MALVASIA DELLE LIPARI

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M agazine EXPERTISE DU TERROIR
MALVASIA DELLE LIPARI
RENOUVEAU.
Plusieurs domaines
replantent des vignes sur
les îles de Salina, Lipari,
Vulcano et Panarea.
SOUS LE VENT
DES ÎLES ÉOLIENNES
UN VIN QUI
S’ÉPANOUIT
ENTRE MER
ET VOLCANS
Les vignerons des îles
Éoliennes perpétuent avec
force la tradition viticole
des vins de paille et mettent
en avant la complexité de
leur malvasia delle Lipari.
Texte et photos de Sophie de Salettes
88 ■ FÉVRIER 2014 - LA RVF n° 578
C
e sont des vignes qui poussent
sur les entrailles de la terre. Des
vignes qui s’épanouissent sur les
flancs de volcans parfois encore en activité. Des malvoisies dont les raisins récoltés demandent encore à rester dehors, au
soleil, comme pour profiter de cette vue
unique sur la mer et les îles abruptes. La
malvasia delle Lipari est un vin rare, issu
d’une terre rude, mais toujours célébrée
par des vignerons passionnés.
Le cépage malvasia delle Lipari aurait
été introduit à Salina au début du
XVIIe siècle. « Les premiers écrits le mentionnant datent de 1653 et parlent déjà
d’exportation », raconte Marcello Saija,
professeur à l’Université de Palerme. Au
XVIIIe siècle, 3 500 hectolitres de vin
quittent l’archipel chaque année par voiliers. Un vin mentionné par plusieurs
auteurs, dont Guy de Maupassant en
1890 qui cite les vins de l’île de Salina.
La destruction du vignoble par le phylloxéra à la fin du XIXe siècle met un terme
à cette période faste. La renaissance des
vins des îles Éoliennes est marquée par la
création de l’appellation d’origine contrôlée Malvasia delle Lipari en 1973.
Les îles Éoliennes forment un archipel de sept îles volcaniques situé dans la
mer Tyrrhénienne, à une quarantaine de
kilomètres au nord de la Sicile. Leur formation remonte à un million d’années
(Pléistocène inférieur) et résulte d’une
longue série d’éruptions volcaniques
sous-marines. Elles font partie d’un arc
insulaire long de 200 km qui comprend
aussi plusieurs montagnes sous-marines.
Ce sont des îles montagneuses dont le
point culminant (Monte Fossa delle Felci,
Salina) atteint 962 mètres. Les plaines
se situent sur les hauts plateaux et dans
volcanique, le vent
est omniprésent. ◼
les calderas. L’eau douce est rare, sauf à
Salina et à Stromboli.
L’archipel jouit d’un climat méditerranéen marqué par des étés secs (*). Les
températures estivales varient de 22 à
30° C en moyenne (15 à 22° C au printemps). Le vent est omniprésent : les
vents dominants viennent du nord-ouest
(Maestrale), de l’ouest (Ponente) et du
sud-est (Scirocco).
Les vignes des îles Éoliennes sont plantées dans les plaines et dans les collines,
jusqu’à 400 mètres d’altitude. Certaines
sont installées sur les hauts plateaux,
comme à Leni (Salina). Dans certaines
zones particulièrement pentues, des terrasses regardent la mer, comme à Malfa
(Salina). Ces terrasses ont l’avantage de
retenir les eaux superficielles. Cela permet d’optimiser l’alimentation en eau des
vignes et de limiter l’érosion des sols.
CARACTÉRISTIQUES DE L’APPELLATION
LES PROFILS
DOC : 1973
Vignoble : il s’étend sur les sept îles
Éoliennes (Alicudi, Filicudi, Lipari, Panarea,
Salina, Stromboli et Vulcano).
Surface : 90 ha de malvasia delle Lipari,
dont les deux tiers sur l’île de Salina et un
quart sur l’île de Lipari. L’archipel compte
160 ha de vignes, tous cépages confondus.
Production annuelle : 6 680 hl (1 000 en
DOC, 1 323 en IGT, 4 357 en vin de table).
UN VOLCANISME RÉCENT
$$Les îles Éoliennes sont des îles volcaniques
dont trois sont des volcans encore actifs
(Stromboli, Lipari et Vulcano). L’archipel est
le résultat de la collision entre les plaques
africaine et euro-asiatique. Le volcanisme éolien
est récent et caractérisé par une évolution
de la composition des matériaux émis.
Les dépôts les plus anciens appartiennent
à une série calco-alcaline. Les roches de Lipari
et Stromboli appartiennent à une série
andésitique. Les dépôts les plus récents
(Vulcano, Lipari et Stromboli) appartiennent
à une série shoshonitique.
Dix jours au soleil
LES CÉPAGES
La malvasia delle Lipari appartient à la famille des malvoisies,
qui compte 17 variétés. On trouve aussi d’autres cépages dans
l’archipel des îles Éoliennes, comme le catarratto, l’inzolia,
le nerello mascalese, le corinto nero ou le nero d’Avola.
Ils peuvent entrer dans l’assemblage des vins blancs, rouges
et rosés classés IGP Salina ou Sicilia. Dans l’IGT Salina rosso
d’Antonino Caravaglio, les cépages nero d’Avola, nerello
mascalese et corinto nero sont assemblés. Dans l’IGT Salina
bianco du domaine Colosi, ce sont l’inzolia et le catarratto.
