La comparaison des processus de transformation post-communiste en République tchèque et en Bulgarie. Mémoire de recherche préparé sous la direction de Monsieur le Professeur Jean-Michel EYMERI-DOUZANS Directeur adjoint de Sciences Po Toulouse, Directeur du Master « Conseil, Expertise, et Action Publique » Mémoire de recherche présenté par Marianne Lopez Année universitaire 2014/2015 REMERCIEMENTS Je souhaite, tout d’abord, remercier Monsieur le Professeur Jean-Michel EymeriDouzans, mon directeur de mémoire, de son soutien et de son aide pour mon travail de recherches. Je souhaite remercier Son Excellence, Jean-Pierre Asvazadourian, Ambassadeur de France en République tchèque, pour l’entretien qu’il m’a accordé dans le cadre de ce mémoire. Je souhaite ensuite remercier Madame la Professeure Emmanuelle Boulineau et Monsieur Michel Fleischmann pour leurs témoignages. Enfin, je remercie tous mes amis tchèques et bulgares ainsi que leurs amis qui ont bien voulu participer aux entretiens pour ce travail de recherches. 2 SOMMAIRE REMERCIEMENTS .................................................................................................................2 SOMMAIRE ..............................................................................................................................3 INDEX DES SIGLES ................................................................................................................6 INTRODUCTION .....................................................................................................................8 PARTIE 1 - L’INSTALLATION DU COMMUNISME EN TCHECOSLOVAQUIE ET EN BULGARIE : DES TRAJECTOIRES SIMILAIRES ...................................................12 I/ De la libération à la constitution d’une force politique : les communistes collaborant avec les autres forces de résistances au joug nazi .............................................................12 1) Le cas de la Tchécoslovaquie......................................................................................13 2) Le cas de la Bulgarie ...................................................................................................14 II/ L’imposition de la règle du parti unique: l’élimination simultanée des autres forces politiques ...............................................................................................................................16 1) Le cas de la Tchécoslovaquie......................................................................................16 2) Le cas de la Bulgarie ...................................................................................................17 PARTIE 2 - LA FIN DES REGIMES COMMUNISTES EN BULGARIE ET EN TCHECOSLOVAQUIE : UN ESPOIR DISPARATE DE TRANSFORMATION ..........19 I/ La structure de l’Etat : l’importance des appareils d’Etat dans la transformation ..19 1) Deux Etats indépendants .............................................................................................19 2) Le degré d’indépendance : la clé de la réussite de la transformation? ........................20 II/ La fin des régimes communistes tchécoslovaque et bulgare : un point de différenciation crucial..........................................................................................................22 1) Une Tchécoslovaquie rebelle face à une Bulgarie fidèle ............................................22 2) Le post-totalitarisme gelé face au post-totalitarisme précoce .....................................24 a) Le post-totalitarisme gelé tchécoslovaque...............................................................24 b) Le post-totalitarisme précoce bulgare .....................................................................25 3) L’effondrement du régime communiste tchécoslovaque face à la chute contrôlée du régime communiste bulgare ...............................................................................................27 III/ Le rôle des acteurs nationaux dans la transformation post-communiste : la dissidence tchécoslovaque face aux communistes réformés bulgares .............................29 1) Des élites d’horizons différents...................................................................................29 3 2) La prise de pouvoir disparate des élites après la chute des régimes communistes tchécoslovaque et bulgare...................................................................................................31 a) La prise de pouvoir de la dissidence tchèque : entre espoirs et défis ......................31 b) La prise de pouvoir tardive de la dissidence bulgare ..............................................33 PARTIE 3 – LA PERIODE CLE DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES POUR LA TRANSFORMATION POST-COMMUNISTE DES DEUX PAYS : DES BASES POLITIQUES, ECONOMIQUES ET ETATIQUES DISPARATES.................................35 I/ La démocratie tchécoslovaque de l’entre-deux-guerres face au régime autoritaire bulgare : un modèle et un atout pour la transformation post-communiste....................35 1) La Tchécoslovaquie de l’entre-deux guerres : une « période de prospérité politique » 35 2) L’entre-deux guerres en Bulgarie : une période d’agitation politique accrue.............39 II/ Le poids de l’économie dans la transformation: l’éclairage pertinent de la période de l’entre-deux gue rres ........................................................................................................42 1) Une économie tchécoslovaque industrialisée et prospère...........................................42 2) L’économie bulgare des années d’entre-deux-guerres : une économie agraire et peu industrialisée .......................................................................................................................44 III/ La question des minorités, enjeu primordial de la transformation : une question réglée dans la période de l’entre-deux-guerres .................................................................47 1) Le cas des minorités présentes en Tchécoslovaquie ...................................................47 2) Le cas des minorités présentes en Bulgarie ................................................................49 PARTIE 4 – LE ROLE DES ACTEURS TRANSNATIONAUX DANS LA TRANSFORMATION : L’IMPORTANCE DE L’ADHESION A L’UNION EUROPEENNE........................................................................................................................51 I/ Le pouvoir de l’européanisation sur les transformations des pays ex-communistes .51 1) L’adhésion des Pays d’Europe Centrale et Orientale : un but construit dans le temps 51 2) Le processus d’adhésion à l’Union Européenne : un soutien aux transformations postcommunistes .......................................................................................................................53 II/ La République tchèque : une européanisation précoce grâce à sa transformatio n prometteuse...........................................................................................................................57 1) La conditionnalité démocratique : une caractéristique clé dans le début des négociations entre la République tchèque et l’Union Européenne.....................................57 2) Une stratégie de démarcation ou la volonté de montrer la valeur de la candidature des cinq leaders dont la République tchèque............................................................................58 4 III/ Une entrée dans l’Union Européenne différée pour la Bulgarie avec des différences de niveau de vie ....................................................................................................................62 1) La candidature de la Bulgarie : une candidature singulière requérant des efforts plus importants ...........................................................................................................................62 2) L’entrée de la Bulgarie critiquée et plus contrôlée .....................................................63 CONCLUSION ........................................................................................................................66 INDEX NOMINUM.................................................................................................................69 LISTE DES SOURCES ...........................................................................................................71 BIBLIOGRAPHIE ..................................................................................................................72 LISTE DES ANNEXES...........................................................................................................75 5 INDEX DES SIGLES ANTR Assemblée Nationale Tchécoslovaque Révolutionnaire CEE Communauté Economique Européenne CNT Conseil National Tchécoslovaque FEDER Fonds Européen de Développement Economique et Régional FSE Fonds Social Européen NSDAP Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei (Parti national-socialiste des travailleurs allemands) ODS Občanská Demokratická Strana (Parti démocratique civique, parti tchèque conservateur libéral) ORIM Organisation Révolutionnaire Intérieure Macédonienne OTAN Organisation du Traité de l'Atlantique Nord PAT Parti Agrarien Tchécoslovaque PCB Parti Communiste Bulgare 6 PCT Parti Communiste Tchécoslovaque PECO Pays d’Europe Centrale et Orientale UE Union Européenne URSS Union des Républiques Socialistes Soviétiques 7 INTRODUCTION « Si nous pouvons être certains d’une chose, c’est sans aucun doute de l’avenir de l’esprit humain : peu importe avec quelle violence, peu importe au nom de quoi il sera mis au pas, aiguillé, assujetti, il ressurgira toujours en lui l’exigence victorieuse de la liberté spirituelle. L’esprit peut être violé, mais ce n’est pas pour toujours ; tant qu’il pense, tant qu’il juge, tant qu’il crée, il franchira forcément les barrières, quel que soit le despotisme qui les lui impose. Tout pouvoir tyrannique est un obstacle qui tôt ou tard sera balayé ; chaque recul, chaque recours dégradant à la démagogie et au fanatisme n’est qu’un épisode, après lequel – avec des pertes inutiles, au prix du sang et d’un temps précieux – reviendra la liberté des âmes »1 affirma Tomas Garrigues Masaryk, premier Président de la Tchécoslovaquie. Cette affirmation illustre la chute du mur de Berlin qui a conduit à la fin des démocraties populaires en Europe centrale et orientale mais aussi la transformation de tous ces pays en des sociétés démocratiques libres avec une économie de marché ouverte. Pour étudier ce phénomène, certains auteurs ont d’abord eu recours au domaine de la transitologie, qui avait connu un pic de travaux de recherches au 20 ème siècle lors de la décolonisation, lors de la chute des régimes autoritaires sud-américains et d’Europe du sud. Les travaux de recherches effectués pour expliquer la transition vers la démocratie des pays sud-américains et des pays d’Europe du sud avaient été en effet repris pour expliquer la transition des pays d’Europe centrale et orientale. Or, la chute des régimes communistes n’a pas seulement entraîné une transition démocratique mais une transformation complète de la société : le passage d’une société socialiste à une société libérale ouverte. A partir de là, un sous-domaine fut créé : le domaine de la recherche post-communiste ou post-socialiste. La différence majeure de la recherche post-communiste est l’importance de la prise en compte de l’histoire et du passé, contrairement à la sociologie de la transition qui ne prend pas en considération l’ancien-temps et sous-entend une tabula rasa du passé2 . 1 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, Paris : Editions du Seuil, 1995, page 483 2 SEGERT Dieter, Postsozialismus: Hinterlassenschaften des Staatssozialismus und neue Kapitalismen in Europa, Vienne : New Academic Press, 2007, page 5 8 Claus Offe fut l’un des pionniers de la recherche post-communiste en théorisant le premier la transformation des pays d’Europe centrale et orientale. Sa thèse est que ces pays firent face à un dilemme de la simultanéité. D’après Claus Offe, furent en jeu dans la situation des pays d’Europe centrale et orientale après la chute des régimes communistes : - la question territoriale, - la question de la démocratie, - la question de l’ordre économique et de la propriété. Dans le cas des Pays d’Europe centrale et orientale, Claus Offe affirme que ces trois étapes furent franchies simultanément mais provoquant des blocages mutuels car l’une des trois questions doit être résolue pour que l’autre le soit3 . Claus Offe évoque notamment le problème du paradoxe de l’économie et de la démocratie qui peuvent être implantées en même temps, si elles sont mises en place par l’extérieur et si elles sont contrôlées. La démocratie peut être implantée si un certain degré de développement économique autonome a été atteint. A l’inverse, il faut aussi des conditions pré-démocratiques à l’introduction d’une économie de marché où les élites politiques sont responsables et permettent la participation de la majorité de la population4 . Par conséquent, dans les pays d’Europe centrale et orientale, un capitalisme politique fut installé5 . C’est à partir de cette théorie que la comparaison des processus de transformation postcommuniste entre la Bulgarie et la République tchèque a été envisagée. Nous parlons ici de transformation car la transition suppose un adjectif, soit démocratique, soit économique, soit territoriale. Dieter Segert, professeur allemand de Science Politique, définit la transformation comme un « processus de changement global des sociétés, dans lesquelles les institutions de base de la politique et de l’économie changent. Elle est la voie par laquelle un système de société change pour un autre. »6 . La comparaison de la Bulgarie et de la République tchèque peut paraitre surprenante mais cette comparaison a déjà été faite par des chercheurs mais qui 3 OFFE Claus, « Vers le capitalisme par construction démocratique ? La théorie de la démocratie et la triple transition en Europe de l’Est », Revue française de science politique, 1992, vol. 42, n°6, p. 928-929 4 OFFE Claus, « Vers le capitalisme par construction démocratique ? La théorie de la démocratie et la triple transition en Europe de l’Est », Revue française de science politique, 1992, vol. 42, n°6, p. 934 5 OFFE Claus, « Vers le capitalisme par construction démocratique ? La théorie de la démocratie et la triple transition en Europe de l’Est », Revue française de science politique, 1992, vol. 42, n°6, p. 931 6 SEGERT Dieter, Postsozialismus: Hinterlassenschaften des Staatssozialismus und neue Kapitalismen in Europa, op.cit, page 5 9 faisaient toujours une comparaison avec la Bulgarie, la République tchèque et aussi souvent avec la Hongrie et de la Pologne. Ici, la comparaison concerne seulement la Bulgarie et la République tchèque, qui en 1989, possédaient les mêmes caractéristiques pour avoir une transformation post-communiste similaire. En effet, même si la Bulgarie et la Tchécoslovaquie étaient sous influence soviétique directe, elles étaient toutes deux des Etats indépendants, contrairement aux pays créés à la suite de l’implosion de l’Union Soviétique, qui étaient des républiques soviétiques intégrées au territoire de l’URSS. Partant de ce constat, il s’agit ici de montrer comment ces deux pays ont eu des trajectoires de transformations différentes. Considérant les trois variables données par Claus Offe, nous souhaitons rechercher si d’autres variables ont joué dans la transformation de la République tchèque et de la Bulgarie. Si les deux pays possédaient les mêmes caractéristiques en 1989, le comportement des deux pays face au grand frère soviétique et face à l’idéologie socialiste pendant la période communiste, l’histoire des deux pays pendant l’entre-deux-guerres, ainsi que le rôle des acteurs nationaux et transnationaux (notamment l’Union Européenne) sont des variables à considérer pour expliquer en partie cette différence. A côté d’un travail de recherches théoriques important, un travail de terrain a été mené. Face à une comparaison de deux pays n’incluant pas la France, aucun questionnaire type n’a été conçu pour interroger toutes les personnes interviewées. Dès lors, il n’y pas de grand panel d’entretiens donnant suite à une analyse statistique. Neuf entretiens qualitatifs ont été menés où chaque questionnaire tenait compte des caractéristiques de nationalité ainsi que de générations de chaque personne interrogée. Interroger des personnes de nationalités et de générations différentes a été primordial pour avoir un regard le plus large possible sur la problématique. Des archives ainsi que des données statistiques tchèques et bulgares ont aussi été étudiées. Si les thèses de Claus Offe sont la base de ce mémoire de recherches, elles ont été nourries des thèses des chercheurs allant plus loin qu’Offe. Des livres d’histoire ont été 10 scrupuleusement étudiés ainsi que des textes sur l’européanisation et son impact dans la transformation des pays d’Europe centrale et orientale. Les limites de ces sources sont que ce mémoire est plutôt un mémoire de socio-histoire qu’un mémoire de sociologie pure. Si l’installation du communisme est un passé commun et similaire aux deux pays (PARTIE 1), la fin des deux régimes communistes marque déjà une certaine disparité (PARTIE 2), notamment dans le cadre de révolte contre le pouvoir et dans le pouvoir des acteurs nationaux. Nous étudierons après la variable historique en nous penchant sur les années de l’entre-deux-guerres, années charnières pour les deux pays (PARTIE 3) pour enfin nous intéresser au rôle et à l’impact des acteurs transnationaux et dont celui notamment de l’Union Européenne (PARTIE 4). 11 PARTIE 1 - L’INSTALLATION DU COMMUNISME EN TCHECOSLOVAQUIE ET EN BULGARIE : DES TRAJECTOIRES SIMILAIRES Considérant la libération du pays en se débarrassant de la domination du Troisième Reich ou dans l’imposition du Parti Communiste comme parti unique, la Bulgarie et la Tchécoslovaquie ont eu les mêmes trajectoires de soviétisation. A la fin de la guerre, les forces communistes des deux pays se sont alliées aux autres forces politiques combattant le nazisme (I) pour mieux se débarrasser de celles-ci dans les années d’après-guerre et ériger le parti communiste en parti unique (II). I/ De la libération à la constitution d’une force politique : les communistes collaborant avec les autres forces de résistances au joug nazi Si la comparaison de la Bulgarie et de la République tchèque peut paraitre surprenante et suscite des interrogations, il faut noter que l’installation des communistes comme force politique dans les deux pays fut très semblable. Leonid Gibianskii et Norman M. Naimark dans “The Soviet Union and the Establishment of Communist Regimes in Eastern Europe 1944-1954” catégorisent les différents pays libérés par l’Armée Rouge en fonction de l’installation et de la prise de pouvoir des régimes communistes dans cette région de l’Europe. Ils affirment que la Bulgarie et la Tchécoslovaquie appartiennent à une catégorie particulière. En effet, l’influence soviétique a été majeure dans ces pays dans les années qui ont suivi leur libération. Cependant, cette influence n’était pas la seule en présence dans la société et l’influence soviétique a été couplée avec l’influence de facteurs politiques et sociaux internes. En d’autres termes, les communistes ont dû jouer avec les forces de résistance autres que communistes pour se débarrasser du joug nazi. Par conséquent, les premières années postlibération n’ont pas vu l’unique présence des forces communistes dans le paysage politique 7 . 7 GIBIANSKII Leonid, NAIMARK Norman M., The Soviet Union and the Establishment of Communist Regimes in Eastern Europe, 1944-1954, Washington D.C. : The National Council for Eurasian and East European Research, 2004, page 13 12 1) Le cas de la Tchécoslovaquie La Tchécoslovaquie fut libérée début 1945 par l’Armée Rouge. Cependant, l’armée américaine libéra la partie ouest du pays, jusqu’à la ville de Plzen. La Tchécoslovaquie a donc été libérée par deux alliés différents. Néanmoins, l’influence de l’Armée Rouge marqua la fin de la guerre. Dès la libération du pays, Staline souhaitait annexer la Tchécoslovaquie à l’Union Soviétique. Lors de l’invasion de l’armée allemande dans le pays en 1939, Edvard Benes, Président de la Tchécoslovaquie s’envola pour Londres avec son gouvernement en exil. Après avoir aiguillé la résistance tchèque et avoir monté l’opération Anthropoïde pour tuer le protecteur de Bohême-Moravie Reinhard Heydrich, son souhait était de revenir dans le pays dès sa libération. Malgré sa popularité, le gouvernement en exil et Edvard Benes étaient déjà affaiblis et Moscou organisait déjà un gouvernement d’obédience communiste 8 . Edvard Benes rentra en Tchécoslovaquie le 3 avril 1945 et fit de suite face aux problèmes de l’après-guerre. En mai, le programme de Kosice fut adopté : les partis de la droite traditionnelle furent interdits. Les communistes n’essayèrent pas d’imposer la règle du parti unique et décidèrent de jouer avec les autres forces politiques de gauche et de centregauche. Le Front National des Tchèques et des Slovaques fut créé en se basant sur le principe d’union nationale. Néanmoins, dans les partis autorisés, il y avait deux partis communistes. Cette décision ne fut pas anodine et fut très stratégique. En mettant en avant le principe d’union nationale et le principe de pluralité politique, les forces communistes s’assuraient la majorité dans le gouvernement9 . A Moscou fut décidé le nombre de ministres que chaque force politique pouvait avoir dans le gouvernement provisoire : chaque parti fut représenté par trois ministres. Avec deux partis communistes, les forces communistes avaient six ministres dont deux vice-présidences représentées par Klement Gottwald et Viliam Siroky10 . Les premières élections post-libération furent organisées de manière régulière en 1946 et les communistes obtinrent un résultat mitigé : ils arrivèrent premiers dans les territoires tchèques mais seulement seconds dans les 8 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, op.cit., page 414 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 417-418 10 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 418 9 13 territoires slovaques. Par conséquent, les communistes durent partager le pouvoir avec les autres forces autorisées dans le pays. Néanmoins, en juillet 1946, Klement Gottwald prit la tête du gouvernement et les communistes avaient la majorité dans le gouvernement11 . 