1 JUSTICE ET EXCES D`INJUSTICE

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JUSTICE ET EXCES D’INJUSTICE - QUELQUES
PERSPECTIVES CROISEES : ARISTOTE, PASCAL, KANT
REMARQUES
SOUS
Colloque Toulouse 16-17 juin 2011
Arnaud Berthoud, Clersé, Lille 1 ([email protected] )
Il est facile de dire qu’il n’y a pas d’hommes justes sans institutions justes et pas
d’institutions justes sans hommes justes. Cela vaut dans toutes les sphères de la vie politique
et sociale – à commencer par l’économie. Mais quel est l’ordre de priorité lorsqu’il s’agit
d’établir une société meilleure ? Faut-il privilégier d’abord les institutions et les règles :
favoriser l’intelligence juridique, inventer des dispositifs, adapter les règles aux circonstances
et aux mœurs, devenir toujours plus rationnel dans la lutte contre les écarts et les indocilités
de toute sorte ? Ou d’abord les vertus, l’éducation par chacun de ses propres passions,
l’exemple des bonnes conduites et le respect des autorités morales ? L’alternative se présente
au début des temps modernes dans les Etats européens sous une forme particulièrement vive.
Quentin Skinner en étudie les différents partis dans le domaine politique chez les derniers
scolastiques et les réformateurs – plutôt pragmatiques et institutionnalistes - et chez les
humanistes sous l’inspiration de Cicéron et du stoïcisme ancien – plutôt éthiques et tantôt
optimistes – Erasme - tantôt pessimistes – Machiavel, Thomas More. Son étude s’arrête avant
l’utilitarisme de Hume – côté institutionnaliste – et avant le jansénisme de Pascal – côté
éthique - et, dans les deux cas, avant l’invasion des problèmes économiques posés par le
nouveau régime économique du capitalisme. Existe-t-il pareil ouvrage magistral poursuivant
les traces d’une même opposition dans le domaine de la philosophie économique et jusqu’à
notre époque ? Il ne me semble pas. Faut-il penser que le parti de l’utilitarisme et de la science
économique néo-classique ou institutionnaliste ont définitivement refoulé le parti contraire de
l’éthique et des vertus en matière de justice économique, au point d’enlever tout sens à l’idée
même d’une alternative possible ? Je prends ici la position la plus ancienne : partir du plus
bas, traiter d’abord la justice comme mesure à même l’exercice le plus simple de l’échange ou
du partage, affirmer qu’au cœur de tout agent économique la réalité la plus profonde n’est pas
le cynisme de l’intérêt mais le désir du meilleur ou du bien, montrer alors par contraste que
l’excès du malheur de n’avoir pas son dû fait monter la plainte d’étage en étage jusqu’à
l’attente d’une autre justice que la justice des hommes et suggérer enfin que la science
économique est ainsi engagée dans une proximité avec la religion. Cette position ne serait pas
seulement la suite directe de la position que Skinner prête à l’humanisme et la tradition
grecque. Elle indiquerait aussi quelque chose qui fait la spécificité de l’économie par rapport à
la politique : le fond de la politique est grecque, elle ignore la perspective des pauvres,
l’économie y est au contraire attachée, elle place la justice de la propriété sous la perspective
des pauvres, en ce sens elle comporte quelque chose de plus universel que la politique.
Je distingue deux moments dans mon étude. Un premier moment dit « Aristote », pour
réinscrire l’économie dans l’éthique de la justice, contre la science économique actuelle ; un
second moment dit « Pascal, Kant », pour rattacher l’éthique de la justice à une sphère
transcendante ou la sphère des dieux, contre le courant pragmatique de la philosophie actuelle.
Où cela me conduit-il ? Non pas absorber l’économie dans l’éthique et l’éthique dans la
religion et la théologie – mais marquer seulement des proximités et des articulations.
« Aristote », « Pascal », « Kant » n’indiquent pas ici des auteurs dont je suivrais précisément
la pensée, mais des balises pour marquer des orientations.
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1- Le premier moment enchaîne des notions et des définitions. On se trouve alors sous
la seule modalité de ce qui est possible de porter dans la pensée de manière cohérente. On ne
pose pas encore la question de la réalité. On répond à la question : qu’est-ce que la justice ou
qu’est-ce qu’un homme juste lorsqu’il s’agit d’économie ? On ne pose pas la question :
comment passe-t-on de l’injustice à la justice ou les agents économiques peuvent-ils devenir
justes ? Il s’agit en fait ici de situer les notions relatives à l’économie de la justice par
opposition aux notions relatives à la science économique orthodoxe.
Sur cet enchaînement de notions, on fera quatre remarques.
