John Ogbu Anthropology of education International Encyclopedia of Education, 1985 p.276-298 Traduction Pierre Clanché Sommaire (les n° de pages sont ceux de la traduction excepté pour la bibliographie; la pagination du texte original est indiquée entre crochets dans le cours de la traduction) 2 1. Fondement historique 2 1.1.La période utilitaire : l’école considérée comme problème social 5 1.2.Emergence de l’Anthropologie Educationnelle en tant que discipline académique 10 2. Buts, méthodes, et structures 10 2.1. Buts 11 2.2. Méthodologie 13 2.3 Cadres théoriques 14 2.3.a Une quête de modèles 14 2.3.b Un modèle instrumental (Spindler) 15 2.3.c Les modèles de transaction (Gearing) 17 2.3.d Modèle interactionnel / interprétatif. 17 2.3.d.i Mc Dermott et l’organisation des relations sociales dans la classe 18 2.3.d. ii Gumperz et les stratégies communicatives différentielles. 19 2.3.d. iii Fonctionnalisme structural (néo-marxisme) 20 2.3.e Les méthodes écologiques (G. Ogbu) 22 3. Champs d’études indépendants 23 3.1. Evolution de l’Education 26 3.2. Le milieu socioculturel des écoles 26 3.3. Liens avec les autres institutions 3.4. Continuités, discontinuités et éducabilité, relation maison/communauté 29 scolaire, valeurs, langage et communication, cognition, motivation 32 3.5. Education et changement social 34 4. L’avenir 293 Bibliography ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 1 [276] L’anthropologie éducationnelle renvoie à des théories, méthodologies, questions, intérêts et approches de diverses disciplines telles que l’anthropologie, la sociolinguistique, l’ethnomethodologie et l’interaction symbolique. Mais des problèmes surgissent dans la mesure où certains EA (Anthropologues de l’Education) traitent l’éducation comme un sujet de recherche fondamentale alors que d’autres sont plus engagés vers la «recherche appliquée » (improvement research) (Education et Anthropologie à Stanford, Spindler 82). Face à cette situation, il n’existe pas encore de consensus établi dans ce nouveau champ. Cet article met l’accent sur l’éducation comme sujet de recherche fondamentale ; il est divisé en quatre sections : fondements historiques ; buts, méthodes et structure théorique ; champs d’études indépendants ; et perspectives futures. 1. Fondement historique. 1.1.La période utilitaire (service-oriented) : l’école (schooling) considérée comme problème social L’histoire de l’anthropologie de l’éducation ou anthropologie éducationnelle [à partir de maintenant EA dans notre traduction] se présente sous deux dimensions, dimension de service et dimension académique. La dimension de service remonte aux dernières décades du dix neuvième siècle. L’histoire de la dimension académique est plus brève parce que les anthropologues [à partir de maintenant A dans notre traduction] n’ont pas, dans les débuts, considéré l’éducation formelle ou schooling comme un thème digne d’une investigation intellectuelle sérieuse par comparaison avec la famille, le langage, la religion ou l’économie de subsistance (Diamond 71, Roberts 76). Ils on plutôt voulu constituer un savoir anthropologique sur la culture et sa transmission, destiné aux éducateurs et planificateurs ayant à faire avec «l’éducation indigène (native education) » dans les sociétés coloniales, aussi bien qu’avec les migrants et les minorités dans leur propre société. A cela se rattachait le soucis des A de réfuter ce qu’ils considéraient comme des idées fausses sur les capacités intellectuelles et d’apprentissage des populations non occidentales, ainsi que celles des minorités, des immigrants et des classes inférieures (lower class) dans les sociétés occidentales. Dans ce contexte les A considéraient l’éducation formelle comme un problème social. [277] Les A critiquent d’une manière caractéristique les éducateurs pour leur ignorance de la culture de ceux à qui ils ont à faire (their clients). Mais la manière dont un A particulier définit le problème de la transmission culturelle ou de l’éducation, et la solution qu’il ou elle propose, dépend de son «école » de pensée. Par exemple, Hewett (1905), influencé par l’évolutionnisme spencerien, attribue les problèmes éducationnels des immigrants, des Indiens d’Amérique et des «natifs » des Philippines, au fait que les écoles les forçaient à apprendre unz culture anglo-américaine «plus élevée (higher) ». Il recommandait par conséquent que les écoles devaient essayer de comprendre les fondements culturels de ces populations et proposer une éducation multiculturelle. A l’opposé, la perspective théorique de Boas (28) met l’accent sur le relativisme culturel : il rassemble des données anthropologiques physiques et culturelles pour avancer l’idée ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 2 que les différences de performances scolaires étaient dues aux différences culturelles et non à des différences biologiques ou géographiques. Malinowski pour sa part rejette l’affirmation selon laquelle les résultats inférieurs des Africains aux tests de QI montrent avec évidence qu’ils étaient intellectuellement inférieurs aux européens, faisant remarquer que les Africains avaient des résultats inférieurs aux tests parce qu’on leur offrait une scolarité inférieure. Dans sa perspective fonctionnaliste, il recommande aux éducateurs de préserver les cultures d’origine et de n’enseigner une école formelle que pour les indigènes devant avoir des contacts avec les Européens. Pratiquement, aucun des anthropologues de cette époque n'étudiait alors l’éducation formelle d’un point de vue ethnographique. Dans les années 50, quelques anthropologues commencent à étudier l’école. Un de ces pionniers est Spindler à Standford qui participa à un projet interdisciplinaire étudiant comment les enseignants et les membres de l’administration interagissaient entre eux et avec les élèves «dans les cadres naturels (natural setting) de l’école et de la communauté » (Spindler 63). Dans ces mêmes années 50, les autres pionniers étaient Henry aux Etats Unis (57), Brameld à Porto Rico (58), Wylie en France (57), et Read en Afrique (55). Les résultats de leurs recehrches étaient généralement publiés dans des revues qui n’étaient pas des revues d’Anthropologie. A cette période, un facteur important de promotion de l’établissement de relations entre Anthropologie et Education fut la conférence réunissant A et éducateurs soutenue conjointement par l’American Anthropologist Association, la School of Education et le département d’A de Stanford. Le résultat de cette conférence fut la publication du premier recueil de textes sur le thème A et éducation, Éducation and anthropology (Spindler 1955). Dans les années 60 trois événements entraînent et l’engagement des anthropologues dans les problèmes scolaires, et le développement d’une anthropologie éducationnelle considérée comme un sous champ de l’anthropologie : Le premier est la crise sociale et politique que les Etats Unis ont eu à affronter dans les années 60. On fit alors appel aux anthropologues pour contribuer à la solution des problèmes éducatifs de la nation, spécialement ceux affectant les pauvres et les minorités. Quelques A commencèrent à s’interroger sur la place de l’éducation dans un espace de crise sociale et politique, spécialement auprès des pauvres et des minorités pour qui les écoles étaient des «institutions étrangères (alien)». Pour répondre à cette question et d’autres qui lui sont reliées, Stanley Diamond initia le Culture of the School Study Project en 1963. Un des objectifs de ce projet était de produire une critique Anthropologique ainsi qu’une bibliographie de l’éducation ; un autre était d’organiser des réunions sur des thèmes (issues) spécifiques concernant le rôle des écoles dans les troubles sociaux et politiques. Les premiers résultats furent présentés au « United States Office of Education » en 1966, et certains des résultats de cette recherche furent intégrés avec des textes postérieurs et publiés sous le titre Anthropological perspective on education en 1971 sous la direction éditoriale de Wax, Diamond et Gearing. Les auteurs des textes de ce volume représentaient une section transversale (cross-section) des A. Le second facteur encourageant l’AE dans les années 60 fut la nécessité de répondre à la conception erronée de la culture défendue par les psychologues de l’education et ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 3 d’autres, et les applications tout aussi erronées qui en est faite. Ceux-ci définissaient la Culture en terme de traits matériels et sociaux. Ils voulaient comparer une liste de traits qu’ils pensaient devoir constituer la culture de la classe moyenne (ou bourgeoisie) blanche avec les listes des autres groupes. Ils en concluaient alors que les enfants des minorités et ceux de la classe inférieure (ou classe populaire) à qui il manquait des traits de la culture de la classe moyenne blanche, étaient «culturally deprived ». Les anthropologues ont critiqué cette théorie de la déprivation culturelle sur ses fondements conceptuels, méthodologiques ainsi que sa validation, déniant l’idée qu’un ensemble de traits constitue une culture (Valentine 68). Ils n’hésitèrent pas à défendre les revendications des minorités en soutenant que s’ils échouaient, c’était probablement parce que les écoles n’utilisaient pas leur culture pour enseigner, apprendre et évaluer. Les A proposèrent le terme de «discontinuités culturelles » comme une alternative à l’explication de l’échec des minorités scolaires. Les efforts des Anthropologues pour introduire l’anthropologie dans le cursus des publics schools constituent le troisième facteur encourageant le développement anthropologique en éducation dans les années 60. Pour faire progresser l’enseignement de l’A dans les public schools, l’AAA a mis sur pied à la fin des années 50 un comité d’étude pour développer et diffuser des programmes d’anthropologie. L’Association voulait rendre l’anthropologie plus visible dans le programme des high-school. Au même moment, le Education Development Center de l’Université de Harvard commençait aussi à développer des programmes pour les upper elementary-school grades. [278] D’après Gearing (73), les deux projets produisaient ce que les A considéraient comme des programmes convenables – «programme empirique sur l’Homme (empirical Mankind curriculum) » - destinés à une bonne transmission du message anthropologique aux étudiants du niveau pre-universitaire (precollege-level). Le cours du Educationnal development Center intitulé L’Homme : un objet d’étude (Man : a Course of study) et destiné aux grades «upper-elementary, pose explicitement la question, «qu’est-ce l’humain pour tous les humains ? (What is human about all humans ?) » La façon de concevoir le cours était d’aider les étudiants à découvrir la réponse à la question en les guidant «par une vision large et exhaustive d’une petite communauté, les Esquimau Netsik, principalement au travers d’un film sans commentaire (unnarrated) et avec son naturel » (Gearing 73). D’autre part, le projet de programme d’étude anthropologique destiné aux hight school students (grades 8-12) et intitulé Modèles en Histoire Humaine (Patterns in Huma History) avait pour objet de répondre à la même question : qu’est-ce qui est humain dans tous les humains, mais d’une manière plus précise. Précisément, le programme observe «de manière analytique un échantillonage de communautés humaines, proches et étrangères, choisies pour leurs contrastes dans la taille et la structure – qui paraissent adaptée à l’analyse pour ce niveau d’étude. » Les A ne se contentèrent pas de construire des programmes pour les élèves des public schools et de fournir des livres du maître (teaching guide) pour les enseignants ; Ils menèrent également des études ethnographiques sur l’implantation du programme et ses effets dans quelques écoles choisies. Ces études furent publiées plus tard, diffusées ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 4 et utilisées pour le perfectionnement et la promotion de l’Anthroplogie dans l’école publique. L’introduction d’un programme d’Anthropologie dans les public schools a eu quelques effets repérables. Par exemple elle a augmenté le nombre d’enseignants des publics schools s’intéressant à l’anthropologie. Dans certaines villes ces enseignants se sont eux-mêmes organisés en associations qui ont recherché activement la coopération d’A professionnels et essayé de se mettre à jour dans le développement du champ anthropologique. Les progrès de l’investissement anthropologique dans l’éducation ont culminé avec la création du Council on Anthropology and Education en 1970. L’objet en était de rassembler le nombre croissant d’A concernés par les problèmes d’éducation, et les non A intéressés par l’application des approches anthropologiques de ces problèmes. Le Council a aussitôt lancé une lettre d’information qui a en 78 accédé au statut de revue l’Anthropological and Education Quarterly. En plus, le Council a lancé divers projets et constitué de nombreux comité pour étudier divers sujets, comprenant l’étude anthropologique de l’école et de la culture, les études cognitives et linguistiques, l’enseignement de l’anthropologie, les questions de minorités, et la formation des enseignants et la production des cours. Ces comités ont non seulement maintenu vivant l’activité de l’EA mais ils ont été également opératoires dans la promotion de l’étude de l’éducation en tant que problème anthropologique et académique (Gearing, 73, Linquist 71). 