Histoires de Sciences et Eléments d`Epistémologie

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Sciences Humaines et Sociales
Chapitre 6 – Epistémologie pratique
Histoires de Sciences et
Eléments d’Epistémologie
Professeur Pierre Baconnier
PCEM1 - Année universitaire 2007/2008
Faculté de Médecine de Grenoble (UJF) - Tous droits réservés.
III - Un peu d'épistémologie
IV - La pratique scientifique de nos jours
Un peu d'épistémologie
1.
Francis Bacon, Newton, Descartes (XVII)
2.
Auguste Comte, John Stuart Mill (XIX)
3.
Contre le positivisme, Gaston Bachelard et Karl Popper (XXe)
4.
Conclusion
La pratique scientifique de nos jours
1.
Le credo du scientifique
2.
Les "domaines" de la Science
3.
La science, une école de courage
Et la philosophie dans tout cela ?
III - Un peu d'épistémologie
1 - Francis Bacon, Newton, Descartes (XVII)
Rappels sur Philosophie et Epistémologie
La philosophie (Socrate), conteste les représentations dominantes.
Langage raison produisent des opinions inattendues (Platon).
L’épistémologie veut formuler la méthode et les buts de la science.
Elle discute et remet en question la science (actuelle et passée).
L'empirisme comme choix de démarche
Francis Bacon (précurseur de l’empirisme) : la science vise à l'amélioration du sort
de l'homme sur la terre, but qui peut être atteint en réunissant des faits par une
observation méthodique d'où découlent des théories. “ pour comprendre la Nature,
il faut consulter la nature elle-même et non les écrits d'Aristote ”.
Bacon, Locke, Hume, …: le fondement de la connaissance se trouve dans
l'expérience sensible. Ne sont réels que les objets singuliers et les
phénomènes. Le juste usage de la raison peut les ordonner et en tirer
inductivement des conclusions.
Induction : opération mentale qui consiste à remonter des faits à la loi, de cas
singuliers à une proposition plus générale.
Opp. Déduction: opération mentale qui consiste à décider ou trouver quelque chose comme
la conséquence de données préalables, par un raisonnement.
III - Un peu d'épistémologie
1 - Francis Bacon, Newton, Descartes (XVII)
L'approche inductiviste et la conception mécaniste
comme bases d'une méthode
La démarche inductive consiste à établir des principes généraux à partir d'un
certain nombre d'énoncés singuliers, établis empiriquement. L'inductivisme
affirme que le raisonnement ne saurait se suffire à lui même et pose
l'expérience concrète comme source de la connaissance.
Descartes et Newton, malgré leurs oppositions sur les explications du monde
qu'ils proposaient, sont tous deux défenseurs d'une conception mécaniste du
monde.
La conception mécaniste pose que les êtres de la nature sont comparables à
des machines
Empirisme : Théorie d'après laquelle toutes nos connaissances sont
des acquisitions de l'expérience (opposé à rationalisme; idéalisme)
III - Un peu d'épistémologie
1 - Francis Bacon, Newton, Descartes (XVII)
L'approche inductiviste et la conception
mécaniste comme bases d'une méthode
•
Selon Newton (inductiviste et empiriste), la science
se fonde sur trois principes:
principe de simplicité : a priori la nature est simple et il ne
faut pas faire plus d'hypothèses qu'il n'est nécessaire
pour expliquer les faits (rasoir d'Ockam)
principe d'uniformité : les mêmes causes produisent les
mêmes effets
principe d'induction : les propositions générales induites
des phénomènes et expériences (on va du particulier au
général) doivent être tenues pour vraies jusqu'à ce que
des phénomènes et expériences indiquent le contraire.
