Anthropologie et sociologie et générale TABLE DES MATIERES Durée: ......................................................................................................................................... 2 Objectifs spécifiques .................................................................................................................. 2 1. L’échange ............................................................................................................................... 2 1.1 Définition et types divers de l’échange ............................................................................ 2 1.2 Les théories de l’échange en anthropologie. .................................................................... 3 2. La rationalité .......................................................................................................................... 7 2.1 Définition et types de rationalité ...................................................................................... 7 2.2 Les théories sociales de la rationalité- irrationalité .......................................................... 8 3. Les besoins ............................................................................................................................. 9 3.1 Définition et types de besoins .......................................................................................... 9 3.2 Le caractère social du besoin ......................................................................................... 10 1 Enseignant : Madame NIKIEMA Rose Anthropologie et sociologie et générale Chapitre IV. L’apport de l’anthropologique à l’économie classique Durée: 2 jours Objectifs spécifiques À l'issue de ce chapitre, les compétences acquises vous permettront de : • • Connaître les théories sociales portant sur des concepts étudiés par l’économie classique; comprendre que l’éventail des choix d’un individu rationnel et maximisateur pour les faits économiques est limité par les systèmes de valeurs du contexte socioculturel. 1. L’échange 1.1 Définition et types divers de l’échange Au sens général, le terme échange s’applique à tout mouvement d’intention réciproque entre deux parties. En économie, on appelle échange les différents modes de transferts de biens et de services exécutés en contrepartie et en équivalence les uns aux autres : Claude Meillassoux, 1999 :141 La théorie économique tend à circonscrire l’échange à sa valeur variante marchande qui se réalise sur le marché avec la monnaie. Or, cette variante de l’échange est apparue il y a seulement 30 ou 40 siècles avec l’émergence des villes en Asie et au Proche Orient. Par contre la réciprocité (don- contre don) qui est la forme universellement répandue de l’échange est selon Claude Lévi-Strauss aussi vieille que l’humanité dans la mesure où elle symbolise le passage de l’état de nature à l’état de société. Il démontre en effet à travers le tabou de l’inceste que l’échange est le lien social primordial. Le tabou de l’inceste devient échange en ce sens qu’il m’oblige, en me refusant ma sœur, de l’offrir à un autre pour obtenir mon épouse. L’échange, dans sa forme universelle, n’est pas réductible à sa seule variante marchande c'est-à-dire limitée aux seuls objets matériels. En effet, on échange d’abord et avant tout des paroles, par exemple les salutations qui sont constituées de plusieurs répliques rapides et mécaniques sans 2 Enseignant : Madame NIKIEMA Rose Anthropologie et sociologie et générale rapport avec la situation réelle des personnes qui se saluent. On échange également des personnes (les femmes), des droits sur tout et partie des personnes (prostitution, placement des enfants, etc.). On échange aussi des coups, les guerres, les conflits armés ou les vendettas se déclenchent toujours entre les groupes voisins qui sont donc impliqués dans d’autres types d’échange, situation que l’on peut illustrer par les propos de Nuer rapportés par Evans Pritchard «nous nous battons avec ceux avec qui nous nous marrions». En d’autres termes, on ne se bat pas contre quelqu’un qu’on ne connaît pas, avec qui on n’entretient pas un minimum de relations sociales. Enfin, on échange des objets matériels parmi lesquels se rencontrent les marchandises. «Une marchandise est socialement et culturellement définie comme telle par un processus qui la soustrait à son producteur et au contexte