La comparaison des processus de transformation post

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La comparaison des processus de transformation
post-communiste en République tchèque et en
Bulgarie.
Mémoire de recherche préparé sous la direction de
Monsieur le Professeur Jean-Michel EYMERI-DOUZANS
Directeur adjoint de Sciences Po Toulouse, Directeur du Master
« Conseil, Expertise, et Action Publique »
Mémoire de recherche présenté par
Marianne Lopez
Année universitaire 2014/2015
REMERCIEMENTS
Je souhaite, tout d’abord, remercier Monsieur le Professeur Jean-Michel EymeriDouzans, mon directeur de mémoire, de son soutien et de son aide pour mon travail de
recherches.
Je souhaite remercier Son Excellence, Jean-Pierre Asvazadourian, Ambassadeur de
France en République tchèque, pour l’entretien qu’il m’a accordé dans le cadre de ce mémoire.
Je souhaite ensuite remercier Madame la Professeure Emmanuelle Boulineau et
Monsieur Michel Fleischmann pour leurs témoignages.
Enfin, je remercie tous mes amis tchèques et bulgares ainsi que leurs amis qui ont bien
voulu participer aux entretiens pour ce travail de recherches.
2
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS .................................................................................................................2
SOMMAIRE ..............................................................................................................................3
INDEX DES SIGLES ................................................................................................................6
INTRODUCTION .....................................................................................................................8
PARTIE 1 - L’INSTALLATION DU COMMUNISME EN TCHECOSLOVAQUIE ET
EN BULGARIE : DES TRAJECTOIRES SIMILAIRES ...................................................12
I/ De la libération à la constitution d’une force politique : les communistes collaborant
avec les autres forces de résistances au joug nazi .............................................................12
1)
Le cas de la Tchécoslovaquie......................................................................................13
2)
Le cas de la Bulgarie ...................................................................................................14
II/ L’imposition de la règle du parti unique: l’élimination simultanée des autres forces
politiques ...............................................................................................................................16
1)
Le cas de la Tchécoslovaquie......................................................................................16
2)
Le cas de la Bulgarie ...................................................................................................17
PARTIE 2 - LA FIN DES REGIMES COMMUNISTES EN BULGARIE ET EN
TCHECOSLOVAQUIE : UN ESPOIR DISPARATE DE TRANSFORMATION ..........19
I/ La structure de l’Etat : l’importance des appareils d’Etat dans la transformation ..19
1)
Deux Etats indépendants .............................................................................................19
2)
Le degré d’indépendance : la clé de la réussite de la transformation? ........................20
II/ La fin des régimes communistes tchécoslovaque et bulgare : un point de
différenciation crucial..........................................................................................................22
1)
Une Tchécoslovaquie rebelle face à une Bulgarie fidèle ............................................22
2)
Le post-totalitarisme gelé face au post-totalitarisme précoce .....................................24
a)
Le post-totalitarisme gelé tchécoslovaque...............................................................24
b) Le post-totalitarisme précoce bulgare .....................................................................25
3) L’effondrement du régime communiste tchécoslovaque face à la chute contrôlée du
régime communiste bulgare ...............................................................................................27
III/ Le rôle des acteurs nationaux dans la transformation post-communiste : la
dissidence tchécoslovaque face aux communistes réformés bulgares .............................29
1)
Des élites d’horizons différents...................................................................................29
3
2) La prise de pouvoir disparate des élites après la chute des régimes communistes
tchécoslovaque et bulgare...................................................................................................31
a)
La prise de pouvoir de la dissidence tchèque : entre espoirs et défis ......................31
b) La prise de pouvoir tardive de la dissidence bulgare ..............................................33
PARTIE 3 – LA PERIODE CLE DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES POUR LA
TRANSFORMATION POST-COMMUNISTE DES DEUX PAYS : DES BASES
POLITIQUES, ECONOMIQUES ET ETATIQUES DISPARATES.................................35
I/ La démocratie tchécoslovaque de l’entre-deux-guerres face au régime autoritaire
bulgare : un modèle et un atout pour la transformation post-communiste....................35
1)
La Tchécoslovaquie de l’entre-deux guerres : une « période de prospérité politique »
35
2)
L’entre-deux guerres en Bulgarie : une période d’agitation politique accrue.............39
II/ Le poids de l’économie dans la transformation: l’éclairage pertinent de la période
de l’entre-deux gue rres ........................................................................................................42
1)
Une économie tchécoslovaque industrialisée et prospère...........................................42
2) L’économie bulgare des années d’entre-deux-guerres : une économie agraire et peu
industrialisée .......................................................................................................................44
III/ La question des minorités, enjeu primordial de la transformation : une question
réglée dans la période de l’entre-deux-guerres .................................................................47
1)
Le cas des minorités présentes en Tchécoslovaquie ...................................................47
2)
Le cas des minorités présentes en Bulgarie ................................................................49
PARTIE 4 – LE ROLE DES ACTEURS TRANSNATIONAUX DANS LA
TRANSFORMATION : L’IMPORTANCE DE L’ADHESION A L’UNION
EUROPEENNE........................................................................................................................51
I/ Le pouvoir de l’européanisation sur les transformations des pays ex-communistes .51
1)
L’adhésion des Pays d’Europe Centrale et Orientale : un but construit dans le temps
51
2) Le processus d’adhésion à l’Union Européenne : un soutien aux transformations postcommunistes .......................................................................................................................53
II/ La République tchèque : une européanisation précoce grâce à sa transformatio n
prometteuse...........................................................................................................................57
1) La conditionnalité démocratique : une caractéristique clé dans le début des
négociations entre la République tchèque et l’Union Européenne.....................................57
2) Une stratégie de démarcation ou la volonté de montrer la valeur de la candidature des
cinq leaders dont la République tchèque............................................................................58
4
III/ Une entrée dans l’Union Européenne différée pour la Bulgarie avec des différences
de niveau de vie ....................................................................................................................62
1) La candidature de la Bulgarie : une candidature singulière requérant des efforts plus
importants ...........................................................................................................................62
2)
L’entrée de la Bulgarie critiquée et plus contrôlée .....................................................63
CONCLUSION ........................................................................................................................66
INDEX NOMINUM.................................................................................................................69
LISTE DES SOURCES ...........................................................................................................71
BIBLIOGRAPHIE ..................................................................................................................72
LISTE DES ANNEXES...........................................................................................................75
5
INDEX DES SIGLES
ANTR
Assemblée Nationale Tchécoslovaque
Révolutionnaire
CEE
Communauté Economique Européenne
CNT
Conseil National Tchécoslovaque
FEDER
Fonds Européen de Développement
Economique et Régional
FSE
Fonds Social Européen
NSDAP
Nationalsozialistische Deutsche
Arbeiterpartei (Parti national-socialiste des
travailleurs allemands)
ODS
Občanská Demokratická Strana (Parti
démocratique civique, parti tchèque
conservateur libéral)
ORIM
Organisation Révolutionnaire Intérieure
Macédonienne
OTAN
Organisation du Traité de l'Atlantique Nord
PAT
Parti Agrarien Tchécoslovaque
PCB
Parti Communiste Bulgare
6
PCT
Parti Communiste Tchécoslovaque
PECO
Pays d’Europe Centrale et Orientale
UE
Union Européenne
URSS
Union des Républiques Socialistes
Soviétiques
7
INTRODUCTION
« Si nous pouvons être certains
d’une chose, c’est sans aucun doute de l’avenir de
l’esprit humain : peu importe avec quelle violence, peu importe au nom de quoi il sera mis au
pas, aiguillé, assujetti, il ressurgira toujours en lui l’exigence victorieuse de la liberté
spirituelle. L’esprit peut être violé, mais ce n’est pas pour toujours ; tant qu’il pense, tant qu’il
juge, tant qu’il crée, il franchira forcément les barrières, quel que soit le despotisme qui les lui
impose. Tout pouvoir tyrannique est un obstacle qui tôt ou tard sera balayé ; chaque recul,
chaque recours dégradant à la démagogie et au fanatisme n’est qu’un épisode, après lequel –
avec des pertes inutiles, au prix du sang et d’un temps précieux – reviendra la liberté des
âmes »1 affirma Tomas Garrigues Masaryk, premier Président de la Tchécoslovaquie. Cette
affirmation illustre la chute du mur de Berlin qui a conduit à la fin des démocraties populaires
en Europe centrale et orientale mais aussi la transformation de tous ces pays en des sociétés
démocratiques libres avec une économie de marché ouverte.
Pour étudier ce phénomène, certains auteurs ont d’abord eu recours au domaine de la
transitologie, qui avait connu un pic de travaux de recherches au 20 ème siècle lors de la
décolonisation, lors de la chute des régimes autoritaires sud-américains et d’Europe du sud.
Les travaux de recherches effectués pour expliquer la transition vers la démocratie des pays
sud-américains et des pays d’Europe du sud avaient été en effet repris pour expliquer la
transition des pays d’Europe centrale et orientale. Or, la chute des régimes communistes n’a
pas seulement entraîné une transition démocratique mais une transformation complète de la
société : le passage d’une société socialiste à une société libérale ouverte. A partir de là, un
sous-domaine fut créé : le domaine de la recherche post-communiste ou post-socialiste. La
différence majeure de la recherche post-communiste est l’importance de la prise en compte de
l’histoire et du passé, contrairement à la sociologie de la transition qui ne prend pas en
considération l’ancien-temps et sous-entend une tabula rasa du passé2 .
1
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, Paris : Editions du Seuil, 1995,
page 483
2
SEGERT Dieter, Postsozialismus: Hinterlassenschaften des Staatssozialismus und neue Kapitalismen in
Europa, Vienne : New Academic Press, 2007, page 5
8
Claus Offe fut l’un des pionniers de la recherche post-communiste en théorisant le
premier la transformation des pays d’Europe centrale et orientale. Sa thèse est que ces pays
firent face à un dilemme de la simultanéité. D’après Claus Offe, furent en jeu dans la situation
des pays d’Europe centrale et orientale après la chute des régimes communistes :
-
la question territoriale,
-
la question de la démocratie,
-
la question de l’ordre économique et de la propriété.
Dans le cas des Pays d’Europe centrale et orientale, Claus Offe affirme que ces trois
étapes furent franchies simultanément mais provoquant des blocages mutuels car l’une des
trois questions doit être résolue pour que l’autre le soit3 . Claus Offe évoque notamment le
problème du paradoxe de l’économie et de la démocratie qui peuvent être implantées en même
temps, si elles sont mises en place par l’extérieur et si elles sont contrôlées. La démocratie
peut être implantée si un certain degré de développement économique autonome a été atteint.
A l’inverse, il faut aussi des conditions pré-démocratiques à l’introduction d’une économie de
marché où les élites politiques sont responsables et permettent la participation de la majorité
de la population4 . Par conséquent, dans les pays d’Europe centrale et orientale, un capitalisme
politique fut installé5 .
C’est à partir de cette théorie que la comparaison des processus de transformation postcommuniste entre la Bulgarie et la République tchèque a été envisagée. Nous parlons ici de
transformation car la transition suppose un adjectif, soit démocratique, soit économique, soit
territoriale. Dieter Segert, professeur allemand de Science Politique, définit la transformation
comme un « processus de changement global des sociétés, dans lesquelles les institutions de
base de la politique et de l’économie changent. Elle est la voie par laquelle un système de
société change pour un autre. »6 . La comparaison de la Bulgarie et de la République tchèque
peut paraitre surprenante mais cette comparaison a déjà été faite par des chercheurs mais qui
3
OFFE Claus, « Vers le capitalisme par construction démocratique ? La théorie de la démocratie et la triple
transition en Europe de l’Est », Revue française de science politique, 1992, vol. 42, n°6, p. 928-929
4
OFFE Claus, « Vers le capitalisme par construction démocratique ? La théorie de la démocratie et la triple
transition en Europe de l’Est », Revue française de science politique, 1992, vol. 42, n°6, p. 934
5
OFFE Claus, « Vers le capitalisme par construction démocratique ? La théorie de la démocratie et la triple
transition en Europe de l’Est », Revue française de science politique, 1992, vol. 42, n°6, p. 931
6
SEGERT Dieter, Postsozialismus: Hinterlassenschaften des Staatssozialismus und neue Kapitalismen in
Europa, op.cit, page 5
9
faisaient toujours une comparaison avec la Bulgarie,
la République tchèque et aussi souvent
avec la Hongrie et de la Pologne. Ici, la comparaison concerne seulement la Bulgarie et la
République tchèque, qui en 1989, possédaient les mêmes caractéristiques pour avoir une
transformation post-communiste similaire. En effet, même si la Bulgarie et la Tchécoslovaquie
étaient sous influence soviétique directe, elles étaient toutes deux des Etats indépendants,
contrairement aux pays créés à la suite de l’implosion de l’Union Soviétique, qui étaient des
républiques soviétiques intégrées au territoire de l’URSS.
Partant de ce constat, il s’agit ici de montrer comment ces deux pays ont eu des
trajectoires de transformations différentes. Considérant les trois variables données par Claus
Offe, nous souhaitons rechercher si d’autres variables ont joué dans la transformation de la
République tchèque et de la Bulgarie.
Si les deux pays possédaient les mêmes caractéristiques en 1989, le comportement des
deux pays face au grand frère soviétique et face à l’idéologie socialiste pendant la période
communiste, l’histoire des deux pays pendant l’entre-deux-guerres, ainsi que le rôle des
acteurs nationaux et transnationaux (notamment l’Union Européenne) sont des variables à
considérer pour expliquer en partie cette différence.
A côté d’un travail de recherches théoriques important, un travail de terrain a été mené.
Face à une comparaison de deux pays n’incluant pas la France, aucun questionnaire type n’a
été conçu pour interroger toutes les personnes interviewées. Dès lors, il n’y pas de grand panel
d’entretiens donnant suite à une analyse statistique. Neuf entretiens qualitatifs ont été menés
où chaque questionnaire tenait compte des caractéristiques de nationalité ainsi que de
générations de chaque personne interrogée. Interroger des personnes de nationalités et de
générations différentes a été primordial pour avoir un regard le plus large possible sur la
problématique. Des archives ainsi que des données statistiques tchèques et bulgares ont aussi
été étudiées.
Si les thèses de Claus Offe sont la base de ce mémoire de recherches, elles ont été
nourries des thèses des chercheurs allant plus loin qu’Offe. Des livres d’histoire ont été
10
scrupuleusement étudiés ainsi que des textes sur l’européanisation et son impact dans la
transformation des pays d’Europe centrale et orientale. Les limites de ces sources sont que ce
mémoire est plutôt un mémoire de socio-histoire qu’un mémoire de sociologie pure.
Si l’installation du communisme est un passé commun et similaire aux deux pays
(PARTIE 1), la fin des deux régimes communistes marque déjà une certaine disparité
(PARTIE 2), notamment dans le cadre de révolte contre le pouvoir et dans le pouvoir des
acteurs nationaux. Nous étudierons après la variable historique en nous penchant sur les
années de l’entre-deux-guerres, années charnières pour les deux pays (PARTIE 3) pour enfin
nous intéresser au rôle et à l’impact des acteurs transnationaux et dont celui notamment de
l’Union Européenne (PARTIE 4).
11
PARTIE 1 - L’INSTALLATION DU COMMUNISME EN
TCHECOSLOVAQUIE ET EN BULGARIE : DES
TRAJECTOIRES SIMILAIRES
Considérant la libération du pays en se débarrassant de la domination du Troisième
Reich ou dans l’imposition du Parti Communiste comme parti unique, la Bulgarie et la
Tchécoslovaquie ont eu les mêmes trajectoires de soviétisation. A la fin de la guerre, les forces
communistes des deux pays se sont alliées aux autres forces politiques combattant le nazisme
(I) pour mieux se débarrasser de celles-ci dans les années d’après-guerre et ériger le parti
communiste en parti unique (II).
I/ De la libération à la constitution d’une force politique : les communistes
collaborant avec les autres forces de résistances au joug nazi
Si la comparaison de la Bulgarie et de la République tchèque peut paraitre surprenante et
suscite des interrogations, il faut noter que l’installation des communistes comme force
politique dans les deux pays fut très semblable. Leonid Gibianskii et Norman M. Naimark
dans “The Soviet Union and the Establishment of Communist Regimes in Eastern Europe
1944-1954” catégorisent les différents pays libérés par l’Armée Rouge en fonction de
l’installation et de la prise de pouvoir des régimes communistes dans cette région de l’Europe.
Ils affirment que la Bulgarie et la Tchécoslovaquie appartiennent à une catégorie particulière.
En effet, l’influence soviétique a été majeure dans ces pays dans les années qui ont suivi leur
libération. Cependant, cette influence n’était pas la seule en présence dans la société et
l’influence soviétique a été couplée avec l’influence de facteurs politiques et sociaux internes.
En d’autres termes, les communistes ont dû jouer avec les forces de résistance autres que
communistes pour se débarrasser du joug nazi. Par conséquent, les premières années postlibération n’ont pas vu l’unique présence des forces communistes dans le paysage politique 7 .
7
GIBIANSKII Leonid, NAIMARK Norman M., The Soviet Union and the Establishment of Communist Regimes
in Eastern Europe, 1944-1954, Washington D.C. : The National Council for Eurasian and East European
Research, 2004, page 13
12
1) Le cas de la Tchécoslovaquie
La Tchécoslovaquie fut libérée début 1945 par l’Armée Rouge. Cependant, l’armée
américaine libéra la partie ouest du pays, jusqu’à la ville de Plzen. La Tchécoslovaquie a donc
été libérée par deux alliés différents. Néanmoins, l’influence de l’Armée Rouge marqua la fin
de la guerre. Dès la libération du pays, Staline souhaitait annexer la Tchécoslovaquie à
l’Union Soviétique. Lors de l’invasion de l’armée allemande dans le pays en 1939, Edvard
Benes, Président de la Tchécoslovaquie s’envola pour Londres avec son gouvernement en exil.
Après avoir aiguillé la résistance tchèque et avoir monté l’opération Anthropoïde pour tuer le
protecteur de Bohême-Moravie Reinhard Heydrich, son souhait était de revenir dans le pays
dès sa libération. Malgré sa popularité, le gouvernement en exil et Edvard Benes étaient déjà
affaiblis et Moscou organisait déjà un gouvernement d’obédience communiste 8 .
Edvard Benes rentra en Tchécoslovaquie le 3 avril 1945 et fit de suite face aux
problèmes de l’après-guerre. En mai, le programme de Kosice fut adopté : les partis de la
droite traditionnelle furent interdits. Les communistes n’essayèrent pas d’imposer la règle du
parti unique et décidèrent de jouer avec les autres forces politiques de gauche et de centregauche. Le Front National des Tchèques et des Slovaques fut créé en se basant sur le principe
d’union nationale. Néanmoins, dans les partis autorisés, il y avait deux partis communistes.
Cette décision ne fut pas anodine et fut très stratégique. En mettant en avant le principe
d’union nationale et le principe de pluralité politique, les forces communistes s’assuraient la
majorité dans le gouvernement9 .
A Moscou fut décidé le nombre de ministres que chaque force politique pouvait avoir
dans le gouvernement provisoire : chaque parti fut représenté par trois ministres. Avec deux
partis communistes, les forces communistes avaient six ministres dont deux vice-présidences
représentées par Klement Gottwald et Viliam Siroky10 . Les premières élections post-libération
furent organisées de manière régulière en 1946 et les communistes obtinrent un résultat mitigé
: ils arrivèrent premiers dans les territoires tchèques mais seulement seconds dans les
8
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, op.cit., page 414
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 417-418
10
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 418
9
13
territoires slovaques. Par conséquent, les communistes durent partager le pouvoir avec les
autres forces autorisées dans le pays. Néanmoins, en juillet 1946, Klement Gottwald prit la
tête du gouvernement et les communistes avaient la majorité dans le gouvernement11 .
2) Le cas de la Bulgarie
La Bulgarie a eu une libération légèrement différente de celle de la Tchécoslovaquie
mais l’installation du communisme y est très similaire. Tout d’abord, le pays, associé à
l’Allemagne nazie, essaya de se rapprocher des alliés. Par conséquent, l’URSS déclara la
guerre à la Bulgarie et entra dans le pays dès 1944. L’Armée Rouge ne rencontra aucune
résistance, grâce aux partisans en place et à la russophilie connue de la population bulgare.
Les forces communistes en présence, notamment les partisans, formèrent, ensemble avec
le Zveno (mouvement corporatiste), les sociaux-démocrates et l’union agrarienne, le Front
patriotique. Le 9 septembre 1944, le Front patriotique organisa un coup d’Etat et prit le
pouvoir12 .
Les partisans communistes formèrent un nouveau gouvernement de coalition composé
des forces présentes dans le Front patriotique. Comme en Tchécoslovaquie, les communistes
s’allièrent aux forces de gauche et de centre-gauche pour prendre le pouvoir en Bulgarie13 . Les
communistes savaient que seuls, ils n’auraient peut-être pas pu prendre le pouvoir lors du coup
d’Etat. Ils ont donc profité d’une fenêtre d’opportunité et des forces de gauche et de centregauche pour arriver à leurs fins.
