grenat
off-craton
non métasomatique
(Ionov, 2004)
a.
PIC
d.
1000
100
Type 1
10
10
normal
1
1
0.1
Mineral/Chondrite
Mineral/Chondrite
100
Péridotite à grenat
off-craton
non métasomatique
(Ionov, 2004)
0.1
Péridotite à grenat de BT
(Hoal et al., 1994; Grégoire et al., 2003; Creighton et al., 2009; 2010)
(Grégoire et al., 2002; 2003)
0.01
e. 1000
b.
sinusoïdal
Sm - max
MARID
10
100
10
1
sinusoïdal
Nd - max
1
Type 2
0.1
Mineral/Chondrite
Mineral/Chondrite
0.01
100
Péridotite à grenat de BT
0.1
Péridotite à grenat de BT
Péridotite à grenat de BT
(Hoal et al., 1994; Grégoire et al., 2003; Creighton et al., 2009; 2010)
(Grégoire et al., 2002; 2003)
La Ce Pr
La Ce Pr
0.01
0.01
Nd
Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu
1000
liquide métasomatique
Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu
f.
Péridotite à spinelle de BT
Off-craton
1000
100
(Ionov, 2004)
10
10
1
grenat
pré-métasomatique
0.1
grenat
partiellement
rééquilibré
1
On-craton
Mineral/Chondrite
Mineral/Chondrite
100
c.
grenat totalement
rééquilibré
Nd
0.1
(Ionov et al., 2010)
0.01
(Hoal et al., 1994; Shimizu, 1999; Zhang et al., 2003)
La Ce Pr
Nd
Modèle
Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu
0.01
La Ce Pr
Nd
Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu
Fig.1.15. Profils de distribution des REE normalisés aux valeurs des chondrites (McDonough and Sun, 1995) dans les grenats (ac) et clinopyroxènes (d-f) des péridotites du manteau cratonique avec pour comparaison les profils respectifs des grenats et cpx
(pointillés noirs) dans les péridotites à grenat du basalte alcalin off-craton de Vitim, Sibérie, qui ne présentent pas
d'enrichissement en REE (Ionov, 2004).
Dans les grenats, deux grands types de profils sont mis en évidence dans les péridotites de BT (a-b). Ce sont les profils normaux
(a) et sinusoïdaux (b); ces derniers présentant un maximum au niveau du Nd ou du Sm. Différentes hypothèses ont été suggérées
pour expliquer l’origine des profils sinusoïdaux dans les grenats. Un modèle qui a longtemps été proposé est illustré en (c) qui
montre la variation schématique des REE à différents stades de réaction d’un protolite de grenat appauvri avec un liquide
métasomatique (voir texte).
Dans les clinopyroxènes, les profils sont typiquement enrichis en LREE par rapport aux HREE (d-e). Les profils de Type 1 se
comparent bien aux profils des cpx dans les roches PIC (d) et ceux de Type 2, plus fortement enrichis en LREE, à ceux des cpx
dans les roches MARID (e). Les profils dans les cpx des péridotites à spinelle sans grenat (f) peuvent avoir des profils variables,
enrichis ou appauvris en LREE, mais sont enrichis en HREE par rapport à ceux des péridotites équilibrées avec le grenat.
41
S’agit-il d’un métasomatisme cryptique antérieur ou contemporain au métasomatisme modal,
ou le clinopyroxène est-il lui-même ajouté par métasomatisme ?
Des arguments en faveur de cette dernière hypothèse ont été avancés :
1. l’enrichissement progressif en LREE du cpx au cours de la séquence métasomatique
GP-PKP (van Achterbergh et al. 2001) ;
2. la similarité de composition (e.g. REE) entre le cpx des péridotites (avec ou sans phase
hydratée) et celui des assemblages métasomatiques PIC et MARID dans lesquels il est
un constituant majeur (Grégoire et al., 2003) (Fig. 1.15e-f) ;
3. le déséquilibre du partage des éléments en trace entre cpx et grenat de certaines
péridotites, suggérant une origine plus récente du cpx (e.g. van Achterbergh et al.,
2001 ; Grégoire et al., 2003 ; Simon et al., 2003 ; 2007 ; Boyd et al., 2004).
Dans ces péridotites affectées par le métasomatisme de BT, les grenats associés peuvent
présenter deux différents types de profils de distribution des REE, tous deux enrichis en LREE
par comparaison avec ceux des grenats des péridotites non métasomatisées (profil en
pointillés ; Fig. 1.15a-c).
a) les profils normaux sont caractérisés par un appauvrissement typique en LREE ; une
augmentation des teneurs en MREE (« middle REE ») et un profil plat au niveau des
HREE (Fig. 1.15a).
b) les profils sinusoïdaux présentent un maximum au niveau du Nd ou du Sm (Fig.
1.15b) à partir duquel les abondances décroissent vers les MREE pour réaugmenter
dans les HREE.
Les profils normaux sont communs dans le grenat des lherzolites et harzburgites de BT
alors que les profils sinusoïdaux sont caractéristiques du grenat sous-saturé en Ca des
harzburgites dans lesquelles il n’est pas équilibré avec le clinopyroxène, et aussi du grenat
harzburgitique riche en Cr en inclusion dans les diamants (max. en Nd ; Stachel et al., 2004).
Cependant, un profil sinusoïdal comparable a également été observé dans des grenats saturés
en Ca. Le grenat des péridotites de BT présente souvent une zonation avec un cœur au profil
sinusoïdal et une bordure au profil normal, plus riche en HREE, mais plus pauvre en LREE
(e.g. Shimizu, 1999 ; van Achterbergh et al., 2001). Les éléments majeurs (e.g. Ca) et d’autres
éléments en traces incompatibles (e.g. HFSE) accompagnent généralement ces zonations.
Ces observations ont mené à la suggestion que le profil sinusoïdal résulte d’un effet de
déséquilibre entre un grenat appauvri (profil normal pauvre en REE) pré-métasomatique et un
liquide métasomatique enrichi en LREE (Fig. 1.15c ; Hoal et al., 1994 ; Shimizu, 1999 ;
42
Zhang et al., 2003). Les LREE, qui ont un rayon ionique (Ri) supérieur aux HREE et sont
donc plus incompatibles, diffuseraient et se réajusteraient plus rapidement que les HREE,
conférant un profil sinusoïdal au grenat affecté. Une fois totalement équilibré avec le liquide
métasomatique, le grenat aurait un profil normal, mais il est enrichi aussi bien en LREE qu’en
HREE par rapport au grenat d’origine (pré-métasomatique) (Fig. 1.15c).
Cependant, il a depuis été démontré expérimentalement (à 2,8 GPa et 1200-1450 °C) que
les vitesses de diffusion des différentes REE ne varient pas significativement dans le grenat
(Van Orman et al., 2002).
