5 Santé et pluralisme. Vers un nécessaire repositionnement de la

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Santé et pluralisme. Vers un nécessaire repositionnement de la culture dans l’espace
clinique.1
Sylvie Fortin et Marie-Ève Carle, Université de Montréal
Les mouvements migratoires, la mondialisation des échanges et l’évolution des sociétés
d’immigration appellent une réflexion sur la santé et plus spécifiquement sur les pratiques des
soins. Et s’il est vrai que la biomédecine occupe une place prépondérante dans les sociétés
occidentales et ailleurs (Van der Geest & Finkler, 2004), il est aussi vrai que ces mêmes sociétés
sont traversées par plusieurs traditions thérapeutiques, avec une diversité de savoirs sur le monde,
le corps et la maladie. Ce pluralisme tient d’un éventail de facteurs, dont la diversification des
origines nationales, ethniques et des confessions religieuses associées aux mouvements migratoires,
mais aussi d’un ensemble de variables plus largement associées à la différenciation sociale (Juteau,
2003) et à la hiérarchisation des groupes (Simon, 1997) tels que l’âge, le genre et la classe sociale.
Le milieu hospitalier n’échappe pas à cette diversité en tant que «porte ouverte sur la ville»
(Sainsaulieu, 2003) et les unités de soins (hospitalisations, cliniques externes, urgences) sont autant
de lieux de rencontre entre praticiens, les usagers et leurs familles. Tout en étant un contexte où
s’enchevêtrent symptômes, diagnostics et traitements, la clinique est aussi un espace social et
relationnel où de multiples normes et valeurs se rencontrent, s’entrecroisent, se négocient
(Fainzang, 2006; Fortin & LeGall, à paraître). Cette réalité impose de porter un regard plus large
sur la santé, et plus spécifiquement le soin, permettant ainsi d’inclure les divers facteurs
socioéconomiques dans la compréhension de la relation thérapeutique en contexte migratoire. C’est
dans cette perspective que s’inscrit cette réflexion sur la place de la culture dans le domaine de la
santé en tentant de lui redonner un caractère fluide. Ce repositionnement remet en question une
tendance, chez les cliniciens, à considérer la culture (et davantage la différence culturelle) comme
phénomène explicatif et permet d’interroger plus largement l’espace clinique comme lieu de
négociation du social, du culturel, du biologique.
C’est à titre d’anthropologues2 et membres de l’Unité de pédiatrie interculturelle (UPI) du
département de pédiatrie du CHU Sainte-Justine de Montréal, que nous menons des recherches au
sein de cette institution. Ce milieu hospitalier est traversé par un ensemble de phénomènes, dont la
diversité de sa clientèle avec près de 45% des familles usagères nées à l’extérieur du Canada, et
l’évolution des situations cliniques associées à la croissance des pathologies chroniques complexes
(Davis, non publié) et aux progrès technologiques (Lock, 2002). La réforme canadienne des soins
de santé transforme également l’espace thérapeutique notamment en favorisant une plus grande
prise en charge des patients à l’extérieur des hôpitaux, ce qui a pour effet d’augmenter le nombre de
«cas lourds» présents à l’hôpital.
Quant au milieu urbain, il s’agit d’une ville plurielle, Montréal, avec une population immigrante de
27%3. Cette métropole reçoit près de 90% de l’immigration au Québec (province canadienne à
dominante francophone) avec un flux annuel variant entre 30 000 et 40 000 migrants, originaires de
1
Des versions antérieures de ce texte ont été publiées ou sont en voie de l’être (Fortin, 2006; Fortin et Laprise, sous
presse).
2 Sylvie Fortin est chercheur adjoint, départements de pédiatrie et d’anthropologie, Université de Montréal; Marie-Ève
Carle est doctorante, département d’anthropologie, Université de Montréal.
3 Source: Statistique Canada, 2005. Profil statistique: Statistiques démographiques pour Montréal (région
métropolitaine de recensement) d’après les données du recensement de 2001. ww21.statcan.ca/english/Profil01
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plus de 100 différents pays (Piché, 2003). Le Canada est un pays d’immigration avec droit de sol.
La citoyenneté y est accessible dans un délai relativement court, soit après 3 années de résidence
permanente. Cette diversité conjuguée à une volonté politique4 et à une histoire de double majorité
(francophone et anglophone) donne lieu à un environnement urbain cosmopolite où l’on retrouve de
multiples langues et religions (Germain & Rose, 2000).
Puisant à même une recherche en cours (Fortin et coll.), nous traitons ici de quelques-uns des
enjeux de la pratique clinique en contexte pluraliste. Après avoir présenté le contexte de recherche,
nous discutons de quelques écueils de l’approche biomédicale et des limites d’une prise en compte
isolée des dimensions biologiques ou organiques d’un problème de santé. Nous présentons ensuite
la rencontre clinique pédiatrique comme une rencontre triadique situant les acteurs (le soignant, le
soigné et sa famille) dans un espace social traversé par des trajectoires migratoires et de soins. Cet
espace triadique est relationnel, au carrefour de plusieurs normes et valeurs, modèles sociaux et
culturels qui à leur tour teintent les différentes perspectives observées dans le cadre de notre étude.