Les premières élections furent organisées fin 1945 et le Front patriotique en fut le
vainqueur. Dominant le gouvernement, les communistes restèrent enclins à garder un système
de coalition avec d’autres partis14 .
11
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 422
CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Histoire de la Bulgarie, Au pays des Roses, Brest :
Editions Armeline, 2007, pages 214-215
13
CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Ibid., page 218
14
CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Ibid., page 219
12
14
En jouant avec les autres forces de résistance présentes en Tchécoslovaquie et en
Bulgarie, les forces communistes ont pu se débarrasser, grâce à l’aide de l’Armée Rouge, du
joug nazi pour ensuite s’imposer comme seule force politique légitime.
15
II/ L’imposition de la règle du parti unique: l’élimination simultanée des
autres forces politiques
En créant des fronts et mettant en avant une apparente pluralité des forces politiques, les
communistes tchèques et bulgares réussirent à étendre leur influence subtilement, en trompant
leurs adversaires politiques mais aussi les alliés occidentaux.
1) Le cas de la Tchécoslovaquie
En Tchécoslovaquie, si le principe d’union nationale était la règle officielle, l’influence
des communistes montait en puissance avec plusieurs atteintes à la démocratie et avec
plusieurs signes de soviétisation. Tout d’abord, le Front National des Tchèques et des
Slovaques était un organe non contrôlé au-dessus des partis et du gouvernement15 . En
parallèle, le recours aux décrets présidentiels était courant et dès 1945, des usines et des
entreprises furent nationalisées16 . De plus, les communistes contrôlaient les services de
sécurité et la police car ils avaient le portefeuille de l’Intérieur. Enfin, pour ancrer leur
influence, ils commencèrent dans la société une campagne de discréditation des grandes
figures non-communistes de la résistance17 .
Face à cette montée en puissance des communistes, les autres partis autorisés essayèrent
d’agir sur l’économie en empêchant la nationalisation de plusieurs entreprises. Cependant, à
cause d’un manque d’entente commune, les partis non-communistes
ne réussirent pas à
trouver une stratégie pour contrer l’influence des communistes dans la société 18 .
Une étape importante de la soviétisation que les forces non-communistes ne pouvaient
pas contrer fut au niveau international avec le refus forcé de la Tchécoslovaquie au plan
Marshall. Depuis la fin de la guerre, la politique extérieure tchécoslovaque était alignée sur
celle de l’Union soviétique. Cependant, l’offre du Plan Marshall fit naître un espoir dans les
15
16
17
18
BELINA
BELINA
BELINA
BELINA
Pavel, CORNEJ
Pavel, CORNEJ
Pavel, CORNEJ
Pavel, CORNEJ
Petr, POKORNY
Petr, POKORNY
Petr, POKORNY
Petr, POKORNY
Jiri,
Jiri,
Jiri,
Jiri,
Histoire des Pays tchèques, op.cit., page 418
Ibid., page 419
Ibid., page 423-424
Ibid., page 423
16
autres partis autorisés pour bénéficier d’investissements américains. La Tchécoslovaquie
refusa une première fois le plan, ce qui ne découragea pas les hommes politiques tchèques
non-communistes : ils pensaient pouvoir négocier de leur côté avec les Américains. L’URSS,
au courant de la manœuvre des forces non-communistes, considéra cet acte comme
directement dirigé contre l’URSS. Au final, tout le monde se résigna à la volonté des
Soviétiques19 .
La dernière étape fut le Coup de Prague en 1948. Les forces non communistes avaient
enfin trouvé un accord commun mais il était trop tard. Jouant leur démission, les ministres non
communistes demandèrent la création de commissions d’enquêtes sur les services secrets.
Cependant, le Parti Communiste était déjà très implanté dans la société et bénéficiait du
soutien inconditionnel du grand frère soviétique20 .
Dès lors, les communistes, profitant de la vieillesse d’Edvard Benes, forcèrent le
Président à accepter les démissions, sous menace de révoltes et de soulèvements en cas de
refus. Edvard Benes céda : ce fut le Coup de Prague et l’installation officielle d’une
démocratie populaire en Tchécoslovaquie. Sans interdire les autres partis pour donner une
image de pluralité de façade, les communistes installèrent un système totalitaire où le Parti
Communiste était le seul légitime à gouverner. Les communistes adoptèrent des lois très
répressives et créèrent des camps de travail pour les personnes soutenant la “réaction”, donc,
les soldats engagés à l’Ouest, les personnes de l’Eglise et les résistants non-communistes.
Comme dans les années 1930 en URSS, on assista à la tenue de grands procès politiques pour
purger les “ennemis de la Révolution” et pour purger certains hauts dignitaires du parti dont le
secrétaire du parti Rudolf Slansky21 .
2) Le cas de la Bulgarie
Nous observons le même phénomène en Bulgarie, où les communistes se servirent des
autres forces politiques en 1944 pour prendre le pouvoir mais qui aspirèrent à devenir le seul
19
20
21
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 424-427
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 427-429
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 433-434
17
parti du paysage politique bulgare et aspirèrent à éliminer les autres partis. Si la règle officielle
était de gouverner ensemble avec les autres partis du Front patriotique, en réalité les
communistes pensaient déjà à étendre leur influence dans tout le pays. Très vite, une milice
populaire aux ordres des communistes fut créée : son but était de procéder à une énorme
épuration dans la classe dirigeante22 .
Après la signature du traité de paix, le Parti Communiste Bulgare, comme en
Tchécoslovaquie, organisa de grands procès politiques et exécuta les leaders de l’opposition,
et notamment tous ceux de l’opposition hors Front Patriotique. Concernant les partis du Front,
les sociaux-démocrates furent purement et simplement intégrés au Parti Communiste Bulgare.
Le mouvement Zveno continua d’exister jusqu’en 1949 et le parti de l’Union Agrarienne fut
associé au Parti Communiste Bulgare, après avoir exécuté le leader du parti. Comme en
Tchécoslovaquie, le pays construisit des camps de travail forcé. On dénombra 45 goulags dans
le pays23 .
En septembre 1947, une nouvelle constitution fut adoptée marquant le début de la règle
du parti unique.
En parallèle,
le gouvernement communiste entama une vague de
nationalisations et une réforme agraire limitant la propriété24 . En 1949, Valko Tchervenkov,
fervent stalinien prit la tête du gouvernement et appliqua les méthodes staliniennes, dont
notamment la terreur, le culte de la personnalité et le réalisme soviétique25 .
Si la similitude d’installation du communisme en Tchécoslovaquie et en Bulgarie à la fin
de la guerre est indéniable, la fin de ces régimes quarante ans après fut très disparate.
22
CASTELLAN
217
23
CASTELLAN
24
CASTELLAN
25
CASTELLAN
Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Histoire de la Bulgarie, Au pays des Roses, op.cit., page
Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Ibid., pages 218-220
Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Ibid., page 220
Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Ibid., page 222
18
PARTIE 2 - LA FIN DES REGIMES COMMUNISTES EN
BULGARIE ET EN TCHECOSLOVAQUIE : UN ESPOIR
DISPARATE DE TRANSFORMATION
Malgré une structure d’Etat similaire (I), la fin des régimes communistes marque une
différence importante entre les deux pays (II) engendrant des conséquences importantes sur
leur transformation notamment sur les élites au pouvoir après 1989 (III).
I/ La structure de l’Etat : l’importance des appareils d’Etat dans la
transformation
Les deux Etats furent sous influence soviétique mais étaient indépendants, ce qui leur
permettait d’avoir les appareils d’Etat nécessaires pour accomplir leur transformation.
1) Deux Etats indépendants
Comme on l’a vu précédemment, la Tchécoslovaquie et la Bulgarie furent libérées par
l’URSS. En s’associant avec d’autres forces politiques, les Communistes réussirent à
combattre les Nazis et à s’imposer comme force politique unique, grâce à une stratégie
politique d’évincement efficace des autres partis. Les deux pays furent donc des “démocraties
populaires” ou “pays satellites” aux ordres de l’URSS. Néanmoins, malgré une influence
soviétique incontestable, ces deux Etats furent des Etats indépendants. Alexander J. Motyl
“Communist legacies and new trajectories: Democracy and dictatorship in the former Soviet
Union and East Central Europe” évoque le concept de “degré d’indépendance”26 . La Bulgarie
et la Tchécoslovaquie avaient un degré d’indépendance plus fort par rapport à Moscou que
l’avaient d’autres pays, et notamment les pays ex-républiques soviétiques.
26
MOTYL, Alexander J., « Communist legacies and new trajectories: Democracy and dictatorship in the former
Soviet Union and East Central Europe », in BRUDNY Yitzhak, FRANFEL Jonathan, HOFFMAN Stefani (dirs.),
Restructuring Post-Communist Russia, Cambridge : Cambridge University Press, 2004, page 57
19
Concrètement, un plus fort degré d’indépendance se traduit en Tchécoslovaquie et en
Bulgarie par le fait qu’ils étaient des Etats reconnus par la communauté internationale, avec
une
frontière
et
une
population
définies sur lesquelles s’exerçait le pouvoir d’un
gouvernement. Ces deux pays disposaient donc d’appareils d’Etat: parlement, gouvernement,
ambassades à l’intérieur du pays mais aussi à l’extérieur. Les pays ex-républiques soviétiques
qui émergèrent de la dislocation de l’Union Soviétique furent des pays sans aucun degré
d’indépendance. Dès lors, ces pays n’avaient aucune institution pouvant être utilisée pour la
constitution d’un régime démocratique. La définition d’un peuple et d’une nation était très
problématique: avant l’implosion de l’URSS, chaque personne était de nationalité soviétique.
A cela s’ajouta aussi des problèmes de délimitation de frontières.
2) Le degré d’indépendance : la clé de la réussite de la transformation?
Alexander J. Motyl affirme que ce degré d’indépendance détermine la forme d’Etat, le
gouvernement et les élites qui apparaissent à la chute du communisme. Si on s’intéresse aux
transformations des pays ex-républiques soviétiques et des pays ex-satellites de l’URSS, on
constate de grosses différences de transformations.
La plupart des pays ex-républiques soviétiques sont des pays qui se sont transformé en
dictatures et/ou en régimes autoritaires avec à leur tête des dirigeants qui sont au pouvoir
depuis la création du pays. On peut citer notamment le président du Kazkhstan Noursoultan
Äbichouly Nazarbaïev, président depuis 1990 et toujours réélu avec plus de 90% des voix. Si
on s’intéresse aux pays ex-satellites de l’URSS, aucun des pays ne s’est transformé en
dictature ou en régime autoritaire, même si certains ont des progrès à faire en termes de
démocratie. Seule la Slovaquie a connu une période de régime autoritaire à l’époque de
Vladimir Meciar. Là aussi, le cas de la Slovaquie correspond au cas des pays ex-républiques
soviétiques car la Slovaquie était une partie de la Tchécoslovaquie dont la capitale était à
Prague : il n’y avait donc rien en Slovaquie pour former un gouverne ment démocratique.
20
Malgré cette similitude de structure d’Etat, la période communiste fut vécue de manière
différente en Tchécoslovaquie et en Bulgarie, où dans le premier pays on essaya de changer le
régime en place et où le second resta fidèle à Moscou et à l’idéologie socialiste jusqu’à la fin.
21
II/ La fin des régimes communistes tchécoslovaque et bulgare : un point de
différenciation crucial
La grande différence entre la Tchécoslovaquie et la Bulgarie avec des répercussions
importantes sur la transformation post-communiste des deux pays fut le mouvement de
rénovation avorté tchécoslovaque en 1968, mouvement qui n’eut pas lieu en Bulgarie.
1) Une Tchécoslovaquie rebelle face à une Bulgarie fidèle
Jusque-là, la similarité des deux pays dans l’installation du communisme et dans leurs
formes d’Etats a été démontrée. Cependant, une grande différence sépare les deux pays
pendant les années de régime communiste: on fit face à un pays rebelle et à un autre fidèle à
Moscou. Le Printemps de Prague de 1968 et l’invasion soviétique par rapport à la fidélité de la
Bulgarie à l’URSS ont marqué leurs trajectoires post-communistes et la prise de pouvoir de
leurs élites post-communistes.
En Tchécoslovaquie, les prémices du Printemps de Prague commencèrent dès 1967 avec
le congrès de la jeunesse tchécoslovaque qui demanda à l’Etat une plus grande pluralité dans
les organisations de jeunesse. Le congrès demandait en fait
la reconnaissance des groupes
considérés
En
comme
“clandestins”
et
contre
le
régime.
parallèle,
les
étudiants
tchécoslovaques commencèrent à manifester pacifiquement dans les rues pour dénoncer leurs
conditions de vie dans les cités universitaires délabrées du pays. Cette agitation estudiantine
fut réprimée par la police d’Etat.
En janvier 1968 commença un processus de rénovation du Parti Communiste
Tchécoslovaque : Antonin Novotny commença à être fortement critiqué au sein du parti, ce
qui conduisit à sa destitution de son poste de chef du parti et ainsi que de son poste de
Président de la République. Alexandre Dubcek prit la tête du parti et la tête des réformateurs.
Ces réformateurs étaient plus des réformateurs économiques que politiques. En effet, leur idée
n’était pas du tout de mettre en place un pluralisme politique. Il était question de garder une
économie planifiée tout en cherchant de nouvelles solutions afin d’augmenter la productivité
22
et afin d’éviter le gaspillage. En mars 1968, Ludvik Svoboda devint Président de la
République et Oldrich Cernik fut nommé Premier Ministre. Un nouveau parlement fut élu et la
Tchécoslovaquie devint un Etat fédéral.
Après la rénovation du parti, l’économie de marché fut instaurée en Tchécoslovaquie.
Du côté de la population et de la société, les changements furent flagrants: la censure devint
presque inexistante, les organisations interdites comme l’association de sport Sokol furent de
nouveau réhabilitées, des conseils de travailleurs furent organisés dans tout le pays, enfin le
Club 321, club d’anciens prisonniers politiques, fut créé27 . Cependant, dès juin 1968, des
mouvements des troupes du Pacte de Varsovie commencèrent. En parallèle, une campagne
violente anti-Tchécoslovaquie commença. Mi-juillet 1968, au nom de la doctrine Brejnev, la
Bulgarie de Todor Jivkov proposa en premier l’intervention par la force, estimant qu’il était du
devoir des Partis Communistes de défendre le socialisme et la position internationale de la
société socialiste. Le 21 août, les troupes du pacte de Varsovie, soit 750 000 soldats et 6 000
chars, entrèrent dans le pays et les dirigeants réformateurs furent convoqués à Moscou28 .
En Bulgarie, la situation fut totalement différente. La Bulgarie fut qualifiée de “satellite
sans histoire”, en comparaison avec ses voisins hongrois, tchécoslovaque, polonais. Todor
Jivkov fut nommé Premier Ministre en 1956 et resta au pouvoir jusqu’en 1989. En 1956, il
arriva au pouvoir dans un contexte d’agitation dans le camp socialiste avec les événements de
Hongrie. Todor Jivkov fut très prudent et décida de déjouer toutes les possibilités de résistance
et de révolte au sein du parti en remplaçant certains directeurs. Il limogea notamment le
Président de l’Union des Ecrivains et le remplaça par un réaliste socialiste. « A la différence
d’autres dirigeants comme Gomulka, Dubcek, Jivkov ne fut pas tiraillé entre des options
contradictoires moscovites ou nationales » : le pays resta donc un allié fidèle de Moscou dont
“l’horloge [...] marche à la seconde près avec celle de l’Union Soviétique”29 .
27
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, op.cit., pages 446-448
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 450
29
CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Histoire de la Bulgarie, Au pays des Roses, op.cit.,
pages 224-227
28
23
2) Le post-totalitarisme gelé face au post-totalitarisme précoce
La Tchécoslovaquie et la Bulgarie à la fin des années 1980 avaient différentes
combinaisons politiques, économiques et civiles. Juan J. Linz et Alfred Stepan dans
“Problems of Democratic Transition and Consolidation: Southern Europe, South America,
and Post-Communist Europe ” tentent de comprendre le post-totalitarisme en Tchécoslovaquie
et en Bulgarie. En Tchécoslovaquie, on fit face à un post-totalitarisme gelé découlant de
l’invasion du pays par les troupes du Pacte de Varsovie et en Bulgarie à un post-totalitarisme
précoce avec des prémices de réformes.
a) Le post-totalitarisme gelé tchécoslovaque
Après l’invasion, la doctrine Brejnev fut pleinement mise en place dans le pays : c’est ce
qu’on appela la normalisation. Gustav Husak fut nommé Président et si on le compare avec
Janos Kadar en Hongrie, Husak était encore moins flexible et moins complaisant que son
voisin hongrois. Il mena, à partir de 1969, la plus grande purge du Parti Communiste de
l’histoire de l’Europe de l’Est : environ un tiers du parti fut purgé. Au niveau économique, le
Parti Communiste Tchécoslovaque adhéra à l’orthodoxie socialiste planificatrice. Au final, la
Tchécoslovaquie, jusqu’en 1989, ne mena aucune réforme que ce soit dans le domaine
politique ou économique30 . Garton Ash parle d’un pays resté dans un « hiver de quinze ans
après un printemps de Prague »31 .
Milan Kundera décrivit ce qui se passa lors de la mise en place de la normalisation : il
fallait “oublier”.
Il fallait oublier le Printemps de Prague, l’invasion, la démocratie
tchécoslovaque des années 1920. Milan Kundera expliqua aussi ce que le nouveau pouvoir en
place attendait de la société : “nous vous demandons pas de croire en notre stupide idéologie.
Tout ce que l’on demande est de vous conformer en public et à l’extérieur »32 . Les
Tchécoslovaques devaient donc se conformer à la normalisation sans croire fondamentalement
30
LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Problems of Democratic Transition and Consolidation: Southern Europe,
South America, and Post-Communist Europe, 1996, Baltimore : JHU Press, page 318
31
LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid, page 320
32
LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid, page 320
24
à l’idéologie socialiste. Vaclav Havel parla d’un peuple qui devait « vivre dans un
mensonge »33 .
Cependant, le régime était loin d’être l’idéal-type du totalitarisme car, même après
l’invasion des troupes du Pacte, la dissidence civile fut l’une des plus importantes des pays
satellites de l’URSS. En dépit de plusieurs arrestations et emprisonnements, la Charte 77 et le
Comité pour la défense des personnes injustement accusées continuèrent leurs activités de
manière clandestine et le mouvement underground se développa.
Le terme de gelé montre donc comment le régime n’entama aucune forme de réforme de
1969 à 1989.
b) Le post-totalitarisme précoce bulgare
En Bulgarie dans les années 1980, une crise commença à s’installer dans le pays. Les
événements de Pologne de l’époque avaient choqué Todor Jivkov qui commença à entamer
quelques réformes à partir des années 1980. C’est pour cela que Juan J. Linz et Alfred Stepan
évoque le concept de post-totalitarisme précoce. Concrètement, le domaine de la culture fut
tout d’abord réformé. Le Comité des Arts et de la Culture était dirigé à l’époque par la femme
de Todor Jivkov qui décida d’assouplir la censure avec une plus grande ouverture sur
l’étranger et avec l’encouragement à des formes d’art qualifiées de « plus libres ». Au niveau
économique, le marché de biens de consommation fut plus soutenu. Enfin, après avoir
provoqué la colère de la minorité musulmane du pays avec une politique de « bulgarisation »
en 1984 et 1985, Todor Jivkov décida de faciliter le départ de la minorité musulmane vers la
Turquie en lui donnant des visas d’émigration. Plus de 300 000 personnes quittèrent le pays
pour rejoindre la Turquie34 .
Néanmoins, à côté de ces quelques réformes, la Bulgarie restait, d’après la classification
de Linz et Stepan,
l’Etat qui s’approchait le plus de l’idéal-type totalitaire, contrairement à la
33
LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid, page 320
CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Histoire de la Bulgarie, Au pays des Roses, op.cit.,
pages 228-230
34
25
Tchécoslovaquie, en dépit d’une démarche de normalisation. En effet, avant 1988, la Bulgarie
n’avait jamais connu aucun acte de résistance ou aucune vague de révolte, constat partagé par
Deyan Kiuranov, leader d’un des mouvements indépendants bulgares Ecoglasnost. Deyan
Kiuranov admet qu’il y avait eu, avant 1988, quelques actes individuels de résistance au
régime de Todor Jivkov mais que ces derniers n’avaient pas eu de véritables effets sur la
société. Quand ces actes furent commis, personne n’en avait eu connaissance 35 .
En Bulgarie, le début de la contestation commença donc à la fin des années 1980. Cela
commença par une vague de mécontentement au sein de la population due aux coupures
fréquentes d’électricité. Les centrales électriques du pays étaient vétustes et peu nombreuses
pour les besoins de toute la population. De plus, la jeunesse bulgare était désabusée et ne
croyait plus à la propagande d’Etat. Cela conduisit à une vague de protestations violentes avec
des mouvements de population. Certains groupes de dissidence se formèrent mais leurs
membres furent constamment arrêtés et agressés et le pouvoir fit en sorte que ces personnes ne
se rencontrent plus et ne fassent plus rien ensemble 36 .