Certains auteurs considèrent que le profil sinusoïdal est une caractéristique primaire d’un
grenat qui se développe dans un manteau lithosphérique résiduel qui en est originellement
dépourvu (même à HP). L’interaction de fluides asthénosphériques réduits (riches en CH4 et
en Si et Ca) avec le manteau lithosphérique plus oxydant déstabiliserait la chromite et
l’orthopyroxène résiduels en faveur du grenat subcalcique riche en Cr et du diamant (ou
graphite) en équilibre avec un orthopyroxène appauvri en Al et Ca et une chromite réduite
(Malkovets et al., 2007 ; Griffin et al., 2009).
L’origine du profil sinusoïdal est toutefois le plus souvent attribuée à l’interaction entre un
protolite de grenat très appauvri et un fluide très fractionné en REE. En effet, un protolite
péridotitique résultant de la fusion partielle (initialement dans le domaine du grenat et puis
dans le domaine de stabilité du spinelle) est pauvre en éléments incompatibles (e.g. Stachel et
al., 1998b ; 1999 ; 2004 ; Stachel and Harris, 2008). Le grenat subcalcique riche en Cr peut se
développer lors de processus tectonomagmatiques (e.g. subduction) dans ce protolite ; il est
alors très appauvri en REE (Fig. 1.16b ; grenat pré-métasomatique). S’il interagit avec un
fluide très fractionné en REE, il s’enrichira principalement en LREE et MREE (Fig. 1.16b)
(profil sinusoïdal ; Fig. 1.16a). La croissance de grenat harzburgitique au profil sinusoïdal a
donc été attribuée à l’interaction d’un protolite appauvri avec :
-
des fluides fractionnés de type COH, riches en éléments incompatibles qui pourraient être
liés à la formation des diamants (e.g. Stachel et al., 2004) ;
-
des fluides de type carbonatitique qui pourraient aussi intervenir dans la formation des
diamants (Griffin et al., 1992 ; 1999a ; b) ;
-
les fluides/liquides riches en Si responsables de la formation d’orthopyroxène dans un
environnement de subduction (Bell et al., 2005 ; Simon et al., 2003 ; 2007) ;
-
les fluides/liquides provenant de la déshydratation ou de la fusion sélective d’anciennes
zones métasomatiques riches en mica (type MARID ou PIC) (Klein-BenDavid and
Pearson, 2009).
43
Grenat/Chondrite
100
a. Fig.1.16. Profils de distribution des REE des grenats
péridotitiques en inclusion dans les diamants. La
normalisation a été faite par rapport aux valeurs des
chondrites (McDonough and Sun, 1995) (a) ou à la
composition d’un grenat primitif (J4)(b-c).
D’après Stachel and Harris (2008; détails dedans).
al
norm
10
Lherzolitique
Har zb
urgitique
1
(a) Domaines de composition et compositions moyennes
des grenats harzburgitiques et lherzolitiques en inclusion
dans les diamants. La composition moyenne d’un grenat au
profil normal est donné pour référence.
0.1
0.01
La Ce Pr
Nd
Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu
Grenat/Grenat primitif
10
b. (b) La normalisation à un grenat de composition primitive
Ha
rzb
u
rgitiqu
e
1
0.1
t
ue
na tiq
gre soma
ta
mé
-
pré
0.01
10
Grenat/Grenat primitif
permet de montrer que les grenats harzburgitiques qui ont
typiquement un profil sinusoïdal pourraient provenir du
métasomatisme par un fluide (fortement enrichi en LREE
et dont les REE sont très fractionnées) sur un protolite de
grenat pré-métasomatique très appauvri. Ce grenat
protolite aurait été fortement enrichi en LREE et MREE par
le fluide pour donner les compositions typiques des grenats
harzburgitiques. La pente positive raide pour les LREE
dans le profil normalisé aux chondrites (a) est un artéfact
causé par l’augmentation rapide de compatibilité dans la
structure du grenat due à la diminution du rayon ionique
avec l’augmentation du numéro atomique.
c.
Liq
uid
e
normal
1
Lherzo
litique
Ha
r zb
urg
itiq
ue
0.1
0.01
Ce
44
Nd
Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er
Yb Lu
(c) Les grenats lherzolitiques pourraient provenir de
l’interaction d’un liquide métasomatique enrichi en LREE
(mais dont les REE sont moins fractionnées que dans le
fluide) avec des grenats harzburgitiques au profil
sinusoïdal. La diminution en LREE dans les grenats
lherzolitiques par rapport aux grenats harzburgitiques
reflète l’équilibrage avec le clinopyroxène.
On remarque que le grenat au profil normal représente un
profil de grenat primitif quasi équivalent à celui du grenat
(J4) pris pour référence pour la normalisation. Ce grenat
normal représenterait un grenat dont le métasomatisme a
totalement effacé l’ancien caractère appauvri en éléments
incompatibles du protolite.
Le grenat lherzolitique au profil normal pourrait alors se développer à partir de ce
protolite harzburgitique lors de l’interaction avec un liquide métasomatique (~ magma ≠
fluide) enrichi en LREE mais dont le profil serait moins fractionné (Fig. 1.16c). Le grenat,
alors saturé en Ca, s’enrichirait en HREE mais s’appauvrirait en même temps en LREE par
équilibrage avec le clinopyroxène nouvellement formé. Les agents métasomatiques proposés
sont :
-
des liquides silicatés – carbonatés primaires qui pourraient éventuellement relâcher des
fluides résiduels riches en COH nécessaires à la formation des profils sinusoïdaux (e.g.
Stachel et al., 1998b ; 1999 ; 2004 ; Stachel and Harris, 2008) ;
-
la kimberlite hôte (Griffin et al. 1999b ; Simon et al., 2003).
D’autre part, le grenat lherzolitique au profil normal pourrait également avoir été introduit
dans la péridotite par métasomatisme modal, en même temps que le clinopyroxène, par un
liquide silicaté de type basalte alcalin riche en LREE, Ca, Al, Fe et HFSE (Simon et al.,
2007 ; Rehfeldt et al., 2008).
Les grenats aux profils sinusoïdaux et normaux pourraient également provenir de
l’interaction avec un liquide métasomatique silicaté mafique unique dont la composition
évoluerait au cours de l’interaction avec le manteau environnant et la cristallisation de
minéraux lors de la percolation (PFC ; e.g. Burgess and Harte, 1999 ; 2004 ; Gibson et al.,
2008). Ce liquide a notamment été assimilé au magma parental des mégacristaux (Burgess
and Harte, 1999 ; 2004). Il cristalliserait alors dans un premier temps du grenat au profil
normal (et du cpx) et s’appauvrirait en conséquence en HREE pour finalement cristalliser du
grenat à profil sinusoïdal. Rehfeldt et al., (2008) proposent par ailleurs qu’un liquide unique
pourrait cristalliser des grenats (et cpx) aux profils distincts en fonction de la composition du
substrat avec lequel il réagit.
1.4.2.3.
Métasomatisme de HT riche en Fe­Ti Les xénolites de péridotite à spinelle des basaltes alcalins et les xénolites de
péridotite à spinelle et/ou à grenat des kimberlites peuvent présenter des preuves d’interaction
avec un liquide silicaté type basaltique, riche en Fe et Ti.
