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FONDEMENTS
ET PRATIQUES
DE LA RECHERCHE-ACTION
Collection Logiques Sociales
fondée par Dominique Desjeux
et dirigée par Bruno Péquignot
En réunissant des chercheurs, des praticiens et des essayistes, même si
la dominante reste universitaire, la collection Logiques Sociales entend
favoriser les liens entre la recherche non finalisée et l'action sociale.
En laissant toute liberté théorique aux auteurs, elle cherche à promouvoir les recherches qui partent d'un terrain, d'une enquête ou d'une expérience qui augmentent la connaissance empirique des phénomènes sociaux ou qui proposent une innovation méthodologique ou théorique,
voire une réévaluation de méthodes ou de systèmes conceptuels classiques.
Dernières parutions
Michel BURNIER, Sylvie CÉLÉRIER, Jan SPURK, Des sociologues
face à Pierre Naville ou l'archipel des savoirs, 1997.
Guy BAJOIT et Emmanuel BELIN (dir.), Contribution à une sociologie
du sujet, 1997.
Françoise RICHOU, La Jeunesse Ouvrière Chrétienne (J.O.C.), genèse
d'une jeunesse militante, 1997.
Claude TEISSIER, La poste: logique commerciale/logique de service
public. La greffe culturelle, 1997.
Guido de RIDDER (coordonné par), Les nouvelles frontières de l'intervention sociale, 1997.
Jacques LE BOHEC, Les rapports presse-politique. Mise au point d'une
typologie Itidéale", 1997.
Marie-Caroline VANBREMEERSC'H, Sociologie d'une représentation
romanesque. Les paysans dans cinq romans balzaciens, 1997.
François CARDI, Métamorphose de laformation. Alternance, partenariat, développement local, 1997.
Marco GIUGNI, Florence PASSY, Histoires de mobilisation politique
en Suisse. De la contestation à l'intégration, 1997.
Philippe TROUVÉ, Les agents de maîtrise à l'épreuve de la modernisation industrielle. Essai de sociologie d'un groupe professionnel, 1997.
Gilbert VINCENT (rassemblés par), La place des oeuvres et des acteurs
religieux dans les dispositifs de protection sociale. De la charité à la
solidarité, 1997.
@ L'Harmattan, 1997
ISBN: 2-7384-5780-0
Michel LIU
FONDEMENTS
ET PRATIQUES
DE LA RECHERCHE-ACTION
Editions L'Harmattan
5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique
75005 Paris
L'Harmattan INC
55, rue Saint Jacques
Montréal (Qc)
- Canada
H2Y lK9
TABLE DES MATIÈRES
~TFt()DlJ<:TI()~
CJ~~~E
13
PREMIÈRE PAR.TIE : ~V()LUTI()~
ET F()~DEMENTS DE LA
RE<:HEFt<:HE-A<:TI()~
INTR()DlJ<:TI()~ A LA PREMIÈRE PAR.TIE.
19
<:hapitre 1 :
LES ()RlCJINES DE LA RE<:HEFt<:HE-A<:TI()~
1. L'invention de la recherche-action
par
Kurt
Lewin.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
2. Le Tavistock Institute of
Human
Relations.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .33
3. La contestation de l'institué dans
l'Analyse
Institutionnelle..
.. .. .. . . . .
.. . . . .. .. . . . . . . .. .. . . . . . . . .. .35
4. La complémentarité des trois sources
de la recherche-action..
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
Références
1. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
du chapitre
<:hapitre 2 :
