Invariants de l`interaction dans les économies monétaires complexes

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Proposition de thèse en informatique
Mai 2015
Invariants de l’interaction
dans les économies monétaires complexes
Objectifs : modélisation par typage fort des invariants de l’interaction à l’aide de
monades ; analyse en théorie de la démonstration et sémantique des langages de programmation des structures algébriques de l’interaction en économie monétaire.
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Contexte
Pour réussir la modélisation et l’analyse d’économies monétaires complexes, les sciences
économiques ont eu besoin d’un renouveau des modèles et des méthodes (Farmer et Foley
2009, [1]), en particulier pour capturer les dynamiques des crises majeures, comme celle
de 2008 (Trichet 2010, [2]). Ces dernières années, une approche de la macro-économie
basée sur la simulation informatique d’interactions micro-économiques, sans a priori sur
les équilibres macro-économiques qui seront atteints, commence à s’imposer jusque dans
les banques centrales. En utilisant des simulations basées agents, il est ainsi possible
d’exprimer et de tester des dynamiques économiques réalistes y compris hors équilibre.
Pour modéliser une économie monétaire complexe dans son ensemble, il convient
d’y intégrer les mécanismes de création monétaire, être capable d’y rendre compte de
l’endettement privé, etc. Bref, il faut que la monnaie soit endogène, c’est à dire créé
par les banques commerciales en réponse aux demandes des agents privés (ménages,
entreprises). Et pour qu’un modèle avec monnaie endogène forme un tout cohérent il
faut qu’il obéisse à la contrainte des stocks et des flux (Godley et Lavoie 2007, [3]). Cette
contrainte de cohérence stipule essentiellement que chaque flux monétaire doit trouver
sa contrepartie exacte en variation de stock de monnaie et d’écritures dans les livres de
compte et ceci à chaque extrémité du flux. Ainsi, aucune partie de l’économie monétaire
complexe n’échappe au modèle.
Le lipn (laboratoire d’informatique de Paris Nord) et le cepn (centre d’économie de
l’université Paris Nord) ont initié une collaboration sur plusieurs projets visant notamment à améliorer et exploiter de telles simulations micro-fondées de la macro-économie.
Ce sujet de thèse s’inscrit pleinement dans cette collaboration naissante en faisant
une large part à un travail d’informatique fondamentale, en amont, tout en conservant
le lien avec l’expérimentation par la simulation en modélisation économique.
Dans un travail préliminaire à la thèse (stage de master), nous avons proposé
d’améliorer le cadre de programmation des simulations monétaires micro-fondées en
transposant la contrainte de cohérence des stocks et des flux dans le système de type
du langage de programmation à l’aide d’une monade, une construction mathématique
issue de la théorie des catégories. Ceci a donné lieu à un article dont la communication
vient d’être acceptée à la conférence Artificial Economics 2015 [4] et à une implémentation qui consiste en une réécriture minimale du code de Jamel, un simulateur développé
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au cepn (Seppecher 2014, [5]), dans lequel le modélisateur peut dès à présent exploiter
la monade. La monade est implémentée dans le langage de programmation Scala, pour
assurer la compatibilité avec les simulateurs existants qui sont écrits en Java.
Intégrer la contrainte des stocks et des flux à l’environnement de programmation
pour en faire une contrainte vérifiable statiquement, c’est à dire sans avoir à exécuter la
simulation, permet de se prémunir contre des erreurs de programmation en garantissant
la préservation de l’invariant.
C’est surtout une façon de donner un cadre mathématique à un invariant particulier
de l’économie, car la solution que nous avons adoptée pour cela repose sur la notion
de monade qui est empruntée à la théorie des catégories, une théorie mathématique qui
abstrait la notion de composition de fonctions et s’intéresse aux propriétés de préservation
de structures. La théorie des catégories est d’un grand intérêt en informatique théorique,
en logique mathématique voire en physique (Baez et Stay 2011 [6]) et elle s’applique
bien aux langages de programmation (Pierce 1991, [7]). L’usage de monades voire de
comonades (une notion duale) est devenue standard dans des langages comme Haskell et
elle se répand dans les autres langages fonctionnels.
Il serait certainement possible de fournir un cadre assurant la cohérence des stocks
et des flux en utilisant d’autres méthodes de programmation, comme l’encapsulation de
données en programmation objet. Mais, outre son plus grand intérêt mathématique, une
solution fondée sur une monade offre quelques avantages pratiques immédiats essentiellement liés à la parfaite compatibilité avec la composition de fonctions et à la possibilité
de composer la monade elle-même avec d’autres monades. C’est un moyen robuste de
traduire l’invariant dans le système de type du langage de programmation.
En élargissant le point de vue, un type est un invariant sémantique du calcul. Porter
l’étude du modèle dynamique de l’économie au niveau du système de type c’est à la fois
identifier de nouveaux invariants potentiellement d’intérêt pour la science économique et
permettre d’exprimer la dynamique dans les cadres sémantiques mis en place en théorie
de la démonstration ou en calcul de processus. Parmi ces cadres sémantiques on peut
citer la sémantique des jeux ou la ludique de Girard, où la notion de comportement
généralise celle de type en prenant en compte l’interaction. Les calculs de processus
typés tel que le π-calcul [8] offrent un autre cadre de modélisation de la dynamique.