III - Un peu d'épistémologie
1 - Francis Bacon, Newton, Descartes (XVII)
L'approche inductiviste et la conception mécaniste comme
bases d'une méthode
•
Descartes (inductiviste et rationaliste) définit pour sa part une méthode en
4 points :
– douter jusqu'à ce qu'une évidence puisse sortir de ce doute
– diviser les difficultés autant qu'il est possible (réductionnisme)
– aller du plus simple au plus compliqué (mécaniste)
– vérifier que l'on n'a rien oublié
Cette méthode est réductionniste puisqu'elle fonctionne par étapes
successives, en évitant toute démarche globale.
Selon les tenants du réductionisme, il est théoriquement possible de
décomposer tout phénomène en d'autres phénomènes plus simples, et
donc de réduire l'étude d'un phénomène en l'étude de ces autres
phénomènes plus simples.
III - Un peu d'épistémologie
1 - Francis Bacon, Newton, Descartes (XVII)
Descartes est contradictoire : il
prétend (et arrive la plupart du
temps à) être rationaliste mais il
adopte une attitude inductiviste
dans sa démarche
réductionniste par exemple
dans certaines études de
physiologie
"le poisson est muet parce qu'il
ne possède pas de poumons".
III - Un peu d'épistémologie
1 - Francis
Bacon, Newton, Descartes (XVII)
• La critique de l'inductivisme
En Europe la mécanique newtonienne représente la vérité ultime du
monde.
Hume remet en cause l'induction : "à partir d'observations répétitives mais
forcément particulières, a-t-on le droit d'induire une loi générale?"
Exemples: l'oie et le fermier, un corps radioactif de "temps de demi-vie" très
long
Hume arrive même à démontrer, à titre d'exemple, que la théorie de la
gravitation ne peut se déduite logiquement des observations! (dans Popper)
Le raisonnement inductif qui généralise en loi les observations répétitives
n'est pas fondé sur la seule logique. Donc (raisonnement logique!) si la
logique est le domaine de la vérité, ce n'est pas le cas du monde
observable !
III - Un peu d'épistémologie
1 - Francis
Bacon, Newton, Descartes (XVII)
• la réponse de Kant (XVIII)
Emmanuel Kant cherche à produire une
épistémologie qui admette que la physique
newtonienne soit vraie absolument (17241804)
–
–
Il trouve la solution en affirmant que la nature telle
que nous la connaissons, avec son ordre et ses
lois, résulte en grande partie des processus
d'assimilation et de mise en ordre propres à notre
esprit.
“ Toute connaissance humaine commence avec
des intuitions, passe de là aux concepts
(catégories) et s'achève avec les idées (jugements,
affirmations)”
Intuition n. f. (sens pris ici) : forme de
connaissance immédiate qui ne recourt pas au
raisonnement
III - Un peu d'épistémologie
2 - Auguste Comte, John Stuart Mill (XIX)
• Auguste Comte, (1798-1857)
Influencé par Saint-Simon (1760-1825) qui était favorable à un "Conseil
des Lumières" constitué de savants, d’artistes, d’artisans, de chefs
d’entreprise capables de privilégier les faits et le fond plutôt que les
principes et la forme, approche "socialiste".
A Comte (le père de l'épistémologie moderne) fonde, avec son "Cours de
philosophie positive", le système du positivisme scientifique qui vise à
résoudre la question du développement, de la structure et de la fonction du
savoir dans la société.
Pour cela il énonce la loi des 3 états ("théologique ou fictif", "métaphysique ou
abstrait" et "scientifique ou positif"). Le troisième état ressemble à l'empirisme
et à l'inductivisme avec du social en plus! (on parle d'un "scientisme
optimiste").
A Comte établit une hiérarchie entre les sciences : les mathématiques
occupent le sommet, puis viennent l'astronomie, la physique, la chimie, la
biologie jusqu'à la sociologie (dont il est considéré comme le fondateur). On ne
sait où il place la médecine, si elle est prise en compte.
