Lacan - Association pour la Formation Chrétienne de la Personne

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Introduction à Jacques LACAN
Plan :
Introduction
I. Eléments biographiques
II. Jacques Lacan est freudien : quelques rappels des principes fondamentaux de la
psychanalyse
A. Définition de l’homme : un animal
B. Freud et Mai 68
III. Les principaux thèmes lacaniens
A. Achille WEINBERG : article publié dans Sciences Humaines, Hors-Série, septembreoctobre 2008
B. Lacan et la philosophie
IV. Exemples de phrases lacaniennes
A. « Pourquoi il n’y a pas de rapport sexuel »
B. « L’insuccès de l’une-bévue s’aile à mourre »
C. Conclusion : le discours amphigourique
Appendice A : Freud et la religion
Appendice B : La French Theory
Conclusion Générale
Dans son discours de Ratisbonne, Benoît XVI avait cette réflexion :
« Pour la philosophie et, de manière différente, pour la théologie, l’écoute des grandes
expériences et des convictions des traditions religieuses de l’humanité, en particulier celle de
la foi chrétienne, constitue une source de connaissance ; la refuser signifierait une réduction
inacceptable de notre capacité d’écoute et de notre capacité à répondre. Il me vient ici à l’esprit
une parole de Socrate à Phédon. Dans les entretiens précédents, ils avaient traité de
nombreuses opinions philosophiques erronées, et Socrate s’exclamait alors: “Il serait bien
compréhensible que quelqu’un, en raison de l’irritation due à tant de choses erronées, se mette
à haïr pour le reste de sa vie tout discours sur l’être et le dénigrât. Mais de cette façon, il
perdrait la vérité de l’être et subirait un grand dommage”. Depuis très longtemps, l’occident
est menacé par cette aversion contre les interrogations fondamentales de sa raison, et ainsi il
ne peut subir qu’un grand dommage. Le courage de s’ouvrir à l’ampleur de la raison et non le
refus de sa grandeur – voilà quel est le programme avec lequel une théologie engagée dans la
réflexion sur la foi biblique entre dans le débat du temps présent. » Mardi 12 septembre
2006.
Introduction
Freud a proposé une révolution dans l’anthropologie qui devait troubler la
conscience du monde : la conscience issue des enseignements du patrimoine
philosophique helléno-chrétien s’entend. L’inconscient devait remplacer l’antique
âme : inconscient défini comme un réservoir de forces pulsionnelles refoulées dans
les profondeurs biologiques de l’esprit.
Lacan reprend le thème fondamental en focalisant son interprétation de Freud sur la
structure du langage : « Je suis celui qui a lu Freud ».
Lacan aurait opéré une reconstruction conceptuelle des principes fondamentaux de
la psychanalyse freudienne. Il apparaîtrait ainsi comme un Freud baroque (E.
Roudinesco).
Selon Lacan, le sujet est le fruit intégral du regard de l’Autre, du grand Autre :
langage, l’adulte qui a l’autorité, le Dieu du monothéisme (Manuel de Philosophie
Hatier, p. 96). Pas de physis humaine vers un acte second qui est la nature humaine, à
la fois universelle et personnelle.
Son point de départ très freudien : le stade du miroir. Lacan explique la socialisation
par une distance du moi narcissique qui va vers l’autre. Narcissisme primaire :
régression qui est négation de l’autre.
Ainsi se dessine la définition de l’être humain chez Lacan : l’homme est paranoïa, le
fonds de l’esprit humain est délire. Les fous seraient ceux qui ont poussé au bout la
quête de vérité…
Après-guerre, Lacan s’appuie sur les écrits de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss
(structuralisme = forme de positivisme = c’est l’environnement qui définit l’homme =
déterminisme sociologique / domination des structures contre la liberté)
et le
linguiste Jakobson (et Saussure) pour faire de l’inconscient une chaîne de signifiants
(sa structure de base = langage car c’est ce langage uniquement qui définit l’homme).
La cure analytique doit exhiber cette logique du discours humain.
I. Eléments biographiques
La
source
principale
actuelle
est
l'ouvrage
de
l’historienne
de
la
1
psychanalyse Élisabeth Roudinesco , Jacques Lacan. Esquisse d’une vie, Histoire d’un
système de pensée paru chez Fayard en 1993. Cette biographie est instructive car la
famille Roudinesco était liée à Lacan mais l’ouvrage a également été critiqué pour
certains choix biographiques et théoriques.
Jacques Lacan, né le 13 avril 1901 à Paris 3e et mort le 9 septembre 1981 à Paris 6e, est
un psychiatre et psychanalyste français.
Parents vinaigriés orléanais, moyenne bourgeoisie catholique (son père voulait qu’il
fasse carrière dans le commerce des moutardes). Son frère Marc-François Lacan est
1Élisabeth
Roudinesco,
née
en
1944 (71
ans),
d’origine
juive
roumaine,
à Paris,
est
une universitaire, historienne et psychanalyste française, biographe de Jacques Lacan et de Sigmund Freud, et
auteur d'une vingtaine d'ouvrages sur l'histoire de la Révolution française, de la psychanalyse, de la philosophie
et du judaïsme. Enfant, elle fait une cure de quelques mois chez Françoise Dolto. Licence de Lettres Modernes à
la Sorbonne (option linguistique), élève de Gilles Deleuze, 1 an de Michel Foucault. En 1974, thèse de doctorat
en littérature française. Habilitée à diriger les recherches en Lettres et Sciences Humaines en 1991 à Paris 7
(suite à une note de synthèse sur l’histoire du freudisme), elle anime un séminaire sur l’histoire de la
psychanalyse, rattaché en 2001 à l’ENS (rue d’Ulm). 2001-2007 : conférences à l’EPHE. Élisabeth Roudinesco
met en évidence que, bien que Freud soit rétif à toute perspective philosophique (point souligné par Michel
Onfray dans Le Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne), Lacan a introduit des éléments de la
philosophie allemande (Hegel, Nietzsche, Heidegger) dans la doctrine freudienne. Le Lacanisme sera ainsi un
syncrétisme entre le freudisme et les méthodes structuralistes empruntées à Ferdinand de Saussure, Roman
Jacobson et Claude Lévi-Strauss afin d’orienter la recherche psychanalytique vers la primauté du langage et
du sujet.
bénédictin. Scolarité au collège Stanislas et précocité intellectuelle : lit Nietzsche et
Spinoza à 14 ans. Age de sa révolte contre le catholicisme ?
