PRÉFACE LA SUPRACONDUCTIVITÉ : PROGRÈS ET PERSPECTIVES L a supraconductivité, découverte il y a cent ans le 8 avril 2011 par Heike Kamerlingh Onnes et son équipe, continue de nous émerveiller. La fameuse expérience de lévitation que la plupart d'entre vous ont déjà vue, nous surprend et nous touche tous, scientifiques ou non. Ce qui surprend le plus le physicien ou la physicienne, peut-être, c'est la variété de situations où la supraconductivité se manifeste: dans les solides bien sûr, mais aussi dans les atomes froids, l'helium-3 superfluide, la matière nucléaire, les étoiles à neutron... Du point de vue du modèle standard des particules élémentaires, le vide est un supraconducteur électro-faible. La supraconductivité est omniprésente en physique. Transporter l'électricité sans résistance suggère tout de suite des applications. Le transport de l'énergie bien sûr, mais aussi des résonateurs pour la téléphonie cellulaire et des électroaimants pour l'imagerie médicale et les trains à lévitation et propulsion électro-magnétique. Les supraconducteurs amènent à l'échelle humaine la magie de la mécanique quantique: la lévitation, mais aussi l'interférence. La supraconductivité est au transistor ce que le laser est à l'ampoule: c'est la forme cohérente de l'électricité. On se sert déjà de l'interférence dans des boucles supraconductrices pour fabriquer non seulement les détecteurs de champ magnétique les plus sensibles mais aussi des qubits, ces bits quantiques qui pourraient être la base de l'ordinateur quantique du futur. Comme bien d'autres phénomènes, la supraconductivité a dû attendre la découverte de la mécanique quantique avant d'être comprise. Mais dans ce cas-ci, la solution ne sautait pas aux yeux des physiciens, même des génies comme Einstein, Heisenberg, et Feynman. Il n'y avait pas de chemin direct menant de l'équation de Schrödinger à la supraconductivité. Deux nouvelles notions étaient nécessaires. Celle de paire de Cooper et celle de symétrie brisée. Cette dernière notion n'était pas complètement nouvelle mais c'est par la solution de Bardeen, Cooper et Schrieffer (BCS) en 1957 qu'elle a clairement été mise à jour. Ces deux concepts « émergents » sont encore à la base de notre compréhension de l'état supraconducteur. La théorie BCS contenait en plus un mécanisme pour la formation des paires de Cooper: une interaction attractive médiée par les vibrations du réseau d'ions. Les supraconducteurs à haute température (cuprates) découverts il y a 25 ans ont surpris par leur température de transition extrême (jusqu'à 164 K), mais aussi par le fait que le mécanisme de BCS n'expliquait plus les observations. En effet, alors qu'avec ce mécanisme on ne pouvait pas entrevoir de supraconductivité à très haute température, il ne semble plus y avoir de loi fondamentale de la physique qui empêche d'obtenir 60 C PHYSICS IN CANADA / VOL. 67, NO. 2 ( APR.-June 2011 ) un supraconducteur à la température de la pièce. C'est pour la révolution verte qu'il provoquerait dans le transport de l'électricité que Scientific American a déclaré, dans son numéro de juin 2010, que l'avènement de la supraconductivité à température ambiante serait un des douze événements qui changeront tout. Le mécanisme de formation des paires demeure donc le SaintGraal du domaine. De nouveaux matériaux sont constamment découverts. Des organiques aux pnictures de fer, la supraconductivité apparaît là où on l'attend le moins. Guidés par le mécanisme originalement proposé par BCS on s'éloignait du magnétisme, des isolants, de l'oxygène. Maintenant on cherche des matériaux ayant ces caractéristiques pour trouver des états supraconducteurs non-conventionnels et à haute température. L'étude de ces matériaux ouvre une nouvelle frontière dont les retombées dépassent la supraconductivité puisque bien d'autres propriétés défient ce que les livres de physique du solide courants enseignent. Il faut comprendre en profondeur la physique de Mott, les points critiques quantiques, le magnétisme, en un mot les corrélations fortes et leurs conséquences et ce dans une vaste gamme de matériaux. Ce numéro de La Physique au Canada illustre, dans un contexte mondial, la contribution canadienne à ce vaste domaine. L'impact de cette contribution est disproportionné par rapport à la taille de la communauté scientifique canadienne. Ceci est dû en bonne partie au leadership et à l'esprit de coopération suscités par l'Institut canadien de recherches avancées dont le programme Matériaux quantiques réunit depuis plus de 20 ans synthétiseurs de matériaux, expérimentateurs et théoriciens au Canada et à travers le monde. Le succès de la recherche canadienne vient aussi de la liberté accordée au chercheur par les organismes subventionnaires comme le CRSNG et la FCI. Les progrès sur la route qui mène à la supraconductivité à la température de la pièce dépendront de cette liberté et de la collaboration à l'échelle internationale. Puisse ce second siècle de recherche en supraconductivité être caractérisé par cet esprit. Louis Taillefer et André-Marie Tremblay Université de Sherbrooke / ICRA Rédacteurs honoraires, La Physique au Canada Les commentaires de nos lecteurs au sujet de cet éditorial sont bienvenus. NOTE: Le genre masculin n’a été utilisé que pour alléger le texte.