l Chronique | Universités Des CEO face à des philosophes Philippe Biltiau D.R. Professeur à l’ULB et codirecteur de programmes de formation pour adultes à la Solvay Brussels School ULB P La philosophie complète bien l’enseignement du management. P Elle aide le dirigeant à se poser les questions fondamentales. C réé par les trois principales business schools de la Fédéra­ tion Wallonie­Bruxelles, cel­ les de l’ULB, de l’ULg et de l’UCL, et par l’ASBL Philosophie et Manage­ ment, l’executive programme en Management et Philosophies aide les cadres d’entreprise à faire un cheminement ardu : il développe la capacité à questionner les points de vue et les pratiques managériales pour les dépasser et prendre de meilleures décisions. Les neuf jour­ nées du programme sont groupées autour de quatre domaines de ré­ flexion et d’action : la régulation et la liberté, l’émotion et la prise de décision, l’innovation et la com­ plexité, le sens et l’éthique. Nous avons demandé au juriste et philosophe Benoît Frydman qui in­ tervient dans le programme, en quoi la philosophie pouvait­elle être une aide pour un dirigeant d’entreprise : “On a recours à la phi­ losophie souvent quand nos cadres de pensée habituels sont considérés comme plus tout à fait pertinents, ef­ ficaces. Chaque professionnel, dans son milieu, fonctionne avec une vision du monde. Ainsi, il avait une certaine conception de l’entreprise : un acteur économique qui doit faire du profit. Parallèlement, on pensait aussi que fixer les règles était le rôle des pou­ voirs publics. Donc quand on com­ mence à demander à une entreprise de réglementer des choses ou bien de refuser certaines pratiques dans cer­ taines zones où elle est implantée, son discours c’est ‘ce n’est pas mon rôle, je ne suis pas un Etat’. Aujourd’hui, les Etats ne parviennent plus toujours à encadrer et on demande aux entre­ prises de prendre en charge les règles et de les faire respecter. C’est pertur­ “Questionner les points de vue et les pratiques managériales pour les dépasser.” bant pour un dirigeant éduqué dans l’ancien schéma. Il se rend compte que sa vision traditionnelle de l’entreprise n’est pas une évidence, mais une phi­ losophie. Donc il se pose des questions philosophiques : dans quel monde vit­on ? Qu’est­ce qu’une entreprise ? Et non plus, seulement, comment mo­ biliser les énergies pour faire du pro­ fit ? C’est à ça que la philosophie peut aider : répondre à des questions qui ne sont plus seulement de moyens, mais de fins.” Le philosophe, écrivain et édito­ rialiste français Roger­Pol Droit, qui intervient également dans le pro­ gramme, y présente une série de concepts qu’il considère lui aussi comme importants pour un mana­ ger : “Ce qui me paraît essentiel est de faire la jonction entre les analyses philosophiques et les problèmes con­ crets des managers. Les questions à poser sont par exemple : un licencie­ ment peut­il être éthique ? Et une dé­ localisation ? Et une faillite ? En quel sens, à quelles conditions ? Voilà le type d’interrogations que je souhaite aborder, en distinguant trois registres principaux : l’éthique des vertus, où l’on va compter sur les qualités per­ sonnelles des dirigeants, illustrée sur­ tout par Aristote et les philosophes antiques; l’éthique du devoir et de la loi, où l’on demande à une contrainte juridique de faire respecter les nor­ mes, qui s’inspire de Kant; l’éthique des conséquences, où l’on juge les déci­ sions à leurs résultats, indépendam­ ment des intentions ou des normes, qu’ont fondée les utilitaristes (Ben­ tham, Mill). Il me semble que ces trois niveaux d’analyse, qui peuvent se combiner, couvrent la plus grande partie des possibilités d’approche.” Laissons­lui la conclusion : “Ce que des managers peuvent retirer d’une telle confrontation avec des philosophes, ce ne sont sûrement pas des réponses toutes faites, ni des recet­ tes qu’il suffirait d’appliquer mécani­ quement. Mais j’espère qu’ils y trou­ veront des clarifications, des modèles d’analyses que chacun d’entre eux pourra ensuite utiliser dans son do­ maine d’expérience spécifique.” Dés­ tabilisant, non ?