2) Le cas de la Bulgarie La Bulgarie a eu une libération légèrement différente de celle de la Tchécoslovaquie mais l’installation du communisme y est très similaire. Tout d’abord, le pays, associé à l’Allemagne nazie, essaya de se rapprocher des alliés. Par conséquent, l’URSS déclara la guerre à la Bulgarie et entra dans le pays dès 1944. L’Armée Rouge ne rencontra aucune résistance, grâce aux partisans en place et à la russophilie connue de la population bulgare. Les forces communistes en présence, notamment les partisans, formèrent, ensemble avec le Zveno (mouvement corporatiste), les sociaux-démocrates et l’union agrarienne, le Front patriotique. Le 9 septembre 1944, le Front patriotique organisa un coup d’Etat et prit le pouvoir12 . Les partisans communistes formèrent un nouveau gouvernement de coalition composé des forces présentes dans le Front patriotique. Comme en Tchécoslovaquie, les communistes s’allièrent aux forces de gauche et de centre-gauche pour prendre le pouvoir en Bulgarie13 . Les communistes savaient que seuls, ils n’auraient peut-être pas pu prendre le pouvoir lors du coup d’Etat. Ils ont donc profité d’une fenêtre d’opportunité et des forces de gauche et de centregauche pour arriver à leurs fins. Les premières élections furent organisées fin 1945 et le Front patriotique en fut le vainqueur. Dominant le gouvernement, les communistes restèrent enclins à garder un système de coalition avec d’autres partis14 . 11 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 422 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Histoire de la Bulgarie, Au pays des Roses, Brest : Editions Armeline, 2007, pages 214-215 13 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Ibid., page 218 14 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Ibid., page 219 12 14 En jouant avec les autres forces de résistance présentes en Tchécoslovaquie et en Bulgarie, les forces communistes ont pu se débarrasser, grâce à l’aide de l’Armée Rouge, du joug nazi pour ensuite s’imposer comme seule force politique légitime. 15 II/ L’imposition de la règle du parti unique: l’élimination simultanée des autres forces politiques En créant des fronts et mettant en avant une apparente pluralité des forces politiques, les communistes tchèques et bulgares réussirent à étendre leur influence subtilement, en trompant leurs adversaires politiques mais aussi les alliés occidentaux. 1) Le cas de la Tchécoslovaquie En Tchécoslovaquie, si le principe d’union nationale était la règle officielle, l’influence des communistes montait en puissance avec plusieurs atteintes à la démocratie et avec plusieurs signes de soviétisation. Tout d’abord, le Front National des Tchèques et des Slovaques était un organe non contrôlé au-dessus des partis et du gouvernement15 . En parallèle, le recours aux décrets présidentiels était courant et dès 1945, des usines et des entreprises furent nationalisées16 . De plus, les communistes contrôlaient les services de sécurité et la police car ils avaient le portefeuille de l’Intérieur. Enfin, pour ancrer leur influence, ils commencèrent dans la société une campagne de discréditation des grandes figures non-communistes de la résistance17 . Face à cette montée en puissance des communistes, les autres partis autorisés essayèrent d’agir sur l’économie en empêchant la nationalisation de plusieurs entreprises. Cependant, à cause d’un manque d’entente commune, les partis non-communistes ne réussirent pas à trouver une stratégie pour contrer l’influence des communistes dans la société 18 . Une étape importante de la soviétisation que les forces non-communistes ne pouvaient pas contrer fut au niveau international avec le refus forcé de la Tchécoslovaquie au plan Marshall. Depuis la fin de la guerre, la politique extérieure tchécoslovaque était alignée sur celle de l’Union soviétique. Cependant, l’offre du Plan Marshall fit naître un espoir dans les 15 16 17 18 BELINA BELINA BELINA BELINA Pavel, CORNEJ Pavel, CORNEJ Pavel, CORNEJ Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Petr, POKORNY Petr, POKORNY Petr, POKORNY Jiri, Jiri, Jiri, Jiri, Histoire des Pays tchèques, op.cit., page 418 Ibid., page 419 Ibid., page 423-424 Ibid., page 423 16 autres partis autorisés pour bénéficier d’investissements américains. La Tchécoslovaquie refusa une première fois le plan, ce qui ne découragea pas les hommes politiques tchèques non-communistes : ils pensaient pouvoir négocier de leur côté avec les Américains. L’URSS, au courant de la manœuvre des forces non-communistes, considéra cet acte comme directement dirigé contre l’URSS. Au final, tout le monde se résigna à la volonté des Soviétiques19 . La dernière étape fut le Coup de Prague en 1948. Les forces non communistes avaient enfin trouvé un accord commun mais il était trop tard. Jouant leur démission, les ministres non communistes demandèrent la création de commissions d’enquêtes sur les services secrets. Cependant, le Parti Communiste était déjà très implanté dans la société et bénéficiait du soutien inconditionnel du grand frère soviétique20 . Dès lors, les communistes, profitant de la vieillesse d’Edvard Benes, forcèrent le Président à accepter les démissions, sous menace de révoltes et de soulèvements en cas de refus. Edvard Benes céda : ce fut le Coup de Prague et l’installation officielle d’une démocratie populaire en Tchécoslovaquie. Sans interdire les autres partis pour donner une image de pluralité de façade, les communistes installèrent un système totalitaire où le Parti Communiste était le seul légitime à gouverner. Les communistes adoptèrent des lois très répressives et créèrent des camps de travail pour les personnes soutenant la “réaction”, donc, les soldats engagés à l’Ouest, les personnes de l’Eglise et les résistants non-communistes. Comme dans les années 1930 en URSS, on assista à la tenue de grands procès politiques pour purger les “ennemis de la Révolution” et pour purger certains hauts dignitaires du parti dont le secrétaire du parti Rudolf Slansky21 . 2) Le cas de la Bulgarie Nous observons le même phénomène en Bulgarie, où les communistes se servirent des autres forces politiques en 1944 pour prendre le pouvoir mais qui aspirèrent à devenir le seul 19 20 21 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 424-427 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 427-429 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 433-434 17 parti du paysage politique bulgare et aspirèrent à éliminer les autres partis. Si la règle officielle était de gouverner ensemble avec les autres partis du Front patriotique, en réalité les communistes pensaient déjà à étendre leur influence dans tout le pays. Très vite, une milice populaire aux ordres des communistes fut créée : son but était de procéder à une énorme épuration dans la classe dirigeante22 . Après la signature du traité de paix, le Parti Communiste Bulgare, comme en Tchécoslovaquie, organisa de grands procès politiques et exécuta les leaders de l’opposition, et notamment tous ceux de l’opposition hors Front Patriotique. Concernant les partis du Front, les sociaux-démocrates furent purement et simplement intégrés au Parti Communiste Bulgare. Le mouvement Zveno continua d’exister jusqu’en 1949 et le parti de l’Union Agrarienne fut associé au Parti Communiste Bulgare, après avoir exécuté le leader du parti. Comme en Tchécoslovaquie, le pays construisit des camps de travail forcé. On dénombra 45 goulags dans le pays23 . En septembre 1947, une nouvelle constitution fut adoptée marquant le début de la règle du parti unique. En parallèle, le gouvernement communiste entama une vague de nationalisations et une réforme agraire limitant la propriété24 . En 1949, Valko Tchervenkov, fervent stalinien prit la tête du gouvernement et appliqua les méthodes staliniennes, dont notamment la terreur, le culte de la personnalité et le réalisme soviétique25 . Si la similitude d’installation du communisme en Tchécoslovaquie et en Bulgarie à la fin de la guerre est indéniable, la fin de ces régimes quarante ans après fut très disparate. 22 CASTELLAN 217 23 CASTELLAN 24 CASTELLAN 25 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Histoire de la Bulgarie, Au pays des Roses, op.cit., page Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Ibid., pages 218-220 Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Ibid., page 220 Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Ibid., page 222 18 PARTIE 2 - LA FIN DES REGIMES COMMUNISTES EN BULGARIE ET EN TCHECOSLOVAQUIE : UN ESPOIR DISPARATE DE TRANSFORMATION Malgré une structure d’Etat similaire (I), la fin des régimes communistes marque une différence importante entre les deux pays (II) engendrant des conséquences importantes sur leur transformation notamment sur les élites au pouvoir après 1989 (III). I/ La structure de l’Etat : l’importance des appareils d’Etat dans la transformation Les deux Etats furent sous influence soviétique mais étaient indépendants, ce qui leur permettait d’avoir les appareils d’Etat nécessaires pour accomplir leur transformation. 1) Deux Etats indépendants Comme on l’a vu précédemment, la Tchécoslovaquie et la Bulgarie furent libérées par l’URSS. En s’associant avec d’autres forces politiques, les Communistes réussirent à combattre les Nazis et à s’imposer comme force politique unique, grâce à une stratégie politique d’évincement efficace des autres partis. Les deux pays furent donc des “démocraties populaires” ou “pays satellites” aux ordres de l’URSS. Néanmoins, malgré une influence soviétique incontestable, ces deux Etats furent des Etats indépendants. Alexander J. Motyl “Communist legacies and new trajectories: Democracy and dictatorship in the former Soviet Union and East Central Europe” évoque le concept de “degré d’indépendance”26 . La Bulgarie et la Tchécoslovaquie avaient un degré d’indépendance plus fort par rapport à Moscou que l’avaient d’autres pays, et notamment les pays ex-républiques soviétiques. 26 MOTYL, Alexander J., « Communist legacies and new trajectories: Democracy and dictatorship in the former Soviet Union and East Central Europe », in BRUDNY Yitzhak, FRANFEL Jonathan, HOFFMAN Stefani (dirs.), Restructuring Post-Communist Russia, Cambridge : Cambridge University Press, 2004, page 57 19 Concrètement, un plus fort degré d’indépendance se traduit en Tchécoslovaquie et en Bulgarie par le fait qu’ils étaient des Etats reconnus par la communauté internationale, avec une frontière et une population définies sur lesquelles s’exerçait le pouvoir d’un gouvernement. Ces deux pays disposaient donc d’appareils d’Etat: parlement, gouvernement, ambassades à l’intérieur du pays mais aussi à l’extérieur. Les pays ex-républiques soviétiques qui émergèrent de la dislocation de l’Union Soviétique furent des pays sans aucun degré d’indépendance. Dès lors, ces pays n’avaient aucune institution pouvant être utilisée pour la constitution d’un régime démocratique. La définition d’un peuple et d’une nation était très problématique: avant l’implosion de l’URSS, chaque personne était de nationalité soviétique. A cela s’ajouta aussi des problèmes de délimitation de frontières. 2) Le degré d’indépendance : la clé de la réussite de la transformation? Alexander J. Motyl affirme que ce degré d’indépendance détermine la forme d’Etat, le gouvernement et les élites qui apparaissent à la chute du communisme. Si on s’intéresse aux transformations des pays ex-républiques soviétiques et des pays ex-satellites de l’URSS, on constate de grosses différences de transformations. La plupart des pays ex-républiques soviétiques sont des pays qui se sont transformé en dictatures et/ou en régimes autoritaires avec à leur tête des dirigeants qui sont au pouvoir depuis la création du pays. On peut citer notamment le président du Kazkhstan Noursoultan Äbichouly Nazarbaïev, président depuis 1990 et toujours réélu avec plus de 90% des voix. Si on s’intéresse aux pays ex-satellites de l’URSS, aucun des pays ne s’est transformé en dictature ou en régime autoritaire, même si certains ont des progrès à faire en termes de démocratie. Seule la Slovaquie a connu une période de régime autoritaire à l’époque de Vladimir Meciar. Là aussi, le cas de la Slovaquie correspond au cas des pays ex-républiques soviétiques car la Slovaquie était une partie de la Tchécoslovaquie dont la capitale était à Prague : il n’y avait donc rien en Slovaquie pour former un gouverne ment démocratique. 20 Malgré cette similitude de structure d’Etat, la période communiste fut vécue de manière différente en Tchécoslovaquie et en Bulgarie, où dans le premier pays on essaya de changer le régime en place et où le second resta fidèle à Moscou et à l’idéologie socialiste jusqu’à la fin. 21 II/ La fin des régimes communistes tchécoslovaque et bulgare : un point de différenciation crucial La grande différence entre la Tchécoslovaquie et la Bulgarie avec des répercussions importantes sur la transformation post-communiste des deux pays fut le mouvement de rénovation avorté tchécoslovaque en 1968, mouvement qui n’eut pas lieu en Bulgarie. 1) Une Tchécoslovaquie rebelle face à une Bulgarie fidèle Jusque-là, la similarité des deux pays dans l’installation du communisme et dans leurs formes d’Etats a été démontrée. Cependant, une grande différence sépare les deux pays pendant les années de régime communiste: on fit face à un pays rebelle et à un autre fidèle à Moscou. Le Printemps de Prague de 1968 et l’invasion soviétique par rapport à la fidélité de la Bulgarie à l’URSS ont marqué leurs trajectoires post-communistes et la prise de pouvoir de leurs élites post-communistes. En Tchécoslovaquie, les prémices du Printemps de Prague commencèrent dès 1967 avec le congrès de la jeunesse tchécoslovaque qui demanda à l’Etat une plus grande pluralité dans les organisations de jeunesse. Le congrès demandait en fait la reconnaissance des groupes considérés En comme “clandestins” et contre le régime. parallèle, les étudiants tchécoslovaques commencèrent à manifester pacifiquement dans les rues pour dénoncer leurs conditions de vie dans les cités universitaires délabrées du pays. Cette agitation estudiantine fut réprimée par la police d’Etat. En janvier 1968 commença un processus de rénovation du Parti Communiste Tchécoslovaque : Antonin Novotny commença à être fortement critiqué au sein du parti, ce qui conduisit à sa destitution de son poste de chef du parti et ainsi que de son poste de Président de la République. Alexandre Dubcek prit la tête du parti et la tête des réformateurs. Ces réformateurs étaient plus des réformateurs économiques que politiques. En effet, leur idée n’était pas du tout de mettre en place un pluralisme politique. Il était question de garder une économie planifiée tout en cherchant de nouvelles solutions afin d’augmenter la productivité 22 et afin d’éviter le gaspillage. En mars 1968, Ludvik Svoboda devint Président de la République et Oldrich Cernik fut nommé Premier Ministre. Un nouveau parlement fut élu et la Tchécoslovaquie devint un Etat fédéral. Après la rénovation du parti, l’économie de marché fut instaurée en Tchécoslovaquie. Du côté de la population et de la société, les changements furent flagrants: la censure devint presque inexistante, les organisations interdites comme l’association de sport Sokol furent de nouveau réhabilitées, des conseils de travailleurs furent organisés dans tout le pays, enfin le Club 321, club d’anciens prisonniers politiques, fut créé27 . Cependant, dès juin 1968, des mouvements des troupes du Pacte de Varsovie commencèrent. En parallèle, une campagne violente anti-Tchécoslovaquie commença. Mi-juillet 1968, au nom de la doctrine Brejnev, la Bulgarie de Todor Jivkov proposa en premier l’intervention par la force, estimant qu’il était du devoir des Partis Communistes de défendre le socialisme et la position internationale de la société socialiste. Le 21 août, les troupes du pacte de Varsovie, soit 750 000 soldats et 6 000 chars, entrèrent dans le pays et les dirigeants réformateurs furent convoqués à Moscou28 . En Bulgarie, la situation fut totalement différente. La Bulgarie fut qualifiée de “satellite sans histoire”, en comparaison avec ses voisins hongrois, tchécoslovaque, polonais. Todor Jivkov fut nommé Premier Ministre en 1956 et resta au pouvoir jusqu’en 1989. En 1956, il arriva au pouvoir dans un contexte d’agitation dans le camp socialiste avec les événements de Hongrie. Todor Jivkov fut très prudent et décida de déjouer toutes les possibilités de résistance et de révolte au sein du parti en remplaçant certains directeurs. Il limogea notamment le Président de l’Union des Ecrivains et le remplaça par un réaliste socialiste. « A la différence d’autres dirigeants comme Gomulka, Dubcek, Jivkov ne fut pas tiraillé entre des options contradictoires moscovites ou nationales » : le pays resta donc un allié fidèle de Moscou dont “l’horloge [...] marche à la seconde près avec celle de l’Union Soviétique”29 . 27 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, op.cit., pages 446-448 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 450 29 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Histoire de la Bulgarie, Au pays des Roses, op.cit., pages 224-227 28 23 2) Le post-totalitarisme gelé face au post-totalitarisme précoce La Tchécoslovaquie et la Bulgarie à la fin des années 1980 avaient différentes combinaisons politiques, économiques et civiles. Juan J. Linz et Alfred Stepan dans “Problems of Democratic Transition and Consolidation: Southern Europe, South America, and Post-Communist Europe ” tentent de comprendre le post-totalitarisme en Tchécoslovaquie et en Bulgarie. En Tchécoslovaquie, on fit face à un post-totalitarisme gelé découlant de l’invasion du pays par les troupes du Pacte de Varsovie et en Bulgarie à un post-totalitarisme précoce avec des prémices de réformes. a) Le post-totalitarisme gelé tchécoslovaque Après l’invasion, la doctrine Brejnev fut pleinement mise en place dans le pays : c’est ce qu’on appela la normalisation. Gustav Husak fut nommé Président et si on le compare avec Janos Kadar en Hongrie, Husak était encore moins flexible et moins complaisant que son voisin hongrois. Il mena, à partir de 1969, la plus grande purge du Parti Communiste de l’histoire de l’Europe de l’Est : environ un tiers du parti fut purgé. Au niveau économique, le Parti Communiste Tchécoslovaque adhéra à l’orthodoxie socialiste planificatrice. Au final, la Tchécoslovaquie, jusqu’en 1989, ne mena aucune réforme que ce soit dans le domaine politique ou économique30 . Garton Ash parle d’un pays resté dans un « hiver de quinze ans après un printemps de Prague »31 . Milan Kundera décrivit ce qui se passa lors de la mise en place de la normalisation : il fallait “oublier”. Il fallait oublier le Printemps de Prague, l’invasion, la démocratie tchécoslovaque des années 1920. Milan Kundera expliqua aussi ce que le nouveau pouvoir en place attendait de la société : “nous vous demandons pas de croire en notre stupide idéologie. Tout ce que l’on demande est de vous conformer en public et à l’extérieur »32 . Les Tchécoslovaques devaient donc se conformer à la normalisation sans croire fondamentalement 30 LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Problems of Democratic Transition and Consolidation: Southern Europe, South America, and Post-Communist Europe, 1996, Baltimore : JHU Press, page 318 31 LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid, page 320 32 LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid, page 320 24 à l’idéologie socialiste. Vaclav Havel parla d’un peuple qui devait « vivre dans un mensonge »33 . Cependant, le régime était loin d’être l’idéal-type du totalitarisme car, même après l’invasion des troupes du Pacte, la dissidence civile fut l’une des plus importantes des pays satellites de l’URSS. En dépit de plusieurs arrestations et emprisonnements, la Charte 77 et le Comité pour la défense des personnes injustement accusées continuèrent leurs activités de manière clandestine et le mouvement underground se développa. Le terme de gelé montre donc comment le régime n’entama aucune forme de réforme de 1969 à 1989. b) Le post-totalitarisme précoce bulgare En Bulgarie dans les années 1980, une crise commença à s’installer dans le pays. Les événements de Pologne de l’époque avaient choqué Todor Jivkov qui commença à entamer quelques réformes à partir des années 1980. C’est pour cela que Juan J. Linz et Alfred Stepan évoque le concept de post-totalitarisme précoce. Concrètement, le domaine de la culture fut tout d’abord réformé. Le