Une grande partie de la jeunesse des années 20 est maurrassienne. Le jeune Jacques
Lacan, en 1924, suppliait Charles Maurras de lui donner une « direction
intellectuelle »… (Laurent Joly, La naissance de l’action française).
Après des études de médecine, il s'oriente vers la psychiatrie (il prétend avoir vu des
signes de folie dans sa famille) et passe sa thèse de doctorat en 1932 sur la paranoïa2
qui selon lui défini l’essence de la nature humaine, dont le désir de connaître.
Du point de vue réaliste, on comprend que l’homme sage, contemplant le monde, y
voit des désordres destructeurs et mène ainsi certains combats : vérité / erreur, bien /
mal, juste / injuste, etc. Pour Lacan ce sont des symptômes paranoïaques.
Aristote disait : « L’homme désire naturellement savoir » (Métaphysique). Lacan
interpréterait cette phrase comme le signe d’une paranoïa naturelle de l’esprit
humain…
Par conséquent Lacan discrédite la structure même de la quête de connaissance, de
vérité, un peu comme si l’homme croyait en un complot du réel qui ne se
manifesterait pas d’emblée. Quand nous voulons connaître des réalités cachées que
nous ne voyons pas, comme les essences (Socrate / Platon / Aristote), nous
manifestons une logique paranoïaque.
Tout en suivant une psychanalyse avec Rudolph Loewenstein, il intègre la Société
Psychanalytique de Paris (SPP) en 1934, et en est élu membre titulaire en 1938.
A partir de 1934, Lacan suit les séminaires d’Alexandre Kojève 3 sur la
phénoménologie de l’esprit de Hegel. Les leçons de Kojève ont eu pour auditeurs
(plus ou moins assidus) Raymond Queneau, Georges Bataille, Raymond Aron, Roger
Caillois, Michel Leiris, Henry Corbin, Maurice Merleau-Ponty, Jacques Lacan, Jean
Hippolyte, Éric Weil.
Lacan va imiter Kojève. Kojève fait une lecture intégrale de Hegel à partir de la
dialectique du maître et de l’esclave : lutte à mort des consciences... Lacan reprend
2De la psychose paranoïaque, 1932 : étude d’un cas de paranoïa féminine. Lacan y raconte la destinée d’une
femme persécutée issue d’un milieu modeste, employée des postes, qui rêve d’une autre vie. Tentative de
meurtre sur une actrice célèbre à l’époque mais rate son coup. Marguerite Anzieu est internée à Sainte-Anne et
confiée au psychiatre Lacan. Il décrit ce cas qui va passionné le milieu psychiatrique et littéraire de l’époque.
Lacan fait cette lecture : en tentant de tuer cette comédienne, elle voulait détruire son idéal du moi dans lequel
elle s’identifiait. Ensuite, 1933 : deux sœurs domestiques assassinent leur patronne au Mans (Sœurs Pappin) :
selon Lacan, le mobile du crime n’est pas la haine de classe mais « la structure paranoïaque » à travers laquelle
un sujet frappe l’idéal du maître qu’il porte en lui. A Sainte-Anne, ces sœurs connaissent des exstases. Lacan :
théâtre de la cruauté surgit d’un temps immémorial… Actualisation de la tragédie antique sous l’éclairage de la
dialectique hégélienne du maître et de l’esclave.
31902-1968 : essayiste français qui a renouvelé les études sur Hegel (Introduction à la lecture de Hegel) en
France à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (succède à Alexandre Koyré) et imposé Hegel comme une référence
intellectuelle pour l’intelligentsia parisienne et l’université française.
l’idée : le sujet est intérieurement divisé. Pour prendre conscience de mon existence,
je suis forcé de demander la reconnaissance par l’autre qui devient le maître de mon
propre être. Lacan continue : mon discours a sa cause dans l’autre, et non dans une
vérité objective. L’autre : réservoir de signifiants (la langue) qui va organiser la
structure même de mon désir.
En 1934, il épouse Marie-Louise Blondin (3 enfants) mais trois ans après il tombe
amoureux de l’actrice Sylvia Bataille (précédente épouse de George Bataille) avec
laquelle il aura une fille : Judith Miller (psychanalyste, 74 ans, épouse de JacquesAlain Miller). Lacan dissimulera un temps à ses premiers enfants l’existence de ce
deuxième foyer.
C'est après la Seconde Guerre mondiale que son enseignement de la psychanalyse
prend de l'importance. Tout en se réclamant d’un freudisme véritable — « le retour à
Freud » —, son opposition à certains courants du freudisme (notamment l’Egopsychology), l'aspect novateur de ses thèmes et sa conception de la cure
psychanalytique conduisent à des scissions avec la SPP et les instances
internationales. Tout en poursuivant ses recherches, Jacques Lacan donne
des séminaires de 1953 à 1979, soit quasiment jusqu'à sa mort : successivement à
l'hôpital Sainte-Anne, à l'École Normale Supérieure (ENS), puis à la Sorbonne.
Lacan est donc un personnage reconnu par les institutions françaises d’après-guerre.
1963 : Louis Althusser invite Lacan à l’ENS : parmi les élèves Jacques Alain-Miller
avant d’épouser la fille de Lacan : Judith. Mais aussi : Philippe Solers qui définira
Lacan : « drôle de chevalier prêcheur d’un autre âge ».
1966 : Colloque à Baltimore sur la pensée française structuraliste : rencontre avec
Jacques Derrida.
A la fin de sa vie, il se passionne pour les mathématiques et onde souvent son
discours sur des théorèmes mathématiques (dont la pertinence a été critiquée par
Sokal et Bricquemont dans Impostures Intellectuelles). Atteint de troubles cérébraux, il
dessine des nœuds et perd progressivement la parole au fil de ses derniers
séminaires.
