Le complot dans l`imaginaire Arabo-Musulman

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UNIVERSITÉ DU QUÉBEC
A MONTREAL
LE COMPLOT DANS L'IMAGINAIRE ARABO-MUSULMAN
MÉMOIRE
PRÉSENTÉ
COMME EXIGENCE PARTIELLE
DE LA MAÎTRISE EN SCIENCE POLITIQUE
PAR
MOHAMEDOURYA
FÉVRIER 2008
UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
Service des bibliothèques
Avertissement
La diffusion de ce mémoire se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé
le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles
supérieurs (SDU-522 - Rév.01-2006). Cette autorisation stipule que «conformément à
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intellectuelle. Sauf entente contraire, [l'auteur] conserve la liberté de diffuser et de
commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire.»
REMERCIEMENTS
Je tiens à exprimer généreusement toute ma reconnaissance à messieurs les
professeurs Lawrence Olivier et Sarni Aoun. La réalisation de ce mémoire n'aurait pu
être possible sans leur soutien intellectuel et moral. Je tiens formellement à les
remercier et leur témoigner le gré que je leur sais de leurs conseils et de leur appui:
Le professeur Sami Aoun, qui a suivi le cheminement de ce travail avec intérêt et
passion, qu'il sache que ma gratitude n'en est pas moins sincère.
Le professeur Lawrence Olivier, envers qui j'aimerais témoigner ma gratitude d'avoir
dirigé ce mémoire avec patience et minutie.
Je ne peux omettre de citer aussi messieurs les professeurs Haykal Rahi et Samir
Moukal. Je les remercie infiniment d'avoir accepté de lire ce mémoire et je les
remercie aussi de leurs précieux conseils.
TABLE DES MATIÈRES
RÉSUMÉ
v
1) INTRODUCTION
1
1.1)
Champ sémantique de la notion du complot en arabe
(Mouamara, Makida, Dassissa Makr
1.2)
etc.)
Problématique, hypothèse de recherche et cadre théorique
1.3) Énoncé du plan et des éléments de la recherche
2
3
9
2) THÉORIE (NADHARIAT) DU COMPLOT:
ANTÉCÉDENTS HISTORICO-RELIGIEUX
2.1) Analyse du corpus religieux islamique
12
12
2.1.1) récits coraniques sur le peuple juif et l'interprétation
exégétique classique ou traditionnelle
12
2.1.2) Les Juifs dans la Sîra (Biographie)
du Prophète de l'Islam
21
2.2) La FUna (Grande Discorde) : crise interprétée à travers
le prisme du complot juif
2.2.1) Contexte historique de la Fitna en Arabie musulmane
30
30
2.2.2) Abdallah Ibn Sabaâ entre mythe et réalité:
Le bricolage narcissique
39
lV
3) LA PERSISTANCE DE LA RHETORIQUE DU COMPLOT DANS
LE DISCOURS ARABO-MUSULMAN CONTEMPORAIN
ET ACTUEL
48
3.1) Critique du discours arabo-musulman contemporain
concernant la théorie du complot..
.48
3.1.1) La Naksa (1967) dans le discours panarabe nationaliste
nassérien: L'explication par le complot..
50
3.1.2) La théorie du complot dans le discours islamiste
(Les cas d'AI Qaïda, et du Hamas)
57
3.2) Au delà de la théorie du complot, la restructuration de la mémoire
collective arabo-musulmane autour de l'inimitié et de l'amitié
68
3.2.1) la théorie du complot comme révélateur
du déficit du sens critique et autocritique
70
3.2.2) la théorie du complot: le raccourci mental vers le bouc
émissaire et le machiavélisme de la classe dirigeante
79
4) CONCLUSION
88
5) GLOSSAIRE
91
6) BIBLIOGRAPHIE
100
RÉSUMÉ
La notion du complot dans l'imaginaire arabo-musulman trouve son origine dans la
FUna (la Grande Discorde) vers 656. Les guerres entre les compagnons du prophète
ont été imputées par plusieurs érudits musulmans à un seul homme: Abdallah Ibn
Sabaâ (un Juif converti à l'Islam). C'est lui qui, d'après plusieurs théologiens et
même des intellectuels musulmans actuels, a monté le complot contre le troisième
calife Othman en 656 et du coup il était responsable des divergences des musulmans
pendant cette période.
Cette mentalité d'imputer ses erreurs historiques à l'Autre trouve son expression dans
la culture arabo-musulmane. Cela est fomenté le plus souvent par un refus
catégorique d'expliquer rationnellement les bouleversements historiques. En effet
l'histoire politique musulmane retient que le concept de l'Umma repose sur le rêve
d'une société homogène, où toute contestation, politique ou religieuse, est rejetée car
suspecte. Ce qui explique le développement de la rhétorique du complot dans la
culture arabo-musulmane, depuis la FUna, en passant par les croisades, les invasions
mongoles... etc. Plusieurs événements, tragiques certes, sont expliqués par "un
complot contre la nation musulmane". Cette idéologie fut acceptée par la population
musulmane comme idéologie de ressentiment et d'amertume, car elle se dégage de
toute responsabilité. Par ailleurs, elle était machiavéliquement cultivée par la classe
dirigeante musulmane, à des fins politiques. L'idée de la conspiration va atteindre son
point culminant dans les guerres israélo-arabes à partir de 1949 et même avant. Le
discours nassérien et nationaliste arabe, après la guerre de 1967, pour expliquer la
défaite, avance qu'Israël et les Etats-Unis ont comploté contre la nation arabe pour
entraver sa renaissance et son développement.
D'autre part, les facteurs les plus importants de la crise culturelle contemporaine du
discours culturel arabo-musulman se situe dans la tentative d'identifier les
composantes de la culture occidentale mondialisée, avec la peur ou la hantise pour sa
culture nationale, son identité culturelle, et sa spécificité nationaliste héritière d'un
legs historique important. D'où une culture arabo-musulmane contemporaine perçue
comme un rapport déséquilibré entre la perception et l'action, entre le "penser"
brouillé et l'agir vague. En outre, on peut ajouter que derruis la marginalisation de la
réflexion philosophique et du rationalisme, vers le 111 me siècle, la culture arabo­
musulmane a été paralysée par la persistance des superstitions. Ajoutons à cela
l'analphabétisme et la primauté du fatalisme, sans oublier le manque d'esprit critique,
la propagation de la mentalité du déni, où les erreurs ne sont pas avouées, et le
verrouillage du système politique. C'est ainsi que la mentalité du complot s'érige
comme un raccourci mental et un détour de la critique interdite et une liberté limitée,
absente ou étouffée. Elle est même devenue un paravent pour celer toutes les
difficultés, dont souffre la société arabo-musulmane.
Mots clés: Arabe - Complot - Imaginaire - Islam - Juif - Musulman - Théorie
1) INTRODUCTION
On entend par mentalité du complot (en arabe: 'aqliat al mouâmara),
l'approche d'imputer ses revers et ses défaites politiques et culturels à "l'Autre".
L' "Autre" étranger et extérieur ici, est identifié par rapport au 'Nous", groupe
prétendument
compact,
dans
l'imaginaire
arabo-musulman.
L'expression
de
"l'imaginaire arabo-musulman" qui figure d'ailleurs dans le titre de ce travail est
empruntée de l'ouvrage qui porte le même titre de Malek Chebel!. On signale la
difficulté de définir clairement cette notion de l'imaginaire arabo-musulman. Malek
Chebel, lui-même n'en donne pas une définition claire. Il parle plutôt du concept de
l'imaginaire comme une vision globale que peut acquérir un peuple pendant son
interaction avec son entourage proche et lointain, d'une part, et l'interaction entre les
composantes de cet entourage d'autre part. Mais après avoir mis en exergue la
difficulté d'établir une définition claire, Chebel stipule que:
"Si les premiers balbutiements de cet imaginaire remontent à la nuit des temps {.. .} il
faut attendre le VIIe siècle après Je pour que celui-ci - fécondé donc par la vertu
inséminatrice du monothéisme musulman - puisse trouver ses repères spatio­
temporels définitifs... {.. .}... cet imaginaire arabe ancien, devenu depuis arabo­
musulman, a mis plusieurs siècles pour constituer [. ..} un socle de valeurs communes
indispensables à toute formes d'évolution ultérieure. ,,2.
La rhétorique du complot a surgi très tôt dans la culture arabo-musulmane 3,
mais elle a pris de l'ampleur dans les temps modernes vu que la personnalité arabe
1 _
Chebel, Malek. L'imaginaire arabo-musulman. Paris. P.U.F. 1993
2 _ Ibid. pp 21-22. La vertu inséminatrice du monothéisme musulman, dont parle ici Chebel est
Jargement ancrée dans le Coran et la Sunna du prophète (voir ces termes), qui constituent en grande
partie notre corpus pour ce travail sur la notion du complot dans cet imaginaire arabo-musulman.
3 _ on signifie par culture arabo-musulmane, la culture propagée sous la civilisation musulmane,
dont la langue arabe est le principal vecteur linguistique et même identitaire. Cette langue arabe est le
vecteur qui ''fonde l'imaginaire de la nation dite arabe précisément en raison de ce choi.x", selon les
termes de Malek ChebeJ. ibid, p.14
2
actuelle porte une profonde blessure narcissique 4 . Ce qui est traduit le plus souvent
par un
manque
dans
l'appareil
interprétatif d'expliquer rationnellement et
objectivement, les bouleversements historiques. Ainsi que par une faiblesse dans, ou
par un rare usage de, l'approche autocritique.
Il
faut
remarquer
que
la
littérature
arabe
contemporaine
a retenu
principalement les deux termes: Nadhariyat al mouâmara (Théorie du complot),
pour souligner l'effort se voulant rationnel et objectif, et 'aqliat al mouâmara
(mentalité du complot), pour souligner l'enracinement de l'explication par le complot
dans le comportement et la mentalité. Cela étant, un détour par le champ sémantique
de la notion du complot en arabe, paraît essentiel.
1.1)
Champ sémantique de la notion du complot en arabe (Mouamara,
Makida, Dassissa ... etc.)
Plusieurs termes arabes peuvent signifier ou se rapporter au terme complot ou
conspiration: HUa [ruse], l'timâr, Mouâmara,
Taâmour [complot], Tawatou'
[complicté], Makida [stratagème], Dassissa, khadi'a [intrigue]. Si ces termes font
partie de l'arabe classique et figure dans les grands dictionnaires de la langue arabe 5 .
Les termes comme Nadhariyat al mouâmara (Théorie du complot), 'aqliat al
mouâmara (mentalité du complot), Fikrat al mouâmara (l'idée du complot), et Fikr
al mouâmara (la pensée du complot 6) sont généralement traduits à partir de la langue
française ou anglaise.
4 _ Le rêve du passé prestigieux est ressenti partout, des discussions les plus intimes jusqu'aux
débats les plus intellectuels.
5 _ Mandhour Ibn. Lissan A1 Arabe, Beyrouth. Edition Youssef Al-Khayat, 1988. Entre autres,
mais généralement Lissan al arabe reste le plus consulté par les chercheurs arabes, car il est le plus
exhaustif dans l'explication des racines du mot.
6 _ utilisé entre autres par Pierre-André Taguieff dans "l'imaginaire du complot mondial". Paris.
Mille et une nuits. 2006, p. 7
3
On signale l'absence de l'utilisation du tenue "l'imaginaire du complot", utilisé en
premier lieu par Marcel Gauchet?, et dont on propose ici une traduction "al mikhial al
mouâmaratî". Le terme arabe Al mikhialest emprunté du penseur Mohamed Arkoun,
qui a proposé ce mot pour traduire le mot français "imaginaire". Dans la pensée
arkounienne, comme l'atteste Hachem Saleh, l'imaginaire (al mikhial) est constitué
historiquement dans la mémoire collective ou dans l'inconscient, et peut être exploité
politiquement
L'imaginaire
et
idéologiquement
intègre
profondément
dans
les
moments
l'inconscient
historiques
à travers
difficiles.
plusieurs
étapes
historiques. Ainsi, par exemple, on parle de l'inconscient musulman contre celui
occidental, ou vice versa 8.