Scientisme n. m. : prétention à résoudre les problèmes philosophiques
et sociaux par la science
III - Un peu d'épistémologie
2 - Auguste Comte, John Stuart Mill (XIX)
Auguste Comte ira même jusqu'à proclamer la naissance d'une
religion positive fondée sur l'amour de l'humanité ou altruisme
considéré comme l'être suprême. (église à Paris, influence au
Brésil)
Pour A Comte, les questions de la métaphysique n'ont pas de
sens.
Métaphysique: recherche rationnelle ayant pour objet la connaissance
de l'être absolu (l'esprit, la nature, Dieu, la matière), des causes de
l'univers et des principes premiers de la connaissance »
III - Un peu d'épistémologie
2 - Auguste Comte, John Stuart Mill (XIX)
• John Stuart Mill (1806-1873), influencé par A Comte,
développe la "logique inductive" qui permet de conclure
des lois générales à partir de l'analyse de séries
d'événements donnés dans l'expérience et se
reproduisant régulièrement (c'est la définition même
d'une position inductiviste).
Paradoxalement, face à cette position scientiste et optimiste de
Comte et Mill, il faut se rappeler que ce siècle (le XIXe) est aussi
celui de
ƒ Marx (1818-1883, « Les philosophes n'ont fait qu'interpréter
le monde de différentes manières, ce qui compte c'est de le
changer ») et de
ƒ Nietzsche (1844-1900, « l'homme est la cause de ses
actes »).
III - Un peu d'épistémologie
3 - Contre le positivisme, Bachelard et Popper
• Le néopositivisme
début XXe, développement combiné des mathématiques, de la logique et de la philosophie.
Côté philosophie, projet de constitution d'un langage idéal, "parfaitement clair", du néopositivisme ou
empirisme logique du Cercle de Vienne héritier des Tractatus logico-philosophicus (1922) de
Wittgenstein (1889 - 1951).
Rudolf Carnap, (1891-1970) tente même de remplacer la philosophie par la science de la logique :
"lorsqu'un énoncé est invérifiable ou qu'il ne représente pas une tautologie, il est dénué de sens
pour la connaissance".
Paradoxalement, dans ce même groupe, Kurt Gödel montre que la logique a ses limites, …
Les néopositivistes du Cercle de Vienne veulent éliminer la métaphysique (qui est pour eux "un
ensemble d'énoncés dénués de sens"). Il s'agit d'aligner les "sciences de l'esprit" sur les sciences
de la nature, d'unifier la science...
Plus tard se développera la philosophie du langage ordinaire dont l'objet est le langage dans sa forme
effectivement employée ("ne pose pas de questions sur la signification mais sur l'usage" Carnap).
Bertrand Russell (1872-1970) finira par rompre brutalement avec cette philosophie analytique du
langage qu’il a contribué à créer. "Discuter interminablement sur la signification que des imbéciles
donnent à des imbécillités […] n'est certainement pas très important".
III - Un peu d'épistémologie
3 - Contre le positivisme, Bachelard et Popper
Bachelard et Popper, indépendamment, épistémologie moins affirmative et optimiste
(ruptures, falsifiabilité) quasiment inaperçue jusqu’en 1960, environ.
• Gaston Bachelard (1884-1962)
œuvre originale et forte sur deux versants : l'histoire des science et la
métaphysique de l'imaginaire. Dans le domaine des sciences, Bachelard
cherche à
– mettre en évidence les conditions épistémologiques du progrès scientifique,
– repérer les moments de rupture qui déterminent les avancées de la
connaissance et
– comprendre les mécanismes psychologiques qui interviennent dans le
processus de la recherche.
L'idée de rupture est en fait au cœur de l'épistémologie de Bachelard. Il
professe que la connaissance objective se développe non pas parce que
des problèmes propres à l'objet d'étude ont été résolus, mais grâce à des
victoires sur les obstacles épistémologiques (les entraves et résistances
internes à l'acte de connaître, par exemple l'opinion, la certitude immédiate).