Jacques Lacan a repris et interprété l'ensemble des concepts freudiens, en essayant de
les fonder scientifiquement en y apportant ses propres concepts (dont une certaine
mathématisation) et des éléments de la doxa philosophique de son époque (le
structuralisme et la linguistique).
Marqué dès 1938 par le sentiment généralisé d’un déclin du patriarcat dans les
sociétés industrielles, Lacan a eu comme Freud, et contre l’école anglaise, le souci de
revaloriser la place du père dans la société occidentale, sous la forme d’une fonction
symbolique.
Jacques Lacan est considéré comme l'un des grands interprètes de Freud, et donnera
d’ailleurs naissance à un courant de la psychanalyse : le lacanisme.
Figure contestée, Lacan a marqué le paysage intellectuel français et international
(surtout anglo-saxon puisque ses présupposés philosophiques sont nominalistes),
tant par les disciples qu'il a suscités que par les rejets qu'il a provoqués.
Voilà quelques mots sur la biographie de celui qui a dit : « l’amour, c’est donner ce
qu’on n’a pas à celui qui n’en veut pas ».
II. Jacques Lacan est freudien : quelques rappels des principes fondamentaux de la
psychanalyse
Sigmund Freud (1856-1939) est le fils d’un commerçant de Vienne (Autriche). Durant
ses études, il lit Feuerbach et en retient les thèses matérialistes, athées et scientistes. Il
traduira plus tard des livres de l’utilitariste anglais John Stuart Mill. En 1882, il
épouse la fille du grand rabbin de Hambourg. Après la parution de son dernier livre
« Moïse et la Religion Monothéiste », ses relations sont tendues avec sa communauté
mais Freud appréciera toujours l’idée de la restauration d’Israël pour son aspect laïc
(temporel).
A. Définition de l’homme : un animal
Freud le reconnait : « je n’ai jamais été un véritable médecin ». D’ailleurs, la nouvelle
science qu’il souhaite instaurer est un nouveau « ministère des âmes » et plus vraiment
des corps.
C’est dans « Cinq Leçons sur la Psychanalyse » que Freud commence à généraliser sa
théorie. Il souhaite initier une libération culturelle. Selon lui, le Moi est persécuté
entre le ça (les instincts pulsionnels) et le Surmoi (morale établie relative) à cause des
conditionnements culturels contingents.
A travers cette grille de lecture, il cherche ainsi à brouiller les frontières entre la
normalité et les comportements pathologiques : « toute notre vie de culture est névrosée
puisque les prétendus normaux ne se conduisent guère autrement que les nerveux ». Comme
le feront après lui : Lacan et Foucault.
La psychanalyse sera ainsi le vecteur d’une redéfinition de l’homme, d’une critique
de la culture occidentale, surtout celle du 19ème siècle. Dans « Cinq Leçons », Freud
reconnaît qu’une formation de médecine est inutile en psychanalyse. Sa voie sera «
tout à fait originale » (Cinq Leçons, Payot, p. 10).
Première Leçon : Le docteur Breuer essayait de soigner une malade en la faisant
parler. Son hydrophobie avait été causée par un traumatisme de l’enfance (un chien
buvant dans un verre). Or, rendre conscience de ce fait avait guéri la malade. Freud
en déduit : l’inconscient agit sur le comportement.
Deuxième Leçon : Un conférencier est troublé par un homme grossier. Des auditeurs
le mettent à la porte : le « refoulent ». Mais l’expulsé continue son vacarme dehors.
On négocie et on convient d’un retour sous conditions. Freud extrapole : il faut
laisser faire pour avoir la paix, sinon le refoulement aura toujours tendance à
perturber le psychisme.
Troisième Leçon : Le psychanalyste doit identifier les complexes refoulés par
l’interprétation des rêves. « L’interprétation des rêves est, en réalité, la voie royale de la
connaissance de l’inconscient, la base la plus sûre de nos recherches, et c’est l’étude des rêves,
plus qu’aucune autre, qui vous convaincra de la valeur de la psychanalyse et vous formera à
sa pratique ».
« Par le rêve, c'est l'enfant qui continue à vivre dans l'homme (…) Mais au prix de quelles
évolutions, de quels refoulements, de quelles sublimations, de quelles réactions psychiques, cet
homme normal s’est-il peu à peu constitué, lui qui est le bénéficiaire, et aussi en partie la
victime d’une éducation et d’une culture si péniblement acquise ! »
Pour Freud, la culture est donc nécessairement en opposition de contradiction avec la
nature humaine. Pour lui, positiviste, on ne peut pas définir des orientations
universelles bonnes pour l’homme et qui correspondent à sa nature profonde, son
essence.
Un des atouts de Freud est d’évoluer dans un domaine intime qui touche
profondément la personne : la psychanalyse met l’adversaire en position défensive. Si
vous critiquez Freud, c’est que vous êtes refoulés.
« Que veut le psychanalyste en effet ? Ramener à la surface de la conscience tout ce qui en a
été refoulé (…) le psychanalyste provoque donc chez ceux qui en entendent parler, la même
résistance qu’elle provoque chez les malades. C’est de là sans doute que vient sans doute
l’opposition si vive, si instinctive, que notre discipline a le don d’exciter ».
L’opposition ne viendrait-elle pas plutôt de la claire vision de la réduction de la
personne humaine à sa sexualité ? C’est en effet plutôt la dignité humaine
authentique qui réagit à ce réductionnisme dégradant.
Quatrième Leçon : Freud analyse la vie sexuelle « dans notre société » autrement dit
dans la vie sociale viennoise, bourgeoise et puritaine, à la fin du 19ème siècle. Cette
situation était semblable dans la société américaine marquée par un certain
protestantisme. Freud veut donc initier une libération sexuelle en Occident. Selon lui,
le libéralisme, le féminisme et l’absence de repères stables seront des facteurs
déterminants. C’est dans ce passage que Freud développe son pansexualisme.
