Explication d`un texte d`Auguste Comte

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Sanaa Estibal TL
Bac blanc de philosophie du 2 février 2016 – Terminale L
Explication de texte
« Il est sensible, en effet, que, par une nécessité invincible, l’esprit humain
peut observer directement tous les phénomènes, excepté les siens propres.
Car, par qui serait faite l’observation? On conçoit, relativement aux
phénomènes moraux, que l’homme puisse s’observer lui-même sous le
rapport des passions qui l’animent, par cette raison, anatomique, que les
organes qui en sont le siège sont distincts de ceux destinés aux fonctions
observatrices. Encore même que chacun ait eu occasion de faire sur lui de
telles remarques, elles ne sauraient évidemment avoir jamais une grande
importance scientifique, et le meilleur moyen de connaître les passions
sera-t-il toujours de les observer en dehors; car tout état de passion très
prononcé, c’est-à-dire précisément celui qu’il serait le plus essentiel
d’examiner, est nécessairement incompatible avec l’état d’observation.
Mais, quant à observer de la même manière les phénomènes intellectuels
pendant qu’ils s’exécutent, il y a impossibilité manifeste. L’individu
pensant ne saurait se partager en deux dont l’un raisonnerait, tandis que
l’autre regarderait raisonner. L’organe observé et l’organe observateur
étant, dans ce cas, identiques, comment l’observation pourrait-elle avoir
lieu? »
Auguste Comte, Cours de philosophie positive.
Sanaa Estibal TL
Auguste Comte, dans ce court extrait du Cours de la
Philosophie positive, aborde le thème de la conscience et du sujet. Il
s’interroge sur l’homme et sa capacité à s’observer lui-même. Peut-on
observer ses propres passions ? L’esprit humain est-il capable d’une
introspection ? L’homme serait-il capable de se diviser en deux pour être à
la fois le sujet de l’observation et l’observateur ? Peut-on garce a la
conscience s’observer soi-même et ainsi se connaitre ? Auguste Comte va
s’opposer à la thèse, au présupposé selon lequel l’homme peut observer ses
propres passions car elles proviendraient d’organes différents des
organes « observateurs ». La thèse de l’auteur est, au contraire, que l’esprit
humain peut observer directement tous les phénomènes excepté les siens
propres. L’individu pensant ne saurait se diviser en deux pour pouvoir être
observé et s’observer. Il convient de rappeler la définition du terme
« conscience » : du latin « cum » « scire », donc « avec » et « savoir », la
conscience représente la connaissance qu’un être a de lui-même, de son
existence et du monde qui l’entoure. Nous pouvons diviser ce texte en trois
parties pour l’analyser. La première partie, de « Il est sensible… » à
« fonctions observatrices », est l’introduction où l’auteur présente sa thèse
ainsi que la thèse qu’il contredit et la problématique. Puis nous avons une
deuxième partie, de « Encore même… » à « impossibilité manifeste », et
une troisième partie de « L’individu pensant… » à « avoir lieu ».
I. Dans la première partie du texte (« il est sensible… fonctions
observatrices ») nous avons une courte présentation du présupposé, de la
thèse de l’auteur et de la problématique.
A travers la thèse qu’il contredit, l’auteur introduit la notion d’aperception
immédiate. En effet, selon ce présupposé qui consiste à dire que l’homme
peut observer ses passions, on retrouve cette idée que l’homme est
conscient de ses sensations et, donc, que les sensations physiques sont une
forme de conscience. Il y a aussi l’idée que le corps est séparé de l’esprit,
ce qui permet à l’esprit d’observer son propre corps. Nous retrouvons ici
des éléments de la thèse de Descartes, selon qui le corps et l’esprit sont
deux entités différentes.
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Auguste Comte vient critiquer cette thèse et expose sa thèse philosophique
selon laquelle l’homme ne peut pas observer ses phénomènes intérieurs
mais seulement les phénomènes extérieurs, qui ne lui sont pas propres.
C’est la thèse que partagent les philosophes Kant et Freud. Nous noterons
d’ailleurs cette citation de Freud : « Le « moi » n’est jamais maitre dans sa
propre maison ». En effet, la question de la conscience est aussi liée à la
connaissance de soi. Car si je peux m’observer alors je peux me connaitre.
Pourtant, Descartes, Freud et Kant s’accordent à dire que la conscience ne
me permet pas une connaissance de moi-même mais seulement la
conscience de mon existence : « Je pense donc je suis » dit Descartes. Peuton s’observer soi-même ? Peut-on tout de même acquérir une connaissance
de soi par la conscience de soi ?
II. Dans la deuxième partie, de « Encore même… » à
« impossibilité manifeste », l’auteur montre le caractère paradoxal du
présupposé et justifie sa thèse philosophique.
Auguste Comte montre d’un point de vue scientifique, qu’il est impossible
de faire une observation claire et scientifiquement prouvée de nos passions.