1.2)
Problématique, hypothèse de recherche et cadre théorique
Cela étant, certaines nuances concernant le cadre d'analyse doivent être
précisées. Pour ce travail, il est pris en compte l'analyse du discours (religieux et
politique 9 ) et aussi des événements historiques qui se sont produits. La meilleure
manière de procéder (il existe assurément d'autres) consiste d'intégrer dans le
cheminement de l'analyse, le travail méthodologique, en prenant en considération
certaines données, historiques, psychologiques et sociologiques ... etc. Il arrive que,
traitant un sujet mettant en cause les valeurs même des connaissances, les sensibilités
et les passions, l'analyse se trouve au centre du champ idéologique. L'analyse du
système religieux musulman en termes de la "théorie du complot" est elle-même un
parti pris. Comment être tout à fait objectif dans ce cas?
7 _
Voir Vigne, Eric. "Le démon du soupçon", L'Histoire, n' 84, pp. 49-56
8 _ Arkoun, Mohamed. Ayna hou al-flkr al-islami al-mouassir? [Où se situe la pensée
musulmane aujourd'hui ?]. Traduit par Hachem Saleh. Beyrouth. Dar as-Saqi. 1993, p 12.
9 _ pour ce, le corpus à étudier sera le Coran, les Hadith et les ouvrages célèbres de l'histoire
musulmane (Ibn Hicham, Tabari, Ibn Athir ... etc), ainsi que certains discours politiques
contemporains.
4
Un autre problème se pose; en effet l'Islam est un ensemble de tendances,
d'écoles, de doctrines, et de rites schismatiques. Est-il approprié (ou même possible)
d'analyser toute la production idéologique islamique pour être crédible dans l'analyse
de la notion de la conspiration dans l'imaginaire arabo-musulman ?Les choses étant
ainsi, l'option de la synthèse reste la plus appropriée, tout en essayant de mettre en
œuvre une démarche qui mettra en exergue une logique qui sous-tend la mentalité du
complot, susceptible de donner des éclaircissements sur l'ensemble. Mais toujours
est-il que plusieurs remarques s'imposent:
Dans le domaine de la théorie du complot, il est facile de faire des hypothèses
malS il est plus difficile de rassembler des preuves scientifiques d'un éventuel
complot. Cette difficulté est notamment rencontrée par le chercheur dans l'histoire
musulmane, quand il étudie la crise de la Fitna/ o (Grande Discorde) comme un fait
social qui s'est produit naturellement dans l' histoire. Or, les preuves de la véracité (ou
de la fausseté) d'un éventuel complot sont toujoms difficiles à mettre en évidence et
toujours susceptibles d'interprétation. Cela ne signifie nullement que les complots
n'existent pas ou n'ont jamais existé, mais la pierre d'achoppement des théoriciens du
complot est la certitude de l'existence d'une conspiration. Ce qui implique, suivant
cette logique, que l'analyse de tous les faits Il est abordée à travers le prisme de cette
théorie du complot. Ce qui les pousse à chercher d'autres faits en relation avec le
complot. Ainsi assiste-t-on à l'appauvrissement de l'analyse voire sa sortie du champ
de la logique scientifique, pour des explications métascientifiques.
Dans le domaine de la science, il est souvent fait référence aux concepts du
philosophe Karl Popper. A ce sujet Popper dit: « Une théorie qui n'est réfutable par
10 _ Fitna ou discorde: Crise politique violente aux implications religieuses sous le califat d'Ali
(656- 661), et qui a brisé définitivement l'unité des premiers Musulmans. Elle est plus connue sous le
nom de la Grande Discorde.
Il _ Dans notre cas de la Fi/na, toutes les crises et les guerres qui ont eu lieu entre les
compagnons du Prophète Mahomet.
5
aucun événement qui se puisse concevoir est dépourvue de caractère scientifique.
»,2.
Ainsi selon les critères de scientificité de Popper, une th~orie est scientifique, si elle
est réputée falsifiable, c'est-à-dire si on peut en démontrer l'éventuelle fausseté. Pour
la théorie du complot, on ne peut pas imaginer de méthode expérimentale pour en
démontrer la fausseté, voire même la vérification. Ainsi on ne peut savoir si elle est
démontrée, et prouver ainsi que sa construction a obéi à une méthode scientifique.
Par ailleurs, Daniel Pipes reproche aux théoriciens du complot de renverser le
raisonnement qu'il appelle conventionnel 13 , basé sur l'induction, pour suivre celui de
la déduction (la vérité est déjà présente il suffit de collecter les faits pour la
confirmer). Toutefois, il ne faut pas oublier que ce processus de raisonnement est
aussi scientifique. D'autre part, le fait que depuis le début du 20
ième
siècle les
politiques dans l'espace arabo-musulman ont été formulées dans les capitales
européennes 14, a contribué à l'enracinement de la rhétorique du complot dans
l'imaginaire arabo-musulman.
Cela en fait ouvre sur un autre point crucial. C'est le terme même de théorie
(nadhariâ). Il faut signaler que le terme "théorie" est utilisé ici abusivement. En effet
la notion de complot ne respecte pas le critère de falsification énoncé par Karl
Popper, dans sa définition de la théorie. En d'autres termes, elle est toujours vraie, et
suit une rationalité implacable. Concernant la théorie du complot chez Karl Popper, il
a formulé quelques remarques dans son ouvrage célèbre
l5
,
affirmant que c'est une
conception répandue, bien qu'elle soit un type assez primitif de superstition. Popper
12 _ Popper, Karl: Conjectures et réfutations. La croissance du savoir scientifique. Paris: Payot
,1985, p 64
13 _ Pipes, Daniel: The Hidden Hand. Middle East Fears ofConspiracy. New York: St. Martin's
Press, 1996. p. 252.
14 _ On cite par exemple, la déclaration Balfour de 1917 qui concerne l'établissement d'un foyer
national juif. L'accord ou les accords Sykes-Picot-Sazonov de 1916, dans le cadre duquel la France, la
Grande-Bretagne et la Russie ont démantelé les territoires arabes de l'empire Ottoman."etc.
15 _
Popper, Karl, Op cit, pp 497-498
6
ajoute que dans sa version moderne, la théorie du complot est un produit
caractéristique du processus de laïcisation des superstitions religieuses. Ainsi on ne
croit plus aux dieux et à leurs machinations, mais ils étaient remplacés par les
protocoles des sages de Sion, les impérialistes. "etc.
16.
En sus, il faut signaler que la
dualité Islam/Occident est fondatrice de l'image de l'Autre (occidental) dans l'espace
arabo-musulman. Certes, cette image n'est pas toujours négative, mais la mémoire
arabo-musulmane retient que l'Occident judéo-chrétien est d'une façon ou d'une
autre un adversaire. À titre d'exemple, on cite un verset coranique qui revient
fréquemment dans le discours islamique : « Ni les juifs ni les Chrétiens ne seront
jamais satisfaits de toi, jusqu'à ce que tu suives leur religion. »/7. Ce verset et d'autres
hadiths/ 8 alimentent et constituent même un vecteur d'un large courant du discours
islamiste contemporain qui explique les événements et les faits par le complot.
D'autres points sont soulevés dans l'article
Il
the age of anxiety
1119.
Jane
Parish se demande si les théories du complot présentent une nouvelle catégorisation
du vrai ou si elles sont seulement une solution ancienne qui répond aux anxiétés du
monde, de plus en plus incertain. Parish se demande aussi et surtout si les théories du
complot actuelles constituent une façon d'assembler les informations possibles plutôt
qu'une quête de la vérité. En effet, dans le cas de cette mentalité dans l'espace arabe,
la vérité existe déjà, il suffit de collecter les informations pour la renforcer, sans pour
autant essayer de contredire le postulat de base: la nation arabo-musulmane est
victime de complot occidental ou américano-sioniste (au meilleur des cas).
16 _
Ibid, p. 498.
17 _
Coran, La vache - 119.
18 _ Hadith: " récit, propos". Ce terme désigne les paroles et les faits du Prophète de l'Islam
rapportés par ses compagnons, dans le but de constituer le modèle à suivre par tous les musulmans.
L'ensemble des hadiths, quand ils sont authentifiés constitue la seconde source de la charia après Je
Coran.
19 _ Parish, J and Parker, M (eds) The Age 01 Anxiety: Conspiracy Theory and the Human
Sciences. Oxford: Blackwell. pp 1- 16
7
La théorie du complot est capable de rendre compte de n'importe quel
événement dans l'histoire, n'offrant ainsi aucune possibilité de vérification ou de
réfutation. Elle est capable de faire des prévisions vagues qui ne peuvent jamais être
prises en défaut. Ainsi, elle ne peut être contredite, donc elle n'est pas scientifique.
Question spécifique de recherche:
Les points présentés constituent des préludes et des antécédents pour explorer
la profusion, et la persistance de ce pli mental qu'on appelle ici 'aqliat al mouàmara
(mentalité du complot/D, ou cette tentation de recourir abusivement à l'interprétation
par le complot qu'on appelle nadharia al mouâamara (théorie du complot). Ici on
s'aperçoit des racines profondes de la théorie du complot dans la pensée musulmane
et qui façonne les perceptions des élites ou des couches populaires, soit dans le
champ des relations internationales soit concernant leur situation existentielle, leur
présent et leur avenir.
La question centrale en fait est: Pourquoi l'imaginaire arabo-m usulman
demeure-t-il aux prises, ou sous l'emprise, de la mentalité du complot? Et pourquoi
restera-t-il otage du dogmatisme et de la mentalité apologétique, ainsi que sous la
domination de l'approche superstitieuse et soupçonneuse? Cet imaginaire serait-il
rebelle ou étanche aux analyses critiques et autocritiques de son corpus religieux et
historique (hissé lui aussi au rang du sacré ou du tabou)? Aussi, la notion du
complot resterait-elle un instrument pour celer toutes les difficultés épistémiques,
politiques et morales dont souffre cet imaginaire ou cette culture?
Ce travail a pour objectif de répondre à ces questions spécifiques, et d'offrir
une compréhension des raisons d'être de la mentalité et de la théorie du complot dans
20 _ ou même 'oqdat al mouamara (complexe du complot), selon les termes de Cheikh Hussein
Al Khechen Voir Khechen (AI), Cheikh Hussein. Al islam wa al 'onf [l'islam et la violence]. AI
markaz at-taqafi al-arabi. Casablanca, Beyrouth. 2006. pp 257-261
8
l'imaginaire arabo-musulman. Du même souffle, mettre dans une perspective
critique le recours maladif, en un certain sens, et abusif même, au complot pour
essayer de comprendre des faits et des événements essentiellement d'ordre politique
et géopolitique, est une étape décisive dans les efforts pour remédier au déficit du
rationalisme, de l'esprit critique et de la culture démocratique dans l'espace arabo­
musulman.
Présentation de la méthodologie, des sources et des techniques d'analyse.
La méthodologie utilisée dans ce travail est déductive, et le type de sources
utilisées se situe principalement dans la recherche bibliographique. Plus précisément,
cela signifie que le travail se base sur une analyse des textes et des discours des
auteurs qui participent au débat sur la pensée et l'imaginaire arabo-musulmans.
Ensuite, ces auteurs sont utilisés pour défendre le point de vue à l'étude. Cette
méthode possède deux variables sur lesquelles est basé le présent travail. La première
est le rétrécissement du sens critique dans l'analyse du corpus religieux et historique,
dans la culture arabo-musulmane. La deuxième, consiste dans l'enracinement de la
mentalité du complot dans l'imaginaire arabo-musulman.
Afin de vérifier notre hypothèse, nous utiliserons principalement le corpus
religieux et historique. Les sources sont le Coran et ses principales exégèses (tafssir
at-tabari. et tafssir Al Qortobi), le corpus de la Sunna21 (Sahih al Boukhari et Sahih
Muslim références principales des hadiths de l'Islam sunnite), et les principaux livres
de l'histoire musulmane: Al-Kami! fi al-Tarikh [L'histoire complète] d'Ibn Athir, Al
Muqaddima [Les prolégomènes] d'Ibn Khaldoun, tarikh al-oumam wa al moulouk
[L'histoire des nations et des rois] de Tabari) et As-sira an-nabawyia. [La biographie
du prophète Mahomet] d'Ibn Hicham ... etc. Dans un deuxième temps, d'autres
21 _
Sunna: paroles et actes du prophète et plus généralement les enseignements et les exemples
qu'il a donnés.
