Bozon Michel, 2006. – L’apport des méthodes qualitatives en démographie. in: Graziella Caselli, Jacques Vallin et Guillaume Wunsch (sous la direction de), Démographie et synthèse. Volume VIII. Observation, 1 méthodes auxiliaires, enseignement et recherche, p. 433-457. – Paris, Ined-Puf. 760 p. CHAPITRE 136 _____________ L’APPORT DES METHODES QUALITATIVES EN DEMOGRAPHIE Michel Bozon Institut national d’études démographiques, Paris L’association des méthodes qualitatives et quantitatives dans l’étude des populations n’a pas toujours été considérée comme une rencontre délicate. Dans l’anthropologie sociale et culturelle britannique, comme dans l’ethnologie pratiquée par les Français, il était d’usage jusqu’au milieu du XX e siècle environ, que toute monographie d’une population débute par sa morphologie et donc par une description démographique (Kertzer et Fricke, 1997, p. 3-4). Marcel Mauss, dans son célèbre Manuel d’ethnographie, élaboré dans les années 1930, qui a tracé le cadre de la monographie ethnographique, indiquait ainsi au chapitre 3 (Morphologie sociale): "Une enquête statistique et démographique proprement dite complètera l’étude de la morphologie sociale. Il faudra dresser une statistique par maison, dans le temps…; par famille, par clan, par tribu (lorsque la société comprend plusieurs tribus). On mesurera ainsi la fécondité, la natalité par sexe, la morbidité, la mortalité, en distinguant soigneusement la mortalité par accident ou par mort violente de la mortalité naturelle" (Mauss, 1947, p. 20). Par la suite, l’intérêt des anthropologues pour la démographie a décliné, à mesure que cette dernière se développait et que son appareil statistique se sophistiquait. L’autonomie de la démographie s’est largement fondée, historiquement comme à l’époque contemporaine, sur la disponibilité et la production de données chiffrées nombreuses, qu’il s’agisse de statistiques d’état civil, de données de recensement ou de registres, d’enquêtes démographiques à passage unique ou à passages répétés. Pour traiter ces masses énormes de données, les démographes ont inventé des méthodes statistiques de plus en plus élaborées, destinées en premier lieu à mettre de l'ordre dans les chiffres1. Dans le même temps, une partie des démographes ont toujours exprimé un 1 Allan Hill (1997, p.224) évoque l’« effet pervers » pour la démographie d’une telle quantité de chiffres, “ the corrosive effect of too many numbers “. 2 intérêt pour des méthodes appartenant à l’anthropologie ou à la sociologie qualitative ou manifesté une disposition à dialoguer avec des représentants de ces disciplines (Roussel et Bourguignon, 1976, 1979 ; Caldwell et al., 1988 ; Gérard et Loriaux, 1988 ; Basu et Aaby, 1998 ; Courgeau, 1999). Une attitude ouverte à l’égard d’approches non quantitatives n’est pourtant pas le fait de tous les démographes, de même que l’intérêt d’une coopération avec les démographes n’est pas perçu par tous les chercheurs en sciences sociales, en particulier par les plus qualitativistes d’entre eux (pour des exemples voir Kertzer et Fricke, 1997). Pour certains auteurs en effet, il existerait une hétérogénéité radicale, paradigmatique, entre les recherches fondées sur la quantification (dont la démographie fait partie) et celles qui utilisent des méthodes qualitatives, opposition que Maryse Marpsat (1999, p. 13) résume ainsi : "Les méthodes quantitatives se rattacheraient à une vision strictement positiviste ou empiriste, inspirée des sciences de la nature, visant à tester des hypothèses par la mise en évidence de corrélations entre des variables ; les méthodes qualitatives, par l’importance accordée au sens donné à leurs actions par les acteurs eux-mêmes, correspondraient à d’autres traditions intellectuelles (sont en général cités la sociologie compréhensive de Weber, la phénoménologie, à laquelle on peut rattacher l’ethnométhodologie, l’interactionnisme symbolique)". Dans cette perspective, l’opposition entre une science des faits et une science des interprétations serait évidemment irréductible. D’autres chercheurs considèrent qu’il s’agit de méthodes différentes, mais qu’elles peuvent être combinées et articulées au sein de projets de recherche complexes et d’équipes multidisciplinaires, en fonction des objets d’analyse. Je me situe sans équivoque dans ce second courant, considérant que pour aborder les questions dont traite la démographie et faire évoluer la discipline, il est souhaitable d’associer les deux types de méthodes et de faire émerger une approche compréhensive. En conséquence, me semble-t-il, la démographie doit moins être définie par ses sources ou par ses méthodes d’analyse que par son objet, qui est l’analyse de la reproduction des populations, envisagée dans une perspective large (voir à ce propos Greenhalgh, 1995, p. 3-28 ; Townsend, 1997, p. 96-114). L’apport des méthodes qualitatives sera d’abord ici illustré par la diversité des types de recherches démographiques dans lesquelles elles interviennent, dont des exemples sont donnés. Les techniques les plus utilisées dans les recherches seront ensuite présentées. Les objectifs assignés à ces méthodes et les rôles divers qu’elles jouent seront ensuite détaillés. Les effets des approches compréhensives sur la démographie elle-même seront enfin envisagés. Dans certains cas, elles modifient seulement la présentation des résultats. Dans d’autres cas, elles ont des effets théoriques, faisant surgir de nouvelles méthodes quantitatives, de nouvelles interprétations, voire de nouvelles questions. On ne s’étonnera guère qu’une bonne part des exemples soient empruntés à des travaux menés sur les pays en développement, qui sont aussi des pays à statistiques 3 imparfaites, dans lesquels le recours à des données complémentaires paraît particulièrement nécessaire (voir à ce propos Pison, 1980 ; Quesnel, 1988). On laissera en revanche délibérément de côté la démographie historique, même si des travaux se rattachant à l’histoire orale (Leboutte, 1991) ou à l’anthropologie historique (Flandrin, 1976 ; Segalen, 1985) peuvent être considérés comme des travaux qualitatifs de démographie historique. I. Échantillons de "démographie compréhensive" Dans la recherche démographique, le recours à des méthodes non quantitatives se présente souvent comme un effort pour élargir les bases de l’explication d’un phénomène. Cette démarche peut être qualifiée de « démographie compréhensive » (Bozon, 1992a). Les travaux qui entrent dans cette catégorie n’ignorent nullement les méthodes quantitatives; on peut dire qu’ils tentent d’introduire un va-et-vient critique, une tension scientifiquement productive entre la détermination du domaine de validité d'un phénomène et la compréhension de son sens. Différence d’âge entre conjoints et « âge social » Dans une étude sur la différence d’âge dans les couples entre hommes et femmes (Bozon, 1990a et b), j’ai utilisé les données qui ont été recueillies dans une enquête sur la formation des couples en France (Bozon et Héran, 1987, p. 969-970). Dans cette recherche, le questionnaire, qui a été administré à 3000 personnes de moins de 45 ans vivant en couple, constitue le cœur d’un dispositif plus vaste, qui comprend en premier lieu une trentaine d’entretiens semi-directifs dont l’analyse systématique a permis de préparer le questionnaire. Par ailleurs, à la suite de l’enquête principale, une seconde série de 75 entretiens a été réalisée auprès de personnes sélectionnées parmi les répondants du questionnaire. Le questionnaire lui-même comprenait environ 40 questions ouvertes sur un total de 250. Le phénomène de la différence d’âge entre conjoints n’est pas envisagé comme un déterminant universel et relativement invariant du mariage, qui ne requerrait aucune explication. L’enquête par questionnaire montre que les femmes jeunes adhèrent bien plus que les hommes de même âge au modèle de couple dans lequel l'homme est plus âgé. L’analyse des entretiens semi-directifs fait apparaître que l’idéalisation par les femmes des hommes considérés comme mûrs s’accompagne d’un net rejet des jeunes gens de leur classe d’âge, considérés comme immatures et trop jeunes, au sens péjoratif. "Les hommes disponibles sont perçus, classés et jugés en fonction de leur âge social, qui ne dépend que partiellement de leur âge réel" (Bozon, 1990b, p. 581). La maturité sociale de l’homme au moment de la rencontre est rattachée par les femmes à son expérience, à son statut professionnel, à ses connaissances, à son autonomie résidentielle. Un retour aux données quantitatives montre que cette idéalisation de qualités et d’atouts sociaux liés à la maturité des hommes est d’autant plus forte chez les femmes qui ont elles-mêmes peu d’atouts 4 scolaires et professionnels et sont donc les plus dépendantes du statut social de l’homme. L’intérêt théorique des irrégularités et des anomalies La démographie peut s’intéresser délibérément aux irrégularités. Étudiant une population africaine à très haute fécondité (Gambie rurale), Caroline Bledsoe, Fatoumatta Banja et Allan Hill (1998) partent, par exemple, d’un phénomène paradoxal et contre-intuitif : les femmes qui ont connu des accidents reproductifs (fausse-couche, mort-né, décès d’enfant en bas âge) tendent à adopter un peu plus fréquemment que d’autres une contraception de type occidental. Ce comportement inattendu selon la conception occidentale des régimes de haute fécondité est situé par les auteurs dans une représentation locale de la vie reproductive des femmes. Le dispositif d’observation comprend une enquête initiale, qui permet d’établir un registre des femmes d’âge fécond de 40 villages ruraux (2 980 femmes au total), suivie de séries d’entretiens ouverts et d’observations de terrain, et d’une enquête à passages mensuels de 15 mois auprès d’un sous-échantillon de 270 femmes ayant eu une grossesse dans les 3 ans, comprenant à la fois des questions quantifiables et des questions ouvertes. L’enquête anthropologique met en évidence que le déroulement de la vie féconde