Le management interculturel Entreprises et Management Collection dirigée par Ludovic François La collection Entreprises et Management est destinée à accueillir des travaux traitant des questions liées aux sciences de gestion et à l'entreprise. Les ouvrages publiés ont pour la plupart une vocation pratique. Certains d'entre eux sont issus de thèses professionnelles soutenues à HEC. Déjà parus C. LAP ASSOUSE MADRID et M.-C. MONNOYER LONGE, La dimension numérique dans la stratégie commerciale. Brique.com,2005. D. SCHMAUCH, Les conditions du leadership, 2005. B. BARATZ, P.-A. BAUQUIER, J. DE VIDAS, Le business en Irak, 2005. Bruno BARATZ, L'économie mondiale en mouvement, 2005. G. LHOMMEAU, Le droit international à l'épreuve de la puissance américaine, 2005. G. RENARD, Les règles communautaires en matière d'Etat et la fiscalité, 2005 B. GIBERT, A. MARAUT, B. TELLE, Et après le pétrole? Risques et enjeux géopolitico-financiers pour les Emirats Arabes Unis,2005. Alain BOLLE, Le produit de la délinquance de proximité. L'économie souterraine, 2004. Lise MOUTAMALLE, L'intégration du développement durable au management quotidien d'une entreprise, 2004. Charles-Henri LAFONT, Les processus de privatisation en Bulgarie et en Roumanie ( 1989-2002): Une transition confisquée ?, 2004. Sandrine BOUDANA et Julien IVERS, La vente par réunion. Enquête sur les réseaux de la confiance, 2004. Malorie MANI, L'Union Européenne dans la lutte contre le blanchiment, 2003. Désiré Loth Le management interculturel L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polylechnique ; 75005 Paris FRANCE L Hannattan HongIie Konyvesbolt Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest Espace L'Harmattan Kinshasa Fac..des Sc. Sociales, Pol. et Adm. ; BP243, KIN XI Université de Kinshasa - RDC L'Harmattan !talia Via Degli Artist;, 10124 TOI';na ITALIE 15 L'Hannaltan Burkina Faso 1200 logements villa 96 12B2260 Ouagadougou 12 www.librairieharmattan.com harmattanl @wanadoo.fr diffusion. harmattan @wanadoo.fr (Ç)L' Harmattan, 2006 ISBN: 2-296-00402-4 EAN: 9782296004023 Remerciements Je remercie mon épouse Brigitte pour le travail de traitement de texte et la relecture de mon ouvrage. Sommaire Introduction .11 Chapitre 1 Le concept de culture ..17 Chapitre 2 Le modèle de Kluckhohn et Strodtbeck : le concept d'orientation de valeurs 35 Chapitre 3 Culture nationale et pratiques managériales : le modèle d'Hofstede .4 Chapitre 4 L'approche culturaliste interactionniste de E.T. Hall 69 Chapitre 5 La vision ethnographique en management interculturel 79 Chapitre 6 Le management des équipes interculturelles 91 Conclusion .119 Bibliographie .121 Introduction Le management interculturel est apparu comme une nouvelle préoccupation managériale au début des années 90. C'est une discipline de gestion qui a fait, ces dernières années, l'objet d'un véritable engouement, aussi bien dans les milieux d'affaires, que dans la communauté scientifique. Son émergence a coïncidé avec l'accélération, du mouvement d'internationalisation des entreprises et l'augmentation des coopérations, acquisitions et fusions d'entreprises qui posent, avec une intensité croissante, des problèmes que l'on qualifie aujourd'hui «d'interculturels ». En effet, des salariés issus de contextes nationaux différents vont être de plus en plus souvent amenés à travailler ensemble dans des groupes multiculturels. Au-delà du fait que les langues maternelles ne sont pas les mêmes, des différences dans les méthodes de travail, dans les styles de communication, des conceptions différentes du temps ou de l'autorité engendrent des malentendus et il apparaît de plus en plus difficile de faire travailler ensemble des personnes ayant des systèmes de valeurs et des normes de comportement différents. Si les malentendus s'avèrent parfois bénins, ils menacent souvent la performance des entreprises concernées et conduisent dans les cas les plus graves à l'échec complet de projets pourtant prometteurs de synergie (Chevrier 2003, p. 5). La dimension interculturelle est trop souvent sousestimée voire ignorée dans les fusions d'entreprises, alors que les différences culturelles sont source de conflits dans plus de 50 % des coopérations internationales et l'on parle souvent de «choc culturel ». C'est dans cette perspective que s'est développé ce que l'on appelle aujourd'hui le management interculturel. Le management interculturel a donc d'abord pour objectif l'amélioration des interactions interculturelles en milieu de travail. Il