9
sources sont utilisées, à savoir entre autres les pactes de Hamas et les discours
politiques des islamistes et des nationalistes. La raison de ce choix se justifie, par la
rareté des ouvrages ayant traité de la mentalité du complot dans l'espace arabo­
musulman. Toutefois, il faut signaler que l'argumentation des auteurs arabes ayant
analysé la mentalité et la pensée arabo-musulmane nous permettra de mieux
approcher et saisir notre problématique. Comme nous l'avons remarqué à travers le
cadre d'analyse, tout le travail consiste à trouver le fil conducteur dans cette
bibliographie, pour démontrer notre thèse. Cette approche déductive nous force à finir
cette recherche avec une ouverture sur les difficultés de la pensée arabo-musulmane à
intégrer le paradigme moderniste.
1.3) Énoncé du plan et des éléments de la recherche
Dans l'introduction, la problématique et l'hypothèse de recherche sont les
deux éléments importants traités, ainsi que les variables explicatives retenues dans
notre hypothèse de recherche. L'élaboration de la problématique permet de mieux
saisir l'enracinement de la théorie du complot dans la mémoire collective arabo­
musulmane. Nous serons alors à même de mieux analyser certains antécédents
historico-religieux car plusieurs réflexions, surtout sur les premiers temps de l'Islam,
concourent à une meilleure compréhension de la théorie du complot dans l'espace
musulman. Dans un premier temps, il faudra d'une part, mettre en contexte les récits
du Coran sur les intrigues des Juifs contre leurs prophètes et aussi contre les autres
nations. D'autre part, il faut mettre en évidence, les confirmations de la Sunna du
prophète Mahomet sur le rôle "complotiste" des Juifs contre l'Islam et son prophète.
Ce qui alimente encore plus l'imaginaire musulman et le rend fragile devant la
tentation de l'interprétation historique à partir du prisme du complot, surtout juif.
Sans oublier ce qu'on peut retenir des ouvrages historiques de la civilisation arabo­
musulmane, sur la conspiration juive et persane dans la Fitna. Il est mis ensuite de la
lumière sur cette période cruciale de l'Islam, ainsi que sur le rôle prétendtJ de
10
Abdallah Ibn Sabaâ célèbre personnage de la FUna, hissé au rang de la légende, et
qui aurait selon des sources historiques monté tout le complot contre l'autorité
califale. Ces éléments mettront en place la base de ce travail.
Concernant la seconde partie, elle se divisera en deux principales sections: la
première rend compte du discours nationaliste arabe (nassérien par exemple) et
islamiste (on a retenu les exemples les plus connus; ceux d'Al Qaïda, et le Hamas).
Tandis que la seconde section met en relief l'épuisement du sens critique et
l'enracinement de la blessure narcissique dans la mémoire collective arabo­
musulmane. Ces deux sections sont nécessaires afin de bien cerner 1'hypothèse de
recherche de la problématique posée dans le mémoire. Ce sont aussi des sujets qui
vont toucher plus directement, l'imaginaire politique arabo-musulman, et comment il
continue d'accepter l'interprétation par la théorie du complot. Cette analyse cible les
caractéristiques qui nous aident précisément à comprendre certains côtés du discours
arabo-musulman contemporain, qui véhicule la rhétorique du complot.
Le premier chapitre concerne les antécédents historico-religieux islamiques de
la théorie du complot. Celui-ci est important pour notre le présent travail. Il met en
lumière ce qui constitue à nos yeux les origines de la notion du complot contre
l'Umma 22 . Ce qui s'ouvre sur l'incapacité, voire l'échec de la pensée scientifique et
philosophique arabo-musulmane qui s'est éteinte précipitamment, à créer une
tradition permanente.
Le second chapitre se veut une contribution pour démontrer que la notion du
complot reste un outil ou une échappatoire pour cacher les difficultés épistémiques,
politiques et morales que la pensée arabe présente dans plusieurs de ses
manifestations. Parmi celles-ci, il faut considérer l'utilisation "machiavélique" de la
notion du complot par la classe politique dirigeante dans l'espace arabe ainsi que les
difficultés d'établir des espaces de participation politique.
22 _ Terme Coranique désignant la communauté des musulmans prise dans son ensemble dans le
monde entier. Traduit parfois par Nation (connotation politique), ou Communauté (aspect religieux et
culturel).
Il
Finalement, la conclusion nous permet de faire un récapitulatif général sous
forme de rappel et de vérification de l'hypothèse pour ensuite finir sur une tentative
de déconstruction de la théorie du complot en général, avec une ouverture sur les
principales difficultés de la pensée arabo-musulmane contemporaine.
2)- THÉORIE DU COMPLOT:
ANTÉCÉDENTS HISTORICO-RELIGIEUX
Le but des lignes qui suivent est de mettre en lumière la période de l'Islam
originel, lors de la formation du petit «État» musulman de Médine, ainsi que la
période des troubles après la mort du prophète en 632 (les événements de la Grande
Discorde).
2.1) Analyse du corpus religieux islamique
Principalement, il est question d'analyser les versets coraniques sur les Juifs,
pour voir ensuite les relations entretenues par ces derniers avec Mahomet à Médine.
2.1.1) Récits coraniques sur le peuple juif et l'interprétation exégétique:
Le Coran (Qur 'an en arabe qui découle du syriaque qeryânâ), le livre sacré de
l'Islam, est divisé schématiquement en deux grandes parties: une partie dite
mecquoise, constituée de sourates transmises au prophète à la Mecque. Ces sourates
mettent entre autres l'emphase sur la polémique engagée par Mahomet avec sa tribu
Qoraïch, concernant les idoles de cette dernière. Mais aussi sur les dimensions
spirituelles, sur l'au-delà, le salut de l'homme et la délivrance du péché. Concernant
les Juifs (appelés aussi Banu IsraëI 23), les versets de cette partie sont consacrés à
l'histoire du peuple juif. Mais l'accent est mis sur leur souffrance, notamment sous les
Pharaons (particulièrement celui de l'exode Mineptah 24 fils de Ramsès II), leurs
23 _ Fils d'Israël ou Jacob (fils d'Abraham), par opposition aux Arabes aux fils d'Ismaël (fils
d'Abraham aussi), selon la tradition abrahamique.
24 _ On adhère ici à l'avis de Maurice Bucaille, considérant Mineptah comme le Pharaon de
l'exode, dans son ouvrage Moïse et Pharaon. Paris, Seghers, 1995
13
relations avec leurs prophètes et commandeurs, ainsi que leur parcours historique
avant l'avènement de l'Islam. L'autre paltie, dite médinoise, est constituée de sourates
transmises à Médine, après l'émigration (Hijra) du prophète à Yathrib (qui devient
Médine ou la ville du Prophète) en 622. Elle représente la partie politique et
conquérante de la vie du prophète. Mais aussi la partie qui contient les versets
dénigrant plus les Juifs.
Quand Mahomet est arrivé à Médine, la ville et ses alentours, étaient habités
par deux tribus arabes, les Aws et les Khazraj, ainsi que trois principales tribus juives
Banu Qaynuqaa, Banu an-nadir et Banu Qurayza, en plus d'autres tribus, juives
païennes, animistes et chrétiennes aux alentours de la ville
Mahomet signa un pacte
26
25
.
Une fois installé,
(dit Dostour al-Madina ou wathîqat al-Madina ou sah~rat
al-madina) avec ces tribus. Le point qui concerne les Juifs dans ce pacte est que ces
derniers sont appelés à se montrer solidaires avec la communauté musulmane, et
coopérants pour leur propre bien être et leur protection de la part des Musulmans. Ils
sont appelés aussi à ne pas coopérer avec Qoraïch, à ce moment en conflit avec le
prophète Mahomet
27
.
Pendant cette période à Médine, les versets coraniques même ceux médinois,
sont axés plus sur l'histoire du peuple juif, leur rappelant tout de même qu'ils ont été
25 _ Pour plus d'informations sur les tribus juives de Médine veuillez voir: ABITBOL Michel.
Le Passé d'une discorde: Juifs et Arabes du VIle siècle à nos jours. Paris. Perrin. 1999. Pp. 13-27.
Watt William Montgomery. Mahomet à Médine. Paris. Payot. 1959. Pp. 231-265. Lewis, Bernard: Les
Juifs en terre d'Islam, Paris, Flammarion, 1986. p. 22-27. ATTALI. Jacques. Les Juifs, le monde et
l'argent: histoire économique du peuple juif. Paris. Fayard 2002. Pp 173-177.
26 _ Document fondateur de la vision politique en Islam. II est connu sous plusieurs
appellations: douslour (constitution de Médine), walhiqa (document) ou pacte formulé à Médine. Il a
établi les fondements de la paix sociale, de sécurité interne et ceux de la défense de dar al-islam. Il est
perçu en tant que testament sur les fondements du nouvel État musulman qui a pris naissance en 622.
Ce pacte a été signé entre le prophète Mahomet et les principales tribus non musulmanes des alentours
de Médine. Pour une lecture approfondie de ce pacte, voir Watt, William Montgomery. Op cil, pp
267-275.
27 _
44
Pour plus de détails voir: Aoun, Sami. Mots clés de l'islam. Montréal. Mediaspaul. 2007, p
14
ingrats envers Dieu qui les a béni et à qui ont été confiées ses paroles. "Ô enfants
d'Israël, rappelez-vous Mon bienfait dont Je vous ai comblés, (Rappelez-vous) que Je
vous ai préférés à tous les peuples (de l'époque)." (La Vache, 46). Jusqu'à les
maudire:
Il
(Nous les avons maudits) à cause de leur rupture de l'engagement, leur
mécréance aux révélations de Dieu, leur meurtre injustifié des prophètes... " (Les
Femmes, 154). C'est avec de tels versets et d'autres encore que la communauté
musulmane, nouvellement constituée, a entamé ses contacts avec les Juifs de Médine,
"le plus important centre de vie juive en Arabie" à l'époque, selon les termes de
Walter Short28 .
Une autre image du Juif est venue ainsi se dessiner dans l'imaginaire collectif
musulman, s'ajoutant à celle qui émane des controverses sur le dogme. Il est bien
évident que Mahomet dénonça la mutilation par les Juifs, des Livres Sacrés, dans ces
polémiques avec les rabbins de Médine. Le Coran lui-même avance:
"Nous les avons maudits et endurci leurs cœurs: ils détournent les paroles de leur
sens et oublient une partie de ce qui leur a été rappelé. Tu ne cesseras de découvrir
leur trahison, sauf d'un petit nombre d'entre eux ... " (La Table, 14), et "Malheur,
donc, à ceux qui de leurs propres mains composent un livre puis le présentent comme
venant de Dieu pour en tirer un vil profit! - Malheur à eux, donc, à cause de ce que
leurs mains ont écrit, et malheur à eux à cause de ce qu'ils en profitent!" (La Vache,
78).
Ces versets dirigés contre les Juifs, ont été appris par les compagnons du prophète,
mais la relation entre les Musulmans et les Juifs a normalement continué, caractérisée
par le respect du pacte de Médine, et n'allait se détériorer qu'après le ralliement de
ces derniers aux arabes des tribus des Aws et des Khazrajs, qui ont refusé le prophète
et la nouvelle religion (le prophète les a appelés al-mounafiqoun ou les hypocrites).
A partir de cet événement et d'autres qui suivront, le style coranique envers les Juifs
allait prendre une autre tournure. La détérioration des relations judéo-musulmanes
28 _ In The exclusion of the Jews and Christians from the Arabian Peninsula, cité par ATTALI.
Jacques. Les Juifs, le monde et l'argent: histoire économique du peuple juif. Paris. Fayard 2002. P.
175.