III - Un peu d'épistémologie
3 - Contre le positivisme, Bachelard et Popper
• Gaston Bachelard (1884-1962)
III - Un peu d'épistémologie
3 - Contre le positivisme, Bachelard et Popper
• Gaston Bachelard
Selon Bachelard, l'histoire des sciences se décrit en trois étapes :
– l'étape pré scientifique (de l'Antiquité au XVIIIe)
– l'étape scientifique proprement dit (fin XVIIIe début XXe)
– le Nouvel Esprit Scientifique commence en 1905 avec l'établissement de la
théorie de la relativité restreinte.
Nouvel Esprit Scientifique: abstraction croissante (les symboles mathématiques lui donnent
sens).
Bachelard récuse l'approche cartésienne (des idées ou natures simples) au
profit d'une doctrine de la complexité (association "onde-corpuscule" et "espacetemps").
Il analyse les positions scientifiques anciennes à la lumière des nouvelles
données de la connaissance : "Le déterminisme est un postulat de la
Mécanique qui ignore une des conséquences de la relativité: l'état de
l'univers à un instant donné n'a pas un sens absolu" (Le nouvel esprit
scientifique, 1934).
Sur la couverture du nouvel esprit scientifique, il y a un sous-titre : "La
véritable pensée scientifique est métaphysiquement inductive"
III - Un peu d'épistémologie
3 - Contre le positivisme, Bachelard et Popper
• Karl Popper (1902-1994)
– Une vie peu commune (de juif autrichien à lord
anglais)
Fils d'un avocat Viennois, il côtoie Platon, Descartes,
Spinoza, Mill, Freud, Marx et Engels, il apprend le violon, le
piano (carrière de musicien abandonnée).
A l'université de Vienne (auditeur libre) il se cantonne aux
mathématiques et à la physique théorique et rencontre les
membres du Cercle de Vienne.
Successivement travailleur social, terrassier et apprenti
ébéniste, il enseigne au lycée les mathématiques, la
physique et la chimie.
Il émigre en 1937 en Nouvelle-Zélande afin de fuir le nazisme
puis obtient en 1946 un poste à la London School of
Economics qu'il occupe jusqu'en 1969.
III - Un peu d'épistémologie
3 - Contre le positivisme, Bachelard et Popper
• Karl Popper
– L'homme impliqué dans la pensée politique de son temps
Pacifiste, de sensibilité socialiste, ayant reçu le marxisme comme "un
des événements majeurs de [son] développement intellectuel" (comme
R Aron), Popper découvre, dès 1919, "le caractère dogmatique et
l'incroyable arrogance" du marxisme.
Ouvrage "La société ouverte et ses ennemis" (1945) fort bien accueilli
aux USA et en Angleterre et pour cause : il inscrit publiquement la
pensée de Marx dans une tradition métaphysique “totalitaire”
indifférence en France (Sartre?).
Popper dénonce l'imposture épistémologique du marxisme : il ne s'agit
pas d'une discipline scientifique au sens poppérien du terme
puisqu'elle repose sur des affirmations non réfutables (il utilisera les
mêmes arguments à l'égard de la psychanalyse freudienne).
III - Un peu d'épistémologie
3 - Contre le positivisme, Bachelard et Popper
• Karl Popper
– La logique de la découverte scientifique
Approche "psy" (Du problème de la méthode en psychologie de la pensée,
thèse de philosophie 1928) comme Bachelard, abandonnée
Puis étude de la logique de la découverte (1934 : La logique de la découverte
scientifique) publié par un membre du cercle de Vienne Popper vexé d'être
considéré comme un membre de ce groupe, en combat les idées (introdution à La
logique...).
Une conférence d'Einstein provoque le déclic : "Einstein était à la recherche
d'expériences cruciales dont les résultats positifs n'établiraient cependant pas
pour autant sa théorie, alors qu'une contradiction infirmerait sa théorie tout
entière. C'était, me semblait-il, l'attitude véritablement scientifique. Elle différait
totalement de celle, dogmatique, qui affirmait sans cesse avoir trouvé des
"vérifications" pour sa théorie préférée."