Nous évoquons ensuite la dimension asymétrique de l’échange clinique et comment les rapports
sociaux s’imbriquent dans la relation de soins. La reconnaissance croissante des composantes
culturelles dans l’échange clinique est ensuite traitée. Nous verrons comment la culture, a priori
celle de l’Autre, freine parfois l’équipe soignante dans son investissement de la relation
parent/médecin. Paradoxalement, les médecins ressentent bien la diversité de normes et de valeurs
qui traversent leur propre pratique et évoquent la pluralité des cultures médicales. La notion
d’altérité et les limites des associations phénotypiques, origine ethnique et culture sont discutées en
guise de conclusion ainsi que la complexité des phénomènes sociaux et biologiques.
La méthode de recherche
À partir de différents sites d’enquête (services de pédiatrie générale et de surspécialité), nous
examinons les pratiques cliniques, particulièrement celles des médecins, mais avec un intérêt
marqué pour la relation soignant/soigné/famille5. Notre approche est ethnographique, comprenant
l’observation d’espaces cliniques pluridisciplinaires; des échanges informels avec divers praticiens,
patients et familles (s’échelonnant sur une année); une quarantaine d’entretiens individuels sont
menés auprès de médecins (entretiens semi-dirigés durant entre 90 et 120 minutes). Le dernier volet
de cette recherche implique une vingtaine d’études de cas auprès des patients et de leur famille.
Ceux-ci sont sélectionnés en fonction de la mobilisation de l’équipe soignante, ainsi que la présence
d’attentes non satisfaites de parts et d’autres, dont l’adhésion au traitement, l’implication des
parents, les attentes thérapeutiques formulées.
Le choix de l’utilisation d’une triple méthode d’enquête vise à documenter: les pratiques
quotidiennes des médecins, et parallèlement celles d’autres professionnels de la santé concernés;
l’univers des patients et de leur famille; la dynamique relationnelle entre les cliniciens, les patients
et leur famille. Nous sommes attentifs à tout ce qui concerne la trajectoire de soins, les modalités
décisionnelles, ainsi que la biographie des patients. Le choix d’un traitement, le passage des soins
curatifs aux soins palliatifs (Duval & al, 2004), les soins invasifs et l’acharnement thérapeutique
(Saint-Arnaud, 1999) ponctuent la trajectoire thérapeutique, occasionnant parfois des
incompréhensions mutuelles. Ces moments critiques, porteurs d’une «densité symbolique
4 Le pluralisme est une valeur pan-canadienne et une importante réponse à la situation démographique. Voir, entre
autres, les travaux de Li (2003), Elbaz & Helly (2000).
5 L’équipe de recherche constituée pour mener à bien cette étude, en cours depuis 2005, est composée de S. Fortin, G.
Bibeau (anthropologues), F. Alvarez (pédiatre), D. Laudy (éthicienne) et des assistants de recherche, M.E. Carle, G.
Davis, G. Garnon, E. Laprise, N. Morin et S. Shahrokni. Cette recherche est soutenue par les Instituts de recherche en
santé du Canada, l’Unité de pédiatrie interculturelle et l’axe Avancement et devenir en santé du Centre de recherche du
Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine. La phase exploratoire de l’étude, menée en 2003 par Fortin, a été
financée par le Fonds de recherche en santé du Québec.
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particulière» (Saillant, 1999: 144) ont particulièrement retenu notre attention tout au long de
l’étude.
Corps santé, corps social, corps culturel
En contexte pluraliste, médecins et patients peuvent avoir recours à différents systèmes référentiels
afin de comprendre et de négocier la maladie, la trajectoire de soins, le processus décisionnel. Cette
éventualité semble accrue (théoriquement tout au moins) dans un contexte où la diversité sociale et
culturelle est quotidienne. Néanmoins, le modèle biomédical centré sur une perspective biologique
de l’individu domine largement dans les milieux médicaux occidentaux (Lock, 2002) et la
formation des professionnels de la santé en est imprégnée (Katz, 1999). Cette philosophie teinte
particulièrement les hôpitaux de soins spécialisés où l’investissement technologique est important
(Good, 1998). Une grande attention est portée au corps biologique, aux désordres organiques, au
détriment, souvent, d’une approche plus inclusive où les dimensions sociales et culturelles trouvent
place. Ces dimensions, du reste très variées, s’inscrivent à leur tour dans des rapports sociaux
(re)construits à travers la migration, les modalités d’établissement dans la société locale, les
structures familiales et les ressources (sociales, symboliques, économiques) dont disposent les
individus.
Des voix6 s’élèvent néanmoins, au sein du corps médical, soulignant les limites d’une approche qui
se restreint aux dimensions biologiques ou organiques d’un problème de santé (Fortin, 2004;
Leanza, 2005).