LA <:()~STRlJ<:TI()~ DE LA RE<:HEFt<:HE-A<:TI()~
E~ TANT QlJE D~MAR<:HE
I. LA CONSTRUCTION EMPIRIQUE DE LA
RECHERCHE-ACTION EN TANT QUE DÉMARCHE
1. Le mouvement de Démocratie Industrielle en ~orvège.
.42
2. La réflexion critique dans les pays anglophones. . . . . . . . . . . . . . .54
3. L'évolution de la recherche-action en France.. . . . . . .. . . . . .. . . . .60
7
II. LA DÉFINITION DE LA RECHERCHE-ACTION
4. Une nouvelle manière de formuler
les problèmes.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
5. Une nouvelle Inanière de résoudre les
problèmes:
la démarche.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
6. La défmition de la recherche-action en tant que démarche. . . .84
Références
du chapitre
2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .87
Chapitre 3 :
LA REFLEXION SUR LES FONDEMENTS
ÉPISTÉMOLOGIQUES DE LA
RECHERCHE-ACTION
1. L'émergence d'un questionnement sur les
fondements
de la recherche-action.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
2. Les réflexions sur la place de la recherche-action
au sein des recherches
en sciences
sociales.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
3. L'interrogation sur la nature des connaissances
élaborées par la recherche-action dans
l'Analyse
Institutionnelle.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
4. La reconnaissance de la nécessité d'une épistémologie
nouvelle pour la recherche-action dans le mouvement
norvégien
de Démocratie
Industrielle.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
5. La recherche-action et la remise en cause du
modèle de recherche en sciences sociales.
Références
du chapitre
103
3. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 108
Chapitre 4 :
LES FONDEMENTS DE LA RECHERCHE-ACTION
Introduction.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
1. Recherche-action et connaissance scientifique.
2. Les paradigmes et les concepts de base de la
recherche-action.
112
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 116
3. Les différences entre les connaissances des sciences
8
111
de la nature et celles des sciences
sociales.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 120
4. La nature de la connaissance en sciences sociales.
127
5. Les formes des connaissances dans la recherche-action. . .. 130
6. Un nouveau mode de conception et de réalisation:
la détermination
Références
des spécifications
du chapitre
critiques.
. . . . . . . . . . . . . .. . . . .. 137
4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 142
DEUXIÈME PARTIE
DÉMARCHE ET PRATIQUES DE
RECHERCHE-ACTION
C~apitre5 :
~
L'ETUDE DE FAISABILITE ET LA MISE EN PLACE
DE LA RECHERCHE-ACTION
Introduction: les phases de la recherche-action
1. Les effets d'annonce d'un projet de recherche-action.
2. La structuration progressive du réseau des interlocuteurs
147
148
de la recherche-action.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 156
3. Le déroulement de la phase initiale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 161
4. illustration par un exemple: l'atelier de
tôlerie-emboutissage.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 177
5 . La phase d'introduction des chercheurs dans l'entreprise.. 180
6. La dynamique de la phase d'introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . .. .. 184
7. La suite des problématiques de la phase d'introduction. . . .. 190
8. Réflexions sur les rôles à assumer par les chercheurs
dans
la phase
Références
d'introduction.
du chapitre
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 193
5
196
Chapitre 6 :
LE PILOT AGE DE LA RECHERCHE-ACTION
Introduction..
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 199
9
1. Le cadre éthique, l'épistémologie et la spécificité
méthodologique
de la recherche-action.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 200
2. Le travail conjoint entre partenaires différents.. . . . . . . . . . . . . .. 209
3. La participation à la définition du changement et la
gestion du pouvoir au sein de la recherche-action
215
4. La poursuite de l'objectif dual de recherche et d'action.
219
5. Les attitudes favorisant la réalisation.
.. . .. . .
. .. . ... 230
6. La phase finale et ses problématiques.
233
7. lllustration à travers un exemple:
l'atelier
de tôlerie-emboutissage.
Références
du chapitre
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 239
6. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 253
C~apitre 7 :
L'ELABORATION DES CONNAISSANCES AU COURS DE
LA RECHERCHE-ACTION
.
Introduction
255
1. La détermination du sujet de la recherche
256
2. L'expérimentation dans la recherche-action. ... ~"... . . . . . . . . .. 265
3. Illustration par un exemple: l'atelier de
tôlerie-emboutissage: l'élaboration des connaissances. . . . . . .. 273
4. La validation des résultats de la recherche-action. . . . . . . . . . .. 289
5. L'apport des expérimentations succes~ives
296
6. Les autres activités
Références
du chapitre
de recherche..
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 298
7. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 301
Chapitrç 8 :
LA THEORISATION ET LA CAPITALISATION DES
CONNAISSANCES DANS LA RECHERCHEACTION
Introduction..
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 303
1. L'utilisation de concepts déjà établis.
2. L'utilisation de relations établies dans la recherche
des déterminants
de l'aliénation.
. . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . .. 308
3. La mise en évidence de la micro-culture.
10
303
311
4. Nature et origine de la micro-culture.
320
5. La formulation de propositions nouvelles concernant le lien
entre technologie, organisation et comportements.
323
Références
du chapitre
8 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 326
Chapitre 9 :
ASPECTS INSTITUTIONNELS DE LA RECHERCHEACTION.