C’est dans les xénolites des kimberlites de Matsoku (Lesotho, craton du Kaapvaal) que les
minéraux métasomatiques de la suite IRPS : Ilménite - Rutile - Phlogopite - Sulfure (spinelle), ont été identifiés (e.g. Harte et al., 1987). L’ilménite est ici la phase métasomatique
dominante ; la phlogopite est mineure. Ces phases peuvent être présentes en proportions
variables, en association avec les minéraux communs du manteau (olivine-opx-cpx-grenat).
Elles se trouvent dans des dykes de pyroxénite qui traversent les péridotites encaissantes, dans
45
des veines discrètes dans les péridotites ou, plus rarement, dispersées dans les péridotites.
L’ajout modal de phases est évident dans ces roches enrichies en Fe-Ti-Al-Cr-K-S-Zr-Nb-HfH2O ; les minéraux péridotitiques sont de plus enrichis en Fe-Ti et présentent une
augmentation du rapport Al/(Al+Cr). L’orthopyroxène, et parfois le clinopyroxène et le
grenat, sont plus abondants lorsque les minéraux de la suite IRPS sont présents. Les
péridotites adjacentes aux dykes de pyroxénite ne présentent pas d’enrichissement modal mais
les compositions des phases silicatées (grenat-cpx-opx-olivine) sont enrichies de la même
manière que dans les xénolites modalement métasomatisés, ce qui constitue une preuve de
métasomatisme cryptique (Harte, 1987 ; Harte et al., 1987). Les grenats peuvent aussi
présenter des zones de surcroissance enrichies en ces mêmes éléments (Harte et al., 1987 ;
Matthews et al., 1992).
Les dykes de pyroxénite de Matsoku sont généralement interprétés comme le produit de la
cristallisation d’un liquide silicaté en profondeur qui métasomatise les péridotites adjacentes
de façon variable, lors du processus de type PFC (Harte et al., 1993). Le liquide silicaté à
l’origine de ces enrichissements pourrait être lié au volcanisme du Karoo, répandu dans le sud
du continent africain, un peu plus de 100 Ma avant l’éruption de la kimberlite à ~ 90 Ma.
Un métasomatisme analogue a été observé dans les xénolites (Types 1 et 2) du faciès à
spinelle des basaltes alcalins. Les xénolites de Type 1 sont des péridotites, souvent de type
harzburgite (pauvre en diopside) ; leur composition est appauvrie par rapport aux xénolites de
Type 2 qui sont principalement des pyroxénites et wehrlites, riches en clinopyroxène (Alaugite) et amphibole (pargasite-kaersutite), avec parfois mica, apatite, oxydes de Fe-Ti et
plagioclase. Le mica et l’amphibole peuvent aussi être observés dans les roches de Type 1,
qui ont alors subi un métasomatisme modal.
Les xénolites de Type 2 sont interprétés comme le produit de la cristallisation d’un liquide
silicaté qui métasomatise variablement ceux de Type 1. Cet épisode magmatiquemétasomatique pourrait directement être lié au magmatisme basaltique alcalin-hôte (Harte,
1987 ; Harte et al., 1987 ; Menzies and Chazot, 1995 et références dedans).
Le métasomatisme Fe-Ti a également été proposé pour les péridotites du faciès à spinelle
de certaines kimberlites. Les péridotites de la kimberlite micacée d’Aries, craton de
Kimberley (Australie), contiennent en effet de la phlogopite–biotite riche en Ti ± rutile
(Downes et al., 2007). Les xénolites des kimberlites protérozoïques de Premier (craton du
Kaapvaal) sont enrichis en Fe, Ti et Al. Ils consistent en une suite de péridotites à spinelle (±
grenat) et webstérites, associée à une suite de xénolites magmatiques (Hoal and Hoal, 1999 ;
Hoal, 2003 ; Grégoire et al., 2005). L’amphibole Al (pargasite-magnésiohastingsite-édénite)
46
et le mica riche en Fe-Ti sont surtout observés dans les xénolites magmatiques mais peuvent
être présents dans les péridotites-webstérites.
Le développement de ces minéraux et l’enrichissement associé sont potentiellement liés à la
formation du complexe du Bushveld (~ 2 Ga) qui aurait refertilisé le manteau avant son
échantillonnage par la kimberlite.
Les péridotites polymictes sont des xénolites particuliers et très rares qui ont été trouvés
dans des kimberlites de la région de Kimberley (craton du Kaapvaal ; e.g. Wyatt and Lawless,
1984 ; Zhang et al., 2000 ; Höfer et al., 2009 ; Pokhilenko, 2009) et dans certains pipes en
Yakoutie (Sibérie ; e.g. Pokhilenko, 2009). Ils consistent en un assemblage divers de
minéraux ou fragments de roches mantéliques profonds (péridotites à grenat, éclogites,
xénocristaux, mégacristaux) cimentés par une matrice (15-25 %vol.) finement grenue
composée d’un mélange d’ilménite-rutile-phlogopite-sulfures (type IRPS), en association
avec l’olivine, la serpentine (ou sa variété amorphe, la serpophyte) et de rares carbonates. Ils
sont typiquement déformés et contiennent des ségrégations ou des veines du même
assemblage minéralogique.
La formation de ces roches composites est interprétée comme le résultat du transport de
xénolites de différentes profondeurs dans un liquide silicaté riche en Fe, Ti (et H2O ?) et la
solidification subséquente de ce dernier, à moins grande profondeur, dans le manteau. Ce
liquide métasomatique a affecté la composition minéralogique des fragments transportés (e.g.
zonations/surcroissances des xénocristaux) et provoqué la cristallisation de nouvelles phases
(dans la matrice). La préservation des textures de déformation et des zonations dans les
minéraux suggère qu’il pourrait être associé au développement du magma kimberlitique hôte
(proto-kimberlite ?) qui aurait ségrégé, par immiscibilité, un liquide particulièrement riche en
Fe, Ti et Cr (analogue au liquide invoqué pour les xénolites de Matsoku) à l’origine de la
cristallisation abondante des oxydes (Zhang et al., 2001b).
Les péridotites à grenat de HT (~ 1200-1500 °C), bien qu’appauvries en éléments
basaltiques par rapport à la composition acceptée du manteau primitif, sont caractérisées par
un enrichissement en ces mêmes composants (i.e. Na-Fe-Ti-Ca-Al) par rapport aux
harzburgites réfractaires de BT du manteau lithosphérique cratonique. Ces lherzolites ne
présentent pas de preuve directe de métasomatisme modal mais sont particulièrement
enrichies en Fe et Ti et ont souvent une texture déformée, porphyroclastique voire
mylonitique. Les proportions modales de grenat et clinopyroxène y sont généralement plus
élevées que celles des péridotites de BT (e.g. Boyd, 1987) et les grenats présentent des
zonations caractéristiques avec les bordures des grains enrichies en Na, Ti, Fe, P, Y, Zr et
REE par rapport aux cœurs (Smith and Boyd, 1987 ; Griffin et al., 1989b ; Smith et al., 1993 ;
47
Burgess and Harte, 1999 ; 2004). De plus, en comparaison aux profils de REE des péridotites
à grenat non métasomatisées (e.g. Vitim, Sibérie ; Ionov, 2004), les profils du grenat
(typiquement normal) et du clinopyroxène des péridotites déformées de HT sont typiquement
enrichis en LREE (Fig. 1.17a, b).
