ŒCUMÉNISME • Promouvoir le dialogue et l'unité • Automne 2014 • L'aumônerie en milieu carcéral Quelque chose (« Quelqu'un », diraient les chrétiens) de plus grand est présent. Cela se perçoit de différentes manières. Il peut s'agir de coïncidences étonnantes (des personnes qui ressemblent étrangement à la victime réelle, ou à quelqu'un de l'entourage, par exemple), de masques qui se lèvent (des vérités étouffées qui se libèrent), de paroles réparatrices qui naissent du silence intérieur, parfois de demandes de pardon sincères qui mettent du baume sur les blessures... La justice réparatrice est un chemin prophétique. Elle porte en elle le germe d'une société qui se transforme en communauté. Il appartient à chacun-e d'entre nous de lui donner des yeux, des oreilles, des bras, des jambes, un cœur... Cette famille est la vôtre. Vous y êtes les bienvenu-es ! Site internet : www.csjr.ore Le 50e anniversaire du décret sur /'œcuménisme Gregory Baum, professeur émérite à la faculté de sciences religieuses de l'Université McGill, théologien catholique, pendant le concile Vatican II peritus (expert) au Secrétariat pour l'unité chrétienne, auteur de plusieurs livres, dont les deux derniers, Truth and Relevance : Catholic Theology in French Québec Since thé Quiet Révolution (McGill Queen's University Press) et Fernond Dumont : Un sociologue se fait théologien (Novalis). Gregory Baum Le 2l novembre 1964, le deuxième concile du Vatican a promulgué le Décret sur l'œcuménisme (Unitatis Redintegratio) qui a radicalement transformé les relations de l'Église catholique avec les autres Églises chrétiennes. Je me rappelle bien la joie que nous avons éprouvée ce jour-là, à Rome. J'étais alors théologien expert (peritus) au Secrétariat pour l'unité des chrétiens, la commission conciliaire responsable de la rédaction du Décret. La conversion de l'Église catholique à l'œcuménisme Lorsque nous nous sommes réunis pour la première fois au Secrétariat, en 1960, l'attitude officielle de l'Église catholique en regard des Églises nées de la Réforme était encore tout à fait négative. Elles étaient vues comme des communautés hérétiques, privées de la grâce divine. Leurs membres ne possédaient pas la grâce du salut. Dans son encyclique de 1928 Mortalium animas, Pie XI avait condamné le mouvement œcuménique initié par des pasteurs protestants au début du XXe siècle. Si ces hommes désirent vraiment l'unité, écrivait Pie XI, ils devraient revenir à l'Église catholique et commencer par m'obéir. Même en 1943, l'encyclique Mystici corporis de Pie XII insistait sur le fait que l'Esprit Saint refuse de demeurer dans le cœur de chrétiens et de leurs communautés qui refusaient de se soumettre au gouvernement de l'Église catholique. 20 En dépit du non de leur Église, les théologiens catholiques étaient en dialogue avec le mouvement œcuménique et, depuis 1948, avec le Conseil œcuménique des Églises nouvellement fondé. S'appuyant sur leur travail, le Secrétariat avait composé une ébauche du décret sur l'œcuménisme. Le décret a été approuvé et promulgué en 1964,après de longues discussions. Il annonçait le nouvel enseignement catholique : i) les chrétiens dissidents sont réellement chrétiens, greffés sur le corps du Christ par la foi et le baptême, ii) les Églises dissidentes sont des instruments de l'Esprit Saint pour être des médiatrices du salut auprès de leurs membres : elles sont donc une partie du mystère ecclésial.et, iii) l'Église catholique considère le mouvement œcuménique comme l'œuvre de l'Esprit Saint et a l'intention de s'y joindre. D'accord avec le Conseil œcuménique des Églises, le Décret sur l'œcuménisme affirmait que l'œcuménisme était un mouvement de renouveau. Ce n'était pas la recherche d'un dénominateur commun, ni d'un ensemble de compromis acceptables. L'œcuménisme supposait plutôt l'effort des Églises de devenir plus fidèles à l'Évangile et à ce qu'il y a de meilleur dans leurs traditions. En tant que participantes au mouvement œcuménique, les Églises consentaient même à revoir le côté sombre de leur propre histoire, reconnaître leurs infidélités et s'engager au renouveau et à la réforme. Le Décret conciliaire accepte cette tâche pour l'Église catholique dans l'alinéa suivant : ŒCUMÉNISME • Promouvoir le dialogue et l'unité • Automne 2014 L'Église, au cours de son pèlerinage, est appelée par le Christ à cette réforme permanente dont elle a continuellement besoin en tant qu'institution humaine et terrestre. Si donc, par suite des circonstances, en matière morale, dans la discipline ecclésiastique, ou même dans la formulation de la doctrine, qu'il faut distinguer avec soin du dépôt de la foi, il est arrivé que, sur certains points, on se soit montré trop peu attentif, il faut y remédier en temps opportun d'une façon appropriée (no. 6). Que l'Église soit semper reformanda n'a pas été reconnu pendant des siècles. L'indifférence croissante des Églises envers l'œcuménisme Après le Concile, l'Église catholique