La Tribune Afrique

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INNOVER
RÉGIONALES 2015
Du boomerang pour explorer Mars
à la lampe qui fonctionne à l’eau
TOUR DU MONDE P. 14-15
salée.
Deuxième étape de notre tour
de France, les Pays de la Loire visent
des coopérations renforcées. P. 22-23
DU VENDREDI 18 AU JEUDI 24 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - 3 €
TAKE IT EASY
« UBERISE »
LA LIVRAISON
DE REPAS… À VÉLO
Après Bruxelles et Paris,
cette startup disruptive
vise Berlin, Madrid
et Londres. P. 13
L 15174 - 142 - F: 3,00 €
« LA TRIBUNE S’ENGAGE AVEC ECOFOLIO POUR LE RECYCLAGE DES PAPIERS. AVEC VOTRE GESTE DE TRI, VOTRE JOURNAL A PLUSIEURS VIES. »
CLIMAT #COP21
LE PUBLIC-PRIVÉ
EN TANDEM
Une coopération
ambitieuse se fait jour
entre les champions
français de
l’environnement et les
pouvoirs publics. P. 25
VISIONS
QU’EST-CE QUI
« CLOCHE » DANS
LA FISCALITÉ ?
Rencontre avec Arthur
B. Laffer, chef de file de
« l’école de l’offre ». P. 26
PORTRAIT
CYRIL EBERSWEILER
À 36 ans, il est
le globe-trotteur du
« hardware ». P. 30
Notre nouveau supplément consacre
sa première édition au Maroc,
porte d’entrée royale en Afrique.
NANTES DANS DIX ANS ? « METTRE
LE CAP À L’INTERNATIONAL
EST ESSENTIEL »
Johanna Rolland, la maire
de Nantes, veut en faire
« l’une des métropoles les plus
dynamiques sur les questions
de transition écologique
et numérique ». Entretien
et dossier, à l’occasion du Forum Smart City
P. 18 à 21
Nantes, avec La Tribune.
COMPTE À REBOURS
Peut-il
encore
réussir ?
> à inverser
la courbe
du chômage,
> à rassembler
la gauche,
> à retrouver
la confiance
des Français,
> à se faire
réélire en 2017 ?
NOTRE DOSSIER,
PAGES 4 à 10,
et l’éditorial, p. 3
CHÔMAGE
NCE
CROISSA
COMPÉTITIVIT
É
CONFIANCE
MONTAGE : © PHILIPPE WOJAZER / REUTERS - ISTOCK
ENTREPRISES
LA TRIBUNE AFRIQUE
I 3
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
SIGNAUX FAIBLES
ÉDITORIAL
Mea culpa,
mea maxima culpa
PAR PHILIPPE
CAHEN
PROSPECTIVISTE
DR
@SignauxFaibles
PRÉCISION - Contrairement à ce que nous affirmions
dans l’entretien de Pierre Moscovici (commissaire
européen aux Affaires économiques et monétaires),
publié dans notre édition de la semaine dernière,
Total, BNP et Airbus ont bien accepté d’être
auditionnés par la commission des budgets du
Parlement européen, présidée par Alain Lamassoure.
PAR
PHILIPPE
MABILLE
DR
@phmabille
autocritique est un exercice si peu naturel pour
un homme politique, surtout durant l’exercice de
ses fonctions, que l’on se
doit de saluer le mea culpa,
certes tardif, du président de la République
sur les erreurs de son début de quinquennat. Qu’il ait choisi pour le faire savoir la
voie détournée d’un livre, celui de notre
consœur du Monde Françoise Fressoz, ne
retire rien à l’intérêt que l’on doit porter à
cette coulpe battue.
Dans Le Stage est fini, le chef de l’État
reconnaît donc, à demi-mot, qu’il a manqué de cynisme en ne maintenant pas la
TVA sociale qu’avait fait adopter son prédécesseur, ce qui lui aurait permis d’éviter
de matraquer d’impôts les Français. Un
chiffre, pour illustrer le propos, issu d’une
passionnante étude de l’OCDE, mérite
d’être relevé : si l’on classe les onze principales économies en fonction de leur
effort de réduction du déficit budgétaire,
la France apparaît au huitième rang. Nous
sommes aussi le seul pays dont l’ajustement budgétaire a reposé en exclusivité
sur l’impôt et en rien sur la baisse de la
dépense publique (laquelle atteint désormais un record mondial, à 57 % du PIB). En
clair, François Hollande n’a rien fait, ou si
peu… et plutôt mal, comme il le reconnaît
lui-même.
Autre grave erreur, que le chef de l’État
ne retient pas, mais qui lui a été souvent
reprochée, la suppression trop rapide et
brutale de la défiscalisation des heures
supplémentaires, qui a frappé directement au portefeuille les catégories les
plus modestes, et sans doute ses électeurs
de 2012, qui avaient cru de bonne foi à
son slogan « Le changement, c’est maintenant ». Le virage sur l’aile du président
de la République sur le traité européen,
certes inévitable vu le déficit de crédibilité
budgétaire de la France, a lui aussi pris à
revers ses engagements de campagne
et l’a conduit à mener une politique qui
n’avait plus rien à voir avec les intentions
affichées par le candidat. Comme
l’a dit Machiavel, « gouverner,
c’est faire croire »… Encore
faut-il que l’on vous accorde
(encore) crédit. À voir la cote
de popularité actuelle de François Hollande, on ne sait pas si
« le stage est fini », mais le crédit,
lui, est épuisé.
Reconnaître ses erreurs, que l’on soit un
dirigeant politique ou d’entreprise, est
un exercice de communication délicat à
manier. Voire dangereux, parce qu’il peut
facilement se retourner contre son auteur.
Les Français n’attendent pas du chef de
l’État une séance d’autoflagellation, qui plus
est sur un point finalement assez dérisoire
et anecdotique de sa politique. Ce qu’ils
veulent désormais, avec une impatience
de moins en moins dissimulée, ce sont des
résultats tangibles et concrets. Ceux-ci
vont venir, assure-t-on du côté de l’exécutif où l’on souligne que 2015 sera l’année
du retournement pour l’emploi et la croissance. On en décèle quelques prémices dans
les chiffres de l’intérim, indicateur avancé
d’une baisse prochaine du taux de chômage.
Mais, contrairement à ce que pense François Hollande, l’inversion de la courbe du
chômage, qui devra se confirmer l’an prochain, n’est qu’une condition nécessaire, et
pas suffisante, pour qu’il puisse espérer être
réélu pour un second mandat.
Au vu de l’accélération des événements
mondiaux qui, de la crise grecque à la
crise des migrants, menacent la cohésion de l’Europe, 2017 est un
horizon trop lointain pour
qu’on y prête plus qu’une
attention distraite. François
Hollande a pour lui d’être à la tête de
l’État à un moment que l’on peut qualifier sans emphase d’historique. Chacun le
ressent bien, ces millions de personnes qui
frappent à notre porte sont annonciatrices
d’un monde nouveau. Les Français jugeront le moment venu si le président sortant
aura su se montrer à la hauteur de ces défis.
Mais là encore, même si François Hollande
réussissait, ce n’est même pas sur son bilan
que se jouera la présidentielle, mais plutôt
sur une roulette électorale qui, pour la première fois sous la Ve République, opposera
trois forces à peu près égales. De sorte que
la seule stratégie gagnante en 2017 consistera pour le candidat de droite comme
pour le candidat de gauche, quel qu’il soit, à
faire en sorte de se qualifier pour le second
tour face à Marine Le Pen… ■
BALISES
1,2 %
12 à 15
2 202
3,5
DU CHIFFRE D’AFFAIRES,
C’EST LE NOUVEAU TAUX DE
la taxe télécoms (+ 0,3 %), a
annoncé la ministre de la Culture
Fleur Pellerin. Cette taxe vise les
groupes Bouygues Telecom, SFR,
Orange et Free pour leur activité
de fournisseurs d’accès à
Internet. Stéphane Richard, PDG
d’Orange, a dénoncé cette
hausse, y voyant « une forme
de mépris pour notre industrie ».
CENTIMES PAR KILOMÈTRE,
C’EST L’INDEMNITÉ VÉLO
incitative que Ségolène Royal,
ministre de l’Écologie, songe
à faire allouer aux salariés qui
choisiraient d’aller travailler
à bicyclette. Selon la ministre,
l’expérience menée l’an dernier
auprès de 8 000 salariés avait
« très bien fonctionné », avec
un triplement du nombre de
salariés allant travailler à vélo.
EUROS NETS, C’EST LE
SALAIRE MENSUEL MOYEN
des Français en 2013, en
équivalent temps plein (EQTP)
dans le secteur privé ou dans
les entreprises publiques
(soit 2 912 euros bruts, avant
prélèvements). En euros
constants, il baisse de 0,3 % par
rapport à 2012, soit à peu près
autant qu’entre 2011 et 2012,
où il avait reculé de 0,4 %.
MILLIARDS D’EUROS
D’EXPORTATIONS DE VIN
au premier semestre, en hausse
de 7 %, c’est la belle
performance que révèlent
les statistiques de la Fédération
des exportateurs de vins et
spiritueux (FEVS). Sans surprise,
le Champagne joue toujours
son rôle moteur dans le secteur,
avec une progression
de 9 % du chiffre d’affaires.
L’HISTOIRE
© MICHAEL SPOONEYBARGER / REUTERS
Maîtriser l’alimentation, la ville
et les déplacements, c’est maîtriser
l’impact du climat, qu’il soit à + 6 ° C ou
- 4 ° C. L’homme fera le choix de la faune
et la flore qu’il veut conserver, ce qu’il fait
d’une manière indirecte depuis cinquante
ans. Depuis plus d’une dizaine d’années,
on sait déplacer des nuages ou provoquer
la pluie. Des travaux sont en cours
pour protéger les mégapoles des aléas
climatiques. Les maisons flottantes sont
construites aux Pays-Bas, à défaut
de digues jamais assez hautes. Les villes
flottantes sont à l’étude. Atteindre
ces objectifs est l’affaire du numérique.
La semaine passée, nous avons évoqué
la guerre des pétaflops d’Obama, dont
les systèmes massifs communication
sont des parties intégrantes.
Le développement des robots de toutes
tailles, du nanorobot qui circule dans le
corps humain, le sol ou la flore, au robot
industriel géant, est le grand sujet pour
gagner en précision, qualité et rapidité,
et pour emmagasiner les informations.
Maîtriser la vie sur Terre en 2100,
c’est un mouvement qui a débuté
il y a deux siècles. Ce xxie siècle
sera celui de son aboutissement.
L
’
La COP21,
déjà du passé
Dans le fond, qu’il y ait un accord ou pas
à la COP21, à « Paris 2015 » dans
quelques jours, cela n’a aucune
importance. Cet hiver, El Niño 2015/2016
devrait avoir un effet gigantesque sur
le climat, le cours des matières premières
– donc le niveau de vie des Terriens –,
et la baisse d’activité des Brics va
s’accentuer… Tout cela rendra « Paris
2015 » bien dérisoire. En tout état
de cause, l’objectif de + 2 ° C maximum
en 2100 est dépassé. Nous sommes
en Anthropocène, depuis deux siècles,
l’Homme domine la Terre. L’étape en
marche est celle de la maîtrise de la Terre
ou plutôt de la vie sur Terre en 2100.
Maîtriser la vie – de l’Homme – sur Terre
repose sur trois objectifs principaux :
maîtriser l’alimentation, le logement et la
ville, les déplacements de l’Homme. La
maîtrise de l’alimentation passe par la
précision et l’automatisation mises dans
l’exploitation de la terre arable et par les
fermes urbaines. C’est en marche. La
maîtrise du logement et de la ville est un
immense objectif, en test depuis plusieurs
années. Les projets et les réalisations de
villes maîtrisées et propres ne manquent
pas dans le monde. Le plus délicat sera
l’isolation des bâtiments construits avant
2000-2010. Enfin, les déplacements font
l’objet d’investissements massifs dans les
énergies propres, l’autonomie des systèmes
(Toyota a décidé ce mois-ci d’investir
50 millions de dollars sur cinq ans) et la
création de nouveaux moyens de transport.
TENDANCES
QUAND L’A320, LE BEST-SELLER D’AIRBUS, DEVIENT « MADE IN AMERICA » - Airbus
inaugurait lundi 14 septembre la ligne d’assemblage final de Mobile, en Alabama (États-Unis), qui
va permettre à Airbus d’atteindre une cadence de production de 50 avions par mois, d’ici à 2017.
Trois ans après l’annonce de l’ouverture d’une ligne d’assemblage final (FAL) de la famille A320
aux États-Unis, son quatrième site d’assemblage d’avions moyen-courriers dans le monde après ceux
de Hambourg, Toulouse et Tianjin en Chine, l’usine de Mobile, sur les bords du Golfe du Mexique, vient
de commencer l’assemblage du premier appareil américain, qui sera livré à la compagnie américaine
à bas coût Jetblue, début 2016.
Ce lundi, Tom Enders et Fabrice Brégier, respectivement PDG d’Airbus Group (ex EADS) et d’Airbus,
ont donc inauguré ce site qui s’étend sur 215 000 m2. « Aux États-Unis, il est important de montrer
que les avions sont produits dans le pays. Cela nous fait gagner des points et dans certains cas cela
peut faire la différence », a déclaré Fabrice Brégier à notre confrère Welt am Sonntag. Pour le patron
d’Airbus, la stratégie d’implantation aux États-Unis s’avère déjà payante : « La part de marché d’Airbus
dans la flotte américaine en service est de 20 %, mais s’élève à 40 % sur les appareils commandés par
les compagnies américaines depuis l’annonce de la création de l’usine de Mobile, en 2012 », explique-t-il.
4 I
L’ÉVÉNEMENT
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
HORIZON 2017
François Hollande : pour qui
sonne le glas ou… l’éternel retour ?
Et si par un extraordinaire retournement de l’histoire, François Hollande se retrouvait dans une (bonne)
situation pour se présenter et l’emporter en 2017 ? À première vue, ce scénario paraît bien improbable,
tant le président suscite le rejet. Mais ce cas de figure pourrait devenir réalité… sous plusieurs conditions.
PAR JEANCHRISTOPHE
CHANUT
Ci-dessus,
François Hollande
lors
de sa conférence
de presse
du 7 septembre,
à l’Élysée. Celui
qui se voulait,
au début de
son quinquennat,
le « président
normal », adopte
de plus en plus
la posture
présidentielle
classique de ses
prédécesseurs.
© REUTERS/PHILIPPE
WOJAZER
I
«
l faut qu’il y ait une
baisse du chômage
tout au long de l’année 2016, une baisse
crédible, longue et
répétée ». Ainsi s’exprimait le président
de la République en
juillet devant l’Association de la presse
présidentielle. En filigrane, François Hollande précisait là les conditions pour une
nouvelle candidature à la présidentielle
de 2017, lui qui a depuis près de trois ans
ouvertement associé son destin présidentiel à l’inversion de la courbe du chômage.
Un sacré pari, alors que l’on comptabilise
en France près de 700 0 00 chômeurs de
plus qu’en mai 2012, lors de l’arrivée de
François Hollande à l’Élysée.
Dans ces conditions, est-il raisonnable
pour le président en place de croire en ses
chances pour un nouveau mandat en
2017 ? À première vue, la réponse est
incontestablement négative. Un sondage
Ifop du 6 septembre pour Le Figaro et
RTL le dit même perdant dès le premier
tour avec 19 % des suffrages, loin derrière
le candidat de la droite et du centre
– qu’il s’agisse de Nicolas Sarkozy ou
d’Alain Juppé – (25 %) et, surtout, de
Marine Le Pen (27 %). Et pourtant,
l’homme que l’on n’avait pas vu arriver
avant les primaires socialistes de 2011
continue de croire en sa bonne étoile. En
bon mitterrandien, il sait qu’en politique
on n’est jamais mort. La dernière conférence de presse présidentielle du 7 septembre l’a montré : François Hollande ne
renonce pas.
Il continue d’affirmer sa volonté de réformer le pays alors que 2016 sera la dernière année budgétaire utile du quinquennat. Il lance de nouveaux chantiers,
comme les réformes du droit du travail
pour donner davantage de poids aux
accords d’entreprise, ou celle de la dotation globale de fonctionnement aux collectivités locales. Il confirme que le pacte
de responsabilité, avec ses 41 milliards
d’euros d’allégements d’impôts et de cotisations sociales pour les entreprises, sera
mené à son terme. Il annonce une nouvelle loi sur « les opportunités numériques ». Il se pose en gardien de la sécurité de la France en engageant davantage
l’armée de l’air en Syrie.
Mais lui reste-t-il vraiment une chance
d’inverser les pronostics sur sa future
non-réélection ?
L’exercice paraît difficile mais pas complètement impossible. Pour se trouver en
situation de l’emporter à nouveau, il
devra réunir deux conditions. La première sera une amélioration significative
de la conjoncture économique avec des
résultats très concrets pour les Français,
sur le front du chômage notamment. La
seconde, tout aussi essentielle, sera de
rassembler non seulement tout le parti
socialiste derrière lui mais, au-delà, la
famille de la gauche plus généralement.
Et, quand on voit l’état de décrépitude
actuelle des différentes composantes de
cette gauche, ce n’est vraiment pas gagné.
PREMIER IMPÉRATIF :
UNE FORTE DÉCRUE
DU CHÔMAGE
François Hollande va-t-il pouvoir compter sur des vents économiques plus favorables ? Cette année, le PIB devrait progresser d’un petit 1 % . Pour 2016, le projet
de loi de finances est bâti sur une hypothèse de 1,5 % de croissance. C’est un peu
juste pour faire spontanément reculer le
chômage du fait de l’augmentation
« naturelle » de la population active qui
dépasse les 100 000 personnes par an. Du
coup, le budget 2016 du ministère du Travail devrait prévoir le financement d’environ 550 000 contrats aidés, soit un
niveau équivalent à celui de 2015.
Mais il existe des scénarios plus optimistes, peut-être même un peu trop,
comme celui de l’Observatoire français
des conjonctures économiques (OFCE).
Pour cet organisme rattaché à Sciences
Po Paris, 2016 sera la vraie année de la
reprise avec une croissance de… 2,1 %,
une hausse de l’investissement productif
de 4 % et la création de près de 220 0 00
postes dans le secteur marchand permettant une nouvelle diminution du nombre
des chômeurs, de 70 000. Le taux de chômage redescendrait à 9,5 % , contre 10 % à
la fin du deuxième trimestre de 2015.
Dans un tel contexte porteur, le déficit
public baisserait significativement pour
s’établir à 3,1 % en 2016. Soit très proche
de l’objectif de 3 % que la France doit
atteindre en 2017. Mais comment l’OFCE
peut-il afficher un tel optimisme ? Selon
ses économistes, tous les éléments sont là
pour favoriser la croissance : la chute des
prix du pétrole, la politique volontariste
de la BCE via l’assouplissement quantitatif
[Quantitative Easing, QE], le ralentissement de la consolidation budgétaire en
France ­– qui a refusé de faire davantage
d’économies budgétaires, contrairement à
ce que souhaiterait la Commission européenne –, la montée en charge du crédit
d’impôt compétitivité emploi (CICE) et la
mise en place du pacte de responsabilité.
En bons keynésiens, les économistes de
l’OFCE estiment que ces facteurs vont
permettre de favoriser la demande et
ainsi de relancer l’économie. Ils considèrent même que « les principaux freins
qui ont pesé sur l’activité française ces
quatre dernières années [austérité budgétaire surcalibrée, euro fort, prix du
pétrole élevé, etc.] devraient être levés
en 2015 et 2016, libérant ainsi une croissance jusque-là étouffée ».
François Hollande croit lui aussi à ce
retour au « bon alignement des planètes ».
Certes, mais cette embellie paraît encore
bien fragile. Ainsi, les prix du pétrole vontils continuer durablement à rester sous les
100 dollars ? Et on attend encore les bénéfices du QE pour l’économie réelle. Sans
parler du ralentissement de l’économie
chinoise et des prévisions à la baisse du
FMI sur la croissance mondiale.
Sur le plan économique, ce n’est donc
pas gagné d’avance, même si le président
affiche un certain volontarisme et qu’il
croit dur comme fer dans la réussite de
son pacte de responsabilité qui va
prendre sa vitesse de croisière en 2016,
avec le passage à 9 % du Crédit d’impôt
compétitivité emploi (CICE), un nouvel
allégement sur les cotisations familiales
des entreprises et la suppression de la
contribution exceptionnelle à l’impôt sur
les sociétés acquittées par les entreprises réalisant plus de 250 millions de
chiffres d’affaires.
À cet égard, un ministre qui connaît très
bien Fra nçois Holla nde, sa lue la
démarche : « Avec cette diminution des pré-
I 5
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
lèvements sur les entreprises, ajoutée à la
baisse de l’impôt pesant sur les ménages qui
va gommer l’impression du coup de massue
fiscal du début du quinquennat et la réforme
du Code du travail, François Hollande veut
couper l’herbe sous le pied du futur candidat
de l’opposition qui ne pourra pas exploiter
ces thèmes. En plus il séduit une partie de
l’électorat centriste ».
DEUXIÈME IMPÉRATIF :
SE TROUVER
EN « SITUATION POLITIQUE »
De fait, la situation politique qui prédominera à un an du scrutin constitue la
seconde condition pour que François
Hollande puisse avoir une chance de se
représenter en 2017. Et là, il y a du travail,
tant la gauche est dans un état d’émiettement total. François Hollande ne fait
même plus l’unanimité au sein du Parti
socialiste. Son aile gauche, menée notamment par Emmanuel Maurel et l’ancien
ministre Benoît Hamon, revendique de
plus en plus ouvertement l’organisation
d’une primaire à gauche, comme le prévoient d’ailleurs les statuts du PS. Les
« frondeurs », réunis derrière le député
Christian Paul, bien
que plus discrets
depuis le congrès
socialiste en juin, à
P o it ie r s , o ù i l s
av a ient por té la
« motion B », ne
décolèrent pas face
au virage social-libéce serait le taux de chômage
en 2016, au lieu de 10 %
ral entrepris par
au deuxième trimestre 2015,
M a nuel Va l ls e t
selon les estimations
amplifié avec l’arride l’Observatoire français
vée d’ E m m a nuel
des conjonctures économiques.
Macron au gouvernement. Et ce n’est
pas le prochain projet de loi sur la réforme du Code du travail qui va calmer les esprits, même si le
président de la République a décidé de ne
pas toucher à la durée légale du travail de
35 heures, un « marqueur » de gauche.
Après la publication du rapport Combrexelle tendant à valoriser les accords de
branche et d’entreprise au détriment de
la loi, les « frondeurs » ont immédiatement réagi dans un communiqué, estimant que « l’application du rapport Combrexelle restreindrait la législation à quelques
grands principes “d’ordre public social”, et
réduirait à néant la clause la plus favorable
qui s’applique au salarié et l’universalité des
droits. La situation du monde syndical, le
rapport de forces entre salariés et patronat,
ne permettront pas d’imposer, en particulier
dans les entreprises les plus petites, les choix
le s plu s favorable s au x salar ié s ».
Ambiance ! Sans parler du trublion
9,5 %
Arnaud Montebourg, qui n’a pas totalement renoncé à peser sur le débat et qui
s’affiche en public avec l’ancien ministre
grec de l’Économie, Yanis Varoufakis !
François Hollande n’a plus qu’à espérer
que l’instinct de survie du PS le poussera
à se réunir derrière lui à l’approche de
l’échéance capitale de 2017.
Mais un autre danger guette François
Hollande, il a pour nom Cécile Duflot,
l’ex-leader d’Europe-Écologie-Les Verts.
Depuis qu’elle a claqué la porte du gouvernement, la députée de Paris n’a de
cesse de dénoncer la ligne sociale-libérale de Manuel Valls. Elle a même tenté
un flirt avec le Parti de gauche de JeanLuc Mélenchon… qui a tourné court. Il
n’empêche, et la sortie récente de son
dernier livre Le Grand virage (Éditions
Les Petits Matins) – véritable programme
– l’atteste, Cécile Duf lot se réserve la
possibilité de se présenter à la présidentielle de 2017. De quoi grignoter quelques
voix supplémentaires à François Hollande alors que le ticket pour le second
tour va être très cher. Le président s’en
inquiète. Il va tout faire pour marginaliser son ancienne ministre du Logement,
afin qu’elle ne puisse se trouver en situation. Il surveille donc de très près les
initiatives des deux dissidents écolos,
Jean-Vincent Placé et François de Rugy,
– ils viennent de créer une nouvelle formation politique, « Écologistes ! » –nettement plus ouverts à une collaboration
avec les socialistes, voire même tout à
fait disposés à intégrer le gouvernement.
Mais, pour ce faire, ils devront sans
doute attendre le lendemain des élections régionales des 6 et 13 décembre,
quand François Hollande va procéder à
un vaste remaniement pour préparer le
dernier sprint. Objectif : ratisser large,
non seulement au sein du PS, bien sûr,
mais surtout au-delà… Et les écologistes
volontaires seront les bienvenus.
En attendant, ces élections régionales
s’annoncent très périlleuses pour la
gauche, qui détient actuellement 20
des 22 régions métropolitaines (en
incluant la Corse). Sur les 13 nouvelles
« super-régions », elle espère pouvoir
en conserver trois ou quatre : Aquitaine-Limousin/Poitou-Charentes,
Languedoc-Roussillon/Midi-Pyrénées Bretagne et surtout Île-deFrance. Mais c’est loin d’être fait.
TROISIÈME IMPÉRATIF :
QUE NICOLAS SARKOZY
SOIT CANDIDAT
Reste aussi pour François Hollande à connaître le nom de son
principal opposant à droite. Il
faudra pour cela attendre les
Cote de confiance
SOURCE: BAROMÈTRE TNS SOFRES / FIGARO-MAGAZINE
100
PAS CONFIANCE
80
60
40
CONFIANCE
20
0
juin 2012
2013
2014
2015
sept. 2015
résultats, à l’automne 2016, de la primaire du centre et de la droite. François
Hollande rêve de rééditer le scénario de
2012 et de retrouver Nicolas Sarkozy
face à lui. L’ancien président de la République est tellement « clivant » que l’actuel locataire de l’Élysée pense alors
pouvoir l’emporter sur son rival en
mobilisant l’électorat de gauche jusqu’ici
tenté par l’abstention par dépit mais, in
fine, effrayé par un éventuel retour de
Nicolas Sarkozy.
Surtout, il compte alors sur une candidature de François Bayrou (MoDem) pour
priver l’ancien chef de l’État des suffrages
nécessaires pour accéder au second tour.
François Hollande se retrouverait alors
face à Marine Le Pen (Front National)… le scénario rêvé pour lui.
En revanche, si Alain Juppé
sort grand vainqueur de
la primaire de l’opposition,
la situation va être nettement plus difficile pour
François Hollande. L’ancien Premier ministre de
Jacques Chirac séduit
n on s e u le m e nt a u
centre mais y compris
cer tains électeurs de
gauche.
Il a su en grande partie gommer son
image d’homme raide « droit dans ses
bottes » et cultive volontiers un côté
« vieux sage » modéré, notamment sur
les sujets sociétaux. De plus, le maire de
Bordeaux a eu l’habileté de déclarer très
tôt qu’il n’effectuerait qu’un seul mandat de cinq ans, le temps de lancer les
quelques grandes réformes qu’il estime
nécessaires.
Pour François Hollande, le scénario
Juppé est certainement le plus noir. Il
va donc tout faire d’ici la primaire de
l’opposition, dans un an, pour que Nicolas Sarkozy apparaisse comme son meilleur ennemi. ■
La martingale
rêvée de François
Hollande pour
2017 : un destin
à la mode
« Chirac 2002 »,
lorsque l’ancien
président s’est
trouvé au second
tour face
au candidat
du Front national,
et a ainsi
remporté
l’élection avec
82,21 %
des suffrages.
© REGIS DUVIGNAU /
REUTERS
6 I
L’ÉVÉNEMENT
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
DÉFIS
François Hollande
peut-il encore réussir…
« Le changement c’est maintenant ! » Que reste-t-il de la promesse de 2012 ? Si le jugement
des Français à l’égard de François Hollande reste sévère, à vingt mois de la prochaine
élection présidentielle du printemps 2017, la cote du président de la République semble
s’être stabilisée, à un étiage bas. Alors que la croissance redémarre timidement, François Hollande peut-il espérer capitaliser sur ses réformes dont il a tenu fermement le
1D
cap, contre une partie de sa majorité ? Une course-poursuite est engagée, dont le juge
de paix sera, le chef de l’État l’a lui-même énoncé, la baisse du chômage dans le courant
de l’année 2016. Croissance, emploi, compétitivité, impôts, économie numérique,
politique du logement, défense et Europe : sur tous ces sujets, François Hollande peutil encore réussir à convaincre que ses choix ont été les bons ?
... à relancer l’économie française ?
epuis 2012, le chef de l’État
attend désespérément le
retour de la croissance. La
reprise interviendra-t-elle
avant la fin du quinquennat ?
C’est son vœu le plus cher, car, sans croissance, toute baisse du nombre de demandeurs d’emploi est exclue. Sachant que la
baisse du chômage conditionne son avenir
politique – du moins en 2017 – François
Hollande a le regard vissé sur les prévisions de croissance réalisées par l’Insee.
Pour l’instant, ses espoirs ont été déçus.
Très largement. Depuis son élection à la
tête de l’État, l’économie française est en
panne. Après avoir promis, comme la plupart de ses concurrents, que sa politique
Évolution du PIB
2,5
2,0
1,5
1,0
0,5
0,0
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
économique rendrait automatique le retour
de la croissance lors de la campagne électorale, le président de la République a dû
se rendre à l’évidence : les effets de la crise
de 2008-2009, qui fut la plus grave subie
par la France depuis la fin de la seconde
guerre mondiale, n’étaient pas effacés en
2012. Ils ne le sont toujours pas d’ailleurs,
en témoigne le niveau toujours très élevé
des défaillances d’entreprises. Selon la
Banque de France, 63 200 entreprises
étaient en difficulté fin juin et sur les
douze derniers mois cumulés. C’est-à-dire
qu’elles étaient soit en redressement judiciaire, soit en liquidation judiciaire, soit en
procédure de sauvegarde. Si le rythme des
défaillances se poursuit, le record observé
en 2014 pourrait être battu. L’année dernière, la Banque de France avait recensé
63 400 défaillances d’entreprises.
Cette erreur de diagnostic, qui a considérablement nui à la crédibilité de la stratégie
économique de l’exécutif, les Français ne
l’ont pas vraiment pardonnée. Ce n’est peutêtre pas le plus grave. Admise un an après
son élection, cette évaluation erronée de
l’état de santé de la France a conduit le gouvernement à faire des erreurs importantes
de politique économique. La plus grave fut
probablement d’avoir augmenté de plus de
31 milliards d’euros le montant des prélèvements obligatoires pesant sur les entreprises
dès la première année du quinquennat. Les
effets sur un tissu de PME exsangues après
la crise ont été d’autant plus dévastateurs que
les entreprises étaient alors confrontées à un
ralentissement très net de la conjoncture
nationale. La France ne comptant que
120 000 entreprises internationalisées, trois
fois moins que l’Allemagne, il était exclu que
l’exportation soit une planche de salut.
AUCUNE PRISE SUR
LES FACTEURS EXOGÈNES
Résultat, après avoir stagné en 2012, le PIB
n’a augmenté que de 0,7 % en 2013 puis de
0,2 % en 2014. À moins d’une mauvaise surprise, le 1 % de croissance visé par le gouvernement devrait être atteint, ce qui permet au gouvernement d’estimer qu’une
reprise est en cours. En revanche, compte
tenu des incertitudes pesant sur l’économie
mondiale, les prévisions de croissance formulées pour 2016 et 2017 pourraient
paraître optimistes. Certes, le ministère des
Finances a révisé à la baisse ses objectifs et
ne table plus que sur une hausse du PIB de
1,5 % en 2016 et en 2017, après avoir initialement visé des progressions de 1,7 % et de
1,9 % . Mais après la panne de croissance
observée au deuxième trimestre, la reprise
semble fragile car elle ne repose que sur des
facteurs exogènes sur lesquels, par définition, le gouvernement n’a aucune prise.
C’est d’ailleurs cette « dépendance » à ces
éléments conjoncturels qui est probablement
la plus grave. François Hollande et son gouvernement n’ont pas réussi à modifier le
modèle de croissance tricolore. Essentiellement alimentée par la baisse des prix de
l’énergie, entamée au début du second
semestre 2014, la consommation des
ménages est le seul moteur encore un peu
vaillant de la croissance. Selon les calculs de
... à la rendre plus compétitive ?
L
e début du quinquennat fut chaotique. Confronté à la colère des
chefs d’entreprise déclenchée par
l’augmentation de la pression fiscale prévue par le projet de loi de
finances 2013, symbolisée par le mouvement
des « Pigeons », l’exécutif n’a eu de cesse de
donner des gages aux chefs d’entreprise pour
regagner leur confiance. Une confiance sans
laquelle le retour de la croissance semble utopique. Comment ? En répondant à l’une de
leurs principales revendications : abaisser un
coût du travail jugé trop élevé pour lutter à
armes égales face à la concurrence et permettre ainsi le redressement de la compétitivité-prix du made in France.
Selon les données d’Eurostat compilées par
COE-Rexecode, en 2000, le coût du travail
horaire s’élevait à 24,42 euros en France dans
l’industrie et les services marchands et à
26,34 euros en Allemagne. En 2004, il est passé
à 28,67 euros en France et a reculé à 27,76 euros
en Allemagne grâce aux efforts de modération
salariale réclamés aux salariés allemands dès
2003. Depuis, le coût du travail horaire en
France a toujours dépassé celui observé en Allemagne renforçant la compétitivité-prix des
produits allemands, produits qui bénéficiaient
déjà depuis longtemps d’une compétitivité hors
prix redoutable.
LE TAUX DE MARGE
ENFIN REMONTÉ
Les grandes manœuvres ont alors démarré. Dès
novembre 2012, à la suite de la présentation du
rapport Gallois, le « pacte de compétitivité »
introduisait le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Il est entré en vigueur
en 2014. Après des débuts chaotiques, il monte
en puissance au point que Bercy estime à
900 millions d’euros le surcoût de cette dépense
fiscale en 2015. Au total, 17,4 milliards d’euros
devraient être versés au titre du CICE cette
année, soit un niveau assez proche du montant
prévu par le ministère des Finances en « rythme
de croisière ». Ces mesures ont produit leurs
effets. À la fin 2014, le coût du travail s’élevait à
37,10 euros en France dans l’industrie manufacturière, contre 38,43 euros outre-Rhin. Le taux
de marge est enfin remonté. Après avoir touché
un plancher inédit en 2014, à 29,7 % de la valeur
ajoutée, il atteindrait en moyenne 31,2 % en 2015
selon les prévisions de l’Insee, grâce également
aux allégements de cotisations familiales programmés par le Pacte de responsabilité, entrés
en vigueur le 1er janvier 2015. À titre de comparaison, avant la crise de 2008-2009, le taux de
marge des entreprises s’élevait en moyenne à
32,7 % entre 1988 et 2007. L’exécutif n’en est pas
resté là. À ces mesures fiscales et sociales, le
« pacte de responsabilité » prévoit également
une suppression en 2016 de la contribution
exceptionnelle à l’IS acquitté par les entreprises
réalisant plus de 250 millions d’euros, dont le
COE-Rexecode, la chute des cours du brut
allégerait de 16 milliards d’euros la facture
des importations énergétiques, ce qui représente 0,5 point d’inflation en moins pour les
ménages et près de 8 milliards de marges
pour les entreprises sur l’année 2015.
Malgré un accès facile au crédit, que permet
la politique monétaire volontariste de la
Banque centrale européenne, et le dispositif
de suramortissement lancé en avril, la
reprise de l’investissement est très poussive.
C’est notamment le cas dans l’industrie
manufacturière, contrainte par la quasi-atonie de la demande. Quant au commerce extérieur, on l’a vu, la faiblesse des forces en présence empêche le made in France de décoller
enfin. Le déficit commercial devrait se maintenir à des sommets et avoisiner les 60 milliards d’euros cette année en dépit de la
dépréciation de l’euro face au dollar qui augmente la compétitivité-prix du made in
France hors de la zone euro. Faut-il rappeler
que la balance commerciale de la France n’a
pas été excédentaire depuis… 2003 ?
Dans ce contexte incertain, il ne faudrait pas
que les prix des matières premières, et
notamment du pétrole brut, remontent, que
l’euro s’apprécie face au dollar ou que les taux
d’intérêt décollent. Si tel était le cas, les
espoirs d’une reprise seraient douchés. L’hypothèse de croissance du gouvernement
fixée à 1,5 % serait alors menacée et le retournement de la courbe du chômage, prévu en
2016, resterait dans les limbes. Certains économistes ont d’ores et déjà remis en cause la
prévision du gouvernement. Ainsi, chez Moody’s, c’est une progression de 1,2 % du PIB qui
est attendue en 2016.■ FABIEN PILIU
taux était passé de 5 % à 10,7 % en 2013, mais
aussi de la C3S en 2017. La loi pour la croissance
et l’activité dite loi Macron I est également venue
à la rescousse des chefs d’entreprise. Ils peuvent
profiter depuis avril – et ce pendant un an - du
suramortissement de l’investissement.
Parallèlement aux mesures visant à restaurer la
compétitivité-prix des produits français, le gouvernement s’est aussi attelé au redressement de
la compétitivité hors prix en multipliant les
mesures en faveur de l’innovation. En dépit des
nombreuses critiques de la part du Parlement,
le crédit impôt-recherche, qui fut jusqu’à la création du CICE la principale dépense fiscale de
l’État, a été sanctuarisé par le pacte de compétitivité. Le statut de « jeune entreprise innovante » a été rétabli, le crédit d’impôt-innovation a été lancé et la phase 3 des pôles de
compétitivité, qui vise à concentrer leur action
vers les produits et services à industrialiser, a
été engagée.