Les modèles de stratification du manteau sous-cratonique proposent que ces xénolites
déformés de HT représenteraient une zone de cisaillement à la base de la lithosphère, donc
une couche limite mécanique, chimique et thermique faisant le lien entre les manteaux
lithosphérique et asthénosphérique (Nixon and Boyd, 1973a). Boyd (1987) propose qu’elles
proviennent du mélange entre un magma riche en éléments volatils et des roches anhydres au
sommet du manteau convectif. Ces péridotites pourraient également avoir été intégrées
tardivement à la base de la lithosphère, par un sous-plaquage de manteau asthénosphérique
(Carlson et al., 1999a).
Ces péridotites de HT sont le plus souvent déformées (« sheared ») alors que celles de BT
ont le plus souvent une texture granulaire non déformée (« granular »), ce qui permet de
suggérer un lien entre la déformation et la profondeur d’origine. Cependant, dans certains
pipes de la région de Kimberley, des péridotites de BT à texture déformée ont été trouvées en
abondance mais aucun xénolite de HT (Boyd and Nixon, 1978). Par ailleurs, il a également
été démontré que les textures de ces xénolites sont éphémères (Mercier, 1979) et ne peuvent
donc avoir été acquises que relativement peu de temps avant l’entraînement par le magma-
48
hôte (e.g. Grégoire et al., 2006), ce qui est confirmé par les zonations observées dans certains
minéraux (grenat surtout) qui ne pourraient pas avoir été préservées longtemps aux HT du
manteau (e.g. Smith and Boyd, 1987).
L’ensemble de ces observations a mené à un modèle qui considère que ces péridotites font
partie intégrante du manteau lithosphérique sous-continental profond et ont été déformées et
enrichies par l’interaction avec des magmas silicatés sous-saturés en Si d’origine
asthénosphérique (e.g. Griffin et al., 1989b ; Smith et al., 1993). Ces péridotites fertiles
déformées auraient été produites dans l’auréole thermique de contact entre le manteau
lithosphérique et le magma kimberlitique (Mercier, 1979) ou le magma parental de la suite de
mégacristaux (Gurney and Harte, 1980 ; Harte, 1983 ; Moore and Lock, 2001 ; Burgess and
Harte 1999 ; 2004) ; ces deux derniers pouvant n’être qu’un seul et même magma (Moore and
Belousova, 2005) (voir section 1.5).
1.4.3. Métasomatisme de type carbonaté (carbonatitique) Le métasomatisme de type carbonaté est principalement invoqué pour des péridotites
du faciès à spinelle d’origine peu profonde (< 60 km) échantillonnées par les laves basaltiques
des régions tectoniquement actives (îles océaniques, zones de subduction ou provinces
alcalines en domaine intraplaque), mais également dans les processus à l’origine de la
formation du diamant et donc aux péridotites associées, dans les profondeurs du manteau
cratonique échantillonné par les kimberlites.
Les magmas riches en carbonates (type carbonatitique) peuvent être produits à partir de ~
2 GPa (~ 70 km) dans le manteau lithosphérique et jusqu’à une gamme de profondeur
semblable à celle de la formation des magmas kimberlitiques. Ils pourraient provenir de
faibles taux de fusion partielle (< 0,5 %) de péridotites carbonatées (e.g. Dalton and Presnall,
1998 ; Lee and Wyllie, 1998 ; Gudfinnsson and Presnall, 2005). Ces deux types de magmas
sous-saturés en Si (kimberlitique et carbonatitique) sont donc riches en CO2 dissous qui
pourra être libéré sous forme de fluide lors de réactions de décarbonatation (réaction de
wehrlitisation du type opx + carbonate → olivine + cpx + CO2) à faible profondeur dans le
manteau (~ 20-30 kbar) (e.g. Wallace and Green 1988). Bien que le lien pétrogénétique entre
les magmas silicatés et le métasomatisme attribué aux liquides carbonatés ne soit pas encore
bien compris, il parait possible que des fluides/liquides carbonatés s’exsolvent ou se
différencient à partir de liquides silicatés riches en carbonates (Menzies and Chazot, 1995).
Certains arguments semblent corroborer cette hypothèse :
-
dans des péridotites à spinelle de Kerguelen, Schiano et al. (1994) identifient des
inclusions de liquide silicaté, des inclusions riches en carbonates (cristallisées sous
49
forme de calcite) et des inclusions de fluide riche en CO2. Ces trois types d’inclusion
sont connectés par des veines, suggérant qu’il existait un liquide de composition
homogène qui s’est ensuite différencié.
-
van Achterbergh et al. (2004) observent des inclusions composites de liquides
carbonatés-silicatés dans les diopsides chromifères des lherzolites mégacristallines
(faciès à grenat) des kimberlites du Slave craton. Ces inclusions proviendraient de
l’emprisonnement d’un liquide de composition kimberlitique-carbonatitique dans le
manteau, peu de temps avant l’entraînement dans la kimberlite-hôte. Ce liquide se
serait alors séparé (« unmixed ») et figé lors de la remontée. Ces liquides auraient
également pu se différencier dans le manteau, lors de la percolation dans les
lherzolites, et avoir été emprisonnés dans les clinopyroxènes lors d’une
recristallisation subséquente (Araujo et al., 2009).
Dans les péridotites à spinelle interprétées comme métasomatisées par un liquide
carbonatitique, l’amphibole, le mica, l’apatite, et plus rarement la monazite ou le carbonate
peuvent être présents. Ces phases sont alors soit disséminées dans la matrice, soit dans des
veines. Ces péridotites métasomatisées sont pauvres en orthopyroxène qui, en présence de
carbonate, est déstabilisé au profit de l’olivine et du clinopyroxène. Ces derniers sont alors
compositionnellement différents de leurs équivalents dans l’assemblage péridotitique
primaire : l’olivine est enrichie en Ca, Cr et Mg et le clinopyroxène est enrichi en Ca et Cr et
appauvri en Na. Un verre silicaté est typiquement présent dans ces péridotites, sous forme de
« poches » ou dans des veines ; des inclusions fluides (CO2), sont aussi présentes dans les
minéraux (e.g. Schiano et al., 1994 ; Wiechert et al., 1997). Les carbonates (calcite ou
dolomite) sont observés sous forme de « globules », parfois associés au verre silicaté, ou sous
forme de grains interstitiels dans la péridotite (e.g. Ionov et al., 1993b ; Schiano et al., 1994 ;
Ionov et al., 1996 ; Yaxley et al., 1997 ; Ionov, 1998 ; Lee et al., 2000 ; Bali et al., 2002). Ils
sont cependant relativement rares, ce qui a notamment été attribué aux réactions de
décarbonatation (vers 2-3 GPa) qui sont rapides et empêchent la remontée directe de xénolites
à carbonates (Canil, 1990).