Une remise en question justement de ce côté technique.[…] Être plus ouvert aux gens et
avoir plus de discussions avec les gens. Je me rends compte à l'heure actuelle que… bien
souvent, j’examine moins les enfants… que je ne discute avec les parents. Avant
j’examinais surtout, je discutais sans doute moins. Maintenant, je discute beaucoup plus…
je passe beaucoup plus de temps à parler avec les parents et à parler avec un enfant qu'à
l’examiner d’un point de vue clinique, par exemple. Le côté technique me met un petit peu
– sauf quand je vois un gamin pour la première fois, etc., mais… ce côté un petit peu
technique… c'est vrai que je le mets un petit peu de côté pour vérifier que les gens ont bien
compris. […]. On parle la même langue, mais on ne parle pas obligatoirement le même
langage. (Médecin, surspécialiste, 10 années d’expérience)
D’autres voix mettent également de l’avant une approche prônant la défragmentation du monde
médical en réunissant l’ensemble des éléments entourant la santé. Ici, les inégalités sociales sont
principalement utilisées pour expliquer les disparités entre les groupes ou les individus. En somme,
l’apport est de permettre de penser le lien entre l’individu, l’environnement, le social et le politique
de sorte que la santé devienne un analyseur social ainsi qu’un lieu d’enjeux politiques. Par exemple,
dans le cas des immigrants, il s’agit donc de lier les éléments macrosociaux (politiques
d’immigration, conditions économiques, histoire des sociétés, etc.) aux phénomènes microsociaux
qui influencent l’existence des individus (statut juridique, accès à l’emploi et au logement, place
dans la société d’accueil, etc.). Ainsi, en contexte pluraliste, l’objectif ne se limite plus à mettre en
lumière les «facteurs culturels» qui pourraient expliquer les divers comportements ou encore les
«obstacles culturels» qui peuvent entraver le travail des différents intervenants, mais plutôt de
6 Ces voix sont souvent celles des médecins de première ligne, en lien plus étroit avec le quotidien des patients et la vie
communautaire (voir, entre autres, Jimenez, 2004; Julien, 2004). De plus, contrairement aux soins tertiaires et
quaternaires, les soins primaires ont fait l’objet de nombreuses études canadiennes et québécoises sur la disponibilité,
l’accessibilité et la compatibilité des services.
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comprendre la trajectoire des individus en terme d’intégration sociale en tant que «production de la
société, qui en définit le contenu et les limites juridiques, économiques, politiques et culturelles»
(Fassin, 2005).
Qu’en est-il de la culture?
Le milieu médical constate (en partie du moins) les limites d’une approche exclusivement centrée
sur le ‘corps’ et souhaite une plus grande prise en compte des composantes culturelles et sociales
dans la pratique quotidienne. Mais, de quelle culture s’agit-il?7 Celle du médecin traitant ou celle
du patient et de sa famille? Même à l’intérieur de milieu hospitalier, les cultures sont multiples.
Intensivistes, néotalogistes, neurochirurgiens et pédiatres ne partagent pas nécessairement les
mêmes valeurs, ne définissent pas la notion de ‘qualité de vie’ de la même manière, ni ne
s’entendent sur la notion même de vie.
En reconstituant l’évolution de la biomédecine des dernières décennies, on constate une explosion
des connaissances et des moyens technologiques qui permettent aujourd’hui des avancées
extraordinaires. La contrepartie de cette explosion est une fragmentation accrue des savoirs
cliniques et du soin. Cette hétérogénéité au sein des membres d’une même profession reflète bien la
disparité possible de repères entre les soignants et les usagers, d’ici et d’ailleurs. Et ces repères
n’ont pas tous le même écho chez les praticiens, certains ayant plus de valeur que d’autres.
Sommes-nous si loin des propos de Pierre Bourdieu (1979) concernant la hiérarchisation et le
sanctionnement des pratiques? Celles-ci, qu’elles soient jugées positivement, ou à l’inverse
négativement, impliquent un système de classement constitué historiquement, mis en œuvre par
certains et reconnu par d’autres.
Histoire de Juliette :
Une fillette d’âge préscolaire fréquente le même milieu hospitalier pédiatrique depuis sa
naissance. Au moment de notre enquête, sa trajectoire de soin est remplie d’embûches, et
ce, dès le début : incertitude face au diagnostic, délais dans les interventions, complications
imprévues, résistance aux médicaments, etc. Globalement, la relation de Juliette (nom
fictif) avec le personnel soignant est excellente et la petite est considérée comme une enfant
jolie, souriante et agréable. Les parents sont très présents auprès de leur fille et passent
plusieurs nuits par semaine auprès d’elle lors de longues hospitalisations. Un règlement
hospitalier ne permettant pas aux deux parents de dormir dans la chambre de l’enfant, le
père dort parfois à la cafétéria. La dynamique entre les parents et le personnel soignant
semble néanmoins problématique et certains épisodes sont caractérisés par des conflits
engendrés par une résistance, voire un refus, aux traitements proposés par l’équipe
soignante. Le responsable de l’équipe soignante évoque une mauvaise représentation et
compréhension de la maladie ainsi que des limitations « intellectuelles » des parents pour
expliquer ces tensions. À plusieurs reprises, l’on mentionne que les parents ne semblent pas
comprendre les interventions et que, même avec des explications « très simples »,
l’information ne semble pas assimilée.