dans lequel elle se trouve, la dépersonnalisé et lui confère une valeur marchande». LaburtheTolra et Warner, 1997 : 308. Par exemple : l’esclave est une personne qui devient une marchandise après avoir été arraché à sa famille, changé d’identité et vendu sur un marché comme n’importe quelle marchandise. Pour Claude Meillassoux (1999 : 142-143), l’échange a revêtu plusieurs formes, notamment : - le partage dans les sociétés égalitaires (chasseurs collecteurs); - la prestation, redistribution ou don dans les sociétés agricoles où les biens circulent soit le long des réseaux de parenté, soit vers une autorité (prestation) soit de l’autorité vers le bas (redistribution). Dans ce contexte, les biens ne possèdent qu’une - rapport avec leur origine. Ainsi par exemple, la part de récolte donnée au chef exprime des rapports de subordination; entre les paires, l’échange peut exprimer l’alliance lorsqu’il est réciproque, ou un défi. - Enfin l’acceptation actuelle de l’échange qui apparaît entre des économies complémentaires ou lors des contacts avec les représentants de l’économie marchande et dont le terme est l’institution du marché. En fonction de la forme, l’échange a revêtu des modalités différentes dont la première historiquement connue est le troc. Lorsqu’une marchandise s’impose comme l’équivalent de toutes les autres marchandises, elle acquiert une valeur de monnaie; son apparition coïncide avec celle du commerce (il y a 30 ou 40 siècles) La monnaie La monnaie est un instrument qui facilite les échanges en remplissant trois fonctions principales : - la fonction d’intermédiaire des échanges : la monnaie permet de fractionner l’échange en deux temps (bien contre monnaie puis monnaie contre bien), elle est acceptée par tous les membres d’un groupe en échange de tous les autres produits; - la fonction d’unité de compte : tous les prix sont exprimés sous la forme d’une quantité de monnaie; - la fonction de réserve des valeurs : la monnaie peut donc être conservée avant d’être échangée contre un autre produit (sans perte de valeur dans l’hypothèse d’une inflation nulle). 3 Enseignant : Madame NIKIEMA Rose Anthropologie et sociologie et générale Beitoine et alls : Dictionnaire des sciences économiques, Armand Colin, 1991, p211. 1.2 Les théories de l’échange en anthropologie. La notion de l’échange a été théorisée à partir de celle du don par Marcel Mauss («essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques» in année sociologique, seconde série 1923-1924 T1) Par principe, un cadeau n’est pas obligatoire; pourtant dans l’existence de tous les jours (en campagne comme en ville), on se sent souvent dans l’obligation de faire des «gestes» sous peine d’être indexé et traité comme avare et égoïste. Un cadeau ne doit normalement pas être «remboursé», pourtant celui qui reçoit et qui ne donne jamais en retour sera vite indexé et progressivement exclu. Tel est le paradoxe du don. Le don est pratiqué dans toutes les sociétés humaines. Il a un caractère ambivalent dans la mesure où il est à la fois volontaire et obligatoire. En effet, toutes les sociétés contraignent leurs membres à pratiquer l’échange. Ainsi, autant il existe une obligation de donner, autant il pèse sur le bénéficiaire l’obligation d’accepter le don et de le rendre. C’est Mauss qui le premier s’intéresse à la question du don. S’appuyant sur les travaux de Boas sur le potlatch, de Malinowski sur la kula, mais plus largement sur les matériaux anthropologiques disponible à son époque concernant divers exemples mélanésiens ou polynésiens, il découvrira, derrière des pratiques de générosité apparente, un cadre sinon un carcan d’obligations sociales. En réalité Mauss s’intéresse davantage au contre don qu’au don lui-même. La question qui sous-tend tout son programme de recherche est la suivante : «Quelle force y a-t-il dans la chose qu’om donne qui fait que le donataire la rend? Pour rendre compte à la fois du caractère volontaire et obligatoire du don, Mauss utilise une théorie Maori selon laquelle toute chose donnée possède un hau (l’esprit du propriétaire de la chose) qui oblige à rendre tout cadeau sous peine de malheur. Mais la théorie du hau n’explique que l’obligation de rendre et non celle de donner et de recevoir. Selon Mauss, ces deux obligations sont à rapporter à l’honneur, à la recherche du prestige et à la rivalité. Le don peut être