est perçu comme une "dépense des ressources du corps" (body resource expenditure). Le potentiel reproductif d’une femme est limité par sa dotation totale en fœtus (nombre fixé par Dieu, intangible pour une femme, mais variable de l’une à l’autre) et s’épuise peu à peu, non pas au fil de l’âge mais au fil des épreuves subies par le corps : l’irréversible perte des « muscles » liée aux grossesses et aux accouchements (y compris les fausses couches), ainsi que la perte des forces, plus importante, lors des traumatismes obstétricaux, mais qui peuvent être partiellement restaurées par un repos entre les grossesses. La fécondité est ainsi vue comme « un potentiel à réaliser », plutôt que comme « une capacité limitée par l'âge »2 (Bledsoe et al., 1998, p. 48). L’idée d’un temps biologique individuel, qui s’écoulerait de façon continue, n’a pas cours, ni la représentation de la ménopause comme un âge-limite de la reproduction. Les individus se réfèrent en revanche à l’âge reproductif, réalité discontinue, illustrée par les noms différents qu’une femme prend au cours des phases de dépense de son potentiel3. Dans cette logique, il n’est pas étonnant que les initiatives contraceptives les plus marquantes aient lieu après des agressions fortes contre le corps qui, malgré leur rudesse, ne donnent pas droit au repos sexuel de l’abstinence post partum. Dans certains cas, la contraception est de plus une tactique, qui permet aux femmes de ne pas dilapider leur dotation reproductive dans l’attente d’un remariage éventuel. L’étude d’une anomalie de la théorie révèle un continent enfoui de représentations sur le corps et la fécondité et montre que le recours à une pratique considérée comme moderne (la contraception occidentale) peut parfaitement s'inscrire dans une rationalité 2 “ a potential to be expended “ rather than “ a time-bound capacity “ (Bledsoe et al., 1998) Ainsi on distingue la jeune femme sans enfant ou avec un seul enfant (janka en wolof), une jeune épouse ou femme au début de sa vie reproductive (jongoma), une jeune femme mariée ou femme au milieu de sa vie reproductive (jegg), etc. (Hill, 1997, p. 238). 3 5 traditionnelle. Une démographie sans nombres Le travail mené par Nancy Scheper-Hughes sur la mortalité infantile dans une favela de l’État de Pernambouc, dans le Nordeste brésilien, peut sembler plus éloigné des perspectives habituelles de la démographie (Scheper-Hughes, 1997). Elle le qualifie elle-même de « démographie sans nombres » (« Demography without numbers »). Le point de départ est pourtant classique. L’auteur étudie les déclarations de décès d’enfants de moins de 5 ans à l’état civil d’une ville moyenne. Un tiers des décès effectifs ne sont pas déclarés (dans bien des cas, la naissance ne l’était pas non plus). Parmi les décès enregistrés, les trois quarts n’indiquent pas de causes; les causes déclarées correspondent à une étiologie très sommaire mais caractéristique, « arrêt cardiaque et respiratoire », « faim », « déshydratation », « faiblesse », « chute »… La faible existence officielle de ces événements démographiques pousse l’auteur à tenter de reconstituer la réalité sociale et culturelle des décès de bébés et d’enfants, à travers une observation participante dans la favela et une enquête orale auprès des protagonistes de ces décès (mères et voisines, pères, frères et sœurs, guérisseuses, prêtres, fossoyeurs, etc.). Dans ce milieu de coupeurs de canne à sucre aux conditions de vie extrêmement précaires, les mères observent un certain attentisme à l’égard des tout petits enfants, qui se manifeste par un laisser-faire et une résignation calme face au destin. L’idée prévaut que certains enfants n’ont, dès le début, pas le goût de vivre ni de se battre et qu’il n’est pas nécessaire de tout faire pour garder en vie ceux qui sont destinés à devenir des « anges ». Une sélection implicite s’opère ainsi dans les soins donnés aux enfants; l’amour maternel ne s’enracine que très progressivement, lorsque la certitude s’installe que l’enfant n’est pas seulement un visiteur occasionnel sur cette terre. Cette remarquable observation de terrain permet d’éclairer le processus d’intériorisation subjective des conditions de vie et de construction sociale des attitudes maternelles, sur lequel l’histoire et la démographie historique, avec notamment les travaux de Philippe Ariès sur l’émergence du sentiment de l’enfance à l’âge classique (Ariès, 1973), avaient déjà ouvert la voie. Un dispositif qualitatif/quantitatif pour l’étude des personnes sans abri Les recherches menées à l’INED sur les personnes sans abri par Maryse Marpsat et Jean-Marie Firdion (2000) constituent un bon exemple d’injection systématique et raisonnée de méthodes qualitatives dans un dispositif principalement statistique. L’enquête principale est fondée sur un questionnaire proposé à un échantillon représentatif d’utilisateurs de centres d’hébergement et de distribution de repas pendant un mois d’hiver à Paris. La passation du questionnaire a été précédée d’enquêtes de nuit dans la rue et d’entretiens préliminaires auprès de personnes sans abri, puis suivie d’une enquête par entretien auprès de responsables de centres d’hébergement, de personnes sans domicile, ainsi que d’observations plus ethnographiques auprès de personnes vivant de mendicité. Les entretiens exploratoires ont permis par exemple de repérer « la récurrence des parcours d’hommes seuls ayant exercé des professions 6 itinérantes (chauffeurs routiers, marins, militaires etc.) » (Marpsat, 1999), ce qui a conduit à inclure dans le questionnaire une question spécifique sur ce point. Par ailleurs, s‘exprimant de manière ouverte sur le logement, les personnes rencontrées ont utilisé ce terme avec des contenus très divers, selon leurs expériences et leur situation sociale4; il est ainsi apparu qu’interroger sans plus de précision sur le dernier logement risquait simplement d’entériner la définition implicite que chacun en donnait. Par ailleurs, des entretiens ont été menés postérieurement au questionnaire, afin d’en affiner et d’en relativiser certains résultats: ainsi alors que beaucoup d’hommes déclaraient dans le questionnaire avoir perdu leur logement à la suite d’une rupture familiale, les entretiens biographiques plus approfondis font apparaître cette réponse comme une interprétation parmi d’autres possibles, inscrite dans un processus beaucoup plus complexe. Enfin les nombreuses difficultés rencontrées lors de l’administration des questionnaires dans les centres d’hébergement ont incité les responsables de la recherche à lancer un travail qualitatif sur les institutions d’hébergement; ce travail de terrain a mis en évidence un système de hiérarchisation des établissements, en homologie avec une hiérarchisation des utilisateurs (Soulié, 2000), que l’analyse des résultats du questionnaire a confirmée. Micro-démographie, monographies et observatoires démographiques locaux Enfin dans l’utilisation de méthodes qualitatives en démographie, une mention particulière doit être faite à la micro-démographie, telle que le démographe australien Jack Caldwell l’a illustrée, à la fois par ses propres travaux en Afrique et en Inde et à travers ceux de la Commission de démographie anthropologique 5 mise en place dans les années 1980 par l’Union internationale pour l’étude scientifique de la population 6 (UIESP) (Caldwell et al., 1988). Ces études micro-démographiques ont pour caractéristique commune d’être des monographies (community studies) qui, sur une aire géographique ou un groupe relativement restreint, associent la démarche de l’enquête démographique voire épidémiologique à diverses techniques d’enquête ethnographique, souvent dans le cadre de petites équipes pluridisciplinaires: la pluridisciplinarité se marque à la collaboration de démographes et de représentants d ‘autres disciplines, plus qu’à une conversion des démographes en “ qualitativistes ”. Les études micro-démographiques impliquent un séjour généralement prolongé des démographes sur le terrain, qui donne l’occasion de mettre en place de véritables observatoires démographiques locaux, autant que de mener de nombreuses investigations en profondeur. La micro-démographie se distingue de l’anthropologie par un fort intérêt pour le changement et l’innovation, observés dans un cadre local, qui est aussi l’échelle de nombreux programmes et projets de population. Le but initial de cette ouverture disciplinaire était d’enrichir la collecte de données démographiques et l’interprétation des résultats. Mais peu à peu ces monographies démographiques se sont 4 Pour des hommes isolés vivant en centre d’hébergement, une chambre d’hôtel est déjà considérée comme un logement, alors qu’une femme avec enfant(s) ne parlera de logement que lorsqu’il y a location sans limite de durée (Marpsat, 1999). 5 Committee on Anthropological Demography, créé et présidé initialement par Jack Caldwell. 6 International Union for the Scientific Study of Population (IUSSP). 