Pour quels résultats ? Pour l’instant, la reprise,
essentiellement portée par la baisse des cours
du brut, est trop fragile pour conclure à l’efficacité des mesures gouvernementales. Malheureusement pour l’exécutif qui, d’un point
de vue électoral, pourrait ne pas tirer profit
F. P.
de ses efforts. ■ 2
I 7
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
3
F
… à inverser la courbe
du chômage ?
rançois Hollande ne cesse de le
marteler : si la courbe du chômage ne s’inverse pas durablement en 2016, il ne se représentera pas pour un second mandat
en 2017. Des déclarations audacieuses, si l’on
se réfère aux désolantes publications du
ministère du Travail sur le nombre des
demandeurs d’emploi. Inlassablement,
depuis mai 2012, il augmente : il y a près de
700 000 chômeurs supplémentaires inscrits
en catégorie « A » depuis l’arrivée de François Hollande à l’Élysée. Ils sont très exactement 3 551 600 dans ce cas à la fin juillet. Et,
sur un total de trente-huit mois de mandat
(en se plaçant en juillet dernier, dernières
statistiques connues), il y a eu seulement cinq
mois où le nombre des demandeurs d’emploi
s’est stabilisé, voire a légèrement baissé.
Pourtant, le président de la République
semble faire preuve d’un certain optimisme
pour l’année prochaine. À tort ou à raison ?
À noter, d’abord, que la très sourcilleuse
Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), affiche elle
aussi un léger optimiste pour la France et ce
dès la fin de 2015. Selon l’organisation internationale, le taux de chômage en France
pourrait redescendre à 10 % à la fin de l’année
après avoir atteint un pic de 10,2 % à la fin du
premier semestre. L’Insee également, vient
de noter que la France avait créé
23 800 postes dans le secteur marchand au
deuxième trimestre – quasi essentiellement
grâce à l’intérim –, alors qu’elle en avait
encore perdu 7 100 au premier trimestre. Des
données qui remontent le moral du gouvernement et qui lui permettent d’espérer pour
les mois à venir un frémissement sur l’inversion de la courbe du chômage. Bien entendu,
encore une fois, tout va dépendre de la croissance. Or, si l’année avait bien commencé
avec une progression du PIB de 0,7 % au premier trimestre, la tendance s’est dégradée au
deuxième avec une croissance nulle. Sur
l’ensemble de 2015, le gouvernement table sur
un petit 1 % de croissance…
Un peu juste pour faire reculer le chômage.
D’autant plus que le niveau de production
industrielle en France reste encore inférieur
à celui qui était le sien en 2008. Et, surtout,
il reste des énormes réserves de productivité
dans les entreprises. Concrètement, celles-ci
n’auront pas besoin dans un premier temps
d’embaucher pour faire face, si elle se
confirme, à une reprise des carnets de commandes. L’Observatoire français des
conjonctures économiques (OFCE) estime
qu’il y a un sureffectif dans les entreprises
d’environ 150 000 salariés.
En revanche, pour 2016, la prévision gouvernementale est basée sur une progression du
PIB de 1,5 % . Suffisante pour parvenir à
inverser la courbe du chômage, malgré un
accroissement « naturel » de la population
active d’environ 120 000 personnes. Mais
encore faudra-t-il que cette prévision soit
tenue et qu’aucun « accident » économique
ou financier ne vienne gripper le redémarrage de la machine. Et pas de miracle en
perspective : la décrue sera lente. En tout
état de cause, lors de l’élection présidentielle
du printemps 2017, le nombre des demandeurs d’emploi sera encore supérieur à ce
qu’il était lors de l’arrivée de François Hollande à l’Élysée cinq ans plus tôt.
« RASSURER »
LES ENTREPRISES
Le gouvernement se veut d’autant plus
volontariste qu’il estime mettre le paquet
sur les politiques de l’emploi. Ainsi, dans le
budget 2016, seront comptés environ
500 000 contrats aidés, soit le même niveau
qu’en 2015. Ensuite, le gouvernement n’en
finit plus de vouloir redonner confiance aux
entreprises. Ainsi, il a assuré aux organisations patronales que rien ne viendrait
remettre en cause le pacte de responsabilité.
Le taux du Crédit d’impôt compétitivité
emploi (CICE) montera à 9 % (contre 6 % en
2015) l’année prochaine. Et François Hollande a confirmé que, dès 2017, ce CICE
serait transformé en baisses pérennes de
cotisations sociales patronales. Les dispositions de la loi Macron sur la croissance et
celles de la loi Rebsamen sur le dialogue
social sont aussi là pour « rassurer » les
entreprises : les conséquences du passage
des seuils sociaux sont allégées – par
exemple les entreprises entre 50 et 300 salariés peuvent opter pour la « délégation
unique du personnel » –, la signature d’accords de maintien de l’emploi est facilitée,
la procédure prud’homale est sécurisée
(même si l’on attend encore le nouveau dispositif de plafonnement des indemnités, le
mécanisme initial ayant été censuré par le
Conseil constitutionnel), etc. Sans oublier
les suites du rapport Combrexelle, avec le
dépôt d’un projet de loi sur la réforme de la
négociation collective début 2016. Autant
de « messages » adressés aux employeurs.
Mais, in fine, ils ne pèsent pas grand-chose
face aux réalités économiques. C’est le carnet de commandes des entreprises qui
déterminera si le chômage peut baisser, ou
JEAN-CHRISTOPHE CHANUT
pas. ■ Demandeurs d’emploi inscrits
en fin de mois à Pôle emploi
(Catégories A et A, B, C (cvs-cjo en milliers)
6000
France, catégories A, B, C
5500
5000
4500
France métropolitaine, catégories A, B, C
4000
3500
France métropolitaine, catégorie A
3000
2500
juil. 15
janv. 15
juil. 14
janv. 14
juil. 13
janv. 13
juil. 12
janv. 12
juil. 11
2000
La « réforme
Piketty »,
du nom de son
concepteur,
Thomas Piketty
(photo),
voulue par tant
de socialistes,
tient du mythe :
sa fusion
de l’impôt sur
le revenu et de
la CSG, passant
par une taxation
des riches encore
plus forte
qu’aujourd’hui,
est difficilement
imaginable.
© CHARLES PLATIAU /
REUTERS
… à réformer
la fiscalité en la
rendant plus juste ?
F
rançois Hollande a-t-il échoué
dans le domaine fiscal ? Pour la
plupart des commentateurs et
des Français, la question ne se
pose même pas. Le bilan Hollande tient du fiasco, avec un sentiment
de « ras-le-bol fiscal » quasi unanime.
Ironie du sort, même les électeurs de
gauche favorables à un impôt sur le
revenu très progressif – et aux hausses
d’impôts sur les riches, qui ont été effectivement votées –, se montrent critiques :
Hollande n’a pas eu le courage de mettre
en œuvre la grande réforme de l’impôt,
celle préconisée par Thomas Piketty,
disent-ils.
Bref, le jugement est sans appel, partagé
y compris par ceux qui n’ont pas été touchés par les hausses d’impôt sur le revenu
décidées depuis 2012. Il faut dire que
l’idée a été popularisée d’une hausse massive de cet impôt décidée par le pouvoir
socialiste et visant tous les contribuables.
L’AFP écrit ainsi : « Vingt août 2013 : les
Français rentrent à peine de vacances et
trouvent dans leurs boîtes aux lettres les avis
d’imposition concrétisant les très fortes augmentations annoncées un an plus tôt. »
4
UNE POTION AMÈRE
ATTRIBUÉE À HOLLANDE
La réalité est un peu moins… brutale. Ce
qui a été décidé pour application en 2013,
c’est l’instauration d’une nouvelle tranche
d’impôt à 45 % – touchant une minorité de
riches –, le plafonnement du quotient
familial à 2 0 00 euros par demi-part au
lieu de 2 360 euros, l’imposition au barème
des revenus du patrimoine – sans que cela
ne concerne le placement favori des Français, l’assurance-vie – et la taxation des
heures supplémentaires, exonérées depuis
2008. Autant dire que tout le monde n’a
pas été visé. Les mesures concernant les
familles – plafonnement du quotient
familial –, qui ont fait couler beaucoup
d’encre, ont concerné 15 % des contribuables…
Le problème, c’est que ces hausses se sont
ajoutées à celles décidées sous l’autorité
de Nicolas Sarkozy, dont l’application
avait été pour partie décalée dans le
temps, avec une entrée en vigueur post2012 : imposition majorée pour les veuves
et veufs, désindexation du barème, diminution du crédit d’impôt pour travaux
d’isolation, taxation plus lourde l’année
du mariage ou du divorce… Bien évidemment, les contribuables n’ont pas fait le
détail, et ont attribué cette potion amère
au pouvoir socialiste. Pourtant, sur les
18 milliards d’euros de hausse d’impôt sur
le revenu intervenue depuis 2011, près de
la moitié est imputable à Nicolas Sarkozy… En outre, pour aggraver son cas, le
gouvernement socialiste, qui avait pourtant décrété la pause fiscale à l’été 2013,
a continué à augmenter l’impôt sur le
revenu en 2014 (quotient familial, imposition des majorations de pensions et de
la contribution des employeurs à la complémentaire santé).
UN IMPÔT SUR LE REVENU
RÉNOVÉ ET ÉLARGI
Quel est l’effet global de ces mesures sur
notre système fiscal ? Taxant les riches,
diminuant l’imposition de la classe
moyenne « inférieure », à travers deux
baisses de l’impôt sur le revenu (dont celle
qu’il vient d’annoncer pour 2016) – qui
aboutissent à ramener à 46 % la proportion des foyers imposables –, François
Hollande a encore accru la progressivité
de notre fiscalité. Les salariés dans une
moyenne basse, qui avaient subi la retaxation des heures supplémentaires, verront
cette ponction effacée par les nouvelles
mesures Hollande. Mais les foyers appartenant aux 10 % les plus aisés, au-delà de
80 0 00 euros de revenus par an, qui ont
vu leur taxation accrue de 20 à 30 % selon
le fiscaliste Michel Taly, n’auront, eux,
droit à rien.
Notre système est devenu le plus progressif d’Europe, après la Belgique et la Suède,
si l’on prend en compte l’ensemble des
prélèvements sur les salariés, selon les
calculs de l’économiste Henri Sterdyniak
(OFCE). Si la réforme Piketty, voulue par
tant de socialistes, tient du mythe – sa
fusion de l’impôt sur le revenu et de la
CSG passe par une taxation des riches
encore plus forte qu’aujourd’hui, difficilement imaginable –, François Hollande
a remodelé l’impôt sur le revenu conformément aux préceptes traditionnels de la
gauche, en alourdissant la charge des plus
aisés. Il ne s’est pas livré en revanche à
une opération de clarification fiscale : la
logique économique voudrait que les cotisations sociales maladie et famille, qui
financent des prestations universelles,
soient à la charge de l’ensemble de la
population, à travers un impôt sur le
revenu rénové et élargi. À l’image de ce
qui se fait dans les pays nordiques. Cette
clarification attendra. ■ IVAN BEST
8 I
L’ÉVÉNEMENT
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
IMMOBILIER
L’encadrement des loyers,
une promesse tenue ?
Entré en vigueur à Paris le premier août,
l’encadrement des loyers pourrait permettre
de redonner du pouvoir d’achat à certaines
catégories de ménages.
C
’
était dans l’engagement
numéro 22 de François
Hollande durant sa campagne : « Dans les zones
où les prix sont excessifs, je
proposerai d’encadrer par
la loi les montants des loyers lors de la première
location ou à la relocation. » Plus de trois ans
après l’élection du candidat socialiste à la
fonction suprême, l’encadrement des loyers
est enfin entré en application le 1er août 2015,
mais à Paris seulement. Concrètement, la
loi Alur promulguée le 24 mars 2014 prévoit
qu’à la signature d’un nouveau bail ou lors
d’un renouvellement, le loyer d’un logement
ne puisse dépasser de 20 % un loyer de référence fixé par arrêté préfectoral, ni lui être
inférieur de 30 %.
Pour déterminer le niveau des loyers de
référence dans la capitale, les pouvoirs
publics se sont appuyés sur les données
représentatives produites par l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (Olap). Ces loyers de référence correspondent en fait à des loyers médians qui
prennent en compte quatre éléments : le
type de location (nue ou meublée), le
nombre de pièces, l’époque de construction
et le secteur géographique. Concernant
Paris, l’Olap a divisé la capitale en 80 quar-
tiers et 14 secteurs aux niveaux de loyers
homogènes.
S’il est encore trop tôt pour analyser les
effets d’une telle mesure, il y a cependant
fort à parier – au regard du niveau des différents plafonds disponibles sur le site de la
préfecture d’Ile-de-France – qu’elle aura un
effet significatif sur les locations de petites
surfaces. Ce qui correspondrait du reste à
l’objectif du gouvernement de redonner du
pouvoir d’achat aux étudiants et aux jeunes
actifs fraîchement diplômés.
CHAMP D’APPLICATION LIMITÉ
PAR DES INCERTITUDES
Mais pour en être certain, il faudra juger à
la lumière des faits, car certaines ambiguïtés
introduites dans le dispositif pourraient
faire changer la donne. Notamment la possibilité donnée aux propriétaires bailleurs
d’appliquer un complément de loyer pour
dépasser les plafonds. Celle-ci est très mal
définie. La loi prévoit concrètement d’appliquer un complément de loyer aux logements
présentant des qualités particulières (de
localisation ou de confort) par rapport aux
logements de la même catégorie situés dans
le même secteur géographique. Mais sans
La loi Alur
promulguée
le 24 mars 2014
prévoit qu’à
la signature
d’un nouveau bail
ou lors d’un
renouvellement,
le loyer
d’un logement ne
puisse dépasser
de 20 % un loyer
de référence
fixé par arrêté
préfectoral,
ni lui être
inférieur de 30 %.
© AFP
plus de précisions. Ce qui pourrait ouvrir la
porte à quelques abus.
Du reste, chaque incertitude donnera des
arguments supplémentaires aux professionnels de l’immobilier pour faire limiter
le champ d’application de la réforme. Eux
qui ont déjà obtenu de restreindre le périmètre de la loi à Paris intramuros dans un
premier temps.
Les professionnels du secteur voient dans
cette loi une remise en cause des libertés des
propriétaires bailleurs. Pour convaincre les
dirigeants politiques, ils avancent le risque
de réduction de l’offre de location de la part
de propriétaires mécontents qui retireraient
leurs biens du marché, et ne les entretiendraient plus. Ils définissent ainsi la loi sur
l’encadrement des loyers comme un nonsens économique, révélatrice d’une absence
de pragmatisme, et anéantissant la confiance
sur un marché en crise. Dont acte.
Pourtant, l’encadrement des loyers peut
potentiellement avoir des effets très favorables sur l’économie française, si l’on part
du principe qu’il réduira le coût pour se loger
de certains ménages locataires. Car la forte
croissance des prix de l’immobilier a souvent
été désignée comme l’une des causes des
maux de l’économie française, voire de sa
perte de compétitivité. Que ce soit à cause
de la pression sur les salaires nominaux qui
en découle, de l’éloignement des salariés de
leur lieu de travail, ou même de l’impossibilité pour les ménages de dégager des marges
de manœuvre financières pour consommer
ou épargner autre chose que de l’immobilier.
Autant de leviers qui ne sont pas à négliger
MATHIAS THEPOT
en période de crise. ■
5
POLITIQUE MILITAIRE
François Hollande, chef de guerre inattendu
Ces trois dernières années, le président a engagé l’armée française dans des opérations extérieures très
exigeantes. Avec succès. Et cette réussite, il la doit en grande partie à un homme, Jean-Yves Le Drian.
S
i l’on devait retenir une seule
image symbolisant la réussite de
François Hollande dans le
domaine de la défense, c’est bien
son incroyable bain de foule
dans les rues de Tombouctou,
une des villes maliennes libérées par l’armée
française en février 2013 face à des islamistes
radicaux tout près de dicter leur loi à l’État
malien alors en perdition. Car, incontestablement, François Hollande, depuis son arrivée
à l’Élysée, s’est mué en chef de guerre implacable en lançant l’armée française, alors à
bout de nerfs, dans des opérations extérieures
très exigeantes. Avec succès, que ce soit au
Mali (opérations Serval, puis Barkhane), en
Centrafrique (Sangaris) ou en Irak (Chammal) et maintenant en Syrie, où il a annoncé
de prochaines frappes contre Daesh.
Cette réussite, il la doit en grande partie à un
homme, Jean-Yves Le Drian, « le meilleur
ministre de la Défense depuis très, très longtemps », résume un PDG d’une entreprise de
défense. « C’est un ministre qui a des qualités
humaines, d’écoute et d’empathie hors norme,
explique le PDG de Thales, Patrice Caine. Du
coup, ses interlocuteurs l’écoutent et surtout
croient ce qu’il promet. » Grâce à ces qualités
6
« il a réussi à mobiliser de façon exceptionnelle
“l’équipe de France de défense” sur le budget, la
coopération industrielle et l’exportation », précise
le PDG de MBDA, Antoine Bouvier.
Bien sûr, tout n’a pas été parfait. Loin de
là, notamment dans la préparation de la loi
de programmation militaire 2014-2019.
François Hollande a été tenté, sous la pression de la conjoncture, de faire des économies à bon compte sur le dos de la défense,
sur les conseils de Bercy, parfois poussé
par Matignon. Mais finalement, la ténacité
de Jean-Yves Le Drian a eu raison de ces
économies de court terme exigées par le
ministère de l’Économie.
À la veille du 14 juillet 2013, François Hollande
a d’ailleurs tranché et rassuré l’armée, très
inquiète sur les coupes budgétaires brutales
qui lui étaient plus ou moins promises. Ce
soir-là, dans la forteresse retranchée de JeanYves Le Drian, le président déclarait dans les
jardins de l’hôtel de Brienne que « les crédits
de la défense seront, à la différence de ceux de la
plupart des ministères, préservés dans leur intégrité. C’est un effort que la nation fait, non pas
pour les armées, mais pour sa propre sécurité ».
Il mettait ainsi fin à une guerre en coulisse
très brutale entre Bercy et Brienne.
Cette déclaration de François Hollande allait
s’avérer malheureusement très visionnaire.
Quelques mois plus tard, l’attentat de Charlie-Hebdo et les menaces de plus en plus
proches des Français réveillaient définitivement les consciences. Et la France se rappelait l’importance des armées pour sa sécurité… D’où la réactualisation de la loi de
programmation militaire (LPM), augmentée
en mai dernier de 3,8 milliards d’euros et
débarrassée de ces encombrantes recettes
exceptionnelles transformées en crédits budgétaires (5,2 milliards). « Jean-Yves le Drian a
renforcé la communauté de défense, estime
Antoine Bouvier. Il a une vraie compréhension
des enjeux industriels. »
« ILS MOUILLENT LEUR
CHEMISE À L’EXPORTATION »
Qu’ils soient de droite ou de gauche, les
industriels ne tarissent pas d’éloges sur l’action et le bilan de Jean-Yves Le Drian. Et
notamment dans un domaine bien particulier,
l’exportation, où le tandem HollandeLe Drian a réussi à exporter déjà deux fois le
Rafale (Égypte et Qatar)… en attendant les
Émirats Arabes Unis et l’Inde. « Ils “font le job”,
ils mouillent leur chemise à l’exportation. Ils nous
aident beaucoup. Ce sont de vrais professionnels »,
souligne le PDG de Safran, Philippe Petitcolin.
D’autant que « chacun reste à sa place », précise-t-il. « Je n’ai jamais vu le ministre négocier
un prix », assure Patrice Caine. « Il a noué des
liens personnels avec les principaux pays partenaires de la France », précise Antoine Bouvier.
Et ça marche. « Après 4,7 milliards d’euros de
prises de commande à l’exportation en 2012, puis
6,9 milliards en 2013 et enfin 8,2 milliards en
2014, nous pourrions dépasser les 15 milliards en
2015 », explique le ministère de la Défense. Ce
qui devrait être un record très difficile, voire
impossible, à battre à l’avenir.
Enfin, Jean-Yves Le Drian a également
influencé la consolidation de l’industrie de
l’armement française. Il a toutefois à son palmarès le rapprochement entre Nexter et
l’allemand Krauss-Maffei Wegmann dans
l’armement terrestre, un vieux serpent de
mer du secteur. Il soutient le projet Fincantieri-DCNS dans les bâtiments de surface.
Mais il lui manque encore une opération
d’envergure structurante, comme une fusion
EADS-BAE Systems. Un objectif aujourd’hui
compliqué… ■
MICHEL CABIROL
I 9
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
SOUTIEN À L’INNOVATION
Dans les prochains mois, pas moins de trois lois (Lemaire, Macron II, Valter) devront favoriser
l’essor de l’économie numérique tout en protégeant les consommateurs, les salariés, et garantir
les droits et libertés de chacun. Le président saura-t-il se montrer à la hauteur des enjeux ?
Dans l’économie numérique,
l’accélération, c’est maintenant !
«
C
’
est une activité
considérable, qui
est encore mal
organisée. On voit
bien qu’il y a
quelque chose à
susciter. » Lors de son interview télévisée du
14 juillet, François Hollande a fait du numérique l’une des priorités de sa fin de mandat.
Ce n’est pas trop tôt, serait-on tenté de dire.
Car le dossier relatif au service UberPop
(interdit par la loi Thévenoud) l’a rappelé
avec force : faute d’anticiper, le personnel
politique subit plus qu’il n’accompagne ce
mouvement de transformation de l’économie
et de la société. Alors que la transition numérique de la France s’accélère depuis 2012, le
gouvernement a attendu le mois de juin dernier pour révéler les contours de sa « stratégie numérique », pilier des lois Lemaire et
Macron II à venir. « Hollande a compris la
nécessité de lever les freins à l’innovation et de
développer cette nouvelle économie, se réjouit
Olivier Mathiot, PDG de Price Minister et
coprésident du groupe de réflexion et de
pression France Digitale. Mais cela arrive trop
tard et la vitesse d’exécution semble trop lente,
inadaptée à l’ampleur des enjeux », regrette-til (lire aussi le point de vue de Jean-David
Chamboredon en page 28).
UNE MAUVAISE IMAGE MAIS
UN BILAN NON NÉGLIGEABLE
Cette opinion est largement partagée dans
l’écosystème numérique français. Faute
d’avoir défini une vision globale dès son
élection, François Hollande donne l’impression de rater le train de la transformation
numérique. La panique autour de la taxe à
75 %, la révolte des « Pigeons » et l’instabi-
lité fiscale n’ont clairement pas aidé… Pourtant, le bilan de l’hôte de l’Élysée est loin
d’être négligeable. En février 2013, le gouvernement a engagé 20 milliards d’euros
dans le Plan France très haut débit
(PFTHD), qui vise à généraliser la fibre
optique sur tout le territoire d’ici à 2022.
Après un bras de fer de plusieurs mois, l’exécutif a également obtenu des quatre opérateurs télécoms qu’ils couvrent en 2G et en
3G les 160 communes et les 2 200 bourgs où
le mobile ne passe pas, d’ici à la mi-2017.
Cet effort dans les réseaux s’accompagne de
moyens inédits pour stimuler l’innovation.
Même des ténors du Medef le reconnaissent :
jamais la France n’a autant soutenu l’entrepreneuriat. D’ennemi de la finance, Hollande
est devenu l’ami des startups… Le président
a même effectué, début 2014, un pèlerinage
dans la Silicon Valley pour inciter les Américains à investir dans les pépites françaises. La
mission French Tech, créée en 2013 pour promouvoir les réussites bleu-blanc-rouge
comme Blablacar, stimule l’entrepreneuriat
dans les 17 villes qui bénéficient de son label.
Côté financement, même si la France manque
encore de business angels et de fonds d’investissement prêts à investir des gros tickets (au
moins 10 millions d’euros), les organismes
publics jouent leur rôle, notamment BPIFrance, créée en 2013, qui prévoit d’investir
environ 8 milliards d’euros d’ici à la fin du
quinquennat. Mais l’essentiel reste encore à
faire pour François Hollande : mettre en place
un cadre législatif adéquat pour permettre à
l’innovation de créer de la valeur, tout en protégeant les citoyens. Pendant deux ans, Hollande n’a cessé de promettre « une grande
loi-cadre » chargée de dépoussiérer la législation en vigueur. À l’origine destiné à Axelle
Lemaire, ce mastodonte sera finalement
scindé en trois lois distinctes.
innovons EnsEmblE
Deuxième volet : la loi Valter, du nom de la
nouvelle secrétaire d’État chargée de la
Réforme de l’État. Engagé sous procédure
d’urgence pour transposer une directive
européenne, ce texte sera présenté le
6 octobre à l’Assemblée nationale et établira
le principe de la gratuité par défaut de la
plupart des documents administratifs en
vue de favoriser leur réutilisation par les
citoyens et les entreprises.
« L’UNE DES MEILLEURES
LÉGISLATIONS AU MONDE » ?
Première étape : redéfinir les « grands
principes » d’Internet. Soumise à
consultation publique pendant un mois
dès le 21 septembre, la loi Lemaire devra
réactualiser la loi Informatique et libertés de 1978 pour renforcer la protection
des données personnelles à l’heure des
mégadonnées. Elle se chargera aussi de
développer l’ouverture des données
publiques (open data) ou encore de
garantir à tous l’accès au numérique,
notamment en établissant un droit à la
connexion minimale pour les personnes
en difficultés. Cette loi arrivera devant
le Parlement en janvier 2016.
AVEC
Le ministre
de l’Économie
Emmanuel Macron
et la secrétaire
d’État chargée
du numérique,
Clotilde Valter,
sont les deux
principaux acteurs
de la politique
de soutien
à l’économie
numérique.
© AFP PHOTO /
ALAIN JOCARD
Enfin, le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, entrera dans le dur dès le
premier semestre 2016 avec sa loi
Macron II sur les « nouvelles opportunités
économiques ». Sa philosophie ? Libéraliser
de nouveaux secteurs (transports, santé,
écologie, logement, culture…) pour adapter l’économie à l’« ubérisation ». Définition du statut des travailleurs de l’économ ie col labor at ive, respec t de la
concurrence par les géants du Net, régulation des jeux d’argent en ligne sont,
entre autres, au programme. Un véritable
champ de mines en perspective alors que
le chantier du code du travail est ouvert.
« Si ces lois sont adoptées sans être vidées
de leur substance, si le Plan très haut débit
est développé et amplifié et si le plan numérique à l’école se concrétise [1 milliard
d’euros sur trois ans pour moderniser
l’école, ndlr], alors Hollande aura doté la
France d’un des meilleurs arsenaux législatifs au monde », estime Benoît Thieulin,
le président du Conseil national du numérique (CNNum). La balle est dans le camp
du président et de son gouvernement. ■
SYLVAIN ROLLAND
ET
Ça sent bon l’innovation chez Nactis Flavours.
La société de Bondoufle (Essonne) a été qualifiée « entreprise
innovante » par Bpifrance. Ce qui rend la société spécialisée
dans l’industrie des arômes, colorants et ingrédients aromatiques
éligible aux investissements des FCPI (Fonds communs de
placement pour l’innovation), et à l’article 26 de la Loi de
Modernisation de l’Économie visant à favoriser l’accès des PME
aux marchés publics de haute technologie, de R&D et d’études
technologiques.
« Bpifrance nous accompagne depuis longtemps, notamment
avec un prêt d’innovation de 500 000 euros » rappelle Hervé
Lecesne, pdg de Nactis Flavours. L’entreprise va ouvrir un
nouveau centre de recherche d’excellence à Bondoufle et compte
s’adresser à nouveau à Bpifrance pour l’aider dans ce projet d’un
montant global de 8 millions d’euros. « Nous sommes un peu le
centre de R&D de nos clients en matière d’aromatisation. Grâce
à nos laboratoires et nos partenariats avec des organismes
comme AgroParistech à Massy ou l’INRA, nous mettons au point
pour l’agro-alimentaire et la pharmacie de nouveaux goûts, de
nouvelles notes aromatiques et des nouvelles formules » précise
le pdg de Nactis. Exemples : un arôme tagada pour la cible jeune,
très prescriptrice, ou un arôme caviar à forte concentration.
Nactis met en avant sa maîtrise des technologies comme
l’encapsulation, la distillation moléculaire, le fractionnement
aromatique qui permet la fabrication d’isolats naturels ou encore
la pyrolyse du bois. Le nouveau centre de recherche va permettre
à Nactis de « reconstituer la plupart des produits de nos clients
afin de mieux comprendre leurs besoins et leur apporter des
recommandations de dosage » détaille Hervé Lecesne. Grâce à
ce programme d’investissement ambitieux, la société de 250
collaborateurs, qui possède six sites de production et cinq filiales
étrangères, devrait augmenter encore sa capacité à innover avec
l’embauche d’un « technologue », un ingénieur agro-alimentaire
spécialisé dans une technologie.
Entrepreneurs, Bpifrance vous soutient en prêt et capital, contactez Bpifrance de votre région : bpifrance.fr
Hervé Lecesne, pdg de Nactis Flavours
©Nactis Flavours
UN ARÔME D’INNOVATION CHEZ NACTIS FLAVOURS
10 I
L’ÉVÉNEMENT
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
RÉFORMES
La dernière chance du bilan
européen de François Hollande
Le président de la République n’a pas été très heureux
jusqu’ici dans ses ambitions et sa stratégie européennes.
Son initiative pour une zone euro plus intégrée – la première
de son quinquennat – pourrait cependant sauver son bilan.
PAR ROMARIC
GODIN
@RomaricGodin
J
«
e veux réorienter la
construction européenne. » Dans ses
60 « engagements
pour la France », le
candidat François
Hollande promettait
de modifier le cours
de l’UE. De fait, lorsque François Hollande
arrive au pouvoir, le 6 mai 2012, la zone euro
est dans une piètre situation. La politique
d’austérité aveugle imposée aux pays périphériques a plongé l’ensemble de l’union
monétaire dans la récession. La logique à
l’œuvre menace d’emporter l’euro. Durant la
campagne, le candidat socialiste estime qu’il
faut « rééquilibrer » les politiques menées : il
propose donc de renégocier le pacte budgétaire, négocié et signé par Nicolas Sarkozy
à la fin de 2011, et d’imposer un « pacte de
croissance », nécessaire pour obtenir la ratification du Parlement français.
Mais dès les premières semaines du quinquennat, cette stratégie fait long feu.
Angela Merkel ne veut pas entendre parler
de vraie relance. François Hollande tente
alors un semblant de confrontation. Il rencontre le 29 juin 2012 à l’Élysée, les dirigeants sociaux-démocrates allemands.
L’idée est de bloquer la ratification du pacte
budgétaire par le Bundestag, afin de faire
pression sur la chancelière. Mais le SPD
négocie de son côté et ne veut pas s’aliéner
sa future alliée, après les élections de septembre 2013, pour une hypothétique
alliance française qui n’est guère populaire
outre-Rhin. Le 30 juin au matin, le Bundestag ratifie le pacte budgétaire et François
Hollande se retrouve isolé. Il change alors
entièrement de stratégie et décide de
reprendre celle menée par Nicolas Sarkozy
depuis l’entrevue de Deauville avec Angela
Merkel, en octobre 2010 : tenter d’amadouer
Berlin en étant un de ses plus proches alliés
au niveau européen.
Lors du sommet européen du 30 juin 2012,
François Hollande accepte donc de faire
ratifier tel quel le « pacte budgétaire ». Des
pressions, au besoin, seront exercées sur les
parlementaires de la majorité pour obtenir
leur vote. Pour masquer l’abandon de cet
engagement de campagne, on décide d’un
fantomatique « pacte de croissance » qui
sera rapidement oublié. Plus tard, Paris sera
un allié sûr de Berlin lors de la crise chypriote de mars-avril 2013 et dans la plupart
des grands événements de la vie européenne, jusqu’à la crise grecque de 2015.
Lors de la négociation du cadre budgétaire
européen de 2014-2020, François Hollande
Tous les samedis à 13h30
La chancelière
Angela Merkel
et le président
François Hollande
à Berlin, en août
2015, lors
de l’une de leurs
nombreuses
rencontres.
© REUTERS/AXEL SCHMIDT
renonce à un autre de ses 60 engagements
et accepte la baisse de ce budget.
Avec cette politique, François Hollande a raté
une occasion de « réorienter la construction
européenne ». Là encore, il faut revenir, pour
s’en convaincre, au sommet de juin 2012.
Attaquées sur les marchés, l’Espagne et l’Italie tentent d’imposer à la chancelière allemande l’idée d’un « bouclier anti-spread »,
autrement dit d’un mécanisme permettant
de protéger leurs dettes. Berlin refuse dans
un premier temps pour ne pas « distordre le
marché » et créer un « aléa moral » qui
conduirait ces pays à réduire le rythme de
leur consolidation budgétaire. Sollicité, François Hollande refuse de soutenir cette initiative, par crainte d’irriter la chancelière et de
voir la France passer sur les marchés, pour
un pays en difficulté. Mais Mario Monti et
Mariano Rajoy menacent de claquer la porte
du sommet. Angela Merkel cède. Deux
semaines plus tard, le président de la BCE
Mario Draghi annonce qu’il fera « tout ce qu’il
faut » pour sauver l’euro. En septembre,
l’annonce du programme OMT apaisera la
crise. Le rôle joué par la France dans ce mouvement déterminant a été négligeable.
CONVAINCRE BERLIN QUE LA
FRANCE VEUT SE RÉFORMER
Le rendez-vous de l’innovation sur Arte
En partenariat avec
FutureMag est le rendez-vous hebdomadaire bi-média
à suivre sur tous les écrans pour explorer les inventions qui,
demain, vont transformer nos vies.
Au programme
samedi 19 septembre :
> La ville, reine du vélo ?
> Des cosmétiques sur mesure
À retrouver dès 14 heures
sur latribune.fr et arte.tv/futuremag
Que cherche alors François Hollande avec
cette politique ? Principalement une tolérance sur sa trajectoire budgétaire. Son
ambition de revenir à un déficit public de
3 % du PIB dès 2013 étant vouée à l’échec
d’emblée, le gouvernement français n’a
cessé de réclamer de nouveaux délais.
Délais dans les faits impossibles à obtenir
sans l’aval allemand. Paris a obtenu ces
délais, mais, à chaque fois, il faut se montrer
plus « convaincant ».
Outre cette « absence » de la France au niveau
de la politique européenne, François Hollande doit réaliser début 2014 un « tournant »
réformateur incarné par « le pacte de responsabilité » et l’arrivée à Matignon de Manuel
Valls. Il s’agit de convaincre Berlin de la
volonté française de se réformer. Fin
août 2014, le président de la République
enfonce le clou en excluant de son gouvernement les membres les plus critiques envers
l’Allemagne de son gouvernement, à commencer par le ministre de l’Économie Arnaud
Montebourg, remplacé par un Emmanuel
Macron qui est apprécié à Berlin.
L’autre ambition de cette stratégie est de
« faire bouger l’Allemagne » en douceur. L’idée
est de convaincre Berlin de montrer plus de
solidarité dans la zone euro en lui prouvant
que la France se réforme et « fait des efforts ».
Cette stratégie n’a pas réellement porté ses
fruits jusqu’ici et relève plutôt du vœu pieu.
La raison en est simple : pour le gouvernement allemand, la France ne fait pas assez
de réformes. Et de fait, pour le moment, la
France s’est montrée incapable de peser sur
le débat européen. À la fin de l’été 2014, par
exemple, Mario Draghi avait proposé dans
son célèbre discours de Jackson Hole un plan
alliant rachats d’actifs, réformes structurelles et relance budgétaire. L’occasion pouvait sembler belle pour Paris de peser sur un
gouvernement allemand que la BCE souhaitait faire bouger. D’autant que le remaniement ministériel français pour complaire à
Berlin a eu lieu quelques jours plus tard. Mais
François Hollande a été incapable de jouer
un rôle actif. L’Allemagne a envoyé une fin
de non-recevoir à Mario Draghi sans que
Paris ne bouge. Et désormais, l’efficacité du
QE (« quantitative easing ») européen est clairement mise en question.
LE PARI FRANÇAIS D’UNE
« UNION DE TRANSFERTS »
La politique européenne de François Hollande est donc d’abord une politique de communication a posteriori. Le gouvernement a
tenté de faire croire qu’il fallait le créditer de
la baisse de l’euro. Durant la crise grecque,
il a essayé de faire croire qu’il avait « sauvé »
la Grèce en la maintenant dans la zone euro
contre Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, qui voulait le « Grexit
temporaire ». Mais en fait, Paris a laissé la
stratégie allemande de pression sur Alexis
Tsipras se développer et s’est contenté de se
caler sur la position d’Angela Merkel.
Reste que l’Elysée semble désormais déterminer à agir. Pour la première fois depuis le
début du quinquennat, la France semble
prendre l’initiative d’une réforme de la zone
euro, pour l’intégrer davantage. Cette initiative est portée par Emmanuel Macron, fort
apprécié outre-Rhin, qui n’hésite pas à parler
d’une « union de transferts » avec une Allemagne qui ne veut pas en entendre parler.
Cette offensive est la dernière vraie occasion
de sauver le bilan du chef de l’État. C’est
l’acmé de sa stratégie : mettre sur la table la
question de la solidarité européenne. Reste
à connaître le contenu de ces propositions.
S’il ne s’agit que de nommer un « ministre des
Finances de la zone euro » chargé d’une surveillance encore plus stricte des budgets
nationaux et armé d’un budget symbolique,
le pari sera raté. S’il s’agit de construire une
vraie stratégie européenne d’investissement
et d’emploi fondée sur l’acceptation des
transferts, il est possible que le locataire de
l’Élysée demeure finalement dans les livres
d’histoire pour sa politique européenne. ■
À CARQUEFOU
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12 I
ENTREPRISES
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
INNOVER
Dans la Silicon Valley, Frédéric Laluyaux est l’un des Français les plus en vue.
Il explique à La Tribune comment il veut révolutionner la planification stratégique
des entreprises grâce à sa pépite Anaplan.
Avec Anaplan, Frédéric Laluyaux
se rêve en « Excel killer »
S
on combat est celui de
David contre Goliath.
Et il s’en amuse. À 45
ans, Frédéric Laluyaux
aff iche l’énergie d’un
jeune startuppeur certain d’avoir déniché une
idée propre à tout chambouler. L’homme, au franc-parler et au
débit mitraillette, est l’un des Frenchies
les plus en vue de la Silicon Valley. Il faut
dire qu’Anaplan, la société californienne
qu’il dirige, spécialisée dans la planification stratégique des entreprises, affiche
une croissance à en faire pâlir plus d’un.