interprété comme un défi qui permet aux protagonistes d’exprimer leur supériorité en se montrant plus généreux. C’est ce qu’illustre le potlatch dans la mesure où l’objectif de chaque protagoniste est d’aplatir son rival. Les différents protagonistes sont engagés 4 Enseignant : Madame NIKIEMA Rose Anthropologie et sociologie et générale dans une bataille où l’on se bombarde de cadeaux et non de flèches et de tomahawk. A cette occasion, même les biens les plus essentiels tels que les couvertures, les vêtements, les maisons, sont détruits. La philosophie du potlatch montre que, ce qui importe chez les Indiens, ce n’est pas tant la possession des objets que l’établissement d’un certain type de relation sociale qui en l’occurrence permet de hiérarchiser les protagonistes. Il ne s’agit donc pas de faire des échanges économiques juteux mais d’établir un rapport de force. Qu’il s’agisse des échanges entre groupes ou entre individus à l’intérieur d’un même groupe, il s’agit toujours d’établir une hiérarchie entre les personnes impliquées, de confirmer ou de redéfinir des statuts politiques et sociaux. C’est ce qui explique que traditionnellement dans les sociétés archaïques, les privilèges économiques du chef n’étaient pas destinés à être accumulés mais plutôt à être redistribués pour raffermir son pouvoir. Outre l’idée de défi et de prestige, l’obligation de donner a aussi un fondement moral, voire religieux. En effet, la distribution des richesses ou d’une partie de cellesci aux nécessiteux joue le rôle d’amande ou de repentance (la recherche du salut de l’âme après la mort). Le code de l’honneur et le code moral qui régissent le don imposent aux individus ou aux groupes de sacrifier leurs intérêts personnels pour parfaire l’image qu’ils veulent se donner d’eux. C’est pourquoi «sur le plan sociologique, il va de soi que les intérêts économiques sont plus facilement sacrifiés dans des sociétés où, en l’absence de progrès techniques, les surplus ne peuvent être investis, de sorte que l’usage le plus rationnel de la richesse est de le convertir soit en pouvoir politique, soit en «bonnes actions» Pottier Richard, 1989 : 7) Ce qui ressort de l’analyse de l’échange, c’est qu’il est au fondement de la vie sociale. En effet, les objets échangés n’ont de valeur que parce qu’ils sont désirés ou valorisés par autrui. Dans cette perspective, en réalité ce qui est valorisé n’est pas l’objet lui-même, mais le type de relation avec autrui qu’il autorise. Par conséquent, la présence de l’autre, même s’il peut être potentiellement un rival, est nécessaire dans la mesure où pour organiser une hiérarchie, il faut être au moins deux. Le don comme investissement stratégique Selon Alain Marie (98/99), l’échange de dons met en jeu une logique de la dette dans la mesure où les dons et les contre-dons s’enchaînent comme le crédit et son remboursement ou comme le placement et son rapport. Alain Marie commence par contester d’abord la thèse de Mauss selon laquelle c’est le han, (c’est la force magique ou religieuse) qui justifie l’obligation de rendre, c’est au contraire la nécessité inconsciente de l’échange qui en est le fondement. Par conséquent, c’est la fonction de l’échange qui justifie l’obligation de rendre. Il s’inspire ensuite de la critique de Bourdieu (1994) qui a reproché à Mauss et à LeviStrauss d’avoir négligé la dimension temporelle entre le don et le contre-don. Or en prenant en considération cet intervalle-temps, l’on peut poser « le don initial comme prise de créance, comme endettement d’autrui, donc comme investissement social destiné à rapporter à terme, la dette comme mode de fonctionnement ordinaire (pas seulement cérémonial)de la vie sociale » Alain Marie 1998/1999 :30 5 Enseignant : Madame NIKIEMA Rose Anthropologie et sociologie et générale Pour Bourdieu, on observe en effet en toute société que le contre don doit être différé et différent. La restitution immédiate d’un objet exactement identique équivaut à un refus : l’échange de don s’oppose au donnant-donnant. Il s’oppose aussi au prêt dont la restitution explicitement garantie par un acte juridique est comme déjà effectuée dans l’instant même de l’établissement d’un contrat. L’intervalle de temps qui sépare le don et le contre don est ce qui permet de percevoir comme irrésistible une relation d’échange. Dans cette conception, trahir la hâte que l’on éprouve