Comité des Arts et de la Culture était dirigé à l’époque par la femme de Todor Jivkov qui décida d’assouplir la censure avec une plus grande ouverture sur l’étranger et avec l’encouragement à des formes d’art qualifiées de « plus libres ». Au niveau économique, le marché de biens de consommation fut plus soutenu. Enfin, après avoir provoqué la colère de la minorité musulmane du pays avec une politique de « bulgarisation » en 1984 et 1985, Todor Jivkov décida de faciliter le départ de la minorité musulmane vers la Turquie en lui donnant des visas d’émigration. Plus de 300 000 personnes quittèrent le pays pour rejoindre la Turquie34 . Néanmoins, à côté de ces quelques réformes, la Bulgarie restait, d’après la classification de Linz et Stepan, l’Etat qui s’approchait le plus de l’idéal-type totalitaire, contrairement à la 33 LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid, page 320 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Histoire de la Bulgarie, Au pays des Roses, op.cit., pages 228-230 34 25 Tchécoslovaquie, en dépit d’une démarche de normalisation. En effet, avant 1988, la Bulgarie n’avait jamais connu aucun acte de résistance ou aucune vague de révolte, constat partagé par Deyan Kiuranov, leader d’un des mouvements indépendants bulgares Ecoglasnost. Deyan Kiuranov admet qu’il y avait eu, avant 1988, quelques actes individuels de résistance au régime de Todor Jivkov mais que ces derniers n’avaient pas eu de véritables effets sur la société. Quand ces actes furent commis, personne n’en avait eu connaissance 35 . En Bulgarie, le début de la contestation commença donc à la fin des années 1980. Cela commença par une vague de mécontentement au sein de la population due aux coupures fréquentes d’électricité. Les centrales électriques du pays étaient vétustes et peu nombreuses pour les besoins de toute la population. De plus, la jeunesse bulgare était désabusée et ne croyait plus à la propagande d’Etat. Cela conduisit à une vague de protestations violentes avec des mouvements de population. Certains groupes de dissidence se formèrent mais leurs membres furent constamment arrêtés et agressés et le pouvoir fit en sorte que ces personnes ne se rencontrent plus et ne fassent plus rien ensemble 36 . En 1988, un mouvement écologiste prit forme. En effet, un comité de défense fut créé pour dénoncer la pollution du lac de Roussée, il fut le plus important groupe de résistance au régime37 . La Bulgarie a donc eu une trajectoire tout à fait différente de celle de la Tchécoslovaquie dans la résistance au communisme puisque celle-ci a commencé bien plus tard et a pris la forme d’un comité de défense écologiste. Ce comité fut composé de dissidents et d’intellectuels et compta plus de 300 membres. Deyan Kiuranov en était donc un des membres. Kiuranov évoque la constitution de ce groupe et déplore qu’après la réunion de création du groupe, aucune réunion avec ses membres ne fut organisée. Le comité de défense de la Roussée profita de la présence de médias étrangers pour protester contre la pollution du lac, les médias étrangers filmèrent toute la manifestation. Le comité bénéficia donc d’un relais incroyable. Après cela, 30 nouveaux membres adhérèrent au 35 LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Problems of Democratic Transition and Consolidation: Southern Europe, South America, and Post-Communist Europe, op.cit., page 335 36 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Histoire de la Bulgarie, Au pays des Roses, op. cit., page 229 37 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Ibid., Paris : L’Harmattan, 2001, page 230 26 comité, dont certains étaient membres du Parti Communiste Bulgare. Ces derniers furent accusés de « création de structures parallèles à celles existantes » par la direction du Parti. Cette accusation montre en quoi, jusqu’en 1988, la Bulgarie fut un Etat très proche de l’idéaltype totalitaire, dans le domaine du pluralisme politique. Quelques mois après la création du Comité, il fut interdit et disparut de la scène politique. Pour les autres groupes de résistance qui furent créés à la même période, leurs leaders furent expulsés du pays ou furent harcelés et subirent une purge équivalente à celle de Staline dans les années 1930 38 . A côté de ce comité se créa en Février 1989 le groupe Ecoglasnost dont le leader fut Deyan Kiuranov. Ce groupe organisa des manifestations politiques publiques et bénéficia surtout de la protection de la Conférence sur le Sécurité et la Coopération en Europe, qui se déroula cette année- là à Sofia. Cependant, les membres de l’Ecoglasnost craignaient des représailles massives du régime après le départ des délégations de la Conférence. Au final, la dissidence bulgare fut réellement visible qu’à partir de la moitié de 1989, contrairement à la Tchécoslovaquie, qui elle, malgré la normalisation, avait toujours un groupe de dissidents connus et visibles dans la société. En Bulgarie, le nombre de leaders dissidents connus du grand public fut faible. Cette faiblesse d’opposition démocratique a joué dans la capacité du pays à se transformer après la chute du régime 39 . 3) L’effondrement du régime communiste tchécoslovaque face à la chute contrôlée du régime communiste bulgare La fin du régime socialiste tchécoslovaque est un effondrement. Nous entendons ici par effondrement la définition de Juan J. Linz et d’Alfred Stepan. Un effondrement est le résultat d’une rigidité, d’une ossification et d’une perte de réponse des élites qui ne leur permettent pas de prendre les décisions en temps et en heure pour anticiper les crises et les changements. Dans le cas de la Tchécoslovaquie, on a vu dans la sous-partie précédente que le régime s’était 38 LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Problems of Democratic Transition and Consolidation: Southern Europe, South America, and Post-Communist Europe, op.cit., page 335-336 39 LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid, page 337 27 gelé. Pendant vingt ans, le pays s’était comme arrêté et le régime socialiste d’Husak n’avait entamé aucune réforme et cet immobilisme a conduit à un effondrement du régime40 . Le régime socialiste bulgare, par un processus d’ajustement, de répression et de négociation, a été capable de contrôler la transition. La fin du régime communiste en Bulgarie fut représentée par la démission de Todor Jivkov41 . En Bulgarie, à la différence de la Tchécoslovaquie, la fin du régime fut une « affaire interne au parti » comme le dit Deyan Kiuranov42 . En effet, fragilisé par les tensions avec la minorité musulmane de Bulgarie réclamant un exode vers la Turquie, Todor Jivkov fit face tout d’abord à la démission de son Ministre des Affaires Etrangères Petar Mladenov. Le 24 octobre 1989, Petar Mladenov dans une lettre ouverte au Parti Communiste Bulgare annonça sa démission. Dans cette lettre, il accusa Todor Jivkov des maux du pays : il lui attribua la responsabilité des crises économique, financière et politique. Petar Mladenov mit en avant dans cette lettre aussi le besoin d’une politique contemporaine pour le pays. Le 9 novembre 1989, un bureau politique fut organisé et Todor Jivkov fut poussé à la démission et ne bénéficia d’aucune défense. C’est ce qu’on appelle en Bulgarie la « Révolution de Palais »43 . Les deux pays ont donc connu une fin de régimes communistes disparates où en Tchécoslovaquie, causé par la normalisation de 1969, le régime s’est ossifié et s’est effondré alors qu’en Bulgarie, quelques réformes furent entamées et en faisant une « révolution de palais », la fin du régime fut d’une certaine manière contrôlée. L’étude du rôle des acteurs nationaux dans la transformation post-communiste est un nouveau point de différenciation entre les deux pays. 40 LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid, page 322 LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid, page 322 42 LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid.,, page 336 43 KALINOVA Evguenia, BAEVA Iskra, La Bulgarie contemporaine entre l’Est ou l’Ouest, Paris : L’Harmattan, 2001, page 149 41 28 III/ Le rôle des acteurs nationaux dans la transformation post-communiste : la dissidence tchécoslovaque face aux communistes réformés bulgares 1) Des élites d’horizons différents Dans les opérateurs des transformations post-communistes en Bulgarie et en Tchécoslovaquie, nous observons des différences importantes. Si la présence d’intellectuels dans la dissidence tchécoslovaque et bulgare est un trait commun, la Bulgarie se différencie par la spécificité de sa « Révolution de Palais » où des communistes éjectèrent du pouvoir Todor Jivkov. En ce qui concerne la Tchécoslovaquie, la dissidence civile était très importante, que ce soit en dans le pays ou à l’étranger. La Charte 77 état essentiellement composée d’intellectuels et d’artistes dont le leader fut Vaclav Havel. Autour d’eux, s’ajoutait aussi toute la génération de la culture underground des années 1970 et 1980 avec notamment le groupe de musique The Plastic People of the Universe qui fut dissout par le régime et sous la pression internationale fut réhabilité44 . Un nombre important de dissidents tchèques résidait à l’étranger dont notamment Milan Kundera ou encore la famille Fleischmann. Ivo Fleischmann fut poète, traducteur et diplomate tchécoslovaque. Ivo Fleischmann fut nommé, entre 1946 et 1964, conseiller culturel à l’Ambassade tchécoslovaque de Paris. Pendant cette période, il se lia d’amitié avec les intellectuels comme André Malraux, Jean-Paul Sartre et Louis Aragon. Lui, ainsi que l’Ambassadeur de Tchécoslovaquie, étaient du côté des réformateurs tchèques autour d’Alexandre Dubcek. Ivo Fleischmann, après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie et le début de la normalisation, demanda l’asile politique à la France en 1969. Ses trois fils étudièrent en France. Un de ses fils, Michel Fleischmann, travaillait pour France Culture où il animait des émissions culturelles. En 1989, pour un reportage, il retourna dans son pays natal et il ne l’a plus quitté. Il investit le monde de la radio indépendante et joua 44 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, op.cit., pages 467 29 un rôle clé dans l’indépendance des médias. Cette aura dont bénéficiait la Charte 77 incitait de nombreuses délégations étrangères à rencontrer la dissidence tchèque. En 1988, François Mitterrand effectua une visite d’Etat en Tchécoslovaquie et rencontra, avant de rencontrer le gouvernement tchécoslovaque, la dissidence de la Charte 77 avec Vaclav Havel pour un petitdéjeuner dans les locaux de l’Ambassade de France. En revanche, en Bulgarie, la dissidence civile fut beaucoup moins importante et beaucoup moins fournie. En effet, contrairement à la Hongrie, à la Tchécoslovaquie ou à la Pologne, la Bulgarie n’a pas eu de dissident comme Vaclav Havel ou de Lech Walesa. Emmanuelle Boulineau, Professeure de géographie à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, spécialiste de la Bulgarie indique que « c’est justement ce que les Bulgares mettent en avant pour expliquer les différents problèmes qu’ils ont encore à régler découlant de la chute du communisme ». On a vu précédemment que la faiblesse de la dissidence tenait du fait que le régime communiste bulgare était très proche de l’idéal-type totalitaire et le régime bulgare réprima jusqu’en 1989 les manifestations dirigées contre le pouvoir. Néanmoins, la dissidence bulgare fut aussi composée essentiellement d’intellectuels dont Deyan Kiuranov. Ces intellectuels bénéficiaient aussi d’une aura internationale grâce à leurs relations avec d’autres intellectuels étrangers ou grâce à certains intellectuels bulgares partis ou expulsés à l’étranger. Cette couverture internationale fut cruciale pour relayer leurs idées et leurs opinions à partir du milieu de 1989. Comme on l’a vu précédemment, la Bulgarie, par sa « Révolution de Palais », a plus compté sur des élites communistes réformées pour se débarrasser du régime presque totalitaire bulgare. A la différence avec la Tchécoslovaquie, en Bulgarie doivent être prises en compte les élites dissidentes ainsi que les élites du Parti Communiste Bulgare qui contribuèrent aussi à la transformation du pays. 30 2) La prise de pouvoir disparate des élites après la chute des régimes communistes tchécoslovaque et bulgare Les élites en place en Tchécoslovaquie et en Bulgarie n’ont pas pris de la même façon le pouvoir. En Tchécoslovaquie, la dissidence prit le pouvoir alors qu’en Bulgarie ce furent d’abord les communistes réformés du Parti Communiste Bulgare qui prirent le pouvoir. a) La prise de pouvoir de la dissidence tchèque : entre espoirs et défis En Tchécoslovaquie, comme on l’a vu précédemment, le régime communiste s’effondra. Tout commença le 17 novembre 1989. Cette date fut le point culminant de la contestation : la rumeur courait que la police avait abattu un étudiant lors de manifestations. Une grève fut lancée dans les lycées, universités et théâtres. Le 19 novembre, le Forum Civique fut créé avec à sa tête Vaclav Havel. Les dissidents tchécoslovaques organisèrent du 21 au 26 novembre de grandes manifestations pour dénoncer la règle du parti unique. Les représentants communistes échouèrent à appeler l’armée et les cadres du parti pour stopper les manifestations. Sous la pression, le 10 décembre Gustav Husak démissionna de toutes ses fonctions et un nouveau gouvernement fut formé avec les dissidents du Forum Civique et du Public contre la Violence et Vaclav Havel fut élu par l’Assemblée fédérale Président le 29 décembre 198945 . Le régime communiste tchécoslovaque fut donc défié par d’autres forces internes et fit face à de multiples défections à l’intérieur de l’Etat, notamment ici l’échec de l’appel à l’armée et aux cadres du parti pour arrêter les manifestations. Dès lors, la défection de ces strates de l’Etat amène la question de la légitimité au sens wébérien du terme 46 . Ici, Gustav Husak ne fut pas capable d’avoir autour de lui un groupe qui put exécuter ses ordres et arrêter les manifestations. Au final, l’armée et les cadres du parti ainsi que la population ne reconnurent plus le pouvoir en place comme légitime. La légitimité passa donc du côté de la dissidence tchécoslovaque et du côté du Forum Civique. 45 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., pages 474-476 LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Problems of Democratic Transition and Consolidation: Southern Europe, South America, and Post-Communist Europe, op. cit., page 323 46 31 La dissidence tchécoslovaque avait, comme étudié précédemment, la particularité d’être presque totalement composée d’intellectuels, ce qui donna une nouvelle vision du postcommunisme dans le pays. Le changement de pouvoir fut réalisé en peu de temps avec une élite intellectuelle et artistique plus ou moins prête, comme l’affirme Michel Fleischmann : “Ce sont des gens qui savent monter un spectacle, lui donner un rythme, des chapitres ou des actes. Oui, ils sont allés très vite, au début, la salle leur était vite acquise.”. Quand Vaclav Havel devint Président, il se considéra surtout comme apolitisé et représentant du Forum Civique, au-dessus des partis politiques qui commencèrent à émerger à l’époque. Jan Urban, ancien coordinateur du Forum Civique raconte que Vaclav Havel refusait même de recevoir les représentants des partis : il fut forcé par des représentants du Forum Civique et du Public contre la Violence de recevoir des délégations de partis politiques, mais pas dans une salle de réunion. Ils furent reçus dans une antichambre de la salle : marquage de l’indifférence qu’avait Havel pour les politiciens47 . Cependant, la partie politique de la prise de pouvoir arriva vite, comme l’affirme Michel Fleischmann « Le hic vient du fait que le théâtre, la littérature, le cinéma, l’art, ce n’est pas de la politique. Une pièce de théâtre a une fin, comme un roman ou un film. La politique est sans fin ». La réforme économique a dû être vite entamée et là elle fut menée par Vaclav Klaus, néo-libéral ayant fait ses études à l’étranger mais qui commença sa carrière dans la fonction publique d’Etat et qui considérait la dissidence tchécoslovaque et notamment Vaclav Havel comme de gens “condescendants”. En 1991, le Forum Civique se désagrégea et commença l’installation d’un nouveau système politique. Les partis commençaient à se former dont le parti de la droite conservatrice ODS de Vaclav Klaus, l’installation du capitalisme se poursuivait petit à petit mais beaucoup d’anciens cadres du parti s’appropriaient les industries délaissées. Le plus gros problème à gérer pour cette élite apolitisée fut la gestion de la partition de la Tchécoslovaquie, puisque Vaclav Havel était hostile cette partition. Il pensait que l’élan donné par la Révolution de Velours aurait créé une conscience d’Etat dans toute la 47 LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid., page 332 32 Tchécoslovaquie et que les tendances séparatistes se seraient tues48 . Cette partition fut gérée finalement par des politiciens et notamment par Vaclav Klaus et Vladimir Meciar, les deux Premiers Ministres, tous deux gagnants des élections de Juin 199249 . La partition fut effective au 1er janvier 1993. Le 16 décembre 1992, Vaclav Havel devint le premier Président de la République tchèque. b) La prise de pouvoir tardive de la dissidence bulgare Le régime communiste bulgare ne s’est pas effondré car des réformes avaient été entreprises, notamment concernant la minorité turque. Comme nous l’avons vu précédemment, en Bulgarie, ce n’est pas la dissidence intellectuelle qui prit le pouvoir, mais d’anciens communistes réformés dont notamment Petar Mladenov qui poussèrent Todor Jivkov à la démission. Après la démission forcée de Jivkov, Petar Mladenov, celui même qui avait accusé Todor Jivkov des maux du pays, fut nommé Secrétaire Général et Président du Conseil d’Etat. Dans les tous premiers temps après la démission de Todor Jivkov, les intentions de Petar Mladenov n’étaient pas très claires. On ne savait pas s’il souhaitait l’instauration d’un libéralisme politique et économique dans le pays ou s’il souhaitait instaurer une perestroïka « à la bulgare ». Cette hésitation de Petar Mladenov était finalement le reflet des deux tendances dans le pays : une perestroïka et une transformation libérale50 . Néanmoins, Petar Mladenov adopta certaines mesures dites « libérales » et surtout il fit effacer de la constitution l’article statuant sur la règle du parti unique et sur la suprématie du Parti Communiste Bulgare. Au final, la transformation fut contrôlée par des cadres réformés du Parti Communiste Bulgare et la dissidence ne fut presque pas associée à la prise de pouvoir et de décision. En outre, comme l’affirme Juan J. Linz et Alfred Stepan, certains dissidents connus dont notamment Deyan Kiuranov rejoignirent les rangs du Parti Communiste Bulgare, bien avant le début des fameuses « Tables Rondes ». Concernant ces « Tables Rondes », là 48 49 50 LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid., page 331 LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid., page 332 LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid., page 337 33 aussi le contrôle de la chute du régime est évident. Contrairement à la Hongrie qui organisa le même genre de « Tables Rondes » mais qui y associa les représentants de la dissidence, en Bulgarie, toutes les réunions des « Tables Rondes » et leurs agendas furent soigneusement préparés par Andreï Lukanov, Premier Ministre de Petar Mladenov51 . Cependant, un dissident commença à se faire entendre sur la scène politique et contrebalança le pouvoir des cadres communistes réformés, Jeliou Jelev. Jeliou Jelev, contrairement à Petar Mladenov ou à Andreï Lukanov, fut un dissident de la première heure. Membre du Parti Communiste Bulgare jusqu’en 1965, il en fut expulsé pour raisons politiques. Il créa le Comité de la Roussée ainsi que le Club de soutien à la Glasnost et à la Perestroïka. Il bénéficia donc auprès de la population d’une certaine légitimité. Jeliou Jelev déplorait le retard que prenait la Bulgarie par rapport aux autres pays d’Europe Centrale dans la transformation post-communiste. Il créa donc l’Union des Forces Démocratiques qui regroupa treize organisations d’opposition. Lors des premières élections en juin 1990, l’Union des Forces Démocratiques remportèrent les élections et Jeliou Jelev fut élu Premier Ministre. Il fut élu par suffrage universel direct Président de la Bulgarie en janvier 199252 . La période avant 1989 et pour la Tchécoslovaquie la fin des années 1960 apporte un éclairage sur les disparités entre les deux pays lors de leur transformation : en Tchécoslovaquie, la dissidence prit le pouvoir, les communistes en furent sortis alors qu’en Bulgarie, les dissidents n’arrivèrent au pouvoir qu’à partir de Juin 1990. Ce furent les communistes réformés du Parti Communiste Bulgare qui dominèrent les premiers temps de la transformation. La Tchécoslovaquie, indépendante à la fin de la Première Guerre Mondiale, amène à s’interroger sur une période charnière qu’est l’entre-deux-guerres aux répercussions importantes pour les deux pays dans l’après 1989. 