1.1 Emergence de l’Anthropologie Educationnelle en tant que discipline académique Des recueils de textes avaient été publié (Spindler 63, Kneller 65) ainsi que quelques recensions dans la Review of Educational Research dans les années 60 Bramed & Sullivan 61, Wolcott 67, Sindell 69), mais la plupart des A seraient d’accord pour dire que l’EA n’existe pas en tant que sous-champ académique avant 1970 (Diamond 71, Lindquist 71, Roberts 76). Ainsi, après avoir recensé une littérature anthropologique extensive sur l’éducation, Linquist (71) affirmait en 71 que, parce que «il n’existe pas à présent de champ autonome A et Education, il est difficile d’établir avec un certain degré de clarté ce qui constitue la base des travaux dans le champ ». Il en arrivait à dire que, ne pouvant trouver de fil conceptuel le long duquel il pourrait organiser son résumé, il avait eu recours à «des thèmes récurrents » tel que l’élitisme, l’éducation des minorités, la planification éducationnelle, la coupure (split) rural-urbain, l’attachement national vs l’attachement local, le chômage. Plusieurs raisons expliquent que les A n’aient pas sérieusement considéré l’éducation comme un champ de recherche systématique avant 1970. - L’une d’entre elles est que les sociétés étudiées par les A n’ont pas institutionnalisé le schooling (Roberts 76). - Une autre explication, avancée par Diamond (71) est que, pour les A, étudier l’école comme agent de changement dans les sociétés coloniales, va à l’encontre de leur orientation majoritairement structuro-fonctionaliste. De plus, dans leurs propres ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 5 sociétés, les A assument généralement le rôle d’avocats pour l’amélioration de l’éducation des minorités, des immigrants et des classes inférieures. Dans ces circonstances, des études menées par les A dans le champ de l’éducation étaient essentiellement a-théoriques (atheoric) (Roberts 76). En fait, dans son recensement du livre composé d’articles sur l’éducation publiés à la fin des années 60 (Wax & al. 71), Foster (71) notait que les A n’avaient pratiquement pas fait de progrès conceptuels ou circoncis un champ dans l’éducation depuis 16 ans, date de la publication en 1955 (Spindler 55) du premier ouvrage sur les relations entre A et éducation. Avant que, dans les années 70, soient pris en considérations les facteurs directement enregistrables en faveur de l’émergence d’une EA académique, on pouvait remarquer l’influence basique du sous champ de l’A : culture et personnalité. Bien que la plupart des A recueille auprès des peuples qu’ils étudient, des données sur les pratiques d’éducation familiale des très jeunes (child-rearing) et de transmission culturelle, c’est le courant anthropologique ‘culture et personnalité’ qui, par tradition, a systématiquement abordé ce sujet. [279] Dans l’attente d’une détermination de l’influence de la culture sur les pratiques d’éducation familiale et, en retour, de l’influence de ces dernières sur la formation de la personnalité dans diverse culture, le courant ‘culture et personnalité’ a fait de la transmission culturelle une catégorie culturelle pouvant être étudiée systématiquement de la même façon que les A étudient la famille, la religion et l’économie de subsistance (voir Kneller 65, Linton 45, Mead 28, 35, Whiting 38). Cette approche comparative permettait à ce courant de voir comment les valeurs normatives et les attentes comportementales des différentes cultures influencaient les façons dont les membres des cultures organisaient l’éducation et la croissance de leurs enfants. En même temps, le courant ‘culture et personnalité’ découvre certains universaux de la transmission culturelle grâce aux comparaisons cross-culturelles (Kneller 65). Quelle est, de manière spécifique, la contribution des études ‘culture et personnalité’ à l’émergence du sous champ de l’EA ? D’abord, la majorité des pionniers de l’étude du schooling comme problème anthropologique viennent du courant ‘culture et personnalité’ (p.x. Gearing, Henry, Herzog, Spindler). Ensuite, en termes de contenu, l’éducation est considérée comme une transmission culturelle, dont le schooling n’est qu’une forme particulière (Singleton 74). Et, en troisième lieu, l’EA a hérité du courant ‘culture et personnalité’ une forte orientation comparatiste. Les EA affirment que les généralisations sur le schooling étaient basées sur des études comparatives ou cross-culturelles ; ils affirment aussi que, pour appendre ce qui est bon ou mauvais à propos du schooling dans les sociétés modernes, il est nécessaire d’étudier les institutions éducationnelles et des procédés dans d’autres types de sociétés (Middelton 70) aussi bien la transmission culturelle chez les primates et les sociétés nomades (Herzog 76). Les événements le plus directement responsables de l’émergence, dans les années 70, de l’EA en tant que discipline académique sont au nombre de trois. Deux d’entre eux ont déjà été mentionnés en relation avec la recherche aux Etats Unis, précisément les activités de diverses commissions au sein du Council on Anthropology and Education et la création de Anthropology and Education Quarterly. Le stimulus le plus ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 6 important pour le développement de l’EA académique a peut être été la nécessité de répondre à la recherche éducationnelle conventionnelle (voir Education and Anthropology at Standford 77, Kimball 73, Mc Dermott & Hood 82, Mehan 80, Valentine 68). Les A ont réagi face la recherche éducationnelle avant 70, et leurs réactions ont conduit à définir des champs autonomes, trouver les concepts appropriés aux sujets discutés et même en tirer quelques analyses culturelles de l’éducation et prendre en considérations les liens entre l’éducation et les d’autres institutions (Roberts 76). Mais c’est dans les années 70 que leurs observations prirent une plus grande signification et stimulèrent un développement plus théorique du sous champ. Mc Dermott & Hood (82), Spindler (82) et Wax (71) parmi d’autres se sont efforcés de résumer les postures anthropologiques et les réactions à la recherche éducationnelle classique. En bref, ils considèrent comme irrecevables les propositions suivantes provenant de la recherche éducationnelle classique : (a) Qu’une liste de traits constitue une culture (b) Que les écoles sont tout d’abord des bureaux (agencies) de transmission de l’éducation formelle (c) Que les buts de la bureaucratie (bureaucracy) scolaire sont les mêmes que les buts éducationnels de la société (d) Que les élèves peuvent être étudiés correctement quand ils sont traités comme des individus isolés. (e) Que les problèmes de l’apprentissage sont situés «à l’intérieur de la tête » de l’enfant considéré individuellement ; et (f) Qu’un projet (design) de recherche n’a pas besoin d’inclure ce qui se passe actuellement dans l’école et ou dans la classe et n’a pas besoin d’inclure le point de vue des participants. Il n’était pas inhabituel, dans les années 60 et au début des années 70, de voir les théoriciens de la deprivation culturelle ne pas aller au-delà de : [i] la liste des indicateurs de pauvreté (p.x. le manque d’éducation, le chômage, de mauvaises conditions d’habitat), [ii] les échecs de l’organisation sociale qui discriminait la classe pauvre de la classe moyenne blanche (p.x. la grande influence du monoparentalisme, les mères chefs de famille), [iii] la comparaison de chaque comportement quotidien des pauvres avec celui des classes moyennes (p.x. le fait que la famille ne soit pas réunie pour les repas, que les enfants de bas âge se voient confié des responsabilités et que les parents ne lisent pas à leurs enfants où ne leur parlent pas de la même façon que les parents des classes moyennes). Les A rejettent cette approche de la culture comme liste de traits ; ils avancent l’idée qu’elle ne fournit pas un guide suffisant pour trouver la source des problèmes éducationnels des enfants et qu’elle ne propose pas de remèdes effectifs (Valentine, 71) Les chercheurs conventionnels pensent très souvent que les écoles sont tout d’abord des « agencies » pour l’éducation formelle. Cela leur évite d’étudier les écoles de la même manière qu’ils étudient d’autres institutions comme la famille. Au contraire Les A estiment que les écoles doivent être étudiées pour elles-mêmes et en relation avec les liens qu’elles entretiennent avec d’autres institutions. Kimball (73) met en avant le fait ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 7 que, depuis que l’école s’est substituée à la famille dans la préparation de l’enfant pour le monde du travail et la responsabilité sociale, il est nécessaire d’étudier comment l’éducation est modelée par les demandes ordinaires (current) de la base économique et sa superstructure. Il n’est pas suffisant de «centrer la recherche sur ce qui advient dans la classe pour penser que chacun doit absolument changer ce qui se passe dans la classe, dans le but d’obtenir un bon système éducatif» ou de penser que «ce qui se passe dans la classe peut être changé simplement en réorganisant le curriculum, critiquant (beefing) le contenu des matières enseignées et modifiant les méthodes d’instruction (p.221). [280] Les EA déplorent également la rupture du processus éducationnel de son contexte socioculturel. Certains psychologues de l’éducation sont critiqués pour avoir considéré comme équivalents (equating) les buts bureaucratiques des écoles avec les buts éducatifs de la société. Depuis qu’ils s’accordent sur la définition scolaire de leurs travaux et questions, ces psychologues de l’éducation ne manifestent presque plus d’intérêt à ce qui advient dans les écoles. Ils semblent plutôt avoir construit pour eux-mêmes le travail de structuration de la situation scolaire comme si chacun des «animaux humains était fait pour apprendre plus, mieux et plus vite » (Wax & Wax 71 p.8). Ils fonctionnent dans leur contexte particulier comme certains psychologues industriels. « Pour l’un et l’autre [le psychologue de l’éducation et le psychologue industriel] les travaux sont fixés par la structure bureaucratique, et le chercheur accepte, comme étant son propre but, la division des moyens (ways) pour accomplir ces travaux de la manière la plus expéditive » (Wax & Wax 71 p.8, voir aussi McDermott & Hood 82). Ces psychologues de l’éducation négligent d’accorder de l’attention aux événements qui peuvent affecter la vie de l’enfant à l’école sauf quand ils pensent que ceux-ci affectent aussi la performance de l’enfant dans le champ de l’apprentissage curriculaire. Les EA critiquent aussi les psychologues de l’éducation, en particulier ceux dont l’orientation est le structuro-fonctionalisme, pour leur conviction selon laquelle la première fonction des écoles est d’éduquer également, et selon laquelle leur propre travail de recherche consiste à évaluer comment les écoles s’acquittent correctement de leurs taches dans cette optique [d’égalité]. Les écoles ne sont pas nécessairement désignées pour fournir à tous les enfants une chance éducationnelle égale (McDermott & Hood 82, Wax & Wax 71). Les présupposés de certains sociologues de l’éducation les empêchent d’étudier ce qui advient en ce moment (actually) à l’intérieur d’une école. Wax & Wax disent que, du fait des approches conventionnelles, on sait très peu sur les faits importants qui pourraient être connus concernant les écoles et le processus éducationnel, « bien que des chercheurs aient administré des milliers de tests, conduit des centaines d’interviews et mené de nombreuses expériences ». Une bonne partie de la recherche conventionnelle en éducation considère les enfants comme des «atomes sociaux » qui différent les uns des autres par les caractéristiques sélectionnées comme l’ethnicité, la classe sociale, l’appartenance religieuse, etc… Cette perspective ne permet pas au chercheur d’observer l'école ou la classe telle qu’elle est, à savoir un type d’organisation sociale à l’intérieur de laquelle des rôles sociaux et des identités se développent, des formes sociales émergent, des rituels, et d’autres formes de ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 8 comportements se développent, et «des enfants transformés en élèves » (Wax & Wax 1971). De telles études ne permettent pas davantage au psychologue de l’éducation de découvrir que les problèmes de langage, de cognition et de compétence sociale peuvent être les produits de l’organisation sociale (McDermott & Hod 82, Mehan 78). En relation avec cette dernière question, les EA rejettent la tentative de certains psychologues de l’éducation de localiser le problème de l’apprentissage à l’intérieur de la tête de l’élève pris individuellement. McDermott & Hood (82) ont attiré l’attention sur la similitude entre le discours de la théorie de la psychologie de l’éducation et le discours politique de la bureaucratie scolaire pour ce qui concerne la localisation des problèmes d’apprentissage : « les deux discours situent l’origine du succès et de l'échec scolaires à l’intérieur de la tête des enfants pris individuellement, dans leur réserve (store) de capacités internes et de leurs aptitudes acquises, et tous les deux estiment que les problèmes des enfants qui échouent peuvent être corrigés grâce à un bon système de gavage (filling) des enfants avec des types variés de savoirs » (p. 232). Cette similarité dans les discours a fait de la psychologie de l’éducation l’interprète privilégié dans la société en générale, de la vie des élèves et de leurs écoles : McDermott & Hood insistent pour l’on rejette cette façon de d’envisager le problème, et ce pour deux raisons. La première est que l’idée selon laquelle la vitesse différente d’apprentissage est inhérentes aux mécanismes de certains types d’enfants, ne constitue pas un concept de recherche neutre ; la seconde tient aux problèmes méthodologiques inhérents à l’approche des psychologues de l’éducation. Les A ont aussi à faire face aux critiques adressées à leur méthode de recherche, l’ethnographie, trop imprécise, manquant d’hypothèse et limitée dans ses possibilités de généralisation des résultats (Spindler 82). De leur coté les A sont très critiques à l’égard de nombres de méthodes conventionnelles en recherche en éducation. Ils s’accordent avec Wilson (77) pour dire qu’elles sont artificielles ; qu’elles négligent les contextes naturels des comportements ; et que tant que leurs hypothèses a priori «placent le critère d’objectivité comme défini par le chercheur, cette objectivité est plus ou moins dépourvue de sens en ce qu’elles ne les conduit pas à une compréhension de la trame (framework) modelant le sentiment les pensées et les actions du sujet » (E & A at Standford 1977 p.2, voir aussi McDermott & Hood 82, Ogbu 78, Wax & Wax 71). Les études extensives (large-scale) sont inadéquates, en partie parce qu’elles ne permettent pas l’observation de ce qui se passe actuellement dans la classe et l’école, et en partie parce qu’elles traitent les élèves d’un point de vue atomistique (Wax & Wax 71). L’imitation par les psychologues de l’éducation, de la méthodologie expérimentale des psychologues cognitifs expérimentaux, est une tentative futile parce qu’elle est incapable d’étudier les situations de la vie quotidienne dans l’école et la classe (McDermott & Hood, 1982). Toutes ces critiques ont stimulé les travail des EA depuis les années 70 et ont facilité l’émergence de l’EA comme sous champ académique. Ces questions et d’autres ont donné naissance à nombre de structures conceptuelles concurrentes. Mais le sous champ a acquis une identité à l’intérieur de l’A en partie du fait des débats conceptuels et méthodologiques entre les EA qui ne se limitent pas aux questions débattues ci______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 9 dessus. [281] Ces débats conceptuels et méthodologiques sont abordés dans la section qui suit. 2. Buts, méthodes, et structures 2.1. Buts Jusqu'à une date récente, les EA étaient principalement sensibles aux problèmes de méthode et théories éducationnelles, soulevés par les spécialistes des autres sciences sociales. Ils passaient peu de temps à expliciter leurs propres buts. Cependant quelquesuns uns de leurs buts commencent à apparaître : Wax (1971) se demande en quoi les A peuvent contribuer à l’étude de l’éducation, compte de tenu de la somme de recherches faites par les autres chercheurs en Sciences Sociales. Il suggérait 3 types de contribution : Etudes comparatives et historiques Etudes contextuelles Anthropologie appliquée De nouveaux buts apparaissent alors provenant des critiques de l’enseignement conventionnel, des formulations programmatiques des EA et de leurs rapports de recherche. Ces buts ne sont pas formulés de la même manière en raison des différences dans les backgrounds et des intérêts des EA. Ce qui réunit les membres du champ est : - L’étude ce qui advient dans l’éducation et dans les écoles grâce à une observation concrète de ce qui arrive, - L’étude de l’éducation en contexte - L’incorporation du point de vue des participants dans l’interprétation des données D’une façon générale les EA veulent appliquer les méthodes et concepts le l’Anthropologie – l’ethnographique - pour étudier les institutions et les processus éducationnels. Ceci inclut des activités à différents niveaux (Michener 72). L’une d’elles est la description ethnographique basée sur l’observation directe et une compréhension personnelle (intimate) du point de vue des participants. Une autre réside dans l’analyse des découvertes ethnographiques concernant des thématiques particulières telles que la cognition, le langage et la communication, les rôles et identités, les rituels et le contrôle social, toutes ces données étant analysées dans leur contexte socio culturel. Une autre encore consiste en ce que Michener (74) appelle «synthèses intégratives » ou théorisations sur le processus éducationnel, s’appuyant sur des descriptions ethnographiques appropriées ou des analyses de cas spécifiques. A ce niveau, le travail est largement comparatif. Néanmoins, les modèles explicatifs en EA sont encore à leurs débuts (Michener 74, Roberts 76). En somme, les EA s’efforcent de collecter et de générer un nouveau savoir sur l’éducation non seulement pour une compréhension intellectuelle de des phénomènes éducatifs mais aussi dans le but de l’application de ce savoir aux problèmes éducationnels. ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 10 2.2 Méthodologie En anthropologie éducationnelle comme en anthropologie générale, la méthodologie principale est l’ethnographie ou l'enquête de terrain (fieldwork). L’observation participante est au cœur de la méthode ethnographique. Ceci implique une longue période de séjour «résidence » ou de fréquentation avec la population étudiée qu’il s’agisse d’une classe, un groupe de quartier urbain, ou une communauté villageoise. La longue période de fréquentation est nécessaire parce qu’elle permet à l’ethnographe : - de collecter des données sur le comportement de la population ou sur les événements dans leur implantation (setting) naturelles ; - d’établir le type (kind) de relation qui permet à l’ethnographe d’obtenir certaines informations qu’il ne pourrait pas obtenir d’une autre manière ; - de recueillir des données plus fiables par à travers une participation, des observations / questionnements réitérés (quotidiennement), et par le bavardage (gossip) ; et de devenir à l’aise (fluent) dans la langue locale, que celle-ci soit un jargon pédagogique (ou professionnel), un dialecte ethnique, ou le langage de la rue (Berreman 68). Bien que l’observation participante soit la principale technique de recueil des données ethnographiques, la méthodologie est souple. Les ethnographes de l’éducation doivent se servir d’autres techniques lorsque celles-ci sont appropriées à l’objet. Elles comprennent les histoires de vies, les interviews, les questionnaires, la documentation, les enregistrements audio ou vidéo, l’analyse d’événements, etc. L’ethnographie n’est pas synonyme de méthode «non quantitative ». Les ethnographes de l’éducation recueillent aussi des données quantitatives lorsqu’elles sont valides et appropriées (Tikunof et Ward 77). Il existe différentes sortes de recherches ethnographiques en éducation qui peuvent être distinguées en fonction des cadrages théoriques, du groupe étudié ou des deux. Hymes (80) a identifié trois types de recherches en ethnographie basées sur les cadres théoriques des chercheurs. La première est l’ethnographie compréhensive dans laquelle le chercheur tente de décrire le « total way of life » d’une communauté, d’une classe ou d’une école. Son but est de présenter une description complète des coutumes, rites, croyances, organisations, activités, et des autres aspects de la vie de la population. Le second type est l’ethnographie centrée sur un aspect (topic oriented) qui se focalise sur un aspect particulier de la population cible. Le troisième type est l’ethnographie centrée sur une hypothèse par laquelle le chercheur pose ou teste une hypothèse explicitement formulée peut être issue d’une recherche précédente. La classification peut-être aussi établie sur une unité de population et sa composition (Wilcox 82b). La macroethnographie s’applique à l’unité et l’implantation (setting) les plus vastes. La recherche de J. Ogbu sur Stockton, Californie (74) constitue un exemple de cette approche. Il a étudié la communauté noire locale et ses écoles, mettant à jour la relation entre la classe et l’école d’un coté, et, de l’autre, le métier et les opportunités économiques valables pour les noirs. En microethnographie, l’unité et l’emplacement (setting) sont les plus petits possibles, comme une seule classe (Smith & ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 11 Geoffrey 68, Rist 70), un groupe d’étudiants (Burnett 79) ou le personnel d’une école (Wolcott 75). L’ethnographie constitutive (Mehan 78) ou le contrôle (monitoring) ethnographique, se centrent sur des événements spécifiques ou des comportements plus que sur des personnes. On s’est plus particulièrement servi de cette approche dans l’étude de la communication verbale et non verbale. [282] On utilise fréquemment une bande vidéo pour enregistrer l’interaction élève-maître, élève-élève et (conselor)-élève. L’enregistrement est ensuite analysé pour examiner le problème en fonction de l’orientation théorique du chercheur (Erickson & Mohatt 82). Ogbu (81a) a encouragé une ethnographie à multiniveaux dans le but de capter (retain) la nature contextuelle des découvertes de l’ethnographie éducationnelle autant que pour traiter des questions structurelles en éducation. Au premier niveau, l’ethnographie ne fournit qu’une réponse partielle aux questions que se posent les anthropologistes de l’éducation, spécialement les questions sur l’échec disproportionné des enfants des minorités et des classes inférieures. Beaucoup de travaux ethnographiques, en particulier des travaux micro ethnographiques et constitutifs, ont tendance à s’appuyer sur les questions de relation ou de processus, mais il est aussi important d’examiner les forces structurelles. C’est à dire que l’ethnographe doit aussi recueillir des données sur les caractéristiques de la société en général et de l’école aussi bien que des données historiques qui fourniront un éclairage nouveau sur le problème. Tous les ethnographes sont hantés par la difficulté à réduire une grande masse de données de recherche pour produire analyse et interprétation. Dans ce domaine, l’anthropologie traditionnelle ne leur donne pas de modèle. Heureusement quelques EA et d’autres ont commencé à développer des approches courantes (useful) permettant une réduction systématique et l’analyse des données ethnographiques (Goetz & Lecompte 81, Erickson & Shultz 81, Patton 81, Patton 80). Le EA se sont aussi progressivement adressés à eux-mêmes les critiques habituelles adressés par les autres chercheurs en sciences sociales (Spindler 82, Le Compte et Goetz 82). Ces critiques englobent les questions à propos de la précision, la validité, les hypothèses et la généralisibilité des découvertes ethnographiques. Les EA sont autant concernés par ces questions que les autres chercheurs en sciences sociales, et certains d’entre eux ont présenté ce qu’ils considèrent comme les critères d’une bonne ethnographie (Roberts 76, Spindler 82, Wolcott 75, Erickson 73). En général la recherche ethnographique requiert une bonne dose de rigueur dans l’organisation et le matériel de recherche ; il existe des moyens spécifiques grâce auxquels un ethnographe compétent peut réduire les biais dans sa ou ses données, la mise en valeur de leur pertinence et la garantie de la validité de sa ou ses découvertes (Lecompte & Goetz 82). La fiabilité des données peut par exemple être garantie par l’observation répétée d’un même phénomène, les interviews répétés d’un même informateur ou les interviews de plusieurs informateurs sur le même événement. Si l’on considère la mise à l’épreuve des hypothèses, les EA préfèrent souvent «découvrir quel est le problème » plutôt que de s’obliger à poursuivre la recherche d’un problème prédéterminé qui peut en fait n’exister que dans l’esprit du chercheur (Wolcott ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 12 75 in E et A à Standford 77 p.6). Cependant quelques-uns uns commencent avec des hypothèses explicites, comme on l’a dit plus haut. Les études ethnographiques doivent conduire à la généralisation, mais les EA préfèrent parvenir à leur généralisation par des voies différentes de celles des psychologues de l’éducation. Le EA préfèrent extraire plusieurs études de cas d’un même phénomène et généraliser sur la base de découvertes comparées provenant de ces études de cas. Cependant, Spindler (82) a fourni trois justifications en faveur de la recherche s’appuyant sur un seul cas étudié : (a) L’étude approfondie d’un cas singulier entraîne une connaissance fidèle d’un cadre qui ne devrait pas être trop différentes d’autres cadres. (b) La connaissance approfondie d’un cadre est préférable à la connaissance superficielle ou l’information mélangée à propos d’événements et de relations provenants de plusieurs cadres (c) Les découvertes provenant d’une étude approfondie d’un cadre peuvent être utilisées pour construire des instruments propres à recueillir des données qualitatives provenant de plusieurs cadres, afin de procéder à des analyses statistiques. Il conclut en faisant remarquer que «les données qualitatives obtenues par l’enquête ethnographique peuvent nous indiquer ce qui peut être significatif sur une plus grande échelle. Les deux stratégies peuvent souvent constituer les phases d’un projet de recherche plus vaste et la partie ethnographique peut précéder ou suivre » (p.8) Pour conclure l’EA s’efforce de fournir une description approfondie et complète d’un événement éducatif ou d’une situation fondée sur une observation directe et une compréhension intime du point de vue des acteurs. L’utilité de la description est de fournir une base de données dans un but de comprendre des problèmes spécifiques, englobant ceux qui se rapportent à la cognition, le langage et la communication, les rôles et les identités, les relations école/communauté, et ainsi de suite. 