Le verre silicaté est de composition « feldspathique » : riche Si, Al et alcalins et pauvre en
Mg et Fe. Dans les « poches », ce verre peut être associé à des minéraux résiduels et/ou à des
minéraux secondaires. Les premiers sont le Cr-spinelle ou le clinopyroxène, et parfois
l’amphibole. Les seconds sont le clinopyroxène et l’olivine principalement, et parfois le
spinelle (Mg# > et Cr# <). Ils ont alors une composition semblable aux minéraux secondaires
dans la péridotite (e.g. Ionov et al., 1994). L’ilménite, le rutile et la magnésite ont également
été reportés dans certaines poches de verre (Schiano et al., 1994).
50
Le verre silicaté a variablement été attribué :
-
à la fusion partielle de phases hydratées (amphibole, phlogopite, apatite) et/ou du
clinopyroxène préexistants, peu de temps avant ou pendant l’entrainement dans le
magma-hôte (e.g. Chazot et al., 1996 ; Yaxley et al., 1997)
-
aux produits de réaction entre la peridotite initiale et un agent métasomatique externe
riche en éléments volatils, qui pourrait avoir entraîné la fusion par baisse du solidus
(e.g. Rudnick et al., 1993 ; Schiano et al., 1994 ; Coltorti et al., 1999 ; 2000 ; Bali et
al., 2002).
-
à la fusion incongruente ou à la déstabilisation de l’assemblage lherzolitique original
(clinopyroxène et spinelle primaires) dû à l’influx de fluides dans le manteau, avant
l’entrainement dans le magma-hôte (e.g.; Ionov et al., 1994 ; 1996 ; Wiechert et al.,
1997 ; Ionov, 1998). Les phases hydratées peuvent prendre part à la fusion mais ne
sont pas nécessaires à celle-ci. Dans les xénolites contenant des minéraux hydratés
(amphibole ou mica) il faudrait alors envisager 2 étapes de métasomatisme : une
première qui introduit ces phases (liquide silicaté hydraté) et une seconde qui entraine
la formation des verres (liquide carbonaté).
Bien que la plupart des observations décrites ci-dessus soient le plus souvent attribuées au
métasomatisme carbonatitique, certains remettent cette interprétation en question. Zinngrebe
and Foley (1995) argumentent que tout liquide sous-saturé en Si peut être à l’origine de la
transformation typique d’harzburgite en wehrlite et de la formation de verre silicaté. D’autres
sont en faveur d’un liquide métasomatique silicaté (e.g. Chazot et al. 1996) ou d’un mélange
de liquides silicaté et carbonaté et de fluides associés (e.g. Schiano et al., 1994 ; Yaxley et al.,
1997 ; Bali et al., 2002). Shaw et al. (1998) montrent par ailleurs, par l’expérimentation, que
l’intervention d’un agent métasomatique externe n’est pas forcément nécessaire : le verre et
les phases secondaires pourraient se former lors de la dissolution de l’orthopyroxène, à basse
pression, par interaction avec la lave hôte sous-saturée en Si.
L’argument principal en faveur d’un métasomatisme carbonatitique est cependant la
signature géochimique des péridotites métasomatisées et de leurs minéraux. Les liquides
carbonatitiques sont riches en Ca et Sr (Ca/Sc et Ca/Al élevés), typiquement très riches en
REE, U et Th et ont des profils très fractionnés en REE ((La/Yb)N élevés). Dans le spectre
d’abondance des éléments incompatibles normalisés aux valeurs du manteau primitif, ces
liquides sont caractérisés par des anomalies négatives en HFSE (Ti, Zr, Hf, Ta mais pas
forcément Nb), c'est-à-dire des appauvrissements relatifs en ces éléments par rapport aux REE
(e.g. Ti/Eu, Zr/Sm faibles). On observe également des fractionnements anormaux entre des
51
éléments qui ont généralement un comportement cohérent : les rapports Zr/Hf et Nb/Ta sont
souvent élevés par rapport aux valeurs du manteau primitif (e.g. Ionov et al., 1993b ; Rudnick
et al., 1993 ; Coltorti et al., 1999 ; Chakhmouradian, 2006). Ionov et al. (2002a) expliquent
alternativement les signatures géochimiques des xénolites métasomatisés par le résultat de
processus de fractionnement chromatographique (type PFC) d’un liquide silicaté riche en
carbonate lors de la percolation au travers des péridotites.
La formation des diamants et des inclusions minérales d’affinité péridotitique associées
est souvent attribuée à l’action de liquides carbonatés ou de fluides carbonatitiques (e.g.
Shimizu and Richardson, 1987; Griffin et al., 1992; Wang and Gasparik, 2001 ; Stachel and
Harris, 2008 ; Gurney et al., 2010). En effet, de nombreux arguments sont en faveur du
caractère réduit du manteau sous-continental lithosphérique profond (Fig. 1.14), ce qui
implique que la précipitation du diamant soit liée à des réactions rédox nécessitant la
migration vers le haut de liquides ou fluides riches en carbonates (e.g. Stachel and Harris,
2008), même s’il est également suggéré que la formation du diamant soit liée à un procédé
inverse d’oxydation des fluides asthénosphériques réduits par les roches lithosphériques (e.g.
Malkovets et al., 2007).
Par ailleurs, dans certains assemblages métasomatiques attribués à un métasomatisme
silicaté (e.g. MARID, PIC, péridotites de la suite GP-PKP), l’intervention d’un composant
tardif (différencié, résiduel ou exsolvé ?) plus riche en carbonate est parfois suggérée pour
expliquer le changement soudain de l’activité en silice (aSiO2) de l’agent métasomatique (e.g.
Sweeney et al., 1993 ; Konzett et al., 2000 ; Dawson et al., 2001 ; Grégoire et al., 2002).
L’origine de ce composant riche en carbonate ou des magmas carbonatitiques et leur lien
avec le magma kimberlitique (qui peut aussi être riche en carbonates) sont toujours débattus et
n’entrent pas dans le cadre de cette discussion.
52
1.5.
Les mégacristaux 1.5.1. Introduction – caractéristiques générales Les mégacristaux sont des cristaux de grande taille (> 1 cm) ubiquistes dans les
kimberlites. Leur origine est toujours controversée. Ils sont considérés tantôt comme des
phénocristaux, tantôt comme des xénocristaux. C’est pourquoi Dawson (1980) leur attribue le
terme de « mégacristal » qui permet de s’affranchir de toute connotation génétique. Suivant
la même logique, Clement et al. (1984) proposent le terme de « macrocristal » pour définir les
cristaux de 0,5 mm à 1 cm.