7
Une discussion approfondie de la notion de culture n’étant possible ici, précisons néanmoins qu’il s’agit, pour nous,
d’un outil analytique ou encore d’une abstraction théorique, toujours imparfaite: «As a deliberate abstraction it [culture]
is there to help anthropologists conceptualize that ever-changing ‘complex whole’ (Tylor 1871) through which people
engage in the continual process of accounting, in a mutually meaningful manner, for what they do, say, and might
think. Culture thus exists only insofar as it is performed, and even then its ontological status is that of a pointedly
analytical abstraction.» (Baumann, 1996, p. 11). Penser la culture aujourd’hui c’est y reconnaître une qualité plurielle
« contemporary complex cultures » (Hannerz, 1993, p.6) qui évoque à la fois les idées et modes de pensées, leurs
modalités d’expression et à leur distribution sociale (dimensions toutes aussi complexes…).
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Les tensions vécues, tout à fait réelles de part et d’autre, renvoient certes à une situation
d’incompréhension, mais l’explication réside-t-elle dans une mauvaise compréhension de la
maladie ou encore à des limitations intellectuelles de la part des parents ? Ces derniers sont Noirs et
d’origine immigrante. Ils parlent français (tout comme l’équipe soignante) sans nécessairement en
comprendre toutes les subtilités locales (jeux de mots par exemple). Leur groupe d’origine n’est pas
d’une immigration favorisée à Montréal et ses ressources économiques et symboliques sont
limitées. Par ressources symboliques, nous entendons la reconnaissance sociale du groupe, de la
place qu’il occupe et de la valeur de cette place au sein d’un milieu donné (Taboada-Leonetti,
1994). Le père a perdu son emploi suite aux hospitalisations prolongées de Juliette et la famille,
composée de plusieurs enfants, a vécu des moments de grande précarité et d’insécurité. Par ailleurs,
les praticiens, majoritairement issus du groupe majoritaire, sont dans un rapport de force avec cette
famille qui fait partie des minoritaires de la société montréalaise. Et si le père avait été Blanc,
professeur par exemple, aurait-on présumé que les résistances au traitement étaient le fruit d’une
incompréhension ou d’une limitation intellectuelle ou aurait-on cherché, dans la trajectoire de
soins, dans les conditions de vie de cette famille des explications à ce malaise ?
De plus, selon la philosophie de l’unité de soins concernée, les parents sont globalement vus
comme des partenaires. Le «bon parent» est proactif, s’informe sur la maladie de son enfant,
connaît les doses de médicaments à donner. Il est à l’affût de symptômes qui pourraient renseigner
l’équipe soignante sur l’évolution de la maladie. Son savoir est mis à profit. Or, pour ce qui
concerne les parents de Juliette, leur implication dans la trajectoire de soins ne correspond pas à
celle attendue par l’équipe soignante. Leurs hésitations face au plan de traitement deviennent un
obstacle, un frein au projet thérapeutique. Un « bon parent » ne refuserait pas le traitement proposé.
Le père est très réticent à une forme d’intervention proposée par le médecin traitant,
intervention intrusive qui, dans la perspective du parent, pourrait mettre en péril l’intégrité
intellectuelle de l’enfant. Les perceptions des protagonistes (ici le médecin traitant et le père)
semblent irréconciliables, les réticences et incompréhensions du père étant d’abord associées
à un problème communicationnel et par la suite, au « manque d’intelligence du père ». Dans
un premier temps, devant le refus de traitement du père, et malgré ses compétences
linguistiques, un interprète sera appelé afin d’expliquer au père, en vain, le bien-fondé de
l’intervention proposé. Par la suite, après plusieurs railleries de la part du personnel
concernant l’incompréhension manifeste de la famille quant à la maladie de leur enfant, un
autre père (du même pays d’origine), ayant vécu une situation semblable et ayant lui
acquiescé aux traitements proposés, sera présenté aux parents, afin de mieux les informer de
la situation de leur enfant, dans la langue d’origine des parents. La famille semble apprécier
cette initiative et la dynamique relationnelle avec les soignants en sera facilitée par la suite.
En effet, contrairement aux discussions avec le médecin traitant, les parents seront rassurés
par les paroles de ce parent.
Avant je ne voulais pas qu’ils fassent ces opérations-là, pour nous c’était vraiment des
opérations vraiment graves. […Après] j’en ai parlé avec un parent. Lui aussi avait peur. Sa
fille avait été opérée, mais ça n’allait pas super bien. Qu’est-ce que j’aillais faire? […]
Mais… après que le personnel de l’hôpital qui s’occupait de Juliette, la psychologue et puis
la travailleuse sociale, ils m’ont expliqué que c’était pas vraiment comme je le pensais.