15
allait s'accentuer avec le changement de la Qibla 29 par Mahomet sur un ordre
coranique en 623. Les Juifs allaient s'opposer de plus en plus au pacte de Médine
pour régler leurs différends et litiges avec les Musulmans, ainsi que s'allier au
prophète dans ses batailles contre Qoraïch (Badr 624 et Ohod en 626, Al-khandaq
627). Ces événements ont été mis en évidence par le Coran, dans plusieurs versets,
mais en mettant plus l'emphase sur le comportement hostile des tribus juives de
Médine: "Ni les mécréants parmi les gens du Livre, ni les Associateurs n'aiment
qu'on fasse descendre sur vous un bienfait de la part de votre Seigneur ... " (La
Vache, 104), ou "Nombre de gens du Livre aimeraient par jalousie de leur part,
pouvoir vous rendre mécréants après que vous ayez cru. Et après que la vérité s'est
manifestée à eux ... " (La Vache, 109). La détérioration des relations allait atteindre
son point culminant avec la bataille de Khaybar en 628 où une partie de la tribu Banu
an-Nadir retirée à Khaybar au Nord de Médine, après leur expulsion 3o de cette ville
par le prophète en 625.
Cet épisode de l'histoire musulmane, caractérisée par les premiers contacts
des Musulmans avec une communauté juive qui venait elle aussi de découvrir un
environnement monothéiste autre que le sien, n'a duré que 6 ans (de 622 à 628). Mais
il a été fondateur de l'image du Juif comploteur et responsable de tous les maux et
déboires de la communauté musulmane, dans l'imaginaire musulman. Ainsi,
plusieurs versets sont utilisés pour mettre en exergue la mauvaise intention des Juifs
envers les Musulmans, sans pour autant qu'ils visent nécessairement les Juifs. Par
exemple, concernant le verset coranique suivant: " qui rompent le pacte qu'ils avaient
29 _ La Qibla veut dire direction. C'est le point vers lequel les Musulmans se tournent lors des
prières. Mahomet a prié en se tournant vers Jérusalem (Al Quds), comme le faisaient les Juifs. Le
changement de la Qibla vers la Mecque a été sollicité par Mahomet mais non accepté par les Juifs qui
ont vu dans ce changement un acte offensant. La prière vers la Mecque a été politiquement considérée
par certains historiens comme le signe annonciateur de la prise de cette ville par les Musulmans,
quelques années plus tard. Voir Aoun, Sami. Mots clés de l'islam. Montréal. Mediaspaul, 2007, pp
100-101
30 _
Cet événement sera commenté dans 2.1.2
16
fermement conclu avec Dieu, coupent ce que Dieu a ordonné d'unir, et sèment la
corruption sur la terre. Ceux-là sont les vrais perdants." (La Vache, 27), l'explication
donnée par l'exégète Tabari (839-923), est que les gens visés par ce verset ne sont pas
nécessairement les Juifs. Tabari cite plusieurs catégories de gens, qui répondent à la
description coranique dans ce verset, dont plusieurs rabbins juifs d'Arabie. Ces
derniers, selon Tabari, ont refusé de reconnaître le message de Mahomet que les
textes bibliques eux mêmes prédisent selon la tradition musulmane 3 '.
L'image négative des Juifs dans le Coran:
Le Coran retient aussi de l'éloge et du louange pour les Juifs: '''En vérité, nous
avons accordé aux enfants d'Israël les Ecritures, le commandement et la prophétie,
de bonnes choses, et nous les avons favorisés plus que [tous] les peuples." (Al­
Jaithiyah: 16). Les exégètes du Coran sont d'accord que ce privilège accordé par le
Coran aux Juifs tient au fait qu'ils formaient le seul peuple monothéiste de l'antiquité.
Néarunoins, l'image négative du peuple juif dans le Coran est celle qui a primé
jusqu'à aujourd'hui. Ce qui apparaît bel et bien dans la tendance traditionaliste
actuelle, dont le témoignage d'Abdoul-Sattar EI-Sayed, Mufti de Tartous (Syrie) :
Le Coran a dressé un sombre tableau des Enfants d'Israël, ne les montrant que
sous forme de horde dispersée, possédée par une âme pernicieuse qui évite tout ce
qui est bon et apporte le désastre à tout ce qui est dans le droit chemin. La
description coranique des enfants d'Israël n'est pas la description d'un phénomène
Il
31 _ Le Coran estime que les textes religieux juifs et chrétiens ont prédit ['avènement de
Mahomet, mais cela a été occulté par les rabbins et les prêtres. Voir notamment: "Ceux qui suivent le
Messager, le Prophète il/el/ré qu'ils trouvent écrit (mentionné) chez eux dans la Thora et l'Evangile. JI
leur ordonne le convenable, leur défend le blâmable, leur rend licites les bonnes choses, leur interdit
les mauvaises, et leur ôte le fardeau el les jougs qui étaient sur eux. Ceux qui croiront en lui, le
soutiendront, lui porteront secours et suivront la lumière descendue avec lui; ceux-là seront les
gagnants" (AI A'raf, 137). Cette question a été traitée par certains intellectuels musulmans qui ont
essayé de montrer que Mahomet est bel et bien mentionné dans le texte biblique connu aujourd'hui.
Voir notamment l'ouvrage d'Ahmad Didat. Mohammed dans les écritures bibliques. Traduit de
l'Anglais par Cheikh B. Hamza Editions ENAG, Alger. 1989.
17
qui serait apparu durant l'ère de la Prophétie, mais plutôt d'une tare ancienne
transmise depuis des âges par une génération de Juifs à l'autre. (..) Qui plus est, les
Juifs devinrent fourbes et perfides, sanctionnèrent toutes les actions interdites et
prétendirent ensuite qu'elles leurs avaient été ordonnées par Dieu et étaient prévues
par la loi. En agissant ainsi, ils désiraient conférer à ces péchés et à ces vices un
,
) ,,32
caractere
sacre., ( ....
Cette image négative des Juifs, repnse par plusieurs représentants 33 du courant
islamiste traditionaliste actuel, provient essentiellement du Coran. En effet, plusieurs
versets coraniques retiennent des défauts que le Coran a attribué aux Juifs, entre
autres: Le blasphème envers Dieu et l'assassinat des prophètes: "Dieu a
certainement entendu la parole de ceux qui ont dit: Dieu est pauvre et nous sommes
riches. Nous retiendrons leurs paroles, ainsi que leur meurtre, sans droit, des
prophètes. Et Nous leur dirons: Goûtez au châtiment de la fournaise 1" (Al-Imran:
181).
Il faut retenir que les exégètes Tabari et Al Qortobi restent largement
spécifiques et précis dans l'explication de ce verset. Ils retiennent tous les deux la
même explication et avancent que les Juifs visés par ce verset sont un groupe de Juifs
qui vivaient au temps du prophète. Ils sont entrés avec ce dernier et son compagnon
Abou Bakr, en controverse sur la pauvreté de Dieu. Concernant la question du
meurtre des prophètes, les deux exégètes avancent que c'est le même groupe
rencontré par le prophète, qui est visé par ce verset, en précisant que la phrase "leur
meurtre, sans droit, des prophètes" veut dire le consentement de ce groupe des Juifs
32 _ Les Juifs et Israël vus par les théologiens arabes, Extraits des procès verbaux de la 4ème
Conférence de l'Académie de Recherche islamique 1968. préf. pour l'éd. française de Léon Poliakov;
compilation et introd. de D.F. Green; trad. française de Jean Christophe Pala. Genève Ed de l'Avenir,
1974, p 43
33 _ L'exemple le plus frappant est l'ouvrage du Cheikh d'AI AZHAR en Egypte, Mohamed
Sayyed Tantaoui. Banu _israilJiI_kitab_wassunah. Banu Israël dans le Coran et La Sunna. Le Caire.
Dar Ashourouq. 1996. L'ouvrage est à l'origine la thèse du doctorat de Tantaoui, présenté à AI Azhar
en 1966.
18
aux meurtres de certains prophètes hébreux. Ce consentement a été clair dans la
même discussion avec les compagnons du prophète, notamment Abou Bakr.
Il est clair que l'interprétation exégétique de ce verset reste précise, et n'attribue pas
le mensonge et le meurtre des prophètes, à tous les Juifs comme il apparaît dans la
littérature arabo-islamique contemporaine 34 .
Toutefois, ce même discours se réfère à un autre verset, qui s'avère plus clair
sur la question de l'assassinat des prophètes. Le Coran dit à ce sujet, en parlant des
Juifs guidés par Moise: ".. .L'avilissement et la misère s'abattirent sur eux; ils
encoururent la colère de Dieu. Cela est parce qu'ils reniaient les révélations de Dieu,
et qu'ils tuaient sans droit les prophètes. Cela parce qu'ils désobéissaient et
transgressaient." (La Vache, 61). Les Juifs concernés par ce verset sont ceux du
temps de MOÏse 35 . Le verset lie la cause de l'assassinat des prophètes aux malheurs
(avilissement, misère ... etc.) abattus sur eux, selon les termes du verset, comme
conséquence. Le verset est donc précis, mais le fait d'étaler ce jugement à tous les
Juifs à travers le temps (soit par déficit épistémologique ou un surplus idéologique)
pousse à accepter un rôle machiavélique des Juifs dans l'histoire.
En outre, il est une autre image que retient l'imaginaire musulman des Juifs, à
partir du Coran, c'est la désobéissance à Dieu. "Et puis, à cause de leur violation de
l'engagement, Nous les avons maudits et endurci leurs cœurs". (La Table, 13). Dans
ce verset aussi, les exégètes restent précis. Ibn Kathir, pour ne citer que lui, parle dans
son explication de ce verset de l'engagement qui a été conclu entre le prophète et les
tribus juives de Médine et rompu par certaines d'entre-elles. Dans ce cas aussi, ce ne
sont pas tous les Juifs qui sont visés, comme il peut apparaître dans certains discours
contemporains, mettant plus en évidence l'image du Juif comploteur.
34 _
Tantaoui, Mohamed Sayyed. Banu _israilJi'- kitab_wassunah. Op cit. pp 5- 7
35 _ Tabari, Imad Ed-dine Mohamed. Tafssir at-tabari. Exégèse du Coran. T 1. Damas. Dar al­
fikr. 2001. P 457
19
Une autre image retenue, qui est celle de la déformation des Livres Sacrés. A
ce sujet, le Coran dit: "Malheur, donc, à ceux qui de leurs propres mains composent
un livre puis le présentent comme venant de Dieu, pour en tirer un vil profit!
Malheur à eux, donc, à cause de ce que leurs mains ont écrit, et malheur à eux à
cause du profit qu'ils en tirent l' (La Vache, 79). Ce verset est largement repris
comme preuve que les Juifs ont déformé les écritures saintes. Toutefois, un détour par
les exégèses du Coran ouvre la voie à une autre lecture. En effet, Tabari retient une
explication, avançant que ce verset concerne des Juifs qui au temps du prophète, ont
écrit un livre et le vendaient aux arabes bédouins, comme venant de Dieu 36 .
Le verset coranique vise à dénoncer cette pratique. Concernant le même verset
Tabari donne une autre explication. Et celle-là revient toujours dans le discours
islamique moderne. A savoir que le livre dans le verset est la Torah d'où les Juifs de
Médine 37 , ont laissé tomber le nom de Mahomet. C'est-à-dire que les Juifs ont écarté
la preuve de la prophétie de Mahomet et son avènement de leurs livres sacrés pour
répondre aux accusations de la nouvelle religion. Notamment que le judaïsme est une
religion erronée.
Il est adéquat de signaler que cette controverse citée par Tabari et d'autres
historiens (comme Ibn Hicham), concernait plutôt les rapports entretenus entre les
Musulmans et les tribus juives après que ces dernières ont rompu le pacte de Médine.
Mais le discours islamique survenu après, parle de la question du rejet du message de
Mahomet, par le judaïsme (et aussi par le christianisme), à partir de ce verset, donnant
ainsi plus d'importance à l'attitude de tous les Juifs, en tant que peuple, d'occulter les
signes qui annoncent l'arrivée de Mahomet 38 . Mais, le défaut qui reste le plus cité
36 _ Tabari, Imad Ed-dine Mohamed. Tafssir at-tabari. Exégèse du Coran. T II. Damas. Dar al­
fikr. 2001. P 48.