7 émancipées de leurs objets initiaux, prenant pour matière des thèmes qui n’étaient habituellement pris en compte dans l’analyse que comme simples déterminants des comportements démographiques (notamment de fécondité) : ainsi dans une étude parue en 1996 dans Population Studies sur la comparaison de deux villages népalais (Niraula et Morgan, 1996), les auteurs prenaient pour objet le degré d’autonomie personnelle des femmes, dont ils examinaient les liens au mode de formation du mariage ainsi qu’aux contacts post-matrimoniaux des femmes avec leur famille d’origine. Les deux villages (l’un dans les collines près de Katmandou, l’autre près de la frontière indienne) diffèrent fortement par leur organisation sociale et le degré global d’autonomie féminine. La double monographie comparative montre que les différences individuelles entre les caractéristiques biographiques des femmes dans chacun des environnements sont secondaires pour expliquer les différences d’ensemble entre localités par rapport aux différences proprement contextuelles entre les deux villages. Ainsi l’autonomie personnelle féminine, même si elle est mesurable au niveau individuel, est avant tout l’effet d’une organisation sociale et d’un contrôle collectif, qui doivent être observés autrement que par une enquête auprès des individus, selon un mode d’appréhension plus holiste. L’usage de méthodes qualitatives en démographie s’inscrit généralement dans des dispositifs complexes et composites. Un examen plus approfondi des principales techniques utilisées montre que chacune d’entre elles est adaptée à des problèmes particuliers, correspond à un mode d’approche du terrain et permet des types d’analyse spécifiques. II. Techniques d’observation qualitative Il est possible d’ordonner les diverses techniques d’observation de type qualitatif utilisées dans des études démographiques, en fonction du degré de dépendance qu’elles ont à l’égard des enquêtes statistiques auxquelles elles sont associées. Questions ouvertes et éléments non standardisés dans les questionnaires démographiques Une pratique apparemment simple à importer dans un questionnaire démographique est l’usage de la question ouverte pour laquelle, contrairement aux questions fermées pré-codées ou aux questions qui enregistrent des quantités (nombre d’enfants, date de début d’union), le contenu, la forme et la longueur de la réponse ne sont pas fixées d’avance. Le recours à des questions ouvertes est particulièrement pertinent pour recueillir les représentations associées à un terme (par exemple, la notion d’environnement, le mot sexualité, la notion de mauvaise santé ou celle de vrai logement) ou bien les justifications qui sont donnés spontanément d’un comportement ou d’une attitude (par exemple, pourquoi refuserait-on d’épouser un conjoint plus jeune 8 que soi ?). On peut inclure également des questions semi-ouvertes, dans lesquelles, à la suite d’une série de modalités de réponses explicites, est ajoutée une modalité « autres », dont le contenu n’est pas fixé a priori. Dans les procédures d’enrichissement du questionnaire, on peut enfin mentionner le recueil systématique d’observations sur le déroulement de l’entretien : réactions de la personne interrogée face aux questions (gêne, hésitation, surprise…), commentaires additionnels, présence éventuelle et réactions de tiers qui ont une influence sur les réponses. Il est aisé d’introduire des éléments non standardisés dans des questionnaires d’enquête, même si cela requiert une formation plus poussée des enquêteurs. Il est bien plus difficile de les exploiter de façon adéquate. Les observations ou les commentaires sur l’entretien peuvent être simplement utilisés pour lever des ambiguïtés ou résoudre des problèmes de cohérence au moment de la saisie du questionnaire (en revenant éventuellement sur les pré-codifications des enquêteurs). De même, l’exploitation statistique des questions ouvertes peut prendre une forme simplifiée, qui ramène le codage à l’exploitation d’une question fermée ne comptant que quelques modalités. Elle peut inversement prendre une forme approfondie, avec l’objectif de rendre la richesse d’expression et de formulation indigènes, soit en élaborant une nomenclature détaillée organisée selon des principes qui ont un sens pour le thème abordé7, soit à travers une saisie intégrale des réponses, traitées ensuite par un logiciel d’analyse des textes8. Cette seconde option est sans doute plus adaptée aux réponses qui prennent une forme énumérative, alors que la première convient mieux à des réponses de structure complexe, narrative ou argumentative. Le libellé exact de certaines réponses aux questions ouvertes peut être conservé à titre illustratif dans le rapport de la recherche. Une procédure flexible : la campagne d’entretiens Une procédure de recherche, parfois associée, mais de façon plus indirecte, à l’enquête démographique quantitative, est la campagne d’entretiens semi-directifs, menée en amont, parallèlement ou en aval du terrain de l’enquête par questionnaire. Une campagne d’entretiens se définit par une population visée et par un questionnement, qui s’exprime principalement par un guide d’entretien. La population visée peut être divisée en sous-populations, dont on attend qu’elles apportent des informations spécifiques. La détermination de ces sous-populations est fonction des hypothèses et des dimensions structurantes déjà repérées du phénomène. Ainsi dans une enquête par entretien sur la recomposition familiale en France, il convient, d’une part, d’interroger des personnes de milieu populaire et des personnes d’autres milieux et, d’autre part, de chercher à inclure tous les acteurs de la pièce : les enfants, mais aussi les parents gardiens, les beaux-parents, les parents non gardiens. Plutôt que des échantillons représentatifs, les échantillons de campagnes d’entretien sont donc souvent des plans d’expérience. Construit également en fonction d’hypothèses de 7 Voir, par exemple, sur les principes de codage des circonstances de la rencontre du conjoint : Bozon et Héran, 1987, p. 970-984. 8 Voir, par exemple, sur l’analyse de la question sur les représentations de l’environnement : Guérin-Pace, 1997 ; Collomb et Guérin-Pace, 1998. 9 départ, le guide d’entretien semi-directif présente des points communs avec un questionnaire fermé mais « s’en distingue fonctionnellement dans la mesure où il structure l’interrogation mais ne dirige pas le discours » (Blanchet et Gotman, 1992, p. 64). Des consignes de départ standard sont fixées (ex. : « Parlez-moi de votre vie conjugale depuis votre mariage »), ainsi que des consignes intermédiaires, qui indiquent le ou les thèmes. Par ailleurs, le guide d’entretien inclut un guide thématique, que l’interviewer doit connaître sans avoir besoin de le formuler et qui correspond à l’ensemble des points à aborder, soit librement par la personne interrogée, soit après relance par l’enquêteur. La construction problématique n’implique pas de standardisation dans le déroulement de l’entretien. Ce qui distingue le plus nettement un entretien d’un questionnaire est ainsi une grande flexibilité d’utilisation. Lorsqu’une campagne d’entretiens est utilisée à titre exploratoire afin de construire un questionnaire ultérieur (voir plus loin), le guide d’entretien peut se modifier entre le début et la fin de la campagne. Quand une série d’entretiens est effectuée en aval de la passation du questionnaire, éventuellement sur un sous-groupe de l’échantillon de l’enquête, le guide d’entretien peut également s’adapter en tenant compte, pour chaque individu interrogé, des éléments déjà connus du questionnaire quantitatif. L’avantage d’une campagne d’entretiens, par rapport à la collecte par questionnaire, est d’introduire un véritable va-et-vient réflexif au sein même de la collecte de données empiriques. Même le nombre d’entretiens nécessaires n’est pas fixé a priori, dans la mesure où il obéit avant tout au principe de saturation (Blanchet, Gotman, op. cit. ): l’enquête qualitative ne s’achève en principe qu’au moment, inconnu à l’avance, où les entretiens supplémentaires ne font plus apparaître de données ou de processus nouveaux 9. Pour pouvoir être analysés, les entretiens semi-directifs doivent être enregistrés puis transcrits. Sous sa forme la plus simple, l’exploitation peut se limiter à une analyse thématique, qui regroupe les éléments recueillis en fonction des rubriques ou thèmes du guide et qui fait apparaître l’éventail des situations et des termes employés par les acteurs. Ce type d’analyse convient généralement bien à la préparation d’un questionnaire. Des analyses plus élaborées peuvent faire apparaître les structures d’un système de représentations, par exemple à travers « l’analyse de relations par opposition » (Blanchet et Gotman, 1992), des enchaînements typiques d’événements, des correspondances entre des événements vécus et des perceptions, par exemple la souffrance des femmes qui n’arrivent pas à avoir de garçon en Corée (Das Gupta, 1998). Observer les interactions entre les acteurs L’observation participante, très utilisée en anthropologie, l’est peu en démographie. C’est pourtant par ce type de méthode, plutôt que par des déclarations explicites lors d’enquêtes par questionnaires ou d’entretiens semi-directifs, que l’on peut mettre en évidence des inégalités bien réelles et concrètes de traitement entre des 9 En revanche, dans une enquête quantitative, l’effectif de personnes à interroger est calculé a priori pour permettre une bonne précision des estimations statistiques, soit sur la population d’ensemble, soit sur des souspopulations. 