En 1988, un mouvement écologiste prit forme. En effet, un comité de défense fut créé
pour dénoncer la pollution du lac de Roussée, il fut le plus important groupe de résistance au
régime37 . La Bulgarie a donc eu une trajectoire tout à fait différente de celle de la
Tchécoslovaquie dans la résistance au communisme puisque celle-ci a commencé bien plus
tard et a pris la forme d’un comité de défense écologiste.
Ce comité fut composé de dissidents et d’intellectuels et compta plus de 300 membres.
Deyan Kiuranov en était donc un des membres. Kiuranov évoque la constitution de ce groupe
et déplore qu’après la réunion de création du groupe, aucune réunion avec ses membres ne fut
organisée. Le comité de défense de la Roussée profita de la présence de médias étrangers pour
protester contre la pollution du lac, les médias étrangers filmèrent toute la manifestation. Le
comité bénéficia donc d’un relais incroyable. Après cela, 30 nouveaux membres adhérèrent au
35
LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Problems of Democratic Transition and Consolidation: Southern Europe,
South America, and Post-Communist Europe, op.cit., page 335
36
CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Histoire de la Bulgarie, Au pays des Roses, op. cit.,
page 229
37
CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Ibid., Paris : L’Harmattan, 2001, page 230
26
comité, dont certains étaient membres du Parti Communiste Bulgare. Ces derniers furent
accusés de « création de structures parallèles à celles existantes » par la direction du Parti.
Cette accusation montre en quoi, jusqu’en 1988, la Bulgarie fut un Etat très proche de l’idéaltype totalitaire, dans le domaine du pluralisme politique. Quelques mois après la création du
Comité, il fut interdit et disparut de la scène politique. Pour les autres groupes de résistance
qui furent créés à la même période, leurs leaders furent expulsés du pays ou furent harcelés et
subirent une purge équivalente à celle de Staline dans les années 1930 38 .
A côté de ce comité se créa en Février 1989 le groupe Ecoglasnost dont le leader fut
Deyan Kiuranov. Ce groupe organisa des manifestations politiques publiques et bénéficia
surtout de la protection de la Conférence sur le Sécurité et la Coopération en Europe, qui se
déroula cette année- là à Sofia. Cependant, les membres de l’Ecoglasnost craignaient des
représailles massives du régime après le départ des délégations de la Conférence. Au final, la
dissidence bulgare fut réellement visible qu’à partir de la moitié de 1989, contrairement à la
Tchécoslovaquie, qui elle, malgré la normalisation, avait toujours un groupe de dissidents
connus et visibles dans la société. En Bulgarie, le nombre de leaders dissidents connus du
grand public fut faible. Cette faiblesse d’opposition démocratique a joué dans la capacité du
pays à se transformer après la chute du régime 39 .
3) L’effondrement du régime communiste tchécoslovaque face à la chute contrôlée
du régime communiste bulgare
La fin du régime socialiste tchécoslovaque est un effondrement. Nous entendons ici par
effondrement la définition de Juan J. Linz et d’Alfred Stepan. Un effondrement est le résultat
d’une rigidité, d’une ossification et d’une perte de réponse des élites qui ne leur permettent pas
de prendre les décisions en temps et en heure pour anticiper les crises et les changements.
Dans le cas de la Tchécoslovaquie, on a vu dans la sous-partie précédente que le régime s’était
38
LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Problems of Democratic Transition and Consolidation: Southern Europe,
South America, and Post-Communist Europe, op.cit., page 335-336
39
LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid, page 337
27
gelé. Pendant vingt ans, le pays s’était comme arrêté et le régime socialiste d’Husak n’avait
entamé aucune réforme et cet immobilisme a conduit à un effondrement du régime40 .
Le régime socialiste bulgare, par un processus d’ajustement, de répression et de
négociation, a été capable de contrôler la transition. La fin du régime communiste en Bulgarie
fut représentée par la démission de Todor Jivkov41 . En Bulgarie, à la différence de la
Tchécoslovaquie, la fin du régime fut une « affaire interne au parti » comme le dit Deyan
Kiuranov42 . En effet, fragilisé par les tensions avec la minorité musulmane de Bulgarie
réclamant un exode vers la Turquie, Todor Jivkov fit face tout d’abord à la démission de son
Ministre des Affaires Etrangères Petar Mladenov. Le 24 octobre 1989, Petar Mladenov dans
une lettre ouverte au Parti Communiste Bulgare annonça sa démission. Dans cette lettre, il
accusa Todor Jivkov des maux du pays : il lui attribua la responsabilité des crises économique,
financière et politique. Petar Mladenov mit en avant dans cette lettre aussi le besoin d’une
politique contemporaine pour le pays. Le 9 novembre 1989, un bureau politique fut organisé et
Todor Jivkov fut poussé à la démission et ne bénéficia d’aucune défense. C’est ce qu’on
appelle en Bulgarie la « Révolution de Palais »43 .
Les deux pays ont donc connu une fin de régimes communistes disparates où en
Tchécoslovaquie, causé par la normalisation de 1969, le régime s’est ossifié et s’est effondré
alors qu’en Bulgarie, quelques réformes furent entamées et en faisant une « révolution de
palais », la fin du régime fut d’une certaine manière contrôlée. L’étude du rôle des acteurs
nationaux dans la transformation post-communiste est un nouveau point de différenciation
entre les deux pays.
40
LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid, page 322
LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid, page 322
42
LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid.,, page 336
43
KALINOVA Evguenia, BAEVA Iskra, La Bulgarie contemporaine entre l’Est ou l’Ouest, Paris : L’Harmattan,
2001, page 149
41
28
III/ Le rôle des acteurs nationaux dans la transformation post-communiste :
la dissidence tchécoslovaque face aux communistes réformés bulgares
1) Des élites d’horizons différents
Dans
les
opérateurs
des
transformations
post-communistes en Bulgarie et en
Tchécoslovaquie, nous observons des différences importantes. Si la présence d’intellectuels
dans la dissidence tchécoslovaque et bulgare est un trait commun, la Bulgarie se différencie
par la spécificité de sa « Révolution de Palais » où des communistes éjectèrent du pouvoir
Todor Jivkov.
En ce qui concerne la Tchécoslovaquie, la dissidence civile était très importante, que ce
soit en dans le pays ou à l’étranger. La Charte 77 état essentiellement composée d’intellectuels
et d’artistes dont le leader fut Vaclav Havel. Autour d’eux, s’ajoutait aussi toute la génération
de la culture underground des années 1970 et 1980 avec notamment le groupe de musique The
Plastic People of the Universe qui fut dissout par le régime et sous la pression internationale
fut réhabilité44 .
Un nombre important de dissidents tchèques résidait à l’étranger dont notamment Milan
Kundera ou encore la famille Fleischmann. Ivo Fleischmann fut poète, traducteur et diplomate
tchécoslovaque. Ivo Fleischmann fut nommé, entre 1946 et 1964, conseiller culturel à
l’Ambassade tchécoslovaque de Paris. Pendant cette période, il se lia d’amitié avec les
intellectuels comme André Malraux, Jean-Paul Sartre et Louis Aragon. Lui, ainsi que
l’Ambassadeur de Tchécoslovaquie, étaient du côté des réformateurs tchèques autour
d’Alexandre Dubcek. Ivo Fleischmann, après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes
du Pacte de Varsovie et le début de la normalisation, demanda l’asile politique à la France en
1969. Ses trois fils étudièrent en France. Un de ses fils, Michel Fleischmann, travaillait pour
France Culture où il animait des émissions culturelles. En 1989, pour un reportage, il retourna
dans son pays natal et il ne l’a plus quitté. Il investit le monde de la radio indépendante et joua
44
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, op.cit., pages 467
29
un rôle clé dans l’indépendance des médias. Cette aura dont bénéficiait la Charte 77 incitait de
nombreuses délégations étrangères à rencontrer la dissidence tchèque. En 1988, François
Mitterrand effectua une visite d’Etat en Tchécoslovaquie et rencontra, avant de rencontrer le
gouvernement tchécoslovaque, la dissidence de la Charte 77 avec Vaclav Havel pour un petitdéjeuner dans les locaux de l’Ambassade de France.
En revanche, en Bulgarie, la dissidence civile fut beaucoup moins importante et
beaucoup moins fournie. En effet, contrairement à la Hongrie, à la Tchécoslovaquie ou à la
Pologne, la Bulgarie n’a pas eu de dissident comme Vaclav Havel ou de Lech Walesa.
Emmanuelle Boulineau, Professeure de géographie à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon,
spécialiste de la Bulgarie indique que
« c’est justement ce que les Bulgares mettent en avant
pour expliquer les différents problèmes qu’ils ont encore à régler découlant de la chute du
communisme ».
On a vu précédemment que la faiblesse de la dissidence tenait du fait que le régime
communiste bulgare était très proche de l’idéal-type totalitaire et le régime bulgare réprima
jusqu’en 1989 les manifestations dirigées contre le pouvoir. Néanmoins, la dissidence bulgare
fut aussi composée essentiellement d’intellectuels dont Deyan Kiuranov. Ces intellectuels
bénéficiaient aussi d’une aura internationale grâce à leurs relations avec d’autres intellectuels
étrangers ou grâce à certains intellectuels bulgares partis ou expulsés à l’étranger. Cette
couverture internationale fut cruciale pour relayer leurs idées et leurs opinions à partir du
milieu de 1989.
Comme on l’a vu précédemment, la Bulgarie, par sa « Révolution de Palais », a plus
compté sur des élites communistes réformées pour se débarrasser du régime presque totalitaire
bulgare. A la différence avec la Tchécoslovaquie, en Bulgarie doivent être prises en compte
les élites dissidentes ainsi que les élites du Parti Communiste Bulgare qui contribuèrent aussi à
la transformation du pays.
30
2) La prise de pouvoir disparate des élites après la chute des régimes communistes
tchécoslovaque et bulgare
Les élites en place en Tchécoslovaquie et en Bulgarie n’ont pas pris de la même façon le
pouvoir. En Tchécoslovaquie, la dissidence prit le pouvoir alors qu’en Bulgarie ce furent
d’abord les communistes réformés du Parti Communiste Bulgare qui prirent le pouvoir.
a) La prise de pouvoir de la dissidence tchèque : entre espoirs et défis
En Tchécoslovaquie, comme on
l’a vu précédemment, le régime communiste
s’effondra. Tout commença le 17 novembre 1989. Cette date fut le point culminant de la
contestation : la rumeur courait que la police avait abattu un étudiant lors de manifestations.
Une grève fut lancée dans les lycées, universités et théâtres. Le 19 novembre, le Forum
Civique fut créé avec à sa tête Vaclav Havel. Les dissidents tchécoslovaques organisèrent du
21 au 26 novembre de grandes manifestations pour dénoncer la règle du parti unique. Les
représentants communistes échouèrent à appeler l’armée et les cadres du parti pour stopper les
manifestations. Sous la pression, le 10 décembre Gustav Husak démissionna de toutes ses
fonctions et un nouveau gouvernement fut formé avec les dissidents du Forum Civique et du
Public contre la Violence et Vaclav Havel fut élu par l’Assemblée fédérale Président le 29
décembre 198945 .
Le régime communiste tchécoslovaque fut donc défié par d’autres forces internes et fit
face à de multiples défections à l’intérieur de l’Etat, notamment ici l’échec de l’appel à
l’armée et aux cadres du parti pour arrêter les manifestations. Dès lors, la défection de ces
strates de l’Etat amène la question de la légitimité au sens wébérien du terme 46 . Ici, Gustav
Husak ne fut pas capable d’avoir autour de lui un groupe qui put exécuter ses ordres et arrêter
les manifestations. Au final, l’armée et les cadres du parti ainsi que la population ne
reconnurent plus le pouvoir en place comme légitime. La légitimité passa donc du côté de la
dissidence tchécoslovaque et du côté du Forum Civique.
45
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., pages 474-476
LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Problems of Democratic Transition and Consolidation: Southern Europe,
South America, and Post-Communist Europe, op. cit., page 323
46
31
La dissidence tchécoslovaque avait, comme étudié précédemment, la particularité d’être
presque totalement composée d’intellectuels, ce qui donna une nouvelle vision du postcommunisme dans le pays. Le changement de pouvoir fut réalisé en peu de temps avec une
élite intellectuelle et artistique plus ou moins prête, comme l’affirme Michel Fleischmann :
“Ce sont des gens qui savent monter un spectacle, lui donner un rythme, des chapitres ou des
actes. Oui, ils sont allés très vite, au début, la salle leur était vite acquise.”. Quand Vaclav
Havel devint Président, il se considéra surtout comme apolitisé et représentant du Forum
Civique, au-dessus des partis politiques qui commencèrent à émerger à l’époque. Jan Urban,
ancien coordinateur du Forum Civique raconte que Vaclav Havel refusait même de recevoir
les représentants des partis : il fut forcé par des représentants du Forum Civique et du Public
contre la Violence de recevoir des délégations de partis politiques, mais pas dans une salle de
réunion. Ils furent reçus dans une antichambre de la salle : marquage de l’indifférence qu’avait
Havel pour les politiciens47 .
Cependant, la partie politique de la prise de pouvoir arriva vite, comme l’affirme Michel
Fleischmann « Le hic vient du fait que le théâtre, la littérature, le cinéma, l’art, ce n’est pas de
la politique. Une pièce de théâtre a une fin, comme un roman ou un film. La politique est sans
fin ». La réforme économique a dû être vite entamée et là elle fut menée par Vaclav Klaus,
néo-libéral ayant fait ses études à l’étranger mais qui commença sa carrière dans la fonction
publique d’Etat et qui considérait la dissidence tchécoslovaque et notamment Vaclav Havel
comme de gens “condescendants”. En 1991, le Forum Civique se désagrégea et commença
l’installation d’un nouveau système politique. Les partis commençaient à se former dont le
parti de la droite conservatrice ODS de Vaclav Klaus, l’installation du capitalisme se
poursuivait petit à petit mais beaucoup d’anciens cadres du parti s’appropriaient les industries
délaissées.
Le plus gros problème à gérer pour cette élite apolitisée fut la gestion de la partition de
la Tchécoslovaquie, puisque Vaclav Havel était hostile cette partition. Il pensait que l’élan
donné par la Révolution de Velours aurait créé une conscience d’Etat dans toute la
47
LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid., page 332
32
Tchécoslovaquie et que les tendances séparatistes se seraient tues48 . Cette partition fut gérée
finalement par des politiciens et notamment par Vaclav Klaus et Vladimir Meciar, les deux
Premiers Ministres, tous deux gagnants des élections de Juin 199249 . La partition fut effective
au 1er janvier 1993. Le 16 décembre 1992, Vaclav Havel devint le premier Président de la
République tchèque.
b) La prise de pouvoir tardive de la dissidence bulgare
Le régime communiste bulgare ne s’est pas effondré car des réformes avaient été
entreprises,
notamment
concernant
la
minorité
turque.
Comme
nous
l’avons
vu
précédemment, en Bulgarie, ce n’est pas la dissidence intellectuelle qui prit le pouvoir, mais
d’anciens communistes réformés dont notamment Petar Mladenov qui poussèrent Todor
Jivkov à la démission.
Après la démission forcée de Jivkov, Petar Mladenov, celui même qui avait accusé
Todor Jivkov des maux du pays, fut nommé Secrétaire Général et Président du Conseil d’Etat.
Dans les tous premiers temps après la démission de Todor Jivkov, les intentions de Petar
Mladenov n’étaient pas très claires. On ne savait pas s’il souhaitait l’instauration d’un
libéralisme politique et économique dans le pays ou s’il souhaitait instaurer une perestroïka « à
la bulgare ». Cette hésitation de Petar Mladenov était finalement le reflet des deux tendances
dans le pays : une perestroïka et une transformation libérale50 .
Néanmoins, Petar Mladenov adopta certaines mesures dites « libérales » et surtout il fit
effacer de la constitution l’article statuant sur la règle du parti unique et sur la suprématie du
Parti Communiste Bulgare. Au final, la transformation fut contrôlée par des cadres réformés
du Parti Communiste Bulgare et la dissidence ne fut presque pas associée à la prise de pouvoir
et de décision. En outre, comme l’affirme Juan J. Linz et Alfred Stepan, certains dissidents
connus dont notamment Deyan Kiuranov rejoignirent les rangs du Parti Communiste Bulgare,
bien avant le début des fameuses « Tables Rondes ». Concernant ces « Tables Rondes », là
48
49
50
LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid., page 331
LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid., page 332
LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid., page 337
33
aussi le contrôle de la chute du régime est évident. Contrairement à la Hongrie qui organisa le
même genre de « Tables Rondes » mais qui y associa les représentants de la dissidence, en
Bulgarie, toutes les réunions des « Tables Rondes » et leurs agendas furent soigneusement
préparés par Andreï Lukanov, Premier Ministre de Petar Mladenov51 .
Cependant, un dissident commença à se faire entendre sur la scène politique et
contrebalança le pouvoir des cadres communistes réformés, Jeliou Jelev. Jeliou Jelev,
contrairement à Petar Mladenov ou à Andreï Lukanov, fut un dissident de la première heure.
Membre du Parti Communiste Bulgare jusqu’en 1965, il en fut expulsé pour raisons
politiques. Il créa le Comité de la Roussée ainsi que le Club de soutien à la Glasnost et à la
Perestroïka. Il bénéficia donc auprès de la population d’une certaine légitimité. Jeliou Jelev
déplorait le retard que prenait la Bulgarie par rapport aux autres pays d’Europe Centrale dans
la transformation post-communiste. Il créa donc l’Union des Forces Démocratiques qui
regroupa treize organisations d’opposition. Lors des premières élections en juin 1990, l’Union
des Forces Démocratiques remportèrent les élections et Jeliou Jelev fut élu Premier Ministre.
Il fut élu par suffrage universel direct Président de la Bulgarie en janvier 199252 .
La période avant 1989 et pour la Tchécoslovaquie la fin des années 1960 apporte un
éclairage
sur
les
disparités entre les deux pays lors de leur transformation : en
Tchécoslovaquie, la dissidence prit le pouvoir, les communistes en furent sortis alors qu’en
Bulgarie, les dissidents n’arrivèrent au pouvoir qu’à partir de Juin 1990. Ce furent les
communistes réformés du Parti Communiste Bulgare qui dominèrent les premiers temps de la
transformation. La Tchécoslovaquie, indépendante à la fin de la Première Guerre Mondiale,
amène à s’interroger sur une période charnière qu’est l’entre-deux-guerres aux répercussions
importantes pour les deux pays dans l’après 1989.
51
LINZ Juan J., STEPAN Alfred, Ibid., page 338
CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Histoire de la Bulgarie, Au pays des Roses, op.cit, page
234
52
34
PARTIE 3 – LA PERIODE CLE DE L’ENTRE-DEUXGUERRES POUR LA TRANSFORMATION POSTCOMMUNISTE DES DEUX PAYS : DES BASES POLITIQUES,
ECONOMIQUES ET ETATIQUES DISPARATES
Si étudier la période de l’installation jusqu’à la chute du communisme est nécessaire à la
comparaison des processus de transformation post-communiste en Bulgarie et en République
tchèque, il est judicieux de regarder ce qu’il s’est passé pendant l’entre-deux-guerres au niveau
de la question de la démocratie (I), mais aussi de l’économie (II) et des minorités (III) et sur
leurs répercussions dans l’après 1989.
I/ La démocratie tchécoslovaque de l’entre-deux-guerres face au régime
autoritaire bulgare : un modèle et un atout pour la transformation postcommuniste
Il est important de retracer l’histoire des deux pays pendant l’entre-deux-guerres. En
effet, les trajectoires prises pendant cette période aident à comprendre les trajectoires de la
Bulgarie et de la Tchécoslovaquie dans l’après communisme.
1) La Tchécoslovaquie de l’entre-deux guerres : une « période de prospérité
politique »
« La clé du succès de la transformation tchèque tient dans la période démocratique des
années 1920 qui est revenue dans l’esprit des gens en 1989. […] Le pays avait connu une
période de prospérité économique et politique. » affirme Son Excellence, Jean-Pierre
Asvazadourian, Ambassadeur de France en République tchèque.
Quand la Première Guerre Mondiale éclata, la société tchèque fut enrôlée de force dans
l’armée de l’Empire austro-hongrois. La société tchèque n’avait jamais accepté la domination
autrichienne sur son territoire. A l’exception de quelques rébellions, le peuple s’était toujours
35
résigné53 . La Première Guerre Mondiale fut l’occasion de voir s’affirmer la dissidence
tchécoslovaque.
Tomas
Garrigues
Masaryk
porta
les
couleurs
de
l’indépendance
tchécoslovaque. Malgré son exil en décembre 1914, il disposait d’une grande aura notamment
avec la « Mafia », qui était son cercle d’admirateurs dirigé par Edvard Benes. La mission de
cette « Mafia » était de renseigner Masaryk sur ce qu’il se passait dans le pays. Les membres
de la « Mafia » assurait la liaison, faisait du renseignement et faisait pression sur les
politiciens locaux pour les empêcher de soutenir l’Empire.