s'intéresse à l'influence de la culture sur les perceptions, les interprétations, les actions des acteurs. Le management interculturel constitue un moyen permettant d'une part de prendre conscience de la réalité des différences culturelles renforcées par la mondialisation et d'autre part d'essayer de construire et mettre en œuvre des outils et des démarches aidant les entreprises à gérer ces différences. Il s'agit d'utiliser la diversité culturelle comme une ressource et de trouver les conditions à remplir pour favoriser la synergie. Il s'agit surtout de développer au sein de l'entreprise la compétence interculturelle qui est cette capacité de comprendre des situations interculturelles et de s'y adapter. Elle inclut la connaissance des cultures étrangères, de ses valeurs et des comportements jugés adéquats. Dès lors qu'il s'agit de diriger et de contrôler un personnel étranger, la compétence interculturelle constitue un facteur de réussite. La compréhension des comportements associés à des cultures différentes peut apporter une véritable valeur ajoutée pour l'entreprise. Le management interculturel concerne également l'étude et le management des transferts internationaux d'outils de gestion. En effet, l'internationalisation des marchés porte en ellemême une certaine internationalisation des techniques de management. Mais on ne copie pas un système d'appréciation comme une chemise Lacoste. Les outils de gestion ne sont ni neutres, ni universels mais véhiculent une conception de 12 l'organisation du travail, des rapports hiérarchiques propres au contexte culturel qui les a vus naître. Les méthodes et outils de gestions actuels ont pour une large part été inspirés par la pensée anglo-saxonne. La pensée anglo-saxonne est pragmatique, systématique et elle va vers le spécifique. Les anthropologues la définissent comme une pensée à « contexte-bas» privilégiant ce qui est explicite, direct, spécifique, clair et transparent par opposition aux cultures à « contexte-élevé» qui privilégient l'implicite, et dans lesquelles un évènement n'a de sens que dans un contexte donné (pays d'Asie, pays latins d'Amérique et d'Europe). Le management a donc été inspiré par la moitié du globe. Il n'est donc pas étonnant que lorsque ces outils imprégnés de conceptions culturelles sont mis à disposition de personnels issus d'un autre contexte culturel, un choc culturel a bien lieu, même s'il ne prend pas la forme de contacts directs entre personnes. Le management interculturel s'attache alors aux modalités de mise en œuvre locale, d'adaptation et d'appropriation par les acteurs de ces outils importés (Chevrier, 2003, p. 4). Le management interculturel se fonde sur l'analyse des différences culturelles, il parait donc nécessaire de définir ce que recouvre le concept de culture. Or, ce concept a été utilisé dans des sens différents, aussi bien par des sociologues ou des ethnologues que par d'autres spécialistes des sciences de l'homme. Mais nous nous limiterons au domaine de l'anthropologie qui est son espace épistémologique d'origine. En fait, la culture est probablement l'un des concepts les plus importants de l'anthropologie. Dans un premier chapitre, nous tenterons de réaliser une très courte revue de la littérature sur le concept de culture en anthropologie en privilégiant la perspective historique qui doit permettre de bien comprendre la diversité des acceptions 13 que la notion de culture recouvre. Les différentes approches scientifiques en management interculturel que nous présenterons ultérieurement dans ce livre peuvent d'ailleurs être mis en rapport avec les différentes manières d'aborder le concept de culture. Les quatre chapitres suivants présenteront les travaux et les recherches qui permettent de comprendre la manière dont le management doit s'adapter à la diversité des cultures nationales; ils relèvent de plusieurs types d'approches. Nous nous limiterons aux principales approches scientifiques du management interculturel utilisant des outils méthodologiques très différents et reposant sur des définitions du concept de culture différentes. Ces recherches permettent d'identifier et d'expliquer les problèmes posés dans le management par les différences culturelles. Le deuxième chapitre sera consacré au modèle développé par deux anthropologues Kluckhohn et Strodtbeck (1961). Ce modèle confère une place centrale au système de valeurs dans l'approche d'une réalité culturelle. En clair, il existe un nombre limité de problèmes humains communs à