2.3 Cadres théoriques Il est manifeste, d’après les discussions précédentes, que les A n’ont pas engagé de sérieuse théorisation sur l’éducation avant 1970. Ils n’ont pas encore produit d’explications anthropologiques de l’éducation et de la scolarisation (schooling) qui soient acceptées communément ; plus encore, l’hypothèse commune de l’anthropologie selon laquelle l’éducation est une transmission culturelle et que la scolarisation est une forme particulière de celle-ci reste encore commune à un certain nombre de modèles heuristiques (Singleton 74). Cette hypothèse entraîne un certain nombre d’implications dans les modèles qui seront discutés ci-dessous. - En premier elle implique que tous les enfants reçoivent une transmission culturelle à partir de leur naissance et qu’il n’existe pas de groupes d’enfants qui arrivent à l’école «culturellement déprivés ». - En second lieu, le mode de transmission de la culture ne peut être expliqué et compris par un examen isolé de ce qui se trouve «à l’intérieur de la tète » de l’enfant. [283] ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 13 - En troisième lieu, en tant qu’institution, l’école n’est pas seulement un agent de transmission des connaissances aux enfants – elle a de nombreuses autres fonctions. En outre elle est reliée aux autres institutions sociales de la société. De ce fait, l’école ne peut être étudiée isolement. - Un quatrième point est le fait qu’une population scolaire reflète la population de la communauté et de la société plus généralement et par conséquence reflète les rôles, les identités et les conflits existant à l’intérieur de la communauté. Ces facteurs font de la transmission dans les écoles un processus complexe. (a) Une quête de modèles. Spindler (76) s’est exprimé à propos de ses premiers espoirs infructueux d’utiliser les modèles anthropologiques existants pour expliquer comment la culture est transmise dans un contexte scolaire. Précédemment on disposait du modèle de Henry (60) que Spindler trouvait trop large ; il s’agissait du modèle d’inculturation utilisé par beaucoup d’ethnographes étudiant les pratiques de maternage. Spindler développa alors une réduction culturelle et un modèle discontinu qui mettait l’accent sur l’apprentissage à des moments divers de la vie ; ce modèle s’avéra insatisfaisant parce que «trop culturel » et inutilisable pour étudier les processus de changement et les choix individuels. Il développa ensuite un modèle adaptatif qui se présentait comme capable de résoudre le problème des choix individuels, mais s’appuyait sur un instrument inutilisable : le Rorschach. (b) Un modèle instrumental. Spindler en vint alors à développer un modèle plus satisfaisant qui permettait à la fois d’expliquer comment les cultures changeaient, et comment dans une période de changement social les choix individuels changeaient entre des alternatives. On peut qualifier ce modèle de modèle instrumental. La prémisse le soutendant est que «les systèmes culturels fonctionnent aussi longtemps qu’ils produisent, d’une part des comportements acceptables, entraînant d’habitude des résultats prévisibles et désirables, et, d’autre part, des comportements inacceptables entraînant des résultats prévisibles et indésirables » (Spindler, 76, 10). Les comportements et activités sont des instruments en vue de buts internes aux styles de vie de la population. Les modes de rapports entre comportements ou activités et buts, sont des «relations instrumentales ». Ces dernières sont systématisées, interconnectées et forment le «cœur » du système culturel. Les liens et leur organisation sont sous-tendus par des valeurs culturelles et des croyances qui les rendent crédibles ; celles-ci, c'est à dire «des valeurs spécifiques, attitudes et croyances » de la société aussi bien que «des aptitudes et compétences qui la font fonctionner » (Spindler, 74, 303) sont transmises par la socialisation et l’école - les familles, les églises, les cérémonies d’initiation et l’enseignement des groupes de pairs des jeunes membres. A partir de cet enseignement, l’enfant forme une carte cognitive (cognitive map) du fonctionnement du système et grandit en croyant dans le système et en extériorisant ses activités fonctionnelles. Cependant, dans un période de changement social rapide, les gens commencent à mettre en question les liens (linkages) ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 14 traditionnels et commencent à percevoir davantage d’alternatives attirantes rendues possibles par de nouvelles informations, de nouveaux modèles comportementaux et de nouveaux systèmes de croyance. Eventuellement quelques-uns uns des anciens liens sont abandonnés au profit de nouveaux (Spindler 74). Spindler a développé une technique spéciale – Instrumental Activities Inventory [IAI] pour collecter les données sur le modèle de transmission culturel. L’IAI consiste en 37 item dessinés ou peints, représentant les activités instrumentales traditionnelles et nouvelles. On demande aux sujets (des écoliers dans leur étude d’un village en République fédérale Allemande) de choisir les dessins qu’ils préfèrent. Leurs réponses et d’autres données sont analysées pour déterminer le changement dans leurs choix instrumentaux et son orientation. Le modèle instrumental est considéré comme une contribution majeure pour notre conceptualisation de la nature de l’activité cognitive qui a lieu, apparemment, durant la transmission culturelle (Tindall 76). Cependant, le modèle a été critiqué pour être trop rationaliste et ne pas faire la distinction entre les identités sociale et personnelles. Le modèle est incomplet dans la mesure où il focalise sur les facteurs intrapsychiques de perception, de cognition et de choix, et esquive délibérément ou exclut les forces sociétales plus larges qui peuvent influencer les choix individuels et l’apprentissage. Spindler (76) a reconnu que le modèle avait encore besoin d’améliorations. Il ajoutait aussi que le modèle instrumental portait plus sur le rôle de l’école dans l’apprentissage de la culture que sur la façon dont l’apprentissage se présente (occurs) dans les situations scolaires. (c) Les modèles de transaction. Pour beaucoup d’EA, l’entreprise la plus sophistiquée pour développer une théorie générale de la transmission culturelle est celle de Gearing et ses collaborateurs (Gearing 73, 76, Gearing & Tidall 73, Hansen 79, Roberts 76, Tindall 76). On peut l’appeler modèle transactionnel de la transmission culturelle. L’hypothèse soutenant ce modèle est la suivante : « Le système culturel de chaque société ou groupe consiste dans un ordre (arrangement, disposition) (array) d’équivalences de sens divers mais entremêlés qui ont été préalablement négociées (transacted) au cours de rencontres répétées de chaque membre du groupe avec quelques autres membres du même groupe. La transmission culturelle réside dans de telles équivalences négociées dans certaines rencontres, principalement de non-adultes avec des adultes et entre eux » (Gearing 76, 184) Gearing affirme aussi que, sauf si les barrières sociales le restreignent, la connaissance circule librement entre les gens ; en outre, la répartition de la connaissance peut être expliquée par la difficulté de transmission de la connaissance à travers les frontières sociales. De ce fait, le modèle met l’accent sur la négociation de la signification identitaire dans des rencontres de personne à personne. Selon Dobbert (76) ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 15 ces prémices sont assez différentes de celles des théories conventionnelles de l’apprentissage, dans lesquelles il est affirmé que l’apprentissage est difficile, et que la répartition de la connaissance est le mieux expliquée par la distribution des aptitudes d’apprentissage entre les membres de la société. La théorie transactionnelle soutient alors que la transmission culturelle s’instaure au cours de rencontres de personne à personne, spécialement entre l’adulte et l’enfant. [284] Les enfants apprennent de ceux avec qui ils interagissent, lesquelles interactions sont délimitées par l’identité sociale à l’intérieur de laquelle ils sont cantonnés. Les identités sociales sont reconnues en situation. Les partis en contact (par exemple l’enseignant et l’élève) portent avec eux des cartes cognitives qui contiennent un sens du lieu, une vision du monde, un sens de l’identité sociale, un programme (agenda) suggéré, et des attentes. Le programme est particulièrement important car il détermine comment chaque parti se comporte. Cependant les cartes cognitives ne sont pas les mêmes pour les partis en interaction : ils partagent des degrés variables d’équivalences de signification pour les transactions à venir. Au cours de la rencontre, «les parties négocient une sorte de contrat subtile englobant les règles de tour de prise de parole qui indiquent à chacune des deux parties les formes de dominance et la direction de la rencontre » (Funnel & Smith 81). Lorsque le modèle de négociation est établi, un programme commun se développe. Transmission culturelle ou éducation, interviennent lorsque la négociation réussit, c’est à dire lorsque le transfert d’information ou de connaissance débouche sur des changements dans les cartes mentales. Gearing avance l’idée que c’est au travers de ce genre de négociation que la culture se reproduit. L’école est impliquée dans cette reproduction en partie du fait de son «curriculum caché ». Ainsi dans une société stratifiée par la caste, la race ou la classe, les écoles aident à reproduire le système de manière prévisible, en partie parce que, dans l’école d’un groupe subordonné, les enseignants ou les autres adultes «jouissent d’un pouvoir relatif sur le jeune » et en partie parce qu’ils développent «un genre de co-conspiration imprévue entre eux et entre vieux et jeune, par laquelle se reproduisent dans la classe et l’école, les formes structurales de la société en général » (73, 102). Gearing et Enstein (82) ont tenté de montrer comment le «curriculum caché » servait à reproduire l’organisation hiérarchique de la société. On accorde à Gearing le mérite d’avoir, à cette époque, développé la théorie anthropologique de l’éducation la plus sophistiquée. Elle aussi a subi de vives critiques. Une d’entre elles est de n’avoir pas traité des choix individuels (Spindler 74). Dobbert (76) relève trois problèmes posés par ce modèle, explicitement, 1) qu’il englobe une définition inadéquate de la culture, 2) qu’il s’applique davantage au processus d’information qu’à la transmission culturelle et 3) qu’il traite plus d’un système subculturel – le subsystème humain – que de la culture dans son ensemble (Funnel & Smith 81). ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 16 (d) Modèle interactionnel / interprétatif. Faute d’un meilleur terme, les efforts théoriques de divers courants peuvent être groupés sous la perspective générale interactionnelle / interprétative. Ces courants s’inspirent du structuralisme, du symbolisme, de l’ethnométhodologie, et de la sociolinguistique. Ce qui les réunit est l’accent mis sur l’interaction face à face pour décrire et comprendre l’organisation sociale de la classe, aussi bien la relation adulteenfant dans et hors de l’école établies à partir des perspectives des acteurs. En outre, ils considèrent la classe comme un microcosme d’une société plus vaste dans laquelle est située et dans laquelle les particularités de la société sont recréées dans l’interaction quotidienne. Un point particulier concerne la façon dont l’inégalité sociale en général est reproduite et maintenue à travers l’interaction et les processus communicatifs des classes (Erickson & Mohatt 82, Gumperz 81, Gumperz & Hernandez 72, McDermott 74, McDermott & Gospodinoff 79, Mehan 78). Cette approche sera illustrée d’abord par les travaux de McDermott puis ceux de Gumperz. (i) McDermott et l’organisation des relations sociales dans la classe. McDermott et ses collaborateurs mettent l’accent sur l’organisation des relations sociales dans la classe pour expliquer pourquoi un certain nombre d’enfants n’apprennent pas bien à lire. Les particularités de la classe les plus saillantes pour ce problème sont - l’organisation des enfants à l’intérieur de groupes (de lecture) au statut stratifié - et les modèles interactionnel et d’enseignement générés par une telle organisation (McDermott &Gospodinoff 79). Ayant organisé la classe en groupes de lectures forts et faibles, souvent l’enseignant n’attend pas que les groupe faible lise aussi bien que le groupe fort. Ni lui [l’enseignant] ni elle [la classe en général] n’interagissent avec le groupe faible autant qu’avec les groupes faibles. En conséquence l’enseignant passe moins de temps à enseigner au groupe faible, alors les membres du groupe faible sont ceux qui ont le plus besoin d’enseignement. En outre, les modèles d’interaction avec les deux groupes de lecture sont différents : l’enseignant interagit d’avantage sur un mode personne-àpersonne avec les membres du groupe fort, leur donnant une plus grande opportunité d’exprimer leur savoir intellectuel personnel (individual intellectual knowledge), ce qui encourage une mode de relation de confiance (trusting). Les enfants plus en retard requièrent davantage d’efforts de type académique. Les «relations politiques » qui se développent entre les enseignants et les membres du groupe faible, entraînent souvent les ‘plus en retard’ à en venir à adopter une attitude inattentive, une «rétraction mentale », ou un comportement perturbateur. Ceci se produit parce que les enfants du groupe faible peuvent voir leur assignement dans ce groupe comme arbitraire et injuste, et aussi parce qu’ils peuvent ressentir le fait que l’enseignant ne leur consacre pas autant d’attention individualisée (one-to-one) qu’il en donne aux membres du groupe fort. En résumé, dans le groupe faible les enfants échouent à apprendre à lire du fait d’une combinaison de facteurs : leur classement dans un groupe de bas statut, un enseignement différent, et les propres réponses des enfants. En conséquence, les enfants ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 17 du groupe de bas statut échouent de plus en plus. Pour cette raison l’échec en lecture du groupe du bas, apparaîtra comme un aboutissement rationnel de la façon dont l’enseignant organise la classe. (ii) Gumperz et les stratégies communicatives différentielles. Le travail sociolinguistique de Gumperz met l’accent sur les problèmes de communication inter-ethniques dans et hors de la classe. Sa théorie des stratégies communicatives est une extension de la théorie des actes de langage (Hymes 71) [285] développée avec les anthropolinguistes au début des années 70 et considérée comme une alternative à la stricte explication linguistique des problèmes de lecture des enfants des minorités et des classes inférieures. La théorie des actes de langage met l’accent sur les intentions des expressions aussi bien que sur leurs effets sur les auditeurs. Elle fait la distinction entre le sens littéral de ce qui est dit et les effets intentionnels qu’ils ont sur les auditeurs. L’interprétation correcte d’une parole dépend en partie du soubassement informatif véhiculé et en partie de la capacité de l’auditeur à faire des inférences. Gumperz a étendu la théorie au-delà de l’expression individuelle en y ajoutant la notion de signification en situation (situated meaning) (Gumperz &Herasimchuk, 72). Une signification en situation est l’intention de l’orateur dans un contexte particulier. Le contexte «inclut la perception qu’a l’orateur d’une situation sociale et des relations