1.1 On pose d’abord qu’il n’y a pas de justice qui ne soit un bien et à ce titre un
bonheur. L’injustice commise ou l’injustice subie est au contraire un malheur. Or le bonheur
que chacun désire et dont il peut jouir comme être singulier ne s’éprouve pas comme une
somme de parties disjointes et une quantité, mais comme une totalité. Le bonheur est en ce
sens plus qu’un plaisir ou une somme d’instants de plaisir. Celui qui le goûte se réjouit de sa
vie dans sa durée. Il peut devenir un ami de lui-même (Aristote, Ethique à Nicomaque, 1097 b
20, 1168 b10).
On peut assurément se dire à soi-même et indiquer aux autres dans le langage de la
conversation qu’on a été ou qu’on est plus ou moins heureux et faire des comparaisons entre
quelques uns de ses états passés ou présents, comme si le bonheur était une grandeur ou une
quantité mesurable. Chacun sait cependant en son for intérieur que les mesures personnelles
de bonheur restent irrémédiablement subjectives et flottantes et que leurs usages dans des
indicateurs de comparaisons – quelque soit leur succès d’opinion - ne traduisent pas euxmêmes un état heureux. A l’inverse du bien-être utilitariste individuel et collectif, la notion
aristotélicienne de bonheur n’en fait pas un produit susceptible d’un calcul et d’une évaluation
objective.
1.2 Cela veut-il dire que la justice - puisqu’elle est, comme bien, un bonheur – serait
elle aussi hors grandeur et calcul ? C’est ici la seconde remarque. Il faut en fait distinguer la
justice comme qualité sociale dans une opération collective de distribution, d’une part, et,
d’autre part, la justice comme vertu et bonheur. Celle-ci n’est pas une grandeur, mais un état
invisible de l’âme ou du cœur faisant d’un acteur un homme juste ; celle-là est une grandeur
objective dont l’expression est un nombre – les parts dans un partage, le prix juste dans un
échange, qui sont des données visibles et communicables.
La distinction se présente ainsi. Pour qu’il y ait justice ou injustice dans un acte de
distribution ou pour qu’on puisse valablement parler de justice dans un partage ou dans un
échange – justice distributive, justice commutative – il faut qu’il y ait à la fois trois choses.
Des personnes, des choses possédées et des relations entre ces personnes et ces choses
possédées. En ce sens, la justice ne qualifie l’état des personnes dans une distribution –
comme vertu ou qualité de l’âme – qu’en déterminant en même temps l’état d’une opération
de distribution entre ce qu’on appelle des propriétés, des richesses ou des biens et services.
C’est ce double caractère qui distingue la justice de toute autre vertu en en faisant une sorte de
vertu sociale ou de bien commun – un état de bonheur pour chacun inscrit dans la durée de sa
vie comme une totalité indivisible et toujours actuelle, d’une part, et, d’autre part, un état
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collectif qui s’exprime comme une grandeur objective valable pour plusieurs personnes dans
le même moment du temps. Elle n’est pas une grandeur parce qu’elle une vertu, un bien ou un
bonheur. Elle est une grandeur, d’abord, parce qu’elle se rapporte à des choses qui
s’apprécient elles-mêmes en quantités physiques ou naturelles et en utilité sociale ou
culturelle ; ensuite, parce qu’elle est, comme rapport entre ces grandeurs, une grandeur ellemême – avec sa mesure propre qui se forme et ne vaut que pour le temps de la distribution et
entre les personnes concernées. Lorsqu’il s’agit d’un partage, il y a justice ou injustice s’il y a
égalité ou inégalité « proportionnelle » entre les quantités physiques distribuées et les qualités
ou « mérites » des personnes concernées (Aristote, Ethique à Nicomaque, V, 1131 a 25).
Lorsqu’il y a échange, il y a justice ou injustice s’il y a égalité ou inégalité « arithmétique »
entre les quantités physiques échangées mutuellement et l’utilité que chacun en tire (id. 1132
a 1132 b 15). La justice est toujours un bien commun parce qu’on est jamais juste tout seul.
Elle entraîne du bonheur, qui reste toujours un bonheur singulier, parce que le bonheur ou le
malheur s’éprouve toujours en définitive au singulier. Mais elle a son espace propre
d’appréciation, de calcul et de détermination - une détermination qui ne se forme pas audessus des personnes mais relève de leur discussion et de leur accord. C’est cet accord dans
un partage qui établit l’égalité proportionnelle entre les parts distribuées. C’est encore cet
accord dans un échange qui constitue l’égalité arithmétique des parties prenantes et se traduit
dans le prix juste. Le prix dans un échange est le chiffre de la justice.
