Comment nous modifions la commande ventilatoire de nos patients ? Marine Le Corre, Mathieu Raux Laboratoire de Physiopathologie Respiratoire, ER10 UPMC Neurophysiologie Respiratoire Expérimentale et Clinique, Université Pierre et Marie Curie Paris 6, Département d’Anesthésie Réanimation, Groupe Hospitalier Pitié Salpêtrière, 47-83 boulevard de l’hôpital, 75651 Paris Cedex 13. E-mail : [email protected] Introduction La ventilation a pour objectif l’élimination du CO2 produit par l’organisme. Elle est indispensable à la vie. Elle repose sur la production d’une commande ventilatoire. Celle-ci prend sa source dans les réseaux neuronaux du tronc cérébral. Cette commande est transmise à des neurones respiratoires chargés de sa distribution aux différents groupes musculaires impliqués dans la ventilation : les muscles dilatateurs des voies aériennes supérieures puis les muscles respiratoires du tronc dont la contraction assure la mobilisation de l’air dans les poumons. En tout temps, le générateur central de la commande est renseigné sur l’état du système respiratoire et la résultante de la contraction musculaire. Pour cela, il reçoit des afférences provenant de mécano- et de chémorécepteurs. De nombreuses situations pathologiques rencontrées en réanimation, de même que de nombreuses thérapeutiques, peuvent modifier directement ou indirectement cette commande et donc la ventilation qui en résulte. 1. Source de la commande ventilatoire 1.1.La commande automatique La commande ventilatoire automatique trouve sa source au sein d’un réseau de neurones situés à la partie latéro-caudale et ventrale du bulbe rachidien. Dans ce réseau, deux groupes de neurones se dépolarisant automatiquement se distinguent et ont une action dans la rythmogenèse de la ventilation. Le complexe préBötzinger (préBötC) [1] est le générateur de l’inspiration. Il possède une activité phasique. Il reçoit des afférences toniques du groupe respiratoire parafacial (GRpF) [2]. Ce dernier présente une activité phasique destinée aux muscles expiratoires qui se démasque lors de l’augmentation de la ventilation. C’est lui qui rend l’expiration active. Le complexe préBötC et GRpF agissent de manière 200 MAPAR 2013 couplée et en alternance. Le rythme inspiratoire ainsi produit est transmis à un réseau de neurones dits « neurones respiratoires », situés à proximité dans le tronc cérébral. Ils ont pour but, via des interactions excitatrices ou inhibitrices, d’assurer l’organisation temporelle et spatiale de la commande automatique. Cette commande est sous l’influence de nombreuses afférences permettant une adaptation de la ventilation au métabolisme. 1.2.La commande supra-pontique Chez l’humain, la ventilation peut être modulée par les émotions, par une action volontaire ou en raison de contraintes à l’écoulement de l’air. Cette modulation de la commande fait intervenir des voies différentes de celles du contrôle automatique. La modulation émotionnelle dépend de structures limbiques et ces voies de conduction sont indépendantes de celles impliquées dans le contrôle volontaire de la ventilation [3]. La modulation volontaire et comportementale dépend de structures situées dans le cortex prémoteur, cortex moteur primaire et dans l’aire motrice supplémentaire [4]. Ces structures projettent des fibres corticospinales sur les motoneurones phréniques ou les motoneurones des muscles pompes et des fibres corticobulbaires sur les motoneurones des muscles dilatateurs. 1.3.Les afférences L’objectif de la ventilation étant l’élimination du CO2, le système ventilatoire doit donc recevoir des afférences provenant de chémorécepteurs sensibles au CO2. Il existe des chémorécepteurs centraux situés dans le tronc cérébral à proximité des neurones respiratoires et des chémorécepteurs périphériques sont localisés au sein des parois artérielles des bifurcations carotidiennes sensibles au CO2 et des chémorécepteurs situés au niveau de la crosse de l’aorte, sensibles à l’hypoxémie (et dans une moindre mesure à l’hypercapnie). La production de la ventilation reposant sur un système cybernétique, ce dernier doit être tenu informé de l’état de ses effecteurs. Il comporte ainsi des mécanorécepteurs (tensiorécepteurs à adaptation lente et rapide, récepteurs J, etc…) localisés dans le parenchyme pulmonaire, les bronches et les muscles respiratoires. Les informations sont médiées via le nerf vague et le nerf phrénique. 2. Modifications du contrôle de la ventilation en réanimation De nombreux patients hospitalisés en réanimation présentent à leur admission, ou vont présenter au cours de leur séjour, une détresse respiratoire. Ces détresses mettent souvent en jeu la commande ventilatoire afin de s’adapter aux contraintes respiratoires. En dehors de ces modifications physiopathologiques, il existe des modulations iatrogènes, puisqu’une grande partie des thérapeutiques administrées en réanimation a une influence sur le contrôle ventilatoire. 