sociales, le type d’activité langagière et la relation entre la portion d’expression locale et le discours considéré comme un tout » (Simons 79). Pour comprendre le sens en situation d’une expression, l’auditeur doit connaître à la fois le sens littéral de l’expression et les marques de metacommunication appropriées ou les marques de contextualisation qui suggèrent la signification des expressions dans une situation sociale particulière. Parmi les marques de contextualisation communément identifiés ont trouve l’intonation, le code de changement d’élocuteur (code switching), l’accentuation, le choix des items lexicaux et de la structure syntaxique, le rythme, la force et la faiblesse des sons, et enfin les stratégies de sequencialisation des expressions. Les stratégies de communication et les marques de contextualisation sont culturellement déterminées : les populations de backgrounds culturels différents (par exemple par exemple les enfants noirs du centre ville et les enseignants blancs des banlieues) ne véhiculeront pas les mêmes backgrounds communicatifs et ainsi différeront dans leurs stratégies communicationnelles et leurs marques de contextualisation ; ils différeront également dans l’interprétation de la signification située d’une tranche de discours ou d’une expression donnée. On fait l’hypothèse que la différence dans les backgrounds communicationnels entraîne une communication faussée et une compréhension erronée entre personnes de différentes cultures. Les problèmes langagiers des apprenants des minorités, et particulièrement leur échec dans l’apprentissage de la lecture sont, selon cette théorie, essentiellement le résultat de mauvaise communication entre les enfants et leurs enseignants. L’interaction communicative entre eux et leur enseignant – que ce soit dans le cadre de la conversation ordinaire, de la lecture ou de l’écriture – est caractérisée par une mauvaise ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 18 communication et une compréhension erronée ainsi que par une évaluation négative. Le problème est compliqué du fait que les enfants viennent à l’école en ignorant qu’ils portent avec eux des habitus communicationnels différents de ceux attendus à l’école et le fait que les stéréotypes mutuels et les évaluations négatives sont largement inconscient. La signification de cette théorie et d’autres fondées sur les recherches dans les classes, réside dans leur élucidation des processus par lesquels échec et la réussite scolaire adviennent. Ce point de vue est largement utilisé dans les programmes d’intervention (par exemple pour la formation des maîtres) et dans la recommandation de précautions qu’il convient de prendre dans l’interprétation des études quantitatives portant sur la performance académique des élèves. Néanmoins ces théories ne peuvent prétendre fournir une explication générale d’échec des enfants des minorités ou les échecs dans l’apprentissage de la lecture. C’est en partie parce que ces recherches sont basées sur des recherches portant sur un type particulier de minorité, précisément, la minorité de type caste (Ogbu 78). Elles ne peuvent donc être appliquées aux autres minorités (par exemple les immigrés) qui réussissent mieux à l’école, bien qu’elles aient des backgrounds culturels et communicatifs différents de ceux de leurs professeurs des écoles publiques. Deuxièmement, certains enfants ne réussissent pas forcément mieux à l’école lorsqu’ils sont enseignés par des professeurs ayant les mêmes backgrounds culturels et communicationnels ; d’autres enfants réussissent aussi bien, indépendamment des différences de backgrounds. Troisièmement, nombre de «programme de réparation » (repair programs) fondés sur ces théories du langage et de la communication n’ont pas particulièrement réussi. Finalement, malgré la prétention de ces théories d’en tenir pour la reproduction de l’inégalité dans la société globale, elles ne rendent pas compte de la raison pour laquelle les processus scolaires sont liés à la structure et au processus d’inégalité existant dans la société globale. (iii) le fonctionnalisme structural. Une des hypothèses soutendant le modèle fonctionnaliste / structural est que l’éducation reflète la structure et les besoins de la société. Cette hypothèse est en quelque sorte comparable à la notion néo-marxiste de «principe de correspondance ». D’après ce qui précède, tous les systèmes éducatifs sont au service de leurs sociétés respectives de telle sorte que les relations sociales, économiques, et politiques propres au secteur éducatif, seront des fidèles miroirs de la société dont ils font partie (Levin 76). L’analyse structurale de l’école dans le cadre du structural-fonctionalisme remonte à la période d’après les années 30 aux Etats Unis, lorsque l’orientation de la recherche portait plus sur la stratification sociale que sur l’éducation (Davis & Dollard 40, Warner & al 44). Ces anthropologues n’ont pas formulé de théories explicites de l’école ; cependant leur analyses se situent communément à l’intérieur du cadre du fonctionalisme-structural. Ils ont montré comment la structure de la communauté locale fondée sur la classe, les castes raciales et l’ethnicité, affectent l’organisation des écoles ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 19 publiques. Plus tard des A (Burnett 69, Leacock 69, Moore 67, Wilcox 78, 82b) ont fourni des descriptions ethnographiques détaillées d’écoles et de classes, qui s’avèrent actuellement renforcer le système stratifié noté par des chercheurs postérieurs. Mais disons-le de nouveau, ces travaux plus récents n’ont pas formulé de théories fonctionnalistes-structurales explicites, bien que quelques analyses figurent implicitement à l’intérieur de ce cadre. Font exception les A qui ont examiné l’éducation et l’école dans une perspective évolutionniste (Cohen 71, Wilson 72). [286] Le travail de Wilson nous servira d’exemple. Son analyse se range à l’intérieur de ce que l’on appelle le fonctionnalisme technologique (Karable & Hasley 77). Le fonctionnalisme technologique pose en principe que les fonctions scolaires de transmission des compétences techniques ou cognitives aussi bien que de transmission des comportements sociaux requièrent (pour cela) une participation dans la force industrielle de travail. En outre, l’expansion et la différentiation croissante de l’école sont causées par les demandes croissantes de compétences techniques par l’économie industrielle. Dans son analyse de l’évolution du système scolaire aux Etats Unis, Wilson (72) fournit un bon résumé du point de vue du fonctionnalisme technologique. « Il existe dans la culture industrielle moderne un lien puissant entre le niveau d’éducation formelle, le degré de spécialisation professionnelle et le rang social. A une extrémité de cette chaîne relationnelle, on trouve une technologie requérant un grand nombre de spécialistes hautement formés et, à l’autre extrémité, des gratifications de rang social et de richesses pour [satisfaire] des besoins ; l’éducation formelle se situe entre les deux et constitue les ressources [ou moyens] par lesquels ces besoins sont rencontrés. Il s’ensuit que l’éducation formelle rencontre des exigences fonctionnelles pour la formation de professionnels spécialisés pour le niveau de culture d’une économie industrielle. » (233) (e) Les méthodes écologiques. Les analyses écologiques en Anthropologie de l’Education dérivent de la psychologie écologique (Barker & Gump 64) qui met l’accent sur la relation entre le comportement et sa localisation. Elles dérivent aussi de l’écologie culturelle à l’intérieur de l’anthropologie. Cette dernière étudie l’influence réciproque entre l’utilisation des ressources environnementales d’un coté, et, de l’autre, de l’organisation sociale, des valeurs et des comportements de la population. Ainsi l’écologie a incité les EA à s’orienter vers la localisation physique des événements comportementaux pour voir comment les assomptions culturelles et les valeurs «sous-tendent les actions pratiques et les choix des participants » (Hansen 79). Ils considèrent également le contexte historique des événements dans un environnement donné. Comme il existe de nombreuses variables à l’intérieur du monde écologique, on ne peut les étudier toutes. Il est nécessaire de choisir un angle, de se concentrer sur un facteur écologique particulier afin de spécifier d’une manière valable comment il est ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 20 connecté à l’éducation dans la classe ou ailleurs (Hansen 79). En conséquence, à l’intérieur de l’AE il existe différents genres et différents niveaux d’analyse écologique – par exemple les effets des localisations physiques sur le comportement éducationnel qui a été étudié. D’autres chercheurs ont tenté d’étudier comment les relations entre la localisation de la communauté et celle de l’école affectent l’apprentissage en classe. Par exemple, appliquant ce qu’il appelle «ethno-écologie de l’école » (ethnoecology of schooling), Ogbu (74) étudie l’interconnexion entre écoliers, parents, enseignants, personnel de l’école, «payeurs d’impôts »(taxpayers) (membres de la classe moyenne habitant en dehors du quartier des étudiants qui contrôlent effectivement le système éducation/école). Son analyse suggère que les diverses perspectives, intérêts et stratégies des groupes en présence, plus leur accès différentiel aux ressources économiques et politiques aussi bien que les gratifications postscolaires consécutives à la réussite scolaire (les métiers par exemple), contribuent à perpétuer une part élevé d’échec scolaire parmi les minorités à bas revenus du quartier. Ogbu conclut que les performances scolaires faibles constituent une adaptation, le résultat d’une stratégie que les enfants adoptent pour faire avec (cope) les pressions conflictuelles des enseignants, des pairs, et des parents face aux opportunités professionnelles postscolaires limitées. « Ainsi il apparaît que les résultats des stratégies combinées des élèves, des parents, du personnel scolaire, et des payeurs d’impôts (taxpayers) constituent un processus qui maintiennent effectivement le statu quo » (Hesen 79, 67). Cependant, ce n’est pas seulement les forces locales qui peuvent contribuer à ce processus adaptatif. Les forces extralocales sont importantes, comme on l’a vu dans la recherche de Horton (71) qui avance que ces forces extralocales incluent «le monde éducatif (par exemple les associations professionnelles, la formation des enseignants et les institutions de recherche éducative), les maisons d’édition, les bureaux et les commissions d’autorisation et de régulation ; chacune d’entre elles est liée d’un autre coté avec les universités et les autres institutions de l’intelligentsia ». Les forces extra locales comprennent aussi les origines fondatrices, les groupes de pression régionaux et nationaux, ainsi que les mass médias et les groupes de référence professionnels (Hansen 79). Ogbu (1981b) a suggéré ce qui appelle un modèle culturo-écologique qui s’efforce de combler les manques des autres modèles. Plus précisément, il s’efforce d’intégrer les liens entre les analyses micro et macro. Il combine les hypothèses de l’écologie culturelle (Bennett 69) et ceux du struralo-fonctionalisme (Wilson 72). En même temps, il prend en compte, au niveau individuel les éléments cognitifs et comportementaux, afin de présenter un modèle plus dynamique. Celui-ci est fondé sur la nécessité de parvenir à une compréhension multiniveaux du processus éducatif. Le but de ce modèle est aussi d’intégrer les structures économiques, politiques, cognitives et comportementales à l’intérieur d’un seul cadre d’analyse. Dans ce modèle, le concept clé est celui d’adaptation, c’est à dire la façon dont les gens sont reliés à leur environnement. Le système scolaire est considéré comme une institution sociale reliée aux autres institutions, spécialement les institutions économiques. Ogbu pense que dans ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 21 les sociétés modernes, l’école est fortement liée à la participation dans le marché du travail. Toutes ces institutions se situent à l’intérieur d’un système à statut mobile. Un système à statut mobile représente essentiellement les stratégies culturelles homologuées d’auto amélioration du succès. D’après Levine (67) Ogbu montre que le système à statut mobile engendre son propre idéal de personnes qui réussissent – le genre de personne qui sont généralement perçues par les membres de la population comme des gens qui peuvent «prendre de l’avance ». [287] Les images que se font les gens des personnes qui réussissent, influencent la manière dont ils préparent leurs enfants à la vie adulte, y compris leur éducation formelle ; elles influencent aussi ce que les enfants s’efforcent de devenir quand ils grandissent. Le système à statut mobile déterminera largement la somme des efforts que ses membres investissent dans les activités éducatives et leurs choix. L’Education inégale et sous structurée du groupe subordonné, est affectée non seulement par leur propre épistémologie, mais aussi par l'épistémologie du groupe dominant qui contrôle des précédents. La structure des relations de pouvoir et ses conséquences sociales et économiques, conduisent les deux groupes à développer des épistémologies différentes à propos du travail ou du «système», c’est à dire des perceptions et interprétations différentes de la «réalité ». Ces épistémologies, lorsqu’elles s’appliquent à l’éducation, déterminent d’un coté, le genre d’éducation que fournit le groupe dominant pour les membres du groupe subordonné, et comment il agit vis à vis de l’élève en retard ; dans un autre sens, la manière dont les membres du groupe subordonné perçoivent et répondent à l’école, est aussi influencée par leurs propres perceptions et interprétations de la réalité et leurs «coping reponses ». Les structures analytiques recensées ci-dessus ne reflètent pas la totalité des efforts conceptuels accomplis par le EA depuis de début des années 70. Hymes (72) et ses collaborateurs ont pointé l’accent sur «l’analyse contextuelle des négociations et le développement des compétences communicatives » (voir aussi Cazden & al. 72). Dobbert a proposé un système d’analyse de la transmission éducative (76). Sans aucun, doute ces développements vont continuer avec la maturation de l’EA. 3.Champs d’études indépendants Un regard sur quelques bibliographies d’EA (p.x. Burnett 74, Rosenthal 75), d’anthologies (p.x. Ianni & Storey 73, Spindler 74) et un simple a perçu des sommaires de Anthroplogy & Education Quartterly révèle la nature disparate des sujets couverts par la recherche et les écrits des EA. Il montre aussi une forte orientation interdisciplinaire et une volonté louable d’intégrer le travail des non-anthropologues avec «une perspective anthropologique. » En comparant les tables des matières de plusieurs anthologies on ne remarque pas d’accord ni d’organisation des champs indépendants. ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 22 3.1. Evolution de l’Education Il y a quelques années, un éminent anthropologue physique et primatologue (Washburn 71) soutenait l’idée que les écoles étaient probablement «édifiées sur une série d’erreurs à propos de la nature humaine et de ses capacités d’apprentissage. » Comme le notait rapidement Herzog (76), les implications de cette idée étaient qu’ «on pourrait tirer davantage des études sur le cerveau, sur les primates et les sociétés de cueilleur nomades. » L’étude de l’évolution du cerveau est importante parce que les changements qui différencient le cerveau humain de celui des autres mammifères, y compris les autres primates, représente l’événement le plus important de l’histoire de l’humanité. L’étude de la vie sociale des primates et des peuples chasseurs-cueilleurs est importante parce que l’espèce humaine a vécu la vie de cueilleur nomade durant 99% de son existence sur terre, c’est à dire qu’elle a suivi l’adaptation socio culturelle d’une vie de chasseur cueilleur nomade. La connaissance des fondements biologiques nous vient du travail des anthropologues physiques, des neuro anatomistes et des neurolinguistes, alors que les primatologues et les anthropologues sociaux spécialisés dans les sociétés de chasseurs cueilleurs, sont les premiers contributeurs à la connaissance socioculturelle. Les découvertes concernant les fondements biologiques ont étés résumées par Fisbein (76) et Gibson (77) ; celles concernant la dimension socio culturelle par Fishbein (76), Herzog (76) et Poirier & Chevalier-Skonikoff (77). Bien que les mammifères supérieurs aient en commun une structure cérébrale composée d’un cerveau reptilien, une région limbique et un néo cortex, il existe des différences qualitatives et quantitatives signifiantes dans le cerveau des primates «catarrhini » - dont l’homme est un membre - qui les différencient dans le cours de l’évolution et rendent possible leur adaptation sociale particulière et leur capacité d’apprentissage. Par exemple leur vie terrestre ou leur adaptation a été rendu possible par l’accroissement de la taille du cerveau et des neurones dans les cellules nerveuses. Elles ont aussi rendu possibles certaines adaptations culturelles partagées par les autres membres de la sous famille des catarrhini, incluant le modèle de subsistance et la vie en groupe, les activités relatives à la reproduction et la protection, ainsi que la socialisation des enfants et la transmission de la culture. « Culture » ou tradition sont minimales chez nombre de membres de la sous famille catarrhini et trouve son plus grand développement chez l’homme. Mais l’essence de la culture dans l’adaptation sociale de tous les groupes, se révèle être l’acquisition de nouveaux comportements et ou connaissances qui sont transmis à la génération suivante. Ainsi les jeunes membres du groupe peuvent construire leur propre adaptation sur celle qui a été acquise dans la génération précédente (Fishbein 76). Les modifications dans le cerveau et dans l’adaptation sociale augmentent la capacité d’apprendre du jeune. Le jeune catarrhini avait davantage à apprendre que l’enfant non catarrhini et la structure particulière de son cerveau et sa spécialisation, aussi bien que sa plus longue période de dépendance et le modèle de vie sociale du groupe, rendaient l’apprentissage possible. Chez tous les primates catarrhini – homme, gorilles, chimpanzés, macaques – le jeune doit être socialisé pour survivre et réaliser sa compétence sociale, c’est à dire, contribuer à la ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 23 survie du groupe. Devenir un membre participant du groupe requiert l’apprentissage d’un corps de programme lié à la nourriture ou subsistance, à la protection, la reproduction, l’identité du groupe et le rôle (Fishbein 76). [288] L’observation et l’imitation sont les techniques ordinaires de «transmission culturelle » mais, dans la période juvénile, c’est le jeu qui devient le principal moyen d’acquisition des connaissances culturelles (Herzog 76, Washburn 71). Les éléments qui distinguent l’éducation dans le groupe humain de l’éducation chez les primates non humains, sont biologiques et sociaux : on observe chez les hommes des nouvelles transformations anatomiques et fonctionnelles dans le cerveau qui rendent possibles de nouvelles transformations dans l’adaptation sociale. Parmi les transformations notables on relève - l’augmentation de la taille du cerveau qui ralentit le processus de maturation ; - également l’augmentation des neurones extra nerveux qui constituent la base des capacités du processus d’information ; - la zone néocorticale du cerveau devient différenciée et spécialisée en tant qu’elle constitue le fondement de la capacité du langage, de l’idéation non verbale, de la compréhension spatiale, de la mémoire, des aptitudes motrices, de la capacité d’analyse et de programmation. Celles-ci et d’autres transformations ont des effets spécifiques sur l’adaptation socio culturelle et l’apprentissage. Par exemple, les transformations de la région limbique rend possibles les capacités à l’empathie («le ciment (glue) de la vie sociale ») et à la conscience de soi, et rendent possible l’évolution de l’obligation réciproque. D’autres changements accroissent la plus grande capacité humaine de la compréhension spatiale très importante pour la chasse et d’autres activités de subsistance. D’autres transformations, qui ne sauraient être surestimées rendent possibles les capacités de langage exclusives à l’homme, et rendent également possible l’importance du langage pour l’apprentissage et la vie sociale. D’une manière générale, ces développements biologiques facilitent l’évolution d’une plus grande adaptation socioculturelle de l’homme dans les populations de chasseurs cueilleurs. Leur adaptation socioculturelle inclut, selon Fishbein (76), l’obligation réciproque, la fabrication d’outils, la chasse collective, le transport de nourriture, les obligations réciproques de la vie de couple, la communication symbolique et le langage, l’établissement et l’obéissance aux règles. Celles-ci constituent les domaines de programme additionnel que les enfants des peuples de chasseurs cueilleurs doivent apprendre pour devenir compétents et contribuer, en tant que membres, à la vie de leur groupe. Fishbein pense que, bien que cela soit une tâche énorme, il s’agit de tâches naturelles pour ces enfants ou pour l’enfant humain en général, parce que l’espèce humaine est biologiquement et socialement destinée ou canalisée pour les apprendre. Un enfant chimpanzé ne peut être capable de les apprendre parce que les chimpanzés ne sont pas destinés au même type d’adaptation socioculturelle. Comment les enfants apprennent-ils dans les sociétés de chasseurs cueilleurs ? Fishbein (76) suggère qu’ils apprennent par l’observation, l’imitation des rôles d’adultes dans les jeux, et par l’enseignement et l’encouragement explicite des adultes. La ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 24 recherche d’Herzog sur l’apprentissage dans les sociétés de primates (76) confirme nombre des conclusions de Fishbein. Mais Herzog va au-delà pour suggérer que les moyens variés par les quels on apprend dans les sociétés modernes diffèrent dans ce sens que ces moyens deviennent presque inadaptés. Il attribue cette inadaptation à l’attente de l’économie moderne industrialisée. En faisant ce jugement, Herzog n’a pas considéré le fait que l’adaptation socioculturelle dans une société moderne soit différente de celle des sociétés de primates et de nomades, et que cette différence modifie nécessairement l’éducation dans les deux types de sociétés. Les études sur l’évolution de l’éducation suggèrent fortement que la différenciation dans l’éducation est presque inévitable, du fait des différentes exigences des environnements socioculturels dans lesquels intervient l’éducation. Ce point de vue est bien illustré par l’étude de Wilson (72). Celui-ci utilise un schème d’évolution linéaire qui classe les sociétés depuis «les simples sociétés errantes » jusqu’aux «sociétés intégrées post nucléaires avancées » (p.x. les sociétés telles que les Etats Unis). Il établit qu’à chacun des sept niveaux de l’évolution socioculturelle émerge une nouvelle d’éducation qui s’ajoute à celles déjà existantes. L’impression d’ensemble est que, dans sa forme et dans sa fonction l’éducation est adaptative aux systèmes socioculturels, particulièrement à l’ordre techno économique. A la différence de Wilson, Cohen (71) fait une distinction entre socialisation et éducation ou scolarisation formelle. Il divise les sociétés en trois catégories : 1) basées sur la famille, 2) à moitié basée sur la famille (semikin based) et 3) société Etat (state societies). Il avance l’idée que la socialisation est le mode dominant d’élevage (raising) des enfants dans les sociétés ‘basées sur la famille’ parce qu’il est en accord les caractéristiques familiales, économiques, politiques et autres de telles sociétés. Les sociétés ‘à moitié basées sur la famille’ n’ont pas de «véritables (real) » écoles parce que ce type de société conserve encore des caractéristiques qui seraient incompatibles avec les écoles en tant qu’institutions. C’est dans les ‘sociétés état’ qu’apparaissent les véritables écoles et ce pour deux raisons. L’une est que la société Etat est dominée par une seule autorité qui veut contrôler (command) la fidélité des citoyens au-dessus des autres autorités ; et l’éducation est le meilleur moyen pour inculquer cette fidélité. La seconde est qu’ il est de l’intérêt de l’Etat que chacun se conduise de la même façon, obéisse aux même lois, et soit considéré de la même façon ; et l’éducation est le meilleur mécanisme pour garantir cet universalisme. En somme, Cohen croit que les sociétés Etats développent les écoles pour garantir la perpétuation du statu quo grâce à un endoctrinement uniforme des enfants par les dogmes, symboles et idéologie de l’Etat. Les anthropologues ont aussi étudié le développement de l’écriture et des pratiques de lecture / écriture (literacy) qui sont intimement liées avec l’école. Les débuts de l’écriture se situent après le paléolithique époque à laquelle elle commence par être un art. Tandis que Diringer (62) résumait le développement et la diffusion de des systèmes d’écriture depuis la proto écriture jusqu’aux alphabets modernes, quelques anthropologues et d’autres chercheurs étudiaient alors le développement et l’usage des nouveaux systèmes d’écriture en Afrique et en Amérique (Dalby 67, Marcus 76). Un certain nombre de chercheurs s’intéressaient aussi au développement de la ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 25 pratique d’écriture considérée comme un phénomène culturel, ainsi que ses conséquences sur l’éducation (Goody 68, Gumperz & Cook-Gumperz 78, Lewis 79). [289] Ces études suggèrent que la pratique d’écriture modifie les idées des gens sur le passé, modifie leurs stratégies de raisonnement et affecte probablement leur façon d’apprendre. 3.2 Le milieu (milieu) socioculturel des écoles Bien que des A aient depuis longtemps préconisé ce type d’étude Peu d’entre eux ont entrepris d’étudier l’école sens strict du terme, considérée comme une institution sociale séparée, avec sa propre organisation et sa propre culture,. D’autre part (Ogbu 81, voir aussi Singleton 69), il est suggéré qu’il est possible : de tirer de ce type d’approche un style d’études, et de produire de bonnes monographies qui incluraient les aspects communs des études anthropologiques des sociétés humaines, à savoir précisément, la localisation écologique, le langage et la communication, l’économie, l’organisation sociale, les croyances et valeurs, le folklore, etc. Seule une poignée de recherches poussées se rapporte à ces aspects, et ce, à des degrés variés. Parmi celles-ci, celle pleine d’humour, de Sayres (57) sur l’organisation sociale de l’école ainis que sur la relation particulière entre les divers groupes de la population scolaire et la structure du pouvoir à l’intérieur de la communauté plus large. Khleif (71) a décrit l’école comme un microcosme de la communauté, montrant que le statut et la hiérarchie de pouvoir, les symboles sacrés, les conflits ethniques et la valeur de rendement, sont reproduites dans l’école. Le rôle de l’école dans la transmission des symboles nationaux a été décrit par Johnson (80) ; Moore (67) et Cobb (76) ont analysé les rituels scolaires, comme Burnett qui a lui aussi étudié les activités économiques des associations d’étudiants de grandes écoles (69). L’organisation et la vie quotidienne de classes ont été décrites par nombre de chercheurs (McDermott 74, Moore 67, Wilcox 78, 82b). 