« On est en pleine explosion, on est passé
de 20 à 500 employés en trois ans. La prochaine étape, c’est 5 000 », bombarde le
« CEO », installé à San Francisco. Côté
ventes, Anaplan, qui a levé 150 millions
de dollars en trois ans, assure avoir le
vent en poupe. Mais se refuse à dévoiler
le moindre chiffre. Comme beaucoup de
sociétés high-tech en croissance, Anaplan ne dégage pas de bénéfices. Frédéric Laluyaux évoque le géant Amazon,
longtemps champion de la croissance
sans rentabilité. Mais pour lui, pas
question de faire de même. « On sait où
on va », jure-t-il. Avant de brandir son
« côté européen », qui le rendrait plus sensible que ses homologues américains à
trouver sans (trop) traîner son équilibre
financier.
Son objectif ? Tailler des croupières à
Excel. Ni plus ni moins. Dans un article
récent, Business Insider a d’ailleurs qualifié Anaplan d’« Excel killer ». Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, pour mettre
en place leurs plans stratégiques ou
@pmaniere
opérationnels (concernant, pêle-mêle,
l’optimisation des ressources ou de la
chaîne de production, la gestion des ressources humaines ou l’allocation des ressources financières), la grande majorité
des grands groupes utilisent le célèbre
tableur, en amont de logiciels spécialisés. Les plus connus émanent des mastodontes IBM, Oracle ou SAP, les principaux concurrents
d’Anaplan. « Toute
la planification des
entreprises repose sur
un outil de productivité personnel qui a
été inventé il y a quarante ans [Excel a vu
millions de dollars, c’est la somme
le jour au début des
qu’a levée Anaplan en trois ans.
années 1980, ndlr]…
C’est barbare ! » ironise Frédéric Laluyaux.
Pour mettre à bas ce système, Anaplan a
développé une solution maison. Comment fonctionne-t-elle ? « Vous prenez
toutes les données transactionnelles, vous
Frédéric Laluyaux
les mettez dans un gros cube qui est dans le
revendique
cloud, illustre Frédéric Laluyaux. Et ce
un côté alternatif
cube, c’est en fait un moteur de calcul qui va
et frondeur dont
permettre à une entreprise de créer des
il a fait son
modèles pour optimiser les plans stratécarburant.
giques qu’elle développe. » Ainsi, à tous les
© MEGAN BAYLEY/
ORANGE PHOTOGRAPHY
étages de l’entreprise, les données
PAR
PIERRE
MANIÈRE
150
concernant les ventes, les ressources ou
la production ne sont rentrées qu’une fois
pour toutes dans une même base. Là où,
auparavant, les collaborateurs faisaient
remonter les informations au terme de
longs et laborieux échanges de tableaux
Excel. Résultat, ces mêmes données sont
immédiatement utilisables par les décideurs pour leurs plans stratégiques.
GAGNER EN AGILITÉ POUR
BOOSTER LA COMPÉTITIVITÉ
Pour le patron d’Anaplan, la solution permet ainsi de gagner en « agilité », véritable
marotte des grands groupes ces dernières
années pour booster leur compétitivité.
Frédéric Laluyaux cite ainsi le géant américain Hewlett-Packard, qui utilise son
produit pour optimiser le déploiement de
« ses 30 0 00 commerciaux » à travers le
monde. « Auparavant, tous les six mois, il
leur fallait deux mois pour définir leurs quotas, leurs territoires de vente, leurs produits
et leurs commissions, affirme-t-il. Pendant
tout ce temps, les commerciaux ne savaient
donc pas bien quelle était leur mission…
Aujourd’hui, depuis qu’ils ont mis en place
notre système, tout ce processus ne leur prend
que quelques jours. » Ce qui permet, en
clair, de gagner « des semaines de productivité », poursuit-il.
Frédéric Laluyaux prend aussi l’exemple
de grandes banques américaines intéressées par sa solution. « Elles ont un problème : une grande part de
leurs revenus sont distribués sous forme de bonus à
leurs collaborateurs. Mais
ces bonus, il faut les définir,
les calculer, les expliquer et
les allouer… C’est un problème intéressant, car une
fois que le pot d’or est rempli, son partage va perturber le fonctionnement des
banques pendant des
semaines. » D’après lui, il y
a une influence forte sur
le travail de nombreux
collaborateurs, ainsi focalisés sur le montant qu’ils
vont empocher…
Ces prêches trouvent pour
l’instant un écho favorable, puisqu’Anaplan a
converti 325 clients à sa
solution aux États-Unis et
à l’international. Des gros
industriels aux assureurs,
en passant par les acteurs
des télécoms, de la distribution ou certains géants
du Net (dont la société ne
souhaite pas dévoiler les
noms)… A naplan cible
tous les secteurs de l’économie. À son tableau de
chasse, on retrouve des
sociétés comme le spécialiste de la cybersécurité McAffee, l’assureur Axa, le commerçant en ligne Groupon, l’équipementier automobile Faurecia, le spécialiste de
l’alimentation animale Sanders, le
constructeur de voitures électriques
Tesla Motors, ou encore le fabricant de
produits d’hygiène et de soins KimberlyClark.
En résumé, « nos clients sont à la fois ceux
qui dérangent et ceux qui sont dérangés, les
disrupteurs et les disruptés », sourit Frédéric Laluyaux. Pourquoi ? « Parce qu’aujourd’hui, tous ont le même besoin d’agilité.
Les grosses boîtes, très lourdes et très
rigides, ont besoin de fluidifier et de gagner
en rapidité sur leurs dispositifs. Quant aux
plus petites, elles ont besoin de solutions
pour gérer leur hypercroissance. »
LA CRAINTE DE SE FAIRE
« UBERISER »
Du côté des anciennes entreprises, il y a,
juge le patron, « une combinaison magique
de douleur et de crainte » très profitable à
Anaplan. « La douleur, c’est le vieux problème lié à l’utilisation d’Excel. Mais cela ne
suffit pas à susciter le changement. La
preuve : cette douleur existe depuis vingt
ans… Mais si vous ajoutez la crainte, alors
le déclic se fait. » Cette « crainte » est à ses
yeux évidente : « Celle de se faire uberiser. » Laquelle, dit-il, revient dans la
bouche de nombreux grands patrons.
Ainsi, Frédéric Laluyaux a fait de la
disruption sa marque de fabrique, lui qui
a monté sa première startup en 2003.
Dans l’actuel bouillonnement numérique,
il revendique finalement un côté alternatif et frondeur, dont il a fait son carburant. La manière dont il a rejoint Anaplan, en 2012, en témoigne. Promis à une
belle carrière dans les logiciels, il a tout
lâché, il y a trois ans, pour rejoindre « un
ingénieur fou ». Son nom ? Michael Gould,
un spécialiste des logiciels de planification, qui a claqué la porte d’IBM pour
fonder Anaplan.
UN NOM DANS
LA SILICON VALLEY
Peu connue dans l’Hexagone, la société
s’est en revanche fait un nom dans la
Silicon Valley. Dans cette pépinière riche
en « perturbateurs » en tout genre
(Airbnb ou Uber, pour ne citer qu’eux),
Anaplan semble dans son bain. « J’ai passé
pas mal de temps à observer les Mark Zuckerberg, Elon Musk [à la tête, entre autres,
de SpaceX, et qui veut coloniser Mars,
ndlr] et autres, dit-il, visiblement séduit.
Ils inventent, ils ont des rêves étonnants. Ce
sont des ingénieurs qui ne s’arrêtent
jamais. » Et de sacrés exemples à suivre,
dans un écosystème numérique aussi
innovant que concurrentiel. n
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LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
ENTRETIEN
ADRIEN ROOSE, cofondateur de Take Eat Easy
Take Eat Easy, un « Uber »
de la livraison à vélo
Take Eat Easy, entreprise bruxelloise spécialisée dans la distribution de repas à vélo, lève
10 millions d’euros peu après une première levée de 6 millions d’euros. Adrien Roose
détaille ses plans pour imposer ses vélos gourmands dans les métropoles européennes.
PROPOS
RECUEILLIS
PAR
MARINA
TORRE
@Marina_To
LA TRIBUNE – Quels arguments
avez-vous présenté aux investisseurs ?
ADRIEN ROOSE — Notre façon de faire
est novatrice. Nous avons mis en place des
algorithmes et des mécanismes d’automatisation des expéditions grâce aux smartphones et à la géolocalisation qui nous
permettent d’augmenter les volumes. La
livraison est une activité qui génère très
peu de marges, il faut donc faire de très
gros volumes pour être rentable. À cela
s’ajoute notre positionnement marketing
caractérisé par le choix de restaurants un
peu à la mode qui se distinguent parce
qu’ils font le « buzz ». Il se trouve que
beaucoup d’entre eux se focalisent sur un
seul produit, comme le « fish and chips »,
ou les burgers par exemple.
Vous n’avez ni stock ni flotte
en propre, ni même d’employés fixes.
Sur quoi repose votre valeur ajoutée ?
Nous avons tout de même des employés :
nous sommes 70… et bientôt une centaine.
Mais il est vrai que nous travaillons comme
une interface, nous faisons de l’intermédiation technique entre les clients, les restaurateurs et les coursiers. Il faut reconnaître que nous sommes un peu un
« Uber » de la livraison à domicile.
C’est si flatteur
d’être comparé à Uber ?
Bien sûr, cela nous flatte. Uber n’a pas toujours été l’entreprise la plus droite dans ses
bottes, mais il faut reconnaître qu’ils ont
révolutionné la mobilité en ville.
« La livraison génère peu
de marges, il faut de gros
volumes pour être rentable »
Pourquoi avoir choisi le transport
à vélo plutôt qu’un autre moyen
de transport ?
Pour des raisons opérationnelles et marketing. Au départ, nous avions fait appel à des
sociétés de coursiers, qui travaillaient en
voiture. Mais nous avions beaucoup de
retards dans les livraisons à cause des
embouteillages. Nous avons alors opté pour
des amis qui ont créé une société de coursiers à vélo, et cela fonctionnait bien mieux.
Comment s’opère la sélection ?
Tout le monde peut s’inscrire en ligne et
assister à une réunion pendant laquelle nous
expliquons le principe. Après une formation,
nous procédons à deux ou trois essais. Si
c’est concluant, le coursier peut faire partie
de l’équipe. Il gère son planning. Ses compétences sont évaluées par le client ou le restaurateur qui lui attribuent une note.
En matière de sécurité, la formation
inclut-elle des cours pour apprendre
à rouler en ville ?
Non. Les coursiers sont indépendants, le
respect du code de la route relève de leur
responsabilité. Mais nous leur rappelons
les principes de base. Nous leur imposons de porter un casque, d’avoir des
phares, des freins ; certains se présentant
parfois sans freins !
Qui fournit ces équipements ?
Ils sont à leur charge. Nous leur fournissons seulement des sacs à dos adaptés pour
y placer les paniers de commandes. Nous
fournissons également des porte-bagages
avec des boîtes thermiques. [des prototypes
de sacs adaptables à tous les vélos sont en
cours de réalisation, ndlr]
Qu’avez-vous prévu
si l’un d’eux se retourne contre
vous en cas d’accident ?
Nous avons étudié cette question avec nos
conseillers juridiques. Normalement, les
coursiers ne pourraient pas se retourner
contre nous, l’assurance est à leur charge
et nous vérifions qu’ils en ont une. [l’entreprise prépare en outre une formule avec des
assurances pour proposer des contrats aux
coursiers, ndlr]
Puisque vos coursiers vont être équipés
de porte-bagages, comptez-vous
étendre le service à d’autres livraisons ?
Pas pour l’instant. Plus on se diversifie,
plus il est difficile d’être le meilleur dans
un domaine. Nous voulons être les meilleurs dans la livraison de repas préparés
par des restaurateurs. Outre Bruxelles et
Paris, nous voulons nous lancer à Berlin,
Madrid et Londres.
Comment être certain que vous y
trouverez suffisamment de cyclistes
susceptibles de devenir coursiers ?
C’était l’une des questions que nous nous
sommes posées. Avant de nous lancer,
nous ne savions pas forcément qui pourrait
être intéressé par le job. Il n’y a pas que des
étudiants, on trouve aussi des gens au chômage ou des actifs, même des ingénieurs.
À Paris, nos effectifs ont rapidement
dépassé ceux des entreprises de coursiers
plus classiques. Maintenant, nous rencontrons des problèmes de riches : nous avons
parfois trop de coursiers.
À Paris, il existe déjà des services
de livraison à vélo ou en rollers
dont le modèle repose aussi sur
la géolocalisation et l’utilisation
d’algorithmes. Qu’offrez-vous de plus
par rapport à eux ?
Des entreprises comme Tok Tok Tok
n’ont pas du tout le même modèle économique. Dans leur cas, le coursier réalise
l’achat à votre place, il doit faire la queue
dans les restaurants. Cette startup a communiqué autour des rollers, mais ils font
aussi appel à des scooters. Or, cela introduit une compétition entre les coursiers,
puisque ceux qui sont à vélo ou en rollers
ne se battent pas à armes égales sur les
Les fondateurs de Take Eat Easy. De gauche
à droite : Adrien Roose, Karim Slaoui,
Chloé Roose, Jean-Christophe Libbrecht.
© TIM DIRVEN
longues distances. Les frais pour les
clients sont assez élevés, tandis que nous
faisons payer 3,50 euros pour chaque
livraison. [Chaque coursier est rémunéré
7,50 euros par course, ndlr]
Des restaurateurs refusent
les sollicitations de plus en plus
nombreuses des services de livraison
tels que les vôtres, car ils disent
ne pas pouvoir absorber les flux
de demandes sans altérer la qualité
de leur offre. Que leur répondez-vous ?
Nous sélectionnons dès le départ des restaurants qui fonctionnent bien. Beaucoup
d’entre eux nous tiennent ce discours. Il
faut les rassurer. Des paramètres de notre
plateforme permettent de configurer à
quelle fréquence ils souhaitent faire livrer
des plats, car il y a parfois beaucoup de
commandes au même moment, justement
quand les restaurants sont pleins. ■
LES TABLES D’HÔTES DANS LE COLLIMATEUR
DES RESTAURATEURS
A
près les logements chez
l’habitant, rendus populaires
par des sites tels qu’Airbnb,
c’est au tour des tables d’hôtes, à
l’exemple de VizEat, plateforme
comptant un millier d’hôtes et plus
de 10 000 invités, d’être accusées
de violer les règles de la concurrence.
Le Synhorcat, syndicat national des
hôteliers, restaurateurs, cafetiers et
traiteurs, est monté au créneau contre
ce marché en essor, à l’issue d’une
rencontre avec la nouvelle secrétaire
d’État chargée du Commerce et
de la Consommation, Martine Pinville.
Selon le syndicat, ces « restaurants
clandestins », qui proposent aux
voyageurs de se faire « inviter »
à déjeuner ou dîner chez un habitant
local, seraient désormais plus de 3 000
en France. Mais ils pourraient atteindre
20 000 « dans trois à cinq ans » si ce
modèle suit le développement d’Airbnb
et si ses pratiques ne sont pas
encadrées, souligne le président
du Synhorcat, Didier Chenet.
Ces initiatives sont déloyales
aux yeux des restaurateurs. « Nous
vivons dans un monde où les acteurs
de l’économie traditionnelle de
l’hôtellerie et de la restauration
se voient imposer toujours plus de
réglementations au nom de l’intérêt
et de la protection du consommateur,
alors que, pendant ce temps,
les plateformes de l’économie
collaborative nous concurrencent
en s’affranchissant de la loi », dénonce
le Synhorcat. « Pour un repas
comprenant une entrée, un plat,
un dessert, des alcools servis sur fond
de musique, on trouve des offres
à 80 euros sur des plateformes
numériques. Nous ne sommes plus
là dans un modèle de participation
aux frais, mais bien dans un commerce
qui s’affranchit des questions de santé
publique et de toute fiscalité et
réglementation », souligne Didier
Chenet. Sur ce fondement, le syndicat
demande à Martine Pinville un meilleur
encadrement de ces offres afin
d’aboutir à une réglementation
équitable. Le syndicat réclame
notamment « une déclaration
systématique et obligatoire à
l’administration ainsi qu’aux services
fiscaux » de ces activités, ainsi que
le « respect des règles existantes,
notamment l’obligation de disposer
d’une licence pour pouvoir vendre
de l’alcool ». ■
M. T.
14 I
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
LE TOUR DU MONDE DE
Du boomerang pour explorer Mars
à la lampe qui fonctionne à l’eau salée
5
Chaque semaine, La Tribune vous propose de partir à la découverte
des petites et grandes innovations qui annoncent l’avenir.
1
PRAGUE – République tchèque
Un stylo qui dessine en 3D, soude,
découpe et pyrograve
Utile. Les architectes et designers en rêvaient,
la startup tchèque 3Dsimo l’a fait. L’entreprise a conçu
un stylo capable de dessiner dans l’espace des formes
en plastique, de souder des composants électroniques
ou de la joaillerie, de découper du plastique ou
de la mousse et de pyrograver du bois. Alimenté
par micro-USB ou par une batterie optionnelle, l’objet
peut se connecter à un smartphone par Bluetooth
pour régler précisément la température de la tête
et la vitesse d’exécution. Grâce
à une campagne Kickstarter réussie,
ce stylo révolutionnaire est disponible
en précommande pour 71 euros, pour
une livraison prévue en mars 2016.
WASHINGTON – États-Unis
Un boomerang high-tech
pour explorer Mars dans cinq ans
2
© NASA
Espace. L’agence spatiale américaine travaille actuellement sur un petit drone
en forme de boomerang, qui pourrait devenir le premier objet construit par
l’homme à survoler la planète Mars. Baptisé Prandtl, ce « boomerang high-tech »
mesure à peine 60 centimètres, pèse environ 2 kg et se compose de fibres de verre
et de carbone. Les chercheurs estiment qu’il sera prêt dans cinq ans.
Sa mission sera de récupérer des données sur la planète rouge au cours
d’un périple de 32 kilomètres, avant de se poser pour continuer
à enregistrer. Mais avant cela, il effectuera dès la fin de l’année
plusieurs simulations dans l’espace afin de tester ses capacités.
3
5
BARQUISIMETO – Venezuela
Cecosesola, la plus grande
entreprise publique autogérée
Société. Mille trois cents salariés, pas de patron,
aucune hiérarchie, et une ville entière qui dépend
de ses services. Bienvenue à Cecosesola, un groupement
de coopératives qui gère, dans la ville de Barquisimeto
(1 million d’habitants), des supermarchés, un hôpital,
des productions agricoles, ou encore des services
d’épargne. L’entreprise fonctionne en totale autogestion.
Chaque activité (service funéraire, cantine, magasin…)
organise une grande réunion le lundi après-midi, qui sert
à fixer des principes et discuter de ce qui fonctionne et
ce qui doit être amélioré. Grâce à ces critères, n’importe
quelle décision prise au jour le jour par un travailleur
est consensuelle, car en accord avec les principes décidés
par tous. Responsabilisés, les salariés s’impliquent
d’autant plus qu’ils sont en perpétuelle formation,
car ils changent de poste tous les dix-huit
mois, ce qui fait que chacun peut occuper
tous les postes dans son domaine.
Un des rares exemples au monde de
modèle autogestionnaire qui fonctionne.
3
1
4
Un vaccin contre l’allergie
aux acariens
Santé. Invisibles à l’œil nu mais vivant
pendant six mois dans nos matelas, les acariens
gâchent la vie de plusieurs millions
de personnes dans le monde. À Antony,
une équipe de chercheurs travaille sur
un vaccin innovant capable de détruire
complètement la réaction allergène. Dans
des armoires climatisées, les scientifiques
« élèvent » eux-mêmes des millions d’acariens
et les nourrissent avec des germes de blé,
des levures et des vitamines. Au bout de trois
mois, ils les réduisent en poudre et en extraient
les allergènes qu’ils incorporent à leur vaccin.
Ce traitement est ensuite administré sous
forme de comprimé. Un mode de traitement
plus agréable pour le patient qu’une
désensibilisation, mais aussi plus efficace,
car les cellules immunes présentes dans
la bouche réorientent directement le système
immunitaire. Le traitement dure
trois ans et se solde par une
désensibilisation totale. La mise
sur le marché est prévue pour
2016 ou 2017.
2
ÉDIMBOURG – Royaume-Uni
PLUS D'ACTUALITÉS
ET D'INFOGRAPHIES
SUR LATRIBUNE.fr
© PSDESIGN1 - FOTOLIA
Empêcher la glace de fondre
trop vite, c’est possible !
Sciences. Les glaces à la vanille de demain résisterontelles à un soleil de plomb tout en étant meilleures
pour la santé ? C’est la promesse d’une équipe
de scientifiques des universités d’Édimbourg et
de Dundee. Les chercheurs ont découvert que
l’utilisation d’une protéine naturelle, Bs1A, permet
non seulement de résister plus longtemps à la fusion
(le passage de l’état solide à l’état liquide), mais elle
peut aussi remplacer certaines molécules de graisse,
actuellement utilisées pour stabiliser
les mélanges servant à fabriquer la glace.
L’équipe a développé une méthode pour
produire cette fameuse protéine, laquelle
sera au point d’ici trois à cinq ans.
ANTONY – France
4
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LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
L’INNOVATION
6
DÉSERT – Namibie
Découverte d’une nappe
phréatique géante sous le désert
5
MANILLE – Philippines
Une lampe qui carbure
à l’eau salée
COCHIN – Inde
Le premier aéroport alimenté
par l’énergie solaire
Système D. Alors qu’un milliard de personnes
dans le monde n’a toujours pas accès à l’électricité,
une ingénieure philippine, Lipa Aisa Mijena,
a inventé une lampe révolutionnaire. SALt (pour
Sustainable Alternative Lighting) n’a besoin que
d’un verre d’eau et de deux cuillerées de sel,
ou tout simplement d’un verre d’eau de mer, pour
éclairer pendant huit heures d’affilée. Équipée
d’un port USB, elle peut même recharger
des smartphones et des objets connectés.
Elle fonctionne avec une pile galvanique qui carbure
à l’eau et au sel, et deux électrodes. Lorsque
les électrodes entrent en contact avec la pile
« nourrie » d’eau salée, l’énergie générée
met en marche une lumière LED. Selon
la créatrice, la batterie fonctionne six
mois. Toujours en développement, SALt
devrait être commercialisé en 2016.
Énergie. Et si les aéroports, grands consommateurs
d’énergie, devenaient écolo-compatibles ? La ville
de Cochin, située dans l’État du Kerala, accueille
désormais le premier aéroport international
fonctionnant totalement à l’énergie solaire.
L’entreprise a installé 46 150 panneaux solaires
sur 45 hectares. De quoi économiser 300 000 tonnes
de CO2 lors des vingt-cinq prochaines
années, ce qui revient à planter 3 millions
d’arbres. Le surplus énergétique produit
par les panneaux solaires sera vendu
à la compagnie locale d’électricité.
© SALT
© MARZIAFRA - FOTOLIA
Ressources. En Namibie, pays le plus aride d’Afrique
subsaharienne (seulement 370 mm de pluie par an !),
l’accès à l’eau est un problème quotidien. Moins d’1 %
des terres sont arables et la majeure partie des minces
réserves d’eau est utilisée pour l’agriculture. Mais
des scientifiques ont récemment découvert que, sous
l’immense étendue de désert du nord du pays,
e cache… une nappe phréatique. Enfouie à 300 m sous
terre, elle aurait 10 000 ans. De nouvelles recherches
ont révélé cet été que son eau est non seulement
potable, mais de très bonne qualité et qu’elle
pourrait subvenir aux besoins
de 800 000 personnes pendant plusieurs
siècles ! Le gouvernement a affirmé qu’il
souhaitait exploiter l’eau d’Ohangwena
(le nom de la nappe) dans un futur proche.
8
9
10
10
7
8
TOKYO – Japon
Des chaussures qui épousent
parfaitement la forme des pieds
Habillement. Marre des ampoules et des douleurs
liées à des souliers pas parfaitement ajustés ?
Le designer japonais Masaya Hashimoto a créé pour
la marque italienne Vibram les premières chaussures
qui épousent parfaitement la forme du pied. Baptisées
Furoshiki Shoes, elles s’enfilent à la manière
d’un gant, enveloppant chaque orteil comme
une seconde peau. Une performance possible grâce
à une technique d’emballage japonaise ancestrale,
le furoshiki. Composées à 72 % de polyamide et à 28 %
d’élasthanne, ces chaussures modulables
s’attachent sans lacets mais avec
une bande de Velcro, et s’achètent sur
la boutique en ligne de Vibram Japan
pour 140 dollars.
9
7
© DR
6
TEL AVIV – Israël
Flux, l’objet connecté
des amateurs d’hydroponie
SÉLECTION RÉALISÉE
PAR SYLVAIN ROLLAND
© FLUX
Agriculture. L’hydroponie, c’est-à-dire la culture bio des plantes hors
du sol, dans des bacs remplis d’eau et d’engrais naturels, est une pratique
de plus en plus populaire chez les particuliers. Mais peu connaissent
les besoins précis de leurs cultures. La startup Flux a donc mis au point
un appareil qui se place dans l’eau, l’analyse et transmet les données
à l’utilisateur avec des conseils précis sur ce qu’il doit ajuster
ou contrôler pour répondre aux besoins de la plante.
Les informations portent notamment sur les nutriments,
le calcul du pH, l’intensité de la lumière. L’objet permettrait
d’augmenter les ressources de 30 %.
@SylvRolland
16 I
MÉTROPOLES
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
ENTRETIEN
JEAN-LUC MOUDENC, maire de Toulouse et président de l’Association
des maires de grandes villes de France (AMGVF)
« Sur le climat, je suis optimiste car
la prise de conscience est générale »
PROPOS
RECUEILLIS
PAR SOPHIE
ARUTUNIAN
© DR
À quelques semaines de la COP21, l’Association des maires des grandes villes de France organise, le 23 septembre,
une journée de conférences sur le thème de la transition énergétique. Pour le maire de Toulouse, la mise
en place des politiques de lutte contre le réchauffement climatique se heurte à des impératifs économiques.
LA TRIBUNE — L’AMGVF que vous
présidez organise la 15e édition
de la Conférence des villes, sur
le thème de la transition énergétique.
Quelles annonces prévoyez-vous ?
Selon un sondage Odoxa pour iTélé,
à la question de savoir s’ils « se sentent
concernés par la COP21 », 52 % des
sondés disent ignorer de quoi il s’agit.
Qu’est-ce que cela vous inspire ?
JEAN-LUC MOUDENC – Il n’y aura pas
d’annonce. Cette journée est une journée
de réflexion et d’échanges avec des experts,
des élus, des représentants du gouvernement et des entrepreneurs.
Cela ne m’étonne pas du tout. Le nom de
COP21 est un mauvais nom, que seuls les
experts et les spécialistes comprennent.
C’est une erreur de communication et ce
n’est pas pédagogique. C’est tout le problème avec les questions d’environnement : il ne faut pas en faire des problématiques technocratiques.
Quels sont les risques
du réchauffement climatique pour
les habitants des villes ?
Ce sont principalement des risques pour la
santé, avec la multiplication des maladies
cardiovasculaires, de l’asthme, des allergies.
Ce sont les plus fragiles, les enfants notamment, qui sont les plus exposés à cela, même
si nous n’avons pas de chiffres précis.
Vous avez à Toulouse un plan
de réduction des gaz à effet de serre
qui court de 2005 à 2020.
Quel est le bilan en 2015 ?
La loi sur la transition énergétique
prévoit qu’en 2020 les constructions
devront toutes être à énergie positive.
Est-ce un défi réaliste ?
Il y a trois défis à relever pour les maires et
présidents de métropoles. Le premier est de
travailler sur le patrimoine ancien (1,5 million m2 à Toulouse) pour le réorienter, énergétiquement parlant, vers quelque chose de
plus économe et écologique. C’est, me semblet-il, le défi le plus difficile à relever. Il va falloir
mettre en place des plans volontaristes sur le
long terme. Ensuite, il y a le bâti neuf :
construire des bâtiments à énergie positive ne
me semble pas être le plus difficile. Enfin, il y
a un effort à faire en direction des ménages,
pour qu’ils rénovent leurs logements, installent des compteurs électriques intelligents.
« La COP21 va nous
obliger à améliorer
nos façons de faire »
Comment les maires vont-ils financer
ces actions ?
Tout cela est évidemment soumis à des aléas
financiers. Les budgets sont difficiles à trouver et devront faire l’objet d’arbitrages.
À Toulouse par exemple, quels
arbitrages allez-vous faire ?
Je souhaite imprimer une volonté. On ne
pourra pas tout faire en un coup de baguette
magique. Je pense néanmoins que le plus
facile à mettre en place sera la construction
de bâtiments à énergie positive. En ce qui
concerne l’ancien, la ligne « entretien » du
budget annuel pourrait servir à transformer
le modèle énergétique de notre patrimoine.
Oui, si le gouvernement a des crédits à
débloquer pour cela…
Quel est le budget de Toulouse
consacré à la lutte contre
le réchauffement climatique ?
Nous avons à Toulouse un budget de 1,5 milliard d’euros d’investissements jusqu’en
2020. Deux cent cinquante millions sont
fléchés développement durable (transports
et habitat, principalement). La future troisième ligne de métro, si elle se fait, pourra
rentrer dans ce budget, car les 200 000 utilisateurs potentiels laisseront leur voiture
pour l’utiliser. Le métro est le transport en
commun le plus performant.
Les transports en commun
sont-ils toujours prioritaires ?
Depuis quinze ans, les transports en commun dans les agglomérations ont clairement
bénéficié d’une priorisation des crédits.
Trois quarts des investissements en matière
de mobilité vont aux transports en commun
et aux modes doux. Mais la démographie
continue d’augmenter et les besoins en
déplacements croissent. Il y a encore une
nécessité de développer les infrastructures,
et les moyens dont nous avons disposé
depuis trente ans s’épuisent.
Comment vous déplacez-vous ?
Quand je suis en voiture, je propose à mes
collègues de faire du covoiturage pour ne
pas être seul dans le véhicule. Je suis un
grand adepte du métro et parfois du bus.
Tout dépend du temps dont je dispose.
Avec la loi NOTRe, les Régions seront
chargées de la planification des actions
climat et les intercommunalités devront
les mettre en œuvre. Comment cela
va-t-il s’articuler concrètement ?
La loi NOTRe, en date du 7 août, indique
en effet que les intercommunalités seront
les seules responsables pour mettre en
place le « plan énergie territorial ». Il va
falloir préciser l’articulation des deux
démarches et voir comment les objectifs
régionaux seront traduits par les intercommunalités. Nous devrons dialoguer et je
suis assez optimiste car la prise de
conscience est générale. La COP21 va nous
obliger à progresser et à améliorer nos
façons de faire.
La COP21 peut-elle être un échec ?
À chaque fois qu’il y a un grand événement avec autant d’attente, il y a la crainte
d’un échec, ce qui est normal au regard de
l’échec du sommet de Copenhague en
2009. Néanmoins, je pense que la prise de
conscience sur la préservation de l’environnement progresse dans tous les pays,
même ceux qui étaient hermétiques à ce
genre de préoccupations auparavant. Il y
a de l’espoir.
Êtes-vous favorable à la gratuité
des transports pendant la COP21
(comme l’a demandé Anne Hidalgo),
financée par le gouvernement ?
Je n’ai pas de bilan chiffré. Mais je relève
que ce plan est consensuel et propose une
vision à long terme. Aucune alternance
politique n’a enrayé la machine et c’est
bien d’avoir pu se mettre d’accord, au-delà
des divergences politiques, sur les objectifs : - 20 % de gaz à effet de serre, + 20 %
d’efficacité énergétique et porter à 20 % la
part des énergies renouvelables dans la
consommation d’énergie finale.
Paris, Strasbourg, Bordeaux et Lyon
ainsi que des villes européennes (Rome,
Bruxelles, Athènes, Madrid, Lisbonne)
vont lancer des appels d’offres
en commun pour l’achat de fournitures
à faible teneur en carbone. Toulouse
pourrait y participer ?
J’y serais très favorable. Nous le faisons déjà
avec Tisséo [syndicat mixte des transports en
commun de Toulouse, ndlr] lors d’appels
d’offres pour des bus ou des rames de
métro. Nous nous associons avec des villes
qui ont le même système de type « val » que
nous [totalement automatique, ndlr] : Lille
ou Rennes. Cela nous permet de faire des
économies et il serait intéressant de le
mettre en place dans d’autres domaines.
Pour acheter de l’électricité verte
par exemple ?
Il faut voir si cela est possible techniquement.
Qu’est ce qui est le plus efficace
pour lutter contre le réchauffement
climatique : les pouvoirs publics ou
les initiatives citoyennes et alternatives
(covoiturage, circuits courts…) ?
Les deux sont indispensables. Les pouvoirs publics doivent donner l’exemple et
provoquer un effet d’entraînement. Il est
très sain qu’un mouvement citoyen s’approprie ces enjeux-là. ■
MÉTAMORPHOSES
URBAINES
23 septem
bre
2015
Hôtel de
v
de Parisille
Les villes à l’heure post-carbone
8 heures - Accueil des participants, 9 heures - Ouverture de la 15e Conférence des villes
Anne Hidalgo, maire de Paris
Jean-Luc Moudenc, président de l’Association des Maires de grandes villes de France,
maire de Toulouse, président de Toulouse Métropole,
Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental (Cese)
Introduction par Gilles Berhault, président du Comité 21, « Vous avez dit métamorphoses ? »
9 h 45
10 h 25
Lutter contre le dérèglement
climatique : des compétences
à revisiter ?
André Rossinot, secrétaire général de
l’AMGVF, président de la CU du Grand
Nancy
Sylvain Boucher, délégué France
de Veolia
Francis Chouat, maire d’Évry, président
de la CA Évry Centre-Essonne
Olivier Dussopt, député-maire d’Annonay, rapporteur du texte NOTRe
Laurence Lemouzy, directrice
scientifique de la Gouvernance
territoriale et de la Décentralisation
Philippe Rapeneau, président
de la CU d’Arras Un président de région
11 h 10
11 h 50
Mobilité : quels modes
alternatifs à la voiture solo ?
Santé : rendre les villes (plus)
respirables ?
Le partage au cœur de la ville
de demain ?
Élisabeth Borne, présidente-directrice
générale de la RATP
Jean-Claude Boulard, sénateur-maire
du Mans, président de Le Mans
Métropole
Dominique Gros, maire de Metz
Christophe de Maistre, président
de Siemens France Claude Risac, directeur des relations
extérieures du Groupe Casino
Delphine Smagghe, vice-présidente
de McDonald’s France, chargée
du développement durable
et des relations extérieures
José Cambou, secrétaire nationale
de France Nature Environnement
Corinne Lepage, ancienne ministre Eric Piolle, maire de Grenoble
Philippe Wahl, président du Groupe
La Poste Emmanuel Rivière, directeur adjoint
ATMO Alsace, membre d’ATMO
France
Patrice Bessac, maire de Montreuil
Jean-Louis Chaussade, directeur
général de Suez Environnement
Jean-Louis Fousseret, vice-président
de l’AMGVF, maire de Besançon,
président de la CA du Grand
Besançon
Sandra Lagumina, directrice
générale de GrDF
Philippe Monloubou, président
d’ErDF
Jean Rottner, maire de Mulhouse Un acteur de l’économie du partage
12 h 30 - Intervention de François Baroin, président de l’AMF, sénateur-maire de Troyes
14 h 00
15 h 45
En route pour de nouveaux modèles énergétiques ?
Réchauffement climatique : demain, des millions de réfugiés ?
Efficacité énergétique : de la rénovation aux éco-quartiers ?
« Si on ne concluait pas, si aucune
mesure substantielle n’était prise, ce ne
serait pas des centaines de milliers de
réfugiés dans les vingt-trente prochaines
années que nous aurions à traiter mais
des millions », a prévenu le président de
la République en cas d’échec de la
Conférence de Paris sur le climat.
À la lumière des travaux déjà nombreux
sur ce risque réel et des premières
leçons du drame des réfugiés, des
chercheurs, des spécialistes et des
maires s’interrogent sur l’ampleur des
moyens nécessaires pour faire face à un
afflux sans équivalent. Ils lancent un
vibrant appel pour que la COP21 traite
des mesures à adopter pour atténuer les
dégâts des catastrophes sociales
Marc Abadie, directeur du réseau
et des territoires au sein de la Caisse
des Dépôts
Pierre-André de Chalendar, présidentdirecteur général de Saint-Gobain Emmanuel Couet, président de Rennes
Métropole
Laurent Hénart, maire de Nancy
Bruno Léchevin, président
de l’Ademe
Pascal Minault, directeur général de
Bouygues Entreprises France Europe
Luc Rémont, président de Schneider
Electric France
Intervention d’Alain Juppé, maire de Bordeaux
Vers des micro-unités de production locale ?
Olivier Biancarelli, directeur projet
métier « Solutions décentralisées
pour villes et territoires » d’Engie
Pascal Durand, député européen
Jean-Noel Guillot, directeur de la
direction des projets territoriaux
d’EDF
Chantal Jouanno, sénatrice de Paris
Jean-Patrick Masson, président du
Cercle national de recyclage (CNR),
délégué à l’écologie urbaine de
la mairie de Dijon, vice-président
du Grand Dijon chargé de
l’environnement
Jean-Louis Fousseret, 1er vice-président
de l’AMGVF, maire de Besançon,
président du Grand Besançon
François Gemenne, chercheur en
sciences politiques, spécialiste des
migrations
Dominique Gros, maire de Metz
Bassma Kodmani, politologue, spécialiste
de la Syrie
Jean-Luc Moudenc, président de l’AMGVF,
maire de Toulouse, président de
Toulouse Métropole
Gaël Perdriau, maire de Saint-Étienne
16 h 25
Retour sur séquences avec Gilles Berhault, président du Comité 21, qui tirera
les conclusions des débats qui se sont déroulés tout au long de la journée
16 h 30
En partenariat
avec
actuelles et futures, limiter la vulnérabilité
des populations de plus en plus
exposées, résultat de déséquilibres
économiques et écologiques.