37 _ Ce sont toujours ces tribus juives qui étaient en contact avec les musulmans nouvellement
converties dans la société de Médine.
38 _
saintes.
On peut vite s'apercevoir de la difficulté technique de dissimuler de tels signes, des écritures
20
dans la littérature musulmane et qUi sert même pour alimenter la rhétorique du
complot dans l'imaginaire musulman est la notion de l'hypocrisie, en arabe Nifaq.
Dans un verset coranique, il est dit: "En présence des croyants, ils disent: nous
croyons. Mais quand ils se trouvent seuls avec leurs diables, ils disent: nous sommes
avec vous; en effet, nous nefaisions que nous moquer (d'eux)" (La Vache 14). Il faut
rappeler que les exégètes Ibn Kathir et Al Qortobe 9 avancent que ce verset parle des
hypocrites de la tribu Qoraïch, qui exprimaient leur appartenance à l'Islam et faisaient
serment qu'ils étaient Musulmans, alors qu'ils ne l'étaient pas. Mais Tabari, dans son
explication de ce verset avance, en plus de l'explication retenue par plusieurs
exégètes, une possibilité que ce verset pourrait signifier des hommes des tribus juives
de Médine qui jouaient ce jeu.
Toujours est-il que le discours islamique contemporain ne se gène guère d'utiliser ce
verset pour parler de l' hypocrisie absolue des Juifs, mettant en évidence un autre
verset: "Commanderiez-vous aux gens de faire le bien, en oubliant vous-mêmes de le
faire, alors que vous récitez le Livre? Etes-vous donc dépourvus de raison ?". (La
Vache, 44). Et qui concerne les Juifs pl us clairement.
La jalousie (en arabe al hassad) comme défaut s'ouvre sur le désir de faire mal aux
Musulmans et de chercher à les corrompre. C'est du moins ce qu'on peut lire dans le
verset suivant: "Nombre de gens du Livre aimeraient, par jalousie, pouvoir vous
rendre mécréants après que vous avez cru. Et après que la vérité se fut manifestée à
eux. " (La Table, 109).
Dans ce verset aussi, les exégètes sont loin de la généralisation qui articule certains
discours islamiques contemporains. En effet, Tabari par exemple, reste très précis
dans son explication retenue pour ce verset. Les gens du Livre, dont il est question
dans le verset ci-dessus sont toujours la communauté juive de Médine au temps du
prophète. Tabari donne même quelques noms des Juifs visés précisément et
exclusivement par le verset, notamment les deux frères Hoyay Ibn Akhtab et Abou
39 _ Il arrive souvent que deux ou plusieurs exégètes donnent une même explication à seul verset
ai.! même que les divergences soient minimes.
21
Yasser Ibn Akhtab qui, selon Tabari, poussaient les Musulmans à renoncer à la
nouvelle foi. Ils étaient très réputés par leur haine envers Mahomet et la petite
communauté musulmane de Médine. Quand à Al Qortobi, il n'est guère précis et reste
plutôt laconique en disant que le verset concerne les Juifs.
On se contentera de ses versets pour la commodité de l'étude. Encore faut-il
signaler que les versets coraniques cités parlaient des Juifs dans des cas spécifiques 4o .
Ce qui ne laisse guère de possibilité pour généraliser ces accusations, à tous les Juifs
du monde et à travers les époques. Cela étant considéré, qu'en est-il maintenant des
relations des Juifs avec le prophète?
2.1.2) Les Juifs dans la Sîra (Biographie) du Prophète de l'Islam
Comme il a été brièvement esquissé ci-dessus, les rapports de Mahomet avec
les Juifs de Médine étaient plutôt conflictuels et traversés par des appréhensions
mutuelles. Les Juifs assistaient à l'élargissement de la communauté musulmane
autour d'un nouveau prophète non juif. Du point de vue religieux, le prophète allait
rompre avec le dogme des tribus juives médinoises. Il a commencé par ne plus se
tourner pour la prière vers Jérusalem, mais plutôt vers la Kaaba à la Mecque,
sanctuaire des divinités de pierre, adorées par Qoraïch.
La rupture avec la tradition théologique juive allait s'instaurer au fur et à mesure que
le rituel musulman prenait forme et se distinguer par rapport aux préceptes bibliques
concernant la manière de prier, de jeûner41
40
... etc.
La distinction allait se manifester
Dans les sciences du Coran, on parle des causes de la descente du ou des versets (asbab an­
nouzoul)
41 _ Dans un hadith rapporté par Boukhârî et Muslim, selon Ibn Abbas: "Lorsque le Prophète
(PBSL) arriva à Médine, il apprit que les Juifs jeûnaient Achoura. Il demanda alors: Quelle est la
raison de celle pratique? On lui répondit: C'est un jour béni. Moïse fut sauvé en ce jour, ainsi que les
enfants d'Israël, contre les agissements de leurs ennemis. (Par reconnaissance envers Son Seigneur),
Moïse jeûna ce jour. Le Prophète conclut alors: Je suis plus proche de Moïse que vous autres (c'est-à­
dire: j'ai plus de légitimité à me revendiquer de cette pratique de Moïse que vous, en raison de la
proximité spirituelle qui me lie à lui). Il jeûna, par conséquent, ce jour et ordonna de le jeûner."
22
même au nIveau de la manière de s'habiller. De plus, si les Juifs de Médine
s'attendaient à attirer Mahomet vers leur religion, ce dernier s'est montré plus ferme
et a demandé à leurs rabbins de se convertir à l'Islam. Ce qui était inacceptable pour
les docteurs de la loi juive, qui se sont montrés plus réservés, et réticents à Mahomet.
En effet, "la dispute théologique est très vive avec les rabbins qui accusent Mahomet
de déformer le texte biblique,,42. Mahomet, en plus, s'est avéré menaçant pour leurs
privilèges sociaux et religieux. En effet "si le plan de Mahomet réussirait, les Juifs
perdraient tout espoir de domination ... ,,43 . En sus, selon le pacte de Médine (art. 23,
24), tous les différends devraient être portés devant Mahomet. Politiquement, ce
dernier allait déclarer la guerre aux Juifs de Médine, après que ces derniers aient
rompu le pacte de Médine conclu avec lui, juste après son arrivée. Après la victoire
des Musulmans sur Qoraïch à la bataille de Badr en 624, la nouvelle religion dont
Mahomet se déclare le messager, allait prendre de l'ampleur.
Le premier contact conflictuel du prophète a été avec la tribu des Banu
Qaynuqaa. Il est un incident que rapportent les historiens 44 de la Sira an-nabawya
(biographie du prophète) : une Musulmane est molestée au marché par des Juifs de la
tribu des Banu Qaynuqaa. Cet incident a été suivi de meurtres de part et d'autre. La
Toutefois quand le jeûne du Ramadan fut prescrit en 624 (Coran, La Vache II, 183-185 et 187),
le Prophète n'imposait plus à ses compagnons de consacrer un jour de jeûner à l'occasion de Achoura
(Rapporté par el bukhârî (Hadith 2003) et Muslim (Hadith 1129)). A la fin de sa vie, le Prophète a
décidé de ne plus jeûner un jour seul à éette occasion. Il a voulu en effet accompagner à 'Achoura un
autre jour de jeûne, en vue de se distinguer des Juifs (rapporté par Muslim (1 J 34).
42 _
ATTALl. Jacques. Op cit. p. 175.
43 _
WATT William Montgomery. Mahomet à Médine. Paris. Payot. 1959. P 243
44 _ Entre autres HICHAM Ibn, As-sira an-nabawyia. [La biographie du prophète Mahomet].
Beyrouth. Moassassat al-ma 'arif li-atiba'a wa an-nachr. 2005. tome II, p 561
23
tribu de Banu Qaynuqaa est assiégée par le Prophète et quelques jours après cette
tribu juive était contrainte de quitter Médine
45
,
En 625, lors de la bataille d'Ohod entre Qoraïch d'un côté et Mahomet et ses
disciples médinois de l'autre, la tribu juive des Banu an-nadir a choisi de soutenir les
ennemis mecquois de Mahomet. Ce soutien est survenu surtout après la mort de leur
poète Kaab Ibn al-Achraf, dont les poèmes visaient à tourner Mahomet en dérision, et
à détruire la réputation des Musulmanes de Médine.
Suite à la victoire du prophète, Kaab s'est rendu à la Mecque pour inciter les
Mecquois à la vengeance, ce qui a été fait dans la bataille d'Ohod. Il est rapporté que
Mahomet lui-même a ordonné son assassinat. Dans ce climat de tensions entre le
prophète et les Banu an-nadir, ces derniers ont été chassés de Médine vers le nord
après avoir été assiégé pendant des jourS.
46
Le troisième conflit entre Mahomet et les Juifs de Médine se déclencha vers
627, après que la dernière tribu juive de Médine, les Banu Qurayza, ait décidé de
soutenir Qoraïch dans son siège aux Musulmans dans la "bataille du fossé" [Ma 'rakat
al-Khandaq]. Après l'échec des Mecquois dans leur siège, Mahomet décide
45 _ On se réfère aux ouvrages d'histoire, arabo-musulmans, car les évènements ayant mis aux
prises le prophète et les Juifs, comme le note Michel Abitbol, "n'ont laissé que très peu de traces dans
les sources juives" (ABrTBOL. Michel. Op cit. p 27). Abitbol retient deux raisons essentielles de la
rareté des traces de ces évènements: " Non seulement celles-ci évitent d'évoquer ouvertement le sort
des tribus judéo-médinoises, mais lorsque, quelques années après la mort de Mahomet, les armées
arabes se lancent à la « conquête du monde », les Juifs qu'elles rencontrent sur leur parcours leur
réservent, en règle général, un accueil très favorable, (... ). Mais par une sorte de censure, le
personnage lui-même de Mahomet est très peu évoqué dans les textes juifs ... ". ABfTBOL. Miche, Op
cit. P. 27.
46 _ Il faut signaler que ces évènements relatés, presque de la même façon dans les ouvrages
historiques arabes, sont autrement décrits par deux chroniques: Seder Eliyahu Zatu du rabbin crétois du
XVIe siècle, eliyahu Capsali, et Sefer Divrei Yose! du rabbin égyptien du XVIf siècle Yosef Sambari.
Les deux rabbins ont souligné le rôle des Juifs dans l'ascension de Mahomet, tout en "lavant" (selon
l'expression d'Abitbol) Mahomet de toute responsabilité directe dans le sort subi par les juifs de
Médine. Pour plus d'explications voir ABrTBOL. Michel. Op cil. p. 28.
24
d'assiéger à son tour les Banu Qurayza accusés de comploter contre les Musulmans
au profit des Qoraïchites. Sur l'ordre du prophète, plusieurs dizaines de Juifs ont été
47
ensevelis dans des fossés, tout en épargnant les femmes et les enfants .
La série des rapports conflictuels entre Mahomet et les Juifs de Médine, allait
prendre fin avec la prise de Khayba/8 par Mahomet, vers 629. En effet, cet oasis est
devenu, dès le début des conflits entre la petite communauté musulmane et les tribus
juives à Médine, un refuge pour tous les Juifs qui cherchaient la vengeance. Selon les
termes même du philosophe arabe contemporain Mohamed Abed Al Jabri : "l'oasis
de Khaybar est devenu un centre de complot,,49.
De Khaybar, devenue source de dangers pour les Musulmans de Médine, les
Juifs préparaient leur guerre à Mahomet. Ce dernier était plutôt préoccupé par le
pacte dit de Hudaibiya 50. Une fois ce dernier conclu avec ses ennemis Mecquois, il
assiège Khaybar et ses habitants se rendirent après plusieurs semaines de combats. Le
Prophète vainqueur laissa aux Juifs leurs terres à cultiver, en contrepartie, la moitié de
leurs récoltes est versée aux Musulmans. La prise et la reddition d'autres petits
villages juifs, ont suivi rapidement après la chute de Khaybar. Avec cette première
conquête arabo-musulmane, allaient prendre fin les rapports conflictuels entre
Mahomet et les Juifs de Médine et ses régions. Les Juifs devenus faibles et les
Musulmans de plus en plus puissants. L'imaginaire musulman donne beaucoup
47 _ voir Ibn Hicham As-sira an-nabawyia. [La biographie du prophète Mahomet). Beyrouth.