A côté de ses appuis locaux, Masaryk avait des appuis internationaux dont notamment
français, britanniques, américains et russes. Milan Stefanik, réfugié tchèque à Paris, s’associa
à Masaryk, ainsi qu’avec le concours d’Edvard Benes, pour créer le Conseil National
Tchécoslovaque. Le CNT devint l’organe principal de la résistance à la domination austrohongroise et appuya la création d’une armée tchécoslovaque sur des fronts étrangers. Cette
capacité de créer une armée impressionna les Alliés. Dès 1917, la France reconnut le CNT
comme le représentant officiel et légitime du pouvoir tchécoslovaque 54 . L’indépendance fut
proclamée le 28 octobre 1918. Masaryk savait qu’obtenir l’indépendance ne saurait pas
compliquer, pour lui la partie la plus compliquée était de la maintenir et de créer un Etat de
droit et en jetant les bases d’une économie nationale solide. Masaryk souhaitait que la
Tchécoslovaquie suive le nouvel ordre international prôné par Woodrow Wilson. Par
conséquent, la Tchécoslovaquie était un Etat de droit, créé en vertu du droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes, même si les Tchèques et les Slovaques furent considérés comme un
seul et unique peuple55 .
La reconnaissance du pays dépendait de la conférence du 18 janvier 1919. La France fut
la nation à soutenir le plus la thèse des frontières historiques des Pays tchèques afin de pouvoir
affaiblir l’Allemagne. Les frontières de la Tchécoslovaquie furent garanties par les Traités de
Versailles, de Saint-Germain et de Trianon56 .
53
54
55
56
BELINA
BELINA
BELINA
BELINA
Pavel, CORNEJ
Pavel, CORNEJ
Pavel, CORNEJ
Pavel, CORNEJ
Petr, POKORNY
Petr, POKORNY
Petr, POKORNY
Petr, POKORNY
Jiri,
Jiri,
Jiri,
Jiri,
Histoire des Pays tchèques, op.cit., page 348
Ibid., pages 349-350
Ibid., pages 354-356
Ibid., page 358
36
Très vite, les membres du CNT se multiplièrent, dont se rajoutèrent des membres
slovaques. Le CNT devint l’Assemblée Nationale Tchécoslovaque Révolutionnaire dont la
première réunion fut le 14 novembre 1918 et Masaryk fut élu Président57 .
La nouvel Etat tchèque disposait donc d’un allié de poids qui était la France. La France,
par son statut de grand vainqueur de la Grande Guerre, appuyait le gouvernement
tchécoslovaque, notamment en Slovaquie où la population magyar vivait en nombre
conséquent. Le Ministère des Affaires Etrangères français exigea du gouvernement hongrois
qui occupait la partie hongroise de la Slovaquie de retirer ses troupes au profit des troupes
tchécoslovaques58 .
La formation française des élites tchèques était un point crucial lors de la naissance du
pays, que ce soit pour les Tchèques que pour les Français. La France, même pendant l’époque
de l’Empire austro-hongrois, a toujours bénéficié d’une certaine aura dans la société tchèque et
la France s’intéressait aux pays d’Europe centrale car ils avaient un ennemi commun qu’était
l’Allemagne. Avant-guerre, cette relation un peu particulière fut appelée “communauté
d’intérêts”59 . Avant la Première Guerre Mondiale, les rapports politiques entre les Pays
tchèques et la France furent inexistants mais les rapports culturels s’intensifiaient de plus en
plus. A la constitution du nouvel Etat tchécoslovaque, le premier soutien fut celui de la France
car elle voyait son intérêt de créer un réseau d’Etats francophiles et pro-Français qui fassent
comme un cordon de sécurité autour de l’Allemagne. Mais aussi, la France voyait son intérêt
dans l’expansion de sa politique culturelle par la diffusion du français qui pourrait supplanter
l’apprentissage de la langue allemande en Tchécoslovaquie60 . Pour les Tchécoslovaques,
recevoir une formation française était prestigieuse,
nécessaire et gage d’une carrière
couronnée de succès.
57
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 359
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 360
59
HNILICA Jiri « La formation française des élites tchécoslovaques », Le Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin,
2013, 2013/1, n° 37, page 142
60
HNILICA Jiri, « La formation française des élites tchécoslovaques », Le Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin,
2013, 2013/1, n° 37, page 145
58
37
La plupart des élites qui avaient pris le pouvoir au sein de l’ANTR, dont Tomas
Garrigues Masaryk et Edvard Benes étaient de grands francophones et francophiles, Benes
ayant fait sa thèse de doctorat à Dijon. De plus, l’armée tchécoslovaque bénéficia pendant la
guerre de l’expertise française puisque certains de ses soldats avaient fait partie de la Légion
Etrangère. La formation des soldats tchécoslovaques en France s’intensifia car l’armée
française était considérée comme l’une des meilleures du monde et pour se protéger de ses
voisins envahissants, la Tchécoslovaquie voyait son intérêt de disposer de soldats à la
formation française61 .
La Tchécoslovaquie se dota d’un régime parlementaire libéral multiparti avec un
Président. En février 1920, la constitution de l’Etat tchécoslovaque fut adoptée par
l’Assemblée Nationale Révolutionnaire62 . Les auteurs de la constitution tchèque de 1993 se
référèrent d’ailleurs plusieurs fois à la constitution de 1920 63 .
Le parti le plus influent de
Tchécoslovaquie fut la Parti agrarien appelé plus tard Parti Républicain, ensuite venaient le
Parti Ouvrier Social-Démocrate Tchécoslovaque, puis la droite traditionnelle. Il faut noter
cependant que la Tchécoslovaquie fit face aussi à la montée du parti ouvrier nationaliste
allemand soutenu par les Allemands des Sudètes64 .
La Tchécoslovaquie de l’entre-deux-guerres est donc une république démocratique
libérale inspirée et soutenue par la France où le suffrage universel direct et le multipartisme
sont de rigueur. En dépit des attaques extérieures et notamment du voisin allemand, la
Tchécoslovaquie fut un pays stable politiquement, refuge pour les opposants et les Juifs
persécutés en Autriche et en Allemagne.
61
HNILICA Jiri, « La formation française des élites tchécoslovaques », Le Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin,
2013, 2013/1, n° 37, page 150
62
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, op.cit., page 367
63
HADJIISKY Magdalena, « Européanisation et réforme de l’Etat. L’influence de l’Union Européenne sur la
réforme des administrations publiques centrales tchèques (1993-2004) », in BAISNEE Oliver et PASQUIER
Romain (dirs.), L’Europe telle qu’elle se fait. Européanisation et sociétés politiques nationales, Paris : CNRS
Editions, 2007, page 173
64
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, op.cit., page 369
38
2) L’entre-deux guerres en Bulgarie : une période d’agitation politique accrue
La Bulgarie eut une trajectoire très différente. Tout d’abord, la Bulgarie fut un royaume
avant la Première Guerre Mondiale quand elle fut indépendante, soit en 1908. Comme en
Russie, elle était dirigée par un tsar65 . Lorsque la Première Guerre Mondiale éclata, les milieux
dirigeants bulgares étaient désunis. Le Tsar et le gouvernement étaient officiellement neutres
dans le conflit mais la presse de l’époque montrait son intérêt pour le camp allemand. Cet
intérêt fut en fait formalisé officiellement par le gouvernement bulgare avec la signature en été
1915 de traités secrets avec les puissances de la Triple Alliance. Ces traités stipulaient
notamment un engagement des forces bulgares en Serbie. En parallèle de la guerre, la Bulgarie
était sujette à des agitations politiques. Avec la Révolution d’octobre en Russie, la population
réclamait une paix démocratique et la fin des privilèges. Ces agitations politiques se
traduisaient par aussi des manifestations plus violentes avec des attaques d’institutions et de
commerce, des désertions et des actes de désobéissance66 .
Le 29 septembre 1918, l’armistice fut prononcé à Salonique et le Tsar Ferdinand I de
Bulgarie abdiqua pour son fils Boris III. Le traité de paix fut signé le 27 novembre 1918 et
rectifia les frontières du pays avec des pertes de territoires et ordonna le paiement de 2,25
milliards de francs ainsi que la livraison d’une grande quantité de bétail et d’houille. Le pays
sortit de la fin de la guerre complètement ruiné et affamé. Contrairement à la Tchécoslovaquie
qui faisait partie de gagnants de la guerre, la Bulgarie souffrit énormément de son alliance
avec l’Allemagne pendant la guerre67 .
Les années suivant la fin de la guerre furent marquées par l’arrivée massive de réfugiés
venant des territoires perdus par la Bulgarie et par une instabilité politique accrue dans tout le
pays. Le nombre de chômeurs explosa dans le pays. Un groupe de chômeurs décida de créer
en 1919 le Parti Communiste Bulgare. En 1919, des élections furent organisées avec une
grande percée du PCB mais Alexandre Stambolijski du parti traditionnel de l’Union
65
CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Histoire de la Bulgarie, Au pays des Roses, op.cit., page
145
66
CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie Ibid., pages 154-155
67
CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie Ibid., pages 156-157
39
Agrarienne Populaire Bulgare fut élu président du gouvernement. Ces nouvelles élections
n’apportèrent pas le calme politique: les communistes multipliaient les grèves et une garde
dite “orange” fut spécialement créée pour combattre les communistes grévistes 68 .
En 1923, un coup d’Etat éclata fait par des unités militaires et par l’Alliance Nationale
regroupant les partis du centre et de la droite. Ils arrêtèrent les leaders agrariens. Pendant ce
temps, le Tsar resta très passif au putsch. Les putschistes installèrent un gouvernement avec
Alexandre Tsankov à sa tête: leur but était de combattre le bolchévisme agrarien et de
rapprocher les partis bourgeois. La lutte anti-communiste atteignit son paroxysme avec
l’attentat à la bombe dans la cathédrale de Sofia en avril 1925 où le gouvernement accusa les
communistes. En représailles, le gouvernement arrêta 15 000
personnes dans des prisons
improvisées où la torture et le meurtre furent pratiqués.
Si la situation politique intérieure était instable et tendue, la situation extérieure l’était
aussi. Les rapports avec la Yougoslavie et la Grèce voisines furent au plus mal et en 1925, le
général Papagos décida d’envahir la Bulgarie du Sud. Avec des pressions de la Société Des
Nations, les armées grecques se retirèrent mais cet incident affaiblit le gouvernement qui
tomba69 . Andreï Liaptchev le remplaça. Moins brutal que Tsankov, Andreï Liaptchev tenait à
respecter la constitution mais en continuant de combattre les agrariens et le PCB70 .
Cette mésentente avec la Yougoslavie favorisa le rapprochement de la Bulgarie avec des
pays nationalistes comme l’Italie de Mussolini, les deux pays ayant désormais un ennemi
commun. En 1925, les accords de Locarno marquèrent le début de l’entente entre la Bulgarie
et l’Allemagne. En 1930, le gouvernement Liaptchev s’épuisa et le pays vit la montée en force
de trois partis d’extrême droite, tous acquis à la cause nazie 71 .
En 1934, un nouveau coup d’Etat éclata mené par le groupe Zveno, groupe
d’intellectuels de droite. Kimon Gueorguiev, membre du Zveno, prit la tête du gouvernement
68
69
70
71
CASTELLAN
CASTELLAN
CASTELLAN
CASTELLAN
Georges,
Georges,
Georges,
Georges,
VRINAT-NIKOLOV
VRINAT-NIKOLOV
VRINAT-NIKOLOV
VRINAT-NIKOLOV
Marie Ibid., page 160
Marie, Ibid., pages 164-165
Marie Ibid., page 166
Marie Ibid., page 167-168
40
avec la volonté de mettre en place une “Révolution Nationale” pour garantir le pouvoir au
peuple et non à la caste politique. Comme en Italie et en Allemagne, le système des partis fut
remplacé par des organisations corporatives, le Parlement n’avait aucun pouvoir de dissolution
du gouvernement, certaines libertés démocratiques furent abolies, l’administration fut épurée
et la corruption devint monnaie courante. Le seul point positif de ce gouvernement fut
l’apaisement des relations avec les voisins du pays72 .
En 1935, Gueorgui Kiosseivanov prit le pouvoir et composa un gouvernement de
technocrates qui permit au Tsar Boris III de s’imposer dans la vie et les querelles politiques du
pays. Le Tsar Boris III ne cachait pas ses accointances avec l’Allemagne: il admirait
notamment Hitler et décida que la Bulgarie soit l’alliée de l’Allemagne 73 .
Royaume tsariste allié de la Triple Alliance pendant la Première Guerre Mondiale, le
pays contrairement à la Tchécoslovaquie, ne connut aucune période de démocratie stable et
n’avait pas de suffrage universel direct. Marquée par de nombreux bouleversements
politiques, la Bulgarie n’arriva pas à se trouver une voie démocratique stable et bascula dans
un régime autoritaire tsariste admirant le Troisième Reich. Ce manque d’expérience
démocratique dans le passé peut expliquer aussi les trajectoires prises par la Bulgarie dans
l’après-communisme.
72
73
CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie Ibid., page 168-169
CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie Ibid., page 172-173
41
II/ Le poids de l’économie dans la transformation: l’éclairage pertinent de
la période de l’entre-deux guerres
L’étude de l’entre-deux guerres permet aussi de voir les différences de développement
économique et les différences en termes de secteurs porteurs dans les deux pays. On fait face à
deux économies différentes : une très industrielle et une autre très agraire.
1) Une économie tchécoslovaque industrialisée et prospère
L’économie tchécoslovaque fut largement marquée dans les années d’entre-deux guerres
par la réussite de son industrie. L’économie et l’industrie tchécoslovaque avaient beaucoup
souffert de la Première Guerre Mondiale : il y avait un manque d’homogénéité économique
flagrant. A l’indépendance du pays, il était nécessaire de créer une nouvelle structure
économique, de transports et de commerce extérieur. Le premier gouvernement élu fut d’union
nationale avec des partis tchèques et des représentants slovaques. La coalition fut dominée par
le Parti Agrarien Tchécoslovaque74 .
Les premiers défis du gouvernement, à part la Conférence de Paix de Versailles, furent
d’ordre économique. Le but du gouvernement était d’effacer les conséquences de la guerre et
de créer les bases d’une économie indépendante. Cela se traduisit par la séparation douanière
avec l’Autriche et la création d’une nouvelle monnaie, la couronne tchécoslovaque.
L’introduction de cette monnaie permit de freiner l’inflation. A côté de cela, ce premier
gouvernement entama des réformes sociales et agraires, très progressistes pour l’époque. Les
propriétés de plus de 250 hectares furent redistribuées, la journée de 8 heures fut adoptée, des
indemnités chômage furent créées ainsi qu’un système d’assurance et des conseils
d’entreprises75 .
Petit à petit, l’économie se libéralisa avec, en 1921, la fin des mesures dirigistes. Le
nouveau gouvernement de Robert Svehla élu en 1922 fut l’un des plus stables: ce fut le point
74
75
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, op.cit., pages 365-366
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., pages 366-367
42
de départ d’une économie tchécoslovaque florissante jusqu’à la crise de 1929 76 . Le volume de
production industrielle fut en forte expansion, la croissance fut forte et rapide, les usines se
modernisaient, la productivité augmentait, l’électrification du pays était quasiment complète,
le niveau de vie était plus élevé avec un Produit National Brut par habitant supérieur à celui de
la Pologne, de la Hongrie et de l’Italie. Le chômage baissa aussi77 .
La Tchécoslovaquie était un pays industriel avec un poids assez conséquent au sein de
l’économie de l’Europe centrale à l’époque. Elle se dotait de grandes industries et notamment
mécaniques et automobiles telles que l’entreprise Skoda, troisième plus ancien fabricant
automobile au monde. Créée en 1894 par Vaclav Laurin et Vaclav Klement, l’entreprise
Laurin et Klement répara puis passa à la construction de bicyclettes puis de motocyclettes pour
arriver à la fabrication de voitures. Dans les années 1920, les voitures de la marque étaient les
plus répandues dans le pays où elles représentaient 19,6% des véhicules à moteurs et 42,1%
des véhicules de construction nationale. En 1923, la marque Skoda fut créée par Emil Skoda,
émanation de l’important groupe industriel Skodovi Zavody, spécialisé dans l’industrie lourde.
La situation économique de la marque Laurin et Klement se dégrada à la suite d’un incendie
de leur usine en 1925. Les deux acolytes cédèrent leur entreprise au groupe Skodovi Zavody.
Les modèles Laurin et Klement apparurent désormais sous la marque Skoda. En 1936, Skoda
fut le premier constructeur automobile tchécoslovaque. La gamme Skoda se diversifiait en
adoptant des lignes aérodynamiques. Le nombre de voitures produites par an était en constante
augmentation pour arriver à la production de 6371 voitures particulières en 1938, un record
pour l’époque78 .
Cependant, le pays fut aussi touché par la crise de 1929 avec un impact sur l’industrie
des biens de consommation et sur les autres branches un peu plus tard. La crise entraina aussi
une baisse des exportations et une baisse de la production industrielle. Pour répondre à la
crise, le gouvernement de coalition s’élargit au PAT : on assista à une réponse social-
76
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 375
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 379
78
http://leroux.andre.free.fr/sito91.htm
77
43
démocrate à la crise par de l’interventionnisme étatique dans l’économie et dans le domaine
social79 .
Les bases d’une industrie forte et prospère furent gardées pendant le communisme. Si on
regarde la répartition des secteurs économiques au sein du Conseil d'assistance économique
mutuelle, la Tchécoslovaquie et la République Démocratique Allemande étaient les pays les
plus industrialisés et industriels de la zone. Cette industrie forte fut un avantage indéniable
dans la prospérité du pays après la chute du régime.
2) L’économie bulgare des années d’entre-deux-guerres : une économie agraire et
peu industrialisée
La Bulgarie fut beaucoup moins avancée en matière économique et industrielle. Le
premier gouvernement agrarien de 1918 avait pour ambition de moderniser l’économie du
pays et de porter une grande réforme agraire et non industrielle. Ils souhaitaient limiter la
propriété de terrains à trente hectares ainsi que réquisitionner des terrains appartenant à l’Etat.
L’idée derrière ces mesures fut de moderniser l’agriculture bulgare. Cependant, le
gouvernement fit face à un problème pour mettre en place cette réforme : le manque de fonds.
Le gouvernement décida seulement d’obliger les propriétaires de terres de les louer aux
paysans à des prix abordables et le gouvernement mena une politique fiscale pour les pauvres.
Ces mesures entrainèrent un mécontentement général de la bourgeoisie urbaine et ne calma
pas l’agitation communiste dans le pays80 .
Les élections de 1920 vit une baisse des résultats pour les agrariens mais ils arrivèrent
tout de même en tête et formèrent un nouveau gouvernement. Là aussi, le nouveau
gouvernement se voulait ambitieux : faire de la Bulgarie un Etat agricole moderne, donner
l’accès à l’eau potable dans tout le pays, donner l’accès au télégraphe, téléphone et à
l’éclairage, créer des maisons de la démocratie dans chaque agglomération et enfin mettre en
79
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, op.cit., page 379
CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Histoire de la Bulgarie, Au pays des Roses, op.cit., page
161
80
44
place des coopératives agricoles. Cependant, les ambitions du nouveau s’arrêtèrent en 1923
avec le coup d’Etat organisé par l’Alliance Nationale 81 .
Sur le plan économique, la situation s’améliora en 1925. Le gouvernement, déclaré
comme anti-bolchévique, ne mena pas de politique sociale. Cependant, en 1925, le secteur
industriel reprit avec des rythmes de croissance plus élevés que chez les voisins balkaniques.
De grands travaux furent menés comme la réalisation des centrales de Pernik et Rila. Les
exportations du pays furent positives en 1927, le système bancaire se développa dans un
contexte de capitalisme international. En conséquence, le niveau de vie augmenta avec de
nouvelles constructions et une urbanisation croissante. Cependant, la grande partie de
l’économie bulgare reposait sur l’agriculture, et pas tant sur l’industrie. Pendant la période du
régime communiste, le pays resta essentiellement agraire où 80% de la population habitait en
zone
rurale.
Le
secteur
industriel n’était
pas
très
développé,
contrairement à la
Tchécoslovaquie.
Contrairement à la Tchécoslovaquie, la Bulgarie ne disposait pas de grandes entreprises
industrielles.
A partir de 1925, l’agriculture et l’élevage étaient revenus à leur niveau de
production d’avant-guerre mais restaient sous-développés. Néanmoins, la culture de la
betterave à sucre, du tournesol, du coton et du tabac augmenta. Cela ne permit pas aux paysans
d’avoir des revenus supérieurs, ils étaient en fait inférieurs à ceux du début du siècle 82 .
La crise de 1929 donna un coup d’arrêt brutal au développement de l’économie. La
production agricole s’effondra, les revenus baissèrent de moitié et le chômage explosa.
Contrairement à la Tchécoslovaquie, le gouvernement bulgare n’essaya pas d’intervenir dans
l’économie et d’adopter des mesures anti-crise mais tourna le problème vers la question des
minorités bulgares vivant dans les pays voisins83 .