Clôture de la
15e Conférence des Villes
18 I
MÉTROPOLES
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
VERS LA « VILLE FACILE »
Dopée par son écosystème numérique, la ville intelligente à la nantaise se met en marche et dessine
une autre façon d’appréhender la métropole, par et pour ses habitants.
Nantes passe en mode numérique
L
«
a smart city, PAR
c’est un chan- FRÉDÉRIC
g e m e n t d e THUAL
À NANTES
paradigme
@FrdericThual
qu’il faut
s’approprier,
être prêt à
accepter, et
qui implique des réflexes un peu différents… »,
explique Franck Trichet, adjoint à l’innovation et au numérique à la ville de Nantes
et à la Métropole nantaise. Si, à l’exception
de l’écosystème numérique, la notion de
smart city reste encore un peu abstraite ou
méconnue des Nantais, le chantier avance.
Urbanisme,
La mutation est en cours. Partie visible de
éclairage public,
l’iceberg, la version pilote de l’application
assainissement,
mobile multiservice « Nantes dans ma
voiries,
poche », lancée en mai dernier, préfigure
ressources
humaines… tous
ce que pourra être la ville intelligente « à
les services
la nantaise ».
sont mis à
Une ville d’expérimentation, attractive,
connectée, facile à vivre, solidaire, parta- contribution pour
introduire
gée… comme le détaille la feuille de route de l’innovation et
élaborée par Nantes Métropole. L’organidu numérique
sation d’ateliers prospectifs sur l’innovadans leur
tion, ouverts aux équipes municipales et
fonctionnement.
aux usagers, a permis de mettre sur les
© SERGIYN
rails les 24 communes de l’agglomération.
Certaines commencent à embarquer dans
l’aventure de l’application « Nantes dans
ma poche » en faisant remonter les données des cantines scolaires, les horaires
de piscine, etc. « La méthode collaborative
est une vraie spécificité nantaise qui suscite
un grand intérêt aux yeux des autres villes
engagées dans des démarches de smart city »,
remarque Alain Le
Coz, directeur des
grands projets régionaux en Bretagne
et Pays de la Loire
d’Orange, qui pilote agents de la structure
la création de l’appli métropolitaine sont engagés
nantaise téléchargée dans le processus de digitalisation
près de 15 000 fois.
La version 1 devrait
être lancée pour la fin de l’année. Avec,
cette fois, davantage de microservices
en partie concoctés par des startups ligériennes.
Pour accélérer le processus de numérisation de la cité nantaise, la présidente de
8 000
Nantes Métropole s’est d’emblée entourée
d’un adjoint à l’innovation et au numérique
et a créé une direction à part entière dont
la mission est de mobiliser les 20 politiques publiques au service de l’innovation. Cette partie immergée de l’iceberg
touche les 8 000 agents de la structure
métropolitaine et concerne un territoire
de 600 000 habitants. «On est vraiment
dans une approche transversale, en discussion permanente sur les politiques publiques
de la métropole », explique Franck Trichet.
ACQUÉRIR
UNE CULTURE COMMUNE
Urbanisme, éclairage public, assainissement, voiries, ressources humaines… tous
les services sont mis à contribution pour
introduire de l’innovation et du numérique
dans leur fonctionnement. «Nous sommes
au début d’une histoire qui va révolutionner
la façon de construire la ville. Pour cela, nous
avons aussi besoin d’acquérir une culture commune », ajoute Nathalie Hopp, directrice
générale chargée du projet métropolitain,
aujourd’hui à l’interface des différentes
directions.
En interne, cela pourrait se traduire par le
déploiement d’un plan de formation des
agents sur le terrain, des cadres, des chefs
de projets, etc. Une acculturation nécessaire qui susciterait plus d’envie que de
freins, assure-t-on. « Cela permet de sortir
d’un cadre imposé depuis des années et de
s’épanouir, pour ceux qui le souhaitent, sur
des sujets transverses. Ces nouveaux enjeux
et cette notion de mieux travailler ensemble,
c’est plus une mesure d’émancipation. Avec un
rythme qui est forcément celui d’une collectivité de 8 000 personnes et non d’une startup
de trois personnes. Mais, le pivot est en train
de se faire dans l’administration », se réjouit
Franck Trichet.
S’ORIENTER VERS
DAVANTAGE DE PÉDAGOGIE
« NANTES DIGITAL WEEK » : DIX JOURS
POUR SE FORGER UNE CULTURE NUMÉRIQUE
P
our tout savoir sur
l’écosystème
numérique nantais,
les villes intelligentes,
le traitement des
mégadonnées, les données
ouvertes, la numérisation
du patrimoine… ou
décrypter le vocabulaire
de l’économie numérique,
c’est l’événement à suivre
de la rentrée nantaise.
Pour la deuxième édition,
organisée du 17 au
27 septembre à travers
la ville et la région,
la « Nantes Digital Week »
propose une centaine de
conférences et débats pour
s’initier, se perfectionner
et s’imprégner des
évolutions et des défis
soulevés par la transition
numérique. Organisé sur
30 lieux dans les quartiers
et sur les communes
de la Métropole nantaise,
à Saint-Nazaire et Angers,
ce rendez-vous du numérique
aborde six grandes
thématiques : art et
patrimoine ; économie
et emploi ; éducation et
jeunesse ; égalité et
accessibilité ; culture
scientifique et technique ;
joueurs et concepteurs
de jeux vidéo, à travers un
programme riche et original.
Ainsi, la Maison de l’avocat
met en scène un spectacle en
forme de procès où comparaît
Monsieur Mégadonnées pour
tentative d’homicide sur
Madame Vie privée. ■
F. T.
D’ici à décembre encore, dans le sillage du grand débat sur la Loire mené
au printemps et qui avait jeté les bases
d’une refondation du dialogue citoyen, la
métropole nantaise va accoucher d’une
plateforme citoyenne de quartiers, accessible sur Internet, pour donner la parole
aux habitants qui, pour une raison ou
pour une autre, sont jusque-là absents du
débat public. Pionnière dans le domaine
des données ouvertes, après avoir favorisé
l’alliance des collectivités dans ce secteur
et l’émergence de nombreux lots de données, la ville veut désormais s’orienter
vers davantage de pédagogie. « C’est une
chose de livrer les données brutes du conseil
municipal, cela en est une autre de donner
les clés pour comprendre », indique Johanna
Rolland. Dans le registre de la ville facile,
la collectivité cherche à simplifier les
démarches administratives et réduire le
nombre de factures papier en multipliant
les démarches en ligne. Progressivement,
un compte unique avec un seul identifiant,
un seul mot de passe devrait être mis en
place pour accéder aux diverses institutions. L’idée d’un coffre-fort numérique
destiné aux plus démunis pour stocker
l’ensemble de leurs papiers d’identité
avance. Pour devenir une cité facile, solidaire, attractive, connectée…, favoriser les
transitions numérique, énergétique et écologique, le plan d’action de la ville intelligente compte une centaine d’interventions
afin de déployer le haut débit pour tous à
l’horizon 2020, le wi-fi gratuit là où les flux
sont les plus importants. Mais aussi favoriser des tiers lieux d’innovation, accroître
la mobilité, la multiplication des pratiques
collaboratives, le renforcement de l’écosystème numérique, la mise en œuvre de
l’hôpital et de l’usine du futur, l’expérimentation de nouveaux modèles urbains sur
l’île de Nantes, la création d’un observatoire des pratiques numériques, etc. « Et
favoriser l’innovation ouverte pour aider les
Nantais et les Nantaises à s’approprier la
culture numérique dont ils ont besoin au quotidien. L’idée, c’est de mobiliser tous les acteurs
touchant de près ou de loin au numérique,
les grandes écoles, les lycées, les associations
comme Mediagraph ou Stereolux pour bâtir
des parcours de formations accessibles à tout
âge et éviter les ruptures », explique Franck
Trichet, qui vise l’émergence d’une école
numérique dans la logique des écoles de la
seconde chance.
TOUS LES ACTEURS
AUTOUR DE LA TABLE
En croissance régulière depuis 2009,
l’écosystème numérique a permis l’éclosion de près de 1 500 entreprises et plus
de 20 0000 emplois. Faute de pouvoir se
faire seule, l’embryon de ville intelligente
cherche aujourd’hui à accélérer les processus créatif et collaboratif entre le secteur public, les citoyens, les filières et les
entreprises. D’où une volonté farouche,
dans un contexte de restriction budgétaire, d’inciter les partenariats entre le
public et le privé, les rapprochements
entre grands groupes, PME et startups. À
l’instar de la startup nantaise EP (Énergie
Perspective) particulièrement impliquée
dans la réflexion sur la création d’une plateforme locale de rénovation énergétique.
«La collectivité locale est un magnifique tiers
de confiance. Mais elle n’est pas forcément
légitime pour faire du conseil en rénovation
auprès des habitants. En revanche, elle dispose d’actifs, et notamment dans la communication, pour faire de la pédagogie à travers
l’affichage, les magazines… et mettre autour de
la table un acteur comme nous pour le conseil
de manière indépendante, les artisans et les
vendeurs de matériaux pour faire les travaux,
les énergéticiens… Il ne s’agit pas qu’un seul
gagne la partie. Ce n’est pas un jeu individuel
mais collectif. L’histoire du “jeu à la nantaise”
est intéressante, mais Nantes réussira son pari
quand elle fera jouer ensemble les grands et les
petits acteurs du territoire. Et c’est ce qui est
en train de se produire… », estime Yann Person, cofondateur de la startup nantaise. n
I 19
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
ÉNERGIE Le nantais QOS Energy
s’installe à San Francisco
Fondée en 2010, QOS Energy a développé
une solution de monitoring destinée à surveiller
les productions et les consommations d’énergie
dans les bâtiments ou sur les territoires.
I
l aura fallu deux ans à Franck Le Breton
et Jean-Yves Bellet, fondateurs de Qos
Energy, pour développer et mettre au
point la plateforme Web destinée à la
supervision en temps réel d’installations
énergétiques. En cinq ans, la solution a pris
pied sur 3 000 sites français et étrangers. Principalement sur les marchés de la production
d’énergie (photovoltaïque, éolien, gaz, hydrolien…), la gestion des bâtiments industriels et
des territoires. Ces trois dernières années, le
chiffre d’affaires a doublé chaque année pour
atteindre 1,5 million d’euros en 2014. « Pas de
mystère, pour fiabiliser nos données, nous allons
devoir exploser à l’exportation », affirme JeanYves Bellet, vice-président de Qos Energy.
Présente en Allemagne et en Grande-Bretagne,
la jeune startup nantaise ouvrira en novembre
prochain un troisième bureau à San Francisco.
Ces implantations viennent s’ajouter aux
partenariats noués avec le Japon et le Brésil.
« Comme beaucoup, face à la concurrence internationale, on ne peut pas se permettre de rester
en France. L’objectif est d’avoir un maximum de
partenaires pour construire une base de données
structurée qui puisse fournir les tendances du mar-
ché », résume Jean-Yves Bellet, vice-président
de QOS Energy. Car, à défaut de stocker l’énergie, on va chercher à déplacer les consommations dans le temps.
1 % DE LA PRODUCTION
NATIONALE D’ÉNERGIE SOLAIRE
« Le photovoltaïque est loin d’avoir fait son temps.
Il y a eu beaucoup de casse, certes, mais il reste
aujourd’hui une concentration d’acteurs ultraspécialisés », ajoute le dirigeant de QOS Energy,
qui intervient sur 1 % de la production nationale. Les énergies renouvelables représentent
70 % à 80 % de son chiffre d’affaires. L’autre
partie étant réalisée par la mesure des consommations dans les bâtiments industriels. « La
multiplication des données nous permet d’élaborer
des modèles de consommation de plus en plus pointus pour bâtir des offres adaptées à la demande »,
précise-t-il. Des modèles exploitables pour la
gestion des consommations d’une usine de
production ou le développement de villes et de
réseaux électriques intelligents dans lesquels
F. T.
est engagé QOS Energy. n La plus grande
partie du chiffre
d’affaires
de QOS Energy
est réalisée
par la mesure
en temps
réel des
consommations
dans
les bâtiments
industriels.
© GUI YONG NIAN FOTOLIA
MOBILITÉ
Transway mise sur les récompenses
pour faire évoluer les mobilités
Avec son application Gotoo et ses points Soleillos, Transway parie sur la rétribution pour impliquer
l’utilisateur, changer les comportements et limiter les émissions de CO2.
P
« Notre objectif
est de proposer
un outil d’aide au
changement de
comportement »,
explique Nicolas
Tronchon,
cofondateur de
Transway.
© GOTOO
our faire évoluer les mobilités
et les mentalités, Transway
mise sur les récompenses.
« Pour convaincre un usager
d’emprunter un bus, récompenser seule la fidélité ne sert à rien, mais si
vous l’associez au sentiment d’appartenance
à une communauté et à une information
réactive et partagée, là, vous obtenez quelque
chose qui fonctionne. L’enjeu est donc d’intervenir sur ces trois leviers à la fois »,
explique Nicolas Tronchon, cofondateur
de Transway, une startup créée à Nantes
en 2009 autour des questions de « mobilité intelligente ». « Notre objectif est de
proposer un outil d’aide au changement de
comportement », ajoute-t-il.
Le développement et la mise au point du
dispositif aura duré plus de trois ans et
demi et nécessité un million et demi d’euros d’investissement, dont 50 % d’aides
publiques. « Gotoo fonctionne à partir
d’un algorithme capable de détecter le mode
de transport utilisé en fonction de la vitesse,
la vélocité, l’inertie, etc. », indique Nicolas
Tronchon. Des informations, rendues
anonymes, qui peuvent être validées par
des questions posées à l’utilisateur.
LES POINTS ACQUIS
TRANSFORMÉS EN CADEAUX
En temps réel, l’application détermine
si vous vous déplacez en bus, en vélo,
en covoiturage… Chacun d’eux offrant
un certain nombre de points – des
Soleillos –, en fonction de l’émission
de carbone estimée pour un déplacement. Cet outil de collecte d’informations et de services (informations en
temps réel) est associé à une place de
marché où les points acquis peuvent
être transformés en cadeaux (gratuité
ou réductions) offerts par des enseignes
nationales, régionales, des commerçants
de proximité qui mettent en ligne leur
offre ou des sociétés privées. Ces dernières peuvent ainsi récompenser leurs
salariés les plus vertueux en offrant des
compensations allant au-delà des taux
imposés par la loi sur la transition énergétique. « Les autorités organisatrices de
transport (AOT) peuvent ainsi récolter de
nombreuses données pour améliorer leurs
services et offrir, par exemple, des abonnements gratuits », précise Nicolas Trochon.
« Aujourd’hui, les autorités organisatrices
de transport ont peu de marge de manœuvre
sur l’offre. En revanche, elles peuvent intervenir sur les horaires décalés. Un bouchon
est occasionné par 5 % à 6 % du trafic. En
travaillant sur cette marge, on peut corriger un problème et décongestionner un
réseau », dit-il. En cours de déploiement
au Canada, Gotoo, qui devrait être prochainement installé à Bordeaux et à Périgueux, intéresse aussi certaines villes
d’Asie du Sud-Est. n F. T.
20 I
MÉTROPOLES
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
ENTRETIEN
JOHANNA ROLLAND, maire de Nantes et présidente de Nantes Métropole
« Mettre le cap vers
l’international est essentiel »
Que sera Nantes dans dix ans ? Pour sa maire, elle sera « une des métropoles françaises les plus dynamiques
sur les questions de transition écologique et numérique » et « une métropole européenne qui rayonne ».
Autant dire que « la smart city à la nantaise » assume fièrement ses ambitions et s’organise pour réussir.
© PATRICK GARÇON - NANTES MÉTROPOLE
LA TRIBUNE – Vous parlez d’une
smart city à la nantaise, comment
la définiriez-vous ?
JOHANNA ROLLAND – À Nantes, on aime
mieux parler de « la ville des intelligences »,
au pluriel. C’est la complémentarité des
approches, des regards, des capacités d’investissement qui font ce territoire. Donc, la
smart city à la nantaise, c’est une ville, une
métropole qui va de l’avant, qui a envie
d’inventer, de contribuer à imaginer le
monde de demain. C’est à la fois des valeurs
– la question de l’égalité dans le rapport au
numérique qui est un enjeu important – et
une méthode. Elle se traduit aujourd’hui par
une organisation et surtout un partage du
mode opératoire à travers les acteurs
concernés. Nous avons, à Nantes, une
volonté collaborative extrêmement forte.
Quels sont les grands projets
de la smart city nantaise
que vous voulez accélérer ?
La première chose, c’est le passage du cap
de l’international. C’est absolument essentiel, l’un de nos objectifs est de faire de
Nantes une métropole européenne. La présidence d’Eurocities par Nantes nous aide
à avoir un regard européen et international.
Pour moi, il n’y a pas un modèle de smart
city. Chacun doit s’adapter à l’identité de sa
ville. Mais aller s’inspirer de villes comme
Amsterdam ou Barcelone donne du souffle
et un certain nombre d’idées. À l’inverse, je
ne crois pas, par exemple, au tout-technologique. Sur le champ économique, c’est
bien la capacité d’accompagner les acteurs
économiques, et notamment dans l’alliance
entre les grandes industries traditionnelles
et les petites startups. Le vrai sujet, c’est
celui de la numérisation commune, de favoriser le croisement et la capacité à aller à
l’international avec cette idée de dire :
« Jouons, gagnants-gagnants. »
À quelles économies peut-on
s’attendre ? En a-t-on réalisé ?
Le calcul économique est extrêmement
complexe. Aujourd’hui, ce serait trop
approximatif de donner un chiffre sur des
économies réalisées. Mais nous sommes en
cours d’évaluation.
L’harmonisation de la démarche smart
city à l’ensemble des communes de
la métropole s’avère-t-elle complexe ?
Pourquoi pensez-vous que la
construction d’une ville intelligente
était l’un des enjeux de votre mandat ?
La smart city, ce n’est pas une fin en soi.
C’est une manière de s’adapter aux mutations de la société. Nous sommes dans un
monde qui bouge de plus en plus vite. Un
des enjeux de ce mandat, c’est d’inventer et
de construire le Nantes de demain. D’un
point de vue économique, social, ressources
humaines et écologiques. Autour des
grandes questions de transitions, la smart
city a un rôle à jouer. Et c’est aussi l’occasion
d’amener dans l’aventure de nouveaux
acteurs. Dans la smart city à la nantaise, on
travaille avec des acteurs historiques, traditionnels, qui font Nantes depuis de nombreuses années, des acteurs qui ont émergé
depuis moins longtemps et ceux qui nous
rejoignent. De jeunes startuppeurs parisiens
venus s’installer à Nantes me disaient qu’ici,
l’échelle et l’interpénétration d’un écosystème qui bouge et qui se connaît faisaient
gagner du temps. Donc, sur les enjeux d’une
smart city, les questions de la rapidité et de
l’adaptabilité sont vraiment essentielles.
mission de permettre la mobilisation de
toutes nos politiques publiques au service
de l’innovation. Vous imaginez bien que
dans cette grande maison de 8 000 agents,
cet énoncé de la modernisation de l’action
publique, fidèle à ses valeurs, mais qui doit
être le service public de 2015, cela nécessite… de la conviction.
Quels sont les effets sociaux
et économiques de la numérisation
amorcée sur la métropole ?
D’abord, l’obtention du label Nantes Tech a
servi d’accélérateur. Ce n’est pas une fin en
soi, mais il a favorisé la mise en synergie des
acteurs. Ici, la démarche est portée par les
politiques, les startups, la CCI, l’université,
les chercheurs, et c’est ce qui fait la force de
la démarche. Maintenant, on est à l’étape
suivante. Avec la mise en place d’une équipe
dédiée parce qu’il faut construire, il faut un
plan d’actions, une efficacité, accompagner
l’élaboration de modèles économiques.
Nous sommes aujourd’hui dans cette phase
d’opérationnalité, avec notamment le rapprochement de startups et grands comptes.
Il y a ce que la métropole peut faire seule et
ce qu’elle peut provoquer… en mettant les
uns et les autres autour de la table. Ça participe au processus d’accélération
Comment les nouvelles technologies
peuvent-elles améliorer
la vie des Nantais ?
Elles le peuvent si elles sont à destination
de chacune et de chacun. La transition
numérique peut être soit un risque d’ac-
croître les inégalités avec les conséquences
économiques que cela a, soit un outil qui
contribue à la lutte contre les inégalités.
C’est pourquoi j’insiste sur l’éducation au
numérique dans notre projet de smart city à
la nantaise. Les nouvelles technologies facilitent la vie, si elles sont les plus simples et
les plus transparentes possibles. L’application « Nantes dans ma poche » est très
simple, très sobre, sans ostentation… Par
contre dans la vie au quotidien, dans le
changement des usages et le fait de s’adapter aux évolutions de modes de vie et comportement des habitants, elle est très intéressante.
À quels obstacles devez-vous
faire face ?
Au début, à une méconnaissance des enjeux
pour un territoire dans certains milieux et
des sphères très différentes. Cela bouscule
les habitudes dans certains grands groupes,
dans les grandes administrations publiques.
J’ai fait le choix en début de mandat de
nommer un adjoint chargé de l’innovation
et du numérique et restructurer l’administration de la métropole en créant une direction à part entière, qui est responsable de
ses questions à l’innovation. Elle a pour
Plutôt que de le faire de façon théorique, j’ai
souhaité l’aborder de façon pragmatique.
L’application « Nantes dans ma poche » a
été l’occasion de le faire, avec la mise en
place d’ateliers prospectifs sur l’innovation
au début du mandat. La question était : « À
Nantes, la smart city qu’est ce que c’est, que
veut-on faire ? », etc. Cela nous a permis
d’avancer sur la conception collective. C’est
une vraie question. parce que nous sommes
la sixième métropole française. Et, l’avenir
de ce pays s’invente dans les territoires et
en l’occurrence dans les métropoles. Elles
ont un rôle important à jouer. Pas seulement celui de locomotive pour leur territoire, mais elles ont aussi une capacité
d’entraînement. Soixante-dix pour cent de
l’investissement public dans le pays a lieu
dans les métropoles, où une partie déterminante du PIB du pays est produit. Cette
capacité de réseau est donc essentielle.
Notre volonté est d’avancer sur ces sujets
au sein des métropoles de l’Ouest, avec
Rennes, Angers, Brest, Saint-Nazaire… Cela
fait partie de mes préoccupations.
« La “smart city”, c’est une
manière de s’adapter aux
mutations de la société »
Comment imaginez-vous
la métropole nantaise dans dix ans ?
Nantes dans dix ans, ce doit être une métropole européenne qui rayonne à l’international, qui a gardé ses valeurs, qui s’est organisée pour refuser la standardisation des
grandes métropoles mondiales et c’est
l’endroit où tous les créatifs, tous ceux qui
ont une idée, une envie d’entreprendre,
d’investir, se diront : « À Nantes, c’est possible
de le faire. » Dans dix ans, on doit être une
des métropoles françaises les plus dynamiques de ce pays sur les questions de transition écologique et numérique, et on ne
doit pas avoir oublié que le fil de nos
valeurs, c’est l’égalité. ■ PROPOS RECUEILLIS PAR FRÉDÉRIC THUAL
I 21
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
L’ÉVÉNEMENT LA TRIBUNE
Le Forum Smart City Nantes,
une expérience créative
La Tribune et le forum international Live in a Living City ont choisi Nantes
pour y tenir une nouvelle édition du Forum Smart City, le 17 septembre.
L’ambition de ce colloque, voué à un rayonnement international : échanger
et partager les bonnes pratiques pour construire ensemble une ville
de demain plus humaine, citoyenne, solidaire, connectée et ouverte.
S
i toutes les grandes métropoles du monde doivent
aujourd’hui faire face à des
problématiques communes, il n’en demeure pas
moins vrai – et je ne cesse
de le réaffirmer sur la
scène internationale – que
chaque ville est unique, porteuse d’une
identité, d’une culture, d’une mémoire qui
s’incarnent dans ses infrastructures
comme dans sa population.
Il est essentiel pour toutes les villes de
réussir leur transition urbaine, c’est-à-dire
de relever les défis à la fois écologiques,
sociaux, culturels, économiques et de résilience auxquels nous devons faire face au
xxie siècle pour devenir des smart cities
humaines, qui placent le citoyen au centre
de leur organisation. Mais chaque ville doit
parcourir un chemin qui lui est propre
pour y parvenir, et c’est ce qui rend la problématique du devenir urbain mondial si
passionnante.
PUISSANCE DE L’OCÉAN,
DOUCEUR DU FLEUVE
Nantes est une ville à la personnalité forte,
qui s’affirme de plus en plus ces dernières
années du fait des choix stratégiques assumés par sa gouvernance. Elle se situe au
carrefour de deux influences : celle de sa
façade atlantique, qui lui confère son identité de ville portuaire – ville ouverte sur le
monde, ville d’échanges commerciaux,
ville de marins et d’amoureux de la mer.
Avec un trafic extérieur annuel d’environ
27 millions de tonnes, Nantes SaintNazaire est ainsi le premier port de la
façade atlantique française et le quatrième
grand port maritime français.
Mais Nantes est aussi une ville du fleuve,
des terres intérieures façonnées par les
méandres ou boires, ces bras morts qui
sont aujourd’hui des réserves naturelles
particulièrement riches en biodiversité.
Plus long fleuve de France, la Loire est
encore considérée comme une entité écologique exceptionnelle : c’est le dernier
grand fleuve relativement « sauvage » de
France. Puissance de l’océan, douceur du
fleuve, Nantes porte donc en elle ces deux
tempéraments contraires.
Ses liens avec la mer et le fleuve en font
une ville fondamentalement ouverte vers
l’extérieur : Nantes, c’est la ville du voyage.
Voyages extraordinaires de Jules Verne,
voyages imaginaires de la compagnie Royal
De Luxe, voyages mécaniques des formidables machines de l’île de Nantes… Cette
aspiration à la découverte et à l’altérité,
qui fait sans aucun doute partie de sa
culture depuis des décennies, a façonné la
ville que nous connaissons aujourd’hui,
bluffante d’originalité, de vitalité, de créativité. Elle a réussi là une belle reconver-
sion à la suite de la fermeture, en 1987, des
chantiers de l’Atlantique qui mit fin à la
grande tradition industrielle de la ville.
Création du Lieu unique, réhabilitation
des Halles Alstom, initiation de la Folle
journée, réhabilitation du château des ducs
de Bretagne… le déploiement de la stratégie de reconversion orchestrée par la
municipalité s’est rapidement traduit par
de belles réussites.
Nantes avait donc de belles prédispositions, semble-t-il, pour réussir également
sa transition urbaine. Elle mène en ce sens
une politique extrêmement proactive,
emmenée par sa maire et une équipe dynamique bien décidées à ne pas se laisser
enfermer dans les clichés, les mantras ou
les dogmes.
Sur le plan écologique, la ville s’est engagée très tôt dans des actions de fond. Elle
a d’ailleurs accueilli en juin dernier le
sommet mondial du vélo urbain Velocity
et s’est reconvertie à cette occasion en
capitale mondiale du vélo, avec de nombreux événements promus par la municipalité. Le sommet mondial de la ville
durable Ecocity s’est également tenu à
Nantes en septembre 2013. Sur le plan de
la mobilité également, la municipalité a
mis en œuvre des mesures plus adaptées
aux besoins des habitants avec, notamment, des horaires aménagés. Enfin,
l’équipe municipale travaille au quotidien
à faire émerger les « villes invisibles »
d’Italo Calvino, celles de la misère, de
l’exclusion, la discrimination.
Le projet de réaménagement de l’île de
Nantes est lui aussi tout à fait exemplaire,
que ce soit en termes d’habitat social, de
mixité des usages ou de construction
durable. Rappelons que 51 hectares d’espaces publics ont déjà été créés ou retraités, 4 400 nouveaux logements réalisés,
dont 23 % de logements sociaux, plus de
230 000 m 2 de bureaux et 100 000 m 2
d’équipements construits. D’ici à 2030,
d’autres aménagements de taille sont prévus. Le projet prévoit en outre d’unifier,
de connecter les différents quartiers de
l’île par une trame paysagère qui abritera
des pistes cyclables, des espaces de jeux,
de larges cheminements piétonniers… J’ai
pour ma part été tout à fait impressionné
par la dimension et l’ambition de ce projet,
qui devrait certainement inspirer nombre
de villes dans le monde.
UN LABORATOIRE
À CIEL OUVERT
L’école de design de la ville de Nantes promeut quant à elle énergiquement, à
l’échelle du territoire, le design des services, qui place l’usager au centre de son
approche, révolutionnant nos vieilles
manières de fabriquer, bâtir et concevoir.
Belle manifestation de cette dynamique
créative, la French Tech nantaise est l’une
des plus actives de France. Elle fait circuler
des idées originales dans la région, comme
la création d’un billet SNCF gratuit pour
les entrepreneurs de la French Tech, au
même titre que les billets militaires autrefois. Citons également l’école de la deuxième chance, l’Institut de recherche technologique Jules-Verne, le créatif et original
lieu d’échange, d’expérience et de vie
AIR38, le compostage urbain et collaboratif au cœur des cités… autant d’initiatives
qui font de Nantes un formidable laboratoire à ciel ouvert et une expérience créative à part entière.
Il faut sans doute rappeler que des défis
demeurent néanmoins, en priorité la lutte
contre les inégalités économiques, sociales,
culturelles, numériques. La ville doit aussi,
à mon avis, devenir plus visible sur la scène
internationale, pour y mettre en avant ses
bonnes pratiques et aller vers des projets
plus poussés en coopération.
Le 17 septembre prochain, aux côtés
d’autres experts de la ville vivante de
demain, nous poursuivrons donc la
réflexion « humaniste » entamée autour
de la ville intelligente, qui a permis de
recentrer le débat sur l’essentiel – les
citoyens – et qui a changé la donne sur le
sujet grâce à l’implication de tous les
acteurs concernés. L’enjeu majeur de notre
approche est en effet la capacité à créer
des usages et des services qui contribuent
à l’amélioration de la qualité de vie et qui
apportent des réponses aux besoins des
habitants. C’est la raison pour laquelle je
parle sur la scène nationale et internationale de smart city humaine ou de ville
vivante. Nantes en est un magnifique
exemple. n
CARLOS MORENO
Professeur, entrepreneur, conseiller
scientifique expert de la ville intelligente
Ville de marins
et d’amoureux
de la mer, Nantes
accueillait cet été
l’historique
trois-mâts
Belem, devenu
navire école.
© FOTOLIA
22 I
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
RÉGIONALES 2015
NOUVELLE DONNE
Les Pays de la Loire optent pour
des coopérations renforcées
Après le « Grand Est » où nous avons fait étape dans notre précédente édition, La Tribune poursuit
son tour de France des Régionales… Repoussée de la 5e à la 8e place au gré de la réforme territoriale,
la région des Pays de la Loire veut multiplier les partenariats pour raisonner à l’échelle du Grand Ouest.
@FrdericThual
E
lle a tout d’une grande…
mais ses contours, dessinés arbitrairement dans
les années 1950, autour
de la Loire-Atlantique
(Nantes), le Maine-etLoire (Angers), la Vendée (La Roche-sur-Yon),
la Sarthe (Le Mans) et la Mayenne (Laval),
resteront inchangés encore pour quelque
temps. Qu’à cela ne tienne, la région des
Pays de la Loire, qui a évité le démantèlement d’un projet de France à 12 régions
et buté sur un rapprochement avec sa voisine la Bretagne, laquelle lorgnait la seule
Loire-Atlantique, se réjouit plutôt de rester
à l’écart du chamboulement territorial. Elle
y verrait même quelque avantage. Du moins
à court terme. Même si, pour cela, elle doit
glisser de la cinquième (sur 22) à la septième ou huitième place (sur 13).
Un changement au classement qui n’émeut
guère Christophe Clergeau (PS), premier
vice-président de la région et candidat à
la succession du président actuel Jacques
Auxiette, en décembre prochain. « Nous
n’allons pas perdre de temps, d’argent ni
d’énergie dans ce redécoupage. Le débat a
même montré une certaine solidarité entre
les acteurs des Pays de la Loire. Une “plus
petite région”, c’est plus d’efficacité, d’agilité
et de réactivité », prône-il, admettant quand
même qu’il faudra bien avoir recours au
marketing territorial pour réécrire son
Le redécoupage
territorial
s’accompagne
d’un
élargissement
des missions
des régions dans
les transports,
la formation
et l’économie.
Avec ce transfert
de compétences,
le budget ligérien
devrait passer
de 1,4 milliard
à 1,8 milliard
d’euros.
Ici, la place
du Ralliement,
à Angers.
© LECLERCQ OLIVIER /
HEMIS.FR
« profil ». Cinquième pour son PIB, sa
superficie, et une population en progression de 27 500 habitants par an, seconde
région agricole française et troisième région
industrielle, les Pays de la Loire cultivent
de nombreux atouts. Un cadre de vie et un
dynamisme économique, d’abord. En raison de son attractivité géographique, patrimoniale et économique, la région devrait
voir sa démographie augmenter de 25 % au
cours des trente prochaines années. Une
population qu’il faudra accueillir, former
et employer. D’où la nécessité de développer l’économie, de favoriser l’innovation,
l’émergence de filières, l’investissement, de
renfoncer le tissu très diversifié des PME,
d’inciter la venue d’entreprises de taille
intermédiaire (ETI) pour donner plus de
valeur aux emplois proposés et attirer des
talents. En net progrès, la recherche reste
insuffisamment présente dans la région.
Tout comme l’internationalisation des
© PHOTOS : DR
PAR
FRÉDÉRIC
THUAL
À NANTES
UNE FUSION AVORTÉE
Passée à côté du redécoupage territorial, la région des Pays de la Loire a envisagé
toutes les hypothèses. Elle préfère aujourd’hui miser sur les coopérations.
Q
«
uand je vois les cernes sous
les yeux de mes homologues
d’Aquitaine, Poitou-Charentes,
Limousin, et les difficultés auxquelles ils ont
à faire face en gérant concomitamment
le désengagement des départements,
la préparation des élections régionales,
la fusion avec une ou deux autres régions
imposée en un an, nous avons au moins
l’avantage de ne pas être soumis au rouleau
compresseur organisationnel des fusions »,
estime Lionel Delbos, directeur général
délégué à l’économie et à l’innovation
dans la région des Pays de la Loire. Soulevée
en début d’année 2014, la question d’une
fusion avec la Bretagne a agité le landerneau
ligérien. Tous les scénarios ont été examinés,
jusqu’à un rapprochement avec les régions
Poitou-Charentes et Centre. Des hypothèses
sans véritables fondements. « Pour l’Ouest,
l’intérêt des populations est la fusion Pays
de la Loire-Bretagne autour des métropoles
Nantes et Rennes », twittait, à l’époque,
Jean-Marc Ayrault, l’ex-maire de Nantes.
Si les Ligériens se sentaient favorables
à la fusion, les Bretons, emmenés par
Jean-Yves Le Drian, soutenu par l’UDB
(Union démocratique bretonne),
revendiquant une Bretagne à cinq
départements — Loire-Atlantique incluse —,
n’en ont pas voulu. La précipitation
de la réforme a-t-elle été préjudiciable
à une région de l’Ouest à neuf départements ?
« On est passé à côté d’une réforme qui
aurait pu être majeure pour la France,
en allant vers un État fédéral comme en
Allemagne, dont l’organisation me semble
plus adaptée aux enjeux actuels. En Pays
de la Loire, on a eu la chance d’échapper
à un redécoupage dicté de Paris, prônant
que la solution, c’étaient les grandes régions.
En fait, on voit que ces regroupements sont
très compliqués en termes d’enjeux.
La réforme n’a pas pris en compte
la dynamique des territoires et va peut-être
poser plus de problèmes qu’elle ne va
en résoudre », estime Sophie Bringuy,
vice-présidente du conseil régional des Pays
de la Loire chargée de l’environnement,
candidate EELV à la présidence. Selon
entreprises. « Plus qu’à un mariage artificiel avec la Bretagne, ce qui est déterminant
pour moi c’est le projet collectif porté sur un
territoire, et de faire travailler ensemble des
gens confrontés aux mêmes enjeux. Au niveau
européen, la Bretagne et les Pays de la Loire
sont périphériques. Nous avons chacune une
dimension agricole, maritime, une histoire,
un modèle social relativement proche, des
entreprises et universités largement en réseau,
et tout cela constitue un seul et même espace
cohérent, de Saint-Malo à la Roche-sur-Yon et
de Vannes à Angers. C’était une opportunité
d’adapter les frontières administratives à une
réalité qui existe déjà », argumente encore
Christophe Clergeau qui, à défaut de rapprochement avec la Bretagne, préfère multiplier les coopérations et les partenariats
avec les régions voisines (Bretagne, Poitou-Charentes, Centre). « Pour peser au nom
du Grand Ouest dans les débats nationaux ou
européens », précise-t-il.
Sophie Bringuy, vice-présidente du Conseil régional
des Pays de la Loire chargée de l’environnement et
Christophe Clergeau, vice-président du Conseil
régional. © DR
BRETAGNE ET PAYS DE LA
LOIRE : UN DESTIN COMMUN
Christophe Clergeau, vice-président
du conseil régional, « on pouvait concilier
la reconnaissance d’une réalité, d’une histoire
et d’une culture partagées et, sur un
territoire plus large, construire l’avenir… ».
Sentiment d’être passé à côté de quelque
chose. « Mais sans doute fallait-il prendre le
temps d’un vrai débat. Il existe aujourd’hui
une continuité d’aménagement, de transport,
d’échange entre ces deux régions. Faire des
choix collectifs sur un espace où l’on a envie
de vivre, c’est le même débat que pour
l’intercommunalité : il faut se choisir. Il y avait
des réticences en Bretagne, c’est pourquoi
je me bats aujourd’hui plutôt pour multiplier
les projets communs et les coopérations
renforcées », indique Christophe Clergeau. ■F. T.