[…Maintenant] c'est comme moi ma fille a eu cette opération-là. Le prochain Haïtien là qui
va faire une opération comme celle-là, c’est sûr qu’il va me dire euh, qu’il va demander à, il
peut demander à moi…[…] ça enlève un peu de peur. (Père de Juliette).
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Cet épisode dans la trajectoire de soins est qualifié de problème « culturel » par les cliniciens en
raison de l’origine immigrante de la famille et les perceptions divergentes du corps et des soins
possibles (réels ou imaginés). Il témoigne tout autant d’un rapport de force un sein de la société
locale entre les détenteurs d’un savoir expert et un savoir profane, entre les migrants et les nonmigrants. S’ajoutent la trajectoire de soins de l’enfant, les conditions structurelles d’hospitalisation,
la connaissance de la langue de la part des parents, les conditions de vie de la famille, le tout
permettant de resituer les éléments microsociaux dans un espace plus global et ainsi élargir la
réflexion sur le soin en contexte pluriel.
L’espace clinique comme espace social
Les pratiques cliniques mettent en jeu les relations sociales8 dans leurs rapports aux institutions de
santé; ces relations prennent sens sur l’horizon de rapports sociaux plus larges (Fassin, 2000; Rossi,
2003). La rencontre clinique est ainsi constituée comme un espace social qui met en scène une
relation sociale complexe, imbriquée dans des rapports plus larges où les modèles professionnels
(notamment) tiennent un rôle central (Hohl & Cohen-Émerique, 1999). Ces modèles professionnels
sont optimaux dans un contexte où les «partenaires» de la rencontre clinique se situent dans un
même paradigme explicatif. Dans les situations où ce paradigme diffère en raison de normes,
valeurs ou modèles sociaux, il devient source d’incompréhension réciproque et d’éventuelle mise
en échec de tout projet thérapeutique (Turner, 2003). En plus d’une diversité de perspectives sur les
trajectoires de soins, les sens accordés à la vie, à la mort, à la souffrance ne sont pas universels et
cristallisent les appartenances personnelles, professionnelles et les modalités d’expressions. Il reste
néanmoins que l’itinéraire thérapeutique ou l’évolution de la maladie et l’acquiescement des
patients et des familles aux traitements sont étroitement liés à divers éléments dont la qualité de la
relation thérapeutique est une pièce maîtresse (Haynes, 2001; Desmond & Copeland, 2000).
Les travaux de l’anthropologie de la santé (Dozon & Fassin, 2001; Fassin, 1996; Fox, 2000)
inscrivent également l’espace clinique dans un rapport de pouvoir, resituant ainsi la dimension
politique des rapports sociaux. Le migrant est généralement assimilé à l’un ou l’autre groupe
minoritaire9 de la société locale. Il ne manipule souvent pas, ou ne possède tout simplement pas,
les codes en vigueur ou les ressources (culturelles, symboliques) nécessaires pour faire état de ses
compétences dans l’espace thérapeutique10. Cette inégalité peut teinter les représentations de part
et d’autre tout comme la reconnaissance des savoirs profanes par le soignant ou encore la place
accordée au parent comme acteur dans la trajectoire de soins.
8 Nous entendons par relations sociales des liens observables à la différence de rapports sociaux qui renvoient à des
contextes sociaux plus larges (De Rudder & al., 2000). Cette distinction (rapports sociaux/relations sociales) est
particulièrement significative lorsqu’il s’agit de mieux cerner les enjeux dans des situations cliniques concrètes. Les
relations individuelles, entre les praticiens et les patients, tout en étant traversées par des rapports intra et inter groupes
(ethniques, de classe, confessionnels…) «structurants» à l’échelle macrosociale (Fassin,
1996) peuvent aussi donner lieu à des configurations originales en fonction de la situation locale (Gidden, 1991).
9 La notion de minoritaire/majoritaire, telle que développée par Guillaumin (1972), ne renvoie pas à l’importance
numérique, mais à celle du groupe de référence, de celui qui incarne la norme dans un milieu donné
10 Freidson (1999; 1988) souligne d’ailleurs l’importance de resituer les pratiques cliniques individuelles dans un
contexte de politiques institutionnelles et plus largement de systèmes de soins. Cette préoccupation dépasse toutefois
l’objet du présent texte
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L’asymétrie dans le rapport clinique peut parfois s’étendre à la reconnaissance des savoirs
médicaux par la famille comme ce fut le cas notamment d’un médecin d’origine immigrante qui
avait, sous sa responsabilité, un enfant et dont les parents (des non-migrants) ont demandé un
changement de médecin en affirmant que ce dernier ne pouvait bien les comprendre. Il «n’était pas
d’ici», il ne «tenait pas compte de leur avis», comme les «médecins d’ici le font». L’altérité est
aussi activée comme dénominateur – cette fois au profit de l’usager. Ce dernier représente, dans ce
contexte, le majoritaire, le médecin devenant un ‘minoritaire’. De façon générale toutefois, et
malgré les nuances, il reste que la relation clinique demeure asymétrique à plusieurs égards en ce
qui a trait au statut du savoir de l’expert, à celui du bien portant versus le malade, celui qui appelle
une relation de confiance pour traverser une épreuve de maladie (Pellegrino, 2003).