d’être libéré de l’obligation contractée et manifester ainsi trop ostensiblement la volonté de payer les services rendus ou les dons reçus, d’être quitte, de ne rien devoir, c’est dénoncer rétroactivement le don initial comme inspiré par l’intention d’obliger. La fonction de l’intervalle temps dans la genèse de l’échange est qu’il lie durablement créanciers et débiteurs; les premiers surveillants les seconds jusqu’à ce qu’il s’acquittent en inversant parfois l’ordre de la relation. Ainsi, l’intervalle temps permet l’établissement de relations sociales qui intègrent chaque individu dans un système de protection sociale et d’assurance mutuelle contre les aléas de l’existence et les incertitudes de l’avenir. Dans les milieux populaires, seule l’entraide communautaire constitue une protection et une assurance contre la précarité de l’existence, or selon Alain Marie (1998/1999 : 31) « entraide et assurances communautaires sont fondées sur l’obligation de réciprocité : la communauté est une mutuelle. On a droit à ses services dans la mesure où l’on y a rendu service quand on le pouvait et quand on le devait, dans la mesure où l’on y a joué sa partition dans le bon fonctionnement de la logique de la dette ». Dans les milieux populaires ou en zone rurale, cette logique est mise en œuvre par un collectif dans lequel chaque individu reçoit, donne pour espérer recevoir. L’interprétation du don comme acte de crédit peut être illustré par la scolarisation des enfants en Afrique. De prime abord, la scolarisation des enfants peut être appréhendée comme l’obligation faite à la famille de s’occuper de ses enfants. Alain Marie procède par contre par une lecture froide et y voit un investissement impliquant une dette et son remboursement avec intérêts. En effet, le diplômé, dans beaucoup de pays d’Afrique noire, doit sa réussite à l’implication financière des parents directs ou indirects (le tutorat), aux diverses démarches auprès des féticheurs pour l’aider et le protéger contre les jaloux. Par conséquent, sa réussite n’est pas synonyme d’émancipation personnelle. « Au contraire, le diplômé est un chargé de mission lourdement endetté : on attend de lui qu’il manifeste sa reconnaissance; qu’une fois installé dans la vie, il accueille, aide à son tour à payer les frais de scolarité d’un enfant du village, y fasse construire, etc. » Alain Marie (1999 : 30). Il peut, certes, se soustraire à cette obligation du don en retour, mais c’est au risque de s’exposer aux représailles (rupture avec le village, attaque en sorcellerie, etc.). Ainsi, à interroger les pratiques et les théories des acteurs sociaux, on fini par découvrir qu’au-delà des considérations et des justifications morales souvent évoquées pour expliquer le don, la générosité ou la solidarité, il y a aussi et souvent du calcul et même la recherche du profit. 6 Enseignant : Madame NIKIEMA Rose Anthropologie et sociologie et générale Pour les privilégiés ou les classes aisées, la générosité permet de se constituer un public d’obligés qui peut être monnayé sur d’autres plans, par exemple politique, économique. Le don est utilisé pour camoufler, humaniser et même légitimer aux yeux de la société la relation de domination et d’exploitation. C’est le cas des entrepreneurs qui distribuent régulièrement de l’argent, sponsorisent des manifestations sportives ou culturelles; il se constitue ainsi de solides réputations de générosité, de bienfaiteur ou d’homme de Dieu alors qu’en même temps ils ne payent pas leurs ouvriers et les renvoient quand ils revendiquent leur salaire. 2. La rationalité La question de la rationalité (et donc de l’irrationalité aussi) renvoie à la nature des comportements et des croyances. Elle renvoie à la préoccupation de savoir si l’Homme est rationnel ou au contraire s’il est guidé par des forces psychologiques et sociales dont il n’a pas conscience et par conséquent qu’il ne contrôle pas. C’est une question fondamentale dans la compréhension des comportements sociaux qui, pour le regard extérieur, peuvent paraître bizarres; en matière d’actions de développement, les réactions des populations bénéficiaires sont parfois incompréhensibles aux spécialistes; des actions théoriquement très bénéfiques et capables d’améliorer les conditions de vie des bénéficiaires n’obtiennent pas souvent l’adhésion espérée par les bailleurs qui s’interrogent alors sur la rationalité des paysans. 