2.1.Augmentation de la commande ventilatoire Cette situation est fréquente en réanimation. Le tableau clinique est connu de tous. Il associe une augmentation de la fréquence respiratoire, du volume courant et le recrutement de muscles respiratoires extra-diaphragmatiques (muscles du cou, muscles abdominaux). Elle s’accompagne d’un inconfort ventilatoire Ventilation en anesthésie-réanimation 201 (dyspnée). La disparition de ces signes peut être faussement rassurante, car elle peut témoigner d’un épuisement respiratoire. 2.1.1. Augmentation liée à un processus pathologique Toute altération d’un des composants du système ventilatoire va modifier la commande de ce dernier. Ainsi, toute contrainte à l’écoulement de l’air se comporte comme une charge pour le système ventilatoire (on parle de « charge mécanique »). La nature de cette charge dépend du type de pathologie (charge résistive dans l’asthme, charge élastique dans l’œdème pulmonaire, charge à seuil au cours des décompensations de broncho-pneumopathie chronique obstructive). Elles s’accompagnent d’une augmentation de la commande ventilatoire (comme en atteste la clinique). Pour autant, ces charges ne peuvent être surmontées par la simple augmentation de la commande automatique. Cette dernière doit être « épaulée » par une activation d’aires corticales motrices et prémotrices [5]. La signification de l’activation de ces zones corticales n’est pas clairement connue mais des données suggèrent un effet facilitateur de ces structures sur la réponse des motoneurones phréniques à la commande automatique bulbospinale [6]. Ainsi, les structures corticales semblent contribuer à amplifier la réponse du motoneurone phrénique à la commande respiratoire, permettant ainsi de compenser la charge mécanique imposée. Sous anesthésie générale, comme au cours du sommeil physiologique, ces facultés de compensation sont abolies ce qui suggère l’implication des structures corticales dans la compensation de la charge. Les pathologies responsables d’une altération des échanges gazeux peuvent entraîner, via l’hypoxémie ou l’hypercapnie, une augmentation de la commande ventilatoire par stimulation des chémorécepteurs. Enfin, toutes les pathologies qui entraînent directement ou indirectement, par augmentation du métabolisme ou par modification de l’équilibre acido-basique, une modification de la PaCO2, s’accompagneront d’une augmentation de la commande ventilatoire dans le but de ramener la PaCO2 dans une plage physiologique. Enfin, la douleur et l’angoisse, fréquemment rencontrées en réanimation, sont de puissants stimulants de la commande ventilatoire. 2.1.2. Augmentation iatrogène Chez des patients placés sous assistance ventilatoire, un support ventilatoire insuffisant se comporte comme une charge mécanique. La « sous-assistance » s’accompagne de signes cliniques témoins d’une augmentation de la commande ventilatoire. Elle s’accompagne par ailleurs d’un inconfort respiratoire (dyspnée) qui vient majorer l’augmentation de la commande ventilatoire. Enfin, la sousassistance entraîne le plus souvent une hypoventilation alvéolaire responsable d’hypercapnie, laquelle contribue à une augmentation de la commande automatique. De manière anecdotique, deux traitements médicamenteux parfois administrés en réanimation peuvent augmenter per se la commande ventilatoire : l’acétazolamide entraîne une acidose métabolique [7] qui stimule chémorécepteurs centraux du bulbe et l’almitrine par stimulation des chémorécepteurs périphériques de la crosse aortique en mimant une hypoxie à leur niveau [8]. 202 MAPAR 2013 2.2.Diminution de la commande ventilatoire La commande ventilatoire peut être diminuée, procédant d’un processus pathologique (atteinte neurologique centrale, défaut de transmission) ou d’un dysfonctionnement iatrogène. Les signes cliniques observés sont alors une diminution du volume courant et/ou de la fréquence respiratoire. 2.2.1. Diminution liée à un processus pathologique 2.2.1.1. Dysfonctionnement du générateur de la commande Toute pathologie intracérébrale atteignant une structure impliquée dans la genèse de la commande ventilatoire peut diminuer le rythme respiratoire. Par exemple, une lésion des noyaux gris centraux peut entraîner une apraxie ventilatoire [9], une lésion des fibres pyramidales corticophréniques peut entraîner une paralysie phrénique controlatérale lors des inspirations volontaires [10]. Ces deux types d’atteintes n’ont pas d’effet sur la ventilation automatique (bulbaire). Une atteinte du tronc cérébral peut modifier le fonctionnement de la commande ventilatoire. L’altération du rythme ventilatoire sera d’autant plus importante que la lésion est caudale. Les symptômes varient alors de la respiration « épisodique » à l’apnée centrale selon la localisation de la lésion. Par ailleurs, des lésions diffuses peuvent être responsables d’une diminution de la commande ventilatoire. C’est le cas de l’hypertension intracrânienne, par le biais d’une hypoperfusion cérébrale diffuse responsable d’une mort cellulaire ou par le biais de l’engagement cérébral responsable de lésions compressives du tronc cérébral. D’autre part, en cas d’intoxication médicamenteuse par psychotrope, la ventilation est fréquemment diminuée voire abolie [2]. Ces produits conduisent à une inhibition de l’activité de la commande ventilatoire. 