a créé des comités de dialogue avec des représentants des Églises orthodoxes et les diverses Églises anglicanes et protestantes. Sauf rares exceptions, la création de ces comités a été en grande partie théorique, sans conséquences pratiques. Dans les années 1970, l'Église catholique au Canada a coopéré avec les autres Églises du Canada dans la formulation d'une éthique sociale chrétienne commune, comprenant des déclarations communes sur la justice sociale et économique à l'adresse du gouvernement canadien. Cette coopération œcuménique a cependant été sans lendemain. Elle a été interrompue par les désaccords entre l'Église catholique, d'une part, et les Églises anglicane et unie, d'autre part, sur les questions pastorales concernant les femmes et la sexualité humaine. La sécularisation progressive des sociétés industrielles en Occident était un sujet de préoccupation pour toutes les Églises, les conduisant à une indifférence croissante envers le mouvement œcuménique. Depuis que les Églises perdent un grand nombre de membres, elles connaissent des difficultés financières et sont obligées d'abandonner plusieurs projets pastoraux importants. Ce qu'elles favorisent maintenant, c'est un fort sentiment de leur propre identité confessionnelle plutôt que la coopération œcuménique internationale. Le Conseil œcuménique des Églises a survécu, mais il a malheureusement perdu la grande influence qu'il possédait. Inquiètes de leur avenir dans une culture sécularisée, les Églises encouragent maintenant chez leurs fidèles une saine fierté dans leur tradition confessionnelle, reléguant l'œcuménisme au second plan. En commémorant le 50e anniversaire du Décret sur l'œcuménisme, je ne souhaite pas écrire un article négatif pour me plaindre de l'inaction des Églises. Je préfère parler des effets positifs du Décret sur plusieurs tendances culturelles dans nos sociétés et dans le monde en général. Je voudrais seulement mentionner en passant que le Décret a très rapidement transformé les relations entre les catholiques et les protestants en Amérique du Nord. Au plan du ministère, on constate la coopération œcuménique dans les hôpitaux, les prisons et autres institutions publique; dans le domaine de la théologie, un désir œcuménique pour une compréhension réciproque est devenu la règle; et dans le domaine des relations personnelles, un changement radical est survenu, triomphant des préjugés du passé et conduisant à la sympathie œcuménique pour des Églises autres que la sienne propre. Cette sympathie ne s'étend pas également aux communautés chrétiennes conservatrices qui rejettent l'œcuménisme par principe. Je veux, en fait, souligner dans ce court article l'impact plus large de l'expérience novatrice du dialogue œcuménique. Le dialogue au-delà des frontières : une invention du XXe siècle Après le deuxième concile du Vatican, l'Église catholiqueromaine a rejoint un mouvement nouveau et radical, le dialogue tel que pratiqué par le mouvement œcuménique d'origine anglicano-protestante. Le dialogue était une nouvelle forme de conversation. Il ne cherchait pas à convertir l'interlocuteur à sa propre compréhension de la vérité; il exigeait plutôt une écoute attentive du partenaire, de la sympathie pour ses sérieuses préoccupations, et l'effort de considérer ses propositions non pas selon sa propre perspective, mais selon celle de l'autre. Le dialogue n'était pas une tentative rationnelle de prouver qu'on avait raison et que le partenaire avait tort. Il visait plutôt à une plus grande compréhension réciproque. Pour saisir ce que l'autre avait à dire, il fallait consentir à se mettre dans sa peau. Le dialogue était une conversation confiante dans laquelle vous présentiez la vérité professée par votre Église, tout en reconnaissant l'insistance unilatérale et les préjugés associés à cette confession. Le dialogue était une conversation confiante dans laquelle vous présentiez la vérité professée par votre Église, tout en reconnaissant l'insistance unilatérale et les préjugés associés à cette confession. C'était une nouveauté radicale. Même les conversations traditionnelles entre philosophes se préoccupaient de savoir qui avait raison et qui avait tort. Ils cherchaient à comprendre « l'autre » selon leur propre perspective et non selon la perspective de cet autre. L'idée de se mettre dans la peau de « l'autre » ne leur venait même pas à l'esprit. L'anthropologie philosophique des penseurs du XXe siècle, tels Martin Buber et Gabriel Marcel, a été d'une grande importance. Elle a apporté une compréhension de ce qu'une rencontre respectueuse avec « l'autre » signifiait pour la connaissance 2l ŒCUMÉNISME • Promouvoir le dialogue et l'unité • Automne 2014 de soi en tant que personne. Ces philosophes ont jeté les bases théoriques du dialogue au-delà des frontières.Ajoutons que cette nouvelle compréhension de la personne émergeait au même moment dans la culture occidentale. Je soutiens que l'invention du dialogue, que le