A la découverte du biographe hospitalier

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A la découverte du biographe hospitalier
Centre national de ressources (http://www.spfv.fr/)
A la découverte du biographe hospitalier
A la découverte du biographe hospitalier
Publié le 08 sept. 2015 à 14h56
Valéria Milewski est biographe hospitalière dans le service
d'Onco-Hématologie des Hôpitaux de Chartres, doctorante en sciences du
langage à l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense,
praticien-chercheur, membre fondateur de l'association Passeur de mots,
passeur d'histoires [1]. Elle est également co-auteure de l'ouvrage « Récits
de soi face à la maladie grave » publié en 2014 chez l'éditeur
Lambert-Lucas.
Bonjour Valéria
Milewski, nous vous
remercions de cet
entretien.
La
démarche
de
A la découverte du biographe hospitalier
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biographe
est
expérimentée depuis
septembre 2007 dans
le service d'Oncologie
-Hématologie
du
Centre Hospitalier de
Chartres.
Pourriez-vous
présenter
en
quoi
consiste votre métier
de biographe ? Y a-t-il
des spécificités du
fait d'être en milieu
hospitalier ?
Bonjour, alors c'est assez
simple : mon métier consiste
à écouter, retranscrire et
écrire !
Ça, c'est le côté un peu
raccourci, je l'avoue. Sinon,
plus sérieusement, le principe
de la biographie hospitalière dans notre service - est de
proposer à des personnes qui
ne sont plus en situation
curative, de pouvoir raconter
des moments de leur histoire,
de remonter en quelque sorte
leur « fil à soi » et de recevoir
gracieusement
(eux-mêmes
ou un proche désigné) un très
beau livre retraçant leur récit
de vie (auquel on peut
adjoindre photos, dessins,
poèmes...).
Il est vrai que le fait que cette
démarche soit proposée au
sein
d'une
équipe,
d'un
service et dans le milieu
hospitalier
apportent
un
cadre,
une
réflexion
collégiale,
un
soutien
administratif
indispensables
et permet aussi d?entendre
des patients dire - lorsqu'ils
sont
en
entretien
biographique et que leur
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téléphone sonne par exemple
- : « Je te rappelle, je suis en
soin ». Ils l'ont intégré comme
tel parce que je travaille au
sein d'une équipe, nous
travaillons
tous
en
complémentarité
et
ils
l'intègrent
aussi
comme
faisant
partie
de
leur
« parcours de soins » (tout
comme les médecins de
l'équipe d'ailleurs).
La démarche peut aussi
permettre de vivre l'hôpital
autrement
(une
des
conclusions
de
notre
recherche qualitative) et la
gratuité, qui y est inhérente,
est loin de laisser indifférent !
D'où vous est venue
l'idée de ce projet
auprès des malades ?
Si je vous dis : un matin au
réveil, vous allez difficilement
me croire. C'est probablement
« mon équation personnelle »
comme
l'avait
très
judicieusement fait remarquer
notre ancienne psychologue
dans le service. Un moment
donné, une évidence. J'aimais
écouter,
j'écrivais,
j'aime
l'altérité et il me semblait de
manière très intuitive que de
se
délester
de
certains
paquetages avant de mourir
pouvait avoir une fonction,
tout comme de transmettre
ses mots, sa vérité (même si
elle est d'un seul jour).
C'est une envie et une
intuition qui m'ont poussé et
m'ont permis d'avancer, et
bien sûr la rencontre avec
cette équipe soignante de
Chartres.
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Comment la démarche biographique est-elle proposée aux patients?
Très souvent par l'intermédiaire d'un médecin de l'équipe même si parfois certaines infirmières ou
aides-soignantes la proposent également. En revanche, c'est rarement par le biais de nos petites
affiches présentes dans les chambres. C'est de l'humain à l'humain. C'est nécessaire de « sentir » le
bon moment pour aborder cette démarche, être dans un accompagnement réfléchi.
Parfois c'est assez simple : les personnes qui demandent l'euthanasie ou bien qui ont déjà attenté à
leur vie s'approprient très vite la proposition ; les jeunes parents également ; ou bien lorsque la
solitude envahit tout le reste ou que le besoin de bilan s'impose. Ce sont ces moments-là,
opportuns, qui vont être des déclencheurs pour le médecin et il va pouvoir aborder la démarche en
parlant de projet, d'imprévu, de bilan possible, de transmission (tout en s'étant renseigné au
préalable que j'ai de la disponibilité car je ne fais pas plus de 4 biographies simultanément) et il va
proposer une rencontre.