10 enfants (quantité de nourriture, soins de santé) comme on en observe en Afrique entre enfants du mariage présent et ceux d’un mariage précédent (Bledsoe, 1995) ou dans un certain nombre de pays d’Asie entre garçons et filles (Das Gupta, 1998) ou dans l’exemple brésilien cité plus haut entre les enfants dont on considère qu’ils ont l’énergie de vivre et les autres (Scheper-Hughes, 1997). De même, l’observation directe est incomparable pour évaluer le fonctionnement de programmes de planification familiale ou d’autres programmes de santé (programmes de lutte contre la diarrhée, programmes de vaccination, programmes de prévention ou de traitement du sida) ou d’institutions comme des dispensaires, des postes de santé ou des centres d’hébergement de personnes sans domicile. Dans ces situations, l’observation directe permet de prendre pour objet les interactions entre acteurs, notamment celles qui se produisent entre individus très éloignés du point de vue culturel ou social, ayant par exemple des représentations du corps et de la maladie radicalement différentes (par exemple un médecin d'ONG, originaire de pays développé, et une indienne de Bolivie). L’observateur doit objectiver l’ensemble des éléments de la situation, et donc prendre en compte, au moment d’analyser ce qu’il a observé et/ou entendu, les effets du lieu, mais aussi ceux de sa présence et de son statut relatif à l’égard des personnes observées. L’observation peut notamment contribuer à une meilleure perception des stratégies et des intérêts de celles ou ceux qui ne sont souvent considérés que comme usagers ou cibles de programmes ou d’actions. Ainsi l’enquête qualitative sur les centres d’hébergement de personnes sans abri (Soulié, 2000) fait apparaître à la fois que les centres sélectionnent certains profils de personnes et que les personnes sans abri elles-mêmes, en fonction de leur situation, de leurs expériences et de leurs aspirations, s’orientent dans le système en choisissant ou en évitant certains lieux d’hébergement. L’entretien de groupe, une méthode critiquable Certains démographes utilisent, notamment dans la phase exploratoire d’une recherche, des entretiens de groupe (ou groupes focaux). Il n’est pas certain que le recours à ce type d’entretiens, organisés par le chercheur, puisse être considéré comme une technique de recherche rigoureuse. En effet, il est difficile d’enregistrer de façon systématique les propos tenus et la nature très complexe des interactions entre participants, le chercheur étant à la fois animateur du groupe, participant et observateur. Les éléments provenant de ces réunions sont d’ailleurs toujours cités de façon assez vague. On peut considérer qu’il s’agit d’une technique de prise de contact ou de mobilisation, d’une technique d’action voire d’une technique pédagogique, plutôt que d’un outil de recherche proprement dit. Cette méthode, qui exerce une certaine fascination sur les démographes, a assurément l’avantage de fournir des résultats rapides pour un investissement faible (Knodel, 1998), mais les données produites peuvent rarement être considérées comme scientifiques, dans la mesure où elles sont difficilement transportables et utilisables en-dehors du contexte qui les a produites. La méthode est trompeuse, parce qu’elle donne lieu à des résultats, mais que ces derniers sont une simple réaction à la situation créée : les représentations locales se présentent 11 toujours comme relativement homogènes en raison des effets de porte-parole, les silences et les non-réponses ne sont pas considérés, et les représentations exprimées ne sont pas rapprochées des pratiques des individus. L’artefact est proche de celui que l’on produit, en science politique, lorsqu’on suppose l’existence d’une “ opinion publique ” constituée sur tous les thèmes, alors que celle-ci, dans la majorité des cas, n’est qu’une réaction en situation, largement induite par la pratique du sondage d’opinion lui-même (Bourdieu, 1980; Meynaud et Duclos, 1996). Dans la mesure où l’on ne recueille pas d’éléments biographiques individuels, il est impossible par exemple de mettre en évidence l’usage tactique ou stratégique de certaines représentations, traditionnelles ou innovantes, dans des discours de justification destinés à l’observateur, et encore moins l’existence de contradictions circonstancielles entre discours officiel et pratiques, qui présentent un grand intérêt pour l’analyse. Un argument qui est parfois utilisé pour recommander l’usage des groupes focaux est la difficulté, voire l’impossibilité de réaliser des entretiens individuels. Il est vrai que dans de nombreux cas, une approche assez longue est nécessaire pour trouver des circonstances et un lieu propices à un entretien face à face. Ce n’est pas pour autant qu’un groupe focal pourrait remplacer ce que des entretiens, ou une bonne observation participante, apportent. La monographie en démographie Une bonne part des travaux qui peuvent être classés comme de la démographie compréhensive prennent la forme de monographies. En soi, la monographie n’est ni une technique ni une méthode. C’est un type d’approche et de produit scientifique, dans lequel l’objectif est de mettre en évidence les processus sociaux à l’œuvre dans un milieu ou un groupe humain. Elle se situe à l’opposé d’une enquête démographique nationale, qui vise à de mettre en variables les comportements et les attitudes d’un vaste échantillon de population et à établir des corrélations entre ces variables. Contrairement aux monographies des anthropologues, celles des démographes incluent généralement des enquêtes quantitatives, qui constituent des données de cadrage, voire une base censitaire, pour la suite des investigations. Elles peuvent être complétées par des enquêtes à passages répétés. Le choix du groupe à étudier ne se fait généralement pas au hasard. Ainsi le fait qu’un programme de santé couvre une zone ou qu’une ONG s’installe peut inciter à choisir la communauté visée. Le fait qu’un travail anthropologique a déjà été mené sur une zone donnée à une époque antérieure peut engager des démographes à revisiter les lieux. La principale caractéristique méthodologique d’une monographie, qui suppose généralement un séjour prolongé des chercheurs sur le terrain, est la possibilité qu’elle offre de faire varier les points de vue sur un objet, en combinant différentes sources et différentes approches : « ce n’est pas l’accumulation de données qui est déterminante, mais le jeu critique que l’on arrive à instaurer entre des sources diverses » (Bozon, 1984, p. 15). Maryse Marpsat cite la métaphore de la triangulation utilisée par des auteurs américains (Jick, 1983, cité par Marpsat, 1999) pour désigner ces combinaisons de méthodes qui éclairent un objet, à la manière de la mise au point qui s’opère à travers une visée multiple. La combinaison 12 de méthodes n’est pas inconnue dans une démographie strictement quantitative : par exemple la comparaison entre des données issues d‘un registre de population et des données issues d’une enquête biographique rétrospective (Poulain et al., 1991). Mais dans une monographie, l’articulation des méthodes est le principe fondamental d’une procédure longue, fonctionnant par aller-retour et par adaptation permanente des hypothèses. Une enquête quantitative est prolongée par un travail par entretiens, qui suggère une nouvelle enquête. Une enquête statistique sur les usagers d’un programme de santé ou de population peut être associée à une observation ethnographique in situ, qui fait apparaître de nouveaux éléments. Utiliser une multiplicité de perspectives permet de décrire des processus et des interactions complexes, qui ne réduisent pas les comportements à une mécanique de variables. Le recours aux méthodes qualitatives est souvent considéré par les démographes comme une simple étape préliminaire ou comme une garantie auxiliaire de qualité dans la collecte des données, qui ne modifie pas le fond des choses. Parfois, mais plus rarement, l’accent mis sur le renouvellement des méthodes et sur le dialogue avec l’anthropologie ou la sociologie qualitative contribue à faire évoluer la discipline démographique vers d’autres objets, d’autres concepts, d’autres méthodes. III. Méthodes qualitatives et qualité de la collecte démographique La préoccupation permanente des démographes d’améliorer la qualité et la fiabilité de leurs données et de traquer les biais et les effets de déclaration les rend sensibles à la réflexivité et à l’interactivité dans les opérations de collecte. L’utilisation d’approches qualitatives dans les phases initiales de planification d’une enquête est ainsi devenue une façon courante d’enrichir le stock initial d’hypothèses et de suggérer puis de tester des modes d’interrogation acceptables. L’idée de contrôles qualitatifs a posteriori de la collecte est également de plus en plus admise. Les toutes premières hypothèses d’une recherche s’appuient nécessairement sur la littérature déjà publiée ou sur des prémisses théoriques plus générales. Il est nécessaire de leur faire passer une première épreuve empirique pour leur donner plus de consistance. Le perfectionnement des hypothèses de la recherche déjà citée sur la formation des couples (Bozon et Héran, 1987) est largement le résultat d’une campagne d’entretiens préliminaire : le choix du conjoint a ainsi été redéfini comme l’aboutissement d’un jugement reposant sur des systèmes très structurés de classification et d’évaluation des partenaires potentiels. Ces systèmes de classification transparaissent dans les termes utilisés par les individus pour qualifier leurs partenaires (ex : sérieux, intelligent, simple, non-conformiste, mûr etc.), qui deviennent ainsi des indices significatifs. Plus généralement, le vocabulaire qui apparaît spontanément au 13 cours des entretiens semi-directifs contient des formulations ou des termes indigènes qui pourront être repris dans les libellés de questions et les modalités de réponses. L’enquête qualitative préalable ne contribue pas seulement à l’explicitation des hypothèses. Elle suggère des procédures de mise en pratique de l’enquête quantitative. Ainsi sur de nombreux thèmes démographiques (comportements de fécondité, nuptialité et famille), il était de tradition de n’interroger que les femmes. Des enquêtes qualitatives ont montré qu’interroger aussi des hommes, voire des hommes conjoints des femmes interrogées, permettait d’aborder de manière plus réaliste l’étude de la négociation et de l’interaction entre conjoints10 . Un dispositif d’enquête qui prend en compte deux conjoints, au moins sur une partie de l’échantillon, a été adopté en définitive dans des enquêtes à plus grande échelle : notamment, dans les Enquêtes démographiques et de santé à partir des années 1990. Un questionnaire démographique est fondamentalement la mise en variables (et en indicateurs) de comportements humains, qui paraît aller de soi lorsque les comportements en question sont déjà partiellement ou fortement objectivés, mis en forme dans la réalité et reconnus par la statistique publique (Héran, 1984). Ainsi il n’est pas difficile de formuler des questions sur des diplômes ou sur un niveau de scolarité, ni sur un nombre d’enfants vivants, ni sur un statut matrimonial légal, ni sur un logement qui donne un statut de propriétaire ou de locataire avec bail, ni enfin sur un emploi avec contrat de travail. La mise en variables est beaucoup plus