Cinquième Leçon : Freud généralise ses analyses précédentes et critique la
civilisation occidentale coupable de réprimer la nature animale de l’homme. Il fustige
ainsi la culture de la volonté qui s’exerce à l’encontre des désirs humains. Il applique
alors cette grille de lecture à tous les choix de vie : « la névrose remplace à notre époque
le cloître où avaient coutume de se retirer toutes les personnes déçues par la vie ou trop faibles
pour la supporter ».
Conclusion de Freud : « Ne négligeons pas tout à fait ce qu’il y a d’animal dans notre
nature… ». Mais ici Freud assimile la sexualité humaine à la sexualité animale, sans
différence spécifique. Il achève son livre avec l’histoire du cheval de Schilda dans le
but de réduire l’homme à l’animal. Des paysans veulent faire des économies : ils
tentent d’habituer le cheval à moins manger d’avoine. Mais à force de réduire la
ration, le cheval meurt…
Freud a conscience de proposer « des conclusions révolutionnaires » et s’inscrit dans les
précédentes « blessures narcissiques » de l’Humanité : 1° Copernic, 2° Darwin, 3°
Freud.
B. Freud et Mai 68
Des écoles dissidentes vont naître après la publication des cherches de Freud.
* Carl Gustav Jung (1875-1961) fut dans un premier temps disciple et successeur
quasi-officiel de Freud. Mais Freud considère que Freud se focalise trop sur la
sexualité. Freud lui répond : « Mon cher Jung, Promettez-moi de ne jamais abandonner la
théorie sexuelle. C’est le plus essentiel ! Voyez-vous, ne devons en faire un dogme, un bastion
inébranlable ».
Face à ce dogmatisme étriqué, Jung va se séparer de Freud en définissant la
psychanalyse comme « matérialisme scientifique ».
* Autres dissidences : les freudo-marxistes. Wilhelm Reich (1897-1957) accentuera au
contraire la théorie de la sexualité (végétothérapie, orgonthérapie). Herbert Marcuse
(1898-1979) est d’abord marxiste avant d’étudier la psychanalyse. Contrairement à
Freud, qui voyait dans le principe de réalité la nécessité de la sublimation répressive
des désirs, Marcuse – à la suite de la lecture du jeune Marx – dénonce l'inhumanité
du principe de réalité répressif, qui n'est autre que le principe de réalité de la société
en place. Il préconise, au contraire, l'éclosion des désirs, la transformation de la
sexualité en Eros, l'abolition du travail aliéné et l'avènement d'une science et d'une
technique nouvelle, qui seront au service de l'être humain hédoniste. Il ne remet pas
en question l'essentiel des théories freudiennes, il les complète.
Des critiques récentes de Freud :
- Arnold Gehlen (1904-1976), qui reste positiviste, va critiquer Freud en rappelant
l’importance des institutions établies dans la structuration de la personnalité. Gehlen
rappelle que Freud reconnaissait à la fin de sa vie que la pulsion d’agression se
décharge par la guerre et le labeur physique : si les deux disparaissent, l’homme
devient angoissé.
Selon Gehlen, les différentes définitions de la nature humaine restent marquées par
des présupposés occidentaux individualistes :
« Les divers prophètes ne s’en rendent pas compte : chacun tient son idée de l’homme naturel
pour la seule exacte et, en Amérique tout au moins, on en est arrivé à ce point dans le cas de
la psychanalyse que, dans de larges cercles, l’image de l’homme comme d’un être mû par ses
pulsions sexuelles est considérée comme allant de soi (…) Le subjectivisme règne sans
partage, dans le continent le plus riche du monde, une théorie psychologique compliquée, la
psychanalyse, se hausse au rang d’une philosophie…. » (Anthropologie et Psychologie
Sociale).
- Michel Onfray : Le crépuscule d’une idole (2010).
III. Les principaux thèmes lacaniens :
A. Achille WEINBERG : article publié dans Sciences Humaines, Hors-Série, septembreoctobre 2008
« Lacan, la diva du divan
Étourdissant génie ou charlatan nébuleux, Jacques Lacan, le plus célèbre psychanalyste
français, a suscité les réactions les plus extrêmes. Sa tentative de marier freudisme et
structuralisme s’est exprimée dans une œuvre aussi foisonnante que difficile.
« Le nom-du-père est le signifiant qui dans l’autre en tant que lieu du signifiant est le
signifiant de l’autre en tant que lieu de la loi » (Lacan, Écrits).
La lecture des textes de Jacques Lacan (1901-1981) ne peut que laisser perplexe le néophyte.
Une écriture maniérée, des formules énigmatiques, des jeux de mots, parfois quelques
formules mathématiques… C’est à une quête quasi initiatique que doit se livrer le lecteur des
Écrits et des Séminaires. Avec une incertitude : le jeu en vaut-il la chandelle ? Existe-t-il
derrière cette prose baroque et obscure une construction théorique solide et intelligible ?
Le projet de Lacan, c’est d’abord la tentative – plusieurs fois remaniée – de faire du freudisme
une théorie scientifique de l’inconscient. Lacan n’a rien écrit à propos des centaines de
patients qu’il a eus en cure (on pourrait dire que de ses patients, il n’en a cure…). Ses
principales sources d’inspiration se trouvent dans la philosophie, la linguistique et les
mathématiques. Et, bien sûr, dans l’incessante relecture de Sigmund Freud. Il s’inspire de la
philosophie (Georg Hegel et Martin Heidegger) pour construire une sorte de « métaphysique » de l’homme comme « sujet désirant », mû par un «manque-à-être ». Il
voudrait aussi transposer au domaine de l’inconscient la méthode linguistique structurale,
comme Claude Lévi-Strauss l’a fait pour l’anthropologie.
Cette quête est marquée par trois étapes, qui forment les trois piliers du lacanisme.
1.
Le réel, l’imaginaire et le symbolique : 3 concepts pour restaurer la dignité de la
psychanalyse
Après sa thèse, La Psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité (1932), la
première intervention notable de Lacan est sa conférence de 1936, intitulée « Le stade du
miroir », qui est sa première contribution novatrice. Lacan a emprunté l’idée à Henri Wallon,
en lui donnant une autre signification. Le stade du miroir désigne la période – entre 6 et 18
mois – où l’enfant prend conscience de sa propre identité. Cette période marque l’accès à la
fonction symbolique.