51 LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid., page 338 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Histoire de la Bulgarie, Au pays des Roses, op.cit, page 234 52 34 PARTIE 3 – LA PERIODE CLE DE L’ENTRE-DEUXGUERRES POUR LA TRANSFORMATION POSTCOMMUNISTE DES DEUX PAYS : DES BASES POLITIQUES, ECONOMIQUES ET ETATIQUES DISPARATES Si étudier la période de l’installation jusqu’à la chute du communisme est nécessaire à la comparaison des processus de transformation post-communiste en Bulgarie et en République tchèque, il est judicieux de regarder ce qu’il s’est passé pendant l’entre-deux-guerres au niveau de la question de la démocratie (I), mais aussi de l’économie (II) et des minorités (III) et sur leurs répercussions dans l’après 1989. I/ La démocratie tchécoslovaque de l’entre-deux-guerres face au régime autoritaire bulgare : un modèle et un atout pour la transformation postcommuniste Il est important de retracer l’histoire des deux pays pendant l’entre-deux-guerres. En effet, les trajectoires prises pendant cette période aident à comprendre les trajectoires de la Bulgarie et de la Tchécoslovaquie dans l’après communisme. 1) La Tchécoslovaquie de l’entre-deux guerres : une « période de prospérité politique » « La clé du succès de la transformation tchèque tient dans la période démocratique des années 1920 qui est revenue dans l’esprit des gens en 1989. […] Le pays avait connu une période de prospérité économique et politique. » affirme Son Excellence, Jean-Pierre Asvazadourian, Ambassadeur de France en République tchèque. Quand la Première Guerre Mondiale éclata, la société tchèque fut enrôlée de force dans l’armée de l’Empire austro-hongrois. La société tchèque n’avait jamais accepté la domination autrichienne sur son territoire. A l’exception de quelques rébellions, le peuple s’était toujours 35 résigné53 . La Première Guerre Mondiale fut l’occasion de voir s’affirmer la dissidence tchécoslovaque. Tomas Garrigues Masaryk porta les couleurs de l’indépendance tchécoslovaque. Malgré son exil en décembre 1914, il disposait d’une grande aura notamment avec la « Mafia », qui était son cercle d’admirateurs dirigé par Edvard Benes. La mission de cette « Mafia » était de renseigner Masaryk sur ce qu’il se passait dans le pays. Les membres de la « Mafia » assurait la liaison, faisait du renseignement et faisait pression sur les politiciens locaux pour les empêcher de soutenir l’Empire. A côté de ses appuis locaux, Masaryk avait des appuis internationaux dont notamment français, britanniques, américains et russes. Milan Stefanik, réfugié tchèque à Paris, s’associa à Masaryk, ainsi qu’avec le concours d’Edvard Benes, pour créer le Conseil National Tchécoslovaque. Le CNT devint l’organe principal de la résistance à la domination austrohongroise et appuya la création d’une armée tchécoslovaque sur des fronts étrangers. Cette capacité de créer une armée impressionna les Alliés. Dès 1917, la France reconnut le CNT comme le représentant officiel et légitime du pouvoir tchécoslovaque 54 . L’indépendance fut proclamée le 28 octobre 1918. Masaryk savait qu’obtenir l’indépendance ne saurait pas compliquer, pour lui la partie la plus compliquée était de la maintenir et de créer un Etat de droit et en jetant les bases d’une économie nationale solide. Masaryk souhaitait que la Tchécoslovaquie suive le nouvel ordre international prôné par Woodrow Wilson. Par conséquent, la Tchécoslovaquie était un Etat de droit, créé en vertu du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, même si les Tchèques et les Slovaques furent considérés comme un seul et unique peuple55 . La reconnaissance du pays dépendait de la conférence du 18 janvier 1919. La France fut la nation à soutenir le plus la thèse des frontières historiques des Pays tchèques afin de pouvoir affaiblir l’Allemagne. Les frontières de la Tchécoslovaquie furent garanties par les Traités de Versailles, de Saint-Germain et de Trianon56 . 53 54 55 56 BELINA BELINA BELINA BELINA Pavel, CORNEJ Pavel, CORNEJ Pavel, CORNEJ Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Petr, POKORNY Petr, POKORNY Petr, POKORNY Jiri, Jiri, Jiri, Jiri, Histoire des Pays tchèques, op.cit., page 348 Ibid., pages 349-350 Ibid., pages 354-356 Ibid., page 358 36 Très vite, les membres du CNT se multiplièrent, dont se rajoutèrent des membres slovaques. Le CNT devint l’Assemblée Nationale Tchécoslovaque Révolutionnaire dont la première réunion fut le 14 novembre 1918 et Masaryk fut élu Président57 . La nouvel Etat tchèque disposait donc d’un allié de poids qui était la France. La France, par son statut de grand vainqueur de la Grande Guerre, appuyait le gouvernement tchécoslovaque, notamment en Slovaquie où la population magyar vivait en nombre conséquent. Le Ministère des Affaires Etrangères français exigea du gouvernement hongrois qui occupait la partie hongroise de la Slovaquie de retirer ses troupes au profit des troupes tchécoslovaques58 . La formation française des élites tchèques était un point crucial lors de la naissance du pays, que ce soit pour les Tchèques que pour les Français. La France, même pendant l’époque de l’Empire austro-hongrois, a toujours bénéficié d’une certaine aura dans la société tchèque et la France s’intéressait aux pays d’Europe centrale car ils avaient un ennemi commun qu’était l’Allemagne. Avant-guerre, cette relation un peu particulière fut appelée “communauté d’intérêts”59 . Avant la Première Guerre Mondiale, les rapports politiques entre les Pays tchèques et la France furent inexistants mais les rapports culturels s’intensifiaient de plus en plus. A la constitution du nouvel Etat tchécoslovaque, le premier soutien fut celui de la France car elle voyait son intérêt de créer un réseau d’Etats francophiles et pro-Français qui fassent comme un cordon de sécurité autour de l’Allemagne. Mais aussi, la France voyait son intérêt dans l’expansion de sa politique culturelle par la diffusion du français qui pourrait supplanter l’apprentissage de la langue allemande en Tchécoslovaquie60 . Pour les Tchécoslovaques, recevoir une formation française était prestigieuse, nécessaire et gage d’une carrière couronnée de succès. 57 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 359 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 360 59 HNILICA Jiri « La formation française des élites tchécoslovaques », Le Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, 2013, 2013/1, n° 37, page 142 60 HNILICA Jiri, « La formation française des élites tchécoslovaques », Le Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, 2013, 2013/1, n° 37, page 145 58 37 La plupart des élites qui avaient pris le pouvoir au sein de l’ANTR, dont Tomas Garrigues Masaryk et Edvard Benes étaient de grands francophones et francophiles, Benes ayant fait sa thèse de doctorat à Dijon. De plus, l’armée tchécoslovaque bénéficia pendant la guerre de l’expertise française puisque certains de ses soldats avaient fait partie de la Légion Etrangère. La formation des soldats tchécoslovaques en France s’intensifia car l’armée française était considérée comme l’une des meilleures du monde et pour se protéger de ses voisins envahissants, la Tchécoslovaquie voyait son intérêt de disposer de soldats à la formation française61 . La Tchécoslovaquie se dota d’un régime parlementaire libéral multiparti avec un Président. En février 1920, la constitution de l’Etat tchécoslovaque fut adoptée par l’Assemblée Nationale Révolutionnaire62 . Les auteurs de la constitution tchèque de 1993 se référèrent d’ailleurs plusieurs fois à la constitution de 1920 63 . Le parti le plus influent de Tchécoslovaquie fut la Parti agrarien appelé plus tard Parti Républicain, ensuite venaient le Parti Ouvrier Social-Démocrate Tchécoslovaque, puis la droite traditionnelle. Il faut noter cependant que la Tchécoslovaquie fit face aussi à la montée du parti ouvrier nationaliste allemand soutenu par les Allemands des Sudètes64 . La Tchécoslovaquie de l’entre-deux-guerres est donc une république démocratique libérale inspirée et soutenue par la France où le suffrage universel direct et le multipartisme sont de rigueur. En dépit des attaques extérieures et notamment du voisin allemand, la Tchécoslovaquie fut un pays stable politiquement, refuge pour les opposants et les Juifs persécutés en Autriche et en Allemagne. 61 HNILICA Jiri, « La formation française des élites tchécoslovaques », Le Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, 2013, 2013/1, n° 37, page 150 62 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, op.cit., page 367 63 HADJIISKY Magdalena, « Européanisation et réforme de l’Etat. L’influence de l’Union Européenne sur la réforme des administrations publiques centrales tchèques (1993-2004) », in BAISNEE Oliver et PASQUIER Romain (dirs.), L’Europe telle qu’elle se fait. Européanisation et sociétés politiques nationales, Paris : CNRS Editions, 2007, page 173 64 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, op.cit., page 369 38 2) L’entre-deux guerres en Bulgarie : une période d’agitation politique accrue La Bulgarie eut une trajectoire très différente. Tout d’abord, la Bulgarie fut un royaume avant la Première Guerre Mondiale quand elle fut indépendante, soit en 1908. Comme en Russie, elle était dirigée par un tsar65 . Lorsque la Première Guerre Mondiale éclata, les milieux dirigeants bulgares étaient désunis. Le Tsar et le gouvernement étaient officiellement neutres dans le conflit mais la presse de l’époque montrait son intérêt pour le camp allemand. Cet intérêt fut en fait formalisé officiellement par le gouvernement bulgare avec la signature en été 1915 de traités secrets avec les puissances de la Triple Alliance. Ces traités stipulaient notamment un engagement des forces bulgares en Serbie. En parallèle de la guerre, la Bulgarie était sujette à des agitations politiques. Avec la Révolution d’octobre en Russie, la population réclamait une paix démocratique et la fin des privilèges. Ces agitations politiques se traduisaient par aussi des manifestations plus violentes avec des attaques d’institutions et de commerce, des désertions et des actes de désobéissance66 . Le 29 septembre 1918, l’armistice fut prononcé à Salonique et le Tsar Ferdinand I de Bulgarie abdiqua pour son fils Boris III. Le traité de paix fut signé le 27 novembre 1918 et rectifia les frontières du pays avec des pertes de territoires et ordonna le paiement de 2,25 milliards de francs ainsi que la livraison d’une grande quantité de bétail et d’houille. Le pays sortit de la fin de la guerre complètement ruiné et affamé. Contrairement à la Tchécoslovaquie qui faisait partie de gagnants de la guerre, la Bulgarie souffrit énormément de son alliance avec l’Allemagne pendant la guerre67 . Les années suivant la fin de la guerre furent marquées par l’arrivée massive de réfugiés venant des territoires perdus par la Bulgarie et par une instabilité politique accrue dans tout le pays. Le nombre de chômeurs explosa dans le pays. Un groupe de chômeurs décida de créer en 1919 le Parti Communiste Bulgare. En 1919, des élections furent organisées avec une grande percée du PCB mais Alexandre Stambolijski du parti traditionnel de l’Union 65 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Histoire de la Bulgarie, Au pays des Roses, op.cit., page 145 66 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie Ibid., pages 154-155 67 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie Ibid., pages 156-157 39 Agrarienne Populaire Bulgare fut élu président du gouvernement. Ces nouvelles élections n’apportèrent pas le calme politique: les communistes multipliaient les grèves et une garde dite “orange” fut spécialement créée pour combattre les communistes grévistes 68 . En 1923, un coup d’Etat éclata fait par des unités militaires et par l’Alliance Nationale regroupant les partis du centre et de la droite. Ils arrêtèrent les leaders agrariens. Pendant ce temps, le Tsar resta très passif au putsch. Les putschistes installèrent un gouvernement avec Alexandre Tsankov à sa tête: leur but était de combattre le bolchévisme agrarien et de rapprocher les partis bourgeois. La lutte anti-communiste atteignit son paroxysme avec l’attentat à la bombe dans la cathédrale de Sofia en avril 1925 où le gouvernement accusa les communistes. En représailles, le gouvernement arrêta 15 000 personnes dans des prisons improvisées où la torture et le meurtre furent pratiqués. Si la situation politique intérieure était instable et tendue, la situation extérieure l’était aussi. Les rapports avec la Yougoslavie et la Grèce voisines furent au plus mal et en 1925, le général Papagos décida d’envahir la Bulgarie du Sud. Avec des pressions de la Société Des Nations, les armées grecques se retirèrent mais cet incident affaiblit le gouvernement qui tomba69 . Andreï Liaptchev le remplaça. Moins brutal que Tsankov, Andreï Liaptchev tenait à respecter la constitution mais en continuant de combattre les agrariens et le PCB70 . Cette mésentente avec la Yougoslavie favorisa le rapprochement de la Bulgarie avec des pays nationalistes comme l’Italie de Mussolini, les deux pays ayant désormais un ennemi commun. En 1925, les accords de Locarno marquèrent le début de l’entente entre la Bulgarie et l’Allemagne. En 1930, le gouvernement Liaptchev s’épuisa et le pays vit la montée en force de trois partis d’extrême droite, tous acquis à la cause nazie 71 . En 1934, un nouveau coup d’Etat éclata mené par le groupe Zveno, groupe d’intellectuels de droite. Kimon Gueorguiev, membre du Zveno, prit la tête du gouvernement 68 69 70 71 CASTELLAN CASTELLAN CASTELLAN CASTELLAN Georges, Georges, Georges, Georges, VRINAT-NIKOLOV VRINAT-NIKOLOV VRINAT-NIKOLOV VRINAT-NIKOLOV Marie Ibid., page 160 Marie, Ibid., pages 164-165 Marie Ibid., page 166 Marie Ibid., page 167-168 40 avec la volonté de mettre en place une “Révolution Nationale” pour garantir le pouvoir au peuple et non à la caste politique. Comme en Italie et en Allemagne, le système des partis fut remplacé par des organisations corporatives, le Parlement n’avait aucun pouvoir de dissolution du gouvernement, certaines libertés démocratiques furent abolies, l’administration fut épurée et la corruption devint monnaie courante. Le seul point positif de ce gouvernement fut l’apaisement des relations avec les voisins du pays72 . En 1935, Gueorgui Kiosseivanov prit le pouvoir et composa un gouvernement de technocrates qui permit au Tsar Boris III de s’imposer dans la vie et les querelles politiques du pays. Le Tsar Boris III ne cachait pas ses accointances avec l’Allemagne: il admirait notamment Hitler et décida que la Bulgarie soit l’alliée de l’Allemagne 73 . Royaume tsariste allié de la Triple Alliance pendant la Première Guerre Mondiale, le pays contrairement à la Tchécoslovaquie, ne connut aucune période de démocratie stable et n’avait pas de suffrage universel direct. Marquée par de nombreux bouleversements politiques, la Bulgarie n’arriva pas à se trouver une voie démocratique stable et bascula dans un régime autoritaire tsariste admirant le Troisième Reich. Ce manque d’expérience démocratique dans le passé peut expliquer aussi les trajectoires prises par la Bulgarie dans l’après-communisme. 72 73 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie Ibid., page 168-169 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie Ibid., page 172-173 41 II/ Le poids de l’économie dans la transformation: l’éclairage pertinent de la période de l’entre-deux guerres L’étude de l’entre-deux guerres permet aussi de voir les différences de développement économique et les différences en termes de secteurs porteurs dans les deux pays. On fait face à deux économies différentes : une très industrielle et une autre très agraire. 1) Une économie tchécoslovaque industrialisée et prospère L’économie tchécoslovaque fut largement marquée dans les années d’entre-deux guerres par la réussite de son industrie. L’économie et l’industrie tchécoslovaque avaient beaucoup souffert de la Première Guerre Mondiale : il y avait un manque d’homogénéité économique flagrant. A l’indépendance du pays, il était nécessaire de créer une nouvelle structure économique, de transports et de commerce extérieur. Le premier gouvernement élu fut d’union nationale avec des partis tchèques et des représentants slovaques. La coalition fut dominée par le Parti Agrarien Tchécoslovaque74 . Les premiers défis du gouvernement, à part la Conférence de Paix de Versailles, furent d’ordre économique. Le but du gouvernement était d’effacer les conséquences de la guerre et de créer les bases d’une économie indépendante. Cela se traduisit par la séparation douanière avec l’Autriche et la création d’une nouvelle monnaie, la couronne tchécoslovaque. L’introduction de cette monnaie permit de freiner l’inflation. A côté de cela, ce premier gouvernement entama des réformes sociales et agraires, très progressistes pour l’époque. Les propriétés de plus de 250 hectares furent redistribuées, la journée de 8 heures fut adoptée, des indemnités chômage furent créées ainsi qu’un système d’assurance et des conseils d’entreprises75 . Petit à petit, l’économie se libéralisa avec, en 1921, la fin des mesures dirigistes. Le nouveau gouvernement de Robert Svehla élu en 1922 fut l’un des plus stables: ce fut le point 74 75 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, op.cit., pages 365-366 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., pages 366-367 42 de départ d’une économie tchécoslovaque florissante jusqu’à la crise de 1929 76 . Le volume de production industrielle fut en forte expansion, la croissance fut forte et rapide, les usines se modernisaient, la productivité augmentait, l’électrification du pays était quasiment complète, le niveau de vie était plus élevé avec un Produit National Brut par habitant supérieur à celui de la Pologne, de la Hongrie et de l’Italie. Le chômage baissa aussi77 . La Tchécoslovaquie était un pays industriel avec un poids assez conséquent au sein de l’économie de l’Europe centrale à l’époque. Elle se dotait de grandes industries et notamment mécaniques et automobiles telles que l’entreprise Skoda, troisième plus ancien fabricant automobile au monde. Créée en 1894 par Vaclav Laurin et Vaclav Klement, l’entreprise Laurin et Klement répara puis passa à la construction de bicyclettes puis de motocyclettes pour arriver à la fabrication de voitures. Dans les années 1920, les voitures de la marque étaient les plus répandues dans le pays où elles représentaient 19,6% des véhicules à moteurs et 42,1% des véhicules de construction nationale. En 1923, la marque Skoda fut créée par Emil Skoda, émanation de l’important groupe industriel Skodovi Zavody, spécialisé dans l’industrie lourde. La situation économique de la marque Laurin et Klement se dégrada à la suite d’un incendie de leur usine en 1925. Les deux acolytes cédèrent leur entreprise au groupe Skodovi Zavody. Les modèles Laurin et Klement apparurent désormais sous la marque Skoda. En 1936, Skoda fut le premier constructeur automobile tchécoslovaque. La gamme Skoda se diversifiait en adoptant des lignes aérodynamiques. Le nombre de voitures produites par an était en constante augmentation pour arriver à la production de 6371 voitures particulières en 1938, un record pour l’époque78 . Cependant, le pays fut aussi touché par la crise de 1929 avec un impact sur l’industrie des biens de consommation et sur les autres branches un peu plus tard. La crise entraina aussi une baisse des exportations et une baisse de la production industrielle. Pour répondre à la crise, le gouvernement de coalition s’élargit au PAT : on assista à une réponse social- 76 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 375 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 379 78 http://leroux.andre.free.fr/sito91.htm 77 43 démocrate à la crise par de l’interventionnisme étatique dans l’économie et dans le domaine social79 . Les bases d’une industrie forte et prospère furent gardées pendant le communisme. Si on regarde la répartition des secteurs économiques au sein du Conseil d'assistance économique mutuelle, la Tchécoslovaquie et la République Démocratique Allemande étaient les pays les plus industrialisés et industriels de la zone. Cette industrie forte fut un avantage indéniable dans la prospérité du pays après la chute du régime. 