Expérience "cruciale": expérience dont le résultat peut remettre en cause
toute une théorie
III - Un peu d'épistémologie
3 - Contre le positivisme, Bachelard et Popper
• Karl Popper
Dans la Logique de la découverte scientifique, Popper développe
deux idées :
1) "il est vain de vouloir garantir le caractère scientifique d'un énoncé par
l'examen de sa signification (il s'agit manifestement d'un attaque
contre la philosophie du langage). Ce sont les théories et non les
énoncés qui importent. Le moment décisif de la découverte que ne
voit pas le positivisme c'est celui de la formulation de conjectures
audacieuses, souvent inspirées par des vues métaphysique sur
l'Univers." (selon Popper, l'intuition a ses sources ailleurs que dans la
pensée rationnelle, ce qui nous renvoie au sous-titre du Nouvel esprit
scientifique)
2) "une théorie ne peut être dite scientifique que si l'on peut en déduire
un énoncé singulier qui la réfuterait s'il était vérifié par un test
expérimental". Donc le caractère scientifique d'une théorie ne tient pas
à ce qu'elle serait vérifiée ou vérifiable, mais à ce que d'avance elle
s'expose au risque de se voir réfutée (ou falsifiée) par l'expérience.
III - Un peu d'épistémologie
3 - Contre le positivisme, Bachelard et Popper
• Karl Popper
Popper est "un provocateur méthodique» (Le Monde, 23 septembre 94) :
La spécificité de la science : construite et temporaire à l'opposé des idéologies non
réfutables expérimentalement.
Idem pour la démocratie : toujours capable de déposer un gouvernement opposée aux
pouvoirs despotiques ou totalitaires qui demeurent clos sur eux-mêmes.
Popper a proposé en épistémologie un rationalisme critique
juste milieu entre les deux extrêmes qui sont le positivisme qui inspire la mécanique
quantique et le réalisme tel que celui défendu par Einstein. (B Jarosson op.cité)
Positivisme : (rappel) l'hypothèse d'une réalité autre que celle qui est
observée est superflue et dépourvue de sens
Réalisme : (selon Jarosson) attitude du scientifique qui estime qu'une réalité
existe antérieurement à toute observation, que l'on appelle la "réalité en soi"
« … chacun a ses philosophie, qu’il soit ou non conscient du fait, et nos
philosophies ne valent pas grand chose. Cependant l’impact de nos
philosophies sur nos actions et nos vies est souvent dévastateur. Ainsi,
tenter d’améliorer par la critique nos philosophies est une nécessité. Ceci est
la seule excuse que je suis capable de donner à l’existence persistante de la
philosophie »
III - Un peu d'épistémologie
4 - Canguilhem, épistémologue de la biologie
George Canguilhem (1904-1995) philosophe et médecin, élève
de Bachelard, traque les valeurs faisant obstacle au développement
scientifique en biologie. Il s'interroge sur
–
–
l'étonnant opportunisme de la relation des vivants avec leur milieu,
l'originalité de cette présence au monde qu'on nomme la vie.
– Les rapports entre le vivant et la connaissance
Pour Canguilhem, la connaissance est une manifestation
spécifique, de la vie:
"La vie est formation de formes, la connaissance est analyse des
matières informées [à qui on a donné une forme, une structure,
une signification]."
"La pensée du vivant doit tenir du vivant l’idée du vivant."
"Nous soupçonnons que, pour faire des mathématiques, il nous
suffirait d’être des anges, mais pour faire de la biologie, même
avec l’aide de l’intelligence, nous avons besoin parfois de nous
sentir bêtes." (La connaissance de la vie).