toutes les sociétés et pour lesquels chacune d'entre elles a dû trouver des solutions. Les cultures s'expriment à travers la diversité des solutions apportées par chaque société. Le troisième chapitre sera consacré aux recherches de Geert Hofstede, chercheur néerlandais qui a réalisé dans les années 70-80, la plus vaste et la plus célèbre des études comparatives. Elle a été réalisée dans plus de 50 pays. Elle constitue en quelque sorte le point de départ de ce nouveau champ du management qu'est le management interculturel. Il s'agissait de mettre en évidence la manière dont «chaque pays gère ses hommes ». Hofstede a mis en évidence quatre dimensions culturelles indépendantes qui caractérisent chaque culture nationale. Ce sont ces dimensions culturelles qui différencient les individus d'un pays à l'autre et l'auteur 14 souligne leur influence sur le management et l'organisation des activités. Le quatrième chapitre sera consacré aux recherches réalisées par un anthropologue américain Edouard T. Hall qui développe des concepts comme le rapport au temps, à l'espace, le contexte au niveau de la communication pour rendre compte des différences culturelles. Il appliquera ensuite ces concepts aux relations interculturelles au niveau international. Le cinquième chapitre sera consacré à de nouvelles approches qui laissent de côté les enquêtes extensives par questionnaires pour réaliser des études de cas approfondies. Elles privilégient bien évidemment des méthodologies qualitatives. Ces travaux sont proches de la démarche ethnologique. Ces travaux mettent davantage l'accent sur la cohérence de chaque culture que sur l'élaboration d'instruments permettant de mesurer les différences (Chevrier 2003, p. 7). Ces approches ont été développées depuis plus d'une vingtaine d'années par Philippe D'Iribarne et son équipe du CNRS. Enfin, le chapitre 6 va permettre d'aborder la réalité des pratiques du management interculturel à travers une thématique clé pour les entreprises: le management des équipes interculturelles. 15 Chapitre 1 Le concept de culture Le management interculturel se consacre à l'analyse des différences culturelles dans le management. Il parait donc essentiel d'essayer de définir le concept de culture. Ceci impose un détour par l'anthropologie qui est son espace épistémologique d'origine. En effet, si la nationalité peut être tenue pour le fondement de la science économique, la culture est probablement l'un des concepts les plus importants de l'anthropologie. Mais il serait judicieux de parler des concepts de culture utilisés en anthropologie. Une part importante des travaux théoriques consacrés à ce concept résulte des divergences entre les différentes définitions utilisées. Des théories très diversifiées et parfois concurrentes ont donné naissance à des courants différents en anthropologie. A l'heure actuelle, il n'existe pas de consensus sur la signification du concept de culture (Smircich, 1983). Il nous paraît néanmoins important de souligner le rôle de « pierre fondatrice» que peut jouer cette discipline pour tous les travaux dans le domaine du management portant sur la culture. En effet, dès son émergence, l'anthropologie s'est proposée de décrire, d'analyser et d'interpréter les ressemblances et les différences entre les cultures humaines. En empruntant le concept de culture à l'anthropologie, le management interculturel s'inscrit dans les débats dont ce concept fait l'objet. C'est pourquoi, nous allons tenter de réaliser une courte revue de la littérature sur le concept de culture en anthropologie. Nous n'avons pas l'ambition de dresser un inventaire exhaustif des écoles, tendances théoriques différentes ayant réfléchi sur le concept de culture. Nous nous limiterons à la présentation des courants majeurs de l'anthropologie s'étant intéressés au concept de culture en privilégiant l'analyse historique. Il s'agit avant tout de faire ressortir la diversité des acceptions et les débats que le concept suscite. 