D. R.
MALVASIA DELLE LIPARI
◼ Sur cet archipel
Si le vignoble de l’archipel donne
aujourd’hui des vins secs blancs, rouges
et rosés (IGT Salina ou Sicilia), la dénomination d’origine contrôlée Malvasia
delle Lipari ne concerne que les vins issus
du cépage malvasia delle Lipari (92 à
95 %), complété de corinto nero. Le vin
le plus célèbre est le passito, issu de raisins récoltés en surmaturité puis passerillés sur claies dix à vingt jours. Les raisins
sont étalés dehors au soleil le jour et rentrés la nuit sur des terrasses fermées sur
trois côtés (les “pinnate”) qui les protègent
de l’humidité et préviennent la pourriture. Résultat : les jus se concentrent et les
arômes s’intensifient.
Les zones agricoles ont généralement
des sols viticoles de texture sableuse,
peu profonds, très perméables. Ils sont
pauvres en éléments carbonatés, riches
en potassium et présentent un pH légèrement acide. Leur teneur en matière organique et leur fertilité sont faibles.
La majorité des vignes se trouve sur l’île
de Salina et, dans une moindre mesure,
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MALVASIA DELLE LIPARI
LE PASSITO, CÉLÈBRE VIN PASSERILLÉ.
Les raisins étalés sur des clayettes profitent
encore du soleil dix à vingt jours.
Malfa des terrains riches en pierre ponce de
couleur gris-blanc. Le plus grand potentiel
viticole se trouve sur le versant nord-ouest,
car l’ensoleillement y engendre une bonne
maturation et les terres pierreuses préservent
l’humidité du sol. Les vins présentent un
bel équilibre sucre/acidité et une structure
marquée. Ceux issus des parcelles exposées à
l’ouest sur des terrains plus riches en pierre
ponce sont moins structurés, mais ils sont
aussi plus aromatiques. »
Des expositions diverses
sur les îles de Lipari et de Vulcano.
Quelques hectares ont aussi été plantés
sur les îles de Panarea et de Stromboli.
Des sols d’origine volcanique
Les vignobles de Salina sont répartis
sur trois zones, indique Claudio Antonio
Tranne, professeur en géochimie et vulcanologie à l’Université de Bologne. Dans la
zone de Malfa, sur le piémont du Monte
dei Porri et de l’ancien complexe volcanique du Monte Rivi-Pizzo Capo, les
vignes essentiellement exposées au nord
sont plantées sur des dépôts de pierre
À DÉGUSTER
Antonino Caravaglio
Malvasia delle Lipari passito 2010
Giona
Malvasia delle Lipari passito
2010
Gaetano Marchetta
Malvasia delle Lipari passito 2010
Hauner
Malvasia delle Lipari passito 2009
Salvatore Amico
Malvasia delle Lipari passito 2009
Virgona
Malvasia delle Lipari passito 2008
ponce plus ou moins riches en silice et en
minéraux ferreux, sur des colluvions ou
sur des tufs bruns issus des éruptions de
Vulcano. La zone de Valdichiesa, située
entre les deux volcans de l’île, présente
des dépôts similaires à ceux de la zone
centrale de Malfa. Enfin, dans la zone
de Leni, les vignes sont majoritairement
exposées au sud et plantées sur des dépôts
similaires à ceux de l’est de Malfa.
« Il faut aussi noter qu’une grande partie
des îles Éoliennes a été recouverte par des tufs
bruns issus d’éruptions survenues à Vulcano
entre - 70 000 et - 8 000 ans. Il s’agit de
dépôts fertiles utiles pour l’agriculture : des
cendres riches en fer et en potassium », précise Giovanni Randazzo, professeur au
département de Physique et de Sciences
de la Terre de l’Université de Messine.
L’origine volcanique des sols de l’archipel et la succession d’éruptions qui leur
ont donné naissance expliquent pourquoi
leur composition est très variable.
« L’éruption volcanique qui a créé le
Monte Fossa delle Felci a engendré sur
le versant sud de Salina des terrains plus
sableux que ceux du versant nord, plus
pierreux et légèrement limoneux, explique
Antonino Caravaglio, vigneron à Malfa
(Salina). L’éruption plus récente à l’origine du Monte dei Porri a créé au-dessus de
Giona Hauner, vigneron à Salina, met
aussi en avant le caractère variable des
raisins selon leur zone d’origine : « Les
éruptions successives ont laissé des dépôts de
composition différente qui donnent des raisins aux caractéristiques bien distinctes. Et
les terrains en bord de mer reçoivent beaucoup d’air, ce qui joue sur la maturation
des baies qui auront alors un caractère plus
sapide. La zone de Valdichiesa, à 300 m
d’altitude entre les deux volcans, donne des
raisins aux arômes plus végétaux et mentholés. Mais le plus souvent, la malvasia delle
Lipari exprime des notes d’abricot rôti et
d’écorces d’orange confites. Et après vingt
ans de bouteille, les arômes de menthe, de
cannelle et d’épices prennent de l’ampleur ».
Massimo Lentsch (Tenuta di
Castellaro) a profité de cette variabilité des sols et des expositions des parcelles quand il a planté ses vignes : « Nos
vignes sont installées sur deux sites de l’île
de Lipari. Castellaro, à 350 m d’altitude,
un site venté aux amplitudes thermiques
jour/nuit importantes, aux sols composés de
sables volcaniques profonds, fertiles et riches
en micro-éléments, donne nos vins rouges,
blancs et rosés. Notre malvasia est quant à
elle plantée au Cappero, un site très chaud,
sur des terrasses très étroites compte tenu de
la forte pente, à 30 m au-dessus de la mer ».
Des sites toujours situés entre mer et
volcans et très exposés aux vents. Des
vignobles du bout du monde pour des
vins dont on tombe vite amoureux. ◼
(*) 30 à 40 mm de pluie l’été, 600 mm annuels
dont 440 en hiver et en automne.
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