III - Un peu d'épistémologie
4 - Canguilhem, épistémologue de la biologie
En étudiant l'histoire de la biologie ("le biologiste doit inventer sa technique
expérimentale propre" Claude Bernard Introduction à l'étude de la médecine
expérimentale), il montre certaines spécificités inhérentes à la biologie :
- conceptuelles
"Ce qui est certain, c'est que des valeurs affectives de coopération et
d'association planent de près ou de loin sur le développement de la théorie
cellulaire.”,
- méthodologiques
"… en biologie, la généralisation "logique" est imprévisiblement limitée par la
spécificité de l'objet d'observation ou d'expérience." (La Connaissance de la
Vie)
- techniques
exemple de la réparation des fractures :
chez le chien 3 étapes (cal conjonctif, cartilagineux puis osseux)
chez l'homme (la différence est liée à une meilleure immobilisation
thérapeutique en raison de l'acceptation de celle-ci par l'homme).
III - Un peu d'épistémologie
4 - Canguilhem, épistémologue de la biologie
Les problèmes que rencontre l'expérimentation sur le
vivant
• des problèmes liés à
– l’individualité des organismes :
"Pour permettre une comparaison entre un organisme modifié et un
organisme témoin, il faut disposer d’organismes aussi identiques
que possible. C’est pourquoi "certaines organisations scientifiques
élèvent des espèces de rats et de souris obtenus par une longue
série d’accouplements entre consanguins." Ces animaux sont en
quelque sorte des "artefacts"
– l’irréversibilité des phénomènes biologiques :
"… l’utilisation thérapeutique des substances anti-infectieuses a fait []
apparaître que les êtres microscopiques présentent, dans leur
relation avec les antibiotiques, des variations de sensibilité, des
déformations de métabolisme, et donc des phénomènes de
résistance et même de dépendance qui aboutissent paradoxalement
à ceci que le germe infectieux ne puisse vivre que dans le milieu
créé artificiellement pour le détruire."
III - Un peu d'épistémologie
4 - Canguilhem, épistémologue de la biologie
Canguilhem, l'épistémologue critique (voire ironique)
Au sujet du rapports entre les sciences:
"Il est certain qu'on doit attendre peu d'une biologie fascinée par le prestige des
sciences physico-chimiques, réduite ou se réduisant au rôle de satellite de ces
sciences. Une biologie réduite a pour corollaire l'objet biologique [] dévalorisé
dans sa spécificité. »
"Connaître c’est analyser. On le dit plus volontiers qu’on ne le justifie, car []
l’attention que l’on donne aux opérations du connaître entraîne la distraction
à l’égard du sens du connaître.
[] il arrive qu’on [le justifie] par une affirmation de suffisance et de pureté du
savoir. [Mais] savoir pour savoir, ce n’est guère plus sensé que manger
pour manger ou tuer pour tuer ou rire pour rire, puisque c’est à la fois l’aveu
que le savoir doit avoir un sens et le refus de lui trouver un autre sens que
lui-même.
[] Décomposer, réduire, expliquer, identifier, mesurer, mettre en équation,
ce doit bien être un bénéfice du côté de l’intelligence puisque c’est une
perte du côté de la jouissance. On jouit non des lois de la nature mais de la
nature, non des nombres, mais des qualités, non des relations mais des
êtres. Et pour tout dire, on ne vit pas de savoir.
III - Un peu d'épistémologie
5 - Conclusion
• L'enseignement de la science se fonde généralement sur trois
"prémisses" implicites : (+ une exigence: utiliser des mots dont le
sens a été précisé,des définitions, toujours des définitions!)
– la science est vraie
– la science est fondée sur les faits
– la science avance de façon cumulative.
• Ces prémisses, comme le reste de ce qui concerne la science,
peuvent toutes être discutées :
– à la lumière de l’épistémologie, il est clair que les deux premières sont
contradictoires,
– à la lumière de l'histoire des sciences nous avons vu que la troisième
est fausse, et à plusieurs reprises.
• Cependant, et c'est encore l'histoire qui nous l'enseigne, la remise
en cause de ces affirmations ne peut se faire que dans un cadre, luimême accepté par l'ensemble de la société.