81
82
83
CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie Ibid., page 162
CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie Ibid., page 167
CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie Ibid., page 168
45
Dans les années 30, l’économie bulgare fut de plus en plus tournée vers l’économie
allemande: l’achat d’armes en Allemagne fut fréquent et l’Allemagne dominait nettement la
vie économique bulgare, par ses exportations ainsi que par ses investissements 84 .
84
CASTELLAN Georges, VRINAT-NIKOLOV Marie, Ibid., page 172
46
III/ La question des minorités, enjeu primordial de la transformation : une
question réglée dans la période de l’entre-deux-guerres
La question des minorités est un point essentiel de la transformation et sert souvent de
base pour différencier les transformations post-communistes des pays ex-satellites de l’Union
Soviétique et des pays ex-républiques soviétiques. Les grandes problématiques de minorités en
Tchécoslovaquie et en Bulgarie furent réglées pendant l’entre-deux-guerres. Néanmoins,
quelques problématiques furent soulevées à la fin des années 1980 avec les tendances
séparatistes slovaques qui se soldèrent par une scission pacifique et avec la volonté
d’émigration de la population musulmane bulgare. Néanmoins, dans les deux cas, les deux
problématiques furent réglées de manière pacifique. La question des minorités fut donc réglée
ce qui permit à la Bulgarie et à la Tchécoslovaquie de ne pas subir les mêmes maux et d’avoir
une vraie unité d’Etat lors de la chute du communisme, contrairement notamment aux pays
balkaniques ou encore aux pays ex-républiques soviétiques.
1) Le cas des minorités présentes en Tchécoslovaquie
Quand la Tchécoslovaquie fut proclamée indépendante, le peuple tchèque et le peuple
slovaque étaient considérés comme une seule et même nation85 . Néanmoins, derrière cette
apparente unité se cachait un certain ressentiment chez certains Slovaques qui n’acceptaient
pas cette nouvelle République. En effet, les appareils d’Etat, les élites et la capitale furent en
territoire tchèque et non slovaque. La Slovaquie était bien en-dessous du niveau de la
Tchéquie en ce qui concerne l’industrialisation, l’instruction et le niveau de vie 86 . Ce
ressentiment se traduisit plus tard par un rapprochement officiel entre le gouvernement
slovaque et le Troisième Reich. Le gouvernement slovaque prononça son indépendance en
échange d’un soutien à l’Allemagne nazie contre les Tchèques.
En outre, la Tchécoslovaquie émergeait de l’Empire Austro-Hongrois où plusieurs
peuples cohabitaient. La Tchécoslovaquie se retrouvait donc notamment avec une grande
85
86
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Histoire des Pays tchèques, op. cit., page 368
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 360
47
minorité germanophone à ses frontières avec l’Autriche et avec l’Allemagne. Cette minorité,
dès l’indépendance, posa finalement les mêmes problèmes que les peuples tchèques et
slovaques quand ils étaient sous domination austro-hongroise. Les Allemands des Sudètes
souhaitaient faire de leurs territoires des provinces autonomes pour être au final rattachées à
l’Autriche. En octobre 1918, le Parlement autrichien déclara que les provinces qu’il avait
déclarées germanophones devaient être autonomes. Il créa dans la foulée une série de
provinces à peuplement allemand rattachées soit à la Haute ou à la Basse Autriche. Le Conseil
National Tchécoslovaque occupa militairement les provinces germanophones en question. La
population germanophone se soumit à l’Etat tchécoslovaque mais avec un fort ressentiment87 .
Dès les années 20, un parti proche des idées du NSDAP fut crée par un groupe
d’Allemands des Sudètes, soit le Front des Allemands des Sudètes. Cette population se
radicalisa de plus en plus, notamment pendant la crise de 1929 88 . Un putsch fasciste fut
organisé en janvier 1933 dans une caserne à Brno Zidenice qui fut réprimé par le pouvoir
tchécoslovaque. En 1934, les Allemands des Sudètes devinrent belliqueux. En parallèle, Adolf
Hitler appelait à la libération des 10 millions d’Allemands des Sudètes oppressés. Malgré un
premier soutien lors de mouvements de troupes allemandes en avril 1938, la Grande-Bretagne
et la France cédèrent face à Hitler et en septembre 1938 à Munich fut signée la cession des
Sudètes au Troisième Reich89 . A la fin de la guerre, les Tchèques expulsèrent la population
germanophone vivant sur son territoire, parfois de manière brutale.
Le deuxième peuple à poser problème fut les Magyars présents en Slovaquie. Le
rattachement de la Slovaquie à la Tchéquie, par le traité de Saint-Martin, fut dès lors très
compliqué. Les Magyars occupaient une bonne partie de la Slovaquie. Le Conseil National
Tchécoslovaque décida le 2 novembre 1918 d’occuper militairement la Slovaquie. Cependant,
la mauvaise préparation de l’armée causa son recul face aux Magyars. Finalement, sur ordre
de la France, les Magyars désertèrent le territoire slovaque.
87
88
89
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 361
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 370
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., pages 383-384
48
La crainte d’une invasion hongroise sur le territoire slovaque était palpable chez les
dirigeants tchécoslovaques. Le gouverneur de Slovaquie Vavro Srobar décida de déclarer
l’état de siège. L’armée tchécoslovaque envahit la Hongrie de 50 à 80km après la frontière.
L’armée rouge magyare riposta et occupa les deux-tiers de la Slovaquie. Le 13 juin, les pays
de l’Entente fixèrent une fois pour toutes la frontière entre les deux pays et demandèrent aux
Magyars de se retirer de Slovaquie90 .
2) Le cas des minorités présentes en Bulgarie
La Bulgarie, anciennement membre de l’Empire ottoman, fut elle aussi confrontée à la
présence de plusieurs minorités. Celles qui ont pu poser quelques problèmes aux différents
gouvernements bulgares d’avant Seconde Guerre Mondiale furent les minorités avec
lesquelles la Bulgarie partagent une frontière. Ces minorités furent les minorités grecque,
turque et macédonienne. Le Traité de Neuilly de 1919 avait statué sur “l’émigration volontaire
et réciproque de personnes appartenant à des minorités ethniques”. Concernant la minorité
grecque en Bulgarie, ce principe a été appliqué dès les années 1920 avec l’émigration des
Grecs de Bulgarie vers la Grèce et l’émigration des Bulgares de Grèce vers la Bulgarie91 .
La deuxième minorité fut la minorité macédonienne. Cette minorité fut toujours
considérée comme totalement bulgare. Néanmoins, dans le même temps, l’Organisation
Révolutionnaire Intérieure Macédonienne était très active. Créée au XIXème siècle, elle
œuvrait de manière clandestine pour la création d’un Etat macédonien. Après la Première
Guerre Mondiale, elle servit les intérêts de la Bulgarie dans les Balkans en commettant
plusieurs attentats. Son but fut au final le rattachement de la population macédonienne à la
Bulgarie. Interdite en 1923 par la Bulgarie après des pressions sur le pays, l’ORIM commit
plusieurs attentats et tortura et décapita le premier ministre Stambolijski92 .
90
BELINA Pavel, CORNEJ Petr, POKORNY Jiri, Ibid., page 360
CARTER Franck W. « Minorités nationales et groupes ethniques en Bulgarie : distribution régionale et liens
transfrontaliers », Espace, populations et société, 1994, vol. 12, n°3, page 301
92
CARTER Franck W., « Minorités nationales et groupes ethniques en Bulgarie : distribution régionale et liens
transfrontaliers », Espace, populations et société, 1994, vol. 12, n°3,page 302
91
49
La troisième minorité fut la minorité turque. Ce fut la minorité la plus importante en
Bulgarie. A la chute de l’Empire ottoman, elle fut considérée comme une minorité
subordonnée à l’autorité de l’Etat bulgare orthodoxe. En 1925, un traité turco-bulgare fut signé
pour faciliter l’émigration de Turcs vers la Turquie. Dans l’entre-deux-guerres, plus de 100
000 Turcs quittèrent le pays93 .
L’étude de la variable historique et plus précisément de la période de l’entre-deuxguerres montre en quoi la Tchécoslovaquie avait des prédispositions plus stables d’Etat
démocratique à l’économie prospère. Le cas de la Bulgarie est plus complexe car cette période
fut marquée par une agitation politique forte et par une économie qui reposait essentiellement
sur l’agriculture. Cette période a donc eu des effets sur les années après 1989 dans les deux
pays.
93
CARTER Franck W., « Minorités nationales et groupes ethniques en Bulgarie : distribution régionale et liens
transfrontaliers », Espace, populations et société, 1994, vol. 12, n°3,page 300
50
PARTIE 4 – LE ROLE DES ACTEURS TRANSNATIONAUX
DANS LA TRANSFORMATION : L’IMPORTANCE DE
L’ADHESION A L’UNION EUROPEENNE
Pour comprendre la transformation de la Bulgarie et de la Tchécoslovaquie, il est
important de s’intéresser aux acteurs transnationaux et notamment au rôle de l’Union
Européenne. L’européanisation a aidé les deux pays à se réformer rapidement (I) mais les
deux pays n’en ont pas bénéficié au même moment (II et III).
I/ Le pouvoir de l’européanisation sur les transformations des pays excommunistes
L’européanisation de l’Europe centrale et orientale fut un but construit dans le temps qui
a permis d’aider ces pays dans leur transformation post-communiste.
1) L’adhésion des Pays d’Europe Centrale et Orientale : un but construit dans le
temps
Le groupe des pays post-communistes fut, dès la chute des régimes communistes, sujet
aux tentatives directes et explicites de la part de l’Union Européenne pour exercer son
influence sur leur transformation. Ces pays, pour la plupart, avaient, dès la fin des régimes
communistes, exprimé leur souhait de rejoindre l’UE. Les gouvernements de l’Europe centrale
et de l’Est avaient levé la question de l’adhésion et demandaient régulièrement aux pays
membres de leur montrer un engagement clair à cet élargissement. Les gouvernements de cette
zone de l’Europe faisaient référence aux valeurs et aux normes constitutives de la
communauté européenne et aux intentions des pères de la construction européenne pour
justifier leurs demandes d’adhésion94 .
94
SCHIMMELFENNIG Frank « The Community Trap: Liberal Norms, Rhetorical Action, and the Eastern
Enlargement of the European Union”, International Organization, 2001, vol.55, n°1, page 48
51
Vaclav Havel en 1994 lors d’un discours au Parlement Européen réaffirma la nécessité
d’une adhésion des pays post-communistes à l’UE : “Si l’avenir de l’Union Européenne ne
donne pas sur un élargissement, basé sur les meilleures valeurs européennes et sur la volonté
de les transmettre, l’organisation pourrait dans l’avenir tomber dans les mains de fous, de
fanatiques, de populistes et de démagogues attendant leur chance et déterminés à répéter les
pires traditions européennes”. Par cette phrase, Vaclav Havel affirma la nécessité d’un
élargissement qui serait le gage et la sécurité de régimes démocratiques et de paix sur le
continent95 .
Dès le début de 1990, la Commission Européenne proposa un accord d’association sans
promettre une adhésion future. Pendant les négociations pour un accord d’association, la
Commission reconnut la volonté d’une future adhésion des pays associés mais ne mentionna
pas que cela soit une volonté finale de la communauté. Les premiers accords furent conclus en
décembre 1991 et entrèrent en vigueur en février 199496 .
Cependant, l’UE fit face à des candidats à l’adhésion d’un nouveau type qui étaient à des
étapes différentes de leur transformation en termes de passage à l’économie de marché et de
démocratisation. Dès lors, ces Etats n’étaient pas encore en pleine mesure d’adopter l’acquis
communautaire, ou l’ensemble des textes et lois de qui régit l’UE. La communauté
européenne s’engagea donc dans un processus exceptionnel de suivi et d’évaluation des efforts
d’ajustements des pays candidats. Les demandes d’ajustements et de réformes de l‘UE
concernaient en grande partie l’adoption de l’acquis communautaire mais pas seulement. Les
conditions d’adhésions impliquèrent aussi le volet politique et économique, couvrant
beaucoup de règles et de lois dans lesquelles les institutions européennes n’avaient aucune
compétence légale.
Le statut de candidat à l’adhésion a eu des incidences sur les instruments utilisés par les
institutions européennes pour influencer le processus d’ajustement des pays candidats. L’UE
95
SCHIMMELFENNIG Frank « The Community Trap: Liberal Norms, Rhetorical Action, and the Eastern
Enlargement of the European Union”, International Organization, 2001, vol.55, n°1, page 69
96
SCHIMMELFENNIG Frank « The Community Trap: Liberal Norms, Rhetorical Action, and the Eastern
Enlargement of the European Union”, International Organization, 2001, vol.55, n°1, page 55
52
ne pouvait jouer sur les sanctions prévues par les traités européens. Dès lors, elle a utilisé des
instruments de soft-power comme des incitations, des pressions normatives et de la persuasion
sur les PECO demandant l’adhésion. En tant que candidats, ces pays n’ont pas eu leur mot à
dire dans le processus législatif et dans le processus de prise de décision européens. Cela
conduisit à une asymétrie de pouvoir où le transfert de la législation s’est fait sur le modèle du
top-down97 .
L’article 237 de traité de la CEE accorde à tous les Etats européens le droit de demander
l’adhésion à l’UE. Cependant, les différentes déclarations, actes légaux et pratiques de la
Communauté ont engendré plusieurs prérequis pour une adhésion. D’abord, l’UE demande
que ses membres soient des démocraties qui respectent l’Etat de droit et les droits de l’homme.
De plus, les nouveaux membres doivent se conformer au principe de l’économie de marché
ouverte en libre concurrence. Enfin, les nouveaux membres doivent adopter l’acquis
communautaire et politique (politique étrangère et de sécurité commune) 98 .
2) Le processus d’adhésion à l’Union Européenne : un soutien aux transformations
post-communistes
La Commission suivit de près les progrès des pays candidats qu’elle mit en forme à
partir de 1997 dans un rapport annuel avec son Opinion sur les demandes d’adhésions des
Pays d’Europe centrale et orientale. L’UE s’impliqua fortement dans le processus de
rapprochement des PECO en offrant des financements pour la mise en œuvre de la législation
liée au processus d’adhésion et en offrant l’expertise du TAIEX (Technical Assistance and
Information Exchange Instrument)99 . Cet instrument est sous la direction générale de
l’élargissement de la Commission Européenne. Le but de cet instrument est d’aider les pays
bénéficiaires en matière de rapprochement, d’application et d’exécution de la législation de
97
SEDELM EIER Ulrich, « Europeanisation in new member and candidate states », Living Reviews in European
Governance, Vol. 6, (2011), n° 1, page 6
98
SCHIMMELFENNIG Frank « The Community Trap: Liberal Norms, Rhetorical Action, and the Eastern
Enlargement of the European Union”, International Organization, 2001, vol.55, n°1, page 59
99
SCHIMMELFENNIG Frank, SEDELM EIER Ulrich, The Europeanization of Central and Eastern Europe,
Ithaca : Cornell University Press, 2005, page 2
53
l’Union européenne. Le TAIEX centralise toutes les demandes d’assistance et donne des
réponses de court-terme aux problèmes rencontrés par les pays bénéficiaires100 .
L’assistance la plus directe de la Commission fut le Twinning Program, instrument
dédié à la coopération des administrations publiques des pays membres et des pays
bénéficiaires. Concrètement, cet instrument aide les pays en demande d’adhésion à acquérir
les compétences et l’expérience nécessaires pour transposer et mettre en œuvre la législation
communautaire.
Ces aides ont permis d’exécuter des réformes en un temps record, ou du moins d’inscrire
les réformes à l’agenda politique. Magdalena Hadjiisky, Professeure de science politique et
spécialiste de la République tchèque explique comment la réforme de l’administration
publique en République tchèque a été facilitée par l’impulsion de l’Union Européenne. La
réforme de l’administration est devenue, petit à petit, un des critères majeurs d’évaluation de
la capacité des pays d’Europe centrale et de l’Est pour une adhésion à l’Union Européenne 101 .
Dans les années 1990,
la République tchèque n’avait entamé aucune réforme sur
l’administration publique et n’était pas à l’agenda politique des gouvernants de l’époque 102 .
Après la publication par la Commission Européenne de rapports sur les progrès de la
République tchèque concernant le processus d’adhésion, l’agenda politique a commencé à se
transformer. Ces rapports alertaient les gouvernants du pays sur leur inaction en matière de
réformes administratives103 . Dès lors, l’Union Européenne s’impliqua fortement dans la
réforme
de
l’administration
publique en envoyant notamment une
délégation de la
Commission Européenne à Prague en charge du programme « amélioration de l’administration
100
http://ec.europa.eu/enlargment.taiex.what-is-taiex.index_fr.ht m
HADJIISKY Magdalena, « Européanisation et réforme de l’Etat. L’influence de l’Union Européenne sur la
réforme des administrations publiques centrales tchèques (1993-2004) », in BAISNEE Oliver et PASQUIER
Romain (dirs.), « L’Europe telle qu’elle se fait. Européanisation et sociétés politiques nationales, Paris : CNRS
Editions, 2007, p. 167
102
HADJIISKY Magdalena, « Européanisation et réforme de l’Etat. L’influence de l’Union Européenne sur la
réforme des administrations publiques centrales tchèques (1993-2004) », in BAISNEE Oliver et PASQUIER
Romain (dirs.), « L’Europe telle qu’elle se fait. Européanisation et sociétés politiques nationales, Paris : CNRS
Editions, 2007, p. 171
103
HADJIISKY Magdalena, « Européanisation et réforme de l’Etat. L’influence de l’Union Européenne sur la
réforme des administrations publiques centrales tchèques (1993-2004) », in BAISNEE Oliver et PASQUIER
Romain (dirs.), « L’Europe telle qu’elle se fait. Européanisation et sociétés politiques nationales, Paris : CNRS
Editions, 2007, p. 174
101
54
publique ». Si l’Union Européenne a réussi à mettre sur l’agenda la nécessité d’une réforme de
l’administration, la présence directe et même indirecte de la Commission Européenne a
influencé le type d’administration publique que le pays a adopté. Les experts de la
Commission
préconisèrent
notamment
l’adoption
d’un
statut
pour
les employés de
l’administration centrale et une base légale adaptée à la fonction publique104 .
A côté de ces aides pour des réformes administratives et politiques, l’UE s’investit
pleinement dans la transition des pays candidats vers l’économie de marché. Le programme
PHARE est l’instrument clé de cette assistance communautaire. Aide financière et technique,
cet instrument avait d’abord pour vocation de faciliter le passage vers l’économie de marché et
fut redéfini plus tard pour préparer l’adhésion à l’UE105 . Concrètement, ce programme
permettait aux pays bénéficiaires d’augmenter leur coopération commerciale avec les pays
membres de l’UE avec une perspective de gains dans ces échanges et investissements et une
plus grande participation dans le processus de décision européen.
Si on regarde concrètement les chiffres du commerce extérieur, les années de processus
d’adhésion ont permis une augmentation réelle des revenus du commerce extérieur. Dans le
cas de la République, on peut s’intéresser à la période 1996-2003 (dépôt de la candidature à
l’adhésion et année n-1 avant l’entrée). Les revenus du commerce extérieur tchèque ont
augmenté sur la période de 107%, alors que sur la période 1993-1996 ils avaient augmenté
seulement de 60%106 . Du côté de la Bulgarie, sur la période 2000-2006 (début des
négociations d’adhésion et année n-1 avant l’entrée du pays dans l’UE), les exportations ont
augmenté de 123% et les importations de 117%107 . Ces chiffres montrent bien que le soutien
de l’UE, notamment ici en matière économique mais aussi par l’aura que représente le statut
de candidat ont permis aux pays de se développer économiquement et de développer leurs
échanges.
104
HADJIISKY Magdalena, « Européanisation et réforme de l’Etat. L’influence de l’Union Européenne sur la
réforme des administrations publiques centrales tchèques (1993-2004) », in BAISNEE Oliver et PASQUIER
Romain (dirs.), « L’Europe telle qu’elle se fait. Européanisation et sociétés politiques nationales, Paris : CNRS
Editions, 2007, p. 175
105
SCHIMMELFENNIG Frank, SEDELM EIER Ulrich, The Europeanization of Central and Eastern Europe,
op.cit., page 10
106
Office national tchèque de la statistique https://www.czso.cz/csu/czso/ceska-republika-od-roku-1989-vcislech#06
107
Stadat https://www.ksh.hu/docs/eng/xstadat/xstadat_annual/i_int030a.html
55
L‘ouverture des négociations et le statut de candidats permet donc de bénéficier d’une
expertise pertinente et utile pour des sociétés en transformation. Ces instruments ont donné
une capacité exceptionnelle de réformes aux pays avec le statut de candidat.
Si le pouvoir de l’européanisation est indéniable, dans les deux pays étudiés, il a été
différé pour la Bulgarie et la République tchèque en a profité en premier.