1. La genèse du concept scientifique de culture Le mot culture a une longue histoire. Il apparaît au XVrème siècle pour désigner la pratique du paysan ou du jardinier qui cultive son champ. Au xvntme siècle, il acquiert un sens figuré: on peut désormais «cultiver» les lettres, les arts ou les sciences. La culture désigne alors exclusivement la démarche de celui qui acquiert des connaissances livresques, qui s'élève dans les progrès de l'esprit. Il n'est pas encore, à l'époque, question de culture française. On lui préfère, en France, le mot « civilisation ». Mais la notion de culture particulière à un groupe humain est d'origine allemande. En effet, selon le philosophe Herder chaque peuple possède un «Volksgeist» (génie populaire) qui lui est propre. Dans le cas allemand, ce «génie» est incarné par la «Kultur» littéraire et artistique des classes populaires et bourgeoises, opposées aux sciences et aux philosophies cosmopolitiques prisées par l'aristocratie. C'est ainsi que la «Kultur» allemande consacre un nouvel usage du terme qui caractérise avant tout les œuvres de l'esprit, la langue, la religion et la morale qui constituent le bien particulier d'un peuple et le différencient des autres. 18 Au XIXème siècle, Tylor, premier professeur d'anthropologie à Oxford s'empara du mot «culture» pour désigner l'objet de ses études. C'est l'invention du concept scientifique de culture. Une science de la culture devait examiner la vie humaine en général et dégager à l'instar des sciences exactes de véritables lois. Tylor contribua à la constitution de l'anthropologie par la publication en 1871 de l'ouvrage intitulé Primitive culture. Un livre qui contient une définition souvent reprise et adaptée par la suite: « La culture ou la civilisation, prise dans son acception ethnographique large, est cet ensemble complexe composé par la connaissance, la croyance, l'art, la morale, la loi, les coutumes et toutes les autres compétences et habitudes acquises par l'homme en tant que membre d'une société. »1 Selon cette définition large, toutes les activités et productions humaines peuvent être considérées comme faisant partie de la culture, qui, pour Tylor, se confond encore avec civilisation. Jusqu'à cette époque, l'alimentation ordinaire, les façons de se transporter, le travail manuel, les loisirs, bref tout ce qui fait partie de la vie quotidienne et banale était laissé hors du champ de la culture. Seules les activités nobles, surtout artistiques et philosophiques, étaient considérées comme des expressions culturelles. Cette définition appelle quelques commentaires. Pour Tylor, la culture est l'expression de la totalité de la vie sociale de l'homme. Elle se caractérise par sa dimension collective. Enfin, la culture est acquise et ne relève donc pas de l'hérédité biologique. Cependant, si la culture est acquise, son origine et son caractère sont en grande partie inconscients (Cuche, 1996, p. 16). l "Culture or Civilisation, taken in its wide ethnographic sense, is that complex whole which includes knowledge, belief, art, morals, law, customs, and any other capabilities and habits acquired by man as a member of society." E. B. Tylor, Primitive Culture, Londres, 1871. 19 Ce signifié scientifique de culture n'est pas né ex nihilo sous la plume de Tylor, il trouve son origine dans une influence extérieure, l'influence de la « Kultur » germanique. Dans ses travaux, Tylor s'est, en effet, inspiré de certains ethnologues et historiens allemands, et en particulier de l'un d'entre eux, l'historien-ethnologue Gustav Klemm. L'avènement de l'anthropologie culturelle à travers les travaux de Tylor correspond au début du travail ethnographique sur le terrain. Jusqu'au XVmème siècle, les philosophes interprétaient les récits des voyageurs, mais n'allaient pas eux-mêmes observer les tribus éloignées. Au XIXèmesiècle, les tâches de recueil des données et d'analyse commencèrent à faire partie intégrante du travail de l'anthropologue, mais surtout, l'observation au hasard portée par la curiosité cédait la place à des techniques systématiques de collecte des données dominées par les exigences de rigueur scientifique. Au XXème siècle, le champ de l'anthropologie s'est fractionné en de nombreux courants dont nous allons présenter brièvement les idées principales. 2. Boas: le courant historique diffusionniste Si Tylor est «l'inventeur» du concept scientifique de culture Boas, chercheur d'origine allemande et élève de Tylor, sera le premier anthropologue à mener les enquêtes par observation directe et prolongée sur les cultures primitives. Il observe directement les sociétés avec minutie. Il est, en quelque sorte, l'inventeur de l'ethnographie. La formation de Boas est d'abord scientifique, celle d'un physicien et géographe. Il s'oriente vers l'anthropologie suite à une mission chez les Esquimaux en Terre de Baffin en 1884. Parti comme géographe avec une préoccupation de géographe (il s'agissait alors d'étudier l'effet du milieu physique sur la société esquimaude). Il s'aperçut que 20