IV - La pratique scientifique de nos jours
1 - Le credo du scientifique
• Aujourd'hui, pour être considéré comme un scientifique, on doit
1 - utiliser des mots dont le sens a été précisé (des définitions, toujours des
définitions!)
2 - donner la possibilité de réfuter les affirmations que l'on fait (problème
des "médecines douces")
3 - s'inscrire dans la recherche d'une cohérence dans notre représentation
de l'univers (de l'homme)
Ces exigences correspondent d'assez près à la définition donnée dans les
dictionnaires
Science : n. f. (Déf. du Robert)
-
-
ensemble de connaissances, de travaux d'une valeur universelle, ayant
pour objet l'étude de faits et de relations vérifiables, selon des méthodes
déterminées (comme l'observation, l'expérience, ou les hypothèses et la
déduction)
ensemble des connaissances générales (de qqn), savoir culture, érudition
savoir-faire que donnent les connaissances, l'expérience, l'habileté
art ou pratique qui nécessite des connaissances, des règles
IV - La pratique scientifique de nos jours
1 - Le credo du scientifique
• de plus, le chercheur mais aussi le citoyen (et donc le
politique) doivent se demander comment se positionne
la science par rapport à la société...
La technologie, voire l'opinion publique, peut être un moteur de la
science (le Téléthon est à l'origine une initiative de familles de
malades révoltés par la résignation de la science et de la médecine
face aux myopathies).
La publicité utilise comme argument de vente pour de nombreux
produits un caractère prétendument scientifique de leur production.
• sans oublier que la loi s'intéresse de près à l'éthique de
la science.
A ce titre, le chercheur comme le citoyen doit s'interroger sur la valeur
morale qu'il accorde à la science, quitte à se trouver en situation de
conflit (le nucléaire est-il un bon choix?)
IV - La pratique scientifique de nos jours
2 - Les "domaines" de la Science
Des domaines du savoir qui se donnent pour scientifiques apparaissent puis
disparaissent.
Pour juger du bien-fondé de ces prétentions, on peut évaluer un domaine :
• un domaine du savoir ne devient une science à part entière qu'à deux
conditions au moins :
– son objet doit être clairement cerné (c'est le cas en biologie) et défini (est-ce bien
le cas en biologie?)
– il faut disposer de méthodes rigoureusement adaptées à l'investigation de cet
objet.
•
il faut ajouter le critère de falsifiabilité de Popper.
mais (Bachelard) ne pas appliquer ces règles de façon trop stricte aux
domaines en cours d'émergence, ceux-ci, s'ils sont porteurs de découvertes
scientifiques, doivent déranger l' "ordre établi de la connaissance" et surtout
la conception que l'on a du monde.
Par exemple "La science se définit surtout par ses frontières ; et, aux frontières
de la science, tout est question. Les domaines les plus passionnants de la
recherche sont ceux où foisonnent les interrogations encore mal formulées."
Albert Jacquard. Ibid.
IV - La pratique scientifique de nos jours
3 - La science, une école de courage
La science est une pratique humaine
Le théorème de Gödel "dérange". Il démontre que, pas plus les mathématiques
que les autres champs de la science ne sont capables de nous procurer un
système parfait.
Les épistémologues démontrent qu’une vue métaphysique de l’univers participe
à la découverte scientifique.
Notre conception du monde doit donc inclure une part d'irrationnel,
mystique (supérieur à la raison) ou probabiliste (imprévisible au niveau
élémentaire mais obéissant encore à des lois simples au niveau statistique). (liste
pas exhaustive)
La société, aujourd'hui, semble faire le choix d'ignorer le problème en
prétendant que la connaissance scientifique est capable de nous procurer
un système parfait alors que "La connaissance consiste concrètement dans
la recherche de la sécurité." (Canguilhem)
Ceux qui ont fait avancer la science n’ont pas fait ce choix de la
sécurité.
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