2.1 Définition et types de rationalité Si on fait l’hypothèse de la rationalité du comportement humain, sans bien sûr écarter complètement une dose d’irrationalité, l’on est en droit de formuler quelques interrogations sur la nature même de la rationalité. Qu’est ce qu’une action rationnelle? Existe-t-il une rationalité universelle? La rationalité a été théorisée par Raymond Boudon (l’idéologie où l’origine des idées reçues (1996), l’art de se persuader (1990), le juste et le vrai (1990)), Selon lui, une action ou une croyance d’un individu est dit rationnelle si cet individu a de « bonnes raisons » d’agir comme il le fait ou de croire à ce qu’il croît. La rationalité se définit donc exclusivement à partir du point de vue de l’individu, dans la mesure où son comportement est déterminé par la nature, la quantité et la qualité des informations dont il dispose. La rationalité est donc subjective. Par conséquent une croyance peut être à la fois fausse et rationnelle « étant entendu que les gens qui adhèrent rationnellement à cette croyance ignorent qu’elle est fausse et ne peuvent le découvrir par eux-mêmes » Valade, 1996 :544 La croyance peut être fausse dans la mesure où elle n’est pas objectivement fondée mais rationnelle car les informations dont dispose l’individu font qu’il a de « bonnes raisons » de croire à cette croyance; à titre d’illustration on peut citer la croyance populaire que c’est le soleil qui tourne autour de la terre. 7 Enseignant : Madame NIKIEMA Rose Anthropologie et sociologie et générale En définitive selon Raymond Boudon (1999 : 404) « est rationnel tout comportement dont on est à même de fournir une explication de forme : X avait de bonnes raisons de faire Y car sans risquer de protestation et sans avoir soi même le sentiment d’émettre un énoncé incongru ». Il existe trois types principaux de rationalité : La rationalité utilitaire ou rationalité économique : elle envoie à la notion d’utilité. La rationalité cognitive : elle renvoie au domaine des connaissances objectives et s’appuie parfois sur des théories élémentaires. Exemple : si en pleine vitesse dans la circulation j’actionne le frein avant de ma mobylette, je risque de tomber. Donc j’ai de bonnes raisons pour ne pas actionner le frein avant. La rationalité axiologique, c’est elle qui est en œuvre dans les jugements de valeur pour définir le bien et le mal. 2.2 Les théories sociales de la rationalité- irrationalité La rationalité s’oppose à l’irrationalité qui stipule que les actions et les croyances «sont gouvernées par les forces qui s’imposent aux acteurs sans que ces derniers puissent les maîtriser où les canaliser par leurs propres réflexions et raisonnements. Les actions et les croyances sont déterminées, elles ne sont pas raisonnées.» (Valade, 1996 : 556). En d’autres termes, l’acteur social ne dispose pas d’une liberté individuelle, personnelle dans ses jugements et dans ses choix. Il trouvera toujours des explications à son comportement mais celles-ci ne seront pas originales et différentes des explications des autres acteurs du même milieu pour le même comportement; à titre d’illustration on peut citer les justifications du refus de la transfusion sanguine par les fidèles de certaines religions, les justifications de la pratique de l’excision par les vieilles, etc. Les sciences humaines ont souvent utilisé l’hypothèse de l’irrationalité pour rendre compte du comportement humain. (Par exemple Freud avec la théorie du psychique à trois étages : le ça, le moi et le surmoi). En sociologie, de nombreux auteurs relativisent l’hypothèse de la rationalité du comportement humain. Vilfredo Pareto (traité de sociologie générale) affirme par exemple qu’il existe dans les actions humaines des îlots de rationalité éparpillés dans un océan d’irrationalité. On peut également citer Bourdieu (1979) dont la théorie de l’habitus a montré que l’appartenance à une classe, à un milieu social conditionne le comportement, détermine les goûts, les attentes et les pratiques des individus sans que ceux-ci aient conscience de cette détermination; ces comportements finissent par paraître naturels à tout le monde. L’ensemble de ces auteurs ainsi que certaines théories (le marxisme) et certains courants de l’anthropologie (le fonctionnalisme, le culturalisme et le structuralisme) 8 Enseignant : Madame NIKIEMA Rose