Introduction..
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 327
1. Les caractéristiques du travail de recherche-action
2. Les institutions à partir desquelles s'effectuent
des
recherche-action.
329
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 334
3. Les caractéristiques d'une institution adaptée à la
réalisation
Références
d'une recherche-action..
du chapitre
. . . .. . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . .. 339
9. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 348
CONCLUSION.
1. Les apports
de la recherche-action.
2. La portée de la recherche-action
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 349
350
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Notre époque se caractérise par de grands contrastes dans ses
réalisations et dans les avancées de la connaissance selon les
domaines. D'un côté, nous accumulons des succès admirables
tels que l'envoi de l'homme sur la lune, le creusement d'un
tunnel sous la Manche et les multiples succès du génie génétique;
notre connaissance de la matière, celle de l'univers et celle qui
concerne le vivant, progresse de manière spectaculaire. D'un
autre côté, des problèmes récurrents depuis plusieurs décennies,
voire depuis un siècle ou deux, ne sont toujours pas résolus:
l'urbanisation, un développement industriel respectueux des
hommes et de la nature, l'éducation des nouvelles générations, et
tout récemment l'insertion sociale... Ceux qui ont essayé de les
résoudre pendant de longues périodes sans y réussir, en anivent
à la conclusion que leur formulation de ces problèmes est
insuffisante et que leurs outils méthodologiques sont impuissants
à les traiter.
TIY a plus d'une cinquantaine d'années, des chercheurs ont été
confrontés, dans leur existence même, à des problèmes pour
lesquels il n'existait pas de méthode de résolution: Kurt Lewin,
interdit d'enseignement en Allemagne, voulant étudier les sociétés
démocratiques; F. Tosquelles, responsable d'un hospice qui
n'était plus ravitaillé; E. Tristet d'autres, confrontés à une
désorganisation totale des mines anglaises... Placés dans ces
situations de nécessité, ils ont abandonné les contraintes
inapplicables des règles méthodologiques qu'on leur avait
enseignées, sont sortis de leurs laboratoires et ont emprunté des
chemins que n'auraient pas pris des décideurs habitués à agir en
situation normale. Ils ont résolu leur problème et découvert de
nouvelles voies d'élaboration de connaissances. La rechercheaction est née de ces comportements suscités par des problèmes
impossibles à résoudre.
Les situations qui ont provoqué la naissance de la rechercheaction ont été également les moteurs de son évolution, elles sont
toutes semblables: un chercheur ou une équipe de recherche se
13
trouvent dans une situation qui pose des problèmes insolubles
selon les méthodes canoniques et passent outre... L'expérience
s'étant renouvelée plusieurs fois, les chercheurs ont été amenés à
s'interroger sur la pertinence de méthodes qu'ils avaient héritées
de leurs maîtres. Ils se sont aperçus alors que ces méthodes
avaient été conçues pour des situations différentes de celles qu'ils
étudiaient. Ainsi, les méthodes utilisées dans les sciences de
l'homme ont été élaborées pour étudier des objets inertes et elles
sont appliquées sans modification majeure à l'étude de situations
impliquant des êtres humains, capables ~e connaissance,
autonomes et dotés d'une intériorité que chacun d'eux était seul à
connaître. Cette découverte a orienté la recherche-action dans la
direction d'une réflexion critique sur les méthodes utilisées dans
le domaine des sciences de l'homme et l'a conduite à établir ses
fondements. Ce travail n'est pas achevé, il a contribué à situer la
recherche-action dans une épistémologie en cours de dévoilement
et à affermir sa démarche.
Cet ouvrage n'est pas une introduction à la recherche-action, ni
une défense et illustration de cette démarche. TImontre, dans sa
première partie, le cheminement que ses inventeurs ont suivi pour
la construire ainsi que les prises de conscience par lesquelles ils
sont passés pour établir ses fondements. La seconde partie de ce
livre est consacrée à l'exposé des savoirs nés de la pratique des
recherche-action expérimentées depuis un demi siècle. Ces
savoirs sont décrits sous la forme d'une démarche, c'est-à-dire
d'un mode d'action et d'élaboration des connaissances qui
respecte la liberté des personnes concernées, ils sont illustrés à
travers l'exemple d'une recherche-action qui est analysée en
détail.