2) L’économie bulgare des années d’entre-deux-guerres : une économie agraire et peu industrialisée La Bulgarie fut beaucoup moins avancée en matière économique et industrielle. Le premier gouvernement agrarien de 1918 avait pour ambition de moderniser l’économie du pays et de porter une grande réforme agraire et non industrielle. Ils souhaitaient limiter la propriété de terrains à trente hectares ainsi que réquisitionner des terrains appartenant à l’Etat. L’idée derrière ces mesures fut de moderniser l’agriculture bulgare. Cependant, le gouvernement fit face à un problème pour mettre en place cette réforme : le manque de fonds. Le gouvernement décida seulement d’obliger les propriétaires de terres de les louer aux paysans à des prix abordables et le gouvernement mena une politique fiscale pour les pauvres. Ces mesures entrainèrent un mécontentement général de la bourgeoisie urbaine et ne calma pas l’agitation communiste dans le pays80 . Les élections de 1920 vit une baisse des résultats pour les agrariens mais ils arrivèrent tout de même en tête et formèrent un nouveau gouvernement. Là aussi, le nouveau gouvernement se voulait ambitieux : faire de la Bulgarie un Etat agricole moderne, donner l’accès à l’eau potable dans tout le pays, donner l’accès au télégraphe, téléphone et à l’éclairage, créer des maisons de la démocratie dans chaque agglomération et enfin mettre en 79 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, op.cit., page 379 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Histoire de la Bulgarie, Au pays des Roses, op.cit., page 161 80 44 place des coopératives agricoles. Cependant, les ambitions du nouveau s’arrêtèrent en 1923 avec le coup d’Etat organisé par l’Alliance Nationale 81 . Sur le plan économique, la situation s’améliora en 1925. Le gouvernement, déclaré comme anti-bolchévique, ne mena pas de politique sociale. Cependant, en 1925, le secteur industriel reprit avec des rythmes de croissance plus élevés que chez les voisins balkaniques. De grands travaux furent menés comme la réalisation des centrales de Pernik et Rila. Les exportations du pays furent positives en 1927, le système bancaire se développa dans un contexte de capitalisme international. En conséquence, le niveau de vie augmenta avec de nouvelles constructions et une urbanisation croissante. Cependant, la grande partie de l’économie bulgare reposait sur l’agriculture, et pas tant sur l’industrie. Pendant la période du régime communiste, le pays resta essentiellement agraire où 80% de la population habitait en zone rurale. Le secteur industriel n’était pas très développé, contrairement à la Tchécoslovaquie. Contrairement à la Tchécoslovaquie, la Bulgarie ne disposait pas de grandes entreprises industrielles. A partir de 1925, l’agriculture et l’élevage étaient revenus à leur niveau de production d’avant-guerre mais restaient sous-développés. Néanmoins, la culture de la betterave à sucre, du tournesol, du coton et du tabac augmenta. Cela ne permit pas aux paysans d’avoir des revenus supérieurs, ils étaient en fait inférieurs à ceux du début du siècle 82 . La crise de 1929 donna un coup d’arrêt brutal au développement de l’économie. La production agricole s’effondra, les revenus baissèrent de moitié et le chômage explosa. Contrairement à la Tchécoslovaquie, le gouvernement bulgare n’essaya pas d’intervenir dans l’économie et d’adopter des mesures anti-crise mais tourna le problème vers la question des minorités bulgares vivant dans les pays voisins83 . 81 82 83 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie Ibid., page 162 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie Ibid., page 167 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie Ibid., page 168 45 Dans les années 30, l’économie bulgare fut de plus en plus tournée vers l’économie allemande: l’achat d’armes en Allemagne fut fréquent et l’Allemagne dominait nettement la vie économique bulgare, par ses exportations ainsi que par ses investissements 84 . 84 CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Ibid., page 172 46 III/ La question des minorités, enjeu primordial de la transformation : une question réglée dans la période de l’entre-deux-guerres La question des minorités est un point essentiel de la transformation et sert souvent de base pour différencier les transformations post-communistes des pays ex-satellites de l’Union Soviétique et des pays ex-républiques soviétiques. Les grandes problématiques de minorités en Tchécoslovaquie et en Bulgarie furent réglées pendant l’entre-deux-guerres. Néanmoins, quelques problématiques furent soulevées à la fin des années 1980 avec les tendances séparatistes slovaques qui se soldèrent par une scission pacifique et avec la volonté d’émigration de la population musulmane bulgare. Néanmoins, dans les deux cas, les deux problématiques furent réglées de manière pacifique. La question des minorités fut donc réglée ce qui permit à la Bulgarie et à la Tchécoslovaquie de ne pas subir les mêmes maux et d’avoir une vraie unité d’Etat lors de la chute du communisme, contrairement notamment aux pays balkaniques ou encore aux pays ex-républiques soviétiques. 1) Le cas des minorités présentes en Tchécoslovaquie Quand la Tchécoslovaquie fut proclamée indépendante, le peuple tchèque et le peuple slovaque étaient considérés comme une seule et même nation85 . Néanmoins, derrière cette apparente unité se cachait un certain ressentiment chez certains Slovaques qui n’acceptaient pas cette nouvelle République. En effet, les appareils d’Etat, les élites et la capitale furent en territoire tchèque et non slovaque. La Slovaquie était bien en-dessous du niveau de la Tchéquie en ce qui concerne l’industrialisation, l’instruction et le niveau de vie 86 . Ce ressentiment se traduisit plus tard par un rapprochement officiel entre le gouvernement slovaque et le Troisième Reich. Le gouvernement slovaque prononça son indépendance en échange d’un soutien à l’Allemagne nazie contre les Tchèques. En outre, la Tchécoslovaquie émergeait de l’Empire Austro-Hongrois où plusieurs peuples cohabitaient. La Tchécoslovaquie se retrouvait donc notamment avec une grande 85 86 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, op. cit., page 368 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 360 47 minorité germanophone à ses frontières avec l’Autriche et avec l’Allemagne. Cette minorité, dès l’indépendance, posa finalement les mêmes problèmes que les peuples tchèques et slovaques quand ils étaient sous domination austro-hongroise. Les Allemands des Sudètes souhaitaient faire de leurs territoires des provinces autonomes pour être au final rattachées à l’Autriche. En octobre 1918, le Parlement autrichien déclara que les provinces qu’il avait déclarées germanophones devaient être autonomes. Il créa dans la foulée une série de provinces à peuplement allemand rattachées soit à la Haute ou à la Basse Autriche. Le Conseil National Tchécoslovaque occupa militairement les provinces germanophones en question. La population germanophone se soumit à l’Etat tchécoslovaque mais avec un fort ressentiment87 . Dès les années 20, un parti proche des idées du NSDAP fut crée par un groupe d’Allemands des Sudètes, soit le Front des Allemands des Sudètes. Cette population se radicalisa de plus en plus, notamment pendant la crise de 1929 88 . Un putsch fasciste fut organisé en janvier 1933 dans une caserne à Brno Zidenice qui fut réprimé par le pouvoir tchécoslovaque. En 1934, les Allemands des Sudètes devinrent belliqueux. En parallèle, Adolf Hitler appelait à la libération des 10 millions d’Allemands des Sudètes oppressés. Malgré un premier soutien lors de mouvements de troupes allemandes en avril 1938, la Grande-Bretagne et la France cédèrent face à Hitler et en septembre 1938 à Munich fut signée la cession des Sudètes au Troisième Reich89 . A la fin de la guerre, les Tchèques expulsèrent la population germanophone vivant sur son territoire, parfois de manière brutale. Le deuxième peuple à poser problème fut les Magyars présents en Slovaquie. Le rattachement de la Slovaquie à la Tchéquie, par le traité de Saint-Martin, fut dès lors très compliqué. Les Magyars occupaient une bonne partie de la Slovaquie. Le Conseil National Tchécoslovaque décida le 2 novembre 1918 d’occuper militairement la Slovaquie. Cependant, la mauvaise préparation de l’armée causa son recul face aux Magyars. Finalement, sur ordre de la France, les Magyars désertèrent le territoire slovaque. 87 88 89 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 361 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 370 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., pages 383-384 48 La crainte d’une invasion hongroise sur le territoire slovaque était palpable chez les dirigeants tchécoslovaques. Le gouverneur de Slovaquie Vavro Srobar décida de déclarer l’état de siège. L’armée tchécoslovaque envahit la Hongrie de 50 à 80km après la frontière. L’armée rouge magyare riposta et occupa les deux-tiers de la Slovaquie. Le 13 juin, les pays de l’Entente fixèrent une fois pour toutes la frontière entre les deux pays et demandèrent aux Magyars de se retirer de Slovaquie90 . 2) Le cas des minorités présentes en Bulgarie La Bulgarie, anciennement membre de l’Empire ottoman, fut elle aussi confrontée à la présence de plusieurs minorités. Celles qui ont pu poser quelques problèmes aux différents gouvernements bulgares d’avant Seconde Guerre Mondiale furent les minorités avec lesquelles la Bulgarie partagent une frontière. Ces minorités furent les minorités grecque, turque et macédonienne. Le Traité de Neuilly de 1919 avait statué sur “l’émigration volontaire et réciproque de personnes appartenant à des minorités ethniques”. Concernant la minorité grecque en Bulgarie, ce principe a été appliqué dès les années 1920 avec l’émigration des Grecs de Bulgarie vers la Grèce et l’émigration des Bulgares de Grèce vers la Bulgarie91 . La deuxième minorité fut la minorité macédonienne. Cette minorité fut toujours considérée comme totalement bulgare. Néanmoins, dans le même temps, l’Organisation Révolutionnaire Intérieure Macédonienne était très active. Créée au XIXème siècle, elle œuvrait de manière clandestine pour la création d’un Etat macédonien. Après la Première Guerre Mondiale, elle servit les intérêts de la Bulgarie dans les Balkans en commettant plusieurs attentats. Son but fut au final le rattachement de la population macédonienne à la Bulgarie. Interdite en 1923 par la Bulgarie après des pressions sur le pays, l’ORIM commit plusieurs attentats et tortura et décapita le premier ministre Stambolijski92 . 90 BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 360 CARTER Franck W. « Minorités nationales et groupes ethniques en Bulgarie : distribution régionale et liens transfrontaliers », Espace, populations et société, 1994, vol. 12, n°3, page 301 92 CARTER Franck W., « Minorités nationales et groupes ethniques en Bulgarie : distribution régionale et liens transfrontaliers », Espace, populations et société, 1994, vol. 12, n°3,page 302 91 49 La troisième minorité fut la minorité turque. Ce fut la minorité la plus importante en Bulgarie. A la chute de l’Empire ottoman, elle fut considérée comme une minorité subordonnée à l’autorité de l’Etat bulgare orthodoxe. En 1925, un traité turco-bulgare fut signé pour faciliter l’émigration de Turcs vers la Turquie. Dans l’entre-deux-guerres, plus de 100 000 Turcs quittèrent le pays93 . L’étude de la variable historique et plus précisément de la période de l’entre-deuxguerres montre en quoi la Tchécoslovaquie avait des prédispositions plus stables d’Etat démocratique à l’économie prospère. Le cas de la Bulgarie est plus complexe car cette période fut marquée par une agitation politique forte et par une économie qui reposait essentiellement sur l’agriculture. Cette période a donc eu des effets sur les années après 1989 dans les deux pays. 93 CARTER Franck W., « Minorités nationales et groupes ethniques en Bulgarie : distribution régionale et liens transfrontaliers », Espace, populations et société, 1994, vol. 12, n°3,page 300 50 PARTIE 4 – LE ROLE DES ACTEURS TRANSNATIONAUX DANS LA TRANSFORMATION : L’IMPORTANCE DE L’ADHESION A L’UNION EUROPEENNE Pour comprendre la transformation de la Bulgarie et de la Tchécoslovaquie, il est important de s’intéresser aux acteurs transnationaux et notamment au rôle de l’Union Européenne. L’européanisation a aidé les deux pays à se réformer rapidement (I) mais les deux pays n’en ont pas bénéficié au même moment (II et III). I/ Le pouvoir de l’européanisation sur les transformations des pays excommunistes L’européanisation de l’Europe centrale et orientale fut un but construit dans le temps qui a permis d’aider ces pays dans leur transformation post-communiste. 1) L’adhésion des Pays d’Europe Centrale et Orientale : un but construit dans le temps Le groupe des pays post-communistes fut, dès la chute des régimes communistes, sujet aux tentatives directes et explicites de la part de l’Union Européenne pour exercer son influence sur leur transformation. Ces pays, pour la plupart, avaient, dès la fin des régimes communistes, exprimé leur souhait de rejoindre l’UE. Les gouvernements de l’Europe centrale et de l’Est avaient levé la question de l’adhésion et demandaient régulièrement aux pays membres de leur montrer un engagement clair à cet élargissement. Les gouvernements de cette zone de l’Europe faisaient référence aux valeurs et aux normes constitutives de la communauté européenne et aux intentions des pères de la construction européenne pour justifier leurs demandes d’adhésion94 . 94 SCHIMMELFENNIG Frank « The Community Trap: Liberal Norms, Rhetorical Action, and the Eastern Enlargement of the European Union”, International Organization, 2001, vol.55, n°1, page 48 51 Vaclav Havel en 1994 lors d’un discours au Parlement Européen réaffirma la nécessité d’une adhésion des pays post-communistes à l’UE : “Si l’avenir de l’Union Européenne ne donne pas sur un élargissement, basé sur les meilleures valeurs européennes et sur la volonté de les transmettre, l’organisation pourrait dans l’avenir tomber dans les mains de fous, de fanatiques, de populistes et de démagogues attendant leur chance et déterminés à répéter les pires traditions européennes”. Par cette phrase, Vaclav Havel affirma la nécessité d’un élargissement qui serait le gage et la sécurité de régimes démocratiques et de paix sur le continent95 . Dès le début de 1990, la Commission Européenne proposa un accord d’association sans promettre une adhésion future. Pendant les négociations pour un accord d’association, la Commission reconnut la volonté d’une future adhésion des pays associés mais ne mentionna pas que cela soit une volonté finale de la communauté. Les premiers accords furent conclus en décembre 1991 et entrèrent en vigueur en février 199496 . Cependant, l’UE fit face à des candidats à l’adhésion d’un nouveau type qui étaient à des étapes différentes de leur transformation en termes de passage à l’économie de marché et de démocratisation. Dès lors, ces Etats n’étaient pas encore en pleine mesure d’adopter l’acquis communautaire, ou l’ensemble des textes et lois de qui régit l’UE. La communauté européenne s’engagea donc dans un processus exceptionnel de suivi et d’évaluation des efforts d’ajustements des pays candidats. Les demandes d’ajustements et de réformes de l‘UE concernaient en grande partie l’adoption de l’acquis communautaire mais pas seulement. Les conditions d’adhésions impliquèrent aussi le volet politique et économique, couvrant beaucoup de règles et de lois dans lesquelles les institutions européennes n’avaient aucune compétence légale. Le statut de candidat à l’adhésion a eu des incidences sur les instruments utilisés par les institutions européennes pour influencer le processus d’ajustement des pays candidats. L’UE 95 SCHIMMELFENNIG Frank « The Community Trap: Liberal Norms, Rhetorical Action, and the Eastern Enlargement of the European Union”, International Organization, 2001, vol.55, n°1, page 69 96 SCHIMMELFENNIG Frank « The Community Trap: Liberal Norms, Rhetorical Action, and the Eastern Enlargement of the European Union”, International Organization, 2001, vol.55, n°1, page 55 52 ne pouvait jouer sur les sanctions prévues par les traités européens. Dès lors, elle a utilisé des instruments de soft-power comme des incitations, des pressions normatives et de la persuasion sur les PECO demandant l’adhésion. En tant que candidats, ces pays n’ont pas eu leur mot à dire dans le processus législatif et dans le processus de prise de décision européens. Cela conduisit à une asymétrie de pouvoir où le transfert de la législation s’est fait sur le modèle du top-down97 . L’article 237 de traité de la CEE accorde à tous les Etats européens le droit de demander l’adhésion à l’UE. Cependant, les différentes déclarations, actes légaux et pratiques de la Communauté ont engendré plusieurs prérequis pour une adhésion. D’abord, l’UE demande que ses membres soient des démocraties qui respectent l’Etat de droit et les droits de l’homme. De plus, les nouveaux membres doivent se conformer au principe de l’économie de marché ouverte en libre concurrence. Enfin, les nouveaux membres doivent adopter l’acquis communautaire et politique (politique étrangère et de sécurité commune) 98 . 2) Le processus d’adhésion à l’Union Européenne : un soutien aux transformations post-communistes La Commission suivit de près les progrès des pays candidats qu’elle mit en forme à partir de 1997 dans un rapport annuel avec son Opinion sur les demandes d’adhésions des Pays d’Europe centrale et orientale. L’UE s’impliqua fortement dans le processus de rapprochement des PECO en offrant des financements pour la mise en œuvre de la législation liée au processus d’adhésion et en offrant l’expertise du TAIEX (Technical Assistance and Information Exchange Instrument)99 . Cet instrument est sous la direction générale de l’élargissement de la Commission Européenne. Le but de cet instrument est d’aider les pays bénéficiaires en matière de rapprochement, d’application et d’exécution de la législation de 97 SEDELM EIER Ulrich, « Europeanisation in new member and candidate states », Living Reviews in European Governance, Vol. 6, (2011), n° 1, page 6 98 SCHIMMELFENNIG Frank « The Community Trap: Liberal Norms, Rhetorical Action, and the Eastern Enlargement of the European Union”, International Organization, 2001, vol.55, n°1, page 59 99 SCHIMMELFENNIG Frank, SEDELM EIER Ulrich, The Europeanization of Central and Eastern Europe, Ithaca : Cornell University Press, 2005, page 2 53 l’Union européenne. Le TAIEX centralise toutes les demandes d’assistance et donne des réponses de court-terme aux problèmes rencontrés par les pays bénéficiaires100 . L’assistance la plus directe de la Commission fut le Twinning Program, instrument dédié à la coopération des administrations publiques des pays membres et des pays bénéficiaires. Concrètement, cet instrument aide les pays en demande d’adhésion à acquérir les compétences et l’expérience nécessaires pour transposer et mettre en œuvre la législation communautaire. Ces aides ont permis d’exécuter des réformes en un temps record, ou du moins d’inscrire les réformes à l’agenda politique. Magdalena Hadjiisky, Professeure de science politique et spécialiste de la République tchèque explique comment la réforme de l’administration publique en République tchèque a été facilitée par l’impulsion de l’Union Européenne. La réforme de l’administration est devenue, petit à petit, un des critères majeurs d’évaluation de la capacité des pays d’Europe centrale et de l’Est pour une adhésion à l’Union Européenne 101 . Dans les années 1990, la République tchèque n’avait entamé aucune réforme sur l’administration publique et n’était pas à l’agenda politique des gouvernants de l’époque 102 . Après la publication par la Commission Européenne de rapports sur les progrès de la République tchèque concernant le processus d’adhésion, l’agenda politique a commencé à se transformer. Ces rapports alertaient les gouvernants du pays sur leur inaction en matière de réformes administratives103 . Dès lors, l’Union Européenne s’impliqua fortement dans la réforme de l’administration publique en envoyant notamment une délégation de la Commission Européenne à Prague en charge du programme « amélioration de l’administration 100 http://ec.europa.eu/enlargment.taiex.what-is-taiex.index_fr.ht m HADJIISKY Magdalena, « Européanisation et réforme de l’Etat. L’influence de l’Union Européenne sur la réforme des administrations publiques centrales tchèques (1993-2004) », in BAISNEE Oliver et PASQUIER Romain (dirs.), « L’Europe telle qu’elle se fait. Européanisation et sociétés politiques nationales, Paris : CNRS Editions, 2007, p. 167 102 HADJIISKY Magdalena, « Européanisation et réforme de l’Etat. L’influence de l’Union Européenne sur la réforme des administrations publiques centrales tchèques (1993-2004) », in BAISNEE Oliver et PASQUIER Romain (dirs.), « L’Europe telle qu’elle se fait. Européanisation et sociétés politiques nationales, Paris : CNRS Editions, 2007, p. 171 103 HADJIISKY Magdalena, « Européanisation et réforme de l’Etat. L’influence de l’Union Européenne sur la réforme des administrations publiques centrales tchèques (1993-2004) », in BAISNEE Oliver et PASQUIER Romain (dirs.), « L’Europe telle qu’elle se fait. Européanisation et sociétés politiques nationales, Paris : CNRS Editions, 2007, p. 174 101 54 publique ». Si l’Union Européenne a réussi à mettre sur l’agenda la nécessité d’une réforme de l’administration, la présence directe et même indirecte de la Commission Européenne a influencé le type d’administration publique que le pays a adopté. Les experts de la Commission préconisèrent notamment l’adoption d’un statut pour les employés de l’administration centrale et une base légale adaptée à la fonction publique104 . A côté de ces aides pour des réformes administratives et politiques, l’UE s’investit pleinement dans la transition des pays candidats vers l’économie de marché. Le programme PHARE est l’instrument clé de cette assistance communautaire. Aide financière et technique, cet instrument avait d’abord pour vocation de faciliter le passage vers l’économie de marché et fut redéfini plus tard pour préparer l’adhésion à l’UE105 . Concrètement, ce programme permettait aux pays bénéficiaires d’augmenter leur coopération commerciale avec les pays membres de l’UE avec une perspective de gains dans ces échanges et investissements et une plus grande participation dans le processus de décision européen. Si on regarde concrètement les chiffres du commerce extérieur, les années de processus d’adhésion ont permis une augmentation réelle des revenus du commerce extérieur. Dans le cas de la République, on peut s’intéresser à la période 1996-2003 (dépôt de la candidature à l’adhésion et année n-1 avant l’entrée). Les revenus du commerce extérieur tchèque ont augmenté sur la période de 107%, alors que sur la période 1993-1996 ils avaient augmenté seulement de 60%106 . Du côté de la Bulgarie, sur la période 2000-2006 (début des négociations d’adhésion et année n-1 avant l’entrée du pays dans l’UE), les exportations ont augmenté de 123% et les importations de 117%107 . Ces chiffres montrent bien que le soutien de l’UE, notamment ici en matière économique mais aussi par l’aura que représente le statut de candidat ont permis aux pays de se développer économiquement et de développer leurs échanges. 