2.2.1.2. Altération de la transmission de la commande Des lésions traumatiques ou dégénératives de la moelle épinière situées entre le tronc cérébral et les motoneurones phréniques au niveau de la quatrième vertèbre cervicale peuvent entraîner une paralysie diaphragmatique par interruption de la commande ventilatoire. D’autres niveaux lésionnels peuvent être responsables d’une altération de la transmission de la commande, comme les lésions de démyélinisation des nerfs phréniques dans le syndrome de Guillain-Barré, ou les pathologies de la plaque motrice dans les myasthénies primaires et secondaires. 2.2.2 Diminution liée à un processus iatrogène 2.2.2.1. Dysfonctionnement du générateur de la commande Deux des principales thérapeutiques utilisées en réanimation exercent un effet inhibiteur sur la commande ventilatoire : la sédation et la ventilation mécanique. La sédation exerce son inhibition tant au niveau de la commande (automatique ou corticale) que de sa distribution temporospaciale. En effet, alors que le rythme ventilatoire est maintenu, l’administration de faibles doses d’hypnotique (propofol, midazolam ou gaz halogénés) s’accompagne d’une inhibition de la commande ventilatoire destinée aux muscles dilatateurs des voies aériennes entraînant un ronflement. Un hypnotique fait exception à cette règle, la ketamine. Il est le seul à préserver l’activité dilatatrice des voies aériennes supérieures. A Ventilation en anesthésie-réanimation 203 ce titre, son usage est intéressant pour réaliser une fibroscopie lors de situations au cours desquelles la perméabilité des voies aériennes est réduite (œdème, cellulite). En sus de la sédation, la ventilation mécanique exerce un puissant effet inhibiteur sur la commande ventilatoire. Cette inhibition est double et concerne la commande automatique [11] et le faisceau corticospinal du diaphragme [12]. Elle procède avant tout de mécanismes neuronaux. De la même façon qu’une assistance ventilatoire insuffisante entraîne une stimulation de la commande ventilatoire, un support ventilatoire excessif diminue la commande [13]. Ce phénomène constitue le primum movens des efforts inefficaces, principale asynchronie rencontrée. Ces efforts inefficaces procèdent plus d’une sur-assistance que d’une sensibilité insuffisante du trigger. Par ailleurs, l’hyperventilation qui résulte d’une assistance excessive entraîne une hypocapnie et une alcalose, contribuant à inhiber la ventilation. En association à la ventilation mécanique, de nombreux patients de réanimation sont à la phase aiguë de leur pathologie sous sédation. 2.2.2.2.Altération de la transmission de la commande Le cas le plus fréquent en réanimation d’altération iatrogène de la transmission de la commande ventilatoire est celui de la curarisation. En effet, cette dernière bloque la transmission de la commande par antagonisme sur les récepteurs à l’acétylcholine. D’autre part, les cathéters veineux centraux jugulaire ou sous-clavière peuvent être responsables de dysfonctions phréniques et donc de paralysie diaphragmatique homolatérale. L’atteinte peut être la conséquence d’une lésion traumatique directe, d’une compression par hématome, ou encore d’une extravasation de produit neurotoxique [15]. Conclusion La complexité de la commande ventilatoire garantit sa robustesse et permet une adaptation à diverses situations physiologiques et pathologiques. Elle est très souvent malmenée en réanimation que ce soit du fait de la pathologie motivant l’admission en réanimation ou des nombreux facteurs iatrogènes présents en réanimation. Références Bibliographiques [1] Smith JC, Ellenberger HH, Ballanyi K, Richter DW, Feldman JL. Pre-Botzinger complex: a brainstem region that may generate respiratory rhythm in mammals. Science 1991;254:726-9 [2] Mégarbane B, Deye N, Baud F. [Contribution of experimental data to respiratory depression induced by psychotropic drugs]. Réanimation 2004;13:334-42 [3] Plum F. Breathing is controlled independently by voluntary, emotional, and metabolically related pathways. Arch Neurol 1992;49:441 [4] Ramsay SC, Adams L, Murphy K, Corfield DR, Grootoonk S, Bailey DL, et al. Regional cerebral blood flow during volitional expiration in man: a comparison with volitional inspiration. J Physiol 1993;461:85-101 [5] Raux M, Straus C, Redolfi S, Morelot-Panzini C, Couturier A, Hug F, et al. 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