Pour pouvoir faire une observation claire et juste, il faut les observer en
dehors. Freud partage la même thèse et il explique que pour que quelque
chose soit observable, ce doit être un phénomène constant, répétitif et
accessible à tous. Un phénomène intérieur, accessible à un seul individu,
qui est unique et rare, n’est donc pas un phénomène scientifiquement
valable et observable. Ainsi nous pouvons faire des remarques sur nos
passions et tenter de les observer, mais cette observation sera toujours
déformée, changeante, personnelle et non pas neutre ni scientifiquement
prouvée. La seule manière d’observer correctement et justement les
passions, c’est de les observer à l’extérieur.
L’auteur démontre ensuite que les observations que nous pouvons faire sur
nos propres passions seront influencées par « notre état de passion ». Un
état de passion très prononcé empêche toute réflexion neutre, objective et
donc tout recul. L’homme est incapable de se séparer de ses passions car
son cerveau est aussi affecté par ses passions. On voit ici le lien entre le
corps et l’esprit, contrairement à la thèse de Descartes, car toutes les
passions même liées aux sens et au corps, affectent notre cerveau et
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empêche une pensée claire et neutre. Par exemple, quand nous sommes
amoureux, nous ne pouvons nous empêcher de penser à l’être aimé et notre
cerveau semble incapable de réfléchir correctement. Donc l’état de passion
est incompatible avec l’état d’observation, car cet état de passion affecte
clairement nos fonctions observatrices et déforment nos perceptions. Après
avoir présenté les « phénomènes moraux » donc la conscience morale,
l’auteur donne l’exemple des « phénomènes intellectuels » donc de la
conscience intellectuelle. Si nous ne pouvons observer nos passions, peutêtre pouvons-nous observer nos pensées, nos réflexions ? Il semble évident
que l’observation de nos propres pensées par nous-même soit impossible.
Kant expliquait aussi que l’observé ne peut être l’observateur, car ma
pensée et donc ma conscience ne peuvent qu’observer ce qui les entourent,
ce qu’elles perçoivent mais non pas elles même. L’homme peut-il se
partager en deux pour s’observer en train d’observer ou s’observer en train
de raisonner ? Est-ce possible d’analyser ses passions de manière objective
et scientifiquement valable ?
III. Dans la troisième partie du texte (« L’individu pensant…
avoir lieu ? »), le philosophe Auguste Comte énonce sa thèse et propose
une ouverture.
Selon l’auteur, l’individu ne peut s’observer et être l’observé. Il ne peut se
diviser en deux et s’observer d’un regard distant, car son corps et son esprit
sont liés et son esprit ne peut se distancier ou s’abstraire. Une observation
scientifique de soi-même est impossible car le phénomène observé est
changeant, il évolue, il est unique et accessible qu’à un seul individu.
L’auteur conclut sur une question qui fait office d’ouverture. Il s’interroge
sur une possible observation par « l’organe » observateur de lui-même,
« organe » observé. Il s’interroge sur les modalités requises pour que cette
observation soit possible. C’est en ce point que l’auteur diverge des thèses
de Kant et de Freud pour qui l’observation de soi-même par soi-même est
strictement impossible. Pourtant de nos jours, cette observation intérieure
semble possible.
En effet, nous pouvons contredire la thèse d’Auguste Comte ainsi que de
Kant et Freud par des exemples scientifiques modernes. Grâce à la science,
nous pouvons étudier et observer des phénomènes moraux et intellectuels
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en dehors de nous-même et sur des patients. Nous avons l’exemple des
études scientifiques qui consistent à mesurer le rythme cardiaque, le
langage corporel, la perspiration des sujets lors d’un état de passion (peur,
amour, désir, colère, tristesse…). Ou bien encore, grâce à la science, nous
pourrons bientôt enregistrer les rêves des hommes et ainsi observer leur
inconscient. Puis, il y a aussi l’observation de l’activité cérébrale qui nous
permet d’observer les phénomènes intellectuels. Il semblerait donc que
l’observation des passions et des pensées en dehors de nous-même et chez
les autres soit de nos jours possible.
Pour conclure, l’auteur Auguste Comte nous explique à
travers ce texte, l’impossibilité pour l’homme d’observer ses phénomènes
intérieurs. Il peut les observer mais cette observation ne sera jamais
scientifiquement exacte ni valable à cause de l’incapacité à reproduire
exactement le phénomène. Le philosophe nous démontre que l’homme ne
peut s’observer lui-même et que le seul moyen d’observer correctement
c’est en dehors de soi. A travers ce texte, il montre aussi les limites de notre
conscience qui ne peut qu’observer ce qui l’entoure, ce qui est extérieure à
elle mais ne peut s’observer elle-même. Par notre conscience nous espérons
obtenir une connaissance de nous-même. C’est d’ailleurs la véritable raison
pour laquelle nous souhaitons nous observer et observer nos mécanismes
intérieurs : pour mieux nous connaitre et savoir qui nous sommes. Socrate
disait : « Connais-toi toi-même et tu connaitras l’univers et les dieux. ».
Peut-on vraiment se connaitre soi-même ? Nous savons désormais que la
conscience ne nous permet pas de nous observer et donc de nous connaitre
nous-même. Par contre, il semblerait grâce à la science que nous pourrions
bientôt observer nos phénomènes moraux et intellectuels. Mais cette
observation nous permettra-t-elle de savoir qui nous sommes ? Peut-on
grâce à la conscience de soi acquérir une véritable connaissance de soi ?
Sanâa Estibal
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