Que ce soit à travers les pôles de compétitivité (EMC2, Atlanpole Biotherapies,
Images & Réseaux, etc.) ou le développement de filières traditionnelles comme
l’agroalimentaire et les industries maritimes ou, plus récentes, comme les Énergies marines renouvelables (EMR), les
deux régions se reconnaissent un destin
commun. « Le temps que les autres utilisent
pour leur fusion, nous devons l’utiliser pour
renforcer nos coopérations. Sur les EMR, par
exemple, même si l’on est concurrent, on mène
le combat ensemble. »
Votée en juillet dernier pour accompagner
le redécoupage territorial, la loi NOTRe va
élargir les missions de la Région dans les
domaines des transports, de la formation
et de l’économie. Grâce à ce transfert de
compétences, le budget ligérien devrait pas-
I 23
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
Le Mans
Laval
Nantes
Population
PIB
Taux de chômage
Exportations
3 666  millions
d’habitants
2013
2014
2013
105,8 milliards
9 %
18,2 milliards €
(+1,2% vs 2012)
5e région française pour
son produit intérieur brut.
2e région agricole française (7 %
de l’emploi contre 4 % en France).
3e région industrielle (17,1 %
de l’emploi contre 11 % en France).
6e région étudiante.
15e région en recherche
et développement.
(10% au national)
(9 % au 1er trimestre 2015)
Le taux de chômage a atteint
en fin d’année un niveau élevé
(9 %). Cependant, les Pays
de la Loire demeurent parmi
les régions les moins touchées.
En 2013, la région comptait
1 508 000 emplois, soit 5,7 %
de l’effectif national
soit 4,3 % du total France
(428 milliards €)
(8e région française)
Avec 40 % à 50 % de leur
activité, les fabricants de
matériels de transport, l’industrie
électronique et des composants
électriques arrivent en tête
parmi les secteurs les plus
exportateurs.
(+27 500 personnes par an)
Selon l’INSEE, les Pays
de la Loire compteront près
de 4,4 millions d’habitants
en 2040, soit, au regard du taux
de fécondité et du solde
migratoire, 910 000 habitants
supplémentaires.
Vingt-cinq pour cent ont
moins de vingt ans
La Rochesur-Yon
Angers
Sources : INSE - ORES
ser de 1,4 milliard à 1,8 milliard d’euros. En
prenant la main sur des secteurs jusque-là
incombant aux départements, la Région va
couvrir des spectres plus larges et, surtout,
pouvoir déterminer un schéma d’aménagement sur son territoire en ayant un œil sur
toute la chaîne de la formation des jeunes,
les aides aux entreprises et l’ensemble des
transports (hors agglomération). « Confier
les transports scolaires aux régions, c’est pour
moi une absurdité. Les départements le font
très bien, les régions ne feront pas mieux »,
estime le sénateur (Les Républicains)
Bruno Retailleau, président du conseil
départemental de Vendée et candidat à la
présidence de la région des Pays de la Loire.
« Ce n’est pas le rôle des nouvelles régions. Il
manque à ce texte une dimension de décentralisation. Nous avons proposé au Sénat une
régionalisation des politiques de l’emploi, sinon
à quoi bon élargir les compétences économiques
des régions, et avons obtenu une expérimentation très contrainte, très timide pour territorialiser une politique régionale de l’emploi.
Maintenant, le texte est voté, faisons avec, mais
je crois que les collectivités doivent se concentrer sur l’investissement et élaborer des stratégies pour l’avenir et non intervenir un peu
partout », dit-il. Jacques Auxiette a d’ailleurs
fait savoir, cet été, au gouvernement qu’il
était prêt à mener cette expérimentation
en Pays de la Loire.
Si l’enjeu des prochaines échéances électorales portera bien évidemment autour des
questions d’emploi dans une région où le
taux de chômage atteint 9 %, la collectivité
devra faire face à la pression démographique et aux enjeux de transition énergétique et écologique. Car, pour satisfaire ses
besoins en logements et la croissance des
entreprises, les Pays de la Loire seraient
l’un des territoires français qui consomment le plus d’espaces naturels pour son
développement. « C’est une opportunité de
ne pas être dans le premier wagon de grandes
fusions. Ce recul permettra d’être innovant.
Nous sommes à une période charnière. La
région a vraiment un rôle à jouer dans cette
transition. Tout le monde répond numérique,
mais je pense que le vrai enjeu sera de travailler
sur l’humain et l’équité territoriale », estime
Sophie Bringuy, la candidate d’EELV. n
ENTRETIEN
LIONEL DELBOS, directeur général délégué à l’économie et à l’innovation
« Comment maintenir l’équité
des dispositifs du nord au sud ? »
Quel aurait été, selon vous,
le bénéfice d’un rapprochement
entre la Bretagne et les Pays
de la Loire ?
Lionel Delbos :
« Pour l’instant,
on fait un état
des lieux. »
© DR
Il aurait été en adéquation avec un
certain nombre de dynamiques
engagées par les acteurs économiques. Notamment les pôles de
compétitivité qui sont partagés
entre ces deux régions. Tous les
pôles des Pays de la Loire ont des
antennes en Bretagne et réciproquement.
Dans des secteurs comme l’agroalimentaire,
les énergies marines renouvelables, avec des
entreprises comme STX, DCNS… un seul
interlocuteur leur aurait simplifié la vie. Mais
les acteurs économiques n’ont pas attendu
pour s’engager dans des processus de rapprochement et de fusion. Cela aurait aussi pu
apporter une simplification et une lisibilité
aux acteurs universitaires. Même si ce sera le
cas, au 1er janvier prochain, lorsque la communauté d’universités et d’établissements
Bretagne-Loire se mettra en place.
Quels travaux prospectifs
avez-vous engagé sur ce sujet ?
Lorsque, en début d’année 2014, la question
du découpage des régions s’est posée, nous
avons confié une étude au Conseil économique, social et environnemental régional
(Ceser) qui, en lien avec les Ceser de Bretagne, Val-de-Loire et Centre, a réalisé une
cartographie de toutes les coopérations et
accords de partenariats interrégionaux existants. Très vite, il est apparu que le nombre
de partenariats avec la Bretagne était le plus
important. Au nombre de 246 contre 61 pour
la région Centre, par exemple. Au quotidien,
on accompagne les logiques portées par les
acteurs économiques, comme les pôles de
compétitivité EMC2, Atlanpole Biotherapies…
Les échanges sont récurrents avec la région
Bretagne. Quand l’un identifie de vrais potentiels, souhaite intégrer telle entreprise ou
constituer un consortium, si les élus sont
partants, on soutient ces initiatives.
Votée en juillet pour accompagner
le redécoupage territorial, la Loi NOTRe,
octroie de nouvelles compétences
économiques aux régions.
Comment appréhendez-vous ce sujet
avec les départements ?
La plupart des départements se sont dotés de
comités d’expansion ou d’agences de développement économique départementales qui
ne pourront plus financer les entreprises à
compter du 1er janvier 2017. On a commencé
à échanger avec les départements mais les
situations sont extrêmement diverses. La
Loire-Atlantique avait déjà entrepris un
désengagement fort et fonctionnait avec une
équipe réduite. La Vendée, la Sarthe ou le
Maine-et-Loire ont encore des comités d’expansion importants avec 80 ou 90 personnes.
Pour l’instant, on fait un état des lieux. La
vraie question est de savoir si l’on doit laisser
subsister des structures de soutien économique à l’échelle du département. Quelle est
la bonne échelle pour accompagner les entreprises ? Est-ce la commune, l’intercommunalité, le département, la région ? Comment la
région va-t-elle pouvoir maintenir l’équilibre
et l’équité des dispositifs du nord au sud du
territoire ? Même si, comparé aux 12 autres
régions, les Pays de la Loire deviennent une
petite région, de La Faute-sur-Mer à Laval,
tout ne peut pas et ne doit pas être géré
depuis Nantes. Le développement économique ne se fait pas que dans les métropoles.
Le quadrimestre qui nous sépare de
l’échéance électorale va nous permettre d’établir une cartographie. Cet état des lieux permettra au prochain exécutif de la Région de
proposer une réorganisation pour 2017, en
cohérence avec les départements.
Que peuvent en attendre
les chefs d’entreprise ?
La disparition d’échelons va simplifier le paysage. Il ne faut cependant pas perdre la plusvalue et l’expertise qu’apportaient les comités
d’expansion. Le guichet unique est un mythe.
La France a empilé des logiques et des organisations compliquées, qui rendent la vie
difficile aux entreprises. Plutôt que de sabrer
dans le mille-feuille, on essaie de mettre en
réseau les personnes en contact avec les
entreprises. C’est ce qu’on a engagé depuis
un an et demi avec le portail PME-Pays de la
Loire et le réseau de développeurs économiques qui associe 600 à 800 personnes
issues des intercommunalités, des comités
d’expansion, de la Région, des chambres
consulaires. On est dans une logique de mise
en contact. Aujourd’hui, on a un regard complet sur les aides diverses dans les Pays de la
Loire. Plus il y a d’aides, plus on a de chances
qu’elles correspondent à la diversité des
entreprises. Mais encore faut-il qu’elles
sachent à qui s’adresser. D’où notre logique
de mise en réseau des aides. L’accélération
des aides, le nombre de dispositifs n’est pas
le problème, la question, c’est de les articuler
et de les rendre le plus visible possible. ■
PROPOS RECUEILLIS PAR F. T.
Retrouvez notre série « Régionales 2015 »
dans LE GRAND SOIR/3
présenté par Patricia Loison
chaque jeudi vers 22h30
24 I
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
INNOVER EN RÉGION
BRETAGNE
Quand le financement participatif
permet de repérer les startuppeurs
La Bretagne a lancé cet été une première expérimentation s’appuyant sur les platesformes bretonnes de financement participatif, Kengo.bzh et Gwenneg, afin de repérer
les projets innovants des jeunes du territoire. Quatre projets financés à 70 % par
la collecte vont bientôt bénéficier d’une aide régionale couvrant les 30 % restants.
PAR
PASCALE
PAOLILEBAILLY
@pplmedia35
E
n novembre, la prochaine commission permanente de la région
Bretagne validera une
aide financière accordée
à quatre projets d’entreprise portés par des
jeunes de 15 à 29 ans.
Limité à 4 000 euros par projet, ce coup de
pouce devrait permettre à la jeune société
Financée à 30 %
par la Région,
la jeune société
d’édition rennaise
d’ebooks pour
enfants, Héméra,
doit trouver les
70 % restants
grâce aux
plateformes de
financement
participatif,
Kengo et
Gwnenneg.
© DR
d’édition rennaise Héméra de publier des
ebooks pour enfants, et à la startup Penn Ar
Box de déployer dès novembre ses boîtescadeaux de produits bretons. Comme pour
les deux autres projets FoaliNet (application
sur la santé des poulains et constitution
d’une base de données épidémiologiques de
la filière équine) et Le Croissant Turbulent
(boulangerie-pâtisserie bio), l’aide régionale
ne couvrira que 30 % des besoins financiers
nécessaires à ces jeunes
pousses pour démarrer.
C’est la règle du jeu de l’appel à projets innovants et
contribuant à l'attractivité
du territoire, lancé en juillet
par la Région à destination
des jeunes. Soixante-dix
pour cent des sommes à
lever doivent être collectées
en amont sous forme de
dons via les deux plateformes bretonnes de financement participatif, Kengo
et Gwnenneg.
Depuis deux mois, une
dizaine de projets tentent
l’aventure, et Penn Ar Box
a même largement dépassé
son objectif de 7 500 euros
en réunissant 8 525 euros à ce jour. Pour
ceux qui n’ont pas atteint leurs objectifs,
la collecte se poursuit jusqu’à la fin de
l’opération, mi-octobre. De nouvelles initiatives, dont la création d'une gamme de
lunettes de soleil en bois, sont mises en
ligne régulièrement.
ADAPTER LES DISPOSITIFS
AUX PRATIQUES DES JEUNES
« L’intervention de la Région aura un effet
accélérateur dans la réalisation des projets »
assure le Conseil régional, qui consacre
une enveloppe de 50 000 euros à l’opération. Même si, au final, la somme n’est pas
dépensée intégralement, ce repérage de
projets via le Web permet à la Région de
cibler autrement ses aides en adaptant « les
dispositifs de soutien institutionnels aux nouvelles pratiques des jeunes »,
Visant des projets portés à titre individuel
ou collectif, mais sans préjugés sur les
domaines d’activité (économie, initiative
culturelle, humanitaire…), l’appel a finalement attiré beaucoup de projets de création
d’entreprises. Pour le Conseil régional,
l’absence de projets collectifs ou culturels,
trop atypiques pour prétendre à des aides
très sélectives, est presque une surprise.
« En période de crise, la création d’entreprise
est aussi un moyen de créer son propre emploi.
Pour ces jeunes entrepreneurs, une collecte soumise à la communauté des internautes permet
de tester leur marché potentiel. Ils bénéficient,
en outre, d’un accompagnement par les plateformes », souligne une collaboratrice d’Anne
Patault, vice-présidente du Conseil régional
chargée de la jeunesse.
COOPTÉS PAR LE PUBLIC ET
SUIVIS PAR LA COLLECTIVITÉ
« Un certain nombre de jeunes en phase de
création d’entreprise sont très attentifs aux
outils actuels, maîtrisent l’usage des réseaux
sociaux et savent s’y prendre pour que cela
marche. Comme Penn Ar Box, ils ont le bon
projet et la bonne façon de le vendre au-delà du
cercle familial et amical. Il est plus facile ensuite
de démarcher un financeur avec un marché et
un début de clientèle », ajoute Serge Appriou,
directeur de Kengo, qui a notamment
apporté un soutien en communication.
Après l’obtention de l’aide de la Région, les
entreprises seront suivies de façon attentive et devront rendre compte du développement de leur activité. Cette première
expérimentation ouvre une brèche au sein
du Conseil régional. Flécher des subventions vers des projets cooptés par le public
est une piste pour l’avenir. Demain, le
financement participatif pourrait aussi
contribuer à l’obtention de prêts aux entreprises. Calendrier oblige, cette réflexion ne
se poursuivra qu’au-delà des élections de
décembre prochain. ■
LANGUEDOC-ROUSSILLON
Biotope met le cap sur l’Afrique
Installé à Mèze (Hérault), le leader français de l’ingénierie
écologique accentue son déploiement à l’international. Après
la Chine ouverte en 2014, l’entreprise vise l’Afrique en 2016.
A
voir un train d’avance. Parier sur
un marché à défricher pour être
les premiers quand la prise de
conscience et l’activité surviendront. Telle est la stratégie visionnaire impulsée par Frédéric Melki, le fondateur
et dirigeant de Biotope, spécialiste français de
l’ingénierie écologique basé à Mèze (34).
Biotope, 240 salariés dans le monde (dont 75 à
Mèze, parmi lesquels 15 en R&D), réalise des
évaluations environnementales pour accompagner de gros projets d’aménagement dans la
réduction de leur impact sur la nature. L’entreprise accompagne également les collectivités
locales dans la mise en œuvre de plans de gestion des aires naturelles protégées afin de
concilier activités humaines et conservation de
la nature et de ses écosystèmes. Précurseur en
France, où le marché se révèle en ce moment
plutôt atone, Frédéric Melki poursuit sa stratégie de développement sur des territoires de la
planète où ces thématiques ne sont pas encore
forcément très considérées, anticipant ainsi
leur inéluctable et prochaine prise en compte.
LA VOLONTÉ DE RENFORCER
L’EXPORTATION
À ce jour, l’entreprise a ouvert trois filiales à
l’étranger : Madagascar, Casablanca et, en
mars 2014, la Chine. « Cette année, nous avons
accentué l’effort à l’export, confirme Nicolas
Roques, coordinateur de l’activité internationale de la société et responsable des filiales
chinoises et marocaines. En 2015, la part de
l’export devrait passer de 5 à 15 % du chiffre
d’affaires [17 millions d’euros]. On insiste donc
sur une importante montée en capacité des
équipes sur l’export. Nous sommes persuadés que
ce sont des métiers d’avenir, et pour tous les
continents… Nous avions un peu laissé en stand-
by la filière créée en 2012 au Maroc, pour mieux
nous concentrer sur la Chine, poursuit Nicolas
Roques. Nous avons recruté un VIE [Volontaire
international en entreprise, ndlr] en mars
dernier pour notre agence de Casablanca, et nous
cherchons maintenant à recruter un salarié sur
place. Pas mal d’opportunités se dégagent. »
Selon Nicolas Roques, l’Afrique centrale et
l’Afrique de l’Ouest se révèlent également
intéressantes pour Biotope. « Nous ne sommes
pas implantés sur place pour le moment mais
nous visons une implantation en 2016.
Aujourd’hui, nous avons des projets en Côte
d’Ivoire, ou encore au Gabon pour l’Agence
nationale des parcs nationaux. Nous nous positionnons également au Sénégal, où nous avons
obtenu du gouvernement, il y a deux mois, l’agrément pour faire des études environnementales ».
Par ailleurs, Biotope sera maître d’œuvre du
projet sur la compensation aux écosystèmes
et à la biodiversité, financé par le FFEM
(Fond français pour l’environnement mondial) et qui sera mis en œuvre, en partenariat avec de grandes ONG, dans quatre pays
africains : la Guinée, Madagascar, le Mozambique et l’Ouganda.
« Ce projet s’étalera sur quatre ans, précise
Nicolas Roques. Nous espérons qu’il nous per-
mettra de nous développer localement. L’Afrique
est un continent au potentiel gigantesque pour
les décennies à venir. »
Biotope pourrait également s’intéresser à
l’Amérique latine dans les mois à venir. En
attendant, l’entreprise se réjouit de travailler désormais pour la Commission européenne. Des marchés décrochés il y a
quelques mois (notamment sur la thématique de l’économie de la biodiversité) et qui
devraient stimuler l’activité 2015 de Biotope.
« L’atout de ces contrats réside dans la reconnaissance de notre expertise et de notre savoirfaire par cette institution internationale », se
félicite Nicolas Roques. CÉCILE CHAIGNEAU
À Panjin, dans le nord-est de la Chine, Biotope
réhabilite la plus grande roselière du monde.
© BIOTOPE
I 25
CLIMAT #COP21
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
+
UN ENJEU MONDIAL
Le chiffre
À qui profite la COP21 ?
250 millions
La COP21, c’est parti ! Dans moins de deux mois et demi, la conférence de Paris
sur le climat va s’ouvrir sur le site du Bourget. Pour l’instant, les enjeux de cette
conférence ne passionnent guère les Français, inquiets de l’arrivée massive de
migrants. Écologistes, villes, entreprises, chacun tente de faire entendre sa voix.
Le 10 septembre,
l’Élysée a déroulé
un tapis vert
et invité pas
moins de 400
représentants
d’associations,
responsables
d’ONG,
scientifiques,
sportifs, artistes
et chefs
d’entreprise
pour proclamer
que « la France
s’engage pour
le climat ».
PAR
DOMINIQUE
PIALOT
S
i l’on ne parvient pas à limiter à 2 ° C la hausse de la
température moyenne d’ici
la fin du siècle, il y va de la
survie de l’humanité. « Ce
qui est en jeu, ce n’est pas seulement la qualité de la vie, c’est
la vie des populations, des territoires, des biosystèmes », a récemment rappelé François
Hollande. Avant d’ajouter : « C’est tard,
c’est peut-être trop tard. »
Mais, à court terme, quelle que soit l’issue de l’accord onusien conclu à Paris en
décembre, la 21e Conférence des parties
(dite COP21) ne sera pas perdue pour
tout le monde. Les écologistes, les villes
et surtout, les entreprises… chacun profite
de l’occasion pour faire entendre sa petite
musique.
Côté chiffres, à moins de trois mois de
l’échéance, on est encore loin du compte.
À peine 60 pays sur 195 (représentant
environ 60 % des émissions mondiales)
ont soumis leurs engagements de réduction de leurs émissions. On attend encore
les contributions de grands émergents
comme l’Inde (« accro » au charbon et
troisième pollueur mondial derrière la
Chine et les États-Unis) ou le Brésil. Mais
pour l’heure, les projections réalisées sur
la base des engagements reçus nous amèneraient plutôt aux alentours des + 3 ° C ou
4 ° C, synonymes de point de non-retour
et de désastres en chaîne.
PAS QUESTION DE LÉSINER
SUR LES MOYENS
L’absence d’accord sur le climat « serait
une catastrophe » avait déjà averti François Hollande lors d’un déplacement le
20 août dernier, avant d’évoquer, lors
de sa conférence de presse de rentrée le
7 septembre, « des risques d’échec ». Un
échec qui, en le privant d’une occasion
de faire de son quinquennat celui de
© REUTERS/
CHARLES PLATIAU
l’inversion de la courbe des émissions de
gaz à effet de serre, à défaut de celle du
chômage, l’atteindrait directement. Le
10 septembre, l’Élysée avait donc déroulé
un tapis vert du plus bel effet télévisuel
et invité pas moins de 400 représentants
d’associations, responsables d’ONG,
scientifiques, sportifs, artistes et chefs
d’entreprise. Pas question de lésiner sur
les moyens pour proclamer haut et fort
que « la France s’engage pour le climat ».
Et François Hollande de rappeler le vote
de la loi de transition énergétique en
juillet, de se poser en héraut d’une taxe
européenne sur les transactions financières partiellement destinée au climat,
et, surtout, de confirmer par la voix de
son Premier ministre la suppression des
aides à l’exportation pour les centrales à
charbon. Annoncée il y a plusieurs mois,
elle avait ensuite été repoussée sine die.
C’est une première victoire pour les
ONG qui, rappelant le gouvernement à
son devoir d’exemplarité en tant que pays
hôte, pointent du doigt d’autres contradictions : son statut d’actionnaire de
EDF ou Engie, qui opèrent des centrales
à charbon à l’étranger, le retard français
dans les énergies renouvelables ou encore
un manque d’ambition en matière de
fiscalité écologique. Pas simple pour le
gouvernement de jongler entre sa politique intérieure et son rôle sur la scène
internationale.
Il est plus facile pour Anne Hidalgo de
tirer parti de son statut de ville hôte
de la COP21. La maire de Paris se pose
ainsi en porte-parole des villes du monde
entier, acteurs de terrain incontournables
dans l’avènement d’une société à bas carbone. Après avoir regroupé au printemps
une trentaine de maires de capitales et
grandes villes européennes pour passer
des appels d’offres communs, elle organise en marge de la COP21 un « sommet
des gouvernements locaux pour le climat ».
Plus de mille élus locaux y sont attendus
pour rédiger une déclaration commune
et la présenter aux chefs d’État réunis au
Bourget.
Mais la vraie nouveauté de cette COP,
c’est l’implication des entreprises, qui
n’avaient encore jamais été aussi présentes en marge d’une conférence onusienne. Cela répond aux attentes de la
présidence française des négociations, et
au calendrier positif prôné par Laurent
Fabius. Les organisateurs ne manquent
pas une occasion de souligner que ce qui
se joue en marge de l’accord est aussi
important que ce qui se décidera dans
l’enceinte onusienne.
RAPPROCHEMENT
DU PUBLIC ET DU PRIVÉ
Le « calendrier des solutions » regroupe
donc l’ensemble des initiatives de la
société civile en faveur du climat. Pour
les entreprises, le Business and Climate
Summit a donné le coup d’envoi en mai à
l’Unesco. Une structure de dialogue entre
les gouvernements et les entreprises baptisée « Business Dialogue » a été lancée
à cette occasion, pour inscrire dans la
durée ce rapprochement des puissances
publiques et privées autour des enjeux
climatiques. À court terme déjà, plusieurs
événements permettant aux entreprises
de mettre en avant leurs solutions vont
se succéder d’ici à décembre : le salon
World Efficiency, porte de Versailles du
13 au 15 octobre, Solutions COP21, au
Grand Palais et au Bourget pendant les
négociations, sans oublier les 10 000 m2
réservés à la « Galerie de l’innovation »
sur le lieu des négociations. Ce serait en
effet dommage que la France, qui compte
de nombreux champions internationaux
dans l’énergie, les services à l’environnement ou l’efficacité énergétique, laisse
passer une si belle occasion de le rappeler
au monde entier… n DOMINIQUE PIALOT
C’est le nombre de personnes qui
pourraient être déplacées d’ici à 2050
en raison de phénomènes climatiques.
Elles étaient déjà plus de 22 millions
en 2013. C’est ce qu’ont rappelé les
représentants d’ONG humanitaires
françaises et internationales la semaine
dernière, dans une lettre ouverte
remise à Laurent Fabius et appelant
les dirigeants à un accord climatique
ambitieux à Paris en décembre.
Soulignant que 87 % des catastrophes
naturelles recensées en 2014 étaient
liées au climat, elles ont également mis
en avant l’effet du changement
climatique sur les rendements agricoles,
les crises alimentaires et la pression
sur la ressource en eau. Soixante
millions de personnes supplémentaires
pourraient ainsi être exposées à la faim
d’ici à 2080 et 40 % de la population
mondiale aux pénuries d’eau d’ici à
2050. Autant de causes de conflits
locaux ou régionaux et d’émigration.
L’initiative
Expérimenter
la transition verte
Un château, des outils de fabrication
numérique, une centaine de personnes
pour aider 12 équipes d’inventeurs
à mettre au point en cinq semaines leurs
solutions post-carbone et zéro déchet.
Mais aussi des toilettes sèches,
du mobilier de récupération, un système
de recyclage afin d’expérimenter
l’engagement écologique au quotidien.
POC 21 (Proof of Concept) organisé par
l’association OuiShare et la fondation
Open State depuis le 15 août en région
parisienne, anticipe la COP21 en
démontrant comment, concrètement, la
transition écologique peut être accélérée.
Les projets sélectionnés vont d’une
douche « infinie » qui recycle l’eau usée
en temps réel, à une éolienne « do-ityourself » à 30 euros. Les prototypes
seront présentés le 18 septembre
et seront en code source ouvert.
La surprise
Un char écolo
à la Techno Parade
Les centaines de milliers de personnes
attendues ce samedi à Paris pour
la Techno Parade risquent de tomber
sur un Ovni. L’un des chars qui
défileront sera écologique et citoyen.
Recouvert d’un mur végétal et de tissus
recyclés, le Trans-Porteur rappelera
le lien inextricable entre musiques
électroniques, nouvelles technologies
et aspirations écologiques. Il contribuera
ainsi à mobiliser le public autour
des enjeux climatiques, en vue
de la COP21. Imaginé par un jeune
technophile engagé, Raphaël BoschJoubert, le Trans-Porteur, qui pèse
38 tonnes, tourne au biogaz et est
autonome en énergie grâce aux
panneaux solaires dont il est muni.
Il sera escorté « d’arbres en roulettes » :
les membres de l’association Planet
Roller, militants d’une mobilité propre.
26 I
VISIONS
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
RENCONTRE
ARTHUR BETZ LAFFER, économiste, chef de file de « l’école de l’offre »
© DR
« Avec la redistribution,
on crée de la pauvreté ! »
© DR
I
IVAN BEST
RÉDACTEUR EN CHEF
ADJOINT
@Iv_Best
l confirme la légende : c’est
bien dans un restaurant, sur
une nappe en papier, que
l’économiste Arthur B. Laffer
a dessiné la première fois sa
fameuse courbe en cloche,
montrant que les recettes fiscales augmentent au fur et à mesure que
l’on augmente les taux de taxation,
avant de diminuer si les impôts
deviennent trop élevés – d’où la forme
d’une cloche. De passage à Paris, à l’invitation de la revue Politique internationale,
l’économiste persiste et signe : beaucoup de nos maux viennent d’une taxation trop lourde, d’une redistribution
toujours contre-productive.
Il raconte ainsi l’histoire de « sa
courbe » : « J’étais avec Donald Rumsfeld
[alors secrétaire général de la Maison
Blanche, ndlr] et le président Ford, qui
s’interrogeait sur l’opportunité d’une surtaxe de 5 %. Je lui ai dit : avec cette taxe,
vous n’obtiendrez aucune recette supplémentaire, c’est peine perdue ! Si l’on taxe
le travail à 100 %, plus personne ne tra-
vaille. Et si les gens ne travaillent plus, il
n’y a simplement plus personne pour
s’acquitter des taxes ! J’ai alors dessiné
cette courbe en cloche. »
UN SYSTÈME FISCAL QUI
ENRICHIT… LES RICHES
Arthur Laffer a notamment inspiré les
baisses d’impôts décidées sous Reagan,
en 1981 et 1986. Le taux maximum de
l’impôt sur le revenu a alors été ramené
à 28 %, le taux minimum à 15 %… l’objectif étant de se rapprocher de la flat
tax, l’impôt à taux unique que Laffer
juge toujours le plus favorable, à l’inverse de l’impôt progressif, nuisible
pour l’économie.
« Ce qui ne va pas dans la fiscalité – ce qui
cloche, pourrait-on dire – c’est à la fois le
haut niveau des taux de taxation et la multiplicité des niches fiscales. Il faudrait une
base large, la plus large possible, sans
échappatoire – par suppression de toutes les
niches –, et des taux faibles, de 12 ou 15 %. »
ix
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Soir i 29 sep
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Mar
Avec plus de 35 000 recrutements, 12 000 créations nettes
d’emplois en 2014, le numérique est un secteur dynamique qui
regorge de talents, et pourtant, trop méconnu des jeunes et des
femmes.
Femmes du Numérique et Pasc@line organisent la deuxième
édition du Trophée excellencia pour promouvoir ce secteur
auprès des femmes.
Venez découvrir les lauréates mardi 29 septembre dès 18h30,
en présence d’Axelle Lemaire, Secrétaire d’Etat chargée du
numérique.
Plus d’information sur excellencia.org
Commission Syntec Numérique
@Excellencia2015
#TropheeExcellencia
Et de dénoncer un Warren Buffet, « qui
ne paie que 0,06 % d’impôt », grâce à l’utilisation astucieuse du système. « Le système de taxation actuel est conçu pour le
bonheur des fiscalistes et de ceux qui
peuvent se les payer. Pas pour la majorité
des gens. »
La fiscalité ne permet-elle pas de redistribuer un peu de revenu, alors que 1 %
des Américains, les plus riches bien sûr,
se sont arrogé la quasi-totalité de revenus supplémentaires de 2009 à 2013 ?
« S’ils s’enrichissent, c’est justement grâce
à ce système fiscal aberrant ».
Ce n’est pas une question de redistribution, laquelle est condamnable, estime
Laffer : « Si l’on taxe les riches et que l’on
donne aux pauvres, il y aura de plus en plus
de pauvres. Il y a 50 États aux États-Unis.
Il existe neuf États sans impôt sur le revenu,
et neuf États avec un taux élevé. Si l’on
compare ces 18 entités, on voit qu’en termes
de revenu, d’emploi, de croissance, et même
de progression des recettes fiscales, ce sont
les États sans impôt sur le revenu qui s’en
tirent le mieux. Il faut bien comprendre que
L’État ne crée pas de richesse, il redistribue
les richesses existantes. C’est intéressant de
voir à quel point tout le monde est perdant
avec l’imposition du revenu. On taxe les
excès de vitesse pour les diminuer, on taxe
le tabac pour en réduire la consommation,
et on pense taxer le revenu sans le diminuer ? Cela fonctionne pourtant à l’identique. Imaginons que l’on prélève sur tous
ceux dont le revenu dépasse la moyenne,
pour le redistribuer à ceux qui sont en dessous. On aboutirait à une égalité parfaite,
mais avec un revenu zéro ! »
« PLUS ON REDISTRIBUE,
MOINS IL Y A DE REVENU »
Interrogé avec insistance sur la montée
des inégalités aux États-Unis, Arthur
Laffer renchérit : « Quand quelqu’un
devient plus riche, cela ne me pose pas de
problème. Il faut que tout le monde s’élève.
La redistribution aboutit à l’inverse. Tout
argent redistribué réduit le revenu total.
Quand on prend à quelqu’un, quand on le
taxe, il va moins produire. Tandis que celui
qui recevra une allocation prélevée sur le
riche sera moins incité à travailler. Les deux
produiront moins ! » Bref, « plus on redistribue, moins il y a de revenu ». Du reste,
« il y a trop de redistribution aux ÉtatsUnis, des allocations chômage trop généreuses, qui diminuent l’incitation à travailler, à produire ». Et Arthur B. Laffer
d’insister : « On crée de la pauvreté avec
la redistribution, c’est mathématique. »
Mais il faut bien que les États aient les
moyens d’assurer certains services
publics, lui objecte-t-on… « Bien sûr,
mais il ne faut surtout pas un impôt progressif, il faut privilégier les impôts sur les
Recettes fiscales
Pour l’économiste inventeur de la célèbre formule « Trop d’impôt tue l’impôt » et
de la fameuse courbe en cloche qui porte son nom, le système fiscal actuel nuit à la croissance.
L’idée d’une « flat tax », limitée à 15 %, est pour lui plus que jamais d’actualité. Rencontre…
0
Taux optimal
d’imposition
Taux d’imposition (%)
propriétés immobilières [les « property
taxes » anglo-saxonnes, ndlr] et sur la
consommation », assure Arthur B. Laffer.
En revanche, il ne veut pas entendre
parler des droits de succession.
HOLLANDE A-T-IL RAISON
DE BAISSER L’IMPÔT ?
S’agissant de l’impôt sur le revenu, faudrait-il taxer de manière identique les
salaires et les gains en capital – plusvalues boursières, dividendes… – ? lui
est-il demandé. « À condition d’avoir un
système optimal avec une faible taxation, je
ne vois pas de raison de prévoir une taxation différenciée », répond-il.
Sur la situation française, l’économiste
hésite à se prononcer, alors qu’il est
invité à Paris. « Je ne veux pas être grossier… » dit-il. Mais, la France ne seraitelle pas une bonne illustration de la
courbe de Laffer, insiste un intervenant ?
« On peut dire que c’est un exemple »,
déclare Laffer dans un sourire. « François Hollande a-t-il raison de baisser l’impôt ? » lui demande-t-on encore. « Oui,
bien sûr », admet l’économiste, qui
semble douter de l’ampleur des
réformes à venir en France, et qui, plus
généralement, se montre critique à
l’égard des responsables politiques.
« Tout de même, n’existe-t-il pas des pays
où coexistent un niveau élevé d’impôts et
une forte croissance économique, à
l’exemple de l’Allemagne ou de la Suède ? »,
ose encore demander quelqu’un… La
réponse fuse : « L’Allemagne n’a pas tant
réussi ! Quant à la Suède, elle a la chance
de ne pas être dans l’euro, et elle s’est beaucoup réformée, elle a beaucoup allégé son
système fiscal. »
De fait, l’impôt sur le revenu représente
en Suède 15 % du PIB, selon Eurostat. Il
est le plus élevé d’Europe, après celui du
Danemark. La France, elle, se situe au
11e rang européen pour le poids de l’impôt sur le revenu (CSG comprise). n
100
La fameuse
courbe en cloche
de Laffer vise
à démonter
qu’au-delà
d’un certain
seuil d’impôt,
les recettes
fiscales tendent
à décroître.
Alors qu’est-ce
qui « cloche »
dans la fiscalité ?
« C’est à la fois
le haut niveau
des taux
de taxation
et la multiplicité
des niches
fiscales »,
se plaît
à souligner
Arthur B. Laffer.
© REUTERS/
STÉPHANE MAHE
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LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
MARCHÉS FINANCIERS
Cette « drôle de guerre »
de l’économie mondiale…
La période actuelle, avec ses réponses politiques, et notamment l’injection massive de liquidités, en Chine,
aux États-Unis ou en Europe pour soutenir des Bourses en difficultés, rappelle l’inertie des débuts
de la Seconde Guerre mondiale. Les conséquences économiques pourraient être terribles pour la France.
PAR
SÉBASTIEN
LAYE
ENTREPRENEUR
ET FINANCIER,
LAYE HOLDINGS LLC.
L
a « drôle de guerre »
désigne cette
curieuse période
entre le 3 septembre
1939, date de la
déclaration de guerre
de la France et du
Royaume-Uni à l’Allemagne, et le 10 mai 1940, qui marqua
le début réel des hostilités avec l’invasion de la Belgique et des Pays-Bas par
l’Allemagne. Comme lors de cette
longue période d’inertie et d’apathie,
alors même que s’accumulaient les
menaces, nous pensons que la période
actuelle est une « drôle de guerre »
économique portant en germe de
nombreux dangers pour l’économie
française. Et, comme en 1939-1940,
l’aveuglement est là, mais aujourd’hui
il s’agit de celui des dirigeants des
principales économies et des investisseurs financiers, qui s’illusionnent
avec la bonne tenue des Bourses après
l’avertissement chinois récent.
Entre le 17 et le 25 août, l’indice de la
Bourse de Shanghaï perd un quart de
sa valeur. Ce krach boursier chinois,
qui entraîne dans son sillage tous les
indices mondiaux, est interprété
comme un reflet d’un soudain ralentissement chinois. En réalité, l’économie chinoise est dans une phase complexe de son cycle de croissance
depuis au moins cinq ans. Après une
période d’une quinzaine d’années
reposant sur le développement de ses
infrastructures, le rattrapage industriel, l’exode rural et un modèle fondé
sur l’exportation – piloté de manière
pharaonique et avec un certain succès
par le pouvoir central –, cette première étape a commencé à s’enrayer
dès 2009 avec les difficultés des
clients occidentaux de la Chine lors
de la crise.
DE L’INUTILITÉ DES
RÉPONSES POLITIQUES
Les immenses injections de liquidités
du pouvoir central ont certes jugulé la
possibilité d’une lourde récession à
l’époque, mais le pouvoir central
chinois est démuni, car la deuxième
étape nécessaire pour l’économie
chinoise, celle du développement de
la consommation intérieure et du
réinvestissement de l’épargne populaire dans des projets cohérents, ne
dépend pas de lui : un gouvernement
peut imposer des constructions et des
conditions de crédit expansionniste,
mais il ne peut décider de la consommation des individus.
Ce constat, associé à des années de
mal-investissement avec la possibilité
d’une crise du crédit chinois (les économistes qualifient de « Moment
Minski » cette épineuse étape du cycle
de crédit), est connu depuis plusieurs
années ; en réalité, ce qui a déclenché
la crise boursière chinoise est le
constat du manque d’efficacité et de
l’inutilité des réponses de politique
économique du pouvoir central,
notamment la dévaluation du yuan.