104 HADJIISKY Magdalena, « Européanisation et réforme de l’Etat. L’influence de l’Union Européenne sur la réforme des administrations publiques centrales tchèques (1993-2004) », in BAISNEE Oliver et PASQUIER Romain (dirs.), « L’Europe telle qu’elle se fait. Européanisation et sociétés politiques nationales, Paris : CNRS Editions, 2007, p. 175 105 SCHIMMELFENNIG Frank, SEDELM EIER Ulrich, The Europeanization of Central and Eastern Europe, op.cit., page 10 106 Office national tchèque de la statistique https://www.czso.cz/csu/czso/ceska-republika-od-roku-1989-vcislech#06 107 Stadat https://www.ksh.hu/docs/eng/xstadat/xstadat_annual/i_int030a.html 55 L‘ouverture des négociations et le statut de candidats permet donc de bénéficier d’une expertise pertinente et utile pour des sociétés en transformation. Ces instruments ont donné une capacité exceptionnelle de réformes aux pays avec le statut de candidat. Si le pouvoir de l’européanisation est indéniable, dans les deux pays étudiés, il a été différé pour la Bulgarie et la République tchèque en a profité en premier. 56 II/ La République tchèque : une européanisation précoce grâce à sa transformation prometteuse Grâce à des prérequis déjà remplis notamment au niveau de la question de la démocratie ainsi que par une stratégie de démarcation vis-à-vis de la Roumanie et de la Bulgarie, la République tchèque fait partie des cinq PECO leaders pour entamer les négociations d’adhésions. 1) La conditionnalité démocratique : une caractéristique clé dans le début des négociations entre la République tchèque et l’Union Européenne Dans le contexte de la conditionnalité démocratique, l’influence de l’UE dépend des conditions dans lesquelles se trouvent les pays candidats. L’influence de l’UE reste très limitée à un panel de pays, soit les démocraties les plus fragiles et les plus instables. Pour les pays leaders en termes de démocratie, le pouvoir incitatif de l’UE n’était pas nécessaire alors que dans les pays non-démocratiques, il était inefficace108 . Dans la période de début de transition des PECO, la conditionnalité de l’UE portait surtout sur la conditionnalité démocratique. Les incitations externes de l’UE étaient liées aux principes politiques fondamentaux sur lesquels l’UE se base, aux droits de l’homme, à la démocratie libérale, et à l’économie de marché. Ces règles n’étaient pas seulement fondamentales pour l’UE mais aussi pour tout l’ancien bloc de l’Ouest et ses institutions et notamment l’OTAN 109 . Par conséquent, les efforts et les effets de démocratisation de l’UE allaient de pair avec les efforts des institutions de l’ancien bloc de l’Ouest. Magdalena Hadjiisky évoque le terme « ouestisation » qui va plus loin que le terme d’européanisation car 108 SCHIMMELFENNIG Frank, SEDELM EIER Ulrich, The Europeanization of Central and Eastern Europe, op.cit., page 210 109 SCHIMMELFENNIG Frank, SEDELM EIER Ulrich, The Europeanization of Central and Eastern Europe, op.cit., page 211 57 ces pays adoptaient des valeurs de l’ancien bloc de l’Ouest, et pas seulement des valeurs de l’Union Européenne110 . En ce qui concerne les incitations de l’UE pour la démocratisation des PECO, cela passa d’abord par des accords d’association, puis par l’ouverture des négociations pour une éventuelle adhésion, si un régime démocratique solide est mis en place correspondant aux critères communautaires. Dans ce contexte, cinq pays se démarquèrent dont la République tchèque. Les pays leaders démocratiques, soit l’Estonie, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovénie commencèrent à se démocratiser et à consolider leurs démocraties sans aide spécifique de l’UE. Schimmelfennig et Sedelmeier affirment même que ces pays auraient réussi leur transition démocratique en l’absence de conditionnalité démocratique 111 . 2) Une stratégie de démarcation ou la volonté de montrer la valeur de la candidature des cinq leaders dont la République tchèque Lors d’un meeting avec la Commission Européenne en 1992, les pays d’Europe centrale (Pologne, République tchèque, Hongrie) affirmèrent leur souhait de les distinguer des autres candidats à l’adhésion à l’UE. Ils pensaient, entre autres, que la Bulgarie et la Roumanie n’étaient pas capables d’avoir les mêmes relations qu’eux pouvaient avoir avec l’UE à cette période112 . Cette volonté de se démarquer fut une stratégie pour pouvoir accéder aux négociations pour une future adhésion avant les autres et surtout pour convaincre les brakemen (Etats membres encore réticents à l’adhésion des PECO) de la solidité de leur candidature. Cette volonté de se démarquer a été retrouvée dans les entretiens menés avec des Tchèques, qui considèrent toujours que le niveau de vie bulgare ainsi que son accession plus tardive est justifiée, comme le montre le tableau suivant : 110 HADJIISKY Magdalena, « Européanisation et réforme de l’Etat. L’influence de l’Union Européenne sur la réforme des administrations publiques centrales tchèques (1993-2004) », in BAISNEE Oliver et PASQUIER Romain (dirs.), « L’Europe telle qu’elle se fait. Européanisation et sociétés politiques nationales, Paris : CNRS Editions, 2007, page 171 111 SCHIMMELFENNIG Frank, SEDELM EIER Ulrich, The Europeanization of Central and Eastern Europe, op.cit., page 212 112 SCHIMMELFENNIG Frank « The Community Trap: Liberal Norms, Rhetorical Action, and the Eastern Enlargement of the European Union”, International Organization, 2001, vol.55, n°1, page 70 58 La République tchèque a fait partie des cinq premiers pays de l’Europe centrale et orientale qui a entamé les négociations pour une adhésion à l’UE. Elle est aussi rentrée en 2004 et non en 2007. A votre avis, quels ont été les avantages du pays par rapport aux autres et notamment par rapport à la Roumanie et à la Bulgarie qui sont rentrés en 2007 ? Entretien n°1 Personnellement je pense que la position géographique a un certain rôle dans tout ça, car on est quand même plus proche d’Etats comme l’Allemagne et autres, avec des relations commerciales. Regardant la position de la Bulgarie et de la Roumanie, elles sont plus proches de la Russie et de l’Ukraine qui ont gardé d’anciennes attitudes communistes. Dès lors, ces pays n’étaient pas poussés ou forcés sous l’influence des circonstances de changer et devenir « plus développés ». Entretien n°2 Un niveau de vie élevé, même pendant le communisme qui nous a permis de reconstruire le pays après la Révolution de Velours. Notre position géographique a joué aussi, ce qui a permis de booster l’activité économique et les investissements. Entretien n°3 Nous avons des traditions et des liaisons avec les pays germaniques, nous sommes des gens organisés, nos sociétés et nos organisations publiques fonctionnent de manière cohérente. De plus, l’économie se portait plutôt bien. Tout se développait bien, et donc il n’y avait pas de raison pour ne pas rentrer. 59 Au début des années 1990, l’UE ouvrit le processus d’adhésion à dix pays. Or en mars 1998, elle commença les négociations pour l’accession avec seulement cinq pays dont la République tchèque, la Bulgarie n’en faisait pas partie. Nous pouvons nous demander pourquoi l’UE a finalement commencé les négociations avec qu’une partie des pays qui avaient demandé l’adhésion. Frank Schimmelfennig explique cette séparation par le fait que ces cinq pays partageaient déjà les valeurs et les normes libérales de l’UE113 . Ces cinq pays sélectionnés, pour débuter de concrètes discussions concernant leur adhésion en 1997, devaient d’abord correspondre aux principes de la Communauté et de ses Etats membres. Ils devaient aussi se distinguer des cinq autres pays qui restaient associés concernant leur conformité avec les normes libérales qui constituent la communauté européenne. Ces cinq pays furent choisis car ils furent déclarés comme « libres » alors que les autres étaient classés comme « partiellement libres » ou « non libres ». 113 SCHIMMELFENNIG Frank « The Community Trap: Liberal Norms, Rhetorical Action, and the Eastern Enlargement of the European Union”, International Organization, 2001, vol.55, n°1, page 48 60 Le tableau ci-dessous donne les données sur la sélection des PECO pour l’adhésion à l’UE en 1996-1997114 . Ce tableau donne une piste pour comprendre comment l’Union Européenne a opéré une sélection entre les pays candidats d’Europe centrale et orientale. FI est l’index de liberté qui est composé de PR (droits politiques) et de CL (libertés civiles) dont le score est entre 1 (le plus haut) et 7 (le plus bas). Les données des colonnes DEM (démocratie) et ECO (économie) viennent de l’évaluation de l’organisation « Nations in Transit ». La colonne Polity contient le « score de démocratie » de 1996 de la base de données Polity IIIu : le score est entre 1 (le plus bas) et 10 (le plus haut). Nous voyons, d’une part, sur ce tableau que la République tchèque et la Bulgarie ne sont pas dans la même catégorie puisque la République tchèque est dans la catégorie « In » (le pays est déjà prêt pour une éventuelle adhésion) alors que la Bulgarie est en « Pre-in » (il faut encore attendre pour débuter les négociations d’adhésion). Au niveau des scores des deux pays dans chaque colonne, on remarque d’importantes différences. Si la République tchèque entama les discussions pour une future adhésion en 1998, la Bulgarie les commença plus tard avec une adhésion seulement en 2007. 114 Les données de la Freedom House viennent de Karatnycky, Motyl, and Shor 1997 61 III/ Une entrée dans l’Union Européenne différée pour la Bulgarie avec des différences de niveau de vie La Bulgarie fut une candidate singulière à l’adhésion du fait de sa position géographique, de son économie et de sa culture ce qui engendra un processus d’adhésion plus long et plus contrôlé. 1) La candidature de la Bulgarie : une candidature singulière requérant des efforts plus importants Dans les autres pays et notamment dans la deuxième vague d’adhésion, la conditionnalité démocratique n’était pas suffisante pour apporter un vrai régime démocratique. Cela fut le cas de pays dont les sociétés n’étaient pas forcément disposées à adhérer à l’UE pour rejeter le pouvoir autoritaire en place. Sinon, le pouvoir en place était tellement bien consolidé dans le pays que la conditionnalité démocratique ne pouvait pas agir. Les observateurs des nouveaux entrants de 2007, soit la Roumanie et la Bulgarie, avaient deux préoccupations sur ces pays. La première préoccupation fut que la Bulgarie et la Roumanie n’avaient pas atteint les standards européens de gouvernance et de gouvernement nécessaires à leur entrée dans l’UE. Puis, les observateurs étaient sceptiques sur la possible poursuite ou pas de réformes non achevées au moment de l’accession. La Commission admit que la mise en place de l’acquis en Bulgarie n’avait pas été chose facile et que le pays n’avait pas toutes les caractéristiques réunies pour être qualifié d’Etat de droit et de démocratie lors de son accession115 . Du point de vue du passé historique, la Bulgarie, avec la Roumanie, fait partie des pays qui sont culturellement et géographiquement les plus éloignés de l’UE par rapport aux nouveaux entrants de 2004. Pays orthodoxe, le pays est très proche de son voisin russe, le “tsar 115 LEVITZ Philip, POP-ELECHES Grigore, « Monitoring, Money and Migrants : Countering Post-Accession Backsliding in Bulgaria and Romania », Europe-Asia Studies, 2010, vol. 62, n°3, page 461-462 62 libérateur” comme il est appelé en Bulgarie. Cette différence culturelle est renforcée par une différence de niveau de vie et de prospérité économique. Si la Bulgarie a très bien réussi sa transition à l’économie de marché en un temps record, elle entra dans l’UE en faisant partie des pays les plus pauvres, et notamment elle était plus pauvre que les entrants de 2004, malgré une croissance rapide et prospère au début des années 2000. En 2006, le PIB par habitant pour les huit nouveaux entrants de 2004 était environ 80% plus important que pour la Bulgarie et la Roumanie116 . Ce décalage de niveau a été un élément repris dans les trois entretiens menés avec les personnes de nationalité bulgare, comme le montre ce tableau suivant : Selon vous, quelle est la place de la Bulgarie parmi les pays d’Europe centrale et orientale membres de l’UE ? Entretien n°1 Le pays le plus pauvre et le plus corrompu parmi les pays membres de l’UE. Entretien n°2 Le plus pauvre de tous et le moins important. Entretien n°3 Plus proche de la Roumanie que des pays leaders de cette région. De plus, il est à noter que la Bulgarie avait un système bureaucratique aux pratiques très patrimoniales pendant le communisme, beaucoup plus que dans les Etats d’Europe centrale. Par conséquent, il fut plus difficile pour la Bulgarie d’adopter un modèle rationnel-légal de bureaucratie demandé par l’UE. 2) L’entrée de la Bulgarie critiquée et plus contrôlée Comme actuellement avec le cas de la Grèce, certains observateurs ont critiqué l’entrée de la Bulgarie en 2007. Un député européen affirme que l’UE “a dit oui avant que les réformes soient mises en place”, un membre de la Commission Européenne affirma de son côté que 116 LEVITZ Philip, POP-ELECHES Grigore, « Monitoring, Money and Migrants : Countering Post-Accession Backsliding in Bulgaria and Romania », Europe-Asia Studies, 2010, vol. 62, n°3, page 463-464 63 l’UE, en faisant entrer la Bulgarie et de la Roumanie, “bradait le processus”’ d’élargissement117 . Pourtant, la Bulgarie, contrairement à la République tchèque, bénéficiait d’un soutien inconditionnel de tous les partis politiques et de la population concernant l’adhésion à l’Union Européenne. Contrairement à la Pologne ou à la République tchèque, qui, pendant les négociations pour l’accession, ont négocié certains points et réformes, la Bulgarie n’a jamais rien renégocié et était prête à adopter telles quelles les 80 000 pages de lois et règlements communautaire. Pour contrer les doutes et les peurs de certains pays ou personnes dans l’UE, les réformes en Bulgarie furent beaucoup plus suivies et contrôlées que pour les nouveaux entrants de 2004. Tous les pays sont sujets à un contrôle de l’Union au niveau de l’économie, du marché intérieur, de la justice et des affaires intérieures. En plus de cela, la Bulgarie fut soumise à un contrôle continu de l’UE en matière de corruption, de crime organisé et en matière judiciaire pendant 3 ans après son accession. Ce suivi s’accompagnait de menaces de sanctions, notamment de coupes budgétaires de l’UE vers la Bulgarie ainsi que de la nonreconnaissance de décisions de justice si les progrès n’étaient pas réalisés. En 2008, au vu du peu et de la lenteur des progrès que la Bulgarie avait réalisé dans le contrôle de la corruption et du crime organisé et dans la mise en place d’un système judiciaire indépendant, la Commission, à l’été 2008, coupa certains budgets pour la Bulgarie118 . Cela posait un gros problème pour la Bulgarie car elle comptait parmi les plus gros bénéficiaires de fonds européens dont notamment le FEDER, le FSE et le Fonds de Cohésion. La Bulgarie était donc très dépendante de l’aide financière européenne. Dans le même temps, la République tchèque, avec la Slovénie, étaient les deux pays qui recevaient le moins d’aides119 . L’étude du rôle des acteurs transnationaux et ici en particulier du rôle de l’Union Européenne fait apparaitre des disparités entre les deux pays où la République tchèque, pays 117 LEVITZ Backsliding 118 LEVITZ Backsliding 119 LEVITZ Backsliding Philip, POP-ELECHES Grigore, « Monitoring, Money and Migrants : Countering Post-Accession in Bulgaria and Romania », Europe-Asia Studies, 2010, vol. 62, n°3, page 464 Philip, POP-ELECHES Grigore, « Monitoring, Money and Migrants : Countering Post-Accession in Bulgaria and Romania », Europe-Asia Studies, 2010, vol. 62, n°3, page 470 Philip, POP-ELECHES Grigore, « Monitoring, Money and Migrants : Countering Post-Accession in Bulgaria and Romania », Europe-Asia Studies, 2010, vol. 62, n°3, page 472 64 démocratique et déjà prospère économiquement bénéficie de l’européanisation et se réforme donc plus vite que la Bulgarie où le processus fut plus long et plus lourd. 65 CONCLUSION Si la théorie du dilemme de la simultanéité de Claus Offe sert de base pour comprendre la transformation des pays d’Europe centrale et de l’est, il est nécessaire de la dépasser pour comprendre la transformation de la République tchèque et de la Bulgarie. En effet, la similarité de l’installation du communisme dans le pays et leur statut d’Etat indépendant satellite de l’Union soviétique firent de la République tchèque et de la Bulgarie des pays qui pouvaient se transformer facilement après la fin de leurs régimes communistes. L’application des trois variables proposées par Claus Offe au cas tchèque et bulgare démontre le besoin de rechercher de nouvelles variables pour expliquer la différence de transformation. Si la République tchèque et la Bulgarie ont dû faire face aux questions de l’introduction de la démocratie et de l’économie de marché, la question des frontières fut réglée pendant l’entre-deux-guerres, considérant que la scission de la Tchécoslovaquie fut effectuée en accord avec les deux parties et pacifiquement. En s’intéressant à la période de l’entre-deux-guerres, nous avons remarqué que la variable historique mais aussi économique avait une importance capitale dans la transformation des deux pays et qu’elle prédisait la tournure des événements post 1989. Deux modèles de régime politique et deux modèles d’économie se font face : d’un côté la république démocratique stable tchécoslovaque à l’industrie florissante et de l’autre le régime tsariste autoritaire à l’instabilité politique croissante et à l’économie encore essentiellement agraire. En parallèle, l’étude sur le long des deux régimes communistes révèlent des différences majeures entre les deux pays. Il y a, d’un côté, la Bulgarie, grand pays fidèle du « tsar libérateur » russe et de l’autre, il y a la Tchécoslovaquie qui essaya de réformer le régime autoritaire voire dictatorial communiste en 1968 et qui subit l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie. Cette étude explique aussi la fin des régimes communistes avec une Révolution de Velours d’un côté et de l’autre une Révolution de Palais. Le régime tchécoslovaque en effet s’effondre alors que le régime bulgare prend fin de manière contrôlée. 66 Une autre variable est aussi à prendre en compte dans la fin des régimes communistes : la variable des acteurs nationaux. Là aussi, cette variable marque la différence de transformations des deux pays. La Tchécoslovaquie, depuis les années 1960 jusqu’à 1989, avait un vivier de personnalités notamment de la Charte 77 et du Comité pour la défense des personnes injustement accusées qui continua ses actions même sous la normalisation alors que la dissidence bulgare ne se fit connaitre qu’à partir du milieu de l’année 1989. La dernière variable essentielle est celle des acteurs transnationaux et dans les deux cas présents, il s’agit de l’Union Européenne. Avec un pouvoir de réformes impressionnant, l’Union Européenne participe, par l’octroi du statut de candidat, à la réussite de la transformation. Pour autant, son rôle a été disparate dans les pays car l’UE a d’abord investi et ouvert les négociations avec les pays qui avaient déjà une conditionnalité démocratique certaine, dont la République tchèque mais pas la Bulgarie. La Bulgarie a donc pu bénéficier de l’expertise communautaire plus tardivement ce qui ralentit aussi sa transformation : cela forme comme un cercle vicieux, qui au final, s’est soldé par une adhésion plus tardive en 2007. Aujourd’hui, les deux pays sont membres de l’Union Européenne et on peut considérer qu’ils ne sont plus en « transformation mais en évolution » comme l’affirme Son Excellence, Jean-Pierre Asvazadourian Ambassadeur de France en République, Comme Monsieur l’Ambassadeur l’a souligné pour le cas de la République tchèque, ces deux sociétés, plus de 25 ans après la fin des régimes communistes, ont encore des défis à relever dans plusieurs domaines. Un des défis communs aux deux pays reste le problème de la corruption et du « recyclage » des élites communistes dans le domaine politique et économique. D’après Transparency International, la République tchèque se classe 53ème avec un score de 51 concernant la corruption alors que la Bulgarie se classe 69ème avec un score de 43120 . Les deux pays font encore régulièrement face à des scandales de corruption au plus haut niveau. Dans le cas tchèque, il s’agit d’un cas de corruption politique avérée impliquant son Premier Ministre Petr Necas qui démissionna de ses fonctions en 2013121 . En Bulgarie, c’est le chef de la police 120 121 https://www.transparency.org/cpi2014/results http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/06/16/demission-du-premier-ministre-tcheque-apres-un-scandale- de-corruption_3431028_3214.html 67 anti-mafia, Stanimir Florov, qui fut accusé (une nouvelle fois) en 2013 de corruption et qui démissionna de son poste122 . 