1.3 On voit bien, à la suite de ces deux premières remarques, la différence avec la
science économique et son socle utilitariste. Dans la science économique, chaque agent est
isolé de tout autre ; tous abandonnent les passions mutuelles qui les lient naturellement les uns
aux autres et les entrainent dans un débat deux à deux sur la justice ; il n’y a plus que l’intérêt
de chacun ou le désir individuel de s’enrichir pour augmenter son bien-être. Le partage et
l’échange ne donnent plus lieu à discussion. Le partage n’est plus qu’une allocation
primitive ou une redistribution collective sous la règle d’une institution sociale ou politique ;
l’échange n’est plus qu’une opération à nombre indéfini d’agents dont le processus se passe
par-dessus la tête ou la volonté de chacun à la manière d’une mécanique sociale. Or on sait
que toute analyse du fonctionnement d’une mécanique relève naturellement d’une physique
mathématique pour laquelle les mouvements se traduisent par des grandeurs déterminées les
unes par rapport aux autres. La science de l’échange n’est donc plus une éthique de la justice ;
elle devient une science positive pour laquelle le terme final de l’échange s’établit au point
d’équilibre où les trois grandeurs engagées dans l’échange atteignent leur valeur optimum.
Dans cette conception mécanique ou positive de l’échange, les trois grandeurs sont les
suivantes – la grandeur utilité ou valeur d’usage, la grandeur physique des biens et services et
une troisième grandeur inconnue de la tradition aristotélicienne : la grandeur sociale du prix
réel ou « la valeur d’échange ». Quand chaque agent obtient la plus grande utilité possible de
chaque bien et service échangé - ou le plus grand bien-être total - les valeurs optima des
grandeurs physiques désignent à leur tour une valeur sociale ou un prix d’équilibre. Ce prix
d’équilibre est donc inversement la condition du bien-être maximum.
La question de la justice n’est posée qu’après coup, sans qu’on sache d’ailleurs qui la
pose ou au nom de qui l’économiste la pose - pourquoi et comment la rattacher précisément
au désir et au choix individuel de bien-être. Elle ne relève que de critères extérieurs aux
impératifs premiers de l’échange. Il n’y a plus de justice dans l’échange ou de justice
commutative comme telle, puisqu’il n’y a plus matière à débat entre agents soucieux de
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devenir justes ensemble. Comme le disent Turgot ou Montesquieu, il suffit que « la
concurrence fasse le prix juste ».
Dans la tradition aristotélicienne, au contraire, il n’y a pas économie puis justice, mais
économie comme justice. La justice mesure le partage et l’échange pour ceux qui agissent et il
n’y a pas d’autres mesures pour eux en dehors de la justice. On discute en termes de justice et,
dans l’échange, par commodité en termes de prix monétaires plus ou moins justes - la
monnaie n’étant alors qu’une expression conventionnelle de cette mesure. La justice est la
véritable grandeur de l’échange. C’est cette grandeur que la science économique orthodoxe
écarte en posant à sa place la grandeur sociale du prix réel ou de la valeur d’échange.
1.4 Pour résumer dans une dernière remarque et pour faire aussi transition – ou en
dépassant déjà la seule modalité du possible et en abordant la question de la réalité - on peut
dire ceci. Il y a deux manières d’échapper à l’invention du prix réel ou de contourner le
régime illusoire de la valeur d’échange – dont la science économique se fait un titre de gloire :
ou par l’affirmation néo-mercantiliste et institutionnaliste de l’exclusivité du prix monétaire
ou par le retour à la tradition aristotélicienne du prix juste. Dans les deux cas, on récuse le
modèle physico-mathématique d’une science de l’échange en récusant l’idée d’une réduction
possible du prix monétaire à une grandeur dont la substance ressemblerait à la grandeur
physique d’une masse ou d’une longueur. Mais dans le premier cas, on s’en tient au minimum
nominaliste d’une économie monétaire pour laquelle le langage de la monnaie vaut comme
institution d’une mesure et de sa règle. Dans le second cas, on fait le choix d’un réalisme
éthique pour lequel la monnaie n’est pas une mesure véritable mais seulement une manière
conventionnelle de se communiquer les uns aux autres la mesure véritable de la grandeur
réelle de la justice en tout échange. De l’un à l’autre, du nominalisme monétaire au réalisme
éthique, ce qui change, ce n’est pas seulement la perspective sur l’échange – pas de grandeur
réelle pour le nominalisme monétaire, une grandeur réelle pour le réalisme éthique - c’est la
définition de l’agent.
L’agent de l’institutionnalisme monétaire reste l’agent isolé et ramassé sur son seul
intérêt - l’agent même que la science économique des temps modernes a recueilli de Hobbes
et de Hume. Cet agent est sans langage ou sans parole. Il n’y a langage qu’à l’étage des
institutions et de l’économiste. Ce qui veut dire que dans l’échange, seul l’économiste use des
noms et parle en prix par-dessus les agents. L’agent de l’économie de la justice de tradition
aristotélicienne est au contraire un sujet moral dont les passions relatives à la propriété
l’entraînent en chaque échange dans le heurt et le débat avec un partenaire privilégié.