Anthropologie et sociologie et générale mettent l’accent sur le caractère socialement et culturellement déterminé du comportement et des croyances de l’Homme. Les choix que les hommes effectuent sont libres mais dans les limites circonscrites par leur apparence. C’est ainsi qu’est née l’homo sociologicus qui stipule que la rationalité dépend des caractéristiques sociales de l’acteur, notamment les valeurs auxquelles il adhère. La notion s’oppose à celle de l’homo oeconomicus (individu rationnel, libéré des contraintes sociales et qui n’agit que selon le principe de la maximisation du profit). Actuellement, les positions entre les économistes et les sociologues/ anthropologues ne sont plus aussi tranchées. Ainsi, les sociologues admettent que l’individu dans son comportement dispose d’une marge de manœuvre susceptible d’aboutir à des choix qui ne sont pas toujours conformes à ceux prescrits par son appartenance (classe, société, etc.). Par conséquent, l’individu n’est plus considéré comme un simple support social ou un idiot culturel (Durkheim, Bourdieu) mais il est considéré comme un acteur capable d’initiatives. Les économistes quant à eux reconnaissent le caractère limité de la rationalité dans la mesure où elle est toujours affectée par la nature, la quantité et de la qualité des informations dont dispose l’acteur. D’autre part, ils postulent dorénavant qu’entre les moyens disponibles et les fins visées, il peut exister des incertitudes objectives dont la gestion dépend fortement des caractéristiques sociales de l’acteur. Exceptionnellement, certaines situations d’incertitude peuvent imposer un type de choix à tous les acteurs. C’est seulement dans ces inconstances que le modèle de l’homo oeconomicus (qui suppose des individus interchangeables parce que guidés par une rationalité identique) est pertinent. En définitive, l’économie moderne considère que «le comportement rationnel est le choix par l’individu de l’action qu’il préfère parmi toutes celles qu’il a la possibilité d’accomplir, en bref comme un choix conforme à des préférences». (Bondon et Bourricaud, 1992 : 479). C’est une définition qui relativise les prétentions généralistes de l’homo oeconomicus car il n’existe pas une rationalité pure, elle est toujours relative et dépend de la situation qui impose souvent aux acteurs une certaine prudence (par exemple le comportement des acteurs face à l’innovation, «l’attentisme» des paysans face à l’introduction des nouvelles variétés, notamment les variétés à haut rendement). Enfin, la rationalité ne peut être appréhendée qu’à partir du point de vue des acteurs, donc en se référant à leur système de valeurs. 3. Les besoins 3.1 Définition et types de besoins Dans son acception générale, le besoin exprime un sentiment ou une sensation de manque, de privation ou d’insatisfaction que l’individu va s’efforcer de satisfaire grâce à des biens et services. On distingue généralement deux types de besoins, les besoins primaires considérés comme des besoins vitaux (alimentaires par exemple) 9 Enseignant : Madame NIKIEMA Rose Anthropologie et sociologie et générale et les besoins secondaires qu’on peut considérer comme superflus, c'est-à-dire ni «naturels» ni «nécessaires». Arriver à satisfaire ses besoins (même les plus vitaux) aisément, c'est-à-dire comme on veut et quand on veut, renvoie à un état d’abondance. C’est une situation extrêmement exceptionnelle car ce qui caractérise le besoin, c’est la notion de rareté. L’une des questions fondamentales que l’on se pose concerne la cause de cette rareté. Est elle liée à l’égoïsme de la nature ou au contraire à la cupidité des Hommes? 3.2 Le caractère social du besoin Ce qui caractérise le besoin humain, même les plus vitaux, naturels et nécessaires comme par exemple le besoin alimentaire ou le besoin sexuel, c’est qu’il n’est pas limité à son contenu biologique mais comporte une dimension sociale qui le différencie du besoin animal. En d’autres termes le besoin est socialement défini. Ainsi par exemple, si pour le besoin alimentaire, la distinction nutritive/ non nutritive passe pour être fondée sur les qualités physico-chimiques des choses, par contre la distinction à l’intérieur du nutritif du mangeable/ non mangeable varie d’une société à l’autre. Le non mangeable n’est pas lié à la comestibilité des aliments. Il en est de même du besoin sexuel : la