UNE INTERPRÉTATION
ERRONÉE DE LA BOURSE
Lorsque les marchés financiers
chinois ont paru au bord de l’abîme,
les marchés européens ont enregistré
quelques secousses avant de se ressaisir, et les gouvernants européens
n’ont eu de cesse de rappeler à l’unisson à leurs opinions publiques que
nos économies, si ce n’était pour certaines industries exportant vers l’Asie,
étaient largement indépendantes de
l’économie chinoise. Et de citer
amplement pour étayer leur thèse la
bonne tenue in fine des marchés financiers européens à l’aune de cette crise
(le CAC40 par exemple n’aura effacé
qu’un peu moins de 10 % de sa
valeur).
Bergson, dans L’Énergie spirituelle, a
introduit sans son explication des
rêves le concept de paréidolie (de
« para », à côté de, et « eidos »,
forme) : comme dans le test de Rorschach, la paréidolie est une illusion
optique qui conduit notre cerveau à
donner un sens clair et identifiable à
un stimulus informe et ambigu. Cette
période de « drôle de guerre » écono-
Formule
mique dans laquelle nous entrons est
fondée sur le même type d’interprétation erronée de la Bourse : ce qu’a
démontré le krach chinois, ce n’est
pas tant l’état où se trouvait l’économie chinoise – bien connu de tous et
normal à l’aune de son développement –, mais plutôt l’inefficacité des
politiques économiques chinoises
dites non conventionnelles (assouplissement quantitatif ou achats de titres
financiers par les banques centrales).
UN ALIGNEMENT POSITIF
DES PLANÈTES
À l’heure où l’Amérique tourne la page
de ces mesures exceptionnelles avec un
bilan mitigé (des années de taux d’intérêt très bas ayant eu pour seul effet
clair une reflation de certaines bulles
financières et immobilières, alors que
d’autres facteurs expliquent l’essentiel
de la reprise économique), l’Europe,
qui a prévu de les amplifier pour sortir
de l’ornière où elle se trouve, a peu de
chances de réussir là où la Chine a
manifestement échoué.
L’économie française bénéficie d’un
alignement positif des planètes sans
précédent en théorie : taux d’intérêt
bas, euro à un faible niveau, prix du
pétrole très bas, politique monétaire
inTégrALe
Avec l’édition abonnés
La Tribune, prenez
les bonnes décisions
européenne accommodante. Ce
contexte exceptionnel a peu de résultats tangibles actuellement, du fait des
effets d’hystérésis bien connus en économie (persistance d’un phénomène
économique alors que sa cause principale a disparu), mais aussi car l’absence d’ambitieuses réformes structurelles (coût et structure du marché
du travail, fiscalité) ne nous permet
pas d’en profiter pleinement et jugule
notre croissance potentielle.
Mais il y a beaucoup plus grave pour
l’économie française : les efforts de la
BCE, comme l’ont compris ceux des
financiers qui ont massivement vendu
des titres quand le roi chinois s’est
avéré bien nu, sont probablement
voués à l’échec ; quant à l’économie
américaine, en expansion depuis six
ans, elle a une forte probabilité statistique de traverser une récession au
cours des deux prochaines années.
La France n’a donc pas encore profité
de la reprise économique mondiale
qu’elle court le risque de faire face à
des défis incommensurables. Ses dirigeants doivent se garder d’interprétations simplistes et prêter attention au
cycle du crédit mondial. Car, quand
les agents économiques auront sonné
le glas de cette drôle de guerre, il faudra naviguer à travers une nouvelle
récession. ■
Entre le 17
et le 25 août,
l’indice
de la Bourse
de Shanghaï perd
un quart de sa
valeur. Ce krach
boursier chinois,
qui entraîne dans
son sillage tous
les indices
mondiaux, est
interprété
comme le reflet
d’un soudain
ralentissement
chinois.
© REUTERS
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28 I
VISIONS
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MOBILISATION
L’association France Digitale a organisé son « FDDay #3 » le 15 septembre au Carreau du Temple.
Cet événement, intitulé « Battle for greatness », a été l’occasion pour l’écosystème numérique
français d’appeler tous ses membres à une participation ambitieuse à la « bataille » du xxie siècle.
La France dans le G7 ou le tiersmonde du siècle numérique ?
© DR
L
a France figurera-telle fièrement dans
le G7 du siècle
numérique qu’est le
xxie siècle ou souffrira-t-elle durablement dans le ventre
mou d’un monde
économique où toutes les cartes auront
été rebattues ? C’est la question qui est
posée : les acteurs de la French Tech
en sont hyper-conscients quand politiques, médias, grandes entreprises et
la population commencent seulement
à appréhender l’importance cruciale de
cette « bataille »…
Alors que les marchés boursiers
PAR
sont chahutés, alors que certains
JEAN-DAVID
annoncent déjà la fin du cycle éconoCHAMBOREDON mique fantastique que connaît l’inPRÉSIDENT-EXÉCUTIF
dustrie de la « tech » depuis cinq ans,
D’ISAI, VICE-PRÉSIDENT
alors que, par ailleurs, d’autres crient
DE FRANCE DIGITALE.
au loup contre une potentielle « ubérisation » de la société, nous avons la
conviction que l’opportunité présente
est « séculaire » et que la capacité que
Vendre aux
nous aurons à embrasser ou non cette
« Minitellistes »
un projet positif
révolution inéluctable et irréversible
qui offre aussi
sera décisive pour le destin de notre
une véritable
cher pays. Alors que la croissance du
perspective
PIB français au second trimestre 2015
aux « natifs
est nulle, alors que le chômage continumériques »
nue à progresser, alors que, pourtant,
serait une
depuis un an environ, la ligne éconosolution au chaos
mique du président de la République
prévisible.
© ISTOCK
et de son gouvernement se veut
« pro-business » et n’est plus entachée par des « couacs anti-business »
(ravageurs en termes de confiance),
nous avons la conviction qu’il nous
faut vraiment changer de braquet
et prendre la mesure des changements lourds qui sont absolument
nécessaires.
LA QUERELLE DES ANCIENS
ET DES MODERNES
« Battle for greatness » est un très beau
slogan. « Battle for growth », « Battle for
real change », « Battle for the new generation », « Battle for the future »…
représentent aussi la même et unique
bannière derrière laquelle nous
sommes mobilisés ! Une association
comme France Digitale n’a pas pour
rôle de « faire de la politique ». Elle
pourrait se contenter d’être un groupe
de pression, ardent défenseur des intérêts bien compris de ses membres.
Elle est, ceci dit, le représentant d’une
communauté micro-économique qui
se trouve à l’épicentre d’une transformation (voire révolution) socio-économique et elle se doit, pour cette
raison, à la fois de témoigner et d’être
force de proposition.
L’affrontement idéologique droitegauche qui régit la vie politique française est une réalité totalement dépassée : l’échiquier politique voit, en
réalité, aujourd’hui, une nouvelle
forme de clivage entre les centres et
les extrêmes (qu’ils soient de gauche
ou de droite). De même, l’appréhension du monde d’aujourd’hui par nos
concitoyens révèle deux grands
camps : en caricaturant, d’un côté, des
baby-boomers nostalgiques des « trente
glorieuses » ayant baigné depuis leur
naissance dans une (in-) culture économique moraliste, collectivo-colbertiste et souvent malthusienne, de
l’autre, la « génération Erasmus »
ouverte sur l’Europe et le monde,
n’ayant connu que crise et chômage
et, par conséquent, faiblement idéologisée et ultra-pragmatique, qu’elle se
sente actrice ou victime des changements économiques majeurs connus
par la planète durant ces dernières
décennies.
FAILLITE OU CHANGEMENT POLITIQUE BRUTAL
Cette fracture générationnelle peut
paraître inquiétante et paralysante :
elle l’a été jusqu’alors, car notre
personnel politique ne s’est, en
fait, adressé qu’à cette « génération
Concorde » (largement majoritaire
au sein du corps électoral) lui promettant en toute démagogie que tout
allait aller « redevenir comme avant »…
La « génération Internet » paiera
la retraite, la fin de vie et les dettes
publiques laissées par la génération
précédente et tout ira bien ! Cette fuite
en avant s’achèvera, en réalité, à la
plus proche des deux dates (peut-être
simultanées) : la faillite de l’État français (ou de ses systèmes de protection
sociale) ou un changement politique
brutal dont la forme reste inconnue
mais dont l’échéance se rapproche au
vu de l’évolution démographique du
corps électoral…
TROUVER UN PROJET
ÉCONOMIQUE INNOVANT
Anticiper ce chaos est parfaitement
possible. Il suffirait pour cela de
vendre à nos « Minitellistes » un projet convaincant et positif qui offre
une véritable perspective aux « natifs
numériques » que sont leurs enfants et
petits-enfants ! Le projet se doit d’être
avant tout économique. La France
doit changer son modèle économique,
effectuer un « pivot », mobiliser du
capital, innover, itérer, « exécuter »
pour s’affirmer comme une puissance
du xxie siècle. La France doit passer
du statut de « belle endormie » à celui
d’« entreprise à succès » !
Cela passera par de multiples changements à mettre en œuvre dans un
cadre qui se doit d’être à la fois européen et national. Les questions posées
(liste non exhaustive) : quel marché
européen (consommation, travail,
financement…) pour nos entreprises et
nos concitoyens permettant à l’Europe
de rivaliser avec les autres grandes
puissances ? Quelle refonte (incluant
une baisse sensible des prélèvements
obligatoires) mettre en œuvre pour
rendre notre modèle de « transferts
sociaux » à nouveau solvable ? Quelle
fiscalité sur le capital, le patrimoine, le
travail, les entreprises pour changer
radicalement notre image de pays
« surfiscalisé » et « inattractif » ? Quid,
par exemple, d’une véritable mobilisation « productive » de l’importante
épargne individuelle que notre pays a
la chance de receler ? Comment développer véritablement le marché du
travail en combinant harmonieusement « salariat moderne » et une montée en puissance inéluctable de « l’entrepreneuriat individuel » ? Comment
finalement faire adhérer tout un chacun à une vision « ascendante » où
l’acteur micro-économique (entrepreneur, investisseur, salarié, consommateur…) devient un véhicule « auto-propulsé » au lieu d’être l’un des
wagonnets d’un train devenu trop
lourd pour ne pas dérailler ?
Le chantier est immense, les enjeux
sont décisifs et nous pouvons tous
contribuer à la construction de cette
France 4.0. Le débat ne fait que démarrer. Il nous semble que l’opinion
publique y est dorénavant prête… ■
I 29
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
VU DE BRUXELLES
AU CŒUR DE L’INNOVATION
Verre à moitié vide
et à moitié plein
FLORENCE
AUTRET
CORRESPONDANTE
À BRUXELLES
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SUR LATRIBUNE.FR
SON BLOG
« VU DE BRUXELLES »
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LA TRIBUNE NOUVELLE. S.A.S.
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Président, directeur de la
publication
Jean-Christophe Tortora.
Vice-président métropoles et régions
Jean-Claude Gallo.
de Manhattan, avec des papiers
en règle. L’alternative à cette
politique n’est-elle pas pire encore ?
Actuellement, le flot de migrants
qui a finalement poussé l’Allemagne
à rétablir les contrôles à sa frontière
sud est justement le fruit de
l’incapacité à assurer une gestion
ordonnée de l’immigration.
Les Syriens fuient leur patrie à cause
de Daech. Arrivés au Liban, en
Jordanie, en Égypte, en Turquie,
ils fuient à nouveau des camps
de réfugiés surpeuplés où les rations
alimentaires et les programmes
scolaires ont été coupés faute
de moyens. Les camps du HCR dans
les pays frontaliers de la Syrie étaient
financés seulement à 42 % de leurs
besoins fin 2014, en Turquie
à seulement 21 % selon son
représentant à Bruxelles, Vincent
Cochetel. Quand ils arrivent en
Grèce, ils n’ont souvent d’autre choix
que de dormir dans des parcs, sur
les plages. Cette catastrophe
humanitaire qui dure depuis
des années n’est-elle pas plus grave
encore que les déclarations à
l’emporte-pièce de Viktor Orban ? En
2013, la Cour de Luxembourg a donné
raison à un demandeur d’asile que
l’Allemagne voulait renvoyer en
Grèce contre son gré (mais en accord
avec le droit européen), parce qu’il
risquait d’y connaître un « traitement
inhumain ». En d’autres termes, dans
la situation actuelle, ni la libre
circulation, ni les droits de base
des réfugiés ne sont garantis.
Face à la crise des migrants, la
Commission européenne a axé
sa communication sur les « quotas »
pour signifier qu’elle entendait faire
prévaloir ces principes dans tous
les pays de l’Union. Elle a voulu faire
ce pour quoi elle considère qu’elle est
là : imposer l’application du devoir
d’accueil des demandeurs d’asile dans
tous les pays européens et inventer
une règle de répartition des migrants,
un peu comme elle en a créé une
pour les quotas d’émission de CO2.
Elle s’est heurtée à un mur, car elle
a réveillé des identités nationales
à fleur de peau. Paris et Berlin ont
raison de faire de la politique de
contrôle aux frontières une priorité.
L’étape suivante devrait être de
définir une politique d’immigration
commune sur des critères
économiques. Si les Européens
arrivaient à faire cela, la question des
quotas ne se poserait plus et les effets
sur les susceptibilités nationales, qui
nourrissent les populistes partout
en Europe et menacent la libre
circulation, seraient neutralisés.■
RÉDACTION
Directeur de la rédaction
Philippe Mabille.
Directeur adjoint de la rédaction
Robert Jules
Économie - Rédacteur en chef
adjoint : Romaric Godin.
Jean-Christophe Chanut, Fabien Piliu.
( Entreprise - Rédacteur en chef :
Michel Cabirol. Rédacteur en chef
adjoint : Fabrice Gliszczynski. Pierre
Manière, Sylvain Rolland, Marina Torre.
(
E
DR
DR
B
ien sûr, on peut
voir le verre
à moitié vide.
Vingt-huit
ministres
de l’Intérieur
qui s’écharpent
pendant
des heures pour n’avoir finalement
à offrir en pâture aux opinions
inquiètes que le chiffre de « 40 000 ».
40 000 réfugiés qu’ils se disent prêts
à se partager. C’est peu comparé
aux 4 millions de Syriens qui
désespèrent, sur la rive sud et est
de la Méditerranée, de jamais
retourner chez eux et attendent
de trouver un endroit où vivre plutôt
que survivre, envoyer leurs enfants
à l’école, travailler, oublier l’épreuve
de l’exil. Et même si l’on y ajoutait
les 120 000 supplémentaires proposés
par la Commission européenne,
cela semblerait encore dérisoire
par rapport aux 800 000 attendus
en Allemagne cette année. Mais
on peut aussi le voir à moitié plein.
Face à la crispation des pays d’Europe
centrale, à l’indigence des autorités
grecques débordées, aux ambiguïtés
des Italiens, les ministres allemand
et français ont ramené un peu
de réalité dans un débat européen qui
surfe dangereusement sur la vague
de l’émotion. Bernard Cazeneuve
a prononcé les mots « enregistrement »
et « rétention ». Son homologue
allemand, Thomas de Maizière,
témoignage vivant de la vague
d’immigration huguenotte qui
a transformé la sociologie de Berlin
au xviiie siècle, a eu celui
d’« ordentlich » pour demander
une gestion ordonnée du flux de
migrants. De concert, ils ont rappelé
cette évidence : avant de se mettre
d’accord sur un système pérenne
de répartition des migrants, l’urgence
est d’avoir un contrôle aux frontières
« efficace et puissant », a dit Bernard
Cazeneuve. Et un mot nouveau a fait
son apparition dans la novlangue
européenne : hotspot. En clair,
des centres de tri des migrants,
où l’on peut distinguer entre ceux
qui pourront entrer et les autres.
Trier des hommes, des femmes,
des enfants, qui subissent déjà
l’épreuve de l’exil, bien sûr, c’est
déplaisant. Mais c’est aussi ce qu’ont
fait les États-Unis, ce grand pays
d’immigration. À Ellis Island, lieu
mythique de l’exil s’il en est, entre
1892 et 1954, sur 12 millions
d’immigrés, essentiellement
Européens, qui se sont présentés,
huit ont finalement débarqué
à Battery Park, à la pointe sud
« New deal » pour
l’Europe spatiale
DIDIER
SCHMITT
ANCIEN MEMBRE
DU BUREAU
DES CONSEILLERS
DE POLITIQUE
EUROPÉENNE
À LA COMMISSION
EUROPÉENNE ET
MEMBRE DU SERVICE
EUROPÉEN POUR
L’ACTION EXTÉRIEURE
Les opinions exprimées
dans le présent article
sont uniquement
celles de l’auteur.
( Finance - Rédacteur en chef
adjoint : Ivan Best. Christine Lejoux,
Mathias Thépot.
( Correspondants Florence Autret
(Bruxelles), Jean-Pierre Gonguet
(Grand Paris).
( Conseiller éditorial François Roche.
( La Tribune Hebdo Rédacteur en chef : Alfred Mignot.
Chef de studio : Mathieu Momiron.
Secrétaires de rédaction et révision :
Éric Bruckner, Maya Roux.
n 2030, il n’y
aura aucun
État européen
dans les
15 premiers
pays les plus
peuplés du
monde, ni dans
les sept pays les plus développés.
Dans un tel contexte, nous aurons
du mal à rester compétitifs dans
les domaines de pointe si nous ne
sommes pas également novateurs
dans l’évolution du fonctionnement
de nos institutions à l’échelle
européenne. Nous le voyons déjà,
ce ne sont plus les grandes
infrastructures étatiques, comme
les TGV, qui sont génératrices
d’innovation. Ce sont les initiatives
de services privés qui ont le vent en
poupe, comme les futures
connexions Internet haut débit
par constellations de satellites,
car elles ne s’encombrent pas
de complexités décisionnelles,
organisationnelles ou politiques.
Les acteurs émergents supplantent
leurs concurrents par la rapidité
de mise en œuvre de leurs idées,
en captant d’emblée un besoin
global. Les États-Unis ont déjà une
longueur d’avance, en incitant
constamment des opérateurs
privés, comme Elon Musk, à fournir
des services étatiques dans tous
les secteurs du spatial.
Les bases de nos grands
programmes spatiaux européens
comme Galileo – le GPS
européen – et Copernicus – pour
l’observation de la Terre – ont été
élaborées il y a quinze ans déjà.
Une initiative inédite dont la mise
en orbite ne fut pas toujours facile.
L’un des principes en est que l’UE
est propriétaire des infrastructures
spatiales dont la maîtrise d’œuvre
est déléguée à l’Agence spatiale
européenne, intergouvernementale,
qui sous-traite le développement
à l’industrie, en s’appuyant sur
les règles communautaires pour
le financement tout en incluant
les États membres pour la
définition et le suivi de ces activités.
Dans le domaine spatial, le temps
de latence est tel qu’à peine
les premiers satellites lancés,
on doit déjà penser à la génération
suivante, en l’occurrence pour
2025. Au vu des bouleversements
prévisibles de l’échiquier
international d’ici là, la façon
actuelle de procéder sera-t-elle
encore pertinente ? Surtout
en considérant que la phase
COMITÉ DE DIRECTION
Max Armanet, directeur éditorial Live
Media.
Cécile Chambaudrie, directrice Hub
Media.
Robert Jules, directeur adjoint de la
rédaction
Thomas Loignon, directeur des projets
numériques et du marketing marque.
Philippe Mabille, directeur
de la rédaction.
Aziliz de Veyrinas, directrice stratégie
et Développement Live Media.
d’exploitation s’étalera au-delà
de 2035. Il faut dorénavant
devancer l’avenir. Cela demande
une prospective intégrée,
car les besoins sociétaux
et les innovations technologiques
convergent de toutes parts.
Le secteur spatial est le champion
de la coopération renforcée entre
pays volontaristes en ayant créé
l’Agence spatiale européenne il y a
quarante ans ans déjà. Du fait
de leur aspect très dual (civil et
militaire), les outils de surveillance
de l’espace – orbitographie
des satellites et des débris – ne sont
dans les mains que de quelques
pays. Leur mutualisation devrait
prochainement amener l’UE
à financer un service fondé sur ces
capacités nationales afin de garantir
la sécurité de ses propres satellites.
De même, des réflexions sont
en cours pour mettre en commun
des capacités nationales
ou commerciales
de télécommunications sécurisées
pour des utilisations
gouvernementales, comme
le transport aérien.
D’ailleurs l’Agence européenne
de défense a déjà mis en place
une initiative dans ce sens pour
des besoins d’opérations militaires.
Il est aussi question que l’imagerie
de très haute résolution de certains
pays européens soit accessible
sous forme de service payant
pour les besoins de l’UE. Ce
principe, par lequel l’UE se fonde
sur des capacités nationales ou
commerciales en ne finançant que
les services qui en découlent, peut
en fait être étendu à beaucoup de
secteurs, y compris des domaines
touchant la sécurité et la défense.
Mis à part la simplicité
et l’efficacité de la mise en œuvre,
une conséquence de premier plan
serait que les entités ou pays
contributeurs devront penser
européen ; en définissant leurs
propres programmes, afin que
ceux-ci puissent recevoir
des financements pour leur partie
communautaire. Aussi faudra-t-il
instaurer un système transparent
de coordination pour la mise
en commun équitable
des ressources y contribuant.
Les acteurs industriels, nationaux
et même intergouvernementaux
devront d’office penser plus grand
que le niveau national ou européen,
avec comme valeur ajoutée
des services à dimension au moins
européenne. ■
CONTACTS
Directeur commercial Hub Média :
Luc Lapeyre (73 28)
Responsable Abonnements :
Martin Rivière (73 13)
Abonnements et ventes au numéro :
Aurélie Cresson (73 17).
ACTIONNAIRES
Groupe Hima, Laurent Alexandre,
JCG Medias, SARL Communication
Alain Ribet, SARL RH Éditions/Denis
Lafay.
Imprimerie Riccobono
79, route de Roissy
93290 Tremblay-en-France
Cette édition comprend un supplément
gratuit La Tribune Afrique :
« Le Maroc, une porte d’entrée royale
sur le continent ».
No de commission paritaire :
0519 C 851307.
ISSN : 1277-2380.
30 I
GÉNÉRATION
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
CYRIL EBERSWEILER
Globe-trotteur
du « hardware »
À 36 ans, ce Français, qui navigue de la Chine
aux États-Unis, est un personnage dans l’écosystème
mondial des startups. Il trace sa route à toute vitesse,
tout comme son programme « Hax Accelerator ».
PAR MAXIME HANSSEN
L
es cris de ses deux chérubins détournent un instant son regard. Ses
enfants se préparent
dans l’agitation pour leur
première journée d’école
à Barclays, dans la banlieue de San Francisco.
Cyril Ebersweiler, multi-entrepreneur et
investisseur, fera, lui aussi, sa rentrée dans
quelques jours. Il ouvrira une nouvelle entité
en Californie, « le premier accélérateur d’accélérateur », s’amuse-t-il. Ce deuxième opus
est la suite de Hax Accelerator, une structure
qu’il a créée en 2011 à Shenzhen, en Chine.
Elle est désormais l’un des plus incroyables
programmes de startup du monde pour les
spécialistes du matériel informatique (objets
connectés, imprimante 3D).
Même si son allure quotidienne suggère le
contraire – tee-shirt et short –, il n’a plus
grand-chose de l’étudiant. À seulement 36
ans, ce grand gaillard à la tignasse blond
vénitien est déjà un théoricien. Un casseur
de codes. « Chaque matin, je me réveille en me
disant que j’ai l’obligation de mettre au point un
système pour assurer la survie des startups.
Elles ont tellement à apporter au marché et au
monde », affirme cet infatigable voyageur,
qui a déménagé 13 fois en quatorze ans. Hax,
lancé grâce à son fonds SOSventures,
« IL FAUT CRÉER
TRÈS VITE
DE LA VALEUR »
répond à son obsession : en quatre ans
d’existence, plus de 80 startups ont été accélérées ; seulement deux ont rendu les armes.
La ligne de conduite est claire : construire,
lancer et expédier les produits des startups
à une vitesse éclair. C’est que le secteur du
matériel informatique « qui est en train de
coloniser tous les pans de l’économie, notamment la santé », n’a pas le temps de prendre
son temps. « Chaque mois qui passe, pour une
startup, c’est 3 000 à 40 000 dollars qui sont
dépensés, car le hardware nécessite des coûts de
production, même s’ils sont en baisse. Il faut
donc créer très vite de la valeur. » Il faut être
dans les starting-blocks. « Si vous êtes le premier à commercialiser, vous avez une plus
grande chance de dominer votre propre marché », estime-t-il.
Ainsi, en trois mois et demi, les startups
sont mises sur orbite grâce à un programme
bien ficelé. D’abord, ces jeunes pousses
– multinationales à 40 % « B to B » et 60 %
« B to C » –, sont sélectionnées sur leur
maturité : un prototype, un marché. Elles
bénéficient des critiques constructives des
mentors, eux-mêmes anciens « accélérés ».
« Un enseignement qui rappelle celui de l’école
mutuelle du xixe siècle en France », souligne
celui qui a quitté l’Hexagone fâché avec le
modèle universitaire. Puis, les startups sont
propulsées sur la plateforme de financement
participatif Kickstarter, « une première
approche concrète du potentiel du produit sur
le marché ». L’opération est soutenue par un
investissement de Hax pouvant aller jusqu’à
300 000 dollars, contre une prise de participation dans le capital.
Si le programme de formation est essentiel,
le terrain de jeux pour l’appliquer ne l’est
pas moins. Shenzhen représente l’écosys-
VOUS AVEZ ENTRE 16 ET 40 ANS ?
CANDIDATEZ SUR PLTJE.LATRIBUNE.FR
JUSQU’AU 30 SEPTEMBRE 2015
#1000SUp
© HAO
@HanssenMaxime
Zone d’influence : #Startups #Hardware #Shenzhen
#SanFrancisco #Education
tème parfait. Cet ancien petit port de pêche
chinois devient l’épicentre de la high-tech
mondiale, vivier des futures licornes planétaires. « Du laboratoire aux usines, grandes et
petites, elle permet une réactivité inégalée dans
la réalisation de prototypage. Le point fort de la
ville, c’est cette gestion de la chaîne logistique »,
explique, en cherchant ses mots en français,
ce polyglotte fasciné par le dynamisme de
l’empire du Milieu.
Son attrait pour l’Asie, il l’a développé aux
débuts d’Internet, à l’heure des modems et
du débit 56 k. « J’ai rencontré sur la Toile une
dizaine d’inconnus qui m’ont permis de partager leur quotidien. » Ainsi, lors d’un stage
d’étude à l’IAE de Nantes en 2001, après un
Master en droit des affaires à l’université
de Poitiers, il choisit la Chine. C’est dans
cet environnement peu connu, parfois hostile, qu’il forge son appétence pour la difficulté, voire pour la souffrance, convaincu
« qu’il ne faut pas refuser les obstacles et saisir
chaque opportunité ».
Il y travaille pour Carrefour, où il crée le
premier site d’e-commerce chinois. Il déménage à Shanghaï, Pékin, Canton, au gré des
opportunités (Adidas, Air France), dirigeant
des équipes de 100 personnes, avant de
s’envoler pour le Japon, au siège de Nissan.
Puis il s’engage dans une agence de communication, travaille en Corée du Sud. Ces
expériences aiguisent son appétit d’innovation. Mais l’environnement n’est pas propice : « J’ai souvent insisté pour intégrer des
startups. La résistance était féroce », déplore
ce féru de technologie. Son futur partenaire,
Sean O’Sullivan, repère sa frustration. Après
moult discussions, il bascule définitivement
dans l’entrepreneuriat et l’investissement.
Ironie du sort, auparavant il « trouvait ses
camarades de l’IAE, qui souhaitaient se lancer
sur ce créneau, totalement fous ».
C’est désormais lui le « cinglé », passionné,
souriant, convivial, acharné de travail. Après
un petit détour par Boston, où il est mentor
pour Techstars, Cyril Ebersweiler revient en
Chine en 2010 et fonde le premier accélérateur chinois, Chinaccelerator, spécialisé
dans le logiciel, à Shanghaï. La structure
cartonne. Mais dans sa quête, il a besoin
d’un autre défi. Il crée Hax.
Sa nouvelle antenne californienne, qu’il
ouvrira le 1er octobre, est la pièce manquante
de Hax « Distribuer le produit, c’est encore plus
dur que de le créer. En quarante-deux jours, nos
startups vont apprendre les codes pour imposer
leur innovation. » La pièce du puzzle achevé,
il a déjà anticipé de nouveaux défis, notamment dans la santé. Son rêve : voir la startup
Babybe, incubée en 2013, aller au bout de
son projet : la commercialisation d’un matelas bionique pour bébés prématurés afin de
réduire les séquelles. Parce que, pour étudier
et entreprendre, il faut d’abord vivre. Il le
sait mieux que quiconque, lui, l’enfant né
avant terme. Son songe ultime ? « Participer
à la révolution éducative mondiale, et notamment en France. Ça me démange. » Un dernier
regard vers ses enfants ; les voilà déjà partis,
cartable sur le dos. ■
TIME LINE
Cyril Ebersweiler
1979
Naissance.
1998 – 2001
Master de droit
des affaires, université
de Poitiers.
2002
Diplômé de l’IAE
de Nantes, première
expérience en Chine.
Création du premier
site d’e-commerce
chinois pour Carrefour.
2004 – 2010
Nombreuses
expériences à travers
l’Asie : Adidas, Air
France, Tequila, etc.
2010
Associé au fonds
d’investissement SOSV.
2011
Fonde Hax Accelerator.
MODE D’EMPLOI
• Où le rencontrer ? À Shenzhen ou à San
Francisco. Pas en France. « J’y suis une fois
tous les cinq ans. » Sinon, sur la toile :
« Par email, jamais par téléphone. »
• Comment l’aborder ? Autour d’un café
ou d’une bière, en fonction de l’heure.
« La rencontre peut durer deux minutes
comme trois heures. J’aime créer
des connexions à long terme. »
• À éviter ! « Les projets trop
conventionnels, trop cadrés. Sinon rien
de spécial, je suis plutôt cool et ouvert ! »
1er octobre 2015
Lance la première
promotion de Hax
Boost afin de
permettre aux startups
d’optimiser
la distribution
de leur produit.
2018
Année « sabbatique ».
Étude d’un programme
d’éducation intitulé
« Semester at Sea ».
07.09.2015
12:03
(QUADRI-tx vecto) flux: PDF-1.3-Q-300dpi-v-X1a2001-isocoated-v2-300
1 croissance
re
de l’emploi
numérique
en France
*
Nantes, métropole French Tech
au service de l’innovation
www.nantestech.com
* période 2009 - 2014, hors Paris
DU VENDREDI 18 AU JEUDI 24 SEPTEMBRE 2015 NO 142
AFRIQUE
SOMMAIRE
Comment l’écosystème industriel
P. 3-4
se diversifie et se renforce. Pourquoi le Maroc mise sur l’Afrique,
avec une politique du « spectre complet ». P. 5
Ces « locomotives » marocaines
P. 6
qui se projettent sur le continent. Les secteurs clés de l’essor marocain. P. 7
CFC, un hub financier régional à « Casa ». P. 7
Ces entrepreneurs marocains partis
P. 8-9
à la conquête de l’Afrique. Comment le Maroc met ses agences
P. 10
publiques en ordre de bataille. Ambitions convergentes et partenariat
P. 10
stratégique du couple France-Maroc. Un navire chargé de conteneurs
à l’approche du terminal Renault
de Ksar Sghir, sur le port
de Tanger-Med. Inauguré en 2007,
celui-ci bat toutes les prévisions
de trafic et se classe déjà au 5e rang
en Méditerranée. Dans le même
temps, la zone franche industrielle
qui le jouxte connaît un grand
succès, notamment grâce à la jeune
industrie automobile qu’elle abrite,
et qui est devenue en trois ans
le premier secteur exportateur
du royaume chérifien.
LE MAROC
Une porte d’entrée
royale sur le continent
JEAN-CHRISTOPHE
TORTORA
PRÉSIDENT,
DIRECTEUR
DE LA PUBLICATION
@jc_Tortora
Avec cette première édition de notre
nouveau supplément LA TRIBUNE
AFRIQUE, c’est à un nouveau rendezvous à la découverte de l’immense
« continent noir » que nous convions
et inviterons régulièrement nos fidèles
lecteurs. L’Afrique, à laquelle nous avons
déjà consacré un dossier (« 2020/2050
- Trente glorieuses pour l’Afrique ? »,
dans La Tribune n° 129 du 24 avril 2015)
s’affirme en effet comme le continent
d’avenir : naguère encore « mal partie »
et affublée de toutes les tares, la voici
devenue en quelques années celle sur
laquelle la planète entière compte pour
assurer le relais d’une croissance qui
s’étiole, tant en Asie que dans les Brics.
Le choix de la destination Maroc, auquel
nous consacrons cette première édition
africaine, va au-delà de l’argument
d’actualité convenu — la seconde visite
officielle du président François Hollande
dans le royaume, les 19 et 20 septembre.
C’est à un pays entreprenant,
à la fois stable et réformateur, un pays
sans pétrole mais non dépourvu
d’ambition et de talents, que nous avons
souhaité intéresser nos lecteurs. Un pays,
en fait, qui préfigure peut-être ce que
pourrait être l’Afrique de demain,
entreprenante et prospère. Un pays,
en tout cas, qui se positionne aujourd’hui
à juste titre comme la plate-forme royale
d’entrée sur ce continent où se joue — et
se lève, espérons-le — une bonne partie
de l’avenir de l’Europe. Et de la France.
© AFP PHOTO/FADEL SENNA
© MARIE-AMÉLIE JOURNEL
QUAND L’AVENIR SE LÈVE AU SUD
La MDJS reverse l’intégralité de ses bénééces au Fonds National
de Développement du Sport pour soutenir les programmes
des fédérations sportives et développer la pratique du sport
par les petits et les grands.
La Tribune Afrique I 3
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
ÉMERGENCE
Comment l’écosystème industriel
se diversifie et se renforce
LES FAITS – Confronté au ralentissement de son partenaire européen et à la crise mondiale, le Maroc recherche
depuis quelques années des relais de croissance en Afrique de l’Ouest et subsaharienne, et a opté pour
le positionnement stratégique de plateforme d’entrée vers l’Afrique (lire pages 6-7 et 10).
LES ENJEUX - Le royaume alaouite dispose-t-il pour autant d’un écosystème suffisamment opérationnel
et puissant pour lui permettre d’assumer cette ambition ? Tour d’horizon de ses atouts… et points faibles.
Aerospace, LPS Aero… –, elle génère
aujourd’hui quelque 10 000 emplois et
1 milliard d’euros de chiffre d’affaires.
L’acte fondateur de cette jeune industrie
se situe en l’an 2000, avec la création d’une
première coentreprise entre Safran et
Royal Air Maroc. Quinze années auront
donc suffi pour en faire un secteur d’activités dont la performance, pour l’entretien
et la sous-traitance, est reconnue par les
professionnels meilleure que celle de l’Europe de l’Est. Pour ce secteur, également
en pleine croissance, Moulay Hafid Elalamy
nourrit aussi une ambition forte : attirer
100 nouveaux opérateurs d’ici à 2020, porter le taux d’intégration à 35 % au lieu de
18 % actuellement, créer quelque 23 000
nouveaux emplois et augmenter les exportations à 1,5 milliard d’euros. Le tout grâce
au déploiement des « écosystèmes productifs », clé de voûte de sa stratégie d’accélération industrielle.
L’usine
Renault, la plus
importante
d’Afrique,
a été implantée
en 2012 dans
la zone franche
de Tanger-Med,
sur 350 hectares.
1,1 milliard
d’euros ont été
investis et
7 000 employés
y travaillent
à ce jour.
I
l y a quinze ans à peine, personne,
à l’exception de la Chine, ne s’intéressait à l’Afrique. Mais, en
quelques années, tout a changé.
Aujourd’hui (lire notre dossier
« 2020/2050 - Trente glorieuses
pour l’Afrique ? » dans La Tribune
n° 129 du 24 avril 2015), l’afro-optimisme
PAR
ALFRED
tient le haut du pavé, le continent africain
MIGNOT
paraissant à beaucoup d’opérateurs économiques le seul capable de porter la relève de
@AlfredMignot
la croissance mondiale. Un potentiel que la
Chine a perçu la première, depuis une quinzaine d’années, avant que bien d’autres pays,
comme la France avec la création de la Fondation AfricaFrance en 2013 (cf. La Tribune
n° 129), ne le (re)découvrent à leur tour.
Le Maroc participe de ce mouvement géoéconomique mondial. Après avoir pendant
trente ans regardé
essentiellement du
côté européen, il
développe depuis
quelques années une
stratégie et une
d’euros, c’est le montant
diplomatie éconodes exportations de l’industrie
miques offensives
automobile marocaine en 2014,
(lire page 5), visant à
créée ex nihilo en 2013,
se positionner en plaavec l’implantation de Renault.
teforme d’entrée vers
1,81
milliard
© AFP PHOTO /FADEL
SENNA
l’Afrique, particulièrement de l’Ouest et
centrale. Mais le royaume alaouite a-t-il les
moyens de son ambition, alors même que
ses échanges avec le continent noir, il est
vrai en forte hausse (+13 % en 2014), ne
représentent tout de même que 6,4 % du
total de son commerce international ? De
nombreux indicateurs tendent à faire penser qu’il pourrait réussir son pari…
UNE DOUBLE RÉVOLUTION
INDUSTRIELLE EN MARCHE
La montée en puissance économique du
royaume alaouite est en effet attestée par
ses performances économiques, ses grands
projets structurants achevés ou en cours,
ainsi que par l’amélioration de ses classements internationaux et la bonne tendance
d’ensemble des indicateurs conjoncturels.
Certains secteurs – l’automobile, l’aéronautique, les transports, l’offshoring, les
télécoms, la bancassurance… – enregistrent des performances remarquables,
alors que certaines activités étaient
naguère encore inexistantes. C’est le cas
de l’industrie automobile. Amorcée début
2012 avec l’implantation sur la zone
franche de Tanger-Med de l’usine Renault
– la plus importante d’Afrique, sur
350 hectares, avec 1,1 milliard d’euros
investis et 7 000 employés à ce jour –,
l’industrie automobile est devenue en
trois ans le premier poste d’exportation
du Maroc, détrônant les traditionnels
phosphates. « Avec des exportations qui ont
atteint 1,81 milliard d’euros en 2014, soit une
augmentation de 52,7 % par rapport à 2013,
le Maroc s’est hissé au 1er rang des pays
exportateurs de produits automobiles dans la
région Afrique du Nord et Moyen-Orient »,
relevait récemment Moulay Hafid Elalamy, le ministre de l’Industrie (27,3 % du
PIB). C’est aussi un secteur pour lequel le
ministre nourrit de grandes ambitions :
porter le taux d’intégration locale de
45 % actuellement à 65 % et créer
90 000 emplois nets d’ici à 2020, essentiellement par le déploiement des « écosystèmes productifs » (câblage, habitacles,
batteries, emboutissage…), ainsi qu’il l’a
annoncé en avril 2014, avec son plan d’accélération industrielle.