L’institutionnalisme monétaire conserve l’illusion du « marché foule » avec agents multiples,
dispersés et muets qui sied à l’approche physico-mathématique de la science économique
orthodoxe. La science économique de la justice s’en tient à la réalité du « marché rencontre »
dans lequel chacun parle en prix et discute du niveau qui lui convient en face à face avec
autrui. Pour elle, quelque soit le nombre de concurrents possibles de chaque côté de
l’échange, la transaction est toujours en définitive un lieu de parole à deux et la concurrence,
rien d’autre que des arguments dans leur discussion.
2. Comment corrige-t-on alors dans le cours d’une rencontre et d’une discussion à
deux le malheur de l’injustice subie ou de l’injustice commise ? Comment, plus largement,
passe-t-on d’un état de partage ou d’échange vécu comme un malheur à un état meilleur ?
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L’acteur a-t-il la maîtrise de ses passions et de ses sentiments ? La raison gouverne-t-elle les
passions ? Comment concevoir plus largement encore une éducation morale ? C’est ici le
deuxième moment dans le traitement du thème. On passe de la définition des notions de
justice et d’injustice à la question de savoir comment l’agent économique peut se transformer
et devenir meilleur ou plus juste. Ici se pose la question de savoir ce qui se passe dans la
réalité.
La thèse qu’on veut défendre est la suivante : il y a plus d’injustices dans le monde
que nous n’en pourrons jamais réparer ou plus de malheur dans l’injustice subie ou dans
l’injustice commise que n’en pourront jamais surmonter la volonté et la correction des
passions. Sous cette perspective d’un excès du mal sur le désir de justice, le problème de la
réparation de l’injustice dans les actes de distribution ne nous fait pas seulement courir dans
l’histoire après un idéal inaccessible. Il nous fait aussi monter dans la sphère des dieux en
élevant la science de l’échange et l’éthique de la justice au-delà de la justice des hommes. On
peut dire alors que l’excès de l’injustice sur la justice traduit une notion de justice à la fois
indivisible et duelle, en définitive énigmatique : à la fois justice rétributive lorsqu’il s’agit de
nos biens, de nos avoirs ou de nos propriétés – répondant à la question « pourquoi ai-je moins
qu’un autre ou ai-je bien ce qui m’est dû » - et justice comme destin ou fortune – répondant à
la question « pourquoi suis-je ce que je suis, pourquoi suis-je frappé par le sort ou pourquoi
suis-je né pour souffrir ». On verra que c’est la présence des pauvres qui porte ces deux
aspects de la justice.
2.1 Il faut d’abord préciser ce dont il est question lorsqu’on parle de passions. Il y a
deux grandes directions.
Selon la première direction, la vie affective, les passions et leurs vertus, les bons et les
mauvais sentiments sont des qualités quasi-physiques assurant l’adaptation des êtres humains
aux choses et au monde social – orientation de type Hume ou A. Smith. Alors toute la vie
affective se ramène au désir de vivre ou à l’effort d’un vivant pour conserver sa vie et tous les
affects d’un agent peuvent s’observer de l’extérieur comme autant de variations sur le thème
de l’intérêt vital. L’intérêt économique comme désir de posséder au moindre coût – produire,
distribuer et consommer - n’est à son tour qu’une expression de cet intérêt vital. Il n’y a pas
de sujet moral distinct de l’acteur social. L’agent parle des modifications de son intérêt en
termes de causalité ou dans le langage en troisième personne qui est le langage de toute
institution et de tout spectateur dans une institution. C’est la direction suivie par l’ouvrage
connu d’A. Hirschman et c’est l’orientation générale du pragmatisme philosophique. La
justice n’est alors qu’un ajustement d’intérêt et son expression est une règle dont chacun
apprend qu’il est de son intérêt vital de la suivre.
Selon la seconde direction, les affects ou tout ce qui concerne la vie des sentiments
échappent par leur nature même à l’observation et l’explication de la vue théorique, de
l’entendement extérieur ou du langage en troisième personne. Ils ne sont saisis et compris
qu’à même l’action, la vie et le sentiment lui-même, selon une intelligence pratique ou un
langage en première personne – le « je » ou le « nous ». Qui pourrait savoir ce que veulent
dire l’envie, la peur de l’autre, la haine, la tristesse, la souffrance et toutes les joies de l’amour
de soi dans l’attachement à une propriété sinon le sujet qui en éprouve les excès ou les
apaisements, comme autant de voies vers le malheur ou le bonheur ? Et qui pourrait
comprendre, plus précisément, comment le malheur s’attache à l’injustice subie ou l’injustice
commise si ce n’est d’abord celui ou ceux que le désir d’être heureux entraîne à vouloir
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surmonter en leur propre cœur les excès des passions relatives aux richesses et aux
possessions ? La vie des sentiments n’est pas une vie parmi d’autres vies plus ou moins
anonymes, mais elle est d’abord ma vie ou une vie en communion avec quelques autres. Une
vertu n’est pas une qualité sociale. C’est pour soi-même et c’est en soi-même – de manière
singulière ou dans la communion - que le désir de bonheur et la volonté de se rendre meilleur
prennent un sens ou leur vérité. La justice n’est pas un ajustement d’intérêt, elle est d’abord ce
qui fait qu’il y a du mien et du tien. C’est la direction suivie par Pascal ou Kant. Le cœur a ses
raisons que la raison ne peut comprendre ; la volonté de bien faire est à elle-même sa propre
raison ; la raison pratique est aveugle au regard de la raison théorique ; agir n’est pas voir ; la
loi morale nous coupe de toute vue.