prohibition de l’inceste n’existe pas chez les animaux, même chez les proches de l’homme (chimpanzés); cela signifie que la prohibition de l’inceste n’est pas biologiquement fondée, elle est une construction sociale; c’est ce caractère qui fait qu’elle varie d’une société à l’autre. Ainsi dans certaines sociétés les cousines sont considérées comme des sœurs et sont par conséquent sexuellement interdites alors que dans d’autres sociétés, les mêmes cousines sont des conjointes préférentielles. Pourtant le degré de consanguinité ne varie pas d’un cas à l’autre. Ces exemples montrent que le besoin est socialement défini et par conséquent «c’est le besoin social, c'est-à-dire tel qu’il est interprété par les valeurs sociales et culturelles du moment qui crée la rareté sociale et non l’inverse» (Kilani, 1992 : 158); il n’y a pas de rareté de chenilles chitoumou chez les Moosé ou chez les Peuls. Par conséquent l’abondance et la rareté dépendent des sociétés. Sahlins dans son livre, âge d’abondance, l’économie des sociétés primitives (1976), montre que l’on peut obtenir l’abondance par la limitation des besoins. 10 Enseignant : Madame NIKIEMA Rose Anthropologie et sociologie et générale L’«abondance» sans surplus : les sociétés des chasseurs - cueilleurs «Il y a deux voies possibles qui procurent l’abondance. On peut «aisément satisfaire» des besoins en produisant beaucoup ou bien en désirant peu. La conception qui nous est familière, celle de Galbraith, est fondée sur des hypothèses plus particulièrement adaptées à l’économie de marché : les besoins de l’homme sont immenses, voire infinis, alors que ses moyens sont quoique perfectibles; on peut réduire l’écart entre fins et moyens par la productivité industrielle, au moins jusqu’à ce que les «besoins urgents» soient pleinement satisfaits. Mais il y a aussi une voie «zen» qui mène à l’abondance à partir de principes quelque peu différents des nôtres : les besoins matériels de l’homme sont finis et peu nombreux et les moyens techniques invariables, bien que pour l’essentiel, appropriés à ces besoins. (…) Ignorant cette obsession de la rareté qui caractérise les économies de marché, les économies de chasse et de cueillette peuvent miser systématiquement sur l’abondance. (…) C’est nous et nous seuls qui avons été condamnés aux travaux forcés à perpétuité. La rareté est la sentence portée par notre économie et c’est aussi l’axiome de notre économie politique : la mise en œuvre de moyens rares pour la réalisation de fins sélectives en vue de procurer la plus grande satisfaction possible dans les circonstances données. (…) la rareté n’est pas une propriété intrinsèque des moyens techniques. Elle naît des rapports entre moyens et fins. (…) Les peuples les plus primitifs du monde ont peu de biens mais ils ne sont pas pauvres. Car la pauvreté ne consiste pas en une faible quantité de biens, ni simplement en une relation entre moyens et fins. C’est avant tout une relation d’homme à homme, un statut social» Extrait de Marshall Sahlins, Age de pierre, âge d’abondance. L’économie des sociétés primitives. Gallimard, Paris, 1976 (première édition, 1972), page 37- 81. En définitive chaque société définit ses besoins et leur seuil, et le besoin ainsi socialisé définit la rareté ou l’abondance. Ces analyses ne s’appliquent pas uniquement aux sociétés dites archaïques; elles s’appliquent aux sociétés contemporaines, y compris les sociétés industrialisées. Ainsi par exemple, la publicité est utilisée pour créer, susciter et conditionner des besoins afin de maintenir une certaine cadence de production. Certains de ces besoins ne correspondent à aucune nécessité biologique (par exemple les glaces ou les boissons aromatisées ou alcoolisées) mais l’effet de la publicité et l’habitude de consommation finissent par en faire un besoin dont le manque est fortement ressenti. C’est également le même processus qui est en œuvre dans la production de la rareté. Ainsi certains biens très recherchés n’ont pour fonction que d’exprimer ou de rendre visible un statut social. 11 Enseignant : Madame NIKIEMA Rose Anthropologie et sociologie et générale On peut retenir que les besoins humains ne sont ni objectifs, ni artificiels mais correspondent à des habitudes construites progressivement et qu’enfin c’est de cette construction que découlent la rareté et l’abondance. 12 Enseignant : Madame NIKIEMA Rose