Moassassat al-ma 'arif li-atiba' a wa an-nachr. 2005. Tome III, pp 722-724.
48 _ Oasis au nord de Médine, qui a été massivement habitée par les Juifs chassés par le prophète
Mahomet de Médine.
49 _ Jabri (AI), Mohamed Abed. Introduction au Coran. Tome 1. Beyrouth. Casablanca. Markaz
dirassat al wahda al Arabia. 2006. P 400
50 _ Hudaibiya: lieu célèbre près de La Mecque, où fût conclu en mars 628, un traité entre le
Prophète Mahomet et les chefs de la tribu de Qoraish qui contestait sa mission. Le traité prévoyait une
trêve et permettait au prophète Mahomet et à ses compagnons d'effectuer le pèlerinage à La Mecque.
25
d'importance à cet épisode de l'histoire. Il retient principalement que les Juifs ont
comploté contre Mahomet5J •
Ces événements relatés ci-dessus, sont repris même (et surtout) en parlant du
conflit israélo-arabe. Le rapprochement est toujours mis en évidence entre les tribus
de Médine et les Juifs d'Israël ou du monde. Alors que les conflits entre les Juifs de
Médine et ses Musulmans, ainsi que ceux entre Qoraïch et Mahomet, relevaient plutôt
des luttes pour le pouvoir politique, socioéconomique et idéologique (ou religieux).
En effet dans la première période mecquoise, l'avènement de Mahomet a
sérieusement perturbé les affaires socioéconomiques de Qoraïch: Premièrement
plusieurs esclaves se sont détournés de leurs maîtres qoraïchites vers la nouvelle
religion, qui leur a promis la liberté contre l'aristocratie tribale en crise.
Deuxièmement, Mahomet visait à combattre le Chirk (polythéisme), péché d'une
gravité absolue en Islam, car il met en cause le dogme de l'unicité de Dieu ou le
monothéisme. Or, la ville de la Mecque était le centre religieux des idolâtres et des
païens, car elle regroupait toutes les statues des divinités vénérées 52 par les tribus
d'Arabie. Ce qui conférait à la ville un statut spécial, en plus de sa position comme
point de passage des caravanes marchandes de l'époque. Les statues des divinités de
Qoraïch qui régnait sur la ville et gardait le monopole commercial aussi, étaient une
51 _ Attali rapporte lui aussi que: "L'Ange Gabriel, qui l'a informé le premier de sa mission,
revient avertir Mahomet que la tribu juive des Banu an-Nadir (... ), complote contre lui ... ". Attali se
réfère clairement aux sources musulmanes. Voir ATTALI. Jacques. Op cit. p 175. Aussi, la plupart des
ouvrages de l'histoire de l'islam. (La biographie du prophète d'Ibn Hicham, Chronique de Tabari :
Histoire des Prophètes et des rois) rapportent plusieurs épisodes de l'histoire allant dans le sens que
Mahomet a accusé ces tribus d'avoir soutenu ses ennemis Qorayshites. Certes l'appui des tribus juives
à ces derniers peut être expliqué par une stratégie militaire ad hoc qui pourrait être bénéfique à ces
tribus pendant ces temps de guerre (comme elles ont soutenu le prophète lui-même au paravent, mais
l'explication par le complot reste présente et retenue par plusieurs. Et comme l'indique Bernard
Lewis: "Les références aux Juifs, presque toujours négatives, que l'on retrouve dans le Coran, ainsi
que dans la biographie et les traditions du prophète", ont beaucoup facilité ce raccourci dans
l'explication des coalitions des tribus juives. Voir aussi Lewis, Bernard: Les Juifs en terre d'Islam,
Paris, Flammarion, J986. p. 25.
52 _
Telles Houbal, al Lai, al 'ozzal, Manal .. . etc.
26
source de richesse pour la puissante tribu d'Arabie. De là, le fait de s'attaquer aux
statues et tourner la pratique d'idolâtrie en dérision par la nouvelle religion prêchée
par Mahomet, avait touché directement les revenus du pèlerinage et tout ce qui se
rapporte aux profits gagnés par Qoraïch lors des visites des caravanes marchandes.
Dans cette perspective, il n'est pas étonnant que le point de divergence entre
l'aristocratie qoraïchite et Mahomet n'était pas religieux mais économique surtout.
D'ailleurs, comme le rapporte un auteur contemporain 53 , il est plutôt bizarre que dans
toute l'histoire de la Mecque, la résistance à Mahomet n'était pas orchestrée par les
religieux 54 mais par une élite économique peu soucieuse de la religion et plus
préoccupée par ses intérêts. Cela étant les rapports conflictuels entre Mahomet et
Qoraïch qui allaient suivre, étaient plus axés sur les intérêts économiques à nuire et
les caravanes de Qoraïch à détourner.
Le conflit avec les tribus juives de Médine était à la fois religieux, politique et
économique. En effet à son anivée plusieurs débats religieux ont été entamés entre
les rabbins juifs et Mahomet. Ce dernier a provoqué la colère des rabbins juifs
médinois, en les accusant de dévier le message divin inscrit dans leurs Livres Sacrés.
Du point de vue politique, l'arrivée de Mahomet à Médine comme un nouveau chef et
l'instauration de son pacte a été pressenti par les Juifs de la ville comme une offense à
leur privilège politique dont jouissaient les rabbins juifs qui jouaient le rôle de juge
même entre les tribus arabes de Médine. Concernant le point de vue économique,
l'interdiction catégorique de l'usure en vertu du pacte de Médine a réellement nui aux
Juifs de Médine, qui commerçait avec leurs voisins Arabes sur cette base.
53 _ Ali (AI), Sai eh Ahmed. Mohadaratfl tarikh al arab [Conférences sur l'histoire des arabes].
Baghdad. AI maarif. 1955. T. 1. P 233
54 _ Le penseur marocain AI Jabri atteste de l'absence totale des religieux Qoraïchites dans la
ville. Voir AI labri (AI). Mohamed Abed. AI- 'aql al-siyâsÎ 01- 'arabî: muhaddidâtuh wa tajalliyâtuh
[La raison politique arabe. Déterminants et manifestations] (Beyrouth, Casablanca. AI markâz A't­
ème
thaqâfi al-'arabî. 1991. i
édition). P 100
27
Mais l' histoire retient que les rapports entre eux allaient prendre une autre
tournure: les tentatives juives d'assassiner le prophète. Ces faits sont très ancrés dans
l'imaginaire collectif arabo-musulman. En effet, il est retenu dans les biographies du
Prophète et les ouvrages d'histoire qu'il existe plusieurs tentatives d'assassinat du
Prophète.
Deux tentatives d'assassinat du prophète sont attribuées à la tribu Banu an­
nad;r55 . La première est survenue juste après sa victoire à la Bataille de Badr en 624,
les Banu an-nad;r lui ont proposé un débat théologique dans un lieu retranché. Mais
en réalité, comme rapporte Abou Daoud dans ses "Sounan,,56, ils tendaient un piège
au prophète dans le but de le tuer. Quand ce dernier a pris connaissance du complot, il
a marché sur la tribu et a déporté les Banu an-nad;r.
La seconde tentative est survenue lorsque le prophète est allé chercher de
l'aide financière chez les Banu an-nad;r. Il a été sauvé in extrémis par l'archange
Gabriel. Il est utile de signaler que cette tentative est relatée par les exégètes
(notamment Ibn Kathir et Tabari), comme une des explications du verset suivant: "Ô
les croyants! Rappelez-vous le b;enfaU de D;eu à votre égard, le jour où un groupe
d'ennemü s'apprêtaU à porter la ma;n sur vous (en vue de vous attaquer) et qu'Il
repoussa leur tentat;ve. Et cra;gnez D;eu. C'est en D;eu que les croyants do;vent
mettre leur confiance." (La Table, Il). L'autre explication rapportée par les mêmes
exégètes serait la tentative d'assassinat du prophète par un Arabe bédouin. Toujours
55 _ Il est intéressant de souligner l'exégèse et la cause de la descente du verset coranique
suivant: "Ô les croyants! Rappelez-vous le bienfait d'Allah à votre égard, le jour où un groupe
d'ennemis s'apprêtait à porter la main sur vous (en vue de vous attaquer) et qu'li repoussa leur
tentative ... " (La Table, 12). En effet, Ibn Jarir dans son exégèse (T Il, p. 146) et Ibn Kathir dans son
exégèse (T Il, P. 31) rapportent que ce verset est descendu pour relater la tentative d'assassinat du
prophète par Banu an-nadir. Ceci afin de montrer la référence au Coran pour expliquer les évènements
historiques.
56 _
Hadith 3004
28
est-il que la tentative d'assassinat par les Banu an-nadir est considérée elle aussi
comme une cause de la déportation de la tribu juive en dehors de Médine.
Toutefois, le principal épisode dans la série des tentatives d'assassinat du
prophète, reste l'empoisonnement de ce dernier, après la conquête de Khaybar par
une femme juive. Cette dernière a offert à Mahomet un mouton rôti mais empoisonné.
Le prophète en a mangé un morceau et l'a recraché après qu'il a été averti que la
viande était empoisonnée 57 .
Des années après, et à propos de la maladie du prophète: On rapporte ce hadith relaté
par Aicha son épouse: "Au cours de la maladie à la suite de laquelle il mourût,
l'envoyé de Dieu disait: "0 Aicha! Je ne cesse de ressentir la souffrance que m'a fait
éprouver le mets que j'ai mangé à Khaybar. Le moment est venu où mon aorte va se
briser sous l'influence de ce poison".
Après cette brève esquisse des rapports conflictuels entre Mahomet et les
tribus juives de Médine, que l'imaginaire musulman retient, il est important de
signaler que ces tribus elles-mêmes n'étaient pas unies. Au contraire, elles
complotaient même les unes contre les autres et s'entretuaient entre-elles en s'alliant
avec les autres tribus arabes de Médine les Aws et les Khazraj.
57 _ L'affaire de l'empoisonnement est relatée par Boukhârî dans son Sahih (Hadith 5332) et
expliquée par Ibn Hajar AI Asqalani dans "Fath Al Bari, Sharh Sahih Al Boukhari" Edition Beyrouth
1410/1989. T VII. P. 345.
29
Le Coran rllpporte 58 cet événement et l'explication rapportée par Ibn Kathir 59
parle de la guelTe des trois tribus juives de Médine, juste avant l'émigration de
Mahomet à cette ville. En effet, les Banu Qurayza et les Banu an-nadir se sont alliés
à la tribu des Aws, tandis que les Banu Qaynuqaa se sont alliés aux Khazraj. Pendant
cette guerre les Juifs vainqueurs déportaient les autres vaincus et les emprisonnaient.
Une fois la guene finie, les trois tribus juives se sont précipitées pour libérer tous les
prisonniers juifs moyennant de l'argent. Ce qui a étonné les tribus arabes.
On rapporte ici cet épisode souvent omis, de l'histoire des tribus juives de
Médine, car il met en évidence que les alliances ou les ruptures des pactes des tribus
juives médinoises dans leurs rapports avec les Arabes et les Musulmans, ne sont pas
dictées par la dualité (Juif / Arabe) ou (Juif / Musulman), mais relèvent d'intérêts
précis qui peuvent changer d'une alliance à une autre.
Toujours est -il que cette période cruciale de. l'histoire de l'Islam est
fondatrice de l'image des Juifs dans l'imaginaire musulman, qui va la perpétrer
chaque fois qu'il est question de crises et de défaites musulmanes.