On peut encore traduire la même idée dans les termes plus anciens d’Aristote : le désir
du bien dans l’action – ou la praxis – est plus profond que toute pensée qui nous attache au
monde. Cette pensée du monde, Aristote l’appelle intelligence poïétique. Par opposition à
cette intelligence poïétique, technique ou pragmatique, la pensée dans l’action ou
l’intelligence pratique ou éthique trouve sa source ou son inspiration au-dessus du monde.
Pourquoi se trouve-t-il en nous un désir du bien ou du meilleur en toutes nos actions, plus
profond que tout ce qui constitue notre penchant au mal et notre goût pour le malheur ? Et
pourquoi à propos des passions provoquées par la distribution des biens voulons-nous
toujours en définitive, malgré tous nos consentements à nos propres excès, aller vers la justice
comme sous la nécessité impérative d’une loi d’un bonheur qui nous dépasse ? Le langage en
première personne s’interdit de répondre en termes d’habitude, d’imitation et d’adaptation aux
contraintes de la vie sociale ou de l’espèce. Ce qui gouverne nos passions, ce n’est assurément
pas la rationalité ou la raison théorique, c’est la passion elle-même ; mais non comme passion
sociale ou sympathie à la manière de l’évolutionnisme issu de Hume, ni comme désir ou
respect des règles générales, comme le prétend un kantisme étriqué, mais comme désir d’une
justice tenue comme bien commun et dont la source se trouve au-delà de ce peut en dire la
pensée du monde. Comme le dit Aristote, notre désir est sous la garde de la bienveillance des
dieux et « nous dressons sur la place publique un temple des Charités. » (Ethique à
Nicomaque, livre V, 1133a) Pascal et Kant ne diraient pas autre chose.
C’est cette seconde direction qu’on veut suivre ici. A la suite de R. Spaemann, P.
Ricœur ou Michel Henry, on peut parler aussi d’ontologie radicale de la praxis. « Dans une
ontologie radicale de la praxis, dit Michel Henry, la théorie revêt en fin de compte la seule
forme de la prescription » – une proposition qui ne dit plus « cela est », mais « il faut, agis ».
Le problème de la correction de l’injustice n’a son sens que dans l’action de chaque acteur qui
place sa volonté et ses passions sous impératif éthique. C’est donc aussi pour la raison
pratique et son impératif absolu que vaut l’expérience d’un excès du mal ou d’une volonté
impuissante à réaliser pleinement son désir de justice. Dans les termes utilisés par Kant dans
« La Religion dans les limites de la simple raison » on parlera d’un penchant au mal que la
disposition plus profonde au bien ne peut jamais extirper – empêchant par là même l’histoire
de s’arrêter ou le monde de se clore sur lui-même.
2.2 De quelle manière s’exerce donc le désir de justice ou la volonté de bien faire ?
Pour répondre, il faut revenir un moment sur la notion de justice, présenter ses diverses
acceptions et en venir à la question de son unité profonde et de sa dualité. L’idée est la
suivante : pour la raison, il y a différentes sortes de justice, mais pour celui dont le désir de
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justice est blessé par le malheur d’une injustice subie ou commise, il n’y a jamais qu’une
seule et même justice - attendue toutefois sous deux formes profondément différentes.