La rencontre clinique pédiatrique, une relation triadique
Le pluralisme urbain actuel est l’occasion de poser la question de la clinique en tant que lieu décisif
pour la prise en compte des dimensions humaines, sociales et culturelles des enfants et des familles,
dimensions qui doivent s’additionner, s’articuler aux autres aspects des soins (médicaments,
technologie, chirurgie…). Dans ce contexte, penser la pratique pédiatrique hospitalière (et au-delà)
consiste à penser l’espace thérapeutique dans une relation triadique (cf. figure 1). La clinique est au
carrefour de deux trajectoires qui encore une fois permet de démontrer l’importance d’une approche
holiste des soins jumelant les différents niveaux d’analyse : 1- celle de la migration (incluant les
expériences d’établissement, les liens de sociabilité et plus globalement de l’histoire de vie) et de
manière inclusive le parcours social pour les non-migrants; 2- celle de la maladie. La première
influence la place occupée par le parent et éventuellement l’enfant (parfois aussi celle de la fratrie
et d’autres personnes significatives pour la famille en dehors du groupe nucléaire) dans l’espace
clinique, les attentes, les représentations de part et d’autre. La seconde trajectoire inscrit la maladie
dans un cursus cumulatif. Celle-ci permet de désenclaver l’étude des maladies chroniques du
paradigme médical et psychologique en favorisant une posture réflexive de recherche, avec comme
point de départ le travail investi dans la négociation (quotidienne) de la maladie plutôt que la
maladie (illness) comme seul phénomène biologique. (Strauss, 1992)
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Trajectoire de la maladie
Trajectoire migratoire / parcours social
Itinéraire thérapeutique
Dynamique
familiale
Enfant
Soignant
Univers de la famille
• Structure familiale
• Dynamique relationnelle
intra-familiale (inter & intra
générationnelle)
• Modalités d’établissement
• Ressources économiques,
sociales, symboliques
Univers de l’enfant
• Idiome de souffrance
• Matrice culturelle
• Système de sens
• Stratégies narratives plurielles
Univers du soignant
• Profil socio-démographique
/ parcours social (&
migratoire s’il y a lieu)
• Perspective thérapeutique /
approche clinique
privilégiée
• Modalités d’intervention /
structure de l’équipe
clinique ; modalités de prise
de décision
Figure 1: Espace thérapeutique pédiatrique : une relation triadique
Les personnes souffrantes expriment généralement leurs problèmes en recourant à diverses
stratégies narratives modulées des idiomes de souffrance, des matrices culturelles et des systèmes
de sens.11 Ces stratégies narratives sont plurielles, mobilisées dans un contexte relationnel où
11 Par idiomes de souffrance, nous entendons la façon dont les gens parlent de leur maladie et formulent leurs plaintes
(Fox, 2003; Kleinman, 1995). Ces modes d’expression sont variés, souvent polyphoniques au sein d’une même famille
selon l’âge, la génération ou encore le statut social, le lieu d’origine, etc.. La matrice culturelle renvoie à
l’environnement social et culturel dans lequel ces idiomes s’inscrivent (Bibeau, 1997; Hannerz, 1993). Les systèmes de
sens correspondent aux modèles explicatifs de la maladie tels que formulés par le soigné (Corin & Bibeau, 1995).
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interviennent médecins, infirmiers et autres professionnels. À cet univers de l’enfant s’ajoute celui
dans lequel il vit, i.e. l’univers de la famille (structure familiale, relations intra et inter
générationnelles, ressources disponibles). Cet univers est, à son tour, modulé par la trajectoire
migratoire (et de manière plus inclusive, le parcours social), les modalités d’établissement, les liens
de sociabilité et les ressources dont dispose la famille. L’univers du soignant complète cette triade
(Rousseau, 1998) et comprend, outre l’individu et son propre parcours, la reconnaissance d’une
hétérogénéité partagée (tant le patient que le clinicien sont porteurs d’une identité de genre, de
classe sociale et de groupe d’appartenance), celle d’une identité professionnelle porteuse de valeurs
et de normes et enfin, la reconnaissance du rapport inégal inscrit dans la relation entre patient et
clinicien. Les cliniciens sont interpellés au cœur de leur vie personnelle, à partir de leur pratique
quotidienne. Ils puisent dans leurs ressources, leur trajectoire au fil des rencontres cliniques, bien
au-delà de la stricte formation professionnelle.
Il y a deux qualités qu'on doit avoir pour travailler auprès de ces patients: un c'est d'avoir
un souvenir de ce que nous avons été [à cette étape du cycle de vie] et … [deux] être
capable de se projeter dans [l’univers de ] l'autre non pas par rapport à ce que nous
sommes comme individu, mais par rapport à ce que ça a comme impact [ou dit autrement,
ce que nous représentons]. (Médecin, pédiatrie générale, 23 années d’expérience
professionnelle)
Les habiletés techniques et le savoir expert sont indispensables, mais ils ne peuvent suffire à eux
seuls. Dans cette perspective, le Collège Royal des Médecins et Chirurgiens du Canada fait la
promotion d’une pratique médicale qui (ré)unie le savoir expert et les compétences
relationnelles12. L’espace clinique est relationnel et en contexte pluraliste, particulièrement, cette
relation n’est pas donnée d’emblée.