Cela étant, avant d'entamer la période de la Fitna, il est adéquat de mettre en
évidence un autre Hadith du prophète qui relate les signes de la Fin des Temps,
formulé ainsi:
58 _ "Et rappelez-vous, lorsque Nous obtÎnmes de vous l'engagement de ne pas vous verser le
sang, [par le meurtre] de ne pas vous expulser les uns les autres de vos maisons. Puis vous y avez
souscrit avec votre propre témoignage. Quoique ainsi engagés, voilà que vous vous entretuez, que
vous expulsez de leurs maisons une partie d'entre vous contre qui vous prêtez main forte par péché et
agression. Mais quelle contradiction! Si vos coreligionnaires vous viennent captifs vous les rançonnez
alors qu'il vous était interdit de les expulser (de chez eux). Croyez-vous donc en une partie du Livre et
rejetez-vous le reste? Ceux d'entre vous qui agissent de la sorte ne méritent que l'ignominie dans cette
vie, et au Jour de la Résurrection ils serons refoulés au plus dur châtiment, et Allah n'est pas inattentif
à ce que vous faites. " (La Vache, 84-85).
59 _ il est utile de rappeler que dans l'exégèse donnée par Qortobi et Tabari, il n'est pas question
de des tribusjuives de Médine, mais plutôt de Juifs au temps de Moïse.
30
Le Prophète a dit: "L'Heure Suprême ne se dressera que lorsque les Musulmans
combattront les Juifs et les tueront. Lorsque le Juif se cache derrière un rocher ou un
arbre, celui-ci dira: "Ô Musulman esclave d'Allah, un Juif se cache derrière moi
viens le tuer". Seul un arbre épineux de Jérusalem "Al Gharquad» gardera le silence
car il fait partie des arbres des Juifs',6O.
Ce Hadith célèbre, alimente encore plus l'imaginaire musulman sur la guerre infinie
entre les Juifs et les Musulmans, et le rend plus penché vers l'interprétation de
l'histoire à partir du prisme du complot juif.
Il était question dans ces paragraphes de mettre en évidence des récits
coraniques sur les intrigues des Juifs contre leurs prophètes et aussi contre les
Musulmans de la société médinoise. Ainsi que les confirmations de la Sunna du
prophète Mahomet sur le rôle comploteur des Juifs dès les premiers temps de l'Islam
contre la nouvelle religion et son prophète, ainsi que l'Etat musulman encore
embryonnaire.
Ceci étant considéré, qu'en est-il de la Grande Discorde (Fitna) en Islam et derrière
elle se dessine- t- il une conspiration juive eUou persane?
2.2) La Fi/na (Grande Discorde) : crise interprétée à travers le prisme du complot
L'histoire politique musulmane retient que le concept de l'Umma repose sur
l'idéal social homogène où toute divergence est dénoncée et attribuée à une
interférence étrangère suspecte. Ce qui peut expliquer le développement de la théorie
du complot dans la culture arabo-musulmane, depuis la Fitna. Quid de cette période
cruciale en Islam?
60 _ Ce
hadith est unanimement reconnu comme authentique rapporté par Muslim.
31
2.2.1) Contexte historique de la Fi/na:
Toutefois, avant d'entamer cette période qui a pris naissance avec l'assassinat
du troisième calife Othman en 656, il est important d'esquisser un autre assassinat, lui
aussi a été expliqué à travers le prisme du complot. .. c'est celui du second calife
Omar en 644.
Assassinat d'Omar en 644... :
L'histoire arabo-musulmane est fondée sur les schismes survenus en Islam.
Mais l'événement essentiel et fondateur des divergences politiques et idéelles est la
Fitna ou la Grande Discorde. En effet, cette période de crises politico-religieuses
survenues sous le califat61 d' Ali (de 656 à 661) a beaucoup porté atteinte l'Unité de la
communauté musulmane, qui a été visée par le prophète Mahomet, assurée par lui de
son vivant, et continuée par les deux premiers califes de l'Islam Abou Bakr et Omar.
Cette période en effet "fut une époque matrice parce qu'elle suscita les grandes
divisions de l'Islam en sunnisme, shi 'isme, kharijisme, immédiatement ou à plus ou
moins longue échéance. ,,62.
Toutefois, les antécédents historiques du complot remontent à une période
ultérieure aux événements liés à la Fitna. En effet, l'assassinat politique du deuxième
61 _ Le califat est une institution née après la mort du prophète en 632. Quatre Califes se sont
succédés (Abou Bakr, Omar, Othman et Ali) (632-660). Après, la monarchie a été instaurée en Islam
avec la dynastie des omeyyades (661-750), celle des abbassides (750-1532) celle des ottomans (1532­
1924).
62 _ Djaït, Hichem. La Grand Discorde: Religion et politique dans ['Islam des origines. Paris.
Editions Gallimard. 1989. P 9
32
calife Omar en 644 reste un événement charnière dans l'histoire de l'Islam 63 . Le
calife Omar a été assassiné par un esclave d'origine perse (Fayrouz Abou 10 '10 'a),
après la défaite de l'empire perse devant les armées musulmanes. L'assassinat était
facile pour plusieurs raisons, dont:
Le
calife
Omar
détestait
aVOIr
une
protection
rapprochée:
car
premièrement la culture bédouine ne le permettait pas, secondairement,
elle était une pratique méprisée par Omar lui- même car elle relevait des
empires perse et romain.
La mosquée, où a été assassiné Omar par un couteau, était accessible à
tout le monde même pour les non musulmans.
Cet assassinat était-il un complot juif, chrétien et non musulman, comme le
veut tout un courant de la littérature islamiste traditionaliste et activiste?
Le théologien musulman de renom, Ibn Taymya (1263-1328) stipule: "Abou 10 '10 'a
est un infidèle (Kajir) qui adorait le soleil ... il a tué Omar par haine à l'Islam et les
Musulmans ... et par vengeance pour les injidèles, dont Omar a conquis les pays et
tué les dirigeants, et a pris l'argent,t64 On signale ici au passage que le tombeau
d'Abou Lo '10 'a est devenu un sanctuaire en Iran, visité par plusieurs fidèles chiites 65 .
Ce qui légitime l'enracinement de l'idée de la mouâmara, encore plus dans le monde
sunnite. Ibn Taymiya reste laconique sur l'assassinat d'Omar, mais l'essentiel a été
dit dans ce passage.
Toutefois,
d'après
les
diverses
sources
historiques,
il
y
a
eu
un
questionnement sur cette mort d'Omar. Et on peut déceler à travers les histoires
rapportées que plusieurs acteurs avaient un lien (direct ou non), avec cet assassinat.
63 _ Voir entre autres l'ouvrage en arabe de AI-alaoui (Hadi): al-ightial as-syiassi fi al-islam
[l'assassinat politique en islam], markaz ad-dirassat al-ichtirakiat fi al-alam al-arabi. Le Caire. 1988).
P : 201 - 209
64 _
Taymya(Ibn). Minhâj as-sunna an-nabawiyya. Beyrout. Dar al-koutoub al-' ilmya T. 6. Pp
370-371.
65 _
Les chiites, en leur majorité, n'acceptent ni le califat d'Omar ni celui d'Abou Bakr.
33
En effet, Abderrahmane le fils d'Abou Bakr (Premier calife de l'Islam), atteste qu'il a
vu la veille du crime, Abou 10 '10 'a, avec deux autres personnes: un dénommé Al
Hormozan, gouverneur perse et un grand général qui a eu l'autorisation d'Omar, de
résider à Médine, quand il s'est converti, et un dénommé Jofayna, un esclave chrétien
résident lui aussi à Médine. Ces trois personnages, selon le récit d'Abderrahmane Ibn
Abou Bakr, parlaient à voix basse, quand ils ont vu Abderrahmane, ils ont paniqué et
le couteau avec lequel Omar sera tué le lendemain est tombé. Abderrahmane le vit et
attesta après que c'est le même. Il est évident que cette histoire ne signifie pas qu'il
s'agit d'un complot, préméditë 6, mais toujours est-il qu'il est retenu que le complot a
bel et bien été monté contre le calife Omar.
Il est un autre facteur qui a été lui aussi mis en lumière dans ce "complot".
7
C'est celui de la conspiration juive. En effet Tabari rapporte dans son Histoiré que
Kaab al-Ahbar68 , un Juif converti, avait prédit la mort d'Omar trois jours auparavant.
Ce qui le relie à la conspiration, puisqu'il savait qu'on allait assassiner le calife.
Cela étant, on peut dire que la mort du calife Omar répondait à des intérêts
socio-économiques plus qu'idéologiques. En effet, la politique d'Omar sur le plan
interne et concernant le partage des biens gagnés par les Musulmans lors de leurs
conquêtes 69, était plus équitable, surtout après que les signes de l'aisance et de
66 _ On signale qu'il pe!lt s'agir d'un complot, comme d'autres dans toute l'histoire de
l'humanité, mais ce qui nous concerne c'est quand ce meurtre est devenu un exemple type du complot
perso-judéo-chrétien contre l'islam
67 _
Tabari. L'histoire des nations et des rois. T IV. Beyrouth. Dar al-kutub al-' ilmya. 1987, p
191
68 _ Kaab était un luifdu Yémen, venu à Médine pendant le califat d'Omar. Il était Rabbin et il a
déclaré sa conversion à l'Islam et a résidé à Médine jusqu'au califat d'Othman. Voir TABARI. Op cit,
P 191.
Ces biens peuvent être divisés comme suit:
- Fay'e: Butin constitué par les biens des non-musulmans vaincus et qui ont été acquis
ou dont on s'est accaparé, mais sans guerre.
- Ghallima: Butin constitué par les biens des non-musulmans vaincus lors d'un
combat, en faveur des combattants musulmans.
- Jizia.' La capitation est un impôt versé par les non-musulmans qui vivent en terre
d'islam ou les dhimmis (protégés). Son équivalent la zakat
69 _
34
l'opulence sont apparus chez plusieurs de ses lieutenants dans d'autres contrées. Ce
qui défavorisait l'aristocratie qoraïchite 70, qui a eu l'habitude de profiter plus de
l'argent de bayt al-mal 7f .
En d'autres termes, l'assassinat du calife Omar faisait l'affaire de plusieurs acteurs
(aristocratie qoraïchite, activistes perses et autres). Et même si ces différents acteurs
n'ont pas participé directement à son meurtre, ils se sont débarrassés chacun de son
côté, d'un calife qui les dérangeait. Ce qui prouve le caractère réducteur et simpliste
de l'accusation rapide d'un bouc émissaire: juif ou persan.
... et celui d'Othman en 656 :
A la mort d'Omar, et l'avènement du troisième calife Othman à partir de 644,
les signes de richesses ont réapparu une fois encore chez l'aristocratie de sa famille
Banu Umayya 72. Les membres de cette dernière ont vite connu une ascension, aussi
bien dans les affaires politiques (avec des contrées et des villes nouvellement
conquises à gouverner), que dans les affaires économiques (comme ordonnateurs de
budget ou grâce aux activités commerciales facilitées par leur appartenance ou leur
rapprochement du calife Othman). En fait ces deux déterminants (la tribu et le butin)
selon les termes d'Al Jabri
73
,
ont activement joué à attiser la colère de plusieurs voix
qui assistaient impuissantes et surtout pauvres à cette ascension. Ce qui a poussé
- Kharâj : C'est un impôt foncier sur les terres des dhimmis.
... etc.
Pour plus de détails sur le système fiscal musulman, voir Aoun, Sami. Mots clés de l'islam. Montréal.
MEDIASPAUL 2007. Pp 69-70
70 _
Tabari. L'histoire des nations et des rois. T Il. Beyrouth. Dar al-kutub al-'ilmya. 1987. P 679
71 _
littéralement maison d'argent: la trésorerie générale.
72 _
Grande famille de la grande tribu de Qoraïch.
73 _ Voir labri (AI), Mohamed Abed. Al- 'aql al-siyâsÎ al- 'arabî: muhaddidâtuh wa tajalliyâtuh
[La raison politique arabe. Déterminants et manifestations]. Op cit. p 168
35
plusieurs troupes rebelles, venues d'Irak (de Kufa et Bassora) et d'Égypte, à assiéger
Othman à Médine et à l'assassiner.
Il n'est pas du ressort de ces lignes d'esquisser le meurtre du Calife Othman74 .