La fonction symbolique (S) est la cause efficiente de notre être : la capacité à élaborer
l’imaginaire individuel – fait d’images morcelées, de sentiments désordonnés – via le langage.
À partir de cette dichotomie, Lacan élaborera son célèbre triptyque « réel, symbolique,
imaginaire ».Converti au structuralisme vers 1953. C’est à cette date qu’il introduit le célèbre
triptyque « réel, symbolique, imaginaire », qui sera désormais un des piliers de sa pensée. Le
réel est inconnaissable (par exemple, personne ne sait qui est vraiment mon père).
L’imaginaire représente l’ensemble des images chaotiques individuelles (mon père imaginaire
est l’image fantasmatique du père que je porte en moi). Le symbolique est l’imaginaire
institué et codifié par la société (le père symbolique, c’est la figure de la loi et de l’autorité.
Enfin, ça l’était du temps de Lacan).
2. L’inconscient est structuré comme un langage
À partir des années 1950, Lacan va chercher à importer le structuralisme dans l’étude de
l’inconscient, ainsi que son ami Lévi-Strauss l’a fait quelques années plus tôt pour
l’anthropologie. La synthèse lacanienne entre structuralisme et freudisme tient en une
formule célèbre : « L’inconscient est structuré comme un langage. »
Qu’est-ce que cela signifie ? Pour Ferdinand de Saussure, père de la linguistique structurale,
le langage est un ensemble de signes divisés en un signifiant (le support acoustique du signe)
et un signifié (le concept dont est porteur le signe).
Lacan transpose cette idée d’une structure du langage à une structure de l’inconscient faite de
signes associés entre eux. L’inconscient est conçu comme « une chaîne de signifiants ». Ainsi,
dans l’inconscient, le père réel prend la forme d’un concept très général, « père », qui peut être
lié, par le jeu des associations entre signifiants et signifié, au « phallus » ou « nom-du-père ».
Car ce n‘est pas le père réel qui compte pour l’inconscient, c’est le symbole général de toute
paternité qui renvoie non seulement au phallus, mais aussi à l’interdit, à la loi, etc.
Le jeu des métaphores et des métonymies autorise de tels déplacements de sens effectués dans
l’inconscient. Ces correspondances sont sans fin, et donnent évidemment crédit aux
nombreux jeux de mots plus ou moins subtils (la « père-version », le « père-sévère ») dont
Lacan est friand. Ceux-ci ne seraient pas des jeux gratuits de l’esprit, mais renverraient à des
significations inconscientes plus profondes. Résultat : l’inconscient, « ça parle ».
3. Mathématiques, métaphores, jeux de mots…
La tentative de Lacan pour construire une véritable « algèbre » de l’inconscient prendra une
nouvelle forme au début des années 1970. Féru de mathématique et de topologie, il tente de
construire une sorte de modélisation mathématique des instances psychiques. Il introduit des
concepts comme ceux de « mathème » (sur le modèle des mythèmes de Lévi-Strauss) puis de « nœuds borroméens » (ensemble de trois cercles noués entre eux, de sorte que la coupure de
l’un sépare les deux autres)…
Cela donne un mélange curieux entre topologie, psychanalyse et linguistique – le tout servi
dans une langue de plus en plus métaphorique et autoréférentielle. Tel est le lacanisme des
années 1970.
Les propos des Séminaires ne furent jamais limpides. Au fil du temps, ils deviendront de plus
en plus obscurs et insondables, laissant au commentateur un espace d’interprétation sans
limite…
Le temps du gourou
Lacan s’est imposé comme la figure principale de la psychanalyse française d’après-guerre. En
1964, après la scission du mouvement psychanalyste français, il crée l’École freudienne de
Paris, qui deviendra, jusqu’à sa dissolution en 1980, le principal lieu d’élaboration du
lacanisme.
Lacan était un personnage baroque et flamboyant. Mondain, joueur, séducteur, avide de
gloire et d’argent, il s’est imposé comme un maître à penser, qui a subjugué tout un aréopage
d’intellectuels et une véritable cour d’adeptes. Le lacanisme a pu ressembler à une secte
rassemblée autour d’un gourou. Lacan, sur la fin de sa vie, pratiquait auprès de certains
patients des séances courtes (parfois trois minutes à peine).
À partir des années 1980, le lacanisme va se séparer en une multitude de chapelles et sousgroupes qui vont se disputer sur l’interprétation de la pensée du maître. »
Source :
http://www.scienceshumaines.com/jacques-lacan-1901-1981-la-diva-du-
divan_fr_22649.html#achat_article
B. Lacan et la philosophie
Lacan a d’abord embrassé les principes freudiens avant d’étudier sérieusement la
philosophie (ce qu’il n’a d’ailleurs jamais fait réellement). Malgré ses évocations
philosophiques, Lacan affiche avec persistance une méfiance — qu'il partage
d'ailleurs avec Freud — envers l’exercice rigoureux de la raison vers une définition de
l’être. Lacan agit plus envers la philosophie comme si elle était une boîte à outils où il
pourrait aller au petit bonheur piocher des concepts qu'il recyclerait à la mode de
l'inconscient lacanien.
Ses présupposés philosophiques sont clairement nominalistes. Ses travaux ont été
repris aux États-Unis dans le champ des « cultural studies ». Judith Butler a ainsi
utilisé et critiqué des concepts lacaniens pour son travail de critique philosophique
des processus de socialisation et des rapports de force dans la société contemporaine.
Paradoxalement, son éthique est une invitation non au débridement des sens mais au
devoir : un devoir dicté par un impératif catégorique où le postulat de la raison
pratique kantienne. Chez Lacan, la vie est fatalité du désir : « (...) la bonne intention
(...) promue [par] Abélard (...) ne nous met certainement pas à l'abri de la névrose et de ses
conséquences. ». Le courage sera alors d'assumer son désir, son être, jusque dans ses
déterminations inconscientes qui nécessitent la singularité de l’individu par son
histoire personnelle.