Rappelons d’abord ce qui vaut sans doute pour toute philosophie de la justice : la
notion de justice compte quatre acceptions - formant chacune un étage séparé des autres. Il y a
d’abord l’étage de la justice dite particulière, correspondant aux formes de distribution des
richesses par l’échange ou le partage. Un acte est alors injuste lorsqu’il ne répond pas à
l’exigence d’égalité entre les partenaires de la distribution. Il n’y a ici, à ce seul niveau, ni loi,
ni juge, ni arbitre, ni principe. Rien ne s’interpose entre les acteurs sinon précisément la
justice comme exigence. Il y a ensuite, au-dessus de ce premier étage de la justice particulière,
l’étage de la justice dite générale correspondant à l’appareil législatif et son fonctionnement
sur la base d’un Droit établi. Un acte est dit injuste et son auteur est sanctionné d’une peine
définie dans un code lorsqu’il viole une loi établie. La justice est alors identique à la légalité
et l’injustice à l’illégalité. Il y a en troisième lieu l’étage de la justice dite naturelle – du juste
par nature ou du Droit naturel – correspondant aux principes fondamentaux constituant une
société. Ce qui est alors jugé, ce n’est plus l’acte d’une partie prenante dans une distribution –
premier étage - ou l’acte d’un homme relevant d’un Droit établi – deuxième étage - mais c’est
une loi particulière ou une partie du Droit lui-même, en référence à un Droit supérieur ou un
juste par nature. Il y a enfin - ou il peut y avoir - au-dessus de ces trois formes de justice
accessibles aux hommes une justice divine ou une justice des dieux plus ou moins
inaccessible et mystérieuse. La question porte alors sur la justice même des principes
fondamentaux à la base de ce qui est tenu pour le juste par nature ou le Droit naturel. Elle
prend la forme suivante : la volonté des dieux n’est-elle pas au-dessus de ce que les hommes
considèrent comme la raison commune ?
Pour Aristote, Pascal ou Kant, c’est assurément cette raison commune qui établit ces
quatre distinctions : la raison est juste lorsqu’elle distingue et juge chaque acte selon son
ordre, sa loi propre et sa sphère en refusant de confondre la justice comme mesure dans les
opérations de distribution, la justice comme institution ou appareil de justice, le juste par
nature et ce qui relève du divin au-delà d’elle-même. C’est elle - cette raison commune - qui
sépare en ce sens la justice, comme exigence d’égalité pour tous, de l’ordre légal d’une
communauté ; la légalité des actes et la légitimité des lois ; l’usage du Droit et l’usage de la
jurisprudence ; ou encore l’équité qui tient compte des circonstances ou des personnes et
l’impartialité qui refuse de faire acception de personne. Toute confusion, tout chevauchement
ou empiètement et toute superposition d’une mesure ou d’une sphère sur une autre est source
d’incohérence et de désordre vécu - immédiatement ou non, par quelques uns ou par beaucoup
- comme un malheur.
Mais à ce point la question se repose : comment se corrigent les défauts de cette raison
injuste lorsqu’ils se produisent ? Que pourrait vouloir dire en la matière une correction de la
raison par un supplément de rationalité ou l’approfondissement du jugement ? Ne faut-il pas
supposer qu’à chaque étage l’agent économique, le juge, le législateur, le constitutionnaliste
ou le philosophe doit être déjà juste pour que sa raison et son jugement le soient à son tour ?
Et comment seront-ils devenus justes en leur cœur et leur volonté s’ils n’ont pas éprouvé
comme un malheur personnel le fait de ne pas l’être ? On en revient au problème précédent.
Sans la dimension subjective de la vertu et de la raison pratique, la raison à l’œuvre dans la
mise en ordre et l’étagement de la justice n’est qu’une raison du monde – une intelligence
poïétique dont la justice n’est qu’une justesse ou une convenance à l’ordre nécessaire. Juste,
la raison peut l’être alors comme on dit du tireur qu’il vise juste ou droit lorsqu’il atteint sa
cible. Mais cette raison ne dit rien du « cœur » (Pascal) ou de la « volonté » (Kant).
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Le pragmatisme philosophique ne va plus loin que la raison du monde. Cette raison
peut connaître l’égalité dans l’échange et le partage, déterminer les écarts par rapport aux lois
établies, juger de la valeur des lois en fonction des principes fondamentaux de la nature
humaine et s’exercer en somme selon les deux formes du jugement déterminant et du
jugement réfléchissant indiquées par Kant – mais elle ne sait rien en tout cela de la justice
véritable. Elle connait la justice comme grandeur et comme ordre de ces grandeurs. Elle
produit la distinction des acceptions, l’étagement des formes et toutes les modalités de leur
mise en œuvre. Mais elle ignore l’unité profonde de cet ensemble ou ne comprend pas en quoi
il est à chaque fois question de justice, parce qu’elle n’a pas accès de l’intérieur et en première
personne au désir de justice et à son malheur d’être dans l’injustice. C’est la marque de tous
les pragmatismes philosophiques de refuser la différence de Kant entre la raison pratique et
les jugements de la raison théorique, d’ignorer la différence d’Aristote entre praxis et poiésis
ou plus simplement de négliger ce qu’il en est du langage intérieur du sujet moral en première
personne. Or de l’intérieur ou pour un sujet moral tout commence au premier étage avec la
propriété ou ce qui lui est propre. C’est le malheur d’une injustice subie ou d’une injustice
commise dans une distribution de biens propres qui donne l’élan commun et leur unité
profonde à toutes les acceptions de la notion. Mais c’est aussi dans l’expérience de cette
justice indivisible que se découvre une disproportion intérieure entre la justice de la propriété
ou de l’avoir et la justice comme destin.