La langue… c'est sûr … De ne pas pouvoir communiquer avec une famille, c'est très
difficile. La culture. La religion… C’est toutes des choses qu'on doit prendre en compte.
Dans les situations critiques, y a peut-être quelque chose que moi j'ai appris… avec les
années et que je ne savais pas avant.. Bon… y a des gens qui acceptent qu'on… arrête des
traitements.. et y en a d'autres qui l’acceptent pas. […] Même à l’intérieur d’une même
religion, y a des degrés… différents […] Il faut faire très attention[…]- parce que nous,
avec notre culture personnelle et notre vécu et notre passé, on peut penser des choses et que
c'est pas du tout la même chose … qui est pensée dans ces communautés-là. (Médecin,
pédiatre spécialiste, près de 10 ans d’expérience professionnelle)
Conclusion
De nombreuses situations de terrain ont permis de constater comment l’Altérité, qu’elle soit
culturelle ou sociale, est souvent un frein à l’élaboration d’une «alliance» thérapeutique. Dans
certaines unités, toutes les situations où nous avons constaté un moindre investissement de la part
des soignants étaient aussi des contextes où la «culture» était mise de l’avant comme phénomène
explicatif d’une trajectoire de soins inachevée, incomplète ou mitigée au plan relationnel. Ainsi,
lorsque la culture est invoquée, c’est dans une démarcation du Nous et du Eux, une frontière qui
renvoie aux détenteurs d’une norme, membres du groupe majoritaire de la société locale. Il s’agit a
priori de la culture de l’Autre, celle de l’Immigrant (et parfois cet immigrant est médecin!).
Appréhendée par la plupart des praticiens comme étant étroitement associée à l’ethnicité (et par
extension au groupe ethnique tout entier), la culture devient un objet en soi qui doit être «maîtrisé»
12
Voir Fortin, Alvarez, Bibeau et Laudy (à paraître) pour une discussion plus approfondie de ces compétences et de
programme CANMEDS.
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Association pour la recherche interculturelle
(tel que démontré par la littérature abondante sur « la compétence culturelle » dans le domaine de
santé). Qui plus est, l’hôpital en question étant situé dans un quartier cosmopolite où réside une
population immigrée (78%) diversifiée ethniquement, religieusement et linguistiquement (Meintel
et al 1997), comment cerner l’une ou l’autre « culture » dans l’esprit d’une telle compétence
(Korbin 2004) ?
Il en est de même avec l’emphase mise sur la culture, en dehors des dynamiques sociales qui la
construisent, la transforment, la font vivante. Certes, la culture est au cœur d’une façon de
comprendre et d’interagir et influence notre rapport au corps et à la santé. Un rapport dynamique
entre le biologique et la culture est aussi mis de l’avant, notamment par l’anthropologue Margaret
Lock qui propose, à l’instar de ses travaux comparatifs sur l’expérience de la ménopause13, la
notion de « biologies locales » qui allie conditions de vie, conditions sociales et manifestations
biologiques (1993; Lock et Kaufer, 2001). L’inscription du savoir biomédical dans un contexte
historique tout comme la remise en question de catégories dites ‘naturelles’ comptent, avec le
repositionnement de la culture au sein du champ de la santé, parmi les objets (ou défis, dirait Lock,
2005) de l’anthropologie médicale.
Dans un monde contemporain où les échanges d’idées, de personnes et de biens se multiplient, où
la diversité sociale, culturelle et religieuse est synonyme de milieux urbains tel que Montréal,
comment penser cette culture? D’hier à aujourd’hui, les éléments qui la composent fluctuent et sont
mobilisés différemment selon les enjeux (Hannerz, 1996; Clifford, 1988; Barth, 1969). Cette
contextualisation est une dimension fondamentale de la culture comme phénomène qui recouvre un
ensemble variable de valeurs, de croyances, de modes d’être (acquis) qui prennent sens dans un
contexte relationnel et historique donné (Cuche, 2001).
Les pratiques culturelles […] sont, le plus souvent des réalités syncrétiques inédites, issues de
la réinterprétation croisée de formes culturelles d’origine et de modèles de la société de
résidence, en fonction des enjeux, […]. Et l’identité culturelle n’est pas davantage pour eux
que pour d’autres un héritage auquel ils ne sauraient échapper, mais le fruit de pratiques de
différenciation et qu’ils affrontent et qu’ils mettent stratégiquement en œuvre dans leurs
interactions sociales. Dès lors, réifier l’ensemble de ces pratiques dans une abstraction
baptisée de tradition culturelle revient à condamner leurs acteurs à la marginalisation sociale
et à leur faire endosser la responsabilité de celle-ci, comme le faisait hier encore, de manière
dominante, la thèse de la prétendue infériorité raciale des étrangers. La notion de culture
fonctionne alors comme un euphémisme de celle de race. (Giraud, 1993:45)
L’équation entre groupe national, ethnique et groupe culturel est dans ce sens pernicieux, comme si
les Italiens, les Français ou Canadiens étaient des groupes homogènes partageant une même culture.