Et après, concrètement, comment se passe la rencontre avec le patient ?
Comment accueillez-vous sa parole et la mettez sur le papier ?
Je vais voir le patient une première fois pour me présenter, expliciter la démarche et pour qu'il voit
« à qui il a à faire ». Tout comme pour moi d?ailleurs, il est important de prendre ce temps
« d'apprivoisement ». En général après cette première fois, je lui laisse quelques heures pour
réfléchir, pour apprécier son envie, parfois pour en parler à ses proches. Puis je repasse le voir ou
bien le médecin qui lui a proposé la biographie, et il nous fait part de sa décision. S'il est d'accord je
commence, et s'il refuse (ce qui est assez rare à ce stade) je passe mon chemin.
Si le patient a accepté, le premier entretien va souvent donner le La. J'arrive avec plusieurs cahiers,
il choisit celui qu'il préfère, c'est son cahier. Je m'assieds sur une chaise près de lui en chambre ou
bien nous nous retrouvons dans mon bureau s'il vient en hdj (hospitalisation de jour) et puis nous
commençons la séance. Je lui pose quelques questions pour donner l'élan puis très vite la personne
prend le relais. Je n'enregistre pas mais prends un maximum de notes puis je retranscris et remets
en forme tout en conservant la syntaxe, le débit, les silences, la « géographie personnelle » de la
personne. Certains patients auront besoin de 6, 7 séances (d'une durée moyenne de 45 mn),
d'autres de beaucoup plus. Certains ne feront qu'un seul entretien car elles vont mourir rapidement.
Si la personne n'a pas eu le temps de corriger (ce qui est le plus fréquent, la maladie l'emportant), il
revient au biographe - il me revient donc - d'être au plus juste de ce qui a été donné tout en étant
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dans une sorte d'écriture « éthique » envers celui qui est parti et pour ceux qui restent également.
(mention photo Ulrich Stefan)
En général, quels sont
les thèmes abordés
par les patients ?
Les thèmes de la vie :
l'enfance, la jeunesse, les
parents, grands-parents, la
fratrie, l'école, les études, le
métier,
les
rencontres
amoureuses, les enfants, les
petits-enfants, les voyages,
les animaux domestiques, le
jardin, la musique.
Parfois
la
religion,
la
culpabilité d'avoir été peu
présent
pour
la
famille,
parfois
des
messages
politiques, d'amour aussi...
Quels types de liens
se tissent entre vous
et le patient ?
Comme dans toute relation,
cela dépend.
Avec certains, une complicité
s'instaure assez vite et du
plaisir à se retrouver, avec
d'autres la tâche est plus
subtile. J'ai pu remarquer
cependant que lorsque les
débuts sont à tâtons, où le
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temps doit se prendre avant
que la parole soit plus libre,
les échanges sont - in fine très riches, les personnes
cheminent,
cheminent
et
généralement on est surpris
de part et d'autre de là où
nous sommes arrivés.
Qu'apporte le récit de
vie à une personne en
soins palliatifs ?
La question est tellement
essentielle et au c?ur de la
démarche que nous avons
décidé d'entreprendre une
recherche qualitative avec
l'aide de la Fondation B.
Braun et la Fondation MACSF
pour pouvoir y répondre et
aller au-delà de nos intuitions.
Aujourd'hui ce que nous
sommes en mesure de dire
c'est que souvent cela remet
au centre la notion d'espoir,
permet à la personne de
retrouver une place au sein
de sa famille, au sein de la
société. Les infirmières disent
fréquemment
que cela lui
« permet de tenir jusqu'au
bout » ou de « retrouver goût
à la vie » (la toilette est plus
facile, le tempérament moins
ombrageux...).
Si
les
paramédicaux parlent d'un
nouveau soin de support, les
médecins parlent d'un « soin
spirituel » pouvant répondre à
certaines
questions
qui
surgissent souvent à ce
moment-là de la vie.