difficile et doit impérativement s’appuyer sur une approche qualitative préalable lorsque ce sont des réalités peu formalisées, stigmatisées ou cachées qui sont visées ou quand le thème a rarement été traité dans la littérature : ainsi dans le questionnaire de Maryse Marpsat et Jean-Marie Firdion (2000) sur les sans abri, après des questions classiques concernant l’emploi actuel et le dernier emploi, apparaissaient diverses relances concernant « les travaux effectués sans bulletin de salaire », « le travail que l’on effectue pour quelqu’un de façon irrégulière », « le fait de vendre des journaux de sans abri dans la rue », « le fait de vendre des objets que l’on a récupérés ou fabriqués ». Sur des thèmes comme le travail informel, les divers types de logement précaire, mais aussi sur la violence sexuelle (abordée de façon approfondie dans l’Enquête démographique et de santé de Colombie, 1995) ou sur les comportements sexuels en général, il n’est pas possible de proposer ex nihilo les catégories de réponse adéquates : un balayage initial très ouvert est toujours nécessaire. D’une manière générale, une reconnaissance préalable des processus sociaux locaux, même indirecte (par l’examen de travaux déjà publiés de sociologues ou d’anthropologues, en anglais armchair anthropology), , y compris dans leurs aspects rituels et symboliques, permet d’éviter un ethnocentrisme ou un juridisme excessif dans la formulations de questionnaires. Ainsi Étienne van de Walle et Dominique Meekers, dans leur article Marriage Drinks and Kola Nuts (1994), montrent qu’il n’est 10 Pour un exemple de monographie fondée sur une double collecte auprès de la femme et du mari, voir : Hertrich, 1997. 14 pas possible aux démographes, dans beaucoup de pays en développement, de mesurer simplement la date du mariage (même entendu au sens large) sans prendre en compte la diversité des composantes traditionnelles de l’entrée en union. Après une revue de la littérature anthropologique à ce sujet, ils analysent les fonctions du rituel du don de boisson et de noix de kola, très polysémique, qui avait fait l’objet d’une question dans l’Enquête ivoirienne de fécondité (1980-1981). Dans les pays développés, l’informalité croissante des seuils de la jeunesse sollicite fortement l’imagination de ceux qui veulent tout de même dater l’entrée en union ou l’indépendance résidentielle des jeunes (Villeneuve-Gokalp, 1998). La décision d’intégrer des questions ouvertes dans un questionnaire, loin d’être une impuissance à fermer les questions, c’est-à-dire à fixer a priori les catégories de réponse, doit être considérée comme une volonté délibérée de recueillir un certain nombre de formulations spontanées (c’est-à-dire qui s’expriment à travers les catégories sociales qu’utilisent les individus et non pas seulement à travers celles des analystes). Ainsi dans une enquête biographique de l’INED sur le passage à l’âge adulte, réalisée auprès d’individus de 25 à 34 ans (Bozon et Villeneuve-Gokalp, 1995), les nombreuses questions rétrospectives sur les parcours familiaux, conjugaux, professionnels et résidentiels des personnes interrogées étaient suivis d’une question ouverte : « Dites-moi s’il y a un événement de votre jeunesse qui a eu des conséquences importantes pour vous (que nous en ayons parlé ou non). Lequel et à quel âge ? ». Les réponses font apparaître qu’il existe toujours un certain nombre d’événements considérés subjectivement comme marquants qui ne trouvent pas leur place dans la grille de lecture biographique des chercheurs : par exemple des décès de proches, des problèmes de santé ou même des événements historiques. La question ouverte se prête par ailleurs bien à un rapprochement avec d’autres questions, fermées, du questionnaire, par exemple sur les phases dépressives vécues par l’individu (Archambault, 1998). À l’utilisation exploratoire des approches qualitatives, désormais courante, s’ajoute, mais plus rarement, la pratique de l’enquête qualitative complémentaire, qui s’effectue après la collecte des questionnaires. Les fonctions de ces opérations complémentaires sont diverses. Certaines opérations sont essentiellement de vérification et explorent des contradictions dans les réponses, voire des refus de réponses. Contrairement à une enquête de contrôle classique, qui vise essentiellement à mesurer la cohérence entre le questionnaire initial et le questionnaire de contrôle, une opération de contrôle qualitative ne considère pas les réponses problématiques comme erronées mais comme significatives d’une perception de l’enquête par les personnes interrogées ou d’un style de déroulement de l’enquête. Ainsi, aux États-Unis, une enquête qualitative post-censitaire a fait apparaître un taux élevé de réponses inexactes, qui s’accompagnent chez les personnes interrogées d’une indifférence à l’égard de la tâche de remplissage du formulaire, liée à un sentiment d’éloignement à l’égard de l’État et de désaffiliation sociale (Rehner-Iversen et al., 1999). Il est possible également de mener des campagnes d’entretiens complémentaires 15 afin d’élucider le sens de certaines réponses (aide à l’exploitation des questionnaires) et de faire surgir des hypothèses explicatives sur les résultats (aide à la construction d’hypothèses interprétatives). Dans l’enquête de l’INED sur la formation des couples, les entretiens postérieurs ont eu cette double fonction. De nombreux enquêtés avaient répondu qu'au cours du processus de rapprochement avec leur futur conjoint, ils avaient connu une étape de cohabitation partielle (définie dans le questionnaire comme « une période pendant laquelle vous ne viviez pas encore en permanence sous le même toit, mais passiez déjà ensemble dans la semaine quelques journées et quelques nuits, chez l’un ou chez l’autre »). Les entretiens ont montré que cette réponse amalgamait des réalités tellement diverses qu’elle ne devait pas être interprétée comme une phase distincte et véritable (Bozon, 1992b). Enfin à la suite de l’opération quantitative, il arrive que des anthropologues ou des sociologues entament une enquête qualitative relativement indépendante, centrée soit sur une sous-population ou un groupe d’individus partageant une même caractéristique, soit sur une localité, soit sur un problème que le questionnaire a fait apparaître. Dès les années 1970 par exemple, dans ses travaux sur la famille, Louis Roussel a introduit des enquêtes qualitatives indépendantes, à la suite d’enquêtes par questionnaire plus classiques (Roussel et Bourguignon, 1976, 1979). La recherche que nous avons citée plus haut sur les accidents reproductifs et la contraception en Gambie (Bledsoe et al., 1998) prend comme point de départ un résultat du questionnaire qui ne s’ajuste pas à l’interprétation standard des données, ce qui conduit en définitive à entreprendre une recherche anthropologique parallèle, débouchant sur un autre cadre d’hypothèses, très largement différent. La place des hypothèses dans une recherche quantitative est souvent présentée de façon assez peu réaliste comme un ensemble de questions ou plutôt de réponses provisoires que le dispositif ad hoc de l’enquête chiffrée permettrait ensuite de confirmer ou d’infirmer. Les anthropologues et les praticiens des enquêtes qualitatives, quant à eux, ont plutôt le sentiment d’être en permanence en train de ré-élaborer et d’affiner leurs hypothèses, sans cesse mises au feu de nouvelles observations. En réalité, même dans les démarches statistiques, l’élaboration des hypothèses qui, à un moment donné, deviennent des hypothèses interprétatives (ou interprétations), est un processus très graduel : « La construction progressive des hypothèses, telle qu'on la trouve dans la plupart des enquêtes qualitatives, correspond à celle qui se déroule au cours des phases successives de l’enquête puis de l’analyse statistique, à la différence qu’il n’y a pas de retour possible au terrain lorsqu’on est dans l’étape d’analyse, si ce n’est par une nouvelle investigation, approche qualitative ou réitération d’enquêtes statistiques » (Marpsat, 1999, p. 14). L’intégration d’une démarche qualitative dans un dispositif essentiellement statistique permet de nourrir empiriquement la réflexion permanente sur l’enquête en train de se faire, puis de s’analyser; la production continue des hypothèses peut s’appuyer sur des retours au terrain, plutôt que sur la seule imagination ou les présupposés des démographes. Une plus grande flexibilité et interactivité dans la collecte de données 16 démographiques contribue à rendre la discipline démographique « plus dense » (« thicker » ) (Fricke, 1997). Les interrogations que font surgir les approches non statistiques peuvent renouveler certains des concepts fondamentaux de la discipline et la guider vers de nouveaux objets. Parfois, c’est en systématisant des approches initialement qualitatives que la démographie invente de nouvelles méthodes. IV. Approche qualitatives et renouvellement de la démographie Lorsque les démographes rendent compte des changements survenus dans leur discipline, par exemple à l'occasion des numéros-anniversaires des grandes revues (Demography en 1993, Population en 1995, Population Studies en 1996), ils indiquent les évolutions des méthodes, ainsi que les évolutions des objets (les questions ou les débats); plus rarement, les innovations théoriques, même si des auteurs comme Ron Lesthaeghe insistent beaucoup sur cette dimension (Lesthaeghe, 1992, 1998 ; Lesthaeghe et al., 1994). Il est particulièrement rare que le recours à des méthodes qualitatives et le dialogue avec des disciplines qui les utilisent soient mentionnés comme des facteurs d'évolution de la discipline. Pourtant, même si leur apport n'est pas volontiers reconnu11, il existe bien des raisons de penser que l'existence persistante d'autres modes de description des phénomènes sociaux explique une part des développements de la discipline démographique. Mise en variables ou description de processus Traditionnellement, démographie et sociologie quantitatives travaillent sur des phénomènes qui peuvent être décomposés en variables quantifiables. Après la mise en variables, qui est une schématisation12, et la collecte des données, les analystes cherchent par diverses procédures statistiques à rapporter les variables à expliquer à des variables explicatives. L'objectif, correspondant à un principe de parcimonie, est d'utiliser un minimum de variables explicatives (également appelées déterminants) pour décrire le phénomène à expliquer. Inversement, les approches qualitatives visent des processus, c'est-à-dire des relations qui s'établissent entre des attitudes, des conduites sociales et des structures objectives; le processus et les descriptions qui en sont données peuvent être relativement complexes dans la mesure où l'exigence de la mise en variables préalable des comportements ne pèse pas sur l'analyste. Ce dernier fait néanmoins lui aussi une hypothèse de parcimonie, dans la mesure où il suppose que les processus à décrire, même s’ils sont complexes, sont peu nombreux. Ainsi, dans ce type d'approche, l'opposition entre variable dépendante et variable indépendante ou 11 Cette difficulté chez les démographes à reconnaître l’apport d’approches qualitatives à leur discipline est peutêtre liée au désir obsessionnel d’une bonne part d’entre eux d’être rattachés aux “ sciences dures ”. 