Ciblage thérapeutique des lésions cancéreuses : Vers une guerre propre contre le cancer Professeur Vincenzo Castronovo Laboratoire de Recherche sur les métastases, GIGA-CANCER, Université de liège, Belgique Les traitements anticancéreux sont généralement la chirurgie, la chimiothérapie, la radiothérapie et les thérapies hormonales. Les médicaments chimiothérapiques agissent en empêchant la division cellulaire, ce qui ne constitue pas une caractéristique spécifique des cellules tumorales. La toxicité du traitement au niveau des tissus normaux impose donc de limiter les doses délivrées et la fréquence de leur administration. En plus, la majorité des molécules anticancéreuses s'accumulent préférentiellement dans les tissus normaux plutôt qu'au niveau des sites de la tumeur. Une approche intéressante consiste à délivrer les agents thérapeutiques spécifiquement au niveau des lésions malignes et de se dégager d'une administration systémique1 des agents thérapeutiques. Cette approche a été testée à la fin des années 70, où elle a pu être testée sur des modèles expérimentaux grâce à l'avènement de la technologie des hybridomes2, permettant la production d’anticorps monoclonaux3. Ces anticorps constituent les « têtes chercheuses », qui apportent les molécules thérapeutiques au niveau de la tumeur. Depuis, ces anticorps monoclonaux dirigés contre des marqueurs moléculaires associés aux tumeurs ont été employés pour cibler des lésions malignes chez l'animal, puis chez l’homme. Cependant, les premières études cliniques se sont heurtées au problème de l'immunogénicité des anticorps de souris utilisés. Produits à partir de lymphocytes (type de globules blancs) de rongeurs, les anticorps conservaient en effet les caractéristiques de leur espèce d'origine et, une fois injectés chez l'homme, étaient rejetés par son système immunitaire. Depuis le milieu des années 80, l'apparition successive d'anticorps «chimériques» (humains à 70%), d'anticorps «humanisés» (humains à 90%), et, récemment, d'anticorps humains à 100% a permis de contourner cette difficulté. Le ciblage des cellules cancéreuses par des anticorps (encore appelé « immunociblage) peut se réaliser selon deux modalités : 1. Stratégie d'inhibition qui consiste à inhiber une cible moléculaire (enzymes, récepteurs, etc.), afin d'enrayer la «machinerie» de la cellule et d'en provoquer la mort. Les anticorps, qui sont censés reconnaître spécifiquement la cible, sont délivrés par voie sanguine. Malheureusement, cette approche s'est avérée assez décevante pour les tumeurs solides, pour deux raisons: a. l'inaccessibilité relative des cellules cancéreuses; b. la faible pénétration des anticorps au niveau des tumeurs. En plus, les cellules cancéreuses d'une même tumeur sont hétérogènes et capables de s'adapter pour résister. 2. Livraison ciblée d’agents anticancéreux sur le site des tumeurs, qui présente l’avantage d’épargner les cellules saines des patients. Toutefois, quelle que soit leur forme, les stratégies d'inhibition butent sur la difficulté de prédire la toxicité et l'efficacité des traitements proposés, ainsi que sur celle d'identifier des cibles moléculaires importantes et non redondantes, c'est-à-dire dont la fonction ne peut être reprise par des molécules «apparentées». La seconde approche, la livraison ciblée d'agents thérapeutiques sur le site tumoral, se dessine comme une piste plus prometteuse. c. En premier lieu, dans cette approche, la qualité des marqueurs cibles dépend de 3 facteurs, à savoir leur abondance, leur stabilité et leur accessibilité. d. Ensuite, la livraison sélective par ciblage conduit à des accumulations très importantes d’agents anticancéreux au niveau du site tumoral dès 24 heures après l’injection intraveineuse, avec un rapport des concentrations entre la tumeur et les tissus normaux supérieur à cent. La mise en œuvre de stratégies thérapeutiques visant à la livraison ciblée d'agents thérapeutiques sur le site tumoral suppose, en premier lieu, l'identification de biomarqueurs cibles ou marqueurs moléculaires (targets en anglais) - associés aux cellules tumorales. Pour pouvoir être considérés comme des cibles potentielles, les marqueurs doivent répondre à plusieurs critères: non seulement être exprimés spécifiquement au niveau de la lésion cancéreuse et y être présents en grande quantité, mais aussi être d'un accès aisé via la circulation sanguine. Divers programmes de recherche ont permis l'identification de cibles moléculaires à partir de modèles expérimentaux in vitro (expérience en laboratoire) et animaux. Mais les anticorps censés véhiculer les drogues anticancéreuses vers les tissus malades, et vers eux seuls, n’ont pas atteint leurs cibles. Les protéines identifiées étaient bien spécifiques du cancer et surexprimées, mais elles n'étaient généralement pas accessibles, ce qui témoigne des difficultés de passer de l'expérimentation animale à l'application chez l'homme. Arrivée au stade clinique, la méthode offrira la possibilité d'effectuer «un tir à blanc», avec un agent radioactif associé à l’anticorps ou «tête chercheuse». Dès lors, en réalisant une scintigraphie, on pourra s'assurer que celle-ci s'est bien fixée sur l'antigène. Si tel est le cas, un deuxième tir sera effectué, à «balles réelles» cette fois. 1.3 Immunociblage des tumeurs L’immunociblage des tumeurs (ciblage des tumeurs par des anticorps) apparait aujourd’hui comme une alternative aux traitements non spécifiques du cancer, comme la chimiothérapie. L’immunociblage consiste à identifier des biomarqueurs protéiques (antigènes) qui sont spécifiquement exprimés dans le cancer. Ces biomarqueurs pourront servir de cibles thérapeutiques, ainsi que diagnostiques, pour des anticorps. Ces anticorps vont servir, soit à livrer des agents toxiques au niveau de la tumeur (thérapie ciblée), soit à visualiser la tumeur (traceur pour imagerie) (voir processus décrit ci- dessous).