56
II/ La République tchèque : une européanisation précoce grâce à sa
transformation prometteuse
Grâce à des prérequis déjà remplis notamment au niveau de la question de la démocratie
ainsi que par une stratégie de démarcation vis-à-vis de la Roumanie et de la Bulgarie, la
République tchèque fait partie des cinq PECO leaders pour entamer les négociations
d’adhésions.
1) La conditionnalité démocratique : une caractéristique clé dans le début des
négociations entre la République tchèque et l’Union Européenne
Dans le contexte de la conditionnalité démocratique, l’influence de l’UE dépend des
conditions dans lesquelles se trouvent les pays candidats. L’influence de l’UE reste très limitée
à un panel de pays, soit les démocraties les plus fragiles et les plus instables. Pour les pays
leaders en termes de démocratie, le pouvoir incitatif de l’UE n’était pas nécessaire alors que
dans les pays non-démocratiques, il était inefficace108 .
Dans la période de début de transition des PECO, la conditionnalité de l’UE portait
surtout sur la conditionnalité démocratique. Les incitations externes de l’UE étaient liées aux
principes politiques fondamentaux sur lesquels l’UE se base, aux droits de l’homme, à la
démocratie libérale, et à l’économie de marché. Ces règles n’étaient pas seulement
fondamentales pour l’UE mais aussi pour tout l’ancien bloc de l’Ouest et ses institutions et
notamment l’OTAN 109 . Par conséquent, les efforts et les effets de démocratisation de l’UE
allaient de pair avec les efforts des institutions de l’ancien bloc de l’Ouest. Magdalena
Hadjiisky évoque le terme « ouestisation » qui va plus loin que le terme d’européanisation car
108
SCHIMMELFENNIG Frank, SEDELM EIER Ulrich, The Europeanization of Central and Eastern Europe,
op.cit., page 210
109
SCHIMMELFENNIG Frank, SEDELM EIER Ulrich, The Europeanization of Central and Eastern Europe,
op.cit., page 211
57
ces pays adoptaient des valeurs de l’ancien bloc de l’Ouest, et pas seulement des valeurs de
l’Union Européenne110 .
En ce qui concerne les incitations de l’UE pour la démocratisation des PECO, cela passa
d’abord par des accords d’association, puis par l’ouverture des négociations pour une
éventuelle adhésion, si un régime démocratique solide est mis en place correspondant aux
critères communautaires. Dans ce contexte, cinq pays se démarquèrent dont la République
tchèque. Les pays leaders démocratiques, soit l’Estonie, la Hongrie, la Pologne, la République
tchèque et la Slovénie commencèrent à se démocratiser et à consolider leurs démocraties sans
aide spécifique de l’UE. Schimmelfennig et Sedelmeier affirment même que ces pays auraient
réussi leur transition démocratique en l’absence de conditionnalité démocratique 111 .
2) Une stratégie de démarcation ou la volonté de montrer la valeur de la candidature
des cinq leaders dont la République tchèque
Lors d’un meeting avec la Commission Européenne en 1992, les pays d’Europe centrale
(Pologne, République tchèque, Hongrie) affirmèrent leur souhait de les distinguer des autres
candidats à l’adhésion à l’UE. Ils pensaient, entre autres, que la Bulgarie et la Roumanie
n’étaient pas capables d’avoir les mêmes relations qu’eux pouvaient avoir avec l’UE à cette
période112 . Cette volonté de se démarquer fut une stratégie pour pouvoir accéder aux
négociations pour une future adhésion avant les autres et surtout pour convaincre les brakemen
(Etats membres encore réticents à l’adhésion des PECO) de la solidité de leur candidature.
Cette volonté de se démarquer a été retrouvée dans les entretiens menés avec des Tchèques,
qui considèrent toujours que le niveau de vie bulgare ainsi que son accession plus tardive est
justifiée, comme le montre le tableau suivant :
110
HADJIISKY Magdalena, « Européanisation et réforme de l’Etat. L’influence de l’Union Européenne sur la
réforme des administrations publiques centrales tchèques (1993-2004) », in BAISNEE Oliver et PASQUIER
Romain (dirs.), « L’Europe telle qu’elle se fait. Européanisation et sociétés politiques nationales, Paris : CNRS
Editions, 2007, page 171
111
SCHIMMELFENNIG Frank, SEDELM EIER Ulrich, The Europeanization of Central and Eastern Europe,
op.cit., page 212
112
SCHIMMELFENNIG Frank « The Community Trap: Liberal Norms, Rhetorical Action, and the Eastern
Enlargement of the European Union”, International Organization, 2001, vol.55, n°1, page 70
58
La République tchèque a fait partie des cinq premiers pays de l’Europe centrale et
orientale qui a entamé les négociations pour une adhésion à l’UE. Elle est aussi rentrée en
2004 et non en 2007. A votre avis, quels ont été les avantages du pays par rapport aux autres
et notamment par rapport à la Roumanie et à la Bulgarie qui sont rentrés en 2007 ?
Entretien n°1
Personnellement
je
pense
que
la
position géographique a un certain rôle dans
tout ça, car on est quand même plus proche
d’Etats comme l’Allemagne et autres, avec
des relations commerciales. Regardant la
position de la Bulgarie et de la Roumanie,
elles sont plus proches de la Russie et de
l’Ukraine qui ont gardé d’anciennes attitudes
communistes. Dès lors, ces pays n’étaient
pas poussés ou forcés sous l’influence des
circonstances de changer et devenir « plus
développés ».
Entretien n°2
Un niveau de vie élevé, même pendant
le communisme
qui nous a permis de
reconstruire le pays après la Révolution de
Velours. Notre position géographique a joué
aussi, ce qui a permis de booster l’activité
économique et les investissements.
Entretien n°3
Nous avons des traditions et des
liaisons avec les pays germaniques, nous
sommes des gens organisés, nos sociétés et
nos organisations publiques fonctionnent de
manière cohérente. De plus, l’économie se
portait plutôt bien. Tout se développait bien,
et donc il n’y avait pas de raison pour ne pas
rentrer.
59
Au début des années 1990, l’UE ouvrit le processus d’adhésion à dix pays. Or en mars
1998, elle commença les négociations pour l’accession avec seulement cinq pays dont la
République tchèque, la Bulgarie n’en faisait pas partie. Nous pouvons nous demander
pourquoi l’UE a finalement commencé les négociations avec qu’une partie des pays qui
avaient demandé l’adhésion. Frank Schimmelfennig explique cette séparation par le fait que
ces cinq pays partageaient déjà les valeurs et les normes libérales de l’UE113 .
Ces cinq pays sélectionnés, pour débuter de concrètes discussions concernant leur
adhésion en 1997, devaient d’abord correspondre aux principes de la Communauté et de ses
Etats membres. Ils devaient aussi se distinguer des cinq autres pays qui restaient associés
concernant leur conformité avec les normes libérales qui constituent la communauté
européenne. Ces cinq pays furent choisis car ils furent déclarés comme « libres » alors que les
autres étaient classés comme « partiellement libres » ou « non libres ».
113
SCHIMMELFENNIG Frank « The Community Trap: Liberal Norms, Rhetorical Action, and the Eastern
Enlargement of the European Union”, International Organization, 2001, vol.55, n°1, page 48
60
Le tableau ci-dessous donne les données sur la sélection des PECO pour l’adhésion à
l’UE en 1996-1997114 . Ce tableau donne une piste pour comprendre comment l’Union
Européenne a opéré une sélection entre les pays candidats d’Europe centrale et orientale. FI
est l’index de liberté qui est composé de PR (droits politiques) et de CL (libertés civiles) dont
le score est entre 1 (le plus haut) et 7 (le plus bas). Les données des colonnes DEM
(démocratie) et ECO (économie) viennent de l’évaluation de l’organisation « Nations in
Transit ». La colonne Polity contient le « score de démocratie » de 1996 de la base de données
Polity IIIu : le score est entre 1 (le plus bas) et 10 (le plus haut).
Nous voyons, d’une part, sur ce tableau que la République tchèque et la Bulgarie ne sont
pas dans la même catégorie puisque la République tchèque est dans la catégorie « In » (le pays
est déjà prêt pour une éventuelle adhésion) alors que la Bulgarie est en « Pre-in » (il faut
encore attendre pour débuter les négociations d’adhésion). Au niveau des scores des deux pays
dans chaque colonne, on remarque d’importantes différences.
Si la République tchèque entama les discussions pour une future adhésion en 1998, la
Bulgarie les commença plus tard avec une adhésion seulement en 2007.
114
Les données de la Freedom House viennent de Karatnycky, Motyl, and Shor 1997
61
III/ Une entrée dans l’Union Européenne différée pour la Bulgarie avec des
différences de niveau de vie
La Bulgarie fut une candidate singulière à l’adhésion du fait de sa position
géographique, de son économie et de sa culture ce qui engendra un processus d’adhésion plus
long et plus contrôlé.
1) La candidature de la Bulgarie : une candidature singulière requérant des efforts
plus importants
Dans les autres pays et notamment dans la deuxième vague d’adhésion, la
conditionnalité démocratique n’était pas suffisante pour apporter un vrai régime démocratique.
Cela fut le cas de pays dont les sociétés n’étaient pas forcément disposées à adhérer à l’UE
pour rejeter le pouvoir autoritaire en place. Sinon, le pouvoir en place était tellement bien
consolidé dans le pays que la conditionnalité démocratique ne pouvait pas agir.
Les observateurs des nouveaux entrants de 2007, soit la Roumanie et la Bulgarie, avaient
deux préoccupations sur ces pays. La première préoccupation fut que la Bulgarie et la
Roumanie n’avaient pas atteint les standards européens de gouvernance et de gouvernement
nécessaires à leur entrée dans l’UE. Puis, les observateurs étaient sceptiques sur la possible
poursuite ou pas de réformes non achevées au moment de l’accession. La Commission admit
que la mise en place de l’acquis en Bulgarie n’avait pas été chose facile et que le pays n’avait
pas toutes les caractéristiques réunies pour être qualifié d’Etat de droit et de démocratie lors de
son accession115 .
Du point de vue du passé historique, la Bulgarie, avec la Roumanie, fait partie des pays
qui sont culturellement et géographiquement les plus éloignés de l’UE par rapport aux
nouveaux entrants de 2004. Pays orthodoxe, le pays est très proche de son voisin russe, le “tsar
115
LEVITZ Philip, POP-ELECHES Grigore, « Monitoring, Money and Migrants : Countering Post-Accession
Backsliding in Bulgaria and Romania », Europe-Asia Studies, 2010, vol. 62, n°3, page 461-462
62
libérateur” comme il est appelé en Bulgarie. Cette différence culturelle est renforcée par une
différence de niveau de vie et de prospérité économique. Si la Bulgarie a très bien réussi sa
transition à l’économie de marché en un temps record, elle entra dans l’UE en faisant partie
des pays les plus pauvres, et notamment elle était plus pauvre que les entrants de 2004, malgré
une croissance rapide et prospère au début des années 2000. En 2006, le PIB par habitant pour
les huit nouveaux entrants de 2004 était environ 80% plus important que pour la Bulgarie et la
Roumanie116 . Ce décalage de niveau a été un élément repris dans les trois entretiens menés
avec les personnes de nationalité bulgare, comme le montre ce tableau suivant :
Selon vous, quelle est la place de la Bulgarie parmi les pays d’Europe centrale et
orientale membres de l’UE ?
Entretien n°1
Le pays le plus pauvre et le plus
corrompu parmi les pays membres de l’UE.
Entretien n°2
Le plus pauvre de tous et le moins
important.
Entretien n°3
Plus proche de la Roumanie que des
pays leaders de cette région.
De plus, il est à noter que la Bulgarie avait un système bureaucratique aux pratiques très
patrimoniales pendant le communisme, beaucoup plus que dans les Etats d’Europe centrale.
Par conséquent, il fut plus difficile pour la Bulgarie d’adopter un modèle rationnel-légal de
bureaucratie demandé par l’UE.
2) L’entrée de la Bulgarie critiquée et plus contrôlée
Comme actuellement avec le cas de la Grèce, certains observateurs ont critiqué l’entrée
de la Bulgarie en 2007. Un député européen affirme que l’UE “a dit oui avant que les réformes
soient mises en place”, un membre de la Commission Européenne affirma de son côté que
116
LEVITZ Philip, POP-ELECHES Grigore, « Monitoring, Money and Migrants : Countering Post-Accession
Backsliding in Bulgaria and Romania », Europe-Asia Studies, 2010, vol. 62, n°3, page 463-464
63
l’UE,
en
faisant
entrer
la
Bulgarie
et
de
la
Roumanie,
“bradait le processus”’
d’élargissement117 . Pourtant, la Bulgarie, contrairement à la République tchèque, bénéficiait
d’un soutien inconditionnel de tous les partis politiques et de la population concernant
l’adhésion à l’Union Européenne. Contrairement à la Pologne ou à la République tchèque, qui,
pendant les négociations pour l’accession, ont négocié certains points et réformes, la Bulgarie
n’a jamais rien renégocié et était prête à adopter telles quelles les 80 000 pages de lois et
règlements communautaire.
Pour contrer les doutes et les peurs de certains pays ou personnes dans l’UE, les
réformes en Bulgarie furent beaucoup plus suivies et contrôlées que pour les nouveaux
entrants de 2004. Tous les pays sont sujets à un contrôle de l’Union au niveau de l’économie,
du marché intérieur, de la justice et des affaires intérieures. En plus de cela, la Bulgarie fut
soumise à un contrôle continu de l’UE en matière de corruption, de crime organisé et en
matière judiciaire pendant 3 ans après son accession. Ce suivi s’accompagnait de menaces de
sanctions, notamment de coupes budgétaires de l’UE vers la Bulgarie ainsi que de la nonreconnaissance de décisions de justice si les progrès n’étaient pas réalisés. En 2008, au vu du
peu et de la lenteur des progrès que la Bulgarie avait réalisé dans le contrôle de la corruption et
du crime organisé et dans la mise en place d’un système judiciaire indépendant, la
Commission, à l’été 2008, coupa certains budgets pour la Bulgarie118 . Cela posait un gros
problème pour la Bulgarie car elle comptait parmi les plus gros bénéficiaires de fonds
européens dont notamment le FEDER, le FSE et le Fonds de Cohésion. La Bulgarie était donc
très dépendante de l’aide financière européenne. Dans le même temps, la République tchèque,
avec la Slovénie, étaient les deux pays qui recevaient le moins d’aides119 .
L’étude du rôle des acteurs transnationaux et ici en particulier du rôle de l’Union
Européenne fait apparaitre des disparités entre les deux pays où la République tchèque, pays
117
LEVITZ
Backsliding
118
LEVITZ
Backsliding
119
LEVITZ
Backsliding
Philip, POP-ELECHES Grigore, « Monitoring, Money and Migrants : Countering Post-Accession
in Bulgaria and Romania », Europe-Asia Studies, 2010, vol. 62, n°3, page 464
Philip, POP-ELECHES Grigore, « Monitoring, Money and Migrants : Countering Post-Accession
in Bulgaria and Romania », Europe-Asia Studies, 2010, vol. 62, n°3, page 470
Philip, POP-ELECHES Grigore, « Monitoring, Money and Migrants : Countering Post-Accession
in Bulgaria and Romania », Europe-Asia Studies, 2010, vol. 62, n°3, page 472
64
démocratique et déjà prospère économiquement bénéficie de l’européanisation et se réforme
donc plus vite que la Bulgarie où le processus fut plus long et plus lourd.
65
CONCLUSION
Si la théorie du dilemme de la simultanéité de Claus Offe sert de base pour comprendre
la transformation des pays d’Europe centrale et de l’est, il est nécessaire de la dépasser pour
comprendre la transformation de la République tchèque et de la Bulgarie. En effet, la
similarité de l’installation du communisme dans le pays et leur statut d’Etat indépendant
satellite de l’Union soviétique firent de la République tchèque et de la Bulgarie des pays qui
pouvaient se transformer facilement après la fin de leurs régimes communistes.
L’application des trois variables proposées par Claus Offe au cas tchèque et bulgare
démontre le besoin de rechercher de nouvelles variables pour expliquer la différence de
transformation. Si la République tchèque et la Bulgarie ont dû faire face aux questions de
l’introduction de la démocratie et de l’économie de marché, la question des frontières fut
réglée pendant l’entre-deux-guerres, considérant que la scission de la Tchécoslovaquie fut
effectuée en accord avec les deux parties et pacifiquement.
En s’intéressant à la période de l’entre-deux-guerres, nous avons remarqué que la
variable
historique
mais
aussi
économique
avait
une
importance
capitale
dans
la
transformation des deux pays et qu’elle prédisait la tournure des événements post 1989. Deux
modèles de régime politique et deux modèles d’économie se font face : d’un côté la république
démocratique stable tchécoslovaque à l’industrie florissante et de l’autre le régime tsariste
autoritaire à l’instabilité politique croissante et à l’économie encore essentiellement agraire.
En parallèle, l’étude sur le long des deux régimes communistes révèlent des différences
majeures entre les deux pays. Il y a, d’un côté, la Bulgarie, grand pays fidèle du « tsar
libérateur » russe et de l’autre, il y a la Tchécoslovaquie qui essaya de réformer le régime
autoritaire voire dictatorial communiste en 1968 et qui subit l’invasion des troupes du Pacte de
Varsovie. Cette étude explique aussi la fin des régimes communistes avec une Révolution de
Velours d’un côté et de l’autre une Révolution de Palais. Le régime tchécoslovaque en effet
s’effondre alors que le régime bulgare prend fin de manière contrôlée.
66
Une autre variable est aussi à prendre en compte dans la fin des régimes communistes :
la variable des acteurs nationaux. Là aussi, cette variable marque la différence de
transformations des deux pays. La Tchécoslovaquie, depuis les années 1960 jusqu’à 1989,
avait un vivier de personnalités notamment de la Charte 77 et du Comité pour la défense des
personnes injustement accusées qui continua ses actions même sous la normalisation alors que
la dissidence bulgare ne se fit connaitre qu’à partir du milieu de l’année 1989.
La dernière variable essentielle est celle des acteurs transnationaux et dans les deux cas
présents, il s’agit de l’Union Européenne. Avec un pouvoir de réformes impressionnant,
l’Union Européenne participe, par l’octroi du statut de candidat, à la réussite de la
transformation. Pour autant, son rôle a été disparate dans les pays car l’UE a d’abord investi et
ouvert les négociations avec les pays qui avaient déjà une conditionnalité démocratique
certaine, dont la République tchèque mais pas la Bulgarie. La Bulgarie a donc pu bénéficier de
l’expertise communautaire plus tardivement ce qui ralentit aussi sa transformation : cela forme
comme un cercle vicieux, qui au final, s’est soldé par une adhésion plus tardive en 2007.
Aujourd’hui, les deux pays sont membres de l’Union Européenne et on peut considérer
qu’ils ne sont plus en « transformation mais en évolution » comme l’affirme Son Excellence,
Jean-Pierre Asvazadourian Ambassadeur de France en République, Comme Monsieur
l’Ambassadeur l’a souligné pour le cas de la République tchèque, ces deux sociétés, plus de 25
ans après la fin des régimes communistes, ont encore des défis à relever dans plusieurs
domaines. Un des défis communs aux deux pays reste le problème de la corruption et du
« recyclage » des élites communistes dans le domaine politique et économique. D’après
Transparency International, la République tchèque se classe 53ème avec un score de 51
concernant la corruption alors que la Bulgarie se classe 69ème avec un score de 43120 . Les deux
pays font encore régulièrement face à des scandales de corruption au plus haut niveau. Dans le
cas tchèque, il s’agit d’un cas de corruption politique avérée impliquant son Premier Ministre
Petr Necas qui démissionna de ses fonctions en 2013121 . En Bulgarie, c’est le chef de la police
120
121
https://www.transparency.org/cpi2014/results
http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/06/16/demission-du-premier-ministre-tcheque-apres-un-scandale-
de-corruption_3431028_3214.html
67
anti-mafia, Stanimir Florov, qui fut accusé (une nouvelle fois) en 2013 de corruption et qui
démissionna de son poste122 .