On le vérifie en partant du plus loin ou du plus injuste – c’est-à-dire en partant du
pauvre - défini comme celui qui n’ayant rien en propre ou aucune propriété n’a pas
d’attachement au monde et dont la présence cependant jouxte le possédant, le riche ou tout
agent économique. Le pauvre, en ce sens, est celui qui demande la justice d’une restauration
complète de sa condition.
Pour lui, la justice est d’abord une et indivisible en dépit de toutes les distinctions et de
tous les étagements que la raison lui oppose. On peut dire en cela : le problème de la justice,
c’est le problème de la propriété et le problème de la propriété, c’est le problème du pauvre.
Sa plainte ou son cri – « la propriété, c’est le vol » - monte d’étage en étage jusqu’au ciel,
mettant successivement en accusation les agents économiques du premier étage avec lesquels
il ne peut ni échanger, ni partager ; le Droit et l’appareil de justice du second étage qui le
tiennent « hors la loi » ou sans identité sociale ; la raison commune ou la nature qui font de lui
un être apparemment sans humanité parce que sans attachement ou sans lieu ni feu dans le
monde. Le pauvre, c’est ainsi celui dont l’interpellation empêche les riches de se satisfaire
pleinement d’une égalité respectée dans la distribution, d’une légalité au regard du Droit,
d’une conformité à la nature et finalement de la raison commune à la base de la justice des
hommes. Son cri oblige les riches à se tourner à leur tour vers le ciel. Car de là seulement leur
semblera pouvoir venir la justification profonde de leur propriété, le droit d’être attaché au
monde par leurs richesses ou le bonheur légitime de jouir de leurs biens – tout ce que pour le
temps présent paraît leur contester l’accusation du pauvre. On comprend dans ces conditions
que les riches par ailleurs veuillent faire cesser ce cri et cette dépendance par rapport au ciel
en mettant tout leur espoir dans une science qui leur promet l’éradication prochaine de la
pauvreté.
Sans doute, les pauvres eux aussi et plus encore que les riches demandent à la justice
des hommes un secours et à la science économique la disparition de leur état sous l’effet d’un
enrichissement général. Mais en attendant, pour eux, dans le temps présent, se pose la
question suivante : qui sont-ils chacun, pourquoi l’infortune du sort ou un mauvais destin les
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a-t-il privés un jour de tout bien ou les a-t-il fait naître dans leur état ? La plainte du pauvre
n’est pas seulement le cri de Proudhon « la propriété, c’est le vol. C’est aussi le cri de Job :
« pourquoi suis-je né » ou le cri de Caïn vers Dieu : « pourquoi m’as-tu préféré Abel et placé
sous ta réprobation ? ». L’excès du malheur sur le désir de justice n’est donc pas seulement
sous cette perspective une manière de dire que les pauvres empêchent les riches d’atteindre
par leurs vertus et la correction de leurs passions ce qu’Aristote appelle « l’excellence de la
propriété ». C’est aussi une manière d’ouvrir tous les agents économiques vers une autre
dimension de la justice – celle qui doit répondre à la question de la contingence de leur être
singulier. En toute économie – au niveau le plus bas de la justice de la propriété – se pose la
question : non pas seulement suis-je vraiment assez justifié par ma vertu et mon bon droit
pour être absolument justifié d’être riche face aux pauvres, mais pourquoi moi suis-je ce que
je suis - susceptible d’atteindre vertu, droit et excellence de la propriété – justice de la
propriété – quand d’autres en sont encore privés ? Max Weber réservait aux entrepreneurs
capitalistes des sociétés calvinistes l’inquiétude associée à la question de la justice divine ou
du choix divin en matière d’élection ou de réprobation. On peut sans doute transposer cette
inquiétude sur tous les acteurs de toute économie : tant qu’il y aura des pauvres, le malheur de
l’injustice mettra dans un état de confusion notre notion même de justice.
Deux citations et un court commentaire pour conclure.