Les mégacristaux forment typiquement une suite de minéraux, le plus souvent pauvres en
Cr, également appelée « discrete nodule suite » (Nixon and Boyd, 1973b) ; il s’agit de grains
monominéraux, généralement arrondis, de 1 à 5 cm, mais pouvant exceptionnellement
atteindre 20-30 cm. Les phases les plus communes sont l’ilménite magnésienne, le pyrope
titanifère pauvre en Cr, le diopside pauvre en Cr (souvent subcalcique), l’enstatite, l’olivine et
le zircon. Plus rarement, on trouve également la phlogopite et le rutile, ainsi que des
intercroissances lamellaires de pyroxène et d’ilménite.
Les mégacristaux sont toujours présents dans les kimberlites du Groupe I représentées à
travers le monde et peut être moins abondants (ou moins étudiés ?) dans les kimberlites du
Groupe II, uniquement observées en Afrique du Sud (e.g. Mitchell, 1991 ; Schulze et al.,
2001). Ils se trouvent aussi bien dans les kimberlites qui traversent les cratons (« on-craton »)
que dans celles qui se trouvent en bordure de ceux-ci (« off-craton »).
Dans certaines kimberlites, une suite de mégacristaux riches en Cr est également
observée ; il s’agit généralement du pyrope, du diopside, de l’enstatite, de l’olivine, de
l’ilménite et du spinelle (e.g. Eggler et al., 1979).
Les mégacristaux des suites pauvre et riche en Cr se présentent le plus souvent sous forme
de cristaux isolés ; ils sont parfois en intercroissance avec d’autres cristaux de la même suite
(e.g. Boyd et al., 1984a ; Moore et al., 1992). Ils sont typiquement fracturés et le plus souvent
arrondis mais parfois angulaires et pourraient, dans ce cas, provenir de la fragmentation de
cristaux originellement plus grands. Des inclusions d’un minéral d’une suite dans une phase
de la même suite ne sont pas rares. Certains mégacristaux forment communément des
agrégats polycristallins ; c’est le cas pour l’olivine et l’ilménite (e.g. Schulze, 1984).
Notons que des mégacristaux sont également observés dans les roches alcalines comme
les minettes, les alnoïtes, les néphélinites, les basanites et les basaltes alcalins (e.g. Mitchell,
1986 ; Dawson, 1980). L’assemblage décrit y est cependant différent de la suite typique des
53
kimberlites. On y retrouve l’augite et l’enstatite riches en Al, une amphibole riche en Ti
(kaersutite), mais aussi le pyrope, le spinelle (pléonaste = magnésioferrite) et le plagioclase.
Ils pourraient être génétiquement liés au basalte-hôte. Un second assemblage de minéraux,
plus volontiers considérés comme des xénocristaux, peut également être trouvé : le feldspath,
le mica riche en Ti, le diopside riche en Fe et Na, et plus rarement l’apatite, le zircon, le
corindon, l’ilménite, le rutile, la magnétite et le sphène (Schulze, 1987).
L’alnoïte de Malaita (île de Salomon), sur les marges du Plateau d’Ontong Java, et la
minette de The Thumb, sur le Plateau du Colorado, constituent des exceptions intéressantes
étant donné qu’elles contiennent une suite de mégacristaux similaires aux kimberlites
(Schulze, 1987 ; Pearson et al., 2003).
1.5.2. Problématique de l’origine des mégacristaux De nombreuses études se sont concentrées sur l’origine des mégacristaux dans les
kimberlites, en particulier sur la nature de leur relation avec la kimberlite-hôte et avec les
xénolites de péridotite.
Les minéraux des mégacristaux comprennent pour la plupart les mêmes phases que celles
qui composent les xénolites mantéliques (i.e. péridotites, pyroxénites, éclogites). Cependant,
bien que ces roches pourraient, par fragmentation, donner les minéraux de la suite des
mégacristaux, ces derniers sont le plus souvent distingués sur base de leur taille, de leur
composition ou de leur couleur. Il a rapidement été noté que les mégacristaux sont de
composition moins réfractaire (ils sont plus riches en Fe et Ti, et plus pauvres en Cr et Mg)
que les minéraux des péridotites de BT, ce qui n’est pas en faveur d’une origine par
désagrégation de telles roches. Cependant, il a aussi été suggéré que certains mégacristaux
(les plus riches en Mg) pourraient provenir de la désagrégation de péridotites de HT, plus
fertiles (e.g. Nixon and Boyd, 1973b). En effet, les textures de déformation et les
caractéristiques compositionnelles des mégacristaux les rapprochent de ces dernières. Cette
hypothèse est cependant à présent globalement rejetée, notamment pour les raisons suivantes :
54
-
les mégacristaux sont généralement de taille supérieure (> 1 cm) aux minéraux des
lherzolites (~ 2-4 mm). Certaines péridotites à gros grains ont des cristaux pouvant
atteindre 1 cm, mais elles sont plutôt rares (Boyd and Nixon, 1978) ;
-
les gammes de composition des mégacristaux ne recouvrent souvent qu’en partie
seulement la gamme de celles des lherzolites ;
-
les tendances de composition que présentent ces mégacristaux sont en général
attribuées à la cristallisation fractionnée à partir d’un liquide ;
-
les intercroissances oxyde-silicate sont plutôt en faveur d’une origine par
syncristallisation ;
-
la présence d’inclusions d’un minéral dans un (ou des) autre(s) suggère que les
mégacristaux ont bien cristallisé ensemble, à partir d’un même liquide (Gurney et
al., 1979 ; Eggler et al., 1979).
Il y a actuellement un consensus assez général selon lequel les mégacristaux
proviendraient de la cristallisation fractionnée d’un liquide silicaté en profondeur (~ 10001400 °C, 50±10 kbar), près de la limite entre l’asthénosphère et la lithosphère (« LithosphereAsthenosphere Boundary », LAB). Etant donné que les conditions d’équilibre des
mégacristaux sont similaires aux péridotites de HT (e.g. Nixon and Boyd, 1973b), les
déformations dans ces dernières pourraient résulter de l’interaction du magma parental des
mégacristaux avec le manteau lithosphérique environnant (e.g. Harte and Gurney, 1981 ;
Hops et al., 1992 ; Burgess and Harte, 1998 ; 2004 ; Moore and Lock, 2001 ; Moore and
Belousova, 2005), bien que ces péridotites pourraient également provenir de la déformation
plastique, due à un excès de pression, autour des intrusions de magma kimberlitique en
profondeur (e.g. Grégoire et al., 2006).
La question n’est cependant pas pour autant résolue quant à la nature du magma parental
des mégacristaux :
-
s’agit-il du liquide kimberlitique lui-même (e.g. Eggler et al., 1979 ; Mitchell, 1986;
Moore and Lock, 2001 ; Kostrovitsky and de Bruin, 2004 ; Moore and Belousova,
2005) ?
-
s’agit-il
plutôt
d’un
liquide
de
nature
différente
(encore
à
préciser) ?
Ce liquide serait-il un précurseur de l’activité magmatique kimberlitique, auquel cas
on pourrait utiliser le terme de « proto-kimberlite » (Gurney et al., 1979 ; Garrison
and Taylor, 1980 ; Harte and Gurney, 1981; Schulze, 1984 ) ?