L'objet de cet ouvrage est de permettre à ceux qui considèrent
avec intérêt la recherche-action, de mieux comprendre sa nature,
il veut également donner à ceux qui souhaitent participer. à la
poursuite de sa construction, les moyens de dépasser les
contraintes auxquelles elle se heurte et de contribuer ainsi à
l'exploration de ses potentialités.
Tandis que nous sommes en train de vivre la troisième révolution
scientifique, celle des sciences de l'information et des sciences du
14
I
vivant, nous pouvons pressentir que la portée de la rechercheaction sera probablement de contribuer d'ici plusieurs décennies,
voire plusieurs siècles, à une autre révolution scientifique, celle
qui établira les sciences de l'homme comme "l'école où la pensée
humaine fait son apprentissage".
I
,
PREMIÈRE
ÉVOLUTION
DE
PARTIE
ET FONDEMENTS
LA RECHERCHE-ACTION
~
INTRODUCTION A LA PREMIÈRE PARTIE.
Cette première partie décrit l'évolution de la recherche-action
depuis son origine jusqu'aux années 1990. Etant donné
l'orientation de cet ouvrage, nous ne retracerons pas l'histoire
détaillée de sa diffusion, mais nous décrirons sa construction en
tant que démarche et l'élaboration progressive de ses fondements.
Nous avons rencontré une difficulté au cours de la réalisation de
ce travail. Elle réside dans la défmition de la recherche-action.
Celle-ci n'a pas été codifiée et elle ne repose pas non plus sur un
consensus parmi les chercheurs. De ce fait, il existe une
possibilité de choix entre une conception extensive: Serait
recherche-action toute démarche qui modifie un tant soit peu ce
qu'elle étudie, cette définition pourrait alors englober presque
toutes les recherches et tous les projets réalisés à ce jour; et une
conception restreinte, voire partisane: Serait recherche-action ce
qui se réalise dans tel courant, dans telle école de pensée. Entre
ces extrêmes, nous avons choisi un moyen terme reposant sur
deux critères explicites. Nous avons considéré qu'était rechercheaction, toute étude qui se proclamait comme telle, et qui
reconnaîtrait à Kurt Lewin l'origine de la formulation de la
démarche. Comme toute définition, celle-ci reflète un parti pris,
elle laisse probablement de côté d'authentiques recherche-action,
et inversement elle peut inclure des formes très lointaines (ou très
évoluées ?) de la recherche-action lewinienne. Le critère de
dénomination a pour nous l'avantage de "discriminer entre les
'démarches qui se veulent résolument duales, c'est-à-dire celles
qui poursuivent à la fois l'étude et la transformation de la réalité
étudiée et celles qui ne veulent avoir qu'une seule finalité, qu'elle
soit d'action ou "d'étude. La référence à Lewin manifeste la
volonté de réaliser par la démarche une recherche fondamentale et
de ne pas se contenter d'appliquer des connaissances découvertes
ailleurs. C'est là pour nous les deux critères discriminants les
plus importants.
19
Cette délimitation autorise la distinction entre deux catégories de
recherche-action. La recherche-action associée où la volonté de
changement est portée par des membres d'une institution et
l'intention de recherche par les membres d'une équipe
appartenant à un laboratoire extérieur. La recherche-action interne
où la volonté de changement et l'intention de recherche
appartiennent à une même équipe au sein d'une institution
unique. On rencontre plus particulièrement la recherche-action
interne dans des domaines tels que: l'éducation, la médecine
clinique, le soin infirmier, le travail social, les transferts de
technologie. Deux traits caractérisent ces domaines, d'une part les
projets sont complexes et n'ont pas donné lieu à l'élaboration
d'un corpus de connaissances accumulées, d'autre part les
personnels et les institutions ne disposent pas de méthodes
éprouvées pour mener à bien leurs activités et souhaitent faire
avancer leurs pratiques professionnelles par l'exercice de la
recherche fondamentale. Notre ouvrage étudie principalement la
première catégorie, mais ses résultats s'appliquent aussi à la
seconde.
Par contre, la délimitation retenue exclut d'autres catégories,
notamment celles où la finalité poursuivie consiste à apprendre à
des acteurs ayant réalisé des innovations sociales importantes, à
expliciter les savoirs implicites qu'ils ont utilisés, afin de pouvoir
les transmettre à d'autres et les recueillir dans le corpus des
connaissances scientifiques. TI ne s'agit pas d'un manque
d'intérêt de notre part, car nous savons qu'il y a là des sources de
connaissances extrêmement intéressantes, mais cette démarche est
très différente de celle que nous exposons car elle s'appuie sur
une réflexion portant sur une action déjà accomplie, tandis que la
recherche-action lewinienne repose sur le déroulement simultané
de ces deux activités. Nous renvoyons donc le lecteur intéressé
par cette "recherche sur l'action" aux ouvrages de H. Desroches.