12 La schématisation est nécessaire et légitime en fonction des hypothèses de recherche : il y a, selon l’expression de Gaston Bachelard, cité par Hubert Gérard (Gérard, 1988), un “ droit de négliger ce qui est négligeable ” (Bachelard, 1938). 17 bien entre phénomène à expliquer et déterminant s'efface, ce qui permet de déplacer beaucoup plus facilement le regard vers des questions que la théorie ne considère pas initialement comme centrales ou qui apparaissent difficiles à mettre en variables. Prenons l'exemple de la nuptialité dans les pays africains (Bledsoe et Pison, 1994). Elle a longtemps été considérée par les démographes, d'une part, comme un simple déterminant de la fécondité, donc ne méritant pas un intérêt particulier, et, d'autre part, comme un phénomène trop difficile à décrire. Quand on interrogeait sur la date du mariage dans les Enquêtes nationales de fécondité des années 1980, on ne savait pas trop ce que l'on mesurait. C'est en se rapprochant de l'anthropologie et de ses méthodes qu'un certain nombre de démographes ont appris à observer et à décrire les mariages comme des processus de formation des unions, ayant une durée et suivant des étapes qui ne sont pas toutes identiques mais qui sont signifiantes, et à donner à l'observation de ces processus une fonction d'analyseur de l'organisation sociale, notamment des rapports entre générations (quelle est l'influence des aînés dans les lignages? par exemple) et des rapports de genre (Locoh, 1995). La contextualisation culturelle des comportements individuels Une autre caractéristique des approches qui s'inspirent de l'anthropologie ou d'une sociologie compréhensive est l'importance qu'elles accordent à l'analyse des structures sociales et culturelles dans lesquelles se meuvent les individus. Elles s'opposent ainsi à certains des modèles d'analyse traditionnellement utilisés en démographie, par exemple dans l'analyse des déterminants de la fécondité, qui font se mouvoir l'acteur social dans un cadre strictement individuel, éventuellement complété par des traits culturels généraux, qui sont censés le caractériser en raison de son appartenance à des agrégats ethniques, nationaux ou géographiques. L'action de la culture ou de l'organisation sociale sur les comportements démographiques est ainsi longtemps restée la terra incognita des études de population. Pour pouvoir envisager l'effet de l'organisation sociale et culturelle autrement que comme le simple résidu non expliqué par les variables individuelles, certains démographes, de nouveau influencés par l'anthropologie, ont cherché à intégrer l'analyse des comportements individuels et celle de l'organisation sociale (Kertzer, 1995). Prenons l'exemple de la longue abstinence sexuelle post partum observée dans les pays africains. La prévalence de ce comportement a longtemps été considérée comme un déterminant de la fécondité (voir plus haut), une donnée spécifique de chaque groupe culturel ne suscitant pas d'intérêt particulier. Le changement de perspective qui a conduit à prendre l'abstinence comme un objet requérant explication a mené à deux types de développements, tous les deux influencés par les approches anthropologiques. L'analyse macro-démographique (macro-level analysis) de Lesthaeghe et al. (1994) met en relation des caractéristiques de l'organisation sociale et économique de divers groupes ethniques, systématisées à partir de données anthropologiques préalables et des taux de prévalence de l'abstinence post partum dans chaque groupe. Deux caractéristiques de l'organisation sociale paraissent particulièrement liées à de faibles 18 taux d'abstinence : l'organisation lignagère matrilinéaire (vs. patrilinéaire), une valeur productive faible des femmes dans l'économie (ce qui est notamment le cas des sociétés pastorales). La recherche de Caroline Bledsoe et Alan Hill sur la Gambie (Bledsoe et al., 1998 ; Hill, 1997) permet plutôt, quant à elle, de rendre compte des variations internes à une société. Les auteurs relient tout d'abord la pratique de l'abstinence à une représentation locale de la vie reproductive (voir plus haut), qui constitue le cadre mental dans lequel les choix s'opèrent. Mais ce n'est pas parce que la règle d'abstinence est traditionnelle qu'elle ne peut pas être largement manipulée. Il s'agit tout d'abord d'une règle tendancielle, qui s'exprime plutôt comme une réduction négociée de la fréquence que comme une suppression des rapports sexuels (Hill, 1997, p. 233). En second lieu, on observe que les intervalles intergénésiques moyens augmentent régulièrement avec la parité : les jeunes femmes ont plutôt tendance à raccourcir la période d'abstinence et les femmes qui ont déjà plusieurs enfants à l'allonger. En somme, indépendamment des facteurs de changement que la démographie situe souvent dans les progrès de l'instruction, il existe des types d'organisation sociale et économique qui favorisent ou découragent la tradition de l'abstinence post partum qui, en outre, apparaît comme étant pour les femmes une pratique plus stratégique et plus négociée qu'on ne l'estime généralement. Démographie compréhensive et émergence de l’analyse du genre Un autre exemple d'évolution de la démographie vers des objets et des perspectives qui lui étaient initialement étrangères est la montée de l'intérêt des démographes pour l'analyse du genre ou des rapports de genre (Greenhalgh, 1995 ; Federici et al., 1993 ; Riley, 1997a et b). Ce nouveau développement est largement dû aux travaux et aux méthodes de disciplines moins quantitativistes. La démographie n'a évidemment jamais ignoré le sexe des individus qui composent les populations et elle a su très vite calculer des espérances de vie ou des taux de mortalité infantile par sexe, ainsi qu’établir l'existence d'inégalités de statut entre hommes et femmes, dans les niveaux d'instruction, dans les âges au mariage, dans les taux d'activité (Véron, 1997). Le rôle central que joue traditionnellement l'analyse de la fécondité dans la démographie a même fait converger particulièrement l'intérêt sur un certain nombre d'indicateurs concernant spécifiquement les femmes : il est devenu classique de rapporter leur niveau d'instruction à leur âge au mariage, à leur nombre d'enfants, à la fréquence d'utilisation de la contraception, voire au niveau de la mortalité infantile (voir le chapitre 93 du volume VI). Dans les versions classiques de la théorie de la transition démographique qui est, au fond, une application aux études de population d'une théorie sociologique de la modernisation, la montée de l'instruction des femmes est considérée comme un des phénomènes qui agit le plus directement sur la baisse de la fécondité et de la mortalité infantile. Cette focalisation sur l'éducation des femmes risque de faire oublier que ni la montée de l'instruction ni la baisse de la fécondité ne provoquent nécessairement un accroissement de l'égalité entre sexes. Dans toutes les sociétés, il existe une construction sociale et culturelle des rapports de genre (gender system), qui détermine les rôles des hommes et des femmes, les ressources dont ils 19 disposent et le pouvoir respectif dont ils jouissent: bien que ce résultat ne soit pas atteint de la même façon dans chaque société, le pouvoir des hommes l'emporte toujours sur celui des femmes, dans la sphère publique comme dans la sphère privée. Une démographie sensible aux rapports de genre s'intéresse aux facteurs persistants qui produisent la discrimination à l'égard des filles et des femmes, aux éléments qui favorisent l'autonomie de décision des femmes, ainsi que sur les modes de négociation et de contrainte entre hommes et femmes. Les méthodes qualitatives sont précieuses pour mettre en évidence et pour relier ces éléments. Ils ont d'abord été examinés à des niveaux macro-sociaux, où l'on peut mettre en relation des données anthropologiques, des systèmes de genre et des processus démographiques. Ainsi la diminution de la fécondité dans plusieurs grands pays asiatiques (Inde, Chine, Corée) va de pair avec l'augmentation de la proportion de filles manquantes, essentiellement par avortement prénatal sélectif. Les sociétés concernées sont des sociétés patrilinéaires dans lesquelles les fils, contrairement aux filles, vivent avec leurs parents après le mariage et contribuent à leur entretien. La modernisation technologique permet dans ce cas une expression renforcée de la préférence traditionnelle pour les fils. Si la démographie est particulièrement bien armée pour donner un diagnostic quantitatif du phénomène, elle doit s'associer à des approches plus anthropologiques pour décrire l'ensemble du processus et ses conséquences