L’industrie aéronautique, installée surtout
autour de Casablanca, n’est pas en reste.
Avec une centaine d’opérateurs, dont les
plus grands du secteur – Airbus, Bombardier, Safran, Thales, Boeing, Nexans, EADS,
Creuzet, Snecma, Daher, Matis, Zodiac
UN SECTEUR TERTIAIRE
EN EXPANSION
Le secteur tertiaire (58 % du PIB), tant par
le tourisme que par l’offshoring, apporte
aussi une contribution capitale à l’économie marocaine, ainsi que les transferts
financiers des Marocains résidant à
l’étranger (MRE), dont la contribution en
2014 a crû de 5 % à 29,1 milliards de
dirhams (2,71 Mds d’euros).
CasaNearShore est le pôle majeur de
l’offshoring marocain (55 000 emplois) et
de l’Afrique du Nord, ce qui a valu au
Maroc d’être élu en 2012 « meilleure destination » par les donneurs d’ordres de
l’Association européenne de l’offshoring
(EOA). Le tourisme, malgré un contexte
sécuritaire régional parfois altéré, a
réussi à progresser encore en 2014 :
10,3 millions de voyageurs ont visité le
royaume, soit + 2,4 % par rapport à 2013,
tandis que les recettes se sont élevées à
5,45 milliards d’euros (+ 2,9 %), indique
l’Office national marocain du tourisme
(ONMT). Et la marge de progression est
encore importante, au regard des grands
projets en cours – notamment le terminal de croisière du futur Wessal Casablanca Port, dont les travaux ont commencé en mars, et qui pourra accueillir
jusqu’à 450 000 croisiéristes par an – et
du fait que le Maroc dispose d’un riche
patrimoine culturel à valoriser, étant le
pays africain qui abrite le plus de sites
classés par l’Unesco.
La Royal Air Maroc (la RAM, qui est d’ailleurs la marque la plus connue du continent africain par les journalistes de la
presse économique mondiale, selon un
récent sondage de l’agence parisienne
Rumeur publique) a contribué à l’envol du
tourisme : elle ouvre régulièrement de nouvelles lignes, et a encore battu cet été son
record de trafic durant le week-end du
1er août, avec un peu plus de 55 000 pas-
4 I La Tribune Afrique
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
sagers transportés sur 418 vols. Avec
ses dessertes en hausse de 16 % sur 2013, la
compagnie est devenue l’un des leaders des
liaisons euroafricaines.
LA MONTÉE EN GAMME
DES INFRASTRUCTURES
Le Maroc est 1er en Afrique du Nord et 3e à
l’échelle du continent pour l’équipement
en infrastructures, selon un récent cassement FMI. Concernant les transports, et
en attendant le premier TGV d’Afrique qui
reliera Casablanca-Rabat à Tanger en 2018
(près de 700 millions d’euros, dont 364 M€
pour le TGV sont investis en 2015 pour les
chemins de fer marocains, classés premier
réseau d’Afrique), tous les regards se
tournent vers l’exceptionnel succès du
nouveau port Tanger Med. Jouxtant la zone
franche industrielle (650 entreprises,
50 000 empois) où s’épanouit l’industrie
automobile, il ne cesse de dépasser ses
objectifs depuis son inauguration en 2007,
enregistrant encore à fin juin 2015 un trafic
en croissance de 4 % par rapport au premier semestre 2014, selon l’autorité portuaire (TMPA). Tanger Med vient d’être
classé cinquième port de Méditerranée (et
49e mondial), renforçant ainsi concrètement le positionnement du Maroc comme
un carrefour dans le commerce maritime.
Et ce n’est pas fini : alors que l’extension
Tanger Med II est financée et déjà en chantier, c’est maintenant sur la côte atlantique,
à Kénitra (47 km au nord de la capitale
Rabat) qu’une deuxième zone franche portuaire est projetée. Kénitra Atlantique, qui
sera reliée à la LGV Casablanca-Rabat-Tanger, est le site choisi par PSA-Peugeot
Citroën pour y implanter une usine (un
investissement de quelque 557 millions
d’euros, à Ameur Seflia) d’une capacité de
200 000 véhicules par an, à partir de 2020.
Outre le portuaire avec Tanger Med, Tanger Med II et Kénitra Atlantique, et le
ferroviaire avec le TGV, le royaume renforce aussi ses infrastructures aéroportuaires. Ainsi, l’Office national des aéroports (ONDA) a-t-il projeté 360 millions
d’euros d’investissements en 2015. La
sûreté et la sécurité des aérodromes se
sont vues allouer la plus grande part des
ressources, tandis que près de la moitié
est affectée à la modernisation de l’aéroport de Casablanca, qui cumule la moitié
du trafic marocain.
Côté services financiers, il faut noter la
montée en puissance de Casablanca
Finance City (CFC), qui participe au
« Cluster Finance » AfricaFrance-Paris
Europlace, et affirme la vocation de la
capitale économique du Maroc à devenir
la porte d’entrée financière privilégiée de
toute l’Afrique de l’Ouest et subsaharienne (lire page 7).
UN PAYS QUI INSPIRE
CONFIANCE
Côté conjoncture, de nombreux indicateurs sont au vert : la banque centrale
marocaine Bank al-Maghrib (BAM) prévoit
une croissance de l’économie de 5 % en
2015, le double de l’an dernier, et le FMI en
prévoit autant pour 2016. Au cours du premier semestre 2015, les flux d’IDE ont
bondi de 19,6 % à 1,212 milliard d’euros, le
déficit commercial s’est allégé, le chômage
enregistre une baisse au second trimestre
2015, passant à 8,7 % contre de 9,3 % au T2
2014 (étant certes entendu que ce chiffre
ne renvoie qu’à la partie formelle de l’économie), et le taux d’investissement est très
élevé, à 32 % du PIB (estimation de la
Banque africaine de développement).
De même, les réserves du Maroc en devises
s’élevaient à 18,24 Mds euros au 24 juillet,
en hausse de 15 % sur un an, tandis que le
déficit budgétaire a été ramené à 4,9 points
de PIB en 2014 (contre 5,4 % en 2013), en
ligne avec l’objectif gouvernemental de le
ramener à 3,5 % du PIB d’ici à 2016. Par ail-
leurs, la dette publique marocaine s’est
stabilisée fin 2014 à 66,4 %, la dette extérieure représentant quant à elle 30,4 % du
PIB. Malgré des difficultés réelles (voir
l’encadré ci-dessous), tous ces éléments
contribuent à positiver l’image du Maroc,
qui ne cesse d’ailleurs d’engranger les satisfecit de la part des institutions financières
internationales, comme le FMI, la Banque
africaine de développement (BAD), la
Banque mondiale (BM) et la Banque européenne d’investissement (BEI).
« Globalement, les résultats économiques enregistrés par le Maroc ont été solides », notait fin
juillet Min Zhu, directeur général adjoint du
FMI, rappelant aussi que la Ligne de précaution et de liquidité (LPL), accordée au Maroc
en août 2012, a été renouvelée en juillet 2014
pour une durée de deux ans et pour un montant de 5 milliards de dollars. Fin juillet également, lors de l’annonce d’un prêt de
114,5 millions de dollars accordé au Maroc
pour le financement de son programme
d’appui à la compétitivité de l’économie
(PACEM), Donald Kaberuka, le président
sortant de la BAD (1,96 Md € d’engagements
au Maroc), tenait des propos allant dans le
même sens : « Le gouvernement marocain a
mis en place des mécanismes très appropriés
(…) nous sommes sur le bon chemin. »
Tout va bien aussi du côté de la Banque
mondiale : dans la foulée de prêts de
1,18 milliard de dollars pour l’année fiscale
2014, et 1,06 milliard en 2015, la BM prévoit
pour l’année fiscale 2016 ( juillet 2015-juin
2016) cinq prêts d’un montant cumulé de
850 millions de dollars, destinés au financement d’infrastructures, à l’amélioration
de la gouvernance et de l’irrigation. On
notera enfin que sur la période 2007-2014,
le Maroc aura été le premier récipiendaire
des prêts alloués par la BEI-FEMIP (la
Facilité euro-méditerranéenne d’investissement et de partenariat, instrument de la
BEI en Méditerranée), avec 29,34 % des
crédits, devant la Tunisie (23,51 %) et
l’Égypte (19,28 %).
UNE AVALANCHE
DE SATISFECIT
Parmi les autres marqueurs qui témoignent
de l’attractivité grandissante du Maroc, il
faut relever aussi l’augmentation constante
des investissements directs étrangers
(+ 9 % en 2014) attirés par le pays : avec
près de 3,6 milliards de dollars d’IDE col-
La Royal Air
Maroc
a contribué
à l’envol
du tourisme :
elle a encore
battu cet été
son record
de trafic durant
le week-end
du 1er août,
avec un peu
plus de 55 000
passagers
transportés
sur 418 vols.
Parallèlement,
l’industrie
aéronautique
marocaine
connaît un essor
remarquable,
avec une
centaine
d’opérateurs,
quelque
10 000 emplois
et de grandes
ambitions de
développement.
© ROYAL AIR MAROC
lectés en 2014 (contre 3,3 en 2013 et 2,7 en
2012) sur un total continental de 32,5 Mds
$, le Royaume alaouite a capté 11 % des IDE
africains. « Le Maroc se positionne de plus en
plus comme une passerelle vers un continent
africain en forte croissance, particulièrement
pour les investisseurs américains et européens », notent cette fois les auteurs du
rapport sur l’attractivité du continent
publié cet été par Ernst & Young.
Certes, le royaume doit pourtant faire
encore bien des efforts en de nombreux
domaines (voir l'encadré ci-dessous). Mais,
ces réserves étant émises, force est de
constater qu’en cette année 2015, le Maroc
ne cesse de se voir décerner des satisfecit
venant de tous côtés. Le rapport Doing
Business 2015, édité fin 2014 par le groupe
Banque mondiale, attribue un grand satisfecit au Maroc : après un bond de huit
places l’année précédente, le royaume réalise une nouvelle performance en avançant
encore de 16 places, devenant le 6e pays
africain le mieux placé pour l’environnement des affaires (et le 71e mondial, contre
84e auparavant). Début juin, le rapport
biennal 2014-2015 consacré à la compétitivité de l’Afrique, publié conjointement par
le Forum économique mondial (WEF,
Davos) et la Banque africaine de développement (BAD), la Banque mondiale et
l’OCDE a confirmé, pour la troisième
année consécutive, la quatrième place du
Maroc sur le continent, derrière le Rwanda,
l’Afrique du Sud et l’Île Maurice.
Le Maroc figure aussi parmi les pays du
classement publié par Bloomberg en
février 2015, qui le situe en 21e position sur
les 25 pays émergents ou pré-émergents les
plus prometteurs dans le monde. Avec un
score de 43,4, il devance la Russie et l’Inde,
et se place deuxième en Afrique, derrière
l’Afrique du Sud – tandis que le Maroc est
aussi le second pays pourvoyeur d’IDE
intra-africains. Côté risque pays, on remarquera que, depuis mars 2014, Standard &
Poor’s maintient ses notations sur la dette
à court et long terme (« BBB »), permettant
au Maroc de rester dans la catégorie
« Investment Grade », et a amélioré ses
perspectives, de « négatives » à « stables ».
En fait, malgré la crise économique mondiale, le Maroc n’a cessé ces dernières
années de consolider ses équilibres macroéconomiques. Et, pour parachever ce
tableau d’un pays qui inspire confiance,
force est de constater que les élections
régionales et communales du 4 septembre
dernier, en confirmant globalement les
rapports de force issus des élections législatives de 2011, confortent le ressenti d’un
pays stable, avec un système de représentation démocratique et de gouvernance en
voie de maturation. ■
LE DÉFI DE L’ACCÉLÉRATION DES RÉFORMES
L
es multiples raisons de se réjouir de
l’avancée du Maroc ne doivent pas faire
oublier que des points noirs perdurent
dans l’économie du royaume, par exemple le
fait que quelque 20 % des jeunes diplômés de
l'enseignement supérieur sont au chômage.
Ce constat est d’autant plus inquiétant que
même si la croissance atteint 5 % cette
année, elle reste trop faible au regard
de l’objectif de 6 %, seuil en deçà duquel
la réduction du chômage est impossible ; et
encore plus insuffisante au regard de l’autre
seuil — 10 % —, indispensable au Maroc pour
accéder au club des pays émergents.
Certains dirigeants marocains du plus haut
niveau évoquent sans détour cette réalité
préoccupante, comme le fait Abdellatif
Jouahri, gouverneur de la BAM. Présentant
début juillet son rapport annuel à
Mohammed VI, il a mis en exergue
l’impérieuse nécessité d’accélérer les
réformes, en particulier d’un marché du
travail considéré trop « rigide », les retraites
dont les caisses sont déficitaires,
les distorsions fiscales sectorielles,
la régionalisation et la problématique
du renouvellement des élites, la réforme
aussi de la justice, jugée « primordiale
pour l’amélioration de l’environnement
des affaires ».
Des observateurs étrangers considèrent
eux aussi que le royaume pourrait encore
mieux faire. C’est le cas de la BAD qui, dans
un rapport de 250 pages réalisé à la
demande du gouvernement marocain, publié
en février dernier et intitulé « Diagnostic de
croissance du Maroc : analyse des contraintes
à une croissance large et inclusive »,
relève plusieurs points insatisfaisants :
une croissance faible au regard d’un taux
d’investissement parmi l’un des plus élevés
au monde ; la toujours faible industrialisation
(27,3 % du PIB) de l’économie ; le faible
dynamisme des PME ; une trop faible
compétitivité internationale (illustrée par
un déficit commercial à environ 15 % du PIB) ;
l’insuffisance du capital humain et
du management intermédiaire ; la lenteur
du système juridique ; les « distorsions »
du système fiscal ; l’accès difficile au foncier,
régi par trois régimes différents ; un code
du travail contraignant par rapport aux pays
d’un niveau de développement comparable…
Bref, selon un consensus qui se fait jour,
urbi et orbi, le Maroc peut — et doit —
encore mieux faire. ■
A. M.
Le gouverneur de la Banque centrale du Maroc,
Abdellatif Jouahri, insiste notamment sur la nécessité
de réformer la justice, « primordiale pour l’amélioration
de l’environnement des affaires ». © REUTERS/Stringer
La Tribune Afrique I 5
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
GÉOÉCONOMIE
Pourquoi le Maroc mise sur l’Afrique,
avec une politique du « spectre complet »
Politique, commercial, culturel, et spirituel, l’ancrage du Maroc en Afrique revêt aujourd’hui un aspect
économique, social et humain de plus en plus prééminent. C'est là le résultat d'une stratégie globale à l'adresse
du continent, engagée depuis une décennie, et qui renoue les fils d'un rayonnement multiséculaire.
L
© DR
’
PAR
ABDELMALEK
ALAOUI
PDG DE GUEPARD
GROUP
EXPERT
EN GÉOÉCONOMIE
enracinement du tissu
entrepreneurial marocain en terre africaine
est aujourd'hui substantiel et continue de monter en puissance : 42 %
des flux d’investissements directs étrangers (IDE) marocains
sont destinés à l’Afrique ; les opérateurs
marocains dans les secteurs de la banque
et de l’assurance sont présents dans
25 pays du continent ; et l’investissement
des entreprises marocaines en terre africaine est plurisectoriel.
Ce dernier, bien que majoritairement
tourné vers les services, concerne autant
les secteurs de la finance et de l’industrie
que les domaines structurants pour le
développement des territoires africains
que sont l’énergie, l’eau, le transport, le
logement social, la santé et l’éducation.
Or, au cours des dix dernières années,
beaucoup de choses ont été dites sur la
progression spectaculaire de la politique
économique marocaine en Afrique.
Le royaume a ainsi été qualifié tour à tour
de « champion des services financiers » grâce
à l’implantation et la progression de ses institutions bancaires, de « garant de la sécurité
alimentaire » à travers les partenariats continentaux de l’Office
chérifien des phosphates (OCP), de
« bâtisseur en chef »
grâce à ses grands
groupes immobiliers,
ou encore de « pionnier » des télécoms,
avec l’aventure africaine de Maroc Telecom. Beaucoup de
choses ont également
été dites sur la stratégie poursuivie par
Mohammed VI, qui
serait un mélange de partenariat Sud-Sud et
de pragmatisme économique.
Les médias ont ainsi régulièrement qualifié cette stratégie de « soft power », de
« projection de puissance », ou encore de
« diplomatie économique ». Enfin, certains
ont voulu voir dans cette offensive marocaine sur le continent la continuation
d’une politique d’influence visant à isoler
les adversaires politiques du Maroc sur le
dossier du Sahara en préemptant l’économie, domaine plus pérenne que les
alliances circonstancielles.
« LÀ OÙ LA PLUPART
VOYAIENT
UN RISQUE,
LE MAROC A VU
UNE OPPORTUNITÉ
EN AFRIQUE »
UN ACTE CONCEPTUALISÉ ET
PROJETÉ SUR LE LONG TERME
Derrière les mots et les raccourcis, l’ensemble de ces éléments participe probablement à dessiner la politique africaine
contemporaine du Maroc, mais il ne renseigne cependant pas sur le dessein africain du royaume et ses motivations profondes. Avant d'autres pays, le Maroc a
discerné une opportunité en Afrique, là où
la plupart ne voyaient qu’un risque.
En effet, dans un monde global mais inégal,
où le court-termisme s’est érigé en règle,
investir en Afrique et s’investir pour le
Implantations de Maroc Telecom
Sources : Institut Amadeus, « le Maroc en Afrique », août 2015,
et rapport annuel Maroc Telecom.
développement du continent est d’abord
un acte de leadership sur les temps longs.
C’est un acte conceptualisé, dessiné, voulu
et exécuté par le chef de l’État, qui a été au
cours des années récentes à la fois l’ouvreur de piste et le porte-étendard de cette
politique qui consiste à redonner de « l’avenir au présent ».
L’un des actes fondateurs de ce retour du
Maroc sur la scène continentale est un
méga-investissement national, consenti par
le pays au début des années 2000 : le port
géant de Tanger-Méditerranée. De nombreux experts avaient alors tenté de décourager le pays de se lancer dans une telle
aventure, mettant en avant le coût, doutant
de l’opportunité et de la pertinence.
Dix ans plus tard, le pari est gagné, avec
l’arrivée d’acteurs majeurs tel que Renault
Nissan, qui a implanté dans la zone un
site industriel d’envergure, faisant de Tanger Med le premier port africain à vocation globale. À la fois ouverture vers la
Méditerranée et point d’entrée vers
l’Afrique, le site est devenu incontournable sur le plan géoéconomique, encourageant un second constructeur automobile, Peugeot, à installer sa future usine
non loin de là, à Kénitra.
La vision du Maroc en Afrique se nourrit
également d’une frustration, celle que le
découpage de la région en zone Mena et
Afrique subsaharienne – décidé hâtivement par quelques diplomates américains
au début des années 2000 – constitue une
absurdité pour tous ceux qui connaissent
les liens historiques, économiques, commerciaux, culturels et cultuels qui lient le
Maroc au reste du continent.
PARLER AFFAIRES, MAIS
AUSSI AU CŒUR ET À L’ÂME
Dans ce cadre, les images d’Épinal largement ressassées des caravanes marocaines
qui reliaient Dakar, Tombouctou, et
d’autres cités africaines à la pointe nordouest du continent, ne sont donc pas de
simples postures ou des rappels d’une
histoire entremêlée. Elles constituent
l’alpha et l’oméga de la stratégie poursuivie par le Maroc en Afrique, qui est ellemême intimement liée à la structure du
pouvoir dans le royaume. Car, pour miser
sur l’Afrique, surtout en des temps où l’on
assiste à la résurgence de conflits et de
menaces sur la paix et la stabilité, le
Maroc ne pouvait se permettre de compter uniquement sur ses entreprises.
Quoique nécessaire, leur action était forcément limitée. Il fallait donc investir
d’autres domaines, qui ne parlent pas uniquement au portefeuille, mais également
au cœur et à l’âme. C’est là l’essence
même de l’action substantielle en faveur
de la formation à grande échelle des
imams. Rabat accueille ainsi depuis peu
le premier centre de formation d’Afrique,
qui a nécessité un investissement de plusieurs dizaines de millions d’euros. Ce
dernier vise à promouvoir l’« Islam du
milieu » auprès des imams du monde
entier – dont 500 Maliens – afin de participer activement à la lutte contre toutes
les formes d’obscurantisme, terreau des
extrémismes et du terrorisme islamiste.
En agissant aux racines du mal, Rabat souhaite ainsi se positionner en amont de la
production de pensée et participer à l’éradication de l’obscurantisme.
Pays pourtant dépourvu d’hydrocarbures,
le Maroc n’hésite pas à solliciter ses
moyens financiers limités lorsqu’il s’agit
d’exprimer une nécessaire solidarité continentale en déployant par exemple des
hôpitaux de campagne dans les zones de
conflit, ou en adressant des avions chargés
de denrées alimentaires à la suite d’une
catastrophe naturelle ou humanitaire.
Là aussi, d’aucuns pourraient voir dans ce
déploiement un « investissement » qui
servirait d’autres intérêts, notamment
économiques et commerciaux. En réalité,
cela participe à la définition d’une politique étrangère africaine qui ambitionne
de couvrir un « spectre complet » : sociétal, politique, économique, spirituel,
diplomatique et culturel.
UN ACTEUR MODÉRATEUR ET
DE CONVERGENCE GLOBALE
Pour le Maroc, il s’agit vraisemblablement
d’une rupture par rapport à la stratégie
mise en place depuis l’indépendance et
jusqu’à la fin des années 1990, qui se
construisait d’abord sur un « bilatéralisme
actif », et n’appréhendait que sommairement la dimension globale de l’investissement sur le continent. Dans le prolongement de cette politique, le Maroc souhaite
également jouer un rôle d’agent de convergence à travers sa place financière panafricaine, Casablanca Finance City, et sa compagnie aérienne, Royal Air Maroc, qui
ambitionne de faire de la capitale économique un véritable carrefour continental.
Les enjeux de l’intégration sont en effet
énormes car l’Afrique de l’Ouest souffre
encore de fragmentation chronique. En
créant des institutions qui permettent de
toucher l’ensemble de l’Afrique à partir
de Casablanca, Rabat parie sur le fait que
les multinationales seront plus enclines à
installer la base de leurs opérations à partir d’un pays qui jouit de la sécurité de ses
institutions, de la stabilité et d’un taux de
croissance attractif. Jusque-là, tout
indique que ce positionnement est porteur d’avenir, même si une intensification
des investissements doit être mise en
place afin d’atteindre la taille critique. Le
prochain chantier pour le Maroc sera
donc celui de la massification et de la systématisation du réflexe Afrique. ■
6 I La Tribune Afrique
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
ENTREPRISES
Ces « locomotives » marocaines
qui se projettent sur le continent
Qu’elles soient dans l’immobilier, la banque ou les fertilisants, le Maroc compte sur ces entreprises
« locomotives » pour tirer sa stratégie africaine et la mettre en phase avec son plan d’accélération industriel,
dévoilé au printemps 2014. Zoom sur quelques-uns de ces « champions nationaux » du royaume chérifien.
IMMOBILIER
« Génération cash »
ou la nouvelle vie
africaine d’Addoha
A
u printemps dernier, sur fond
de crise globale des opérateurs
immobiliers marocains, l’une
des plus importantes capitalisations boursières de la place
de Casablanca, le groupe Addoha, prend à
contre-pied les observateurs du marché en
annonçant la mise en place du plan « Génération cash », qui vise à redonner au groupe
des marges de manœuvre financières pour
continuer son développement.
Pour certains analystes, il s’agit d’un plan de
restructuration qui ne dit pas son nom. Pour
le management d’Addoha, le groupe présidé
par Anas Sefrioui – 25e dans la liste Forbes des
milliardaires africains, avec 1,1 milliard de
dollars – veut au contraire se recentrer sur
ses fondamentaux et mieux « canaliser » sa
course effrénée vers la croissance, qui a
caractérisé sa dynamique durant la décennie
des années 2000.
Amélioration de la gouvernance, communication plus régulière avec les marchés, agressivité commerciale, « Génération cash » se
veut la riposte à la crise que traverse le sec-
teur, et le garant de la pérennité de l’entreprise. Fortement engagé en Afrique avec
des projets dans une dizaine de pays – dont
le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Guinée
Conakry, le Tchad, la Guinée-Bissau, le
Cameroun, le Ghana, le Gabon et le
Congo –, Addoha déroule depuis dix ans
une stratégie continentale bicéphale qui
vise non seulement à développer des programmes immobiliers, mais également à
construire un maillage de cimenteries dans
toutes les zones où il opère.
DES RÉSULTATS SIGNIFICATIFS
ATTENDUS EN 2017
À travers ses cimenteries, Addoha souhaite
maîtriser sa chaîne de production en amont
et devenir moins dépendant d’acteurs extérieurs, grâce à sa filiale Ciments de l’Afrique
(CIMAF). Cette dernière constitue le bras
armé de l’écosystème d’Addoha qui combine
force de frappe régionale en matière de production de ciment et savoir-faire dans l’ingé-
BANQUE
La Banque centrale
populaire confirme
son « envie d'Afrique »
D
ernière arrivée sur le marché
africain après les pionnières
Attijariwafa bank et BMCE
Bank of Africa, la « vieille
dame » des banques marocaines affirme de plus en plus sa volonté de
poursuivre une stratégie d’expansion continentale. Cette dernière s’inscrit dans un
processus global de transformation de ce
mastodonte – plus de 1 000 agences, rien
qu'au Maroc – entamé en 2008. Pour cela la
Banque centrale populaire a d’abord réorganisé son tour de table avec la sortie de l’État
et l’arrivée de nouveaux actionnaires institutionnels, tels BPCE ou la Société financière
internationale (SFI), puis a mis en place une
nouvelle architecture capitalistique avec ses
filiales régionales afin de renforcer la vocation mutualiste du groupe.
Parallèlement, le groupe a renforcé ses fonds
propres et est devenu plus agressif sur les
activités corporate et les marchés, à travers
notamment sa filiale Upline. Mais il faut
attendre juin 2012 pour que la Banque cen-
trale populaire concrétise son « envie
d’Afrique » avec le rachat de Banque Atlantique, qui lui permet de s’implanter directement dans sept pays d’Afrique de l’Ouest.
Officieusement sur le marché depuis plusieurs années, le dossier Banque Atlantique
avait été examiné par plusieurs repreneurs
potentiels, dont le français BPCE, sans succès. Récemment, en août 2015, la Banque
centrale populaire a réalisé une seconde
opération de croissance externe sur le continent en rachetant au gouvernement du Niger
la Banque internationale pour l’Afrique
(BIA), deuxième banque du pays.
Ces acquisitions se sont traduites sur les
résultats 2014 de la banque de manière substantielle, puisqu’en zone UEMOA, les dépôts
se sont accrus de 29 % et les crédits de 21 %.
Enfin, à l’instar de l’OCP, la banque centrale
populaire s’est engagée dans un processus
de rating international, qui lui permet à la
fois d’accroître sa visibilité sur les marchés
et d’être plus attractive en matière de financements internationaux. ■
Une vue de Dakar, capitale du Sénégal, l'un des dix pays africains où officie le groupe Addoha. © DEREJE
nierie et la réalisation de projets immobiliers.
Six mois après son lancement, le pari de
« Génération cash » semble en partie gagné.
Le groupe Addoha a réussi à alléger sa dette
de près d’un milliard de dirhams (100 millions d’euros) et a amélioré son ratio dettes
nettes/fond propres (« gearing ») de huit
points, pour le porter à 72 %. Pour le management du groupe, le groupe serait donc « en
avance sur ses objectifs », et pourrait envisager
avec sérénité l’expansion de ses activités
africaines, relais de croissance des activités
du groupe dans un contexte de stagnation
du marché marocain.
Toutefois, Addoha n’envisage une contribution significative de ses opérations africaines à ses résultats qu’à l’horizon 2017, le
temps que les projets mis en place dans ses
premiers pays d’implantation – Sénégal,
Côte d’Ivoire, Guinée – soient commercialisés. De manière globale, l’objectif poursuivi par l’opérateur est de devenir un
« Dancing Elephant », à savoir développer
son agilité stratégique et sa résilience aux
chocs conjoncturels que connaît le secteur
immobilier. Le développement africain
constitue à ce titre un axe majeur de la stratégie du groupe, puisque plusieurs projets
mis en place à la fin des années 2000
devraient arriver à maturité sous peu, ce
qui donnerait à Addoha un avantage de
primo-entrant qui devrait, selon le management du groupe, se refléter positivement
sur la marche en avant de l’entreprise. ■
AGROALIMENTAIRE
L'OCP mise
sur l'Afrique pour
« nourrir la planète »
Q
uiconque a fréquenté les allées
de l’Office chérifien des phosphates (OCP) au début des
années 2000 risquerait de ne
plus reconnaître cette vénérable entreprise, premier producteur mondial de phosphates et fer de lance d’une
stratégie économique marocaine tournée
vers la promotion de la sécurité alimentaire.
Si son siège, à la périphérie de Casablanca,
reste inchangé, tout ou presque a évolué au
sein de l’ex-office. En moins de dix ans,
l’OCP est devenue une SA à capitaux
publics, a rénové profondément sa gouvernance, et a multiplié par six son chiffre
d’affaires pour le porter à près de 5 milliards
de dollars en 2014.
L’entreprise ambitionne désormais de se
positionner sur l’ensemble de la chaîne de
transformation du phosphate, en investissant les segments très concurrentiels des
fertilisants et de la transformation de la
roche. Mais pas uniquement. Le plan stratégique développé sous la férule de son diri-
geant, le « docteur » Mostafa Terrab, ne
prévoit rien de moins que de changer la
mission de l’OCP pour qu’elle devienne
« Nourrir la planète », en se positionnant
avec force sur le continent africain. Pour
cela, le management de l’OCP s’appuie sur
des tendances inéluctables : les terres
arables dans le monde développé s’épuisent
à grande vitesse et le réservoir mondial se
situe sur le continent. C’est pourquoi l’OCP
multiplie depuis plusieurs années les offensives en direction de l’Afrique, tel le méga
partenariat avec le Gabon, qui prévoit la
construction de deux usines pour un montant d’investissement de plus de 2 milliards
de dollars. Au sein de ces unités de production, les ressources des deux pays – le phosphate et le gaz – seront combinés afin de
permettre une production optimale de fertilisants. Au-delà du partenariat industriel,
l’OCP investit également dans le « soft
power » et est engagé dans plusieurs projets
pilotes visant à établir une cartographie de
la fertilité des sols, en Guinée notamment. ■
La Tribune Afrique I 7
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
SECTEURS
Banques, TIC, énergie, immobilier…
les secteurs-clés de l’essor marocain
184
Pour déterminer les leviers de l'économie marocaine, il convient de suivre les entreprises qui
s'implantent en Afrique. Des IDE qui se concentrent sur des secteurs à haute valeur ajoutée :
banques et finances, assurances, nouvelles technologies, mines et énergie, immobilier.
L
a banque est un pivot de la
stratégie de croissance marocaine et les opérations de
concentration et de croissance externe de la dernière
décennie permettent d'en dessiner un tableau stable. Trois banques marocaines figurent aujourd'hui dans le top 10
africain : Attijariwafa bank et BMCE Bank
of Africa ont pris une avance importante
que la Banque centrale populaire (BCP) rattrape à grandes enjambées. La BCP vient de
porter à 75 % sa participation dans le groupe
Banque Atlantique. Côté assurances, c'est le
groupe Saham qui est leader avec 19 implantations à l'étranger, quasiment toutes en
Afrique, de l'Algérie à l'Angola, du Sénégal à
Madagascar. Avec le rachat de Colina, et
l'entrée dans son capital de la Société financière Internationale (SFI) et du groupe
Wendel, il se positionne en géant continental. Une posture adoubée par le groupe
Finance.com, pourtant acteur des assurances avec RMA Watanya, qui a signé en
2015 un accord de coopération avec Saham
dans le secteur de la bancassurance. Le holding Saham affiche un CA consolidé de
1,2 milliard de dollars.
Présence et prospection
d’AttijariWafa bank en Afrique
Tunisie
Algérie
Libye
Mauritanie
Mali
Niger
Sénégal
Guinée
Burkina Faso
Bénin
Ghana
Côte d’Ivoire
Ethiopie
Nigéria
Togo
Centrafrique
Cameroun
Guinée Equatoriale
Gabon
Congo
Kenya
Rwanda
RDC
Pays en prospection
Angola
Pays de présence
DES CHAMPIONS TRÈS ACTIFS
DANS PLUSIEURS SECTEURS
Le royaume peut compter sur des champions
nationaux à fort appétit dans le secteur des
TIC et des télécoms. Le leader national de la
téléphonie Maroc Telecom s'impose comme
le concurrent naturel d'Orange et MTN dans
l'espace ouest-africain, avec neuf implantations, à la suite d’acquisition des filiales de sa
maison mère émiratie, Etisalat.
Soudan
Tchad
Gambie
Guinée Bissau
Egypte
0
Sources : Institut Amadeus, « le Maroc en Afrique », août 2015,
et rapport annuel Maroc Telecom.
Avec HPS et M2M, la monétique marocaine
s'exporte avec succès. Les deux groupes
marocains sont en compétition pour la première place continentale, et leurs clients
comptent parmi les plus grandes banques
0
1000 mi
1000 km
du continent. HPS opère en Afrique du Sud
pour le compte de First National Bank, mais
aussi pour les groupes Attijariwafa bank et
Banque Atlantique, qui agissent dans une
douzaine de pays africains.
L'Afrique est un continent riche par son
sous-sol et les entreprises minières ne sont
pas en reste. Filiale du holding SNI, Managem s'active, au stade de l'exploration voire
de l'exploitation, dans sept pays, notamment en Afrique centrale et orientale : Soudan (or), RDC (cuivre et cobalt), Gabon
(or), Congo (or). D'autres projets sont en
phase d'exploration en Éthiopie, en Guinée
et au Burkina Faso. Sans parler des visées
de l’OCP, le géant marocain du phosphate,
qui porte un projet en coentreprise avec ses
partenaires au Gabon pour inonder le
continent en engrais. Niveau de l'investissement : 2 milliards d'euros.
Dans l'immobilier, les opérateurs marocains mettent en avant une expertise
recherchée en Afrique, concernant le logement social. C'est ainsi que le groupe
Addoha, via sa société de promotion immobilière et sa filiale Ciments d'Afrique, étend
sa toile dans seize pays du continent. Les
projets de logements à bas coût qui y sont
projetés doivent obligatoirement concourir
au plan « Génération cash », annoncé début
2015, qui vise à augmenter le cash-flow et à
réduire l'endettement de l'entreprise.
Ses concurrents Alliances et Ynna Holding
(Chaâbi Lil Iskane) connaissent des sorts
variés. Si le magnat Miloud Chaâbi dit
avoir « levé le pied en Afrique », il y a bâti
sa fortune dans des projets de construction en Afrique du nord et de l'ouest, dès
les années 1970. Quant à Alliances, dernier
né, il voit dans ses activités africaines un
relais de croissance. Lourdement endetté,
le groupe dirigé par Alami Lazrak entrevoit un « avenir prometteur sur les marchés
de la construction » dans les pays où il
développe des projets : Sénégal, Cameroun, Congo et Côte d'Ivoire. ■
CASABLANCA FINANCE CITY
CFC, un hub financier régional à Casa
Le Maroc veut s’affirmer comme la porte d'entrée financière naturelle vers l'Afrique.
T
out comme la City de
Londres ne se résume pas à
la Bourse des valeurs mobilières, Casablanca Finance
City (CFC) s’entend comme
une plateforme globale de
services et d’acteurs tirant leur activité
principale des marchés financiers. C’est
pourquoi les managers de CFC s’agacent
parfois d’être interrogés sur les performances de la Bourse de Casablanca.
Lancée en 2010 avec l’objectif affiché de devenir la place de choix aux côtés de l'Afrique du
Sud, CFC ne se limite ni aux frontières du
Maroc, ni à celles de l’Afrique francophone.
En mars dernier, CFC s'est classée 42e place
financière mondiale selon le Global Financial
Centres Index, gagnant 20 places en un an et
prenant la seconde place continentale, derrière Johannesburg… et devant Maurice.
Elle a pour vocation d’offrir notamment ses
services aux multinationales dont les direc-
tions sont éclatées en zones régionales
dignes d’un puzzle. Premiers ciblés : les secteurs financiers au sens large, banques d’affaires, sociétés de gestions d’actifs, fonds
d’investissement ou de capital investissement, etc. Viennent ensuite les sièges régionaux de multinationales, puis toutes les
entreprises de conseil et de services professionnels, dont les avocats, les fiscalistes, les
experts-comptables, les cabinets de recrutements et de formation, etc.
Depuis que Saïd Ibrahimi, un centralien qui
fut le Trésorier général du royaume, a été
nommé en 2010 directeur général de CFC,
l'effort de promotion de la « destination Casablanca » a porté ses fruits. Environ 80 acteurs
ont déjà obtenu le label de Casa Finance City,
parmi lesquels les banques françaises Société
générale et BNP, le groupe Wendel, déjà
actionnaire de Saham ; l'assureur américain
AIG ou le géant chinois des technologies
mobiles Huawei.
D'autres entreprises leaders ont décidé de
rejoindre CFC, dont les français AccorHotels
et Essilor, le néerlandais Shell et sa filiale Vivo
Energy Africa, ou encore l'allemand Continental. Dans la troisième catégorie d'opérateurs estampillés CFC, on peut d'ores et déjà
dénombrer les grands noms du conseil aux
entreprises : Baker & McKenzie, Boston
Consulting Group, Clifford Chance, PriceWaterhouseCoopers, Roland Berger.