122 http://www.lefigaro.fr/international/2013/04/21/01003-20130421ARTFIG00209-en-bulgarie-le-chef-de-la- police-antimafia-demis-pour-corruption.php 68 INDEX NOMINUM ASH, Garton, 19 ASVAZADOURIAN, Jean-Pierre, 30, 56 BENES, Edvard, 10, 13, 30, 31 32, BORIS III de BULGARIE 34, 35 BOULINEAU, Emmanuelle, 24 CERNIK, Oldrich, 18 DUBCEK, Alexandre, 17, 24 FERDINAND I de BULGARIE, 34 FLEISCHMANN, Ivo, 24 FLEISCHAMNN, Michel, 24, 26, 27 FLOROV, Stanimir, 56 GOTTWALD, Klement, 10, 11 GUEORGUIEV, Kimon, 35 HAVEL, Vaclav, 19, 24, 26, 27, 45 HEYDRICH, Reinhard, 10 HITLER, Adolf, 35, 41 HUSAK, Gustav, 19, 26 JELEV, Jeliou, 27, 28 JIVKOV, Todor, 18, 20, 21, 22, 23, 27, 28 KADAR, Janos, 19 KIOSSANOV, Gueorgui, 35 KIURANOV, Deyan, 20, 21, 22, 23, 25, 28 KLAUS, Vaclav, 27 KLEMENT, Vaclav, 37 KUNDERA, Milan, 19, 24 LAURIN, Vaclav, 37 LIAPTCHEV, Andreï, 35 MASARYK, Tomas Garrigues, 30, 32 MECIAR, Vladimir, 16 69 MLADENOV, Petar, 23, 27, 28 NAZARBAÏEV, Noursoultan Äbichouly, 16 NECAS, Petr, 55 NOVOTNY, Antonin, 17 PAPAGOS, Alexandre, 34 SIROKY, Viliam, 10 SKANSKY, Rudolf, 33 STAMBOLIJSKI, Alexandre, 34, 42 STEFANIK, Milan, 31 SVEHLA, Robert, 36 SVOBODA, Ludvik, 17 TCHERVENKOV, Valko, 14 URBAN, Jan, 26 WALESA, Lech, 24 70 LISTE DES SOURCES www.cairn.info www.persee.fr www.theses.fr www.catalogue.biu-toulouse.fr www.ladocumentationfrancaise.fr www.czso.cz www.nsi.bg www.ec.europa.eu www.eur-lex.europa.eu www.touteleurope.eu Documents internes de Business France Prague 71 BIBLIOGRAPHIE Livres, mémoires et thèses BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, Paris : Editions du Seuil, 1995, 510 pages CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Histoire de la Bulgarie, Au pays des Roses, Brest : Editions Armeline, 2007, 351 pages DREYFUS, Françoise, L’administration dans les processus de transition démocratique, Paris : Publications de le Sorbonne, 2004, 160 pages FRANKEL Jonathan, HOFFMAN Stefani (dirs.), Restructuring Post-Communist Russia, Cambridge : Cambridge University Press, 2004, p. 52-67 GIBIANSKII Leonid, NAIMARK Norman M., The Soviet Union and the Establishment of Communist Regimes in Eastern Europe, 1944-1954, Washington D.C. : The National Council for Eurasian and East European Research, 2004, 60 pages HADJIISKY Magdalena, « Européanisation et réforme de l’Etat. 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Européanisation et sociétés politiques nationales, Paris : CNRS Editions, 2007, p. 167-193 KALINOVA Evguenia, BAEVA Iskra, La Bulgarie contemporaine entre l’Est ou l’Ouest, Paris : L’Harmattan, 2001, 242 pages LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Problems of Democratic Transition and Consolidation: Southern Europe, South America, and Post-Communist Europe, 1996, Baltimore : JHU Press, 479 pages 72 MOTYL, Alexander J., « Communist legacies and new trajectories: Democracy and dictatorship in the former Soviet Union and East Central Europe », in BRUDNY Yitzhak, FRANKEL Jonathan, HOFFMAN Stefani (dirs.), Restructuring Post-Communist Russia, Cambridge : Cambridge University Press, 2004, p. 52-67 SCHIMMELFENNIG Frank, SEDELMEIER Ulrich, The Europeanization of Central and Eastern Europe, Ithaca : Cornell University Press, 2005, 256 pages SEGERT Dieter, Postsozialismus: Hinterlassenschaften des Staatssozialismus und neue Kapitalismen in Europa, Vienne : New Academic Press, 2007, 228 pages Articles de revue BOHLE Dorothee, « Countries in distress: transformation, transnationalization, and crisis in Hungary and Latvia », Emecon : Employment and Economy in Central and Eastern Europe (revue en ligne), 2010 CARTER Franck W. « Minorités nationales et groupes ethniques en Bulgarie : distribution régionale et liens transfrontaliers », Espace, populations et société, 1994, vol. 12, n°3, p. 299-309 CHARRON Nicholas, LAPUENTE Victor, « Does democracy produce quality of government ? », European Journal of Political Research, 2010, vol. 49, 443-470 COENEN-HUTHER Jacques, « L'Europe de l'Est en transition: circulation ou reproduction des élites? », Revue européenne des sciences sociales, 2000, t. 38, n° 118, p. 135149 HNILICA Jiri « La formation française des élites tchécoslovaques », Le Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, 2013, 2013/1, n° 37, p. 141-152 73 LEVITZ Philip, POP-ELECHES Grigore, « Monitoring, Money and Migrants : Countering Post-Accession Backsliding in Bulgaria and Romania », Europe-Asia Studies, 2010, vol. 62, n°3, p. 461-479 OFFE Claus, « Vers le capitalisme par construction démocratique ? 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Son Excellence Jean-Pierre Asvazadourian, Diplômé de l’ESSEC et de la Chambre de Ambassadeur de France en République Commerce espagnole, Monsieur tchèque l’Ambassadeur débuta sa carrière en administration centrale. Il fut nommé à l’Ambassade de France de Prague en 1989 jusqu’en 1993. Il occupa les postes de Troisième Secrétaire, puis Deuxième Secrétaire et enfin Premier Secrétaire. Il fut ensuite nommé à Londres et à Copenhague pour revenir dans l’administration centrale. De 2009 à 2013, il fut Ambassadeur de France en Argentine et en 2013 il fut nommé Ambassadeur de France en République tchèque123 . Docteure Emmanuelle Boulineau Maitre de conférences en géographie à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, chercheuse en délégation au Centre National de Recherches Scientifiques. Ses domaines de recherches sont - La géographie politique de l’Union européenne, l’européanisation et la gouvernance territoriale à l’Est de l’Europe 123 La France en République tchèque http://www.france.cz/Biographie-de-M-Jean-Pierre 76 - L’élargissement de l'UE aux Balkans, les voisinages européens de la Mer noire - Les systèmes territoriaux et maillages administratifs : enjeux, réformes - Et la coopération territoriale en Europe. Sa thèse de doctorat portait sur les maillages administratifs et la gestion du territoire en Bulgarie en en donnant une lecture géographique124 . Michel Fleischmann Fils du diplomate tchécoslovaque Ivo Fleischmann, Michel Fleischmann est né à Prague en 1952. En 1969, son père demande l’asile politique à la France. Michel Fleischmann a étudié à la Sorbonne et en 1989, il est revenu dans son pays natal. De formation journalistique, il est aujourd’hui le président du groupe de médias Lagardère Active Internationale en République Tchèque, qui couvre plusieurs grandes stations de radio tchèques. Il est membre du Conseil de l'Association de la Radiodiffusion Privée (APSV) et a été élevé au rang de Chevalier de "l’ordre des Arts de la République française". Autres enquêté(e)s Tous(tes) les enquêté(e)s sont né(e)s entre 1978 et 1991 et viennent soit de Bulgarie soit 124 Ecole Normale Supérieure de Lyon http://ens-lyon.academia.edu/EmmanuelleBoulineau/Curricu lu mVitae 77 de République tchèque. Tous(tes) ont séjourné à l’étranger ou y séjournent encore dans le cadre de leurs études et parlent donc plusieurs langues étrangères. Les pays où ils séjournent ou ont séjourné sont l’Allemagne, la Finlande et la France. Certains détiennent un titre de master et certains sont en train d’étudier pour obtenir ce diplôme. 78 ENTRETIENS Entretien avec Son Excellence, Jean-Pierre Asvazadourian, Ambassadeur de France en République tchèque : « D’après votre biographie sur le site de l’ambassade de France, vous avez été en poste à l’Ambassade de 1989 à 1993. Pourriez-vous préciser la date exacte de votre prise de poste en 1989? Fin décembre 1989 – fin janvier 1991 mais je connaissais la Tchécoslovaque avant, ayant fait des stages de langue. En tant que Français, vous êtes donc arrivés dans un contexte de changement de société profond, que ce soit au niveau économique, politique ou social, comment l’avez-vous ressenti? C’était un moment d’ébullition tchèque, slovaque et aussi européen. C’était un moment historique qu’on était en train de vivre depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Le pays fut de suite confronté à plusieurs questions : la transformation politique et économique et les impacts que ces transformations auraient sur la société. Ces questions appelaient à des choix immédiats. Il fallait remplacer les structures anciennes par de nouvelles. La particularité de la Tchécoslovaquie par rapport à ses voisins polonais et hongrois est que le pays n’avait jamais recouru à la méthode de la privatisation dans le passé. Juste après la Révolution de Velours, le retour en Occident par l’UE et l’OTAN fut souhaité : le pays dans son histoire a toujours fait partie des puissances occidentales ex : Charles IV. La problématique de la partition s’est aussi posée avec la question de la mise en place d’un régime fédéral. Cette question a soulevé d’autres problèmes, dont notamment des débats sur le nom de la nouvelle république et avec la fameuse guerre du trait d’union. Au niveau économique, le plan adopté changea considérablement l’économie avec une privatisation par coupons et des conseils économiques composés d’experts américains. La population devait aussi repenser sa place dans ce nouveau monde élargi. La population a aussi récupéré tout un patrimoine culturel oublié ou interdit pendant le communisme. 79 La clé de succès de la transformation tchèque tient dans la période démocratique des années 1920, qui est revenue dans l’esprit des gens en 1989. La Tchécoslovaquie a toujours été un pays progressiste, laïc et économiquement prospère. 80% de l’industrie austrohongroise était en Bohême Moravie. Le pays avait donc connu une période de prospérité économique et politique. Durant le communisme, la répartition économique au sein du COMECON faisait que la Tchécoslovaquie fut un pays très industriel comme la RDA et avait un niveau de vie plus élevé. Le PC est resté fort car la classe ouvrière était importante en Tchécoslovaquie. C’est d’ailleurs intéressant de voir que le PC n’a pas changé de nom. Vous avez donc été nommé en 2013 à Prague une nouvelle fois, 20 ans après. Là aussi, quel a été votre ressentiment général? Le pays a-t-il à vos yeux changé? La différence est qu’avant, c’était un moment historique qui était en train de se passer et en 2013, c’était dans un sens la « normalité ». L’économie s’est rapprochée des autres économies de l’Ouest, le pays a profité des apports de l’UE, il est devenu compétitif, les débats posés dans la société sont ceux que le reste de l’Europe et du monde se posent ex : comment garder des industries dans un monde globalisé. Les gens sont aussi différents, une nouvelle génération de personnes est née qui part à l’étranger. La transformation des pays ex-communistes a été d’un genre très particulier et n’avait rien à voir avec les transitions de l’Europe et de l’Amérique du Sud puisqu’ici on a aussi un changement de modèle économique. Claus Offe parlait de dilemme de la simultanéité. Des études sont allées plus loin et ont fait un distinguo entre les pays satellites de l’URSS et les pays républiques soviétiques. Ces études ont montré que les pays ayant eu déjà un appareil d’Etat formé comme les pays satellites ont réussi leur transformation. Pensez-vous qu’il y a eu une tabula rasa du passé communiste en République tchèque ou est-ce que finalement ce passé a quand même servi? Il n’y pas eu de tabula rasa car il y avait beaucoup de personnes formées en Tchécoslovaquie. 80 En 1993, le pays n’était pas encore membre de l’Union Européenne, saviez-vous que son entrée serait si rapide? Dans quelle mesure pensez-vous que le statut de candidat puis de membre a contribué à sa transformation? Le statut de candidat a contribué à sa transformation. La transformation économique a été rapide avec une concentration du pouvoir économique et le rôle de l’Ouest a été considérable dans l’assistance donnée au pays. Cela a permis de diminuer le différentiel. Cette remise à niveau des PECO a permis aussi de donner un nouvel élan à l’UE et de faire un nouveau traité. Pensez-vous que la transformation du pays est complète? Si non, que reste-t-il encore? Le pays n’est plus en transition mais en évolution. Il reste des sujets à améliorer comme la corruption, la gestion des fonds européens, une loi-cadre sur la fonction publique, l’amélioration des infrastructures de transport. » 81 Entretien avec Madame la Professeure Emmanuelle Boulineau, maitre de conférences en géographie, spécialiste de la Bulgarie : « D’après vous, est-ce que la transformation de la Bulgarie est terminée? Par rapport aux autres pays d’Europe centrale et de l’Est? Sinon, quels secteurs sont encore en retard? Il y a plusieurs types de transition. On pensait que par le chemin de la transition, les pays post-communistes adopteraient un système politique et économique libéral. Or ce chemin ne fut pas linéaire, on ne peut pas appliquer un seul modèle à tous ces pays. Il n’y a pas de question de retard ou d’avance, cela n’a pas de sens. En Bulgarie, il y a effectivement des choses non achevées. On peut penser au problème de la corruption encore très présent ou encore le problème de la réforme du système judiciaire qui n’est toujours pas faite (elle est rythmée par différents scandales et démissions et la justice n’est pas indépendante). Mais au niveau de l’économie, la Bulgarie est très vite passé dans un système économique libéral capitaliste avec une vague de privatisations très importante et très rapide, comme le domaine de la téléphonie. La Bulgarie n’a jamais vraiment connu avant 1989 un vrai régime démocratique dans son histoire, contrairement à la République tchèque, pensez-vous que cela a eu un impact dans la transformation post-communiste du pays? La Bulgarie a été longtemps dans l’Empire Ottoman, le pays a été marqué par de grandes ruptures. La Russie a libéré les Bulgares du joug ottoman, c’est le “tsar libérateur”. Le régime n’a jamais été vraiment démocratique et il serait intéressant de comparer les périodes d’entre-deux-guerres. Si on reste sur la comparaison des systèmes socialistes, la Bulgarie n’a pas bénéficié de beaucoup de dissidence, c’est justement ce que les Bulgares mettent en avant pour expliquer les différents problèmes qu’ils ont encore à régler découlant de la chute du communisme. Est-ce que le facteur religieux joue? La Bulgarie orthodoxe peut naturellement se sentir plus proche de la Russie que la Tchécoslovaquie. 82 L'européanisation et l'obtention du statut de candidat a poussé de nombreux PECO à conduire de grandes réformes sur un temps court, malgré comme vous le dites dans votre papier, des "injonctions européennes parfois imprécises". Pensez-vous que l’entrée de la Bulgarie dans l’UE en 2007 a été faite au bon moment ou est-ce que le pays manquait encore de réformes? Ou est-ce que le pays fut prêt avant 2007? La puissance transformatrice de l’UE n’est pas linéaire. La question ici est de savoir si adhérer à l’UE relève d’un processus d’adoption de l’acquis communautaire ou d’un processus politique de construction européenne. La Bulgarie voulait entrer et bénéficiait d’un soutien inconditionnel de tous ses partis politiques, il n’y avait pas de polarisation, contrairement à la République tchèque. Cette entrée fut un très grand pas à accomplir pour la Bulgarie. En parallèle de l’UE, c’est l’adhésion à l’OTAN qui fut aussi primordiale pour les pays post-communistes afin de se protéger du joug russe. En 2001, les visas furent abolis pour circuler au sein de l’UE. Cette décision fut interprétée par les Bulgares comme la libre circulation, un enthousiasme fort avait suivi cette décision mais il est retombé. Au final, la Bulgarie n’est rentrée qu’en 2007. De plus, les cinq pays post-communistes qui ont entamé en premier les négociations en vue de l’adhésion ont presque stigmatisé la Bulgarie et la Roumanie en se démarquant le plus possible. Tous ces nouveaux entrants sont en fait partis en ordre dispersé au début des années 1990 et se sont fait concurrence. La Bulgarie fut un allié fidèle de Moscou pendant le communisme, le pays n’a jamais été envahi par la Pacte de Varsovie car le pays n’a pas connu de révolution ou de révolte comme dans d’autres pays comme la Tchécoslovaquie ou la Hongrie. Les personnes qui ont participé à ces révolutions étaient au premier plan en 1989 comme Vaclav Havel. Est-ce que la Bulgarie avait une élite en nombre suffisant prête à prendre le pouvoir et transformer le pays? En quoi cela a-t-il joué dans la transformation? Est-ce que les élites (politiques, économiques, culturelles) ont changé depuis la fin de 1989 ou y a-t-il beaucoup de communistes “reconvertis”? Cela a-t-il une influence sur la transformation du pays? Jeliev, premier président post-communiste, était dissident et donc bénéficiait d’une autre légitimité. En Bulgarie, les années 1990 étaient marquées par un clivage pro-communiste et anti-communiste (dont certains venaient de l’ancien camp socialiste). La Bulgarie n’a pas pu 83 compter sur la société civile. A ce niveau-là, la transition a été lente. Les élites bulgares étaient pour certaines à l’étranger et sont revenues comme Passi (Ministre des Affaires Etrangères) ou encore le tsar qui fut Premier Ministre et a ensuite disparu. L’instabilité gouvernementale en Bulgarie est encore forte avec un Premier Ministre qui vient des services secrets communistes. Après il est vrai qu’un cinquième de la population bulgare est à l’étranger et que les jeunes aspirent ou sont poussés par leur famille à partir à l’étranger. Si cette génération formée est une perte pour le pays, cela ne veut pas dire qu’ils ne reviendront jamais quand le pays connaitra enfin une stabilité politique, un retour de la croissance et une justice indépendante.» 84 Entretien avec Michel Fleischmann : « Votre père était diplomate tchécoslovaque en poste à Paris. En 1969, il a fait une demande d’asile politique en France. Sa demande faisait suite au Printemps de Prague et à l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie. Si ce n’est pas trop indiscret, qu’a motivé la décision de votre père ? Mon père a un peu tardé dans sa décision. En contact permanent avec le ministre des affaires étrangères et ami, Hajek, il était encore possible, après l’invasion, de demander à rester à l’Ambassade. La raison en était simple, ou bien l’intervention serait courte et il y aurait un retour "à la normale" ou bien, l’idée existait qu’il pourrait y avoir un gouvernement en exil, le plus probablement à Paris. Je ne pense pas que mon père y croyait vraiment mais il acceptait la volonté, bien naïve, de Hajek et de Dubcek. N’oublions pas que l’Ambassadeur était Pithart, lui-même acquis aux mêmes idées. Pithart a été rapidement rappelé à Prague et n’est plus revenu à Paris. Puis, je crois, qu’en novembre 1969, l’équipe de Dubcek était définitivement remplacée par les gens de Husak. Pour mon père, c’était le signal qu’il fallait en arrêter là. Ce qui l’a définitivement décidé, en dehors du refus de servir en tant que diplomate le nouveau régime, c’était la décision de ma mère de rester en France. Pour ma mère, le moment décisif a été un coup de fil d’un ami de mes parents, l’écrivain Vercors qui venait de rentrer de Prague. Vercors y avait reçu l’information que mon père figurait sur la liste des gens à arrêter dès que possible. Mon père était proche des gens de la diplomatie française, Malraux et autres, qui l’ont assuré d’un bon accueil. Il était le premier diplomate tchécoslovaque à rester en France. Ca a fait du bruit. (Cela dit, l’aide était pour ainsi dire par la suite presque nulle). 85 A la chute du communisme vous êtes rentré en Tchécoslovaquie, quel a été votre sentiment quand vous êtes revenu pour la première fois dans votre pays natal? Je suis revenu sans l’idée de rester. J’avais à Paris un travail que j’aimais à France Culture, et la direction a accepté que je fasse un reportage sur " le retour" et me voilà parti. Dès le passage de la frontière, une totale désillusion m’envahit. Face à mes rêves colorés, nourris pendant 25 ans, je ne voyais que grisaille. Un choc. Des larmes. Puis ça allait mieux, j’ai revu ma famille, mes amis. Comme s’il ne s’était passé que quelques semaines. Nos conversations reprirent là où elles s’étaient arrêtées en 1969. J’ai fait mon reportage. Puis m’est venue l’idée de faire une radio à Prague. Au Quai d ´ Orsay, il m’a été proposé d´étudier la possibilité d’une radio bilingue franco-tchécoslovaque. Je suis retourné à Prague. L’idée avait du sens mais cela allait prendre du temps. Dans l’avion pour Prague, je reçus une autre proposition, celle de Martin Brisac de chez Lagardère, directeur d’Europe 2. Il allait à Prague pour annoncer la création d’une radio musicale pour les jeunes dans le cadre d’un accord avec la Radio Tchécoslovaque et il cherchait un directeur. J’avais le portrait idéal: je savais faire de la radio, je sortais du service public, je parlais tchèque, je connaissais pas mal de gens... Je n’avais pas encore accepté et voilà que mon Martin annonce ma nomination. Quinze jours plus tard, après un fort court passage à Paris, je me suis retrouvé dans une chambre de chez ma tente avec le titre de Directeur Général et avec le but de mettre un peu de couleurs dans cette tristesse des rues grises, des habits d’une autre époque et dans une musique déjà oubliée. 