dramatiques sur la condition des femmes, en contextualisant les comportements au-delà du niveau individuel. Une autre application possible d'une approche de genre en démographie concerne la description des conséquences de l'épidémie de sida pour les femmes en Afrique. Des études essentiellement qualitatives ont montré d'une part que les femmes étaient rarement en mesure de refuser des rapports sexuels non protégés à des conjoints qu'elles savaient séropositifs et d'autre part que leur fécondité ne baissait pas, bien au contraire, lorsqu'elles étaient séropositives (Desgrées du Loû, 1998). Il serait souhaitable que des études démographiques ou épidémiologiques intégrant une approche anthropologique aident à situer la logique d'ensemble de ces comportements dans leur culture, sans omettre la dimension du genre et de la contrainte vécue, voire de la violence. Si la démographie est l'analyse de la reproduction des populations, on ne peut guère s'étonner a priori qu'un de ses objets d'intérêt majeur soit l'analyse quantitative de la fécondité. Les contacts avec des disciplines comme l'anthropologie et la sociologie, ainsi qu'avec des approches plus qualitatives ont pourtant amené à critiquer la notion démographique de reproduction comme étant à la fois trop biologique et trop individualiste : il s'agit d'une reproduction des individus, dans laquelle les enfants sont toujours attribués à une femme précise (Townsend, 1997). Dans l'optique plus large qui est celle d'autres disciplines, la reproduction doit être entendue comme une « reproduction sociale des structures de relations et de positions sociales »13 (Kertzer et Fricke, 1997, p. 21). Dans cette perspective, la démographie a aussi pour objet les processus de parentalité sociale, comme l'adoption, la recomposition familiale, le confiage d'enfants, voire les relations de parrainage, ainsi que les mécanismes qui 13 « the social reproduction of structures of relationship and social positions » (Kertzer et Fricke, 1997, p.21) 20 interviennent dans la reproduction des rapports de genre. Dès qu'elle entre en contact avec d'autres approches, la démographie peut voir s'élargir son objet et ses possibilités d'interprétation de façon considérable. La systématisation quantitative d’approches qualitatives Une partie des méthodes quantitatives utilisées par les démographes peut enfin être considérée comme une systématisation d'approches qualitatives pré-existantes. Ainsi la reconstitution de familles en démographie historique s'appuie sur la technique de la généalogie. L'analyse biographique prolonge les histoires de vie des sociologues, pratiquées également par les anthropologues. La préoccupation d'intégrer dans une même analyse les niveaux micro, méso et macro, qu’exprime le développement de l’analyse multi-niveau, est une question classique en anthropologie. Les méthodes d'échantillonnage utilisées dans les enquêtes statistiques auprès des personnes sans abri imitent les procédés utilisés par des anthropologues de terrain (enquêtes de nuit, enquêtes auprès des services aux sans-abri). L'usage de l'analyse textuelle en démographie est une systématisation des analyses de contenu. L'invention de nouvelles méthodes par standardisation de méthodes empiriques de terrain est particulièrement fréquente dans les pays aux statistiques imparfaites. Si les méthodes quantitatives produisent une schématisation et une homogénéisation des données, qui correspondent à la mise en variables, elles reposent souvent sur une logique d'interrogation et d'analyse de la réalité qui est initialement beaucoup plus complexe. En ce sens, il n'y a pas de barrière entre méthodes qualitatives et quantitatives et le dialogue avec des disciplines qui n'utilisent pas de méthodes quantitatives reste essentiel au développement de la démographie. Un tel dialogue n’implique pas la conversion à une autre discipline, mais la prise en compte permanente par les démographes des résultats, des questions et des outils que suggèrent les approches qualitatives. Pour autant, il ne paraît pas souhaitable d’imaginer une démographie purement qualitative, qui existerait comme sousdiscipline à côté de la démographie mainstream. Par exemple, même si une démarche qualitative fait apparaître dans des cultures variées que l’âge des individus est généralement perçu selon les catégories discontinues et à géométrie variable d’un “ âge social ”, il reste nécessaire de relier ces catégories indigènes à un âge mesurable continu. C’est la tension entre sens et mesure qui produit la compréhension, plutôt qu’une simple focalisation sur le sens. Conclusion Même si la démographie dispose d'une incomparable boîte à outils statistiques, ce serait pour elle une perspective à courte vue, susceptible de bloquer son évolution en tant que discipline, que de s'interdire le recours à des approches différentes. Une analyse large et sans restriction de la dynamique de la reproduction des populations 21 produit une démographie compréhensive, à la fois réflexive et interprétative. Une tradition de critique des sources et de rigueur dans la collecte des données aide peutêtre les démographes à accepter l'apport de méthodes qualitatives dans les phases préliminaires de la construction des recherches; l'exigence de réflexivité devrait les conduire plus systématiquement à renforcer les collectes quantitatives par des dispositifs qualitatifs. Se pensant comme une discipline de faits, la démographie est généralement rétive à l'idée d'interprétation. Or la demande d'interprétation se ramène largement à une exigence de contextualisation des comportements, à laquelle des approches qualitatives sont capables d'apporter leur concours. Cet élargissement de perspective peut s'effectuer dans trois directions: la mise en relation des comportements observés avec le sens que leur confèrent les acteurs, l'analyse des interactions interindividuelles qui produisent les comportements, l'inscription des phénomènes observés dans un fonctionnement social qui doit être décrit au-delà de ce qu'en perçoivent les sujets interrogés. Cette triple contextualisation est nécessaire pour faire apparaître, par exemple, les contraintes qui pèsent sur les comportements démographiques des femmes et leurs marges d'initiative, dans un état donné des rapports de genre. Une démographie interprétative est ainsi susceptible de s'approprier de nouvelles questions et d'inventer d'autres méthodes pour les traiter. 22 REFERENCES ARCHAMBAULT Paul, 1998. – États dépressifs et suicidaires pendant la jeunesse: résultats d’une enquête sociodémographique chez les 25-34 ans, Population, vol. 53, n° 3, p. 477-515. ARIES Philippe, 1973. – L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime. – Paris, Seuil, XIX + 501 p. BASU Alawa Malkade et AABY Peter, 1998 (éd.) – The Methods and Uses of Anthropological Demography. – Oxford, Clarendon Press, 329 p. BACHELARD Gaston, 1999 - La formation de l’esprit scientifique - Paris, Vrin (1ère édition 1938), 256p. BLANCHET Alain et GOTMAN Alain, 1992. – L'enquête et ses méthodes : l'entretien. – Paris, Nathan, 128 p. BLEDSOE Caroline, 1995. – Marginal members: children of previous unions in Mende households in Sierra Leone, in : Susan GREENHALGH (éd.), Situating fertility. Anthropology and demographic inquiry, p. 130-153. – Cambridge, Cambridge University Press, 304 p. BLEDSOE Caroline, BANJA Fatoumatta et HILL Alan, 1998. – Reproductive mishaps and Western contraception : an African challenge to fertility theory, Population and Development Review, vol. 24, n° 1, p. 15-57. BLEDSOE Caroline et PISON Gilles (éd.), 1994. – Nuptiality in Sub-Saharan Africa, Contemporary anthropological and demographic perspectives. – Oxford, Clarendon Press, 326 p. (International Studies in Demography). BLEDSOE Caroline et HILL Alan, 1998. – Social Norms, Natural Fertility and the Resumption of Postpartum Contact in the Gambia. – in: Alawa Malkade BASU et Peter AABY (éd), The Methods and Uses of Anthropological Demograph., p.268-297 – Oxford, Clarendon Press, 329 p. (International Studies in Demography). BOURDIEU Pierre, 1980. – L’opinion publique n’existe pas – in : Pierre BOURDIEU , Questions de sociologie, p.222-235 – Paris, Editions de Minuit, 277 p. BOZON Michel, 1984. – Vie quotidienne et rapports sociaux dans une petite ville de province. La mise en scène des différences. – Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 300 p. BOZON Michel, 1990a.– Les femmes et l'écart d'âge entre les conjoints. Une domination consentie. I Types d’union et attentes en matière d’écart d’âge, Population, vol. 45, n° 2, p. 327-360. BOZON Michel, 1990b.– Les femmes et l'écart d'âge entre les conjoints. Une domination consentie. II. Modes d'entrée dans la vie adulte et représentations du conjoint, Population, vol. 45, n° 3, p. 565-602. BOZON Michel, 1992a. – Par-delà le quantitatif et le qualitatif. Pour une analyse des mécanismes de différenciation, in : AIDELF (éd.), Démographie et Différences, p. 559-566. – Paris, PUF, 662 p. (Colloque International de Montréal, Colloques 4). BOZON Michel, 1992b. – La diversification des modes d'entrée dans la vie en couple, in : AIDELF (éd.), Démographie et Différences, p. 567-572. – Paris, PUF, 662 p. (Colloque International de Montréal, Colloques 4). BOZON Michel et HERAN François, 1987. – La découverte du conjoint. I. Évolution et morphologie des scènes de rencontre, Population, vol. 42, n° 6, p. 943-986. BOZON Michel et VILLENEUVE-GOKALP Catherine, 1995. – L'art et la manière de quitter ses parents, Population et Société, n° 297, p. 1-4. CALDWELL John C., HILL Alan G. et HULL Valerie J. (éd.), 1988. – Micro-approaches to demographic research. – Londres, Kegan Paul, 500 p. COURGEAU Daniel, 1999. – Préface, in : GRAB (Groupe de réflexion sur l'approche biographique), 23 Biographies d'enquêtes. Bilan de 14 collectes biographiques, p. IX-XVI. – Paris, INED, IRD, Réseau Socio-Economie de l'habitat, PUF, 336 p. (Méthodes et Savoirs). DAS GUPTA Monica, 1998. – "Missing girls" in China, South Korea and India : causes and policy implications. – Boston (Massachusetts), Harvard Center For Population, 19 p. DEMOGRAPHY, 1993, vol.30, N°4, novembre. Thirty years of Demography. DESGREES DU LOU Annabel, 1998. – Santé de la reproduction et sida en Afrique subsaharienne : enjeux et défis, Population, vol. 53, n° 4, p. 701-730. FEDERICI Nora, OPPENHEIM MASON Karen et SOGNER Solvi (éd.), 1993. – Women's position and demographic change. – Oxford, Clarendon Press, 368 p. FLANDRIN Jean-Louis, 1976. – Familles. Parenté, maison, sexualité dans l'ancienne société. – 1976, Paris, Hachette, 288 p. FRICKE Tom, 1997. – Culture theory and demographic process : toward a thicker demography, in : David KERTZER et Tom FRICKE (dir), Anthropological demography. Toward a new synthesis, p. 248-278. – Chicago, University of Chicago Press, IX + 294 p. GERARD Hubert, 1988. – Au-delà du quantitatif. Discours d’ouverture .