mouvement oecuménique encourage le plus largement possible bien au-delà du cercle restreint des philosophes,a eu une extraordinaire influence culturelle. Les penseurs et les pasteurs chrétiens qui ont inventé le dialogue œcuménique ne se fondaient pas sur les réflexions philosophiques. Ils répondaient de manière créative à la notion religieuse troublante que les chrétiens sont présentement profondément divisés et qu'en même temps, ils partagent une foi commune en Jésus Christ, le Sauveur qui veut les délivrer de leur division. Si on veut travailler à l'unité chrétienne à partir de cette notion troublante.il ne peut être question de savoir qui a raison et qui a tort, puisqu'il faut respecter l'unité en Christ que nous partageons déjà. Je soutiens que l'invention du dialogue, que le mouvement œcuménique encourage le plus largement possible bien au-delà du cercle restreint des philosophes, a eu une extraordinaire influence culturelle. Dans les décennies qui ont suivi l'Holocauste, les Églises ont recherché des relations de dialogue avec des représentants de la communauté juive orthodoxes et réformés ainsi que croyants et non-croyants. Parce que les Églises avaient jusque-là présumé qu'ils avaient pour mission de convertir les juifs à la foi chrétienne, elles devaient maintenant repenser cet héritage et développer des arguments théologiques pour justifier leur changement d'attitude en faveur du dialogue.Cette conversion au dialogue s'est produite au deuxième concile du Vatican et au Conseil œcuménique des Églises. Les profondes divisions dans la famille humaine.qui entraînent les guerres et les conflits violents, sont souvent justifiées par des arguments tirés des traditions religieuses. Hans Kùng a été l'un des premiers théologiens à dire qu'il ne peut y avoir de paix parmi les nations s'il n'y a pas la paix entre les religions du monde. L'Évangile appelle-t-il les chrétiens à convertir les croyants des religions païennes, ou bien demande-t-il de dialoguer avec eux pour chercher la réconciliation ? En 2000, le cardinal Ratzinger soutenait encore, dans l'instruction Dominas lesus, que le dialogue compromettait la mission de l'Église et que les catholiques qui participaient à ce dialogue ne devaient pas oublier que leur participation devait viser à la conversion de leurs partenaires à la vérité catholique. Il a changé d'avis quelques années après être devenu Benoît XVI 22 et a loué le dialogue interreligieux comme une démarche de l'Église au service de la paix. Des luttes semblables au sujet du dialogue interreligieux se sont produites dans les autres Églises chrétiennes. Encore plus significative est la pratique du dialogue entre cultures différentes. Invention des premiers œcuménistes, le dialogue a fini par guider les relations de l'Église avec la tradition juive et les traditions des religions du monde. Il a éventuellement été mis en pratique pour promouvoir des échanges pacifiques et fructueux entre les cultures. Le passage de l'œcuménisme au dialogue interreligieux a affecté le Centre canadien d'œcuménisme qui, maintenant, promeut le respect pour toutes les religions; le passage du dialogue interreligieux au dialogue interculturel a conduit le Centre Monchanin de Montréal, organisme interreligieux, à devenir, en 1990, l'Institut interculturel de Montréal. La grande tâche du dialogue interculturel, un effort d'importance historique, c'est l'élaboration de normes éthiques universellement acceptables, une éthique mondiale commune, à travers un large dialogue incluant toutes les traditions culturelles. Les catholiques croyaient que leur formulation de la loi naturelle était valide universellement, mais ils reconnaissent maintenant que certaines civilisations et leurs cultures ont des valeurs différentes. Tout le monde aime le vrai et le bon, mais ce que cela veut dire en termes concrets varie d'une culture à l'autre. Dans sa conversation publique avec Jùrgen Habermas, en 2004, le cardinal Ratzinger a convenu avec le philosophe allemande que ce dont nous avons besoin, c'est d'un dialogue qui inclue toutes les cultures, européennes et autres, pour travailler à élaborer des principes et des valeurs éthiques qui puissent être affirmées universellement. Cette conversion au dialogue s'est produite au deuxième concile du Vatican et au Conseil œcuménique des Églises. Dans les années 1990, la Macédoine a été la seule république issue du démantèlement de la Yougoslavie à avoir évité les conflits violents, malgré les tensions élevées entre la majorité orthodoxe, les musulmans albanais, qui constituent une importante minorité, et les petites communautés de catholiques, de méthodistes et de juifs. Ces groupes étaient divisés par la religion et la culture. Les leaders religieux ont reconnu que si chaque groupe cherchait à promouvoir sa propre vérité, il y aurait des éruptions de violence. Ils se sont dit : « Nous avons le choix entre le dialogue et la mort. » La Macédoine pourrait bien être le monde.