Pour ma part, il me semble
que le récit de vie peut
apporter une sorte de preuve
(comme
bien
d'autres
démarches)
que
chaque
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individu
est
unique,
exceptionnel
de
par
sa
singularité et vivant jusqu'au
bout...tout
simplement...même
si
d'aucuns parlent d'un outil
pour redonner du sens à une
vie...probablement...mais
la
vie n'est-elle pas sens en soi ?
Je note juste que les
personnes faisant leur
« autobiographie avec un
tiers » semblent plus apaisées
et cela me va... sans oublier
qu'elles sont plus apaisées
parce-que toute une équipe
est là pour les accompagner,
de l'ASH au médecin. Sans
équipe pas de biographe.
A qui les patients
destinent-ils ces
témoignages de leur
vie ? Quand la
biographie est-elle
transmise et sous
quelle forme ? Quel
retour avez-vous des
bénéficiaires ?
Très souvent et dans un
premier temps, les patients
destinent leur biographie à
leurs
proches
(épouse,
enfants, petits-enfants) pour
transmettre un vécu et ne pas
être oublié. Dans un second
temps
le
besoin
de
transmission laisse le pas au
besoin du bilan, besoin de se
retourner, peut-être même de
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se réinventer « soi-même
comme un autre » aurait dit
Ric?ur - poète et philosophe
phénoménologiste
français
contemporain - parce celui
qui a vécu n'est pas le même
que celui qui raconte.
Certains patients ont le désir
de recevoir le livre de leur
vivant, pour le voir, le
toucher, le lire, l'offrir, mais
après
presque
8
ans
d'activité, je m'aperçois que
pour une majorité c'est bien
le processus qui prime. Non
pas le fait d'arriver en haut de
la montagne mais bien de la
gravir. Il est très rare que la
personne reçoive son livre qui
sera remis de longs mois, de
très longs mois après son
décès
à
une
personne
désignée.
Le
livre
peut
devenir alors un véritable
objet de construction et non
pas un objet de mort car le
temps a déjà fait son office. Et
c'est toujours un moment fort,
une remise de livre. Nous
nous
retrouvons
le
plus
souvent dans la cafétéria de
l'hôpital autour d'une boisson
chaude, j'écoute la vie qui a
passé tant bien que mal,
j'accueille les larmes si elles
arrivent puis vient le moment
où je remets un joli sac coloré
contenant le livre entouré de
papier de soie, un CD avec le
texte, le cahier de notes si
possible, les photos. Je ne
conserve rien, c'est dans la
fonction du Passeur(1). Il y a
ceux qui ouvrent le livre, ceux
qui le conservent sur le c?ur,
d'autres qui le regardent avec
tendresse ou appréhension
(voire les deux à la fois !).
Et puis le temps passant
certaines familles m'écrivent,
m'appellent, reviennent nous
voir... ou pas.
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Parfois
j'en
accompagne
certaines pendant des années
et d'autres ne donneront plus
de signe...
Je ne sais jamais, chaque
situation est singulière.
En quoi cette
démarche fait-elle
sens pour les
soignants ?
C'est vrai que la première fois
que j'ai entendu les médecins
dirent haut et fort qu'ils
défendraient coûte que coûte
ce projet auquel ils croyaient
parce qu'ils voyaient les
bénéfices pour leurs patients,
pour les familles et d'ajouter
que c'était un soin pour toute
l'équipe, j'en ai été touchée et
un peu abasourdie !
Souvent je les ai entendu dire
que ce qui faisait sens, c'était
de pouvoir montrer à leurs
patients qu'ils étaient bien
plus qu'une maladie, un
malade, qu'ils étaient des
individus à part entière et
qu'on les considérait comme
tels, la preuve : on leur
proposait
même
un
biographe pour prendre soin
de leur histoire. Ce qui fait
sens pour les soignants c'est
d'être dans la loyauté, la
continuité, le non abandon et
de tenter de redonner une
certaine unité voire unicité à
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la personne. Comme l'a si
bien dit Ric?ur - je suis un peu
fan ! - , « inviter le narrateur à
faire le récit de sa vie, c'est
l'inviter à donner de la
cohérence, de l'unité et du
sens à sa vie », si on remet
ceci dans notre contexte,
c'est éloquent !