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Sujet
Cette thèse a pour objectif de donner une sémantique mathématique aux objets calculatoires de ces modélisations de l’économie, en partant des invariants du modèle et en
particulier des invariants du système monétaire tel que la cohérence des stocks et des flux.
La notion d’interaction, entre entités micro-économiques ou entre agents de la simulation,
devrait y occuper une place centrale et sa modélisation précise dans les cadres théoriques
développés en théorie de la démonstration, notamment dans l’équipe lcr (logique, calcul,
raisonnement) du lipn, est un des attendus de la thèse. Il s’agit notamment de permettre
de raisonner mathématiquement sur les propriétés des économies monétaires. Il faudra
en particulier trouver les bonnes notions d’observables pour construire une équivalence
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comportementale sur les entités du modèle.
Pour l’informatique, cette thèse devrait montrer l’intérêt d’utiliser les types comme
support de la modélisation plutôt que de les cantonner à un moyen de contrôle de la
bonne exécution des programmes, en particulier grâce à l’utilisation des monades. Un
objectif plus ambitieux serait d’appliquer à notre cadre les systèmes de types manipulant
un invariant pour en déduire automatiquement des théorèmes, à la façon de Atkey (2014,
[9]). Cette thèse devrait aussi développer la modélisation des interactions et des comportements dans un cadre fortement typé. Ce développement se fera sur le cas concret
des économies monétaires complexes qui devrait être assez général pour permettre d’en
généraliser les techniques par la suite. On pourra pour cela faire un parallèle entre les
relations de dualités existantes en économie (crédit/débit,. . . ) et les dualités connues
en informatique dans le cadre de l’exécution des programmes. Des collaborations sont
envisageables pour ce qui concerne l’application des sémantiques des jeux à notre cadre,
par exemple avec Luke Ong de l’université d’Oxford ou Guy McCusker de l’université de
Bath.
Pour l’économie, cette thèse devrait apporter de nouveaux outils et de nouvelles
techniques aux modèles basés agents. Cette thèse sera aussi l’occasion de développer des
ontologies décrivant formellement les entités économiques et de structurer les données
de simulation de façon à les préparer pour les requêtes ultérieures. Au delà de faciliter
l’exploitation des données par les économistes, l’objectif est d’être capables d’identifier les
entités invariantes de la modélisation et donc leurs types. On s’intéressera en particulier
aux invariants qui peuvent avoir du sens pour les économistes. Il s’agira donc de travailler
en lien avec le laboratoire d’économie et d’utiliser les outils mis en place pour répondre à
des besoins de modélisation précis. Le groupe de recherche réuni par Dany Lang au cepn
ainsi que nombre de ses collaborateurs et visiteurs internationaux offrent d’excellentes
opportunités de collaboration sur ce sujet. Nous pensons en particulier à Stephen Kinsella
(université de Limerick, Irelande) et Steve Keen (université de Kingstone, Australie).
L’essentiel de la première année de la thèse sera consacrée à étudier la bibliographie, à
gagner en compétence en économie et en macroéconomie et à évaluer les différents cadres
de modélisation (sémantique des jeux, ludique, π-calcul,. . . ).
La seconde année de thèse portera sur l’analyse et la simulation d’interactions réelles
en économie et sur l’étude informatique des invariants du modèle.
References
[1] J. D. Farmer and D. Foley. The economy needs agent-based modelling. Nature,
460:685–686, August 2009.
[2] Jean-Claude Trichet. Opening address : reflections on the nature of monetary policy
non-standard measures and finance theory. In European Central Bank, editor, ECB,
volume 18. Frankfurt am Main, 2010.
[3] W. Godley and M. Lavoie. Monetary Economics: An Integrated Approach to Credit,
Money, Income, Production and Wealth. Palgrave Macmillan, 2007.
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Mai 2015
[4] P. Boudes, A. Kaszczyc, and L. Pellissier. Monetary economics simulation: Stock-flow
consistent invariance, monadic style. Technical report, LIPN, May 2015.
[5] Pascal Seppecher. Towards a complex dynamic monetary macroeconomics. Revue de
la régulation, 16, December 2014.
[6] John Baez and Michael Stay. Physics, topology, logic and computation: A rosetta
stone. Lecture Notes in Physics, 813:95–172, 2011.
[7] B.C. Pierce. Basic Category Theory for Computer Scientists. Foundations of computing series: research reports and notes. MIT Press, 1991.
[8] Davide Sangiorgi and David Walker. The Pi-Calculus - a theory of mobile processes.
Cambridge University Press, 2001.
[9] Robert Atkey. From parametricity to conservation laws, via noether’s theorem. In
Suresh Jagannathan and Peter Sewell, editors, The 41st Annual ACM SIGPLANSIGACT Symposium on Principles of Programming Languages, POPL ’14, San
Diego, CA, USA, January 20-21, 2014, pages 491–502. ACM, 2014.
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