3.3 Liens avec les autres institutions Certains A s’efforcent de voir comment l’éducation et les écoles sont reliées aux autres institutions (Kimball 73). Ceci cependant reste assez programmatique : on relève seulement un petit nombre de tentatives sérieuses et systématiques pour mener à bien de telles études. Il semble que la relation économique ait retenu plus d’attention que les autres. Le travail de Wilson (72) sur l’évolution de l’éducation a été évoqué plus haut ; dans celuici il montrait que l’éducation, y compris dans le système des écoles publiques aux Etats Unis, évoluait et se développait en réponse aux exigences technologiques et économiques. D’autres A ont écrit ou suggéré qu’il existe une correspondance entre le mode industriel de production, et la structure et le contenu de l’école. Par exemple Cohen (72) argue qu’il y a plus ou moins une relation entre le changement de nature de l’économie des Etats Unis et les innovations et changements dans le programme des écoles publiques. Durant la période de l’économie secondaire [Secteur secondaire en France NDT], elle montre que les écoles avaient prioritairement des programmes orientés sur les objets (object oriented) qui correspondaient aux exigences du travail de ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 26 fabrication (factory work). Mais alors que l’économie devenait de plus en plus orientée vers les services [Secteur tertaire, NDT], les programmes scolaires changèrent dans le même sens, avec une insistance sur la nécessité d’enseigner les compétences interpersonnelles et les conduites de coping (coping skills) interpersonnels. Hunt & Hunt (70) suggèrent que les écoles soient organisées pour produire les comportements qui rendent les gens compétents dans une force de travail bureaucratique, automatisée et technique. Dans une étude récente, Le Compte (78) avance qu’une partie du «curriculum caché de la classe » apprend aux enfants comment travailler et que ceci doit être mis en parallèle avec les exigences comportementales du poste de travail (par exemple la ponctualité, l’obéissance à l’autorité, la fiabilité). Wilcox (78, 82b) a apporté une importante contribution au débat entre les fonctionnalistes (par exemple Hubt & Hubt 70, Parsons 59) et les néo marxistes (par exemple Bowles et Gintis 76) sur le rôle de l’école dans la transmission des compétences pour leur participation à l’intérieur d’une force de travail hiérarchisée. D’un coté, les fonctionnalistes pensent que les écoles sont organisées pour enseigner à tous les enfants les mêmes compétences pour les préparer au travail adulte. Les différences dans les résultats sont dues plus aux différences entre les capacités des enfants qu’à l’échec de l’école à leur fournir le même savoir. D’un autre coté, les néomarxistes pensent que les écoles ne dispensent pas le même savoir à tous les enfants. Plus, les écoles opèrent divers modèles de socialisation en relation avec les genres de rôle occupationnel que les enfants assumeront dans la vie adulte. Wilcox rapporte une étude ethnographique de classes dans deux écoles californiennes scolarisant respectivement des enfants de classe moyenne supérieure et classe inférieure pour voir si elles les préparent à des rôles différents. Elle apporte quelques éléments en faveur de l’hypothèse d’une socialisation différentielle. L’étude des relations politiques avec l’éducation est limitée. Dans le champ de la socialisation politique, Harrington (72) décrit les modèles dans les écoles New yorkaise scolarisant les enfants de minorités à bas revenus. Là, le programme de l’école, les activités de la classe, les manuels, enseignent aux enfants qu’être bon citoyen signifie l’obéissance, la passivité politique et l’absence de pouvoir (powerlessness). Au contraire dans les écoles de banlieue des classes moyenne et moyenne supérieure, on apprend aux enfants la participation politique active, et les rôles de dirigeants (leadership roles). Cohen (71, 75) met l’accent sur les usages par l’Etat de l’éducation, à des fins politiques, spécialement pour entraîner les élites au commandement et les masses à la l’obéissance fidèle. La contribution des anthropologues à l’étude des relations entre éducation et stratification a débuté comme on l’a dit plus haut dans les années 30 (Warner & al. 44, Davis & Dollard 40). Cependant ces études n’ont été ni extensives, ni continues. Il a fallu attendre la fin des années 60 pour voir arriver d’autres contributions (Leackock 69). La littérature anthropologique sur la stratification peut être regroupée sous deux ou trois modèles théoriques. [290] L’étude de Warner se range dans le cadre fonctionnaliste. Il avance l’idée selon laquelle l’éducation est le chemin pour la mobilité ascendante et que l’école est le lieu où les enfants sont triés en fonction de leurs compétences individuelles pour être ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 27 préparés à leurs rôles techno économiques. A l’opposé, l’étude de Leaccock sur les écoles de New York City (69) se situe dans le cadre théorique néo marxiste du conflit. Elle montre, comme le suggèrent les présupposés de ce point de vue, qu’on enseigne l’obéissance aux enfants des classes basses, obéissance adaptée aux jobs des classes basses, alors qu’on met l’accent sur l’indépendance pour les enfants des classes supérieures destinées aux jobs de haut statut. Le groupe le plus actif des EA qui écrivent sur l’éducation et l’inégalité sociale peut être rangé sous l’étiquette interprétative. Selon Karabel & Hasley (77), cette approche trouve son origine en Grande Bretagne dans les années 60. Les tenants de ce point de vue rejettent également le point de vue des fonctionnalistes sur la macro structure sociale ainsi que celui des théoriciens du conflit. A la place, ils mettent l’accent sur la structure et le contenu du programme scolaire et sur l’interaction enseignant élève dans la classe pour voir comment l’inégalité sociale este reproduite dans la salle de classe. Les études qui suivent cette orientation ont été discutées plus haut dans la section sur les cadres interprétatifs (par exemple Gumperz 81, McDermott 77). Ogbu (77, 78, 81b) a appliqué son cadre analytique de l’écologie culturelle à la relation stratification / éducation. Ce modèle prend en compte la relation existant entre la structure des opportunités techno économiques disponibles dans la société, la façon dont elle est perçue, vécue et interprétée par les membres des différentes couches de la société, ainsi que la relation entre cette structure et les stratégies alternatives qui sont à leur portée. Le statut positionnel relatif d’un groupe subordonné détermine souvent l’éducation mise à portée de ses membres. Dans ce contexte, la performance scolaire relative des membres d’un groupe subordonné, sera affectée par les perceptions et les réponses des membres de ce groupe et conjointement par celles des membres du groupe dominant aux niveaux macro, micro ou individuel. Grâce à ce modèle, il est possible d’expliquer pourquoi les membres de deux groupes subordonnés qui font l’expérience de la même façon d’être traités par le groupe dominant ou par le «système », peuvent avoir des performances scolaires différentes ; ils peuvent percevoir et/ou interpréter la situation différemment pour différentes raisons. Ogbu (78, 81b) a aussi suggéré que différents type de stratification sociale seront distinguée parce qu’elles peuvent avoir des implications scolaires différentes. Enfin, aux Etats Unis, la stratification sociale diffère sous plusieurs aspects importants de la stratification de classe. Une de ces différences tient dans l’addition de statuts (status summation) ou le plafonnement du métier (job ceiling) du fait desquels les noirs n’ont traditionnellement pas accès à des métiers qui, pour eux, requièrent davantage d’éducation que pour les blancs et pour lesquels l’éducation rembourserait (pay off) en terme de salaire et de promotion, au même niveau que les blancs ; les basses classes n’ont pas à faire à un plafonnement du métier. Une autre différence tient dans l’orientation cognitive - parce que l’expérience historique collective des noirs tend à définir leurs problèmes en termes de discriminations institutionnelles qu’ils considèrent comme rien moins que passagères ; ils ont tendance à accuser «le système » pour leurs échecs même quand c’est de leur faute personnelle ; les blancs, y compris ceux des basses classes, ont tendance à ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 28 s’accuser eux-mêmes ou leur manque de chance (voir Berreman 81, Sennett & Colb 72). Celle-ci et d’autres différences dans l’appréciation de l’échec suggère l’idée que les basses classes noires souffrent de ce qui peut être appelé une double stratification. L’approche écologique prend en compte les implications éducationnelles de cette double stratification. 3.4 Continuités, Discontinuités et Educabilité Une partie considérable de la recherche et de la littérature anthropologique est centrée sur la discontinuité dans la transmission culturelle. Dans l’étude de l’inculturation à l’intérieur des sociétés relativement homogènes, continuité veut dire qu’on enseigne aux enfants les attentes et les responsabilités culturelles d’une manière progressive au cours de leur croissance. Discontinuité veut dire que les attentes culturelles et les exigences des rôles sont discontinus (Benedict 38). Les discontinuités culturelles peuvent apparaître dans des espaces informels, comme dans la relation et l’interaction parent-enfant, ou dans des espaces plus formels comme au cours d’une cérémonie d’initiation. Dans d’autres cas, la discontinuité peut avoir une fonction positive, c’est à dire, qu’elle peut renforcer l’apprentissage des valeurs culturelles, de la conception du monde, ou de l’acquisition du statut de membre du groupe (Spindler 74). Dans le champ de l’éducation formelle, les anthropologues ont estimé que la scolarisation était essentiellement discontinue et, par-là, négative. En effet l’explication anthropologique dominante de l’échec scolaire disproportionné des enfants des classes inférieures, des enfants d’émigrants, et des enfants des sociétés non occidentales (de l’Est colonial) réside dans les discontinuités d’un genre ou d’un autre. Ainsi depuis longtemps, en 1905, Hewett accusait les écoles des Etats Unis de négliger la culture des immigrants et des indiens américains et aux Philippines de négliger les cultures locales. En 1936 Malinowski (76) critiquait les écoles destinées à l’enseignement d’Africains étrangers dans les territoires coloniaux pour leurs programmes inapropriés. Spindler (74) a relevé que, dans de nombreux peuples non occidentaux, les écoles étaient des agents de discontinuité, enseignant des valeurs étrangères et recrutant les enfants pour des positions statutaires dans un système social encore en gestation. Musgrove (53) a fait les mêmes observations en Ouganda. Les anthropologues ont aussi étudié les modules des discontinuités culturelles dans les écoles accueillant les enfants des classes inférieures dans leur propre société (voir LaBelle 76, Burger 68). De nombreuses études portant sur ce problème mettent l’accent sur des types spécifiques de discontinuités, telles que les discontinuités dans les relations maison / école, dans les valeurs, le langage et la communication, la cognition, et motivation. (a) Relation maison / communauté scolaire. L’étude de Hostetler (71) sur les écoles Amish, révèle une des rares instances à l’intérieur des communautés de la classe moyenne blanche, dans laquelle on peut constater une continuité entre la maison et l’école. Chez les Amish la principale fonction de l’école est de renforcer les valeurs de la maison et de la communauté. [291] La plupart des études sur l’éducation des groupes minoritaires aux Etats Unis révèle ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 29 que maison / communauté et école sont «des mondes à part ». On peut trouver des exemples de ces situations dans la recherche de Thomas et Wahrhaftig chez les Indiens Cherokee et les ‘folk Anglos’ (71), celle de Wax (76) chez les Sioux et celle de Burnett (73) chez les Portoricains de Chicago. A l’extérieur des Etats unis les conflits entre la maison et l’école ont été recensés par Peshkin (71) pour les Kanuri du Nigeria. (b) Valeurs. Les divergences dans les valeurs apparaissent souvent dans les écoles des classes moyennes. Par exemple, l’étude faite par Lee (63) des valeurs culturelles et des tendances objectives de base de l’economie et de la vie familiale d’une part, et de l’enseignement et de l’équipement pour les classes d’autre part, révèlent de nombreuses divergences. Henry (60) a trouvé des divergences entre ce que les enseignants croient que les enseignants doivent faire pour leurs élèves, et ce qu’ils enseignent effectivement dans leurs classes. Burger (68) a résumé les discontinuités entre les valeurs affichées par des enfants indiens et mexicains allant à l’école en Amérique du Sud-Ouest (voir aussi Cazden & John 71, Wax 76). (c) Langage et communication. Les discontinuités dans le langage et la communication constituent un vaste champ de la recherche anthropologique. L’hypothèse est que les enfants d’origine classe moyenne non blanche viennent à l’école avec un langage, un dialecte, des habitudes et attentes communicationnelles différentes des celles attendues à l’école. Il en résulte des erreurs de communication et de compréhension entre eux et l’enseignant lorsqu’ils interagissent dans une conversation ordinaire ou lorsqu’ils lisent leurs leçons. Plusieurs études sur le thème des discontinuités langage et la communication ont été citées lors que le cadre analytique interprétatif a été abordé (voir aussi Hymes 71, 72, Cazden & John 71, Philips 72, Cole & Bruner 72, Kochman 81). (d) Cognition. Les études cross-cultural ont considérablement augmenté depuis 1960, mais la plupart d’entre elles, à l’exception de l’expertise cross-national menée par l’Association internationale pour l’évaluation de la réussite scolaire (IEA), ne sont pas directement reliées au problème de l’éducation ; plus, peu de chercheurs sont anthropologues, bien que quelques-uns uns d’entre eux adoptent une «perspective anthropologique ». D’un autre coté, les EA acceptent les découvertes qui utilisent leurs perspectives, et euxmêmes utilisent les travaux de nombreux non-anthropologues. Il existe dans les sociétés occidentales une hypothèse largement répandue et défendue comme une sorte d’évidence, selon laquelle la performance académique est déterminée par «l’intelligence » ou le QI. Mais presque aussitôt que l’on eut découvert qu’il existait des différences raciales, ethniques et de classes dans les scores aux tests de QI, trois explications opposées sont apparues, à savoir précisément, que les différences étaient dues : soit à des différences génétiques, soit à des différences dans l’environnement domestique et les pratiques d’élevage des enfants, soit enfin à des ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 30 différences dans les bases culturelles. Aux Etats Unis, dans les années 60, l’explication environnementale l’emportait largement au moment où une politique sociale spéciale mettait l’accent sur les façons d’améliorer les performances académiques des enfants des minorités ou des familles de bas revenu. Lorsque les efforts de remédiation éducative n’obtinrent pas les rapides résultats attendus, l’explication génétique revint en force ; au même moment, les minorités, défendues par les anthropologues, commencèrent à affirmer l’importance des soubassements culturels. C’est dans ce contexte que les EA ont glosé sur la chose, étudié et publié sur les problèmes des rapport entre culture et cognition, ou ont interprété les études cross cultural des autres. Les recherches et les écrits de Cole et ses collaborateurs sur le thème culture, cognition et éducation, sont ceux qui ont eu l’influence la plus importante sur les EA (voir Gay & Cole 67, Cole & al. 71, Cole & Cribler 73, 74, Ciborowski 76). Dans leur recherche extensive sur les Kpelle du Liberia, Cole et ses collaborateurs ont exploré les diverses voies par les quelles la culture influence la façon dont les gens se comportent dans les tests d’intelligence standardisés et la façon dont ces gens pensent. Il ressort de cette recherche que les résultats aux tests ne peuvent être révélateurs d’une véritable aptitude ou d’une «véritable intelligence », en partie à cause des influences culturelles sur la situation de test. Les compétences cognitives sont les différents moyens par lesquels les capacités cognitives sont rassemblées ou utilisées pour résoudre les problèmes auxquels ont à faire face les membres d’une population ou culture spécifique (Cole et Scribner 73). Cole et ses collaborateurs se sont aussi attaqués à une autre question qui a retenu l’attention de manière croissante dans le champ de la culture et de l’école : les conséquences cognitives de l’école (Cole & Scribner 73). Bien que l’on sache depuis longtemps que les populations qui reçoivent une éducation formelle réussissent mieux aux tests de QI que ceux qui n’en reçoivent pas (Greenfield 66), Cole et ses collaborateurs ont tenté plus tard d’expliquer pourquoi c’était le cas (voir aussi Stevenson 82). Dans le champ des styles cognitifs, Cohen (69) a mené une recherche innovante importante. Alors qu’elle utilisait différentes terminologies, elle a découvert que les élèves des classes inférieures étaient plus dépendants 1 du champ ou «relationnels » et les élèves des classes moyennes étaient plus indépendants et/ou analytiques. Elle suggère que les enfants des classes inférieures ont tendance moins bien réussir à l’école parce que celle-ci favorise généralement le style cognitif analytique. (e) Motivation. Dans l’ensemble du champ d’étude des discontinuités, la motivation est probablement la dernière à avoir été étudié par les EA. Il n’existe pas d’autres études réalisées par d’autres chercheurs en sciences sociales qui soient d’un grand secours pour éclairer les confusions qu’entraîne la relation entre motivation et école. Tandis que les éducateurs et d’autres personnes se plaignent fréquemment du fait que le principal problème éducatif des minorités et des classes inférieures, est qu’elles manquent de 1 Je crois, du fait du contexte, qu’il y a une coquille dans le texte anglais qui dit «indépendant » [NDT] ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 31 motivation, la recherche montre souvent que ces populations ne manquent pas nécessairement de motivation. [292] Par exemple, chez les noirs américains, il a couramment été montré que ceux-ci ont une aspiration éducative plus élevée que les blancs, à classe sociale comparable (Rosen 69, voir aussi Ogbu 74, Weinberg 77). Katz (67), Ogbu (78) Poussaint & Atkinson (73) et Shack (70) ont suggéré que le véritable problème, dans le cas des noirs Américains, est le manque de persévérance dans la réalisation des tâches académiques. Ce qui précédente renvoie à la notion d’ «aspirations » que certains distinguent de celle de «motivation à la réussite » (achievement motivation) ou n Ach, qui constituerait un trait psychologique plus profond. Les groupes différent du point de vue du n Ach ; trois explications sont données pour ces différences : 1) McCleland (61) les attribue à la socialisation ; 2) LeVine (67) pense qu’elles sont dues à des différences dans le modèle de récompense societal ou dans le système de mobilité du statut ; 3) et DeVos (73) attire l’attention sur les origines individuelles ou collectives de la lutte pour la réussite, c’est à dire l’effort pour satisfaire individuellement les besoins comme dans la classe moyenne occidentale, ou celui pour satisfaire les besoins ou désirs d’un groupe collectif comme chez les Japonais. Il fait l’hypothèse que les différences dans le n Ach sont liées à la réussite académique, mais des études ont montré plus tard que les corrélations étaient peu élevées. Les discontinuités constituent l’hypothèse dominante soutenant les explications anthropologiques de l’échelle disproportionnée de l’échec scolaire dans les différents groupes. Néanmoins, il y a de multiples raisons pour se montrer sceptique vis à vis de cette hypothèse. Tout d’abord, cette explication a été proposée bien avant que les anthropologues aient réalisé des recherches ethnographiques sur l’école. Ensuite, les propositions attachées à l’hypothèse des discontinuités n’expliquent pas pourquoi elles n’affectent pas défavorablement tous les groupes mais seulement certains. Par exemple les Américains Noirs et les Américains Asiatiques font face à des discontinuités culturelles, mais seuls les Noirs en sont affectés défavorablement. Il convient de faire la différence entre les discontinuités qui se présentent entre deux groupes géographiquement séparés (par exemple les immigrants de l’étranger) et les discontinuités culturelles qui adviennent en réponse aux situations de contact, particulièrement celles qui incluent des relations de subordination et de domination (par exemple comme entre les américains blancs et noirs). Les deux types de discontinuité peuvent avoir des implications éducationnelles différentes. 3.5. Education et changement social Les études portant sur l’éducation et le changement social peuvent être classées en deux catégories : les études qui examinent le rôle de l’école dans la transformation sociale de différentes populations, incluant les sociétés non occidentales ou du Tiers monde, les immigrants, les minorités, les classes inférieures dans les sociétés industrielles complexes ; et «l’anthropologie appliquée » ou usage de la connaissance anthropologique pour résoudre les problèmes d’éducation ou de scolarisation. ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 32 Les exemples du premier type de changement – la transformation sociale – sont largement traités, spécialement pour ce qui concerne les populations du Tiers Monde. Ces études suggèrent que, dans différentes populations, la scolarisation rencontre de nombreux problèmes qui retardent souvent un changement positif. Les causes de ces problèmes peuvent être intrinsèques ou extrinsèques à la culture. Les facteurs extrinsèques comprennent la relation entre le groupe et ses protecteurs (patrons), ceux qui leur proposent l’éducation ou la contrôlent ; ils comprennent aussi les relations entre le groupe et ses écoles. Les facteurs intrinsèques sont les facteurs internes aux populations ; ils peuvent être culturels, sociaux ou linguistiques et faciliter ou entraver le succès scolaire. L’étude de Gay & Cole (67) sur les Kpelle du Liberia illustre très bien cette situation. Chez les Kpelle, les facteurs extrinsèques sont constitués de : i) l’organisation de l’école au petit bonheur (haphazard) par divers intermédiaires indigènes et étrangers avec des intérêts différents pour l’éducation Kpelle ; ii) des écoles Kpelle calquées sur le modèle étranger (Américain) ; iii) du caractère impropre pour les Kpelle du programme scolaire; iv) de l’imposition d’une langue étrangère comme moyen de transmission (médium) de l’instruction. D’un autre coté, les Kpelle ont également des difficultés à maîtriser les concepts mathématiques abstraits et d’autres objets pour la bonne raison que les concepts mathématiques indigènes (p.x. géométriques) sont peu nombreux et imprécis, et parce que le type de langage que les Kpelle utilisent et celui destiné à l’éducation sont différents de ceux qui sont associés à l’école. Les travaux de Gryndal (72), Peshkin (72) Howard (70) et d’autres décrivent d’autres dimensions du même problème. A l’intérieur des sociétés pluralistes comme les Etats Unis, les études portent sur les immigrants, les minorités et les enfants des classes inférieures ; quelques-unes unes d’entre elles ont été cité plus haut. Warner (44) par exemple a étudié les effets d’acculturation des écoles publiques sur les immigrants et les groupes ethniques. Beaucoup d’études s’intéressent aux Américains noirs, aux Américains Mexicains, aux Indiens et Porto Ricains aussi bien qu’aux Hawaiiens (Ogbu 74, 78, Moore 67, Wax & Wax 71, Thomas & Wahrhaftig 71). L’anthropologie appliquée à l’éducation prend des formes multiples. Certains Anthropologues ont écrit sur la façon dont le savoir anthropologique pouvait être utilisé pour améliorer l’école ou sur la question de leur propre participation aux activités scolaires. Depuis la fin des années 60 les Anthropologues ont écrit pour supporter la revendication des minorités ethniques et raciales dans leur revendication pour «une éducation multiculturelle », «biculturelle » et «bilingue » (voir les diverses contributions sur l’éducation multiculturelle dans Gibson 76). Les anthropologues ont été aussi pris une part active dans l’étude du bilinguisme et de l’implantation de l’éducation bilingue (voir Gumperz & Hernandez 72). Dans les dernières années, l’étude ethnographique de la dé-ségrégation scolaire et des écoles déségrégées a été encouragée aux Etats Unis par des institutions comme l’Institut National de l’Education. [293] Ces études tendent à fournir une vue plus claire sur la raison pour laquelle «l’intégration » n’apparaît pas immédiatement après la dé-ségrégation (voir Clement & al 78, Collins 78, Ogbu 78, 79, Slawski et Scherer 78). ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 33 D’autres anthropologues (Bohannon 73, Leacock 73, Redfield 76) ont travaillé avec des éducateurs et écrit pour les informer sur les différences culturelles et sur la manière de mieux connaître les besoins des enfants provenant de fondements culturels différents. Bohannon (76) et Chilcott (76) plaident pour l’introduction de l'anthropologie socioculturelle dans le programme des écoles publiques. Comme nous l’avons vu plus haut, cet effort a été encouragé par l’American Anthropologist Association depuis les années 60. 4. L’avenir L’anthropologie de l’éducation a accompli un remarquable développement depuis les années 60. Son identité comme sous champ de l’anthropologie a été fermement établie. A l’intérieur des établissements d’éducation – écoles normales (schools of education), instituts et organisations de recherche en éducation, associations de recherche en éducation – les contributions méthodologiques et théoriques sont reconnues ; souvent des anthropologues sont intégrés dans le personnel de ces établissements. Ils ne se contentent pas de donner des cours académiques à l’intérieur des départements et écoles d’éducation, mais participent activement à la formation des maîtres d’écoles, à la préparation du programme pour les écoles et dans différents autres services. Les EA ont de bonnes raisons de croire qu’à l’avenir ils continueront le progrès intellectuel vigoureux entrepris ces dernières années. Aucun de ceux qui proposent les cadres théoriques recensés dans cet essai (aussi bien que les autres EA non recensés) ne se satisfont de leurs modèles (Spindler 74). Les «vieux » modèles seront certainement concurrencé par les générations futures d’ EA qui auront eu l’avantage de bénéficier d’une formation académique en EA. Dans le champ de la méthodologie, une tendance heureuse est nettement repérable : les EA sont au premiers rangs des anthropologues qui publient des rapports (accounts) détaillés et systèmatiques de leur techniques de terrain, débattent avec vigueur des problèmes méthodologiques, s’efforcent d’affiner les techniques de recherche ethnographique pour l’étude des sociétés complexes et de leurs institutions, de systématiser les techniques d’analyse des données ethnographique et de répondre aux critiques aux études ethnographiques adressées par les autres chercheurs en sciences sociales (voir Goetz & Lecompte 81, Lecompte & Goetz 82, Gilmore & Glatthorn 82, Hymes 80, Ogbu 81a, Spindler 82). Les opportunités pour la recherche ne seront probablement pas aussi bonnes dans la dizaine d’années à venir que dans les précédentes. Cependant, cette situation devra encourager le réexamen et l’affinage des différentes questions conceptuelles et méthodologiques qui ont fait la force du sous champ. De surcroît, on peut prévoir l’application accrue de la connaissance anthropologique à la solution des problèmes éducationnels. Pas seulement à cause d’une demande accrue des clients pour l’éducation multiculturelle ; mais aussi parce que les spécialistes du champ anticipent la compréhension anthropologique de la question du fonctionnement des systèmes et s’efforcent de voir si on peut les faire fonctionner mieux. Moulidars 26/VII/99 ______________________________________________________________________ @ J. Ogbu, Anthropology of education, trad. P. Clanché 34