Témoignage de Claude Lévi-Strauss :
Claude Lévy-Strauss n’est allé qu’une seule fois au séminaire de Lacan.
« J’ai vu fonctionner pas mal de chamans dans des sociétés exotiques, et je retrouvais là une
sorte d’équivalent de la puissance chamanistique. J’avoue franchement que, moi-même
l’écoutant, au fond je ne comprenais pas. Et je me trouvais au milieu d’un public qui, lui,
semblait comprendre. Une des réflexions que je me suis faite à cette occasion concernait la
notion même de compréhension : n’avait-elle pas évolué avec le passage des générations ?
Quand ces gens pensent qu’ils comprennent, veulent-ils dire exactement la même chose que
moi quand je dis que je comprends ? Mon sentiment était que ce n’était pas uniquement par
ce qu’il disait qu’il agissait sur l’auditoire, mais aussi par une autre chose,
extraordinairement difficile à définir, impondérable — sa personne, sa présence, le timbre de
sa voix, l’art avec lequel il le maniait. »
(Entretien de Claude Lévy-Strauss avec Judith Miller et Alain Grosrichard. L’Ane. Le
magazine freudien, 1986, n° 20, p. 28).
IV. Deux exemples de phrases lacaniennes
A. « Pourquoi il n’y a pas de rapport sexuel »
Lacan a révolutionné l’ensemble de la psychanalyse dans les années 60 en France,
c’est-à-dire au moment de la domination du structuralisme sur la pensée
intellectuelle. Sa réputation est celle d’un hystérique (« Mon symptôme, c’est la
psychanalyse ») incompréhensible (« L’insuccès de l’une-bévue s’aile à mourre »),
mégalo (« On m’accuse d’écrire de façon absconse mais dans vingt ans je serai un
classique ») et agressif (« La psychanalyse est un remède contre l’ignorance. Elle ne
peut rien contre la connerie »).
Pour comprendre cette phrase, il faut connaître les présupposés anthropologiques de
Lacan. L’individu lacanien se définit par la dynamique de son désir. Etre un sujet,
c’est désirer : freudisme de base.
Dans la phrase « il n’y a pas de rapport sexuel », Lacan fait un jeu de mots : faire un
rapport, en mathématiques, c’est écrire quelque chose comme « x est à y ce que a est à
b », ou plutôt : x se rapporte à y selon une certaine grandeur, par exemple x=2y. Une
phrase mathématique comme x=2y est pleine, elle est fermée, il n’y a plus rien à en
tirer : x se satisfait d’être égal à 2y, c’est comme ça, il n’y a aucun trou à boucher,
aucune dynamique, car il n’y a aucun problème (contrairement à une équation à
résoudre, ou à une courbe qui part à l’infini). Donc, si x est défini par rapport à y, x et
y sont coincés ensemble.
Lacan interprète : cela fonctionne exactement de la même manière pour ce qui est du
rapport entre l’homme et la femme (homme et femme étant des rôles, pas des
identités biologiques pour Lacan précurseur des Gender Studies. Pour Lacan, si
l’homme était le x de la femme (c’est-à-dire, si homme et femme se complétaient
selon une logique de rapport), alors la conjonction entre homme et femme les
rendrait tous deux complets. L’homme serait le x de la femme et la femme le y de
l’homme ; à ce moment-là, si x et y se rapportent l’un à l’autre selon un rapport de,
disons, la moitié, alors homme+femme=1=complétude, comme x+y=1.
Or la complétude, c’est l’annihilation du désir (je suis complet donc je n’ai plus rien à
désirer), par conséquent c’est la destruction de l’essence du sujet. Lacan appelle
d’ailleurs cette annihilation du désir « jouissance » ; ainsi, la jouissance est impossible
à atteindre pour un sujet, parce qu’elle implique la disparition de ce sujet lui-même.
Ce qui nous entraîne à la rechercher quand même, c’est la pulsion de mort, concept
que Lacan emprunte comme il se doit à Freud.
Bien plus, on observe tout le temps que quand un homme rencontre une femme, ça
ne marche pas aussi bien que cela.
Donc l’homme n’est pas le « x » de la femme, car sinon homme et femme
s’annuleraient dans leur rencontre comme x et y se retrouvent dans un rapport
immuable et immobile (x=2y). Deux sujets désirants, et définis par leur désir, ne
peuvent donc pas se retrouver l’un et l’autre dans un « rapport » : il faudrait
préciser : de complémentarité structurante, dans une alliance.
Ainsi, la phrase provocante « Il n’y a pas de rapport sexuel » ne signifie absolument
pas que deux êtres humains ne se rencontrent pas concrètement, mais bien que le
sujet se définit par son désir, et qu’il faut par conséquent se garder de l’erreur qui
consiste à voir dans l’amour quelque chose qui comble le désir, sachant que Lacan est
athée matérialiste et qu’il ne voit pas que la relation conjugale es une image de la Vie
trinitaire.
Phrase typique de lacanisme, très éloigné du laconisme ancien. Compliquée parce
que d’une part c’était la mode du structuralisme, qui a tendance à rendre tout le
monde jargonnant, et en plus il voulait mettre en place un certain élitisme pour ne
s’adresser qu’à des psychanalystes érudits connaissant la fonction freudienne du
désir.
B. « L’insuccès de l’une-bévue s’aile à mourre » est le titre d’un article, et est
caractéristique de l’habileté de Lacan à faire entrer en collision les différentes couches
de sens des mots par rapprochement entre les signifiants.
L’Unbewusst, en allemand, c’est l’inconscient ; une bévue, c’est un acte manqué.
Chercher l’amour, c’est chercher ce qu’il appelle la jouissance, et qui est cette chose
impossible que nous avons expliqué tout à l’heure : l’annihilation du sujet désirant
dans un rapport qui comble d’un coup son désir ; ainsi en cherchant cet impossible
objet qu’est la jouissance dans l’amour, le sujet « s’aile à mourre », c’est-à-dire tente de
s’envoler en direction de la mort qu’est sa jouissance ; donc l’amour est un acte
manqué, car il est l’insuccès que rencontre l’inconscient en essayant de nous faire
chercher la jouissance alors que c’est impossible, puisque c’est notre mort.