20
Chapitre 1 :
LES ORIGINES DE LA RECHERCHE-ACTION
On constate souvent qu'une invention surgit en plusieurs endroits
à la fois quasi simultanément, la RA n'échappe pas à cette règle.
Ainsi entre les années 1940 et 1945, alors que K. Lewin inventait
aux Etats Unis la recherche-action et ses exigences,
apparaissaient, à la Tavistock Clinic de Londres, les premières
évolutions qui conduisirent à la recherche-action participative,
tandis qu'à l'asile de Saint-Alban en France, F. Tosquelles
prenait les décisions qui constituèrent la première expérience de
psychothérapie institutionnelle, expérience qui sera plus tard
reconnue comme étant une intervention de la famille des
recherche-action.
TIest intéressant de noter que ces trois origines apparaissent dans
des situations qui présentent un certain nombre de traits
similaires. Ainsi, Lewin fuit le nazisme en 1933, émigre aux
Etats-Unis et, parce qu'il adhère profondément à l'idéal
démocratique, réoriente ses recherches vers l'étude des
phénomènes sociaux de grande ampleur afni de comprendre la
montée du fascisme. Cela l'amènera à quitter ses recherches de
laboratoire et à déterminer des méthodes de terrain appropriées à.
l'étude de ces phénomènes. Il cherchera dans un premier temps à
comprendre la dynamique des groupes restreints, puis analysera
les facteurs influençant la productivité dans les ateliers
reconvertis à la production d'armement et examinera les
problèmes posés par le changement des habitudes alimentaires
afin d'utiliser au mieux la nourriture disponible. Toutes ces
activités l'amèneront à définir la recherche-action, mais il mourra
avant d'avoir pu en réaliser une.
L'orientation de la Tavistock Clinic vers la recherche-action
remonte aux années de la seconde guerre mondiale au moment
où Rees (1) fonde une équipe interdisciplinaire en psychiatrie
21
sociale dans l'armée britannique dont l'un des membres sera
Bion. Ce dernier, pressé par les circonstances d'admettre plus de
patients dans ses services de psychothérapie, aura l'idée de traiter
ses malades en groupe (2). Cette sensibilité au "groupe restreint",
qu'il partage avec ses collègues, amènera cette équipe
interdisciplinaire à réaliser de nombreux programmes
expérimentaux concernant la sélection du personnel, le traitement
des personnes atteintes de névroses de guerre et la réadaptation
des prisonniers.
Ces travaux seront à la base de la formation du Tavistock
Institute of Human Relations, dont les membres s'efforceront
d'utiliser les sciences de l'homme, pour répondre à des
problèmes sociaux considérés comme distincts des problèmes
individuels. Le Tavistock Institute réalisera la première
recherche-action au début des années 1950.
F. Tosquelles dirige l'asile de Saint-Alban en Lozère lorsqu'en
1941 son hôpital n'est plus ravitaillé. Contrairement à certains de
ses collègues qui laissèrent leurs malades mourir de faim, il les
envoie travailler chez les paysans en échange de nourriture. TI
constate alors non seulement que ses pensionnaires se portent
mieux mais que le fonctionnement institutionnel de l'asile est
radicalement transformé.
Pendant les vingt-cinq ans qui suivront, les principes d'une
psychiatrie ouverte, de l'insertion des malades dans
l'environnement, seront mis en pratique. Cette expérience sera à
l'origine du mouvement de l'Analyse Institutionnelle qui adoptera
la recherche-action lewinienne comme démarche de recherche.
Dans chaque cas, des chercheurs placés dans un contexte de
changement radical de leur conditions de vie, sont confrontés à
un problème ayant pour eux, des enjeux très élevés. Ne
disposant pas de solution connue, ils utilisent leurs savoirs pour
inventer des cheminements en vue de résoudre leur problème et
s'aperçoivent après un certain temps que la mise en oeuvre de ces
actions leur a ouvert des perspectives inattendues et leur a permis
d'élaborer de nouvelles connaissances.
22
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