De nombreux types de liquide ont été proposés : basaltes alcalins, basanites (type OIB) ou
meimechites (~ komatiite riche en volatils et LILE) (Harte, 1983 ; Jones, 1987 ; Hops et al.,
1992 ; Moore et al., 1992 ; Merry and le Roex, 2007) ; basalte de type MORB (Tainton and
McKenzie, 1994 ; Burgess and Harte, 2004) ; ou encore liquides résultant de l’interaction
d’un magma asthénosphérique avec le manteau lithosphérique (Davies et al., 2001 ; Burgess
and Harte, 2004 ; Kostrovitsky et al., 2008). Nixon and Boyd (1973b) ont suggéré que la suite
de mégacristaux pourrait constituer une « boue de cristaux » (« crystal mush ») d’origine
asthénosphérique.
55
Il n’y a cependant pas de preuve que les liquides proposés puissent effectivement exister
dans les environnements kimberlitiques (Moore and Belousova, 2005). Ils n’ont en effet
jamais été observés ni en inclusion (« melt inclusion ») au sein des mégacristaux, ni en tant
que xénolites dans les kimberlites. Des inclusions polyminérales interprétées comme ayant
cristallisé à partir d’un liquide kimberlitique (assemblage minéralogique et composition
globale similaires) ont été observées dans les mégacristaux (Gurney et al., 1979 ; Schulze,
1985 ; 1987).
Les données expérimentales rendent possible le fractionnement des mégacristaux à partir
d’un magma de composition kimberlitique. En effet, un assemblage grenat – olivine –
orthopyroxène – clinopyroxène ± (magnésite - phlogopite) pourrait cristalliser à partir d’un
liquide kimberlitique à des pressions élevées (5-6 GPa) (Eggler and Wendlandt, 1979 ; Dalton
and Presnall, 1998). Cependant, les magmas kimberlitiques ne montrent pas d’évolution
chimique suggérant la cristallisation fractionnée des mégacristaux (e.g. Mitchell, 1986).
L’hypothèse de l’origine des mégacristaux à partir d’un liquide de nature différente du
magma kimberlitique a été proposée suite à la mise en évidence d’une part de différences
(parfois subtiles) de signatures isotopiques ((87Sr/86Sr)0 et εNd0 surtout) entre les kimberliteshôtes et les mégacristaux, ce qui suggère des sources différentes dans le manteau, et d’autre
part, de l’estimation de la composition du liquide en équilibre avec les mégacristaux. Il faut
signaler cependant que ces calculs ont été réalisés sur base des coefficients de partage
solide/liquide des REE (pour grenat et cpx) pour les liquides basaltiques car les données
manquent pour les liquides kimberlitiques à HP.
Ces modèles considèrent que le magma parental des mégacristaux n’est pas de
composition kimberlitique mais suggèrent tout de même souvent que la formation du magma
kimberlitique pourrait être liée à l’évolution de ce magma ou à sa contamination, soit par les
roches encaissantes, soit par d’autres magmas. Un lien génétique, ou du moins temporel, est
donc souvent implicite mais les modèles restent variés.
Nixon and Boyd (1973b) estiment qu’il est impossible qu’un seul magma soit responsable
de la cristallisation de l’ensemble des mégacristaux pauvres en Cr d’une même kimberlite
étant donné la large gamme de température d’équilibre (1000-1400 °C) indiquée par cette
suite. Ils suggèrent alors une origine par cristallisation fractionnée de petits volumes
successifs de magmas engendrés par la fusion partielle de l’asthénosphère.
La large gamme de composition enregistrée par les mégacristaux a également été attribuée
à la cristallisation fractionnée, sur un grand intervalle de température, d’un corps magmatique
de taille et d’étendue verticale (< 5 km) limitées, à pression quasi constante (Gurney et al.,
56
1979 ; Harte and Gurney, 1981 ; Schulze, 1984 ; Moore and Belousova, 2005). Ce corps
magmatique, approvisionné en magma par un ou plusieurs conduits, développerait une
auréole thermique et métasomatique, et s’étendrait horizontalement en une série de nappes,
veines et autres apophyses qui pourraient atteindre quelques dizaines de mètres d’épaisseur.
Les mégacristaux cristalliseraient aussi bien à partir du magma de haute température, non
différencié, au centre du corps magmatique, qu’à partir de portions de magma différencié, à
plus faible température, dans les apophyses. Gurney et al. (1979) et Schulze (1985) observent
par ailleurs, dans certains mégacristaux, des inclusions qu’ils interprètent comme les produits
de cristallisation d’un liquide kimberlitique piégé, suggérant que le processus de
différenciation mène à la formation d’un liquide kimberlitique qui entraînera les mégacristaux
et des xénolites (déformés et métasomatisés dans l’auréole) lors de sa montée dans le
manteau. Moore and Belousova (2005) en revanche pensent que le liquide parental de
mégacristaux est originellement la kimberlite.
Hops et al. (1992) (Fig. 1.18) imaginent un panache asthénosphérique basaltique de
dimension limitée qui diverge et s’étend à la base de la lithosphère et forme différentes
poches magmatiques. Ces poches peuvent présenter différents stades de cristallisation et de
différenciation et peuvent ainsi donner naissance à la suite de mégacristaux. Un lien indirect
est proposé avec le magma kimberlitique qui se formerait par interaction du magma parental
des mégacristaux avec les péridotites (enrichissement en Mg) et avec les magmas produits
dans la LAB (enrichissement en éléments incompatibles).
Garrison and Taylor (1980) favorisent un modèle de cristallisation fractionnée à partir
d’un liquide proto-kimberlitique dont la composition évolue par l’assimilation de roches
encaissantes et/ou par une augmentation de la fugacité en oxygène au sein du liquide
(incorporation de CO2, provenant par exemple de la fusion d’un horizon de péridotites
carbonatées). Jones (1987) quant à lui suggère que le magma parental des mégacristaux peut
évoluer en un magma de composition kimberlitique par combinaison de cristallisation
fractionnée et d’interaction avec les roches mantéliques.
Dans la région de Gibeon, Namibie, le volcanisme kimberlitique s’est produit 5 à 10 Ma
après l’activité d’un point chaud (plume) nommé Discovery (Davies et al., 2001 ; Fig. 1.19).
Ce dernier n’est pas considéré comme la source du magmatisme kimberlitique ou de celui à
l’origine des mégacristaux mais il serait probablement responsable de la production de
magma de par les perturbations thermiques et structurales qu’il engendre à la base de la
lithosphère
lors
de
son
activité.
Les
mégacristaux
proviendraient
de
magmas
asthénosphériques basaltiques qui cristalliseraient à la base du SCLM et interagiraient avec
celui-ci. Les kimberlites seraient générées lorsque des produits de fusion riches en fluides
57
dérivés du plume migrent le long de la base du SCLM et se concentrent au sommet de
l’asthénosphère, provoquant ainsi de faibles taux de fusion dans cette zone et le magmatisme
kimberlitique. Lors de leur passage à travers le SCLM, les magmas kimberlitiques seraient
modifiés par des liquides qu’ils assimilent et ils incorporeraient également les mégacristaux
qui pourraient alors être qualifiés de xénocristaux.