– in : Hubert GERARD et Michel LORIAUX, (éd), Chaire Quételet 1985. Au-delà du quantitatif. Espoirs et limites de l’analyse qualitative en démographie., p.15-52. – Institut de Démographie, Université Catholique de Louvain, Louvain-La-Neuve, Ciaco Editeur, 670p. GERARD Hubert et LORIAUX Michel, 1988, (éd.). – Chaire Quételet 1985. Au-delà du quantitatif. Espoirs et limites de l’analyse qualitative en démographie. – Institut de Démographie, Université Catholique de Louvain, Louvain-La-Neuve, Ciaco Editeur, 670p. GREENHALGH Susan, 1995. – Anthropology theorizes reproduction : integrating practice, political economic, and feminist perspectives, in : Susan GREENHALGH (éd.), Situating fertility: anthropology and demographic inquiry, p. 3-28. – Cambridge, Cambridge University Press, XV+304 p. GREENHALGH Susan (éd.), 1995. – Situating fertility: anthropology and demographic inquiry. – Cambridge, Cambridge University Press, XVII+304 p. GUERIN-PACE France, 1997. – La statistique textuelle, un outil exploratoire en sciences sociales, Population, vol. 52, n° 4, p. 865-888. GUERIN-PACE France et COLLOMB Philippe, 1997. – Les Français et l’environnement. L’enquête «Populations-Espaces de vie-Environnments». – Paris, INED et Presses universitaires de France, 255 p. (Travaux et Documents, cahier n°141). HERAN François, 1984. – L’assise statistique de la sociologie . – Economie et Statistique, N°168, juillet-août, p.23-36. HERTRICH Véronique, 1997. – Les réponses des hommes valent-elles celles des femmes? Une double collecte sur les questions génésiques et matrimoniales dans une population du Mali, Population, vol. 52, n° 1, p. 45-62. HILL Allan G., 1997. – Truth lies in the eye of the beholder : the nature of evidence in demography and anthropology, in : David KERTZER et Tom FRICKE (dir), Anthropological demography. Toward a new synthesis, p. 223-247. – Chicago, University of Chicago Press, IX + 294 p. JICK Todd D., 1993. – Mixing qualitative and quantitave methods : triangulation in action, in : John van Maanen (éd.), Qualitative Methodology, p. 135-149. – Beverly Hills, Sage, 272 p. KAUFMANN Jean-Claude, 1992. – La trame conjugale. Analyse du couple par son linge. – Paris, Nathan, 216p. KERTZER David, 1995. – Political-economic and cultural explanations of demographic behavior, in : Susan GREENHALGH (éd.), Situating fertility: anthropology and demographic inquiry, p. 29-52. – Cambridge, Cambridge University Press, XV+304 p. KERTZER David et FRICKE Tom (dir), 1997. – Anthropological demography. Toward a new synthesis. – Chicago, University of Chicago Press, IX + 294 p. KERTZER David et FRICKE Tom, 1997. – Toward an anthropological demography, in : David KERTZER et Tom FRICKE (dir), Anthropological demography. Toward a new synthesis, p. 1-35. – 24 Chicago, University of Chicago Press, IX + 294 p. KNODEL John, 1998 . – Using Qualitative Data for Understanding Old-Age Security and Fertility . – in: Alawa Malkade BASU et Peter AABY (éd), The Methods and Uses of Anthropological Demograph., p.57-80. – Oxford, Clarendon Press, 329 p. (International Studies in Demography). LEBOUTTE René, 1991. – Motivations des acteurs de la transition démographique. De l'analyse quantitative à l'enquête orale dans la région liégeoise (fin XIX e siècle-XXe siècle), in : SBD (éd.), Historiens et Populations, p. 281-300. – Louvain La Neuve, Academia, Société belge de démographie (SBD), 836 p. (Liber amicorum Étienne Hélin). LESTHAEGHE Ron J., 1992. – Beyond economic reductionism: the transformation of the reproductive regimes in France and Belgium in the 18 th and 19th Centuries, in : Calvin GOLDSCHEIDER (ed.), Fertility transitions, family structure and population policy, p. 1-44. – Boulder (Colorado) , Westview Press, XIX+283 p. LESTHAEGHE Ron J., 1998. – On theory development and applications to the study of family formation, Population and Development Review, vol. 24, n° 1, p. 1-14. LESTHAEGHE Ron J., KAUFMANN Georgia, MEEKERS Dominique et SURKYN Johan, 1994. – Postpartum abstinence, polygyny and age at mariage : a macro-level analysis of Sub-Saharan societies, in : Caroline BLEDSOE et Gilles PISON (éd.), Nuptiality in Sub-Saharan Africa, Contemporary anthropological and demographic perspectives, p. 25-54. – Oxford, Clarendon Press, 326 p. (International Studies in Demography, IUSSP). LOCOH Thérèse, 1995. – Divorce et remariage des femmes en Afrique de l’Ouest. Le cas du Togo, Population, vol. 50, n° 1, p. 61-93. MARPSAT Maryse, 1999. – Les apports réciproques des méthodes quantitatives et qualitatives : le cas particulier des enquêtes sur les personnes sans domicile. – Paris, INED, 24 p. (Documents de travail N°79). MARPSAT Maryse et FIRDION Jean-Marie (éd.),2000. – La rue et le foyer. Une recherche sur les sansdomicile et les mal-logés dans les années 1990. – Paris, INED et PUF, 413 p. (Travaux et documents, Cahier n° 144). MAUSS Marcel, 1947. – Manuel d'ethnographie. – Paris, Payot, 210 p. MEYNAUD Hélène et DUCLOS Denis., 1996 . – Les sondages d’opinion . – Paris, La Découverte, 128 p. NIRAULA Bhanu B. et MORGAN S. Philip, 1996. – Marriage formation, post-marital contact with natal kin and autonomy of women : evidence from two Nepali settings, Population Studies, vol. 50, n° 1, p. 35-50. PISON Gilles, 1980. – Calculer l’âge sans le demander : méthode d’estimation de l’âge et structure par âge des Peuls Bandé . – Population, vol.35, N° 4-5, p.861-892. POPULATION, 1995, vol.50, N° 6, Numéro spécial Cinquante années de Population. POPULATION STUDIES, 1996, vol.50, N° 3, Numéro spécial The first fifty years. POULAIN Michel, RIANDEY Benoît et FIRDION Jean-Marie, 1991. – Enquête biographique et registre belge de population: une confrontation des données, Population, vol. 46, n° 1, p. 65-88. (Également publié en anglais: Data from a life history survey and the Belgian population register: a comparison, Population. An English Selection, 1992, vol.4, p.77-96). QUESNEL André, 1988. – Objectifs et formes de l’approche qualitative dans les études démographiques menées dans les pays à statistiques incomplètes . – in : Alawa Malkade BASU et Peter AABY (éd), The Methods and Uses of Anthropological Demograph., p.321-345 . – Oxford, Clarendon Press, 329 p. (International Studies in Demography). REHNER IVERSEN, Roberta , FURSTENBERG, Frank F., Jr. ; BELZER, Alisa A., 1999. – How much do we count ? Interpretation and error-making in the Decennial Census, Demography, vol. 36, n° 1, p. 121-134. RILEY Nancy, 1997. – Gender, power and population change, Population Bulletin, vol. 52, n° 1, p. 148. 25 RILEY Nancy, 1997. – Similarities and differences : anthropological and demographic perspectives on gender, in : David KERTZER et Tom FRICKE (dir), Anthropological demography. Toward a new synthesis, p. 115-138. – Chicago, University of Chicago Press, IX + 294 p. ROUSSEL Louis et BOURGUIGNON Odile, 1976. – La famille après le mariage des enfants. Etude sur les relations entre générations. – Paris, INED et PUF, 268 p. (Travaux et Documents, Cahier n° 78). ROUSSEL Louis et BOURGUIGNON Odile, 1979. – Générations nouvelles et mariage traditionnel. I. Enquête auprès de jeunes de 18-30 ans. – Paris, INED et PUF, 292 p. (Travaux et documents, Cahier n° 86). SCHEPER-HUGHES Nancy, 1997– Demography without numbers, in : David KERTZER et Tom FRICKE (dir), Anthropological demography. Toward a new synthesis, p. 201-222. – Chicago, University of Chicago Press, IX + 294 p. SEGALEN Martine, 1985. – Quinze générations de Bas-Bretons. Mariage, parentèle et société dans le pays Bigouden sud : 1720-1980. – Paris, PUF, VII + 874 p. SEGALEN Martine, 1997 . – Comment se marier en 1995 ? Nouveaux rituels et choix sociaux . – in : Gérard BOUCHARD et Martine SEGALEN, (éd), Une langue, deux cultures. Rites et symboles en France et au Québec, p.149-166. – Paris, La Découverte/ Université Laval, 350 p. De SINGLY François, 1987. – Fortune et infortune de la femme mariée. Sociologie de la vie conjugale. – Paris, PUF, 229p. SOULIE Charles, 2000. – Le dualisme du réseau d'hébergement pour les personnes sans abri à Paris, in : Maryse MARPSAT et Jean-Marie FIRDION (éd.), La rue et le foyer. Une recherche sur les sans-domicile et les mal-logés dans les années 1990, p. 211-256. – Paris, INED et PUF, 413 p. (Travaux et documents, Cahier n° 144). TOWNSEND Nicholas, 1997. – Reproduction in anthropology and demography, in : David KERTZER et Tom FRICKE (dir), Anthropological demography. Toward a new synthesis, p. 96-114. – Chicago, University of Chicago Press, IX + 294 p. VAN DE WALLE Étienne et MEEKERS Dominique, 1994. – Marriage drinks and kola nuts, in : Caroline BLEDSOE et Gilles PISON (éd.), Nuptiality in Sub-Saharan Africa, Contemporary anthropological and demographic perspectives, p. 57-73. – Oxford, Clarendon Press, 326 p. (International Studies in Demography, IUSSP). VERON Jacques, 1997. – Le monde des femmes. Inégalité des sexes, inégalité des sociétés. – Paris, Seuil, 205 p. VILLENEUVE-GOKALP Catherine, 1997. – Le départ de chez les parents : définitions d'un processus complexe, Économie et statistique, n° 304-305, p. 149-162.