Première citation : Leibniz et le principe de la multiplication. « Le juste aimant tout le
monde essaie d’aider tout le monde même lorsqu’il ne le peut pas aussi nécessairement que la
pierre descend même lorsqu’elle est suspendue…S’il y a conflit dans l’aide à donner à
plusieurs individus, il faut préférer celui dont à la fin il résulte un plus grand bien ; de là, en
cas de conflit, toutes choses étant égales, il faut préférer le meilleur, c’est-à-dire celui qui
aime plus le public. En effet, tout ce qui est accordé sera multiplié par la réflexion vers
beaucoup d’autres et en conséquence en l’aidant on en aidera plusieurs… Ainsi, aider ne
procède pas de la raison de l’addition mais de la multiplication… La raison en est que celui
qui est aidé est un esprit ; or un esprit peut appliquer toute chose à toute autre chose en
l’utilisant, ce qui est en soi-même l’augmenter ou la multiplier…Dans l’assistance, il faut
toujours préférer celui qui à pauvreté égale est plus sage et, s’il apparaît égal à l’autre sur ce
point, celui qui est plus chanceux, c’est-à-dire favorisé par Dieu. Car naître capable de sagesse
relève aussi de la fortune c’est-à-dire est un don de Dieu. » Leibniz, Le Droit de la Raison,
Paris, Vrin, 1994, Textes réunis par R. Sève – p 206
Seconde citation : Genèse 4/ 2-12. « Abel faisait paître les moutons, Caïn cultivait le
sol. A la fin, Caïn apporta à Yhwh une offrande de fruits de la terre ; Abel apporta lui aussi
des prémices de ses bêtes et leur graisse. Yhwh tourna son regard vers Abel et son offrande,
mais il détourna son regard de Caïn et de son offrande. Caïn en fut très irrité et son visage fut
abattu. Yhwh dit à Caïn : « pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu agis bien, ne le relèverastu pas ? Si tu n’agis pas bien, le péché, tapi à ta porte, te désire. Mais toi, domine-le. » Caïn
parla à son frère Abel et, lorsqu’ils furent aux champs, Caïn attaqua son frère Abel et le tua.
Yhwh dit à Caïn : « Où est ton frère Abel ? » - « Je ne sais pas, répondit-il. Suis-je le gardien
de mon frère ? » - « Qu’as-tu fait ? reprit-il. La voix du sang de ton frère crie du sol vers moi.
Tu es maintenant maudit du sol qui a ouvert la bouche pour recueillir de ta main le sang de
ton frère. Quand tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa force. Tu seras errant et vagabond
sur la terre. »
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Avec le premier texte, nous sommes dans la lumière de la philosophie grecque et de
l’éthique aristotélicienne des vertus : des biens possédés comme richesses par un esprit sont
plus que des grandeurs qui s’additionnent comme on le voit dans l’utilitarisme ; ce sont aussi
des biens qui, lorsqu’ils sont vertueusement possédés et constituent l’excellence d’une
propriété, deviennent des biens intérieurs et font passer au principe de la multiplication. Il y a
donc, selon Leibniz, une continuité entre le sens courant et étroit de l’action juste – qui ne nuit
pas à autrui – et le sens propre et élargi de l’homme juste – qui procure du bien à autrui. C’est
dire aussi que la justice fait d’un homme un esprit bienveillant ou un homme de bien qui
trouve du plaisir dans le bien – ce qui est aussi pour Leibniz la définition de l’amour. Celui-ci
peut alors dire « La justice est une charité conforme à la sagesse. » Mais cette justice sous le
principe de la multiplication et sous la bienveillance de Dieu reste une justice des hommes –
une justice rétributive dont la base est une justice de la propriété – Son image est la balance et
son modèle la musique. A la base de mon étude se trouve l’idée selon laquelle ce n’est pas
seulement cette justice de la raison et de l’ordre que demandent les pauvres.
Avec le second texte, nous sommes dans l’horizon plus sombre de la spiritualité juive.
Caïn a par sa mère dans son nom même – qanah - la notion de propriété : il est le premier
propriétaire ou le premier agent économique de l’histoire. Il est aussi sans lieu de vie, errant,
livré à la peine de son travail sur un sol aride. Il est encore, comme le texte l’indique plus loin,
le bâtisseur et le créateur des villes. Mais avec tout cela, il est aussi le meurtrier de son frère
Abel. « Abel » veut dire : vanité, petit souffle, buée. Au regard d’Abel, son frère ainé est le
riche sédentaire et lui le pauvre berger. Pour le lecteur des premiers versets, il est vrai qu’Abel
dont le sang crie du sol vers Dieu semble seul dans la position du pauvre. Mais pour le
narrateur du récit dans sa totalité, Caïn est aussi celui qui crie vers Dieu comme un damné de
la terre. Dans cette histoire, qui donc est vraiment le pauvre et qui, d’ailleurs, est injuste le
premier ? Tout le mal commis par Caïn n’est-il pas l’effet du choix de Dieu ? Et le choix de
Dieu qui se détourne de lui et porte son regard sur Abel n’est-il pas hors du principe d’égalité
dans la rétribution ? Selon cette tradition juive, l’économie est ainsi placée d’emblée sous
l’énigme de la bénédiction et de la malédiction, l’agent économique ou le propriétaire porte en
lui des formes de la pauvreté et la justice des hommes se défait dans le mystère d’une autre
justice où le bien et le mal sont tous deux inaccessibles à la raison. C’est à cette justice que la
pauvreté du riche dont la propriété lui échappe dans l’errance et la pauvreté du pauvre dont le
sang couvre la terre font appel.
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