58
L’identification d’une seconde suite de mégacristaux, plus riches en Cr, dans les
kimberlites du Colorado-Wyoming (Eggler et al., 1979), n’a pas simplifié la situation. On
parle maintenant communément d’une suite pauvre en Cr et d’une suite riche en Cr, bien que
la limite entre les deux ne soit pas toujours bien marquée (e.g. Garrison and Taylor, 1980). La
suite riche en Cr a, dans un premier temps, reçu moins d’attention que celle pauvre en Cr mais
elle a progressivement été identifiée dans de nombreuses kimberlites à travers le monde (e.g.
Boyd et al., 1984a ; Jones, 1987 ; Moore et al., 1992 ; Kostrovitsky et al., 1997 ; Moore and
Lock, 2001 ; Bell and Moore, 2004 ; de Bruin, 2005 ; Moore and Belousova, 2005 ; Kopylova
et al., 2009 ; Nimis et al., 2009). Les kimberlites dans lesquelles une suite riche en Cr est
identifiée contiennent également toujours une suite pauvre en Cr.
La question s’est alors posée du lien entre les deux suites : sont-elles apparentées (e.g.
Moore and Belousova, 2005) ou proviennent-elles de deux magmas différents (e.g. Hunter
and Taylor, 1984) ?
Schulze (1984) considère les mégacristaux riches en Cr comme des xénocristaux
péridotitiques alors que la suite pauvre en Cr est interprétée en termes magmatiques. La
coexistence, au sein d’un même échantillon, des deux suites de mégacristaux a cependant été
observée dans certaines kimberlites d’Afrique du Sud : un grenat pauvre en Cr entoure un
grenat riche en Cr qui contient lui-même des inclusions d’olivine, orthopyroxène et
clinopyroxène riches en Cr (Moore and Belousova, 2005).
Eggler et al. (1979) (Fig. 1.20) proposent un modèle qui combine la fusion partielle et la
cristallisation dans un diapir ascendant dans lequel les deux suites de mégacristaux sont
associées. La suite pauvre en Cr cristallise à partir d’un liquide kimberlitique issu de la fusion
partielle d’un diapir péridotitique asthénosphérique plus fertile et la suite riche en Cr
cristallise à partir d’un liquide asthénosphérique contaminé par la fusion des roches
lithosphériques appauvries, ce qui expliquerait les fortes concentrations en Cr. Cependant, la
suite riche en Cr enregistre des températures d’équilibre (1025-1125 °C) inférieures à la suite
pauvre en Cr (1050-1350 °C) or la lithosphère appauvrie est réfractaire et devrait donc fondre
à plus haute température, ce qui rend ce modèle improbable (Mitchell, 1986).
Moore and Belousova (2005) suggèrent que les deux suites proviennent de la
cristallisation d’un même magma : la suite riche en Cr serait formée à partir du magma
kimberlitique primitif alors que la suite pauvre en Cr cristalliserait ensuite, à partir d’un
liquide résiduel appauvri en Cr. Ce dernier serait également contaminé par des liquides
engendrés par la fusion de minéraux à faible température de fusion, comme la calcite et la
phlogopite, distribués de manière inhomogène dans l’auréole thermique autour du magma
kimberlitique. Le taux de cristallisation dans le réservoir principal kimberlitique serait par
59
contre limité, ce qui pourrait expliquer que les kimberlites ne présentent pas de preuve de
fractionnement.
D’autres auteurs proposent en revanche que les deux suites de mégacristaux seraient les
témoins de l’évolution de deux liquides proto-kimberlitiques chimiquement distincts (Hunter
and Taylor, 1984 ; Hunter et al., 1984). La suite pauvre en Cr représente alors un stade avancé
de cristallisation fractionnée, essentiellement isobare, à partir de liquides pauvres en Cr qui se
ségrégent dans la LAB lorsque les diapirs qui les transportent sont bloqués par la barrière
thermique à cette profondeur. Il y a donc une concentration de petits corps magmatiques
représentant les différents stades d’évolution des liquides kimberlitiques dans la partie
supérieure de cette zone. Lorsque la barrière du solidus est rompue (augmentation de la
concentration en éléments volatils, tensions dans la lithosphère), il y a formation d’un conduit
qui permet la remontée de diapirs partiellement fondus issus de plus grande profondeur. Ces
diapirs ne sont alors plus stoppés par la barrière thermique et sont riches en cristaux, ce qui
permet un tamponnage plus facile de la composition du liquide par les péridotites
environnantes. Les liquides résultants peuvent être soit de même composition que ceux à
60
l’origine de la suite pauvre en Cr, soit plus riches en Cr, dépendant de leur zone source. Ces
diapirs riches en Cr désagrègent et entraînent les poches partiellement cristallisées contenant
les mégacristaux pauvres en Cr lors de leur remontée, provoquant de fait un mélange entre les
restes de liquides parentaux des deux suites. Le « liquide homogène hybride » formé est de
composition kimberlitique. Les mégacristaux ne sont donc pas des phénocristaux sensu
stricto, les auteurs les appellent «cognate xenocrysts» ou «autocrysts» si les deux liquides qui
se mélangent sont de compositions très similaires.
Bien que de nombreux arguments semblent en faveur d’une origine magmatique des
mégacristaux des kimberlites, le débat sur leur origine reste encore bien ouvert.
Des processus d’interaction de magmas asthénosphériques avec le manteau lithosphérique
ont été invoqués pour différentes raisons dans les quelques modèles présentés ci-dessus. Il
semble qu’en plus du mécanisme de cristallisation fractionnée, la fusion partielle des roches
lithosphériques et l’interaction magma-roche environnante ont sans doute joué un rôle
important dans la composition de certains mégacristaux (e.g. Bell and Moore, 2004). Ces
auteurs soulignent que l’origine des mégacristaux est sans doute un processus beaucoup plus
complexe qu’une simple cristallisation et pourrait impliquer de multiples processus.
Récemment, des processus métasomatiques ont aussi été invoqués pour l’origine des
mégacristaux. Plusieurs études ont en effet montré des similarités entre les compositions
minéralogiques des mégacristaux et des minéraux de certaines péridotites métasomatiques du
manteau lithosphérique (e.g. Kostrovitsky et al., 1997 ; 2004 ; Kostrovitsky and de Bruin,
2004 ; Doyle et al. 2004 ; Nimis et al., 2009 ; Kopylova et al., 2009). Contrairement aux
modèles magmatiques (cristallisation fractionnée à partir d’un magma dans le manteau
lithosphérique), les modèles métasomatiques considèrent que les mégacristaux pourraient
s’être formés par la transformation de péridotites par des liquides génétiquement associés aux
kimberlites. En d’autres termes, ces modèles considèrent un rapport liquide/roche plus faible
que dans les procédés magmatiques.
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