122
http://www.lefigaro.fr/international/2013/04/21/01003-20130421ARTFIG00209-en-bulgarie-le-chef-de-la-
police-antimafia-demis-pour-corruption.php
68
INDEX NOMINUM
ASH, Garton, 19
ASVAZADOURIAN, Jean-Pierre, 30, 56
BENES, Edvard, 10, 13, 30, 31 32,
BORIS III de BULGARIE 34, 35
BOULINEAU, Emmanuelle, 24
CERNIK, Oldrich, 18
DUBCEK, Alexandre, 17, 24
FERDINAND I de BULGARIE, 34
FLEISCHMANN, Ivo, 24
FLEISCHAMNN, Michel, 24, 26, 27
FLOROV, Stanimir, 56
GOTTWALD, Klement, 10, 11
GUEORGUIEV, Kimon, 35
HAVEL, Vaclav, 19, 24, 26, 27, 45
HEYDRICH, Reinhard, 10
HITLER, Adolf, 35, 41
HUSAK, Gustav, 19, 26
JELEV, Jeliou, 27, 28
JIVKOV, Todor, 18, 20, 21, 22, 23, 27, 28
KADAR, Janos, 19
KIOSSANOV, Gueorgui, 35
KIURANOV, Deyan, 20, 21, 22, 23, 25, 28
KLAUS, Vaclav, 27
KLEMENT, Vaclav, 37
KUNDERA, Milan, 19, 24
LAURIN, Vaclav, 37
LIAPTCHEV, Andreï, 35
MASARYK, Tomas Garrigues, 30, 32
MECIAR, Vladimir, 16
69
MLADENOV, Petar, 23, 27, 28
NAZARBAÏEV, Noursoultan Äbichouly, 16
NECAS, Petr, 55
NOVOTNY, Antonin, 17
PAPAGOS, Alexandre, 34
SIROKY, Viliam, 10
SKANSKY, Rudolf, 33
STAMBOLIJSKI, Alexandre, 34, 42
STEFANIK, Milan, 31
SVEHLA, Robert, 36
SVOBODA, Ludvik, 17
TCHERVENKOV, Valko, 14
URBAN, Jan, 26
WALESA, Lech, 24
70
LISTE DES SOURCES
www.cairn.info
www.persee.fr
www.theses.fr
www.catalogue.biu-toulouse.fr
www.ladocumentationfrancaise.fr
www.czso.cz
www.nsi.bg
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www.eur-lex.europa.eu
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Documents internes de Business France Prague
71
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l’Institut Pierre Renouvin, 2013, 2013/1, n° 37, p. 141-152
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« Monitoring,
Money and Migrants :
Countering Post-Accession Backsliding in Bulgaria and Romania », Europe-Asia Studies,
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OFFE Claus, « Vers le capitalisme par construction démocratique ? La théorie de la
démocratie et la triple transition en Europe de l’Est », Revue française de science politique,
1992, vol. 42, n°6, p. 923-946
POP-ELECHES Grigore « Historical Legacies and Post-Communist Regime Change »,
The Journal of Politic, 2007, vol. 69, n°4, p. 908-926
SCHIMMELFENNIG Frank « The Community Trap: Liberal Norms, Rhetorical Action,
and the Eastern Enlargement of the European Union”, International Organization, 2001,
vol.55, n°1, p. 47-80
SEDELMEIER Ulrich, « Europeanisation in new member and candidate states », Living
Reviews in European Governance, Vol. 6, (2011), n° 1, 52 pages
74
LISTE DES ANNEXES
LISTE DES PERSONNES ENQUETEES ............................................................................76
ENTRETIENS..........................................................................................................................79
75
LISTE DES PERSONNES ENQUETEES
Ici seront données seulement les noms des enquêtés qui ont accepté de les faire
apparaitre dans ce mémoire.
Son Excellence Jean-Pierre Asvazadourian,
Diplômé de l’ESSEC et de la Chambre de
Ambassadeur de France en République
Commerce espagnole, Monsieur
tchèque
l’Ambassadeur débuta sa carrière en
administration centrale. Il fut nommé à
l’Ambassade de France de Prague en 1989
jusqu’en 1993. Il occupa les postes de
Troisième Secrétaire, puis Deuxième
Secrétaire et enfin Premier Secrétaire. Il fut
ensuite nommé à Londres et à Copenhague
pour revenir dans l’administration centrale.
De 2009 à 2013, il fut Ambassadeur de
France en Argentine et en 2013 il fut nommé
Ambassadeur de France en République
tchèque123 .
Docteure Emmanuelle Boulineau
Maitre de conférences en géographie à
l’Ecole Normale Supérieure de Lyon,
chercheuse en délégation au Centre National
de Recherches Scientifiques. Ses domaines
de recherches sont
-
La géographie politique de l’Union
européenne, l’européanisation et la
gouvernance territoriale à l’Est de
l’Europe
123
La France en République tchèque http://www.france.cz/Biographie-de-M-Jean-Pierre
76
-
L’élargissement de l'UE aux Balkans,
les voisinages européens de la Mer
noire
-
Les systèmes territoriaux et maillages
administratifs : enjeux, réformes
-
Et la coopération territoriale en
Europe.
Sa thèse de doctorat portait sur les maillages
administratifs et la gestion du territoire en
Bulgarie en en donnant une lecture
géographique124 .
Michel Fleischmann
Fils du diplomate tchécoslovaque Ivo
Fleischmann, Michel Fleischmann est né à
Prague en 1952. En 1969, son père demande
l’asile politique à la France. Michel
Fleischmann a étudié à la Sorbonne et en
1989, il est revenu dans son pays natal. De
formation journalistique, il est aujourd’hui le
président du groupe de médias Lagardère
Active Internationale en République
Tchèque, qui couvre plusieurs grandes
stations de radio tchèques. Il est membre du
Conseil de l'Association de la Radiodiffusion
Privée (APSV) et a été élevé au rang de
Chevalier de "l’ordre des Arts de la
République française".
Autres enquêté(e)s
Tous(tes) les enquêté(e)s sont né(e)s entre
1978 et 1991 et viennent soit de Bulgarie soit
124
Ecole Normale Supérieure de Lyon http://ens-lyon.academia.edu/EmmanuelleBoulineau/Curricu lu mVitae
77
de République tchèque. Tous(tes) ont
séjourné à l’étranger ou y séjournent encore
dans le cadre de leurs études et parlent donc
plusieurs langues étrangères. Les pays où ils
séjournent ou ont séjourné sont l’Allemagne,
la Finlande et la France. Certains détiennent
un titre de master et certains sont en train
d’étudier pour obtenir ce diplôme.
78
ENTRETIENS
Entretien avec Son Excellence, Jean-Pierre Asvazadourian, Ambassadeur de France en
République tchèque :
« D’après votre biographie sur le site de l’ambassade de France, vous avez été en poste à
l’Ambassade de 1989 à 1993. Pourriez-vous préciser la date exacte de votre prise de poste en
1989?
Fin décembre 1989 – fin janvier 1991 mais je connaissais la Tchécoslovaque avant,
ayant fait des stages de langue.
En tant que Français, vous êtes donc arrivés dans un contexte de changement de société
profond, que ce soit au niveau économique, politique ou social, comment l’avez-vous ressenti?
C’était un moment d’ébullition tchèque, slovaque et aussi européen. C’était un moment
historique qu’on était en train de vivre depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Le pays
fut de suite confronté à plusieurs questions : la transformation politique et économique et les
impacts que ces transformations auraient sur la société. Ces questions appelaient à des choix
immédiats. Il fallait remplacer les structures anciennes par de nouvelles. La particularité de
la Tchécoslovaquie par rapport à ses voisins polonais et hongrois est que le pays n’avait
jamais recouru à la méthode de la privatisation dans le passé. Juste après la Révolution de
Velours, le retour en Occident par l’UE et l’OTAN fut souhaité : le pays dans son histoire a
toujours fait partie des puissances occidentales ex : Charles IV.
La problématique de la partition s’est aussi posée avec la question de la mise en place
d’un régime fédéral. Cette question a soulevé d’autres problèmes, dont notamment des débats
sur le nom de la nouvelle république et avec la fameuse guerre du trait d’union. Au niveau
économique, le plan adopté changea considérablement l’économie avec une privatisation par
coupons et des conseils économiques composés d’experts américains. La population devait
aussi repenser sa place dans ce nouveau monde élargi. La population a aussi récupéré tout un
patrimoine culturel oublié ou interdit pendant le communisme.
79
La clé de succès de la transformation tchèque tient dans la période démocratique des
années 1920, qui est revenue dans l’esprit des gens en 1989. La Tchécoslovaquie a toujours
été un pays progressiste, laïc et économiquement prospère. 80% de l’industrie austrohongroise était en Bohême Moravie. Le pays avait donc connu une période de prospérité
économique et politique. Durant le communisme, la répartition économique au sein du
COMECON faisait que la Tchécoslovaquie fut un pays très industriel comme la RDA et avait
un niveau de vie plus élevé.
Le PC est resté fort car la classe ouvrière était importante en Tchécoslovaquie. C’est
d’ailleurs intéressant de voir que le PC n’a pas changé de nom.
Vous avez donc été nommé en 2013 à Prague une nouvelle fois, 20 ans après. Là aussi,
quel a été votre ressentiment général? Le pays a-t-il à vos yeux changé?
La différence est qu’avant, c’était un moment historique qui était en train de se passer et
en 2013, c’était dans un sens la « normalité ». L’économie s’est rapprochée des autres
économies de l’Ouest, le pays a profité des apports de l’UE, il est devenu compétitif, les
débats posés dans la société sont ceux que le reste de l’Europe et du monde se posent ex :
comment garder des industries dans un monde globalisé. Les gens sont aussi différents, une
nouvelle génération de personnes est née qui part à l’étranger.
La transformation des pays ex-communistes a été d’un genre très particulier et n’avait
rien à voir avec les transitions de l’Europe et de l’Amérique du Sud puisqu’ici on a aussi un
changement de modèle économique. Claus Offe parlait de dilemme de la simultanéité. Des
études sont allées plus loin et ont fait un distinguo entre les pays satellites de l’URSS et les
pays républiques soviétiques. Ces études ont montré que les pays ayant eu déjà un appareil
d’Etat formé comme les pays satellites ont réussi leur transformation. Pensez-vous qu’il y a eu
une tabula rasa du passé communiste en République tchèque ou est-ce que finalement ce passé
a quand même servi?
Il n’y pas eu de tabula rasa car il y avait beaucoup de personnes formées en
Tchécoslovaquie.
80
En 1993, le pays n’était pas encore membre de l’Union Européenne, saviez-vous que son
entrée serait si rapide? Dans quelle mesure pensez-vous que le statut de candidat puis de
membre a contribué à sa transformation?
Le statut de candidat a contribué à sa transformation. La transformation économique a
été rapide avec une concentration du pouvoir économique et le rôle de l’Ouest a été
considérable dans l’assistance donnée au pays. Cela a permis de diminuer le différentiel.
Cette remise à niveau des PECO a permis aussi de donner un nouvel élan à l’UE et de faire
un nouveau traité.
Pensez-vous que la transformation du pays est complète? Si non, que reste-t-il encore?
Le pays n’est plus en transition mais en évolution. Il reste des sujets à améliorer comme
la corruption, la gestion des fonds européens, une loi-cadre sur la fonction publique,
l’amélioration des infrastructures de transport. »
81
Entretien avec Madame la Professeure Emmanuelle Boulineau, maitre de conférences en
géographie, spécialiste de la Bulgarie :
« D’après vous, est-ce que la transformation de la Bulgarie est terminée? Par rapport aux
autres pays d’Europe centrale et de l’Est? Sinon, quels secteurs sont encore en retard?
Il y a plusieurs types de transition. On pensait que par le chemin de la transition, les
pays post-communistes adopteraient un système politique et économique libéral. Or ce chemin
ne fut pas linéaire, on ne peut pas appliquer un seul modèle à tous ces pays. Il n’y a pas de
question de retard ou d’avance, cela n’a pas de sens. En Bulgarie, il y a effectivement des
choses non achevées. On peut penser au problème de la corruption encore très présent ou
encore le problème de la réforme du système judiciaire qui n’est toujours pas faite (elle est
rythmée par différents scandales et démissions et la justice n’est pas indépendante). Mais au
niveau de l’économie, la Bulgarie est très vite passé dans un système économique libéral
capitaliste avec une vague de privatisations très importante et très rapide, comme le domaine
de la téléphonie.
La Bulgarie n’a jamais vraiment connu avant 1989 un vrai régime démocratique dans
son histoire, contrairement à la République tchèque, pensez-vous que cela a eu un impact dans
la transformation post-communiste du pays?
La Bulgarie a été longtemps dans l’Empire Ottoman, le pays a été marqué par de
grandes ruptures. La Russie a libéré les Bulgares du joug ottoman, c’est le “tsar libérateur”.
Le régime n’a jamais été vraiment démocratique et il serait intéressant de comparer les
périodes d’entre-deux-guerres. Si on reste sur la comparaison des systèmes socialistes, la
Bulgarie n’a pas bénéficié de beaucoup de dissidence, c’est justement ce que les Bulgares
mettent en avant pour expliquer les différents problèmes qu’ils ont encore à régler découlant
de la chute du communisme.
Est-ce que le facteur religieux joue?
La Bulgarie orthodoxe peut naturellement se sentir plus proche de la Russie que la
Tchécoslovaquie.
82
L'européanisation et l'obtention du statut de candidat a poussé de nombreux PECO à
conduire de grandes réformes sur un temps court, malgré comme vous le dites dans votre
papier, des "injonctions européennes parfois imprécises". Pensez-vous que l’entrée de la
Bulgarie dans l’UE en 2007 a été faite au bon moment ou est-ce que le pays manquait encore
de réformes? Ou est-ce que le pays fut prêt avant 2007?
La puissance transformatrice de l’UE n’est pas linéaire. La question ici est de savoir si
adhérer à l’UE relève d’un processus d’adoption de l’acquis communautaire ou d’un
processus politique de construction européenne. La Bulgarie voulait entrer et bénéficiait d’un
soutien inconditionnel de tous ses partis politiques, il n’y avait pas de polarisation,
contrairement à la République tchèque. Cette entrée fut un très grand pas à accomplir pour la
Bulgarie. En parallèle de l’UE, c’est l’adhésion à l’OTAN qui fut aussi primordiale pour les
pays post-communistes afin de se protéger du joug russe.
En 2001, les visas furent abolis pour circuler au sein de l’UE. Cette décision fut
interprétée par les Bulgares comme la libre circulation, un enthousiasme fort avait suivi cette
décision mais il est retombé. Au final, la Bulgarie n’est rentrée qu’en 2007. De plus, les cinq
pays post-communistes qui ont entamé en premier les négociations en vue de l’adhésion ont
presque stigmatisé la Bulgarie et la Roumanie en se démarquant le plus possible. Tous ces
nouveaux entrants sont en fait partis en ordre dispersé au début des années 1990 et se sont
fait concurrence.
La Bulgarie fut un allié fidèle de Moscou pendant le communisme, le pays n’a jamais
été envahi par la Pacte de Varsovie car le pays n’a pas connu de révolution ou de révolte
comme dans d’autres pays comme la Tchécoslovaquie ou la Hongrie. Les personnes qui ont
participé à ces révolutions étaient au premier plan en 1989 comme Vaclav Havel. Est-ce que la
Bulgarie avait une élite en nombre suffisant prête à prendre le pouvoir et transformer le pays?
En quoi cela a-t-il joué dans la transformation? Est-ce que les élites (politiques, économiques,
culturelles) ont changé depuis la fin de 1989 ou y a-t-il beaucoup de communistes
“reconvertis”? Cela a-t-il une influence sur la transformation du pays?
Jeliev, premier président post-communiste, était dissident et donc bénéficiait d’une autre
légitimité. En Bulgarie, les années 1990 étaient marquées par un clivage pro-communiste et
anti-communiste (dont certains venaient de l’ancien camp socialiste). La Bulgarie n’a pas pu
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compter sur la société civile. A ce niveau-là, la transition a été lente. Les élites bulgares
étaient pour certaines à l’étranger et sont revenues comme Passi (Ministre des Affaires
Etrangères) ou encore le tsar qui fut Premier Ministre et a ensuite disparu. L’instabilité
gouvernementale en Bulgarie est encore forte avec un Premier Ministre qui vient des services
secrets communistes.
Après il est vrai qu’un cinquième de la population bulgare est à l’étranger et que les
jeunes aspirent ou sont poussés par leur famille à partir à l’étranger. Si cette génération
formée est une perte pour le pays, cela ne veut pas dire qu’ils ne reviendront jamais quand le
pays connaitra enfin une stabilité politique, un retour de la croissance et une justice
indépendante.»
84
Entretien avec Michel Fleischmann :
« Votre père était diplomate tchécoslovaque en poste à Paris. En 1969, il a fait une
demande d’asile politique en France. Sa demande faisait suite au Printemps de Prague et à
l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie. Si ce n’est pas trop indiscret, qu’a motivé la
décision de votre père ?
Mon père a un peu tardé dans sa décision. En contact permanent avec le ministre des
affaires étrangères et ami, Hajek, il était encore possible, après l’invasion, de demander à
rester à l’Ambassade. La raison en était simple, ou bien l’intervention serait courte et il y
aurait un retour "à la normale" ou bien, l’idée existait qu’il pourrait y avoir un gouvernement
en exil, le plus probablement à Paris. Je ne pense pas que mon père y croyait vraiment mais il
acceptait la volonté, bien naïve, de Hajek et de Dubcek. N’oublions pas que l’Ambassadeur
était Pithart, lui-même acquis aux mêmes idées. Pithart a été rapidement rappelé à Prague et
n’est plus revenu à Paris. Puis, je crois, qu’en novembre 1969, l’équipe de Dubcek était
définitivement remplacée par les gens de Husak. Pour mon père, c’était le signal qu’il fallait
en arrêter là. Ce qui l’a définitivement décidé, en dehors du refus de servir en tant que
diplomate le nouveau régime, c’était la décision de ma mère de rester en France. Pour ma
mère, le moment décisif a été un coup de fil d’un ami de mes parents, l’écrivain Vercors qui
venait de rentrer de Prague. Vercors y avait reçu l’information que mon père figurait sur la
liste des gens à arrêter dès que possible.
Mon père était proche des gens de la diplomatie française, Malraux et autres, qui l’ont
assuré d’un bon accueil. Il était le premier diplomate tchécoslovaque à rester en France. Ca a
fait du bruit. (Cela dit, l’aide était pour ainsi dire par la suite presque nulle).
85
A la chute du communisme vous êtes rentré en Tchécoslovaquie, quel a été votre
sentiment quand vous êtes revenu pour la première fois dans votre pays natal?
Je suis revenu sans l’idée de rester. J’avais à Paris un travail que j’aimais à France
Culture, et la direction a accepté que je fasse un reportage sur " le retour" et me voilà parti.
Dès le passage de la frontière, une totale désillusion m’envahit. Face à mes rêves colorés,
nourris pendant 25 ans, je ne voyais que grisaille. Un choc. Des larmes. Puis ça allait mieux,
j’ai revu ma famille, mes amis. Comme s’il ne s’était passé que quelques semaines. Nos
conversations reprirent là où elles s’étaient arrêtées en 1969. J’ai fait mon reportage. Puis
m’est venue l’idée de faire une radio à Prague. Au Quai d ´ Orsay, il m’a été proposé
d´étudier la possibilité d’une radio bilingue franco-tchécoslovaque. Je suis retourné à Prague.
L’idée avait du sens mais cela allait prendre du temps. Dans l’avion pour Prague, je reçus
une autre proposition, celle de Martin Brisac de chez Lagardère, directeur d’Europe 2. Il
allait à Prague pour annoncer la création d’une radio musicale pour les jeunes dans le cadre
d’un accord avec la Radio Tchécoslovaque et il cherchait un directeur. J’avais le portrait
idéal: je savais faire de la radio, je sortais du service public, je parlais tchèque, je connaissais
pas mal de gens... Je n’avais pas encore accepté et voilà que mon Martin annonce ma
nomination. Quinze jours plus tard, après un fort court passage à Paris, je me suis retrouvé
dans une chambre de chez ma tente avec le titre de Directeur Général et avec le but de mettre
un peu de couleurs dans cette tristesse des rues grises, des habits d’une autre époque et dans
une musique déjà oubliée.
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Est-ce que vous saviez que vous rentreriez un jour en Tchécoslovaquie?
Au début de l’émigration oui, puis on n’y pense plus. On se bat pour faire passer des
choses - informations sur l’état des choses, rappeler la culture tchécoslovaque, parler des
Tchèques et des Slovaques - et on sait ce que l’on fait, ce n’est qu’aider. On ne pense pas à
soi, on ne pense plus à ce que cela pourra changer. Puis viennent les évènements de Varsovie,
puis de Berlin et effrayés, on attend quand est ce que, Bon Dieu, ça bougera enfin aussi en
Tchécoslovaquie. Puis cela arrive et on y va, comme je l’ai déjà dit, s’en penser que cela
devrait être un retour. Non, juste pour voir, en être. Ce n’est qu’après que l’occasion fait
qu’on se retrouve de retour.
Autour de Vaclav Havel et de la Charte 77, il y avait toute une génération qui était
contre le pouvoir communiste, certains ont même connu les conséquences néfastes de
l’autoritarisme du régime tchécoslovaque. Vous avez fait des études de lettres et vous vous
êtes dirigé dans les médias et plus particulièrement dans la radio. Etant que journaliste radio,
peut-on dire, dans un sens, que vous faisiez partie de cette génération prête à jouer un rôle clé
et à remplacer les élites communistes?