C. Conclusion : le discours amphigourique
Rappelons que l’amphigouri (substantif masculin) est une figure de style consistant
en un discours, texte ou dessin volontairement obscur ou inintelligible à visée
burlesque. L'origine étymologique du mot n'est pas connue, probablement forgé, à
l'image de la figure, de manière à imiter un mot savant pour le détourner. Par
extension, on l'utilise pour qualifier un texte confus et incohérent, ce qui est alors
péjoratif ; proche du galimatias ou du phébus.
L'amphigouri vise un effet burlesque : il s'agit de travestir le plus souvent un
discours sérieux en un discours trivial. Le but peut être également ironique, il a alors
valeur parodique, dans l'objectif de perdre volontairement l'interlocuteur. Il peut
également montrer la psychologie dérangée de celui qui le produit, et se rapproche
alors de la logorrhée ou du verbiage.
Synonymes: galimatias, phébus, logorrhée, charabia, fatras
Antonymes: raisonnement, cohérence
Appendice A :
FREUD ET LA RELIGION :
Freud a grandi dans l’ambiance légaliste de la religion juive. Il ne venait pas d’un
milieu juif pratiquant mais sa famille respectait certaines traditions : on célébrait la
Pâque, mais sans signification spirituelle. On voulait surtout que les enfants
s’assimilent et réussissent dans la société.
Pour ses 35 ans, le père de Freud, Jakob Freud, offre une Bible pour son fils mais elle
commence par la page 423 ! Il s’agit plus probablement d’un geste intentionnel. Pour
quelle raison ? On ne peut ici qu’avancer des hypothèses. Les pages par lesquelles
commence cette Bible singulière relatent l’histoire du roi David et de Bethsabée : une
histoire d’adultère et de meurtre, celle d’un couple coupable dont naîtra plus tard un
fils, Salomon – Schlomo en hébreu. Or, Schlomo est le prénom juif de Sigmund, et
c’est celui-là que Jakob emploie dans sa dédicace. Par ailleurs, certains indices
laissent à penser que Jakob Freud a abandonné une deuxième femme pour épouser
Amalia Nathansohn, la future mère de Sigmund. Selon certains, Jakob Freud, avec
cette Bible, a volontairement laissé une piste à son fils pour qu’il explore sa propre
genèse. Piste que celui-ci, tout psychanalyste qu’il était, n’a pas suivie.
I. L’Avenir d’une illusion
Freud définit la religion comme ce qui vient aider l’homme dans sa détresse devant
la puissance destructrice de la nature, comme ce qui lui permet de gouverner ses
passions les plus basses, l’inceste ou le meurtre. Il considère cette croyance, comme
Auguste Comte avant lui, comme un état infantile de l’humanité, qui s’est inventé un
Dieu-père bienveillant pour s’occuper d’elle. Croyance contre laquelle doit se battre
les sciences exactes pour que l’humanité grandisse.
A son disciple Carl Jung (qui ne suivra pas Freud dans le pansexualisme), il écrit en
1910 : « la raison dernière du besoin de religion m’a frappé comme étant l’impuissance de
l’enfant (…) il ne peut se représenter le monde sans parents et il s’octroie un Dieu juste et
une nature bonne ».
Freud reprend les attaques des Lumières, surtout de Feuerbach. La nouvelle science
quantitative, celle de Descartes et de Galilée, remplacera les illusions religieuses,
dont la vérité scientifique va libérer l’Humanité. La psychanalyse emprunte cette
direction positiviste et le psychanalyse sera le nouveau « ministre des âmes », le
nouveau prêtre, le nouveau « pasteur d’âme séculier ».
Au départ, c’est une technique. Au fur et à mesure, cela devient une philosophie qui
« repose sur la conception scientifique générale du monde, avec laquelle la conception
religieuse reste incompatible ». Freud considère donc la foi contraire à la raison,
conception qui n’est pas catholique mais protestante.
Freud voit grand et espère beaucoup en son dogme : « C’est notre meilleur espoir pour
l’avenir que l’intellect, l’esprit scientifique, la raison, parvienne avec le temps à la dictature
dans la vie psychique de l’homme ». (Nouvelles Conférences d’Introduction à la
Psychanalyse, 35 ème Conférence).
A. La religion comme négation du corps
« Formation religieuse et névrose de contrainte ont toutes deux pour base le renoncement à
certaines motions pulsionnelles. La première invite à sacrifier son plaisir à la Divinité, la
seconde au Surmoi, héritier de l’autorité paternelle ».
B. L’invention de Dieu
L’homme se sait vulnérable et se créée un père protecteur… Le croyant est donc
encore un enfant. « L’impuissance des hommes demeurent, et avec elle, le désir d’un père,
ainsi que des dieux. Les dieux conservent leur triple tâches : exorciser les effrois de la nature,
réconcilier avec la cruauté du destin (la mort) et dédommager des souffrances et privations
qui se sont imposées à l’homme par la vie civilisée en commun ».
Et donc les religions sont des illusions : « accomplissements des souhaits les plus anciens,
les plus forts et les plus pressants de l’humanité ; le secret de leur force, c’est la force de ces
souhaits ». Le croyant relève donc pour Freud de la psychiatrie.
C. Vers une éducation sans foi religieuse
« Accordez-moi (...) que cela vaut la peine de faire la tentative d’une éducation irréligieuse. Si
elle s’avère insatisfaisante, je suis prêt à abandonner la réforme et à revenir au jugement
antérieur purement descriptif : l’homme est un être à l’intelligence faible, qui est dominé par
ses souhaits pulsionnels ».
II. L’homme Moïse et la religion monothéiste (1939)
Paru en 1939, année de sa mort, c’est le dernier et peut-être le plus important ouvrage
de Freud. Traduit de l’allemand en 1948, par Anne Berman sous le titre Moïse et le
monothéisme, on trouve au dos de cette première traduction française : «Dans ce
dernier ouvrage, le fondateur de la psychanalyse examine les origines du monothéisme en
Égypte au moment de la révolution religieuse et esthétique du pharaon Akhenaton et expose
une théorie nouvelle sur les origines de Moïse et de la religion juive.»