En dehors de l’immigration et des pratiques transnationales qui donnent lieu à un foisonnement
identitaire au sein de groupes nationaux, il reste que les groupes ethniques14 ne sont pas pour
autant détenteurs d’une seule culture, mais bien de plusieurs, aux frontières poreuses et mouvantes
13 Travaux comparatifs (Canada, Etats-Unis, Japon) selon lesquels la variation des symptômes associés à la ménopause
ne sont pas réductibles à des différences ‘cuturelles’ qui en légitimisent la variabilité des modes d’expression (présence
ou absence de symptômes) mais aussi en lien avec un régime alimentaire et un mode de vie particuliers.
14 La notion d’ethnicité est souvent amalgamée, à tort, à celle de culture. Or, elle renvoie à une croyance en des
ancêtres communs, réels ou imaginés, et à un sentiment subjectif d’appartenance à un groupe donné marqué par une
croyance en un devenir historique commun. Elle a été définie par Barth (1969) comme étant une forme d’organisation
sociale basée sur une attribution catégorielle qui classe les personnes en fonction de leur origine supposée et qui se
trouve validée dans l’interaction par la mise en œuvre de signes culturels socialement différenciateurs. Voir aussi
Poutignat & Streiff Fenart (1995), Juteau (1999), Fisher, (1986).
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(Cowan et coll., 2001). Les traits marqueurs, assimilant un individu à tel ou tel groupe national ou
ethnique sont aussi mobiles, historiquement constitués (Guillaumin, 1972)15.
En réalité, on a rien inventé… parce que même dans un Montréal cosmopolite, la diversité
dépasse la pluriethnicité. On ne parle pas de la même façon à quelqu'un qui vient d’un
quartier favorisé et qui s’appelle Tremblay [un patronyme local] qu’à quelqu'un qui vient
d’une région rurale éloignée et qui s’appelle Tremblay. Pourtant, ils s’appellent tous les
deux Tremblay et viennent du même pays – mais ils n’ont pas les mêmes réalités
environnementales…socio-économiques. Et à Montréal, on peut aller dans un quartier
défavorisé. Le langage verbal et non verbal n’est pas le même que lorsqu’on parle à
quelqu'un d’un quartier favorisé. […] Donc c’est tout ça le pluralisme, en plus de la religion,
de la couleur de la peau, de l’origine ethnique… (Médecin, pédiatre, 18 années d’expérience
professionnelle)
Tenter de dépasser une approche essentialiste de la culture dans le soin appelle une prise en compte
de l’univers du patient et les contextes dans lesquels il évolue16. Une meilleure connaissance (ou
connaissance tout court!) de la structure familiale locale et transnationale et des dynamiques
relationnelles au sein de celle-ci, les ressources sociales et économiques dont dispose la famille et
le parcours social (et migratoire) permettra de mieux comprendre la souffrance exprimée, la
relation au corps, les systèmes de la signification ou encore l'acceptation ou la résistance aux
traitements suggérés. Ce dépassement implique également une réflexion sur les manières dont
certaines interventions sont effectuées, qu’il s’agisse du processus décisionnel au sein des équipes
de soin et en lien avec la famille ou plus largement, la dynamique souvent inégalitaire de la relation
clinique. Ces inégalités dérivent, en partie, des relations majoritaires/minoritaires au sein de la
société locale mais également, dans la clinique, entre celui qui sait (l'expert) et celui qui ne sait pas,
entre la connaissance et la pratique institutionnelle et entre la santé et la maladie.
La culture – qu’elle soit de genre, de classe, d'âge, de religion, d’ethnicité ou de savoir -traverse bel
et bien l’espace clinique. Seulement, en privilégiant la relation clinique comme point de mire en
dehors d’un examen du contexte social dans lequel elle prend place, nous sommes à réifier les
différences culturelles, les différences de statut aussi, pourtant étroitement associées aux inégalités
en santé…
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15 Au Québec par exemple, la langue française a longtemps été associée à un groupe particulier, c’est-à-dire les
Québécois d’origine canadienne française. Or, depuis une trentaine d’années (1977) nous assistons à une «déethnicisation» de ce marqueur, les enfants d’immigrants de toutes origines étant scolarisés en français (Loi 101 sur la
francisation de la vie publique au Québec). De la même façon, l’identité québécoise a longtemps été associée à l’Église
catholique, avant la langue française. (Meintel et Fortin, 2002).
16 Les travaux dans le champ de la santé mentale sont innovateurs en ce sens. Voir notamment Kirmayer (2006),
Rousseau (2004, 1998), Bibeau (1997).
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