Je n’étais pas vraiment journaliste dans le sens propre du terme. Je faisais des
émissions de radio, des spectacles sur la poésie tchèque (à Beaubourg), j’organisais des
expositions, traduisais et écrivais. Tout sous un angle culturel ou bien évidemment la situation
politique jouait son rôle. Je n’ai jamais pensé à jouer un rôle politique et encore moins
remplacer quiconque. Je prenais cela comme un devoir évident. Parfois pesant car
m’empêchant de me lancer avec un but dans, par exemple, la littérature française. Non, il y
avait une logique familiale, un statut de réfugié politique. En premier, défendre la culture de
mon pays et refuser l’oppression. Même quand je suis devenu français, ce poids ne m’a pas
lâché. Quand rentré à Prague, il y avait des gens comme par exemple à la direction de la
radio d’Etat qui m’agressaient avec des déclarations du genre: « si tu crois que tu vas nous
remplacer, tu te trompes ». Je ne voulais remplacer personne, je voulais seulement faire de la
radio, celle qui amusera, apportera de la modernité et de la bonne musique qu’une telle radio
commerciale peut apporter. Cela avait du succès. C’est vrai que j’étais, à mon avis, à cause
de ce succès, souvent sollicité aux postes politiques. A l’époque on personnalisait tout. Je
n’avais pas cette ambition. Pour moi un engagement dans la politique dans un sens exécutif,
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c’est-à-dire dans une Realpolitik, ne peut se faire qu’avec une idée idéologique et
l’acceptation des règles strictes du système politique. Mon attitude est plutôt créatrice,
culturelle que celle de fonctionner dans une structure politique. Mes amitiés parmi les
politiques viennent de ce constat. Je restais dans ce que je savais faire de mieux, gérer des
radios et les medias.
Pensez-vous que la présence de cette génération a aidé à la transformation rapide du
pays?
Plus encore, si ces intellectuels viennent du théâtre. Si les "obrozenci" étaient des
littéraires et des gens du théâtre, ici c’est très semblable. Ce sont des gens qui savent monter
un spectacle, lui donner un rythme, des chapitres ou des actes. Oui, ils sont allés très vite, au
début, la salle leur était vite acquise. Artistes, ils savaient formuler la liberté. Le hic vient du
fait que le théâtre, la littérature, le cinéma, l’art, ce n’est pas de la politique. Une pièce de
théâtre a une fin, comme un roman ou un film. La politique est sans fin. C’est là qu’il ne faut
pas être déçu de ce qui se passe maintenant. C’est du politique comme ailleurs. Normal.
Quand on dit show must go on, c’est vrai mais ce n’est plus de l’original mais du show
politique. Je rappelle que la Tchécoslovaquie a été le premier pays post communiste à se doter
d’une loi sur les radios et télévisions, mettant en place un système dualiste – d’un côté le
service public, de l’autre les médias privés. J’y étais, j’en étais et les gens avec qui on
l’écrivait étaient des chanteurs, musiciens, théâtreux et gens de radio. D’accord peut-être, si
on voulait être un peu critique, des « pseudo-intellectuels ». Intellectuels quand même.
Vous êtes revenu dans le pays à une période clé de son histoire, sa transformation. Pour
vous quels étaient les atouts de la Tchécoslovaquie pour réussir cette transformation?
En beaucoup parce qu’elle avait ce que je viens d’écrire plus haut, des philosophes, des
écrivains, des théâtreux, des cinéastes et des sportifs de renom. Une histoire décrite et assez
bien "vendue" à l’étranger. Des Forman, des Kundera, des Lendl et autres Navratilova. Cela
compte. Le reste est la richesse naturelle du pays, une industrie vieillissante mais toujours
fonctionnelle. Puis toute une génération de gens fonctionnant à de hauts postes industriels et
économiques qui savaient faire. Tous membres du Parti Communiste et aucun d’eux
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communistes. Seulement pour faire carrière, gagner de l’argent et souvent faire valoir ses
capacités, quand on était qu’un peu courageux, cela ne pouvait pas être autrement. Si ceux-là
avaient rien qu’un peu d intellectualisme des théâtreux dont je viens de parler plus haut, la
révolution aurait été plus tôt.»
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Entretiens avec des personnes de nationalité bulgare :
Entretien n°1
« Quelle est votre date de naissance?
10/08/1991
Aspirez-vous à aller étudier à l’étranger et/ou travailler à l’étranger? Ou êtes-vous déjà à
l’étranger ? Pourquoi?
J’ai choisi d’aller étudier en Allemagne car en Bulgarie je prenais des cours de langue
de langue allemande dans une école allemande. Puis, il s’est avéré que j’aimais ce pays et son
système éducatif.
Si vous êtes déjà à l’étranger, pensez-vous rentrer un jour en Bulgarie?
Oui, je prévois de rentrer en Bulgarie quand j’aurai fini mes études car je veux être
avec ma famille et je veux essayer d’être utile d’une certaine manière à mon pays.
Pensez-vous que la Bulgarie a terminé sa transformation? Sinon, quels sont les domaines
qui ne le sont pas?
Non, parce que les politiques venant du système communiste sont toujours impliqués
dans le nouveau système. Aussi, le système politique n’a pas du tout changé depuis la
transition vers la démocratie.
Selon vous, quelle est la place de la Bulgarie parmi les pays d’Europe centrale et
orientale ?
Le pays le plus pauvre et le plus corrompu parmi les pays de l’Union Européenne.
Comment avez-vous vécu l’entrée du pays dans l’Union Européenne?
Plus besoin de visa pour voyager, il était donc plus facile de postuler pour des
universités étrangères.
90
Pensez-vous que la Bulgarie aurait dû rentrer en 2004 comme les autres pays d’Europe
centrale? Pourquoi?
Oui, parce qu’en 2004, le gouvernement était stable et ceci jusqu’en 2012.
Selon vous, à quoi est dû ce retard dans l’intégration dans l’Union Européenne comparée
à l’intégration d’autres pays qui comme la Bulgarie ont connu le communisme et qui eux sont
rentrés plus tôt?
Le système judiciaire et le manque de réformes.»
Entretien n°2
« Quelle est votre date de naissance?
13/10/1991
Aspirez-vous à aller étudier à l’étranger et/ou travailler à l’étranger? Ou êtes-vous déjà à
l’étranger ? Pourquoi?
Afin de connaitre une autre culture et afin d’avoir de meilleures opportunités d’emploi
(Allemagne).
Si vous êtes déjà à l’étranger, pensez-vous rentrer un jour en Bulgarie?
Oui, afin d’être avec ma famille.
Pensez-vous que la Bulgarie a terminé sa transformation? Sinon, quels sont les domaines
qui ne le sont pas?
Non, je ne pense pas. La réponse est trop longue. Pour faire court : la corruption est
toujours forte, les personnes du régime communiste sont toujours sur la scène politique et la
manière de penser des gens n’a pas changé pour une manière de penser capitaliste et
individualiste.
91
Selon vous, quelle est la place de la Bulgarie parmi les pays d’Europe centrale et
orientale ?
Le plus pauvre de tous, le moins important.
Comment avez-vous vécu l’entrée du pays dans l’Union Européenne?
J’étais très positif par rapport à cette adhésion.
Pensez-vous que la Bulgarie aurait dû rentrer en 2004 comme les autres pays d’Europe
centrale? Pourquoi?
Non, je ne pense pas. Cela aurait aggravé la crise économique dans laquelle nous
sommes.
Selon vous, à quoi est dû ce retard dans l’intégration dans l’Union Européenne comparée
à l’intégration d’autres pays qui comme la Bulgarie ont connu le communisme et qui eux sont
rentrés plus tôt?
La Bulgarie est le pays le plus pauvre de tous les pays ex-communistes. »
Entretien n°3
« Quelle est votre date de naissance?
1984
Aspirez-vous à aller étudier à l’étranger et/ou travailler à l’étranger? Ou êtes-vous déjà à
l’étranger ? Pourquoi?
J'ai déjà étudié en Suisse en tant qu'étudiante Erasmus et j'ai travaillé en Suisse durant
mon séjour là-bas. Etudier et travailler à l'étranger, cela me passionne, comme l'expérience
acquise m'a toujours servie et me sert encore pour mieux me positionner dans le domaine
professionnel.
92
Si vous êtes déjà à l’étranger, pensez-vous rentrer un jour en Bulgarie?
/
Pensez-vous que la Bulgarie a terminé sa transformation? Sinon, quels sont les domaines
qui ne le sont pas?
Non, je ne le pense pas. On peut parler ici des domaines comme la justice, les conditions
des infrastructures - mais en fait ce n’est pas la peine - le plus important, c'est pourquoi on
tourne en rond dans ces domaines ou dans d'autres. On ne tourne pas en rond parce qu'on est
bêtes. Si on tourne en rond, c'est parce qu'il y a une autre transformation à faire qui n'a pas
eu lieu. La société bulgare est imprégnée par les façons de faire d'avant 1990 et par les
relations, arrangements et jeux des fils et filles des gens qui étaient à la tête du régime
autrefois. La reprise du pouvoir par des gens proches de ces derniers a été programmée et
effectuée en cachète, à l'ombre de la connaissance du grand public, en se servant d'un
paravent de démocratie. Il y a une élite fermée d'''illuminati'' qui se connaissent, qui sont
toujours les mêmes, avec peu d’exceptions, qui sont bien éduquées et renseignées et même s'ils
avaient quelques bonnes idées au départ, ils ont vite compris les règles du jeu et savent que
s'ils ne s'y conforment pas, le système va les rejeter. Donc une vraie transformation aura lieu
quand encore quelques générations de celles liées à la période 1944-1990 seront mortes. Et je
mets une réserve à cela aussi, car peut-être là, il sera trop tard pour rendre entre les mains de
gens patriotes et prudents ce qui a été vendu, donné à exploiter en concession etc. à des fins
d'enrichissement personnel.
Selon vous, quelle est la place de la Bulgarie parmi les pays d’Europe centrale et
orientale ?
Je ne les connais pas bien. Je n'ai presque pas eu de contacts avec des ressortissants de
ces pays. Je crois (je crois seulement) que nous sommes assez proches de la Roumanie, de la
Slovaquie (ou j'ai fait un séjour très bref) mais un peu moins de la Pologne, de la République
tchèque, ou de la Slovénie par exemple. Là où il y a une différence, c'est dans les montants des
salaires, je crois surtout avec les pays allant plus vers le Nord. Je ne pourrais pas m'exprimer
en termes de vie politique actuelle dans ces pays.
93
Comment avez-vous vécu l’entrée du pays dans l’Union Européenne?
J'étais contente parce que je pouvais dorénavant voyager sans visa en Europe, mais à
l'époque je ne m'intéressais pas à d'autres aspects de l'intégration et honnêtement je ne les
remarquais pas. Par la suite, je me suis rendue compte que cela est très utile si on est
scientifique ou universitaire en termes d'opportunités pour des spécialisations, des échanges
et des projets communs avec des collègues d'autres pays membres. Cela reste l'aspect qui
m'intéresse, sinon l'intégration européenne porte pour moi le signe des expériences faites en
termes de financements européens et l'idée qu'il a fallu et qu'il faut mieux faire dans ce
domaine.
Pensez-vous que la Bulgarie aurait dû rentrer en 2004 comme les autres pays d’Europe
centrale? Pourquoi?
Je ne crois pas que la discussion sur la possible adhésion en 2004 serve à quelque
chose; deux ou trois ans ne font pas une grande différence pour moi. Cela a été surement fait
quand c'était possible, en tenant compte des engagements pris et des négociations faites. Je ne
pense pas que le fait de ne pas avoir adhéré avec les pays d'Europe centrale agace en
Bulgarie ou pose un problème pour la plupart des gens.
Ceci dit, j'apporte la précision que je m'intéresse beaucoup plus aux pays qui sont hors
de l'Union Européenne, à la Suisse, aux pays de l'Asie et de l'Afrique, et même si j'ai toujours
suivi le débat autour de l'adhésion, je ne suis pas une spécialiste en études européennes ou en
européanisation.
Selon vous, à quoi est dû ce retard dans l’intégration dans l’Union Européenne comparée
à l’intégration d’autres pays qui comme la Bulgarie ont connu le communisme et qui eux sont
rentrés plus tôt?
Les particularités bulgares sont à l'origine de cela. Il a fallu arriver au bout d'un
chemin avant de pouvoir entamer les discussions à ce sujet. Chez nous, il y a eu des
phénomènes différents par rapport à ceux en Europe Centrale. Les pays de l'Europe centrale
avaient une culture différente et des influences différentes en comparaison avec la Bulgarie.
Ici, il y avait une plus forte propagande, des possibilités beaucoup plus restreintes de
réalisation personnelle ou par exemple de pratiquer une petite activité lucrative en privé, une
94
oppression majeure de toute initiative privée ou individualiste, une favorisation constante des
enfants et des chéris des élites, le chemin au succès constamment coupé pour beaucoup de
penseurs et académiciens libres et innovants. La situation géographique joue un rôle
également: nous étions privés de contact avec l'Occident; entourés par quelques régimes
similaires; constamment malmenés par les intérêts de la Russie et de l'URSS. Si vous voulez
chercher les origines encore plus loin, tout est de la géopolitique ici - des traités conclus avec
les forces dominantes comme la Grande Bretagne, la France ou l'Allemagne ont souvent
cherché à nous déstabiliser et n'ont pas été en notre faveur. La vérité est que depuis notre
''libération'' en 1878, personne n'a intérêt d'avoir une forte Bulgarie ici - cette région et
beaucoup trop stratégique, avec la Turquie à côté, avec les ex -républiques soviétiques de
l'autre côté de la Mer Noire, avec le chemin des gazoducs dans l'avenir, avec la distance à
l'Iraq, l'Iran et cette partie de l'Asie pas très grande. Nous sommes dans une situation difficile
ou les Etats-Unis, la Russie, mais aussi des acteurs européens veulent avoir un certain
contrôle sur la Bulgarie ou se servir d'elle à leurs fins respectives. »
95
Entretiens avec des personnes de nationalité tchèque :
Entretien n°1
« Quelle est votre date de naissance?
1988
Aspirez-vous à aller étudier/travailler à l’étranger? Ou êtes-vous déjà à l’étranger ?
Pourquoi?
C’est toujours un avantage de travailler à l’étranger surtout si vous revenez un jour
chez vous.
Si vous êtes déjà à l’étranger, pensez-vous rentrer un jour en République tchèque?
/
Pensez-vous que la République tchèque a terminé sa transformation post-communiste?
Sinon, quels sont les domaines qui ne le sont pas?
Je pense que oui, il y a déjà longtemps. On est un pays qui n’a plus rien à voir avec son
passé communiste. Je dirais que, justement, à cause de ce qu’on a vécu, on a essayé de se
débarrasser de toutes les séquelles de cette période ce qui a accéléré l’achèvement de cette
transformation.
Comment avez-vous vécu l’entrée du pays dans l’Union Européenne?
Je me souviens, qu’à l’époque il y avait beaucoup de questions autour de ce sujet, si
c’est bien de rentrer dans une association ou plutôt de rester en retrait. Certains gens l’ont
compris comme une occasion pour s’allier avec les pays de l’ouest (c’est à dire avec nos
« idoles »), mais je pense que pour certains cela pouvait évoquer la crainte, la crainte de se
réunir comme on l’a déjà vécu pendant l’unification des pays dans un bloc soviétique.
96
La République tchèque a fait partie des cinq premiers pays de l’Europe centrale et
orientale qui a entamé les négociations pour une adhésion à l’UE. Elle est aussi rentrée en
2004 et non en 2007. A votre avis, quels ont été les avantages du pays par rapport aux autres et
notamment par rapport à la Roumanie et à la Bulgarie qui sont rentrés en 2007 ?
Personnellement je pense que la position géographique a eu un rôle dans tout ça, car on
est quand même plus proche des États comme l’Allemagne et les autres, avec des relations
commerciales. En ce qui concerne la position de la Bulgarie et de la Roumanie, elles sont plus
proches de la Russie, de l’Ukraine avec d’anciennes attitudes communistes, alors ces pays
n’étaient pas poussés ou forcés sous l’influence des circonstances de changer et devenir « plus
développés ».
Ressentez-vous une différence avec les autres pays d’Europe centrale et orientale
membres de l’UE?
Oui je ressens, même si je sais que ce n’est pas du tout logique. Mais cela ne concerne
pas que des membres de l’UE, mais une localité entière. Pour certaines raisons, liées je pense
à l’histoire, on considère les pays de l’est comme moins développés et les pays de l’ouest
comme plus développés. Mais il y a aucune logique, parce qu’en regardant l’exemple de la
France, son économie est triste, ruinée et elle marche très mal par rapport à la situation en
République tchèque. Cependant, dans nos yeux, cela nous fait rêver, car c’est un pays de
l’ouest. Je ne suis pas un expert des pays de l’est, mais je pense qu’on les sous-estime
beaucoup. Pour moi ils sont aussi développés, mais je n’ai aucune preuve, tout vient de cette
fausse logique et des préjugés de l’est et de l’ouest.»
97
Entretien n°2
« Quelle est votre date de naissance?
1987
Aspirez-vous à aller étudier/travailler à l’étranger? Ou êtes-vous déjà à l’étranger ?
Pourquoi?
Mon intention n’est pas d’aller travailler à l’étranger mais comme je travaille dans une
entreprise internationale, il se pourrait que j’aie l’opportunité d’avoir une expérience à
l’étranger.
Si vous êtes déjà à l’étranger, pensez-vous rentrer un jour en République tchèque?
/
Pensez-vous que la République tchèque a terminé sa transformation post-communiste?
Sinon, quels sont les domaines qui ne le sont pas?
Je pense que la République tchèque n’est totalement transformée. Sur la base de mes
voyages fréquents en Allemagne, j’ai remarqué des différences de niveaux de vie entre ces
deux pays, par exemple dans le secteur des services, qui, chez nous, devrait être amélioré. Le
niveau de corruption est toujours fort et la confiance des gens dans la politique est très basse.
C’est pourquoi, les citoyens ne ressentent aucune possibilité de changement.
Comment avez-vous vécu l’entrée du pays dans l’Union Européenne?
Je n’ai pas remarqué de grande différence, la seule différence que j’ai remarquée est
quand les accords de Schengen ont été adoptés et qu’on pouvait voyager sans passeport. Plus
tard, on a pu voir que beaucoup de choses étaient financées par l’UE.
98
La République tchèque a fait partie des cinq premiers pays de l’Europe centrale et
orientale qui a entamé les négociations pour une adhésion à l’UE. Elle est aussi rentrée en
2004 et non en 2007. A votre avis, quels ont été les avantages du pays par rapport aux autres et
notamment par rapport à la Roumanie et à la Bulgarie qui sont rentrés en 2007 ?
Un niveau de vie élevé, même pendant le communisme qui nous a permis de reconstruire
le pays après la Révolution de Velours. Notre position géographique a joué aussi, ce qui a
permis de booster l’activité économique et les investissements.
Ressentez-vous une différence avec les autres pays d’Europe centrale et orientale
membres de l’UE?
Les pays d’Europe de l’est les plus loin que j’ai visités étaient la Slovénie, la Slovaquie,
la Hongrie et la Pologne. Je n’ai pas vu de différences significatives, du point de vue du
touriste. Bien sûr, il y a des différences d’infrastructures qui avec le temps s’améliorent grâce
aux fonds européens. »
Entretien n°3
« Quelle est votre date de naissance?
1978
Aspirez-vous à aller étudier/travailler à l’étranger? Ou êtes-vous déjà à l’étranger ?
Pourquoi?
J’ai fait une partie de mes études à l’étranger à l’IEP de Lyon.
Si vous êtes déjà à l’étranger, pensez-vous rentrer un jour en République tchèque?
/
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Pensez-vous que la République tchèque a terminé sa transformation post-communiste?
Sinon, quels sont les domaines qui ne le sont pas?
Non pas encore, ça va prendre beaucoup de temps. La transformation demande
beaucoup d’investissements et de travail et nécessite un changement dans la manière de
penser des gens. De plus, la transformation est différente dans les capitales et dans les
campagnes.
Comment avez-vous vécu l’entrée du pays dans l’Union Européenne?
J’étais heureuse que le pays soit dans l’UE et rejoigne les pays de l’Ouest, c’était très
positif.
La République tchèque a fait partie des cinq premiers pays de l’Europe centrale et
orientale qui a entamé les négociations pour une adhésion à l’UE. Elle est aussi rentrée en
2004 et non en 2007. A votre avis, quels ont été les avantages du pays par rapport aux autres et
notamment par rapport à la Roumanie et à la Bulgarie qui sont rentrés en 2007 ?
Nous avons des traditions et des liaisons avec les pays germaniques, nous sommes des
gens organisés, nos sociétés et nos organisations publiques fonctionnent de manière
cohérente. De plus, l’économie se portait plutôt bien. Tout se développait bien, et donc il n’y
avait pas de raison pour ne pas rentrer.
Ressentez-vous une différence avec les autres pays d’Europe centrale et orientale
membres de l’UE?
Oui, plus on va à l’est, moins les choses fonctionnent et moins les choses avancent
rapidement. Dans cette zone, l’influence de la Russie est encore grande. Nous percevons de
manière positive les pays comme la Slovaquie et la Pologne. La Hongrie est moins bien
perçue mais c’est surtout par rapport à la langue qui est éloignée de la nôtre. Les autres pays
sont plus loin géographiquement. Et pour la Pologne, c’est plus difficile car son territoire est
plus important. »
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