« Déposséder un peuple de l'homme qu'il célèbre comme le plus grand de ses fils est une tâche
sans agrément et qu'on n'accomplit pas d'un cœur léger, surtout quand on appartient soimême à ce peuple. »
Appendice B
Actualité de la philosophie du langage : La French Theory
La French Theory (« théorie française ») est un corpus de théories philosophiques,
littéraires et sociales, apparu dans les universités françaises à partir des années 1960
et américaines à partir des années 1970. Cette French Theory a connu un vif
engouement dans les départements américains de Lettres (Humanities), à partir des
années 1980, où elle a contribué à l'apparition des cultural studies, études de genre
(Judith Butler) et études postcoloniales. La French Theory a également eu une forte
influence dans le milieu des arts et du militantisme occidental.
Les principaux auteurs français sont : Louis Althusser, Jean Baudrillard, Simone de
Beauvoir, Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Michel Foucault, Julia Kristeva, Jacques
Lacan, Claude Lévi-Strauss, Jean-François Lyotard, etc.
Ce mouvement intellectuel universitaire américain d’origine française était presque
inconnu en France jusqu’à ce que soit publié, en octobre 1997, Impostures
intellectuelles, d'Alan Sokal et Jean Bricmont, à l'origine d'une médiatisation en France
de la French Theory.
Après une éclipse graduelle, dans les années 2000, la French theory refait son
apparition en France sous l’influence de traduction de travaux américains et en
prenant différentes formes (études de genre, études post-coloniales, etc.), qui posent
la question philosophique et politique de : la différence, du pouvoir et de
l’imposition des normes.
« Ce qui est plus grave, à notre avis, c’est l’effet néfaste que l’abandon de la pensée claire a sur
l’enseignement et sur la culture. Les étudiants apprennent à répéter et à élaborer des discours
auxquels ils ne comprennent pas grand-chose. Ils peuvent même faire carrière à l’université
en devenant experts dans l’art de manipuler un jargon érudit. Après tout, l’un d’entre nous a
réussi, grâce à trois mois d’étude, à maîtriser suffisamment le langage post-moderne pour
publier un article dans une revue prestigieuse. Comme la commentatrice américaine Katha
Pollitt l’a très justement fait remarquer, « l’aspect comique de l’incident Sokal est qu’il
suggère que même les post-modernes ne comprennent pas réellement ce qu’écrivent leurs
collègues, et qu’ils se déplacent à travers les textes en passant d’un nom ou mot familier à un
autre, comme une grenouille qui traverse un étang boueux en sautant sur les nénuphars ».
En fin de compte, les discours délibérément obscurs et la malhonnêteté intellectuelle qui les
accompagne empoisonnent une partie de la vie intellectuelle et renforcent l’antiintellectualisme facile qui est déjà fort répandu dans la population ».
Alan Sokal, Jean Bricquemont, Impostures Intellectuelles, Odile Jacob, 1997, p. 206.
Conclusion générale :
Le philosophe américain Noam Chomsky, qui a connu Lacan dans les années 1970, a
confié qu'il le considérait comme un « charlatan conscient de l'être qui se jouait du milieu
intellectuel parisien pour voir jusqu'à quel point il pouvait produire de l'absurdité tout en
continuant à être pris au sérieux4 ».
Jean-Paul II explique les raisons de la rédaction de Fides et Ratio (1998).
« Témoigner de la vérité est donc une tâche qui nous a été confiée, à nous évêques; nous ne
pouvons y renoncer sans manquer au ministère que nous avons reçu. En réaffirmant la vérité
de la foi, nous pouvons redonner à l'homme de notre époque une authentique confiance en ses
capacités cognitives et lancer à la philosophie le défi de retrouver et de développer sa pleine
dignité.
Un autre motif m'incite à écrire ces réflexions. Dans l'encyclique Veritatis splendor, j'ai attiré
l'attention sur « quelques vérités fondamentales de la doctrine catholique, qui risquent d'être
déformées ou rejetées dans le contexte actuel ». 4 Par la présente Encyclique, je voudrais
continuer cette réflexion et concentrer l'attention sur le thème même de la vérité et sur son
fondement par rapport à la foi. On ne peut nier en effet que cette période de changements
rapides et complexes expose surtout les jeunes générations, auxquelles appartient l'avenir et
dont il dépend, à éprouver le sentiment d'être privées d'authentiques points de repères.
L'exigence d'un fondement pour y édifier l'existence personnelle et sociale se fait sentir de
manière pressante, surtout quand on est contraint de constater le caractère fragmentaire de
propositions qui élèvent l'éphémère au rang de valeur, dans l'illusion qu'il sera possible
d'atteindre le vrai sens de l'existence. Il arrive ainsi que beaucoup traînent leur vie presque
jusqu'au bord de l'abîme sans savoir vers quoi ils se dirigent. Cela dépend aussi du fait que
ceux qui étaient appelés par vocation à exprimer dans des formes culturelles le fruit de leur
4« In the case of Lacan, for example—it's going to sound unkind—my frank opinion is that he was a conscious
charlatan, and was playing games with the Paris intellectual community to see how much absurdity he could
produce and still be taken seriously. I mean that literally. I knew him. » dans « Noam Chomsky: an
Interview », Radical philosophy, no 53, août 1989, p. 32
spéculation ont parfois détourné leur regard de la vérité, préférant le succès immédiat à la
peine d'une recherche patiente de ce qui mérite d'être vécu. La philosophie, qui a la grande
responsabilité de former la pensée et la culture par l'appel permanent à la recherche du vrai,
doit retrouver vigoureusement sa vocation originelle. C'est pourquoi j'ai ressenti non
seulement l'exigence mais aussi le devoir d'intervenir sur ce thème, pour que l'humanité, au
seuil du troisième millénaire de l'ère chrétienne, prenne plus clairement conscience des
grandes ressources qui lui ont été accordées et s'engage avec un courage renouvelé dans la
réalisation du plan de salut dans lequel s'inscrit son histoire » (n° 6)
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