LA PLATEFORME DU GRAND
OUEST AFRO-ATLANTIQUE
Une telle concentration d'acteurs vise à faire
de Casablanca la plateforme du grand ouest
africain. Cet espace tourné vers l'Atlantique
s'étendrait de Tanger à Libreville, en passant
par Abidjan et Lagos. Il ne s'agit donc pas seulement de l'aire francophone mais aussi des
pays anglophones, bref partout où les affaires
se disent business. Avec un secteur financier
arrivé à maturité, CFC promet à ses clients de
tirer profit des gisements de croissance en
Afrique, et offre en même temps aux opérateurs publics et privés du continent une plateforme pour financer tous les opérations classiques : fusions-acquisitions, restructurations,
infrastructures. Pour ce faire, le Maroc met en
avant les réformes économiques lancées
depuis les années 1990 : libéralisation des
échanges, privatisations, diversification du
secteur bancaire. Jouissant d'une position
géostratégique privilégiée, le Maroc est
reconnu comme un pays stable, doté d'infrastructures de transports modernes, et notamment d'une compagnie aérienne, Royal Air
Maroc, idéalement placée entre l'Afrique et
l'Europe et investissant dans la quantité et la
qualité de ses dessertes. Si on y ajoute les accords
de libre-échange signés par le royaume, qui
touchent plus de 50 pays, les opportunités d'affaires à Casablanca deviennent illimitées… ■
8 I La Tribune Afrique
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
Ces Marocains partis à
TÊTES D’AFFICHE
Les mousquetaires du roi
Mostafa Terrab
Apôtre de l’économie verte
Moulay Hafid Elalamy
Gentleman-ministre
2008, l’OCP s’est transformé en société
anonyme, ce qui l’autorise à se financer
sur les marchés de capitaux.
Grâce à la hausse des cours, les ressources affluent. C’est le moment que
choisi Mostafa Terrab pour se fixer une
nouvelle ambition : lancer et accompagner la « révolution verte » en Afrique,
en se plaçant sur l’ensemble de la chaîne
de valeur, de l’extraction de matières
premières à la production et à la distribution d’engrais, jusqu’au consommateur
final. Ce projet se concrétise aujourd’hui
sous la forme d’un partenariat entre le
Maroc et le Gabon. Objectif : produire
2 millions de tonnes d’engrais à l’horizon
2018, l’équivalent de la consommation
actuelle en Afrique.
Avant sa nomination au gouvernement
en octobre 2013, Moulay Hafid Elalamy
était déjà l’une des figures montantes
du monde marocain des affaires.
Depuis deux ans, il cumule les portefeuilles de l’Industrie, du Commerce,
de l’Investissement et de l’Économie
numérique. Côté public, il a déjà
imprimé sa marque sur l’administration. Après quatre ans à la tête du
patronat marocain (2005-2009), il est
entré au gouvernement avec une nouvelle stratégie industrielle, des accords
avec des opérateurs mondiaux dans les
secteurs de l’automobile (PSA) et de
l’aéronautique (Bombardier, Alcoa).
Côté privé, le patron-ministre (55 ans)
a organisé l’intérim dans son holding
Said Ibrahimi
Le self-made man
Abdeslam Ahizoune
Monsieur télécoms
Diplômé de l’École centrale
(option économique, 1981), il
a effectué toute sa carrière
dans la banque et la haute
fonction publique. Cadre à la
BNP à Paris, puis à la filiale
marocaine BMCI, il a été
directeur général de la Banque
marocaine pour l’Afrique et
l’Orient (BMAO) puis de la
Caisse nationale de crédit
agricole (CNCA). En 2003, il
est nommé trésorier général
du royaume.
À la tête de CFC, ce fils de
fonctionnaire et deux fois président de l’association des
Anciens centraliens du Maroc,
entend capitaliser sur les
investissements réalisés par le
royaume ces deux dernières
décennies, tant dans le
domaine des infrastructures
que dans celui des réglementations.
© HASSAN OUAZZANI
À 59 ans, il est le directeur
général de Casablanca
Finance City Authority
(CFCA). Plus qu’une Bourse
des valeurs, CFCA est une
place financière à vocation
panafricaine qui vise à participer à la convergence financière de l’Afrique de l’Ouest.
Ce projet intégré de place
financière émergente a été
lançé par le roi Mohammed VI
en avril 2010. Une place financière qui accueille déjà près de
80 multinationales et dont la
composante immobilière
prendra forme sur les sites de
l’ancien aéroport d’Anfa. De
bon augure ? En tout cas, Said
Ibrahimi peut croire en sa
bonne étoile.
Les champions des partenariats
Ils tissent leur réseau pour trouver des alliés potentiels.
Badr Kanouni
Al Omrane s’ouvre vers l’Afrique
© TARIK FETTAH
Saham (« flèche » en
arabe), regroupant
ses activités dans les
secteurs des assurances, de l’offshoring,
de la santé et de l’immobilier. Il a ainsi
recruté Saâd Bendidi,
un ancien PDG de
l’ONA. Formé au
Canada (Sherbrooke, 1985), lui-même
ancien secrétaire général de l’ONA
sous Hassan II, Elalamy a pris son
envol sous le règne de Mohammed VI,
en devenant un chef de file dans l’offshoring et les assurances. Aujourd’hui,
la marque Saham est présente dans
15 pays d’Afrique.
Nommé en novembre 2010 président du groupe
Al Omrane, bras armé de l’État en matière d’habitat, Badr Kanouni s’inscrit dans la tradition marocaine des « technos »
placés à la tête de
grandes institutions
publiques marocaines
lorsqu’elles doivent
être restructurées.
S’appuyant sur son
expérience d’ancien
patron de la filiale
d’une multinationale,
Setavex, Badr Kanouni
va donc d’abord se
concentrer sur la transformation de l’entreprise,
et met en place rapidement une démarche de
modernisation et de consolidation du groupe.
Les yeux rivés sur les tableaux de bord financiers
– c’est un ancien DAF –, Kanouni va mener de
front trois combats : apurer le passif, réformer le
mode de management et tenir la barre au cordeau
malgré la crise immobilière. Sur le front africain,
depuis 2012, il instaure de nombreux partenariats
et tisse patiemment son réseau afin de se rapprocher de partenaires potentiels.
En ouvrant Al Omrane sur l’Afrique, Kanouni fait
d’une pierre deux coups : il participe à l’effort du
Maroc sur le continent et fait la pédagogie de son
action de transformation à la tête d’Al Omrane.
Constant depuis quarante ans, Abdeslam Ahizoune n’a jamais quitté son secteur.
Diplômé de Télécoms Paris (1977), il a effectué une première carrière dans le
secteur public, d’abord à l’Office national des postes et des télécommunications
(ONPT), dont il deviendra le directeur général, puis comme ministre des Postes
et des Télécommunications par deux fois, dans les années 1990. Il supervise la
libéralisation des télécoms avant de prendre les
rênes de Maroc Télécom, en 1999. Avec l’entrée au
capital de Vivendi, puis la cession à Etisalat, Abdeslam Ahizoune, 60 ans, reste aux commandes : il est
toujours président du directoire. Indéboulonnable,
il a même consolidé la vocation africaine de Maroc
Télécom, l’entité marocaine reprenant les participations d’Etisalat dans six pays d’Afrique francophone, dont cinq où Maroc Télécom n’était pas
présent (Bénin, Centrafrique, Côte d’Ivoire, Niger,
Togo). En plus de ses quatre filiales (Burkina,
Gabon, Mali, Mauritanie), et si l’on retranche le
Gabon où l’opération crée un doublon, cela fait neuf
pays pour un empire en cours de consolidation.
Reste à redresser ces sociétés qui sont presque
toutes en situation de challengers.
Younès El Mechrafi
Le pari réussi partenariats Sud-Sud
Cet informaticien de formation a été
nommé à la tête de la Marocaine des jeux et
des sports (MDJS) en novembre 2009 au
terme d’un parcours atypique alliant entreprenariat, service public et secteur privé.
Sous sa houlette, l’opérateur de paris sportifs marocain a connu une transformation
en profondeur et une forte croissance de
son activité. La MDJS s’est par ailleurs fortement investie à l’international, notamment dans les partenariats Sud-Sud.
Son terrain de jeu ? La bonne gouvernance
sectorielle en termes de « jeu responsable », et de lutte contre les
fraudes dans les paris sportifs.
Grâce à sa marque de fabrique,
un activisme institutionnel tous
azimuts, Younès El Mechrafi
occupe des positions stratégiques dans toutes les instances internationales de
la profession. En 2014, il
est élu secrétaire général de l’Association
des loteries d’Afrique (ALA), puis membre
des comités exécutifs de la World Lottery
Association (WLA) et de la Global Lottery
Monitoring System (GLMS), le nouvel
observatoire mondial des paris sportifs.
Parallèlement, Younès El
Mechrafi déploie des transferts de savoir-faire avec
les loteries nationales du
Sénégal, du Burkina Faso
et de Côte d’Ivoire. À travers ce maillage, la MDJS
accompagne les opérateurs du Sud dans
les démarches de
mise en place de jeu
responsable et les
assiste dans l’obtention des certifications internationales.
© HOC
© DR
© MARCO RICCI
À 60 ans, Mostafa Terrab a vu du pays.
Diplômé des Ponts et Chaussées (1979)
et du Massachussets Institute of Technology (MIT, 1990), il a été chargé de
mission au cabinet de Hassan II puis
directeur général de l’Agence nationale
de réglementation des télécommunications. Après un passage par la
Banque mondiale, il a été nommé,
en 2006, directeur général de
l’Office chérifien des phosphates
(OCP). L’OCP traverse alors
une crise de gouvernance. En
moins de deux ans, les directions sont remises à plat, la
caisse des retraites retrouve
l’équilibre, et la restructuration
financière est bien entamée. En
© THOMAS RAFFOUX
Au gouvernement, à la tête d’entreprises publiques ou semi-publiques,
ils s’investissent en Afrique pour porter le projet de Mohammed VI.
La Tribune Afrique I 9
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
la conquête de l’Afrique
Les « intercontinentaux »
Youssef Chraïbi
La relève
un quart en France. Chraïbi a démarré sa
carrière d’entrepreneur en France, à l’âge
de 24 ans. Il cède sa première startup,
Marketo.com, à Vivendi et retourne au
pays. C’est dans l’autre sens qu’il se
déploie depuis 2010. Outsourcia a reçu,
en 2012, le prix de la Marque marocaine
se développant à l’international, décerné
par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.
© MARCO RICCI
Patron fondateur d’Outsourcia, une grosse
PME consacrée à la relation client, Youssef
Chraïbi représente cette nouvelle génération d’hommes d’affaires marocains qui
n’ont pas froid aux yeux. À 39 ans, ce
diplômé d’HEC Paris renverse tous les
schémas sur les gagnants et les perdants
de la mondialisation. Au moment où l’exministre Arnaud Montebourg dénonçait la
délocalisation des centres d’appels de la
RATP au Maroc, Youssef Chraïbi préparait
sa deuxième implantation en France. Avec
trois sites au Maroc (Casablanca), deux en
France et une récente acquisition à Madagascar, son parcours est un démenti des
thèses protectionnistes.
Avec un chiffre d’affaires prévisionnel de
14 millions d’euros en 2015, Outsourcia
emploie près de 1 000 personnes, dont
Othman Benjelloun
Le « vieux lion »
À 84 ans, le PDG de Finance Com est le « vieux
lion » du monde des affaires marocain. Première
fortune privée du pays selon Forbes, il a été un
précurseur de la stratégie de développement sur
le continent africain, dès la fin des années 1990.
Associés à tous les grands contrats des vingt
dernières années, il a montré qu’il ne craignait
pas les « jeunes loups », comme lorsqu’il
annonce récemment un partenariat inédit dans
la bancassurance avec Moulay Hafid Elalamy.
Après avoir pris le contrôle de la Royale marocaine d’assurances (1988), Othman Benjelloun
rachète, au milieu des années 1990, la Banque
marocaine pour le commerce extérieur
(BMCE). Une date clé. Suivront le rachat d’une
deuxième compagnie d’assurances, Al Wataniya,
puis la diversification dans les télécoms au
moment de la libéralisation. Ce sera Meditel,
opérateur créé avec Telefonica et Portugal Telecom. Son appétit pour l’Afrique est précoce, à
travers l’acquisition de la Banque de développement du Mali (BDM), et surtout de Bank of
Africa, qui lui ouvre les portes de l’Afrique de
l’Ouest et donne aujourd’hui son nom à son
vaisseau amiral : BMCE Bank of Africa.
© DR
© DR
Ils déploient leurs entreprises dans le Sud, mais également en Europe.
Mohamed Benchaâboun
Il a transformé la Banque centrale populaire
Depuis 2008, Mohamed Benchaâboun préside
aux destinées du plus gros réseau national de
banque de détail. Un établissement public qu’il a
transformé en groupe moderne et « agressif ». À
53 ans, il a fait taire depuis des années les critiques sur son âge, car Benchaâboun (Télécoms
Paris, 1984) a déjà une carrière bien remplie derrière lui. À 41 ans, il était déjà à la tête de l’Agence
nationale de régulation des télécommunications
(ANRT), au moment où la guerre faisait rage
entre l’opérateur historique Maroc Telecom, le
challenger Méditel et le nouvel entrant Wana.
En 2008, Mohammed VI le nomme à la direction générale du groupe Banque centrale populaire. Pas réellement une surprise puisqu’il en
avait été le numéro deux. La marque au cheval
est alors en pleine mutation, capitalisant sur
ses clientèles locales et parmi les résidents
marocains à l’étranger. Arrivé plus tard que ses
concurrents AWB et BMCE sur le continent,
il y a frappé fort en se portant acquéreur de la
Banque atlantique en 2012, aujourd’hui filiale
à 75 % de BCP et active dans sept pays
d’Afrique de l’Ouest.
Des Africains qui ont choisi le Maroc
Abdou Diop
De l’allée des Princesses à la CGEM
Claude Wilfrid Etoka
Sur les traces de Dangote ?
Premier non-Marocain à devenir président
d’une commission – celle vouée à l’Afrique –
au sein de la puissante Confédération générale des entreprises marocaines (CGEM),
Abdou Diop est directeur associé au sein du
bureau de Casablanca du cabinet de conseil
Mazars. Cet énergique quadragénaire sénégalais était en quelque sorte prédestiné à
participer à l’aventure africaine du Maroc,
lorsque, fils d’ambassadeur, il posa ses
valises à 16 ans à Rabat.
C’est pourquoi une fois son bac en poche,
Diop intègre l’Iscae, école de commerce
publique considérée comme le fleuron des
écoles de commerce du royaume. Devenu
expert-comptable, Il rejoint ensuite Mazars,
au sein duquel il franchit tous les échelons
jusqu’à en devenir au milieu des années 2000
l’un des directeurs associés.
Il prend en parallèle la tête de la très influente
association des étudiants sénégalais au Maroc.
Mesurant peu à peu tout le potentiel d’affaires
que l’Afrique représente pour son activité, il
se spécialise dans l’accompagnement des
entreprises marocaines désireuses d’aller à la
conquête du continent.
Né au Congo, Claude Wilfried Etoka a
accompli l’essentiel de sa carrière d’entrepreneur à la fin des années 1980 en
France et en Suisse, en commençant par
le commerce des pneus usagés vers son
pays d’origine, puis en se concentrant sur
les activités pétrolières et les services
maritimes. En 2006, ce colosse à la voix
douce pose ses valises au Maroc et y installe le siège et le centre marketing de la
Société africaine de raffinage et de distribution (SARPD-OIL), devenue en moins
de dix ans la cinquième société de négoce
pétrolier d’Afrique.
Dans l’intervalle, Claude Wilfried Etoka
a également entamé une diversification
à marche forcée de ses activités, en
investissant notamment 350 millions de
dollars avec des partenaires malaisiens
dans une gigantesque filière d’huile de
palme, pour laquelle il a créé une filiale
de son groupe, Eco-Oil Energy.
Dans ce cadre, il a inauguré, en août
2015, la plus grande usine de margarine
du Congo-Brazzaville, qui tire ses
matières premières des exploitations
© HOC
Depuis, ce domaine est devenu son activité
principale au sein de Mazars, en synergie
avec les autres bureaux de ce réseau de
conseil mondial.
© HOC
Pour ces deux Subsahariens, le royaume est le lieu idéal pour mener leurs affaires.
gérées par Eco Oil Energy. Pour lui, le
Maroc est « devenu rapidement un choix
d’évidence ». Et de préciser : « J’y ai
trouvé un cadre incitatif à travers la
convention d’investissement, un système
financier en évolution rapide, des infrastructures robustes, et surtout, des compétences humaines en marketing à un prix
beaucoup plus compétitif qu’à Genève. »
10 I La Tribune Afrique
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
PROMOTION
Chargées de promouvoir le Maroc à l’étranger sur les plans des investissements, des exportations et
du tourisme, trois agences publiques, plutôt que de fusionner, ont décidé d’apprendre à travailler ensemble.
Comment le Maroc met ses agences
publiques en ordre de bataille
E
3I
LA SMIT,
LE TOURISME
AU SERVICE
DES TERRITOIRES
lles s’appellent AMDI
(Agence marocaine de
développement des
investissements), Maroc
Export (Centre marocain
de promotion des exportations), ou encore SMIT
(Société marocaine d’ingénierie touristique). Ces agences publiques aux prérogatives étendues sont chargées d’exécuter
la stratégie marocaine de promotion, qui
entre dans le cadre des plans sectoriels qui
se sont succédé au Maroc depuis 2006
– « Émergence », puis le « Plan d’accélération industriel » (PAI) de 2014. Ce dernier prévoit la mise en place d’une concertation plus fluide et permanente entre ces
instruments de l’État qui participent tous
à porter l’offre économique marocaine à
l’international. Alors que le bruit a un
temps couru qu’elles pourraient toutes
fusionner afin de créer une super-agence
de promotion, elles ont finalement gardé
leurs identités respectives, tout en apprenant à travailler ensemble.
1I
L’AMDI-INVEST
IN MOROCCO
ACCOMPLIT SA MUE
Créée en 2009 par le roi Mohammed VI pour
succéder à la direction des investissements,
l’Agence marocaine de développement des
investissements (AMDI-Invest In Morocco)
a d’abord été confiée à l’actuel secrétaire
général de L’Union pour la Méditerranée
(UpM), un diplomate chevronné, Fathallah
Sijilmassi. Sous sa houlette, l’AMDI s’est
forgé une identité et s’est positionnée
comme l’interlocuteur incontournable de
ceux qui veulent investir au Maroc. Depuis
2014, c’est un spécialiste de l’investissement,
Hamid Ben Elafdil, qui préside aux destinées
de cette agence placée sous l’autorité du
ministre de l’Industrie et du Commerce.
Avec Ben Elafdil, l’AMDI entame un processus de transformation afin de la rendre plus
orientée vers la conclusion de marchés, et
qui s’inscrit dans l’un des piliers du Plan
d’accélération industriel du ministre de
tutelle, Moulay Hafid Elalamy.
Autre obsession récurrente de Ben Elafdil :
mesurer les réalisations de son agence en
termes de création d’emplois et pas uniquement en volume d’investissements. Réorganisée comme une entreprise, avec des
domaines d’activité stratégique dont la productivité comme le taux de conclusion d’affaires sont désormais mesurés, Invest In
Morocco agit à la fois comme structure opérationnelle de prospection des investisseurs,
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La Tribune
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Téléphone : 01 76 21 73 00
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parenthèses.
Zahra Maafiri,
seule femme
dirigeant
une agence
nationale, Maroc
Export, se rêve
en super-VRP
du Maroc
en direction
de l’Afrique.
© DR
SOCIÉTÉ ÉDITRICE
LA TRIBUNE NOUVELLE. S.A.S.
au capital de 4 850 000 euros.
Établissement principal :
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Siège social : 10, rue des Arts,
31000 Toulouse. SIREN  : 749 814 1304
Président, directeur de la publication
Jean-Christophe Tortora.
Vice-président métropoles et régions
Jean-Claude Gallo.
mais est également chargée de les accompagner une fois leur décision d’investir au
Maroc prise. Cette dimension d’accompagnement occupe une place centrale dans
l’activité de l’agence, l’administration marocaine connaissant parfois des lenteurs qui
sanctionnent le pays dans les classements
internationaux de la gestion des affaires.
Outre cette fonction d’« accélérateur » et de
« guichet unique », le volet africain est de
plus en plus présent dans l’orientation stratégique de l’agence. Cette dernière cherche
en effet à valoriser la position de plaque
tournante du Maroc et pousse les investisseurs étrangers à ne plus penser « pays »,
mais « région ». Invest In Morocco se focalise ainsi sur les Métiers mondiaux du Maroc
(MMM), tels l’aéronautique, l’automobile,
l’électronique ou l’offshoring, avec quelques
belles implantations récentes à son actif en
2015, tels le japonais Furukawa, le français
Saint-Gobain ou l’allemand Continental.
L’objectif : positionner le royaume comme
un jalon incontournable dans la chaîne de
production mondiale de ces métiers, et offrir
aux investisseurs internationaux une porte
d’entrée vers les marchés africains.
2I
MAROC EXPORT,
FER DE LANCE DE
L’OFFRE EXPORTATRICE
Seule agence nationale dirigée par une
femme, la spécialiste du commerce et exdiplomate Zahra Maafiri, l’ancien Centre
marocain de promotion des exportations
RÉDACTION
Directeur de la rédaction
Philippe Mabille.
Directeur adjoint de la rédaction
Robert Jules
( La Tribune Hebdo Rédacteur en chef Alfred Mignot.
Chef de studio : Mathieu Momiron.
Secrétaire de rédaction et révision :
Éric Bruckner, Maya Roux.
(CMPE), devenu Maroc Export, se rêve
désormais en super-VRP du Maroc en
direction de l’Afrique. Régulièrement,
Maroc Export organise des caravanes africaines en faveur des industriels marocains
exportateurs, et sillonne le continent au
rythme de quatre à cinq déplacements par
an, qui rassemblent plusieurs centaines
de grosses PME. Maroc Export est également le fer de lance de la stratégie de présence du Maroc dans les salons internationaux, afin de participer à la
construction d’une « marque Maroc » plus
efficace et rénovée.
Comme ses consœurs l’AMDI et la SMIT,
Maroc Export a connu un lifting managérial sous la houlette de Zahra Maafiri, afin
de recentrer l’agence sur ses missions
essentielles : promouvoir l’offre exportable, diversifier les marchés du Maroc et
favoriser l’internationalisation de ses
entreprises. Pour cela, Maroc Export veut
également devenir un producteur de
connaissances, afin d’aider les entreprises
marocaines à mieux cerner le potentiel
des marchés qu’elles visent. À travers
notamment l’organisation et le déploiement d’une vaste base de données commerciale et un système d’information « B
to B », Maroc Export veut ainsi donner
aux entreprises marocaines l’accès à l’information stratégique qui peut nourrir
leur prise de décision. Depuis 2014, Maroc
Export coorganise avec Attijariwafabank,
à Casablanca, le forum International
Afrique développement, qui a vu en début
d’année la participation de près de 1 700
opérateurs économiques et institutionnels du continent.
COMITÉ DE DIRECTION
Max Armanet, directeur éditorial Live Media.
Cécile Chambaudrie, directrice Hub Media.
Robert Jules, directeur adjoint de la rédaction
Thomas Loignon, directeur des projets
numériques et du marketing marque.
Philippe Mabille, directeur
de la rédaction.
Aziliz de Veyrinas, directrice stratégie et
Développement Live Media.
C’est en 2007 que l’État marocain fonde la
Société marocaine d’ingénierie touristique
(SMIT), société anonyme à capitaux publics,
afin de dynamiser l’investissement dans le
tourisme et offrir une instance de suivi et
d’opérationnalisation des projets sur le territoire. Jusque-là, c’est le ministère du Tourisme qui était chargé de remplir ces missions,
mais les spécificités de l’investissement touristique et sa forte porosité aux mouvements
conjoncturels nécessitaient la création d’une
agence ad hoc, plus agile, qui pourrait à la fois
définir les projets, aller chercher les détenteurs du capital, puis les aider à matérialiser
leurs investissements sur le terrain. Au même
titre que l’AMDI, la SMIT joue donc un rôle
de concepteur, de facilitateur et de coordinateur pour les investisseurs étrangers voulant
investir dans ce secteur en forte croissance.
Depuis janvier 2011, la SMIT est dirigée par
Imad Barrakad, un spécialiste de l’énergie, qui
a passé une bonne partie de sa carrière entre
le ministère de l’Intérieur et l’Office national
de l’eau et de l’électricité (ONEE), où il était
notamment chargé des projets d’électrification rurale, puis de la coopération avec les
régies locales, avant de se consacrer à la direction commerciale. Or, c’est précisément pour
sa connaissance des acteurs locaux et des
subtilités régionales que Imad Barrakad a été
choisi pour diriger la SMIT, laquelle doit faire
le lien entre les territoires et les grands investisseurs mondiaux dans le tourisme, afin de
s’assurer de la fluidité de leurs opérations.
L’objectif affiché de la SMIT : diversifier les
investisseurs dans le tourisme en allant à la
conquête du grand capital américain et
moyen-oriental, qui connaît mal le Maroc, et
permettre au royaume d’intégrer le top 20 des
destinations touristiques mondiales d’ici à
2020. En parallèle, l’institution a la lourde
tâche d’intervenir auprès des différents
acteurs de l’État pour « déminer » les sujets
sensibles pour les investisseurs tels que l’accompagnement administratif ou la mise à
disposition du foncier, deux sujets particulièrement stratégiques pour l’attractivité de
l’offre Maroc. Sur le front africain, la SMIT est
également à la manœuvre avec la montée en
puissance rapide du tourisme intercontinental, considéré comme un réservoir de croissance important. C’est particulièrement vrai
pour le grand Casablanca, où le tourisme
d’affaires africain devrait occuper une place
prépondérante dans les années à venir, nécessitant des investissements massifs en matière
de parc hôtelier et de loisirs. ■
CONTACTS
Directeur commercial Hub Média :
Luc Lapeyre (73 28)
Responsable Abonnements :
Martin Rivière (73 13)
Abonnements et ventes au numéro :
Aurélie Cresson (73 17).
Imprimerie Riccobono
79, route de Roissy
93290 Tremblay-en-France
ACTIONNAIRES
No de commission paritaire :
Groupe Hima, Laurent Alexandre,
JCG Medias, SARL Communication Alain Ribet, 0519 C 851307.
SARL RH Éditions/Denis Lafay.
ISSN : 1277-2380.
La Tribune Afrique I 11
LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR
LE « COUPLE » FRANCE-MAROC
Ambitions convergentes
et partenariat stratégique
Tandis que la France veut se relancer en Afrique, où ses
parts de marché s’érodent depuis quinze ans, le Maroc
y déploie une diplomatie économique volontariste. D’où
l’idée d’un « partenariat stratégique » entre les deux pays.
PAR
ALFRED
MIGNOT
E
@AlfredMignot
RETROUVEZ
SON BLOG
EUROMED-AFRIQUE
SUR
LATRIBUNE.FR
n 2012, la part de l’Afrique
dans les exportations françaises s’élevait à 6,5 % et celle
des importations à 5,6 %. Le
solde positif, 1,5 milliard
d’euros, n’avait pourtant rien
de superlatif, comparé aux
2,9 milliards d’euros de 2010 et aux 3,2 Mds €
de 2009. En fait, la part de marché de la France
en Afrique s’est effondrée quasiment de moitié en douze ans, passant de 10,1 % en 2000 à
5,8 % en 2012. Pendant ce temps, la part de la
Chine passait de 10,5 milliards de dollars en
2000 à plus de 200 milliards en 2013, ce qui
fait de l’empire du Milieu le premier partenaire
commercial du continent noir, avec 13,5 % des
échanges commerciaux africains.
Ainsi, malgré les critiques anciennes et récurrentes de la classe politique de gauche à l’encontre de la « Françafrique », l’année 2013 aura
été marquée par la prise de conscience au plus
haut niveau de l’importance de relancer les
relations économiques avec l’Afrique. C’est
l’objet même de la Fondation AfricaFrance (cf.
La Tribune n° 129 du 24 avril 2015), voulue par
François Hollande, créée en 2014 et présidée
par Lionel Zinsou, ancien président de PAI
Partners, devenu en juin dernier Premier
ministre du Bénin.
Dans ce contexte, en quoi le Maroc fait-il
figure de partenaire potentiel privilégié pour
la relance économique de la France en
Afrique ? La réponse est dans la réalité des
chiffres, mais pas seulement… En effet, sur les
71,4 milliards de dollars d’échanges commerciaux réalisés par la France avec l’Afrique en
2014, près de la moitié l’a été avec le Maghreb
central : 14 milliards de dollars avec l’Algérie,
9,8 Mds $ avec la Tunisie, 9,8 Mds $ avec le
Maroc. Au-delà des simples chiffres, c’est
pourtant bien le Maroc qui apparaît comme le
partenaire idéal : son économie est incomparablement plus diversifiée que celle de l’Algérie, dont 98 % des recettes d’exportation sont
issues des seuls hydrocarbures ; la capacité de
FRANCE-MAROC-AFRIQUE
21,4 %
la part de la France dans les les exportations
marocaines en 2014, ce qui en fait le 1er client,
devant l’Espagne (18,9 %).
13,3 %
les parts de marché de la France au Maroc en
2014, de peu au 2e rang derrière l’Espagne
(13,4 %).
8,67
milliards d’euros, les échanges commerciaux
franco-marocains en 2014. Excédent français
de 159 M€.
71,4
milliards d’euros, les échanges commerciaux
franco-africains en 2014. Excédent français
de 1,2 milliard d’euros. ■
projection internationale de ses entreprises
de premier plan (lire page 6) dépasse largement celle de l’Algérie comme de la Tunisie ;
le pays est celui des trois qui inspire le plus
confiance, notamment aux institutions et
investisseurs internationaux (lire pages 4 et 5)
Les relations entre la France et le Maroc se
sont d’ailleurs établies depuis une vingtaine
d’années à un niveau que l’on peut estimer
irréversible. Ainsi la France est demeurée en
2014 le deuxième partenaire commercial du
Maroc, juste derrière l’Espagne, et la relation
entre les deux pays tend à s’équilibrer, le solde
commercial en faveur de la France ne s’établissant plus qu’à 159 millions d’euros, en 2014.
Cependant, la présence des grandes entreprises françaises au Maroc est inégalée :
presque tout le CAC 40 est sur place ; la France
y est, de loin, le premier investisseur avec 37 %
du stock d’IDE ; quelque 750 filiales d’entreprises françaises y emploient 80 000 personnes et la Chambre française de commerce
et d’industrie du Maroc, à Casablanca, est de
très loin la première chambre étrangère du
royaume, avec plus de 3 000 entreprises adhérentes. D’autre part, certaines implantations
françaises, c’est un fait reconnu, ont contribué
d’une manière décisive à la double révolution
industrielle à l’œuvre dans le royaume : Safran
en l’an 2000 pour l’industrie aéronautique, et
Renault pour l’industrie automobile, depuis
2012 (lire pages 3 et 4). Au reste, il ne se passe
guère de temps sans que des implantations
nouvelles ou des renforcements de présence
françaises ne soient déployées au Maroc.
LES ENTREPRISES FRANÇAISES
AFFLUENT AU MAROC…
Exemple récent, celui d’Orange. Fin juillet,
le groupe a acquis 9 % supplémentaires du
capital de Médi Télécoms (31 % du marché
marocain), détenant désormais 49 % du capital et le contrôle du conseil d’administration.
Une opération dans la droite ligne du plan
stratégique Essentiels2020, annoncé an mars
dernier par le président du groupe, Stéphane
Richard, qui a pour ambition de faire
d’Orange un opérateur téléphonique
« paneuropéen et panafricain ».
Au-delà de ces quelques exemples, en quoi le
Maroc, qui affiche une grande volonté d’ouverture internationale et un fort tropisme
stratégique africain (lire page 5), est-il intéressé par un « partenariat stratégique » avec
la France ? C’est que, si l’on regarde la réalité
des chiffres, le commerce marocain est,
aujourd’hui encore, surtout tourné vers l’Europe. Celle-ci est toujours le premier client du
royaume chérifien, et son poids semble même
repartir à la hausse, avec des exportations
marocaines passant de 61,7 % en 2012, à 67,6 %
en 2014. L’Europe est aussi le premier fournisseur du Maroc, avec 61,3 % des importations
marocaines en 2014, 57,0 % en 2010.
Or la France n’est pas seulement le premier
(ou le second, au coude-à-coude avec l’Espagne) partenaire commercial européen du
Maroc : nombre de ses entreprises sont
(encore) des poids lourds à l’œuvre sur le
Manuel Valls et Abdelilah Benkirane, Premiers ministres français et marocain, à l'Hôtel Matignon lors
de la rencontre de haut niveau du 28 mai dernier, qui a scellé la volonté partagée d'un partenariat
entrepreneurial stratégique entre les deux pays, particulièrement à destination de l'Afrique.
© AFP PHOTO/CHARLY TRIBALLEAU
continent africain. Cette double qualité
épouse donc idéalement la stratégie économique du Maroc sur le continent, avec l’idée
que le royaume peut s’affirmer comme la plateforme africaine idéale pour les multinationales, à commencer par les Européennes.
Cette convergence d’intérêts paraît d’autant
plus prometteuse que la France ne manque
pas d’atouts pour se relancer sur le continent.
… ET CERTAINES SONT ENCORE
TRÈS PUISSANTES EN AFRIQUE
D’une part, son stock d’IDE en Afrique subsaharienne a été multiplié par quatre, passant
de 6,4 milliards d’euros en 2005 à 23,4 Mds €
en 2011 ; d’autre part, elle demeure un acteur
économique majeur en Afrique de l’Ouest : au
sein des 14 pays utilisant le franc CFA, les
entreprises françaises résistent plutôt bien à
l’avancée chinoise, avec une part de marché
encore à 17,2 % en 2014, contre 17,7 % en 2011 ;
enfin, les entreprises françaises implantées sur
le continent y restent chefs de file dans plusieurs domaines : Total est l’une des plus
grandes compagnies d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures du continent ; Alstom
a installé 80 % du parc des turbines des centrales de l’électricien national sud-africain
Eskom ; Schneider Electric compte 2 500 collaborateurs répartis dans une quinzaine de
pays ; Sanofi y réalise 1 milliard d’euros de
chiffre d’affaires ; le groupe Bolloré a lancé, le
9 septembre, les travaux de réhabilitation de
la voie ferrée de 1 260 km reliant la capitale
ivoirienne Abidjan à Ouagadougou (Burkina
Faso), avec un investissement de 400 millions
d'euros sur cinq ans ; avec Nareva Holding,
Engie (ex-Gdf Suez) a développé en 2014 dans
le sud du Maroc le parc éolien de Tarfaya
(301 MW, le plus grand d’Afrique, 450 m €
d’investissement) et les deux entreprises
seront aussi partenaires, toujours à 50-50, sur
un projet électrique majeur, la future centrale
à charbon de Safi au sud de Casablanca – un
projet à 2,3 milliards de dollars pour 1 386 MW
de capacité… Et sans prétendre à l’exhaustivité, tant s’en faut, citons enfin le cas de la
Société générale : présente sur le continent
depuis plus de cent ans, cette banque française
qui compte déjà plus de 1 000 agences dans
18 pays, a annoncé au printemps un plan pour
accélérer son développement en Afrique, tant
par la création d’agences (50 à 70 par an) et
l’ouverture de nouvelles filiales, que par des
acquisitions ciblées – un plan auquel la banque
va allouer près de 4 milliards d’euros de ressources supplémentaires (RWA). Tel est le
contexte – le terreau, pourrait-on dire – dans
lequel se développe depuis au moins dix ans
l’idée d’un « partenariat d’exception » francomarocain – une vision promue dès 2005 par
le Groupement d’impulsion économique
franco-marocain (GIEFM) coprésidé à
l’époque par Jean-René Fourtou et Mustapha
Bakkoury. Aujourd’hui, dépassant la relation
bilatérale, ce partenariat devient « stratégique »
et se fixe un nouvel horizon, l’Afrique. Un
point de vue largement partagé lors de la rencontre de haut niveau du 28 mai dernier à
Paris, à laquelle ont participé des ministres –
dont les deux Premiers – mais aussi quelque
300 « grands » entrepreneurs rassemblés par
le Medef et la CGEM, son alter ego marocain.
LE CHEMINEMENT VERS UN
PARTENARIAT STRATÉGIQUE
Côté français, c’est le groupe AccorHotels,
présent avec toutes ses marques et 37 hôtels
au Maroc, qui témoigne avoir « naturellement »
choisi Casablanca pour y établir son siège
Afrique en 2014, déclare Jean-Jacques Dessors,
le DG Afrique ; c’est aussi le cas du groupe
Nexans, leader mondial du câblage, présent
au Maroc depuis cinquante ans, qui entend
s’appuyer sur les compétences développées
au Maroc – « c’est en Afrique le pays le plus compétent dans le développement des réseaux »,
affirme Frédéric Vincent, le PDG – pour
rayonner sur le reste de ce continent où
600 millions d’habitants n’ont pas encore
accès à l’électricité ; c’est encore le cas de
Thierry de Margerie, vice-président Afrique
d’Alstom – l’entreprise a remporté en 2014 le
plus gros contrat de son histoire, soit 600
trains de banlieue à fournir en dix ans à
l’Afrique du Sud – qui propose aux Marocains
de « construire ensemble une industrie que nous
exporterons ensuite vers l’Afrique »…
Autant de messages reçus positivement par
les Marocains, et que Mohamed El Kettani,
PDG de Attijariwafa Bank (1e banque du
Maghreb) et coprésident du Club des chefs
d’entreprise France-Maroc (successeur du
GIEFM) a résumé en relevant « l’opportunité historique de projection du couple francomarocain en Afrique (…) Un partenariat
stratégique d’exception qui s’inscrit dans la
durée et qu’il faut élargir aux PME et TPE,
tout en consolidant la coopération entre les
grands groupes », a-t-il conclu. ■
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