86 Est-ce que vous saviez que vous rentreriez un jour en Tchécoslovaquie? Au début de l’émigration oui, puis on n’y pense plus. On se bat pour faire passer des choses - informations sur l’état des choses, rappeler la culture tchécoslovaque, parler des Tchèques et des Slovaques - et on sait ce que l’on fait, ce n’est qu’aider. On ne pense pas à soi, on ne pense plus à ce que cela pourra changer. Puis viennent les évènements de Varsovie, puis de Berlin et effrayés, on attend quand est ce que, Bon Dieu, ça bougera enfin aussi en Tchécoslovaquie. Puis cela arrive et on y va, comme je l’ai déjà dit, s’en penser que cela devrait être un retour. Non, juste pour voir, en être. Ce n’est qu’après que l’occasion fait qu’on se retrouve de retour. Autour de Vaclav Havel et de la Charte 77, il y avait toute une génération qui était contre le pouvoir communiste, certains ont même connu les conséquences néfastes de l’autoritarisme du régime tchécoslovaque. Vous avez fait des études de lettres et vous vous êtes dirigé dans les médias et plus particulièrement dans la radio. Etant que journaliste radio, peut-on dire, dans un sens, que vous faisiez partie de cette génération prête à jouer un rôle clé et à remplacer les élites communistes? Je n’étais pas vraiment journaliste dans le sens propre du terme. Je faisais des émissions de radio, des spectacles sur la poésie tchèque (à Beaubourg), j’organisais des expositions, traduisais et écrivais. Tout sous un angle culturel ou bien évidemment la situation politique jouait son rôle. Je n’ai jamais pensé à jouer un rôle politique et encore moins remplacer quiconque. Je prenais cela comme un devoir évident. Parfois pesant car m’empêchant de me lancer avec un but dans, par exemple, la littérature française. Non, il y avait une logique familiale, un statut de réfugié politique. En premier, défendre la culture de mon pays et refuser l’oppression. Même quand je suis devenu français, ce poids ne m’a pas lâché. Quand rentré à Prague, il y avait des gens comme par exemple à la direction de la radio d’Etat qui m’agressaient avec des déclarations du genre: « si tu crois que tu vas nous remplacer, tu te trompes ». Je ne voulais remplacer personne, je voulais seulement faire de la radio, celle qui amusera, apportera de la modernité et de la bonne musique qu’une telle radio commerciale peut apporter. Cela avait du succès. C’est vrai que j’étais, à mon avis, à cause de ce succès, souvent sollicité aux postes politiques. A l’époque on personnalisait tout. Je n’avais pas cette ambition. Pour moi un engagement dans la politique dans un sens exécutif, 87 c’est-à-dire dans une Realpolitik, ne peut se faire qu’avec une idée idéologique et l’acceptation des règles strictes du système politique. Mon attitude est plutôt créatrice, culturelle que celle de fonctionner dans une structure politique. Mes amitiés parmi les politiques viennent de ce constat. Je restais dans ce que je savais faire de mieux, gérer des radios et les medias. Pensez-vous que la présence de cette génération a aidé à la transformation rapide du pays? Plus encore, si ces intellectuels viennent du théâtre. Si les "obrozenci" étaient des littéraires et des gens du théâtre, ici c’est très semblable. Ce sont des gens qui savent monter un spectacle, lui donner un rythme, des chapitres ou des actes. Oui, ils sont allés très vite, au début, la salle leur était vite acquise. Artistes, ils savaient formuler la liberté. Le hic vient du fait que le théâtre, la littérature, le cinéma, l’art, ce n’est pas de la politique. Une pièce de théâtre a une fin, comme un roman ou un film. La politique est sans fin. C’est là qu’il ne faut pas être déçu de ce qui se passe maintenant. C’est du politique comme ailleurs. Normal. Quand on dit show must go on, c’est vrai mais ce n’est plus de l’original mais du show politique. Je rappelle que la Tchécoslovaquie a été le premier pays post communiste à se doter d’une loi sur les radios et télévisions, mettant en place un système dualiste – d’un côté le service public, de l’autre les médias privés. J’y étais, j’en étais et les gens avec qui on l’écrivait étaient des chanteurs, musiciens, théâtreux et gens de radio. D’accord peut-être, si on voulait être un peu critique, des « pseudo-intellectuels ». Intellectuels quand même. Vous êtes revenu dans le pays à une période clé de son histoire, sa transformation. Pour vous quels étaient les atouts de la Tchécoslovaquie pour réussir cette transformation? En beaucoup parce qu’elle avait ce que je viens d’écrire plus haut, des philosophes, des écrivains, des théâtreux, des cinéastes et des sportifs de renom. Une histoire décrite et assez bien "vendue" à l’étranger. Des Forman, des Kundera, des Lendl et autres Navratilova. Cela compte. Le reste est la richesse naturelle du pays, une industrie vieillissante mais toujours fonctionnelle. Puis toute une génération de gens fonctionnant à de hauts postes industriels et économiques qui savaient faire. Tous membres du Parti Communiste et aucun d’eux 88 communistes. Seulement pour faire carrière, gagner de l’argent et souvent faire valoir ses capacités, quand on était qu’un peu courageux, cela ne pouvait pas être autrement. Si ceux-là avaient rien qu’un peu d intellectualisme des théâtreux dont je viens de parler plus haut, la révolution aurait été plus tôt.» 89 Entretiens avec des personnes de nationalité bulgare : Entretien n°1 « Quelle est votre date de naissance? 10/08/1991 Aspirez-vous à aller étudier à l’étranger et/ou travailler à l’étranger? Ou êtes-vous déjà à l’étranger ? Pourquoi? J’ai choisi d’aller étudier en Allemagne car en Bulgarie je prenais des cours de langue de langue allemande dans une école allemande. Puis, il s’est avéré que j’aimais ce pays et son système éducatif. Si vous êtes déjà à l’étranger, pensez-vous rentrer un jour en Bulgarie? Oui, je prévois de rentrer en Bulgarie quand j’aurai fini mes études car je veux être avec ma famille et je veux essayer d’être utile d’une certaine manière à mon pays. Pensez-vous que la Bulgarie a terminé sa transformation? Sinon, quels sont les domaines qui ne le sont pas? Non, parce que les politiques venant du système communiste sont toujours impliqués dans le nouveau système. Aussi, le système politique n’a pas du tout changé depuis la transition vers la démocratie. Selon vous, quelle est la place de la Bulgarie parmi les pays d’Europe centrale et orientale ? Le pays le plus pauvre et le plus corrompu parmi les pays de l’Union Européenne. Comment avez-vous vécu l’entrée du pays dans l’Union Européenne? Plus besoin de visa pour voyager, il était donc plus facile de postuler pour des universités étrangères. 90 Pensez-vous que la Bulgarie aurait dû rentrer en 2004 comme les autres pays d’Europe centrale? Pourquoi? Oui, parce qu’en 2004, le gouvernement était stable et ceci jusqu’en 2012. Selon vous, à quoi est dû ce retard dans l’intégration dans l’Union Européenne comparée à l’intégration d’autres pays qui comme la Bulgarie ont connu le communisme et qui eux sont rentrés plus tôt? Le système judiciaire et le manque de réformes.» Entretien n°2 « Quelle est votre date de naissance? 13/10/1991 Aspirez-vous à aller étudier à l’étranger et/ou travailler à l’étranger? Ou êtes-vous déjà à l’étranger ? Pourquoi? Afin de connaitre une autre culture et afin d’avoir de meilleures opportunités d’emploi (Allemagne). Si vous êtes déjà à l’étranger, pensez-vous rentrer un jour en Bulgarie? Oui, afin d’être avec ma famille. Pensez-vous que la Bulgarie a terminé sa transformation? Sinon, quels sont les domaines qui ne le sont pas? Non, je ne pense pas. La réponse est trop longue. Pour faire court : la corruption est toujours forte, les personnes du régime communiste sont toujours sur la scène politique et la manière de penser des gens n’a pas changé pour une manière de penser capitaliste et individualiste. 91 Selon vous, quelle est la place de la Bulgarie parmi les pays d’Europe centrale et orientale ? Le plus pauvre de tous, le moins important. Comment avez-vous vécu l’entrée du pays dans l’Union Européenne? J’étais très positif par rapport à cette adhésion. Pensez-vous que la Bulgarie aurait dû rentrer en 2004 comme les autres pays d’Europe centrale? Pourquoi? Non, je ne pense pas. Cela aurait aggravé la crise économique dans laquelle nous sommes. Selon vous, à quoi est dû ce retard dans l’intégration dans l’Union Européenne comparée à l’intégration d’autres pays qui comme la Bulgarie ont connu le communisme et qui eux sont rentrés plus tôt? La Bulgarie est le pays le plus pauvre de tous les pays ex-communistes. » Entretien n°3 « Quelle est votre date de naissance? 1984 Aspirez-vous à aller étudier à l’étranger et/ou travailler à l’étranger? Ou êtes-vous déjà à l’étranger ? Pourquoi? J'ai déjà étudié en Suisse en tant qu'étudiante Erasmus et j'ai travaillé en Suisse durant mon séjour là-bas. Etudier et travailler à l'étranger, cela me passionne, comme l'expérience acquise m'a toujours servie et me sert encore pour mieux me positionner dans le domaine professionnel. 92 Si vous êtes déjà à l’étranger, pensez-vous rentrer un jour en Bulgarie? / Pensez-vous que la Bulgarie a terminé sa transformation? Sinon, quels sont les domaines qui ne le sont pas? Non, je ne le pense pas. On peut parler ici des domaines comme la justice, les conditions des infrastructures - mais en fait ce n’est pas la peine - le plus important, c'est pourquoi on tourne en rond dans ces domaines ou dans d'autres. On ne tourne pas en rond parce qu'on est bêtes. Si on tourne en rond, c'est parce qu'il y a une autre transformation à faire qui n'a pas eu lieu. La société bulgare est imprégnée par les façons de faire d'avant 1990 et par les relations, arrangements et jeux des fils et filles des gens qui étaient à la tête du régime autrefois. La reprise du pouvoir par des gens proches de ces derniers a été programmée et effectuée en cachète, à l'ombre de la connaissance du grand public, en se servant d'un paravent de démocratie. Il y a une élite fermée d'''illuminati'' qui se connaissent, qui sont toujours les mêmes, avec peu d’exceptions, qui sont bien éduquées et renseignées et même s'ils avaient quelques bonnes idées au départ, ils ont vite compris les règles du jeu et savent que s'ils ne s'y conforment pas, le système va les rejeter. Donc une vraie transformation aura lieu quand encore quelques générations de celles liées à la période 1944-1990 seront mortes. Et je mets une réserve à cela aussi, car peut-être là, il sera trop tard pour rendre entre les mains de gens patriotes et prudents ce qui a été vendu, donné à exploiter en concession etc. à des fins d'enrichissement personnel. Selon vous, quelle est la place de la Bulgarie parmi les pays d’Europe centrale et orientale ? Je ne les connais pas bien. Je n'ai presque pas eu de contacts avec des ressortissants de ces pays. Je crois (je crois seulement) que nous sommes assez proches de la Roumanie, de la Slovaquie (ou j'ai fait un séjour très bref) mais un peu moins de la Pologne, de la République tchèque, ou de la Slovénie par exemple. Là où il y a une différence, c'est dans les montants des salaires, je crois surtout avec les pays allant plus vers le Nord. Je ne pourrais pas m'exprimer en termes de vie politique actuelle dans ces pays. 93 Comment avez-vous vécu l’entrée du pays dans l’Union Européenne? J'étais contente parce que je pouvais dorénavant voyager sans visa en Europe, mais à l'époque je ne m'intéressais pas à d'autres aspects de l'intégration et honnêtement je ne les remarquais pas. Par la suite, je me suis rendue compte que cela est très utile si on est scientifique ou universitaire en termes d'opportunités pour des spécialisations, des échanges et des projets communs avec des collègues d'autres pays membres. Cela reste l'aspect qui m'intéresse, sinon l'intégration européenne porte pour moi le signe des expériences faites en termes de financements européens et l'idée qu'il a fallu et qu'il faut mieux faire dans ce domaine. Pensez-vous que la Bulgarie aurait dû rentrer en 2004 comme les autres pays d’Europe centrale? Pourquoi? Je ne crois pas que la discussion sur la possible adhésion en 2004 serve à quelque chose; deux ou trois ans ne font pas une grande différence pour moi. Cela a été surement fait quand c'était possible, en tenant compte des engagements pris et des négociations faites. Je ne pense pas que le fait de ne pas avoir adhéré avec les pays d'Europe centrale agace en Bulgarie ou pose un problème pour la plupart des gens. Ceci dit, j'apporte la précision que je m'intéresse beaucoup plus aux pays qui sont hors de l'Union Européenne, à la Suisse, aux pays de l'Asie et de l'Afrique, et même si j'ai toujours suivi le débat autour de l'adhésion, je ne suis pas une spécialiste en études européennes ou en européanisation. Selon vous, à quoi est dû ce retard dans l’intégration dans l’Union Européenne comparée à l’intégration d’autres pays qui comme la Bulgarie ont connu le communisme et qui eux sont rentrés plus tôt? Les particularités bulgares sont à l'origine de cela. Il a fallu arriver au bout d'un chemin avant de pouvoir entamer les discussions à ce sujet. Chez nous, il y a eu des phénomènes différents par rapport à ceux en Europe Centrale. Les pays de l'Europe centrale avaient une culture différente et des influences différentes en comparaison avec la Bulgarie. Ici, il y avait une plus forte propagande, des possibilités beaucoup plus restreintes de réalisation personnelle ou par exemple de pratiquer une petite activité lucrative en privé, une 94 oppression majeure de toute initiative privée ou individualiste, une favorisation constante des enfants et des chéris des élites, le chemin au succès constamment coupé pour beaucoup de penseurs et académiciens libres et innovants. La situation géographique joue un rôle également: nous étions privés de contact avec l'Occident; entourés par quelques régimes similaires; constamment malmenés par les intérêts de la Russie et de l'URSS. Si vous voulez chercher les origines encore plus loin, tout est de la géopolitique ici - des traités conclus avec les forces dominantes comme la Grande Bretagne, la France ou l'Allemagne ont souvent cherché à nous déstabiliser et n'ont pas été en notre faveur. La vérité est que depuis notre ''libération'' en 1878, personne n'a intérêt d'avoir une forte Bulgarie ici - cette région et beaucoup trop stratégique, avec la Turquie à côté, avec les ex -républiques soviétiques de l'autre côté de la Mer Noire, avec le chemin des gazoducs dans l'avenir, avec la distance à l'Iraq, l'Iran et cette partie de l'Asie pas très grande. Nous sommes dans une situation difficile ou les Etats-Unis, la Russie, mais aussi des acteurs européens veulent avoir un certain contrôle sur la Bulgarie ou se servir d'elle à leurs fins respectives. » 95 Entretiens avec des personnes de nationalité tchèque : Entretien n°1 « Quelle est votre date de naissance? 1988 Aspirez-vous à aller étudier/travailler à l’étranger? Ou êtes-vous déjà à l’étranger ? Pourquoi? C’est toujours un avantage de travailler à l’étranger surtout si vous revenez un jour chez vous. Si vous êtes déjà à l’étranger, pensez-vous rentrer un jour en République tchèque? / Pensez-vous que la République tchèque a terminé sa transformation post-communiste? Sinon, quels sont les domaines qui ne le sont pas? Je pense que oui, il y a déjà longtemps. On est un pays qui n’a plus rien à voir avec son passé communiste. Je dirais que, justement, à cause de ce qu’on a vécu, on a essayé de se débarrasser de toutes les séquelles de cette période ce qui a accéléré l’achèvement de cette transformation. Comment avez-vous vécu l’entrée du pays dans l’Union Européenne? Je me souviens, qu’à l’époque il y avait beaucoup de questions autour de ce sujet, si c’est bien de rentrer dans une association ou plutôt de rester en retrait. Certains gens l’ont compris comme une occasion pour s’allier avec les pays de l’ouest (c’est à dire avec nos « idoles »), mais je pense que pour certains cela pouvait évoquer la crainte, la crainte de se réunir comme on l’a déjà vécu pendant l’unification des pays dans un bloc soviétique. 96 La République tchèque a fait partie des cinq premiers pays de l’Europe centrale et orientale qui a entamé les négociations pour une adhésion à l’UE. Elle est aussi rentrée en 2004 et non en 2007. A votre avis, quels ont été les avantages du pays par rapport aux autres et notamment par rapport à la Roumanie et à la Bulgarie qui sont rentrés en 2007 ? Personnellement je pense que la position géographique a eu un rôle dans tout ça, car on est quand même plus proche des États comme l’Allemagne et les autres, avec des relations commerciales. En ce qui concerne la position de la Bulgarie et de la Roumanie, elles sont plus proches de la Russie, de l’Ukraine avec d’anciennes attitudes communistes, alors ces pays n’étaient pas poussés ou forcés sous l’influence des circonstances de changer et devenir « plus développés ». Ressentez-vous une différence avec les autres pays d’Europe centrale et orientale membres de l’UE? Oui je ressens, même si je sais que ce n’est pas du tout logique. Mais cela ne concerne pas que des membres de l’UE, mais une localité entière. Pour certaines raisons, liées je pense à l’histoire, on considère les pays de l’est comme moins développés et les pays de l’ouest comme plus développés. Mais il y a aucune logique, parce qu’en regardant l’exemple de la France, son économie est triste, ruinée et elle marche très mal par rapport à la situation en République tchèque. Cependant, dans nos yeux, cela nous fait rêver, car c’est un pays de l’ouest. Je ne suis pas un expert des pays de l’est, mais je pense qu’on les sous-estime beaucoup. Pour moi ils sont aussi développés, mais je n’ai aucune preuve, tout vient de cette fausse logique et des préjugés de l’est et de l’ouest.» 97 Entretien n°2 « Quelle est votre date de naissance? 1987 Aspirez-vous à aller étudier/travailler à l’étranger? Ou êtes-vous déjà à l’étranger ? Pourquoi? Mon intention n’est pas d’aller travailler à l’étranger mais comme je travaille dans une entreprise internationale, il se pourrait que j’aie l’opportunité d’avoir une expérience à l’étranger. Si vous êtes déjà à l’étranger, pensez-vous rentrer un jour en République tchèque? / Pensez-vous que la République tchèque a terminé sa transformation post-communiste? Sinon, quels sont les domaines qui ne le sont pas? Je pense que la République tchèque n’est totalement transformée. Sur la base de mes voyages fréquents en Allemagne, j’ai remarqué des différences de niveaux de vie entre ces deux pays, par exemple dans le secteur des services, qui, chez nous, devrait être amélioré. Le niveau de corruption est toujours fort et la confiance des gens dans la politique est très basse. C’est pourquoi, les citoyens ne ressentent aucune possibilité de changement. Comment avez-vous vécu l’entrée du pays dans l’Union Européenne? Je n’ai pas remarqué de grande différence, la seule différence que j’ai remarquée est quand les accords de Schengen ont été adoptés et qu’on pouvait voyager sans passeport. Plus tard, on a pu voir que beaucoup de choses étaient financées par l’UE. 98 La République tchèque a fait partie des cinq premiers pays de l’Europe centrale et orientale qui a entamé les négociations pour une adhésion à l’UE. Elle est aussi rentrée en 2004 et non en 2007. A votre avis, quels ont été les avantages du pays par rapport aux autres et notamment par rapport à la Roumanie et à la Bulgarie qui sont rentrés en 2007 ? Un niveau de vie élevé, même pendant le communisme qui nous a permis de reconstruire le pays après la Révolution de Velours. Notre position géographique a joué aussi, ce qui a permis de booster l’activité économique et les investissements. Ressentez-vous une différence avec les autres pays d’Europe centrale et orientale membres de l’UE? Les pays d’Europe de l’est les plus loin que j’ai visités étaient la Slovénie, la Slovaquie, la Hongrie et la Pologne. Je n’ai pas vu de différences significatives, du point de vue du touriste. Bien sûr, il y a des différences d’infrastructures qui avec le temps s’améliorent grâce aux fonds européens. » Entretien n°3 « Quelle est votre date de naissance? 1978 Aspirez-vous à aller étudier/travailler à l’étranger? Ou êtes-vous déjà à l’étranger ? Pourquoi? J’ai fait une partie de mes études à l’étranger à l’IEP de Lyon. Si vous êtes déjà à l’étranger, pensez-vous rentrer un jour en République tchèque? / 99 Pensez-vous que la République tchèque a terminé sa transformation post-communiste? Sinon, quels sont les domaines qui ne le sont pas? Non pas encore, ça va prendre beaucoup de temps. La transformation demande beaucoup d’investissements et de travail et nécessite un changement dans la manière de penser des gens. De plus, la transformation est différente dans les capitales et dans les campagnes. Comment avez-vous vécu l’entrée du pays dans l’Union Européenne? J’étais heureuse que le pays soit dans l’UE et rejoigne les pays de l’Ouest, c’était très positif. La République tchèque a fait partie des cinq premiers pays de l’Europe centrale et orientale qui a entamé les négociations pour une adhésion à l’UE. Elle est aussi rentrée en 2004 et non en 2007. A votre avis, quels ont été les avantages du pays par rapport aux autres et notamment par rapport à la Roumanie et à la Bulgarie qui sont rentrés en 2007 ? Nous avons des traditions et des liaisons avec les pays germaniques, nous sommes des gens organisés, nos sociétés et nos organisations publiques fonctionnent de manière cohérente. De plus, l’économie se portait plutôt bien. Tout se développait bien, et donc il n’y avait pas de raison pour ne pas rentrer. Ressentez-vous une différence avec les autres pays d’Europe centrale et orientale membres de l’UE? Oui, plus on va à l’est, moins les choses fonctionnent et moins les choses avancent rapidement. Dans cette zone, l’influence de la Russie est encore grande. Nous percevons de manière positive les pays comme la Slovaquie et la Pologne. La Hongrie est moins bien perçue mais c’est surtout par rapport à la langue qui est éloignée de la nôtre. Les autres pays sont plus loin géographiquement. Et pour la Pologne, c’est plus difficile car son territoire est plus important. » 100