Mais il est utile de signaler que les insurgés, ayant assiégé la résidence de ce Calife,
étaient des Musulmans et parmi eux Muhammad Ibn Abi Bakr75 . Pourtant, il ya un
nom et un groupe qui apparaissent dans les ouvrages historiques, comme les
fomenteurs de l'assassinat du calife Othman Ibn Affane. Il s'agit de : Abdallah Ibn
Sabaâ, un Juif yéménite converti à l'Islam au temps d'Othman 76 . Le groupe est la
Saba 'iyya, secte qu'Ibn Sabaâ aurait fondée, autour de l'adoration excessive d'Ali Ibn
Abi Taleb, gendre du prophète et quatrième calife de l'Islam. D'ailleurs, l'apparition
du chiisme est attribuée à ce personnage diabolisé.
En effet, Tabari, lui même rapporte qu'après la mort d'Othman les insurgés bédouins
étaient menés par la secte d'Ibn Sabaâ77 . Mais cela étant et comme l'atteste un des
pionniers contemporains de la pensée èritique de cette période, Taha Hussein 78 , il est
très difficile de croire que la communauté musulmane se laisse manipuler par un seul
homme aussi intelligent qu'il soit. Taha Hussein avance aussi "qu'imputer tous ces
événements à un seul homme, ne peut être accepté par la raison, et l 'histoire ne peut
74 _ pour plus de détails, veuillez se reporter à l'ouvrage déjà cité de Hichem Djaït, la Grande
Discorde. Pp 138-155.
75 _ Fils d'Abou Bakr compagnon du Prophète et frère de sa femme Aicha, Une controverse est
survenue sur la participation de Muhammad Ibn Abi Bakr au meurtre d'Othman, et si les références
historiques avancent qu'il n'a pas participé directement au meurtre, il est retenu qu'il a maltraité
Othman avant son assassinat par d'autres insurgés, A ce sujet voir Ibn al Athir. Al-Kamil fi al-Tarikh
[L'histoire complète]. Damas. Dar al-fikr. 1978. T III. Pp 72-75. Tabari, tarikh al-oumam wa al
moulouk. L'histoire des nations et des rois. Beyrouth. Dar al-kutub al-'ilmya. 1987. TV. Pp. 125 et
131-132. Ibn Saad. at-tabaqat al koubra.. Beyrouth. Dar al-koutoub al- 'ilmyia. 1998. Till. PSI
76 _ on va revenir plus en détails dans la section qui suit, sur ce personnage hissé au rang du
mythe concernant les complots qu'il aurait fomenté durant toute la période de la Fitna.
77 _
Tabari. tarikh al-oumam wa al moulouk.. Op cil. T II. P 702
78 _ Hussein, Taha. al fitna al koubra - Othman [La Grande Discorde - Othman]. Tome 1. Le
Caire. Dar AI-maarif. 1998. P 134
36
être étudiée de cette façon 1179. En fait, sans le dire expressément, Taha Hussein parle
de la mentalité du complot qui articule ce genre de lecture de l'histoire et se dressant
comme une pierre d'achoppement au sens critique et la lecture sensée des
éventements historiques.
Bataille du Chameau (ma'rakat afjamal) en 656 :
Ali Ibn Abi Taleb est proclamé calife, après avoir été sollicité par les
Médinois, le jour même de la mort de son prédécesseur Othman en 656. L'investiture
d'Ali a été controversée par les compagnons les plus proches de Mahomet,
notamment par Aïcha, l'épouse du prophète, et ses deux célèbres compagnons Talha
et Zubayr. Il y a plusieurs facteurs qui expliquent la désobéissance de ces derniers au
nouveau calife. En effet, Ali était connu par son ascétisme et son rigorisme, qu'il
appliqua une fois au pouvoir. Et parmi ses premières démarches, il y avait le renvoi
des gouverneurs qui étaient proches de Othman et qui se sont emichis juste parce
qu'ils appartenaient à Banu Umayya. Or Talha et Zubayr faisaient partie de
l'aristocratie qoraïchite SO , et avaient sérieusement peur de l'attitude rigoriste d'Ali.
Du coup, ils n'ont accepté son investiture que "sous l'empire de laforce"s,. De plus,
Talha et Zubayr n'ont pas été nommés par Ali dans des postes de gouvernance
comme ils l'espéraient.
79 _
Hussein, Taha. Ibid. p 134
80 _ Ibn Kathir dans al biadaya wa nihaya rapporte entre autre que Zubayr avait 1000 esclaves
qui lui payaient le kharaj. Et en plus de son commerce il bénéficiait de la rente de Bayt al-mal. Quand
à Talha il avait selon Ibn Saad dans at-tabaqat al koubra, sa fortune égalait 100 sacs de cuir, dont
chacun peut porter environ 300 kilos de pièces d'or. Ce.qui est énorme pour l'époque.
81 _
Djaït, Hichem La Grande Discorde. Op cil. P 182.
37
Concernant Aicha, les sources rapportent sa querelle avec Ali depuis "hadeth
arifk:~2 (l'événement de la calomnie), en plus du retard d'Ali pour investir Abou Bakr
le père d'Aïcha comme premier calife. Toujours est-il que le point de désaccord qui
fut levé par les trois principaux opposants d'Ali, Aïcha, Talha et Zubayr, est la
vengeance d'Othman, pour réparer l'injustice commise sur le troisième calife, ainsi
que dresser un procès pour les tueurs et les exécuter même s'ils sont nombreux. Ce
qui ne fut pas fait par Ali. Les opposants sont allés même jusqu'à accuser Ali de
connivence avec les tueurs.
Les conséquences de la bataille étaient comme suit: la victoire d'Ali, le meurtre de
Talha et Zubayr, et la capitulation d'Aïcha avant de recevoir le pardon d'Ali. Elle
retournera définitivement à la Mecque pour y vivre jusqu'à sa mort.
La bataille du Chameau est un événement majeur, retenu par l'imaginaire
musulman. Elle a opposé des compagnons du prophète, à qui cet imaginaire
n'accorde que les bonnes actions. Dans cette bataille, il y avait a fortiori, un fautif et
un autre sur la bonne voie. Alors que l'imaginaire musulman (surtout sunnite, car les
chiites sont du côté d'Ali, quoiqu'il en soit), retient que tous les compagnons du
prophète sont sur la bonne voie, surtout s'ils font partie des dix hommes promis au
Paradis (moubacharine bi aljanna)83. Comment la conscience musulmane a atténué
ce paradoxe? Cette question ouvre sur une autre, quel rôle a été donné à Abdallah Ibn
Sabaâ une fois encore dans cette bataille?
82 _ dit aussi hadithat Zina Aïcha (adultère d'Aicha), au cours duquel l'épouse du prophète fut
soupçonnée d'adultère avec un compagnon du prophète nommé Safwan Ibn Almu'attal. Demandant à
Ali son avis, ce dernier conseilla au prophète de la répudier. La suite des événements alla plus vers
l'innocence d'Aicha. Jusqu'à ce que le Coran tranche, après un mois, dans cette polémique et
innocente de façon définitive Aicha, en vertu du verset suivant: "Ceux qui lancent des calomnies sur
des femmes mariées inattentives mais croyantes seront maudits en ce bas monde et dans l'au-delà. Et
ils auront un énorme châtiment" (La lumière, 23).
83 _ qui sont selon un hadith du prophète: ABU BAKR; ÔMAR IBN EL KHATAB; UTHMAN;
ALI IBN ABI TALlB; TALHA IBN OUBEYD ALLAH; ABD EL RAHMANE IBN AOUF; SAID
IBN ZAYD; SAAD IBN AB! WAKASS; EL ZOUBAYR IBN EL AWAM; ABU OBEYDA IBN EL
JARRAH.
38
Le rôle attribué à Abdallah Ibn Sabaâ dans cette crise se résume à la mise en échec
des pourparlers de paix qui se sont déroulés avant le déclenchement des hostilités,
entre Ali et Aicha.
Il faut signaler ici que l'histoire du complot d'Ibn Sabaâ dans l'attisement de
la haine entre les belligérants à l'insu d'Ali et d'Aïcha, est rapportée par Tabari dans
son Histoire, se référant à un seul rapporteur Say! ibn Omar. Même Ibn Khaldoun,
réputé précurseur dans l'analyse historique reprend dans son livre d'histoire, les
événements de la Bataille du Chameau et le rôle d'Ibn Sabaâ, en les résumant à partir
du livre d'histoire de Tabari. Ibn Khaldoun ajoute qu'il fait confiance à cet
historien
84
.
Ceci sans pour autant les confronter avec d'autres sources qui ne font pas
référence à ce rôle d'Ibn Sabaâ.
Historiquement c'est avec la Bataille du Chameau que se termine le rôle comploteur
d'Ibn Sabaâ. Dans les crises qui surviennent après, la Bataille de Siffin en 657 entre
Ali et Muawiya, l'assassinat d'Ali par les KharUites en 661, ce rôle n'a pas été mis en
évidence dans les ouvrages de l'histoire. Ce qui a poussé Taha Hussein à nier
l'existence d'Ibn Sabaâ, dans sa seconde partie de son livre sur cette période
85
.
Ibn Sabaâ précurseur du chiisme?
Un autre rôle donné par l'Islam sunnite à Abdallah Ibn Sabaâ, c'est sa
responsabilité dans la création du chiisme. Certes, comme il est rapporté dans
plusieurs ouvrages sur les sectes en Islam 86 , Abdallah Ibn Sabaâ a appelé à l'Amour
84 _ Ibn Khaldoun. Kilâb al-'Ibar [Livre des Exemples]. Le Caire. Lajnat al-bayan al-arabi.
1958. T II. P 425.
85 _ Hussein, Taha. Al-fitna al-koubra - Ali wa Banouh [La Grande discord -Ali et ses fils].
Tome II. Le Caire. Dar Al ma'arif. 1998. P 98.
86 _ Voir notamment al-Shahrastani. Kitâb al-Mi/al wa al-Nihal (Livre des religions et des
sectes). T l Beyrouth. Dar al-ma'rifa. 1993. P 204-205. Et al Noubakhti. Firaq a-chi'a [Les sectes
chiites]. Le Caire. Dar ar-rachad. 1992. P.32
39
excessif d'Ali jusqu'à la sacralisation de la personne de ce dernier. Mais est-il besoin
de rappeler que si la personnalité d'Ali est très respectée dans les courants chiites qui
ont survécu jusqu'à présent (chiisme duodécimain, chiisme ismaélien ... etc.), cela n'a
rien à voir avec les excès d'Ibn Sabaâ et ses disciples. D'autant plus que les
références chiites (et même certaines autres sunnites), parlent du chiisme comme
courant né au temps même du prophète, avec notamment les compagnons de ce
dernier: Abou Dhar al-Ghifari 87 , Ammar Ibn Yasser88 et Salman al-Farissi 89 .
Cela étant considéré, il apparaît que la création du personnage d'Ibn Sabaâ, et
surtout son rôle trop prépondérant dans les références sunnites, est venue pour alléger
la souffrance posée à l'imaginaire ou la conscience musulmane. Cette dernière reste
incapable d'accepter que des compagnons du prophète soient descendus de leur
piédestal, après avoir été hissés au rang des Saints qui ne peuvent se tromper, ni
défendre leurs intérêts économiques et politiques personnels. D'où un tiraillement
dans la conscience collective musulmane entre la pureté des personnages et les
réalités de leur vécu.
2.2.2) Abdallah Ibn Sabaâ entre mythe et réalité: Le bricolage narcissique
Le personnage d'Abdallah Ibn Sabaâ a suscité une grande controverse entre
les chercheurs et historiens de la pensée arabo-musulmane, jusqu'à maintenant.
D'aucuns estiment qu'il a réellement existé et fomenté tous les complots contre la
87 _ considéré comme l'ancêtre du socialisme islamique, car il détestait le luxe survenu au
temps d'Othman. Il serait exilé dans le désert où il allait vivre en solitude. "Par son exil (. ..) Abou
Dhar allait magnifiquement témoigner de son refus de la richesse. De son amour de la justice et de la
fraternité, de sa tendresse pour les pauvres", selon les termes de Hichem Djaït. Op cit. P 99. AI
Noubakhti. Op