Et puis de s'extraire de la
clinique pour réfléchir tous
ensemble, de faire une place
à une « non soignante » (je
n'ai pas de diplôme de
soignant), de laisser aussi une
place à la créativité, tout ça
permet aussi aux soignants
de rester vivants dans un
contexte rude et d'écarter le
risque
d'épuisement
professionnel (cf le mémoire
de DIU Soins Palliatifs de
l'ancien cadre de santé sur la
démarche de la biographie
comme une réponse contre le
burn-out : perception et
incidence d'une démarche de
biographie dans un service
d'Onco-Hématologie
par
Virginie Trouillet).
Quel bilan tirez-vous
de ces 7 années
d'expérience ? Quels
sont les bénéfices
d'une démarche
biographique, les
limites ou difficultés
éventuelles ?
Je suis contente que vous me
posiez une question sur les
limites car trop souvent on a
tendance
à
idéaliser
la
démarche. Comme dans tout,
apparaissent, s'imposent ou
sont
inhérentes
à
la
démarche des limites bien
réelles. Par exemple, ne
travaillant pas plus de 4
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biographies
simultanément
(soit environ une douzaine de
biographies
annuelles
et
rétrospectivement
une
douzaine de livres par an
c'est déjà quelque chose !),
certaines
personnes
ne
peuvent commencer la leur.
Une autre limite, même si la
personne a des absences, est
que les facultés cognitives
soient préservées. Je ne me
déplace pas non plus à
domicile
(mais
je
peux
continuer ce qui a été
entrepris par téléphone ou
par skype), je ne peux
m'adresser
qu'à
des
personnes parlant le français
et
probablement
encore
beaucoup d'autres limites car
autant, le plus souvent les
patients et leurs familles sont
comblés, autant on peut être
déçu du contenu d'un livre, si
l'on attend des révélations,
des mots d'amour...qui ne
sont pas au rendez-vous.
Finalement ces 7 années
m'ont appris à ne m'attendre
à rien pour être prête à tout,
car tout nous a très
largement dépassé ! Et aussi
à continuer d'avancer à notre
rythme, pas à pas et selon
nos convictions. Nous
n'aurions jamais imaginé, au
tout début lorsque j'ai
commencé, que la démarche
connaîtrait cet écho.
Aujourd'hui des directeurs
d'hôpitaux m'appellent pour
me demander des Passeurs,
c'est juste formidable ! Qui a
dit que la médecine
humaniste était d'un autre
temps ?
L'objectif de cette recherche est double : définir les incidences et spécificités de la biographie
hospitalière auprès des patients gravement malades, des proches et des soignants dans un service
d'onco-hématologie mais aussi de pouvoir répondre à une question centrale « est-ce un soin » ? Et je
dois vous dire, entre nous, que si pour l'équipe soignante c'est évidemment un soin, de mon côté
j'émets encore quelques résistances. Nous en reparlerons dans 10 ans, il faut encore que je
comprenne deux, trois choses. Peut-être après ma thèse !
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Cette recherche nous permet surtout de sortir de nos bonnes intentions et intuitions faciles et
d'asseoir une démarche. C'est d'ailleurs grâce à l'Observatoire National de la Fin de Vie et à Serge
Daneault, Professeur dans un service de soins palliatifs au Québec et chercheur réputé, que nous
avons pu être formé à la recherche qualitative en soins palliatifs et nous tentons de faire bon usage
de tout ce que nous avons appris.
Il nous tarde tous, le comité de recherche avec ses psychologues, médecins, cadre de santé,
éthicienne, biographe, et le comité scientifique national, de mieux comprendre, ce qui au départ
était de l'ordre d'une idée « bête comme chou » aurait dit ma nounou, et qu'aujourd'hui les
Allemands, les Russes, les Canadiens nous invitent à dupliquer chez eux. D'ailleurs la démarche
continue sur sa lancée et plusieurs autres hôpitaux en France ont leur « Passeur » formé grâce à
l'expérience de plusieurs années et soutenus par l'équipe. C'est le cas au CHU de Pontoise, au CH de
Pont-Audemer, au CHU de Nantes, bientôt à l'Oncopôle de Toulouse, au CHU du Mans et c'est bien là
l'essentiel, que l'histoire continue de s'inventer...
(1) [2] Association Passeur de mots, passeur d'histoires [2]
Propos recueillis par Sophie Ferron, assistante-documentaliste au CNDR Soin Palliatif
Source URL: http://www.spfv.fr/node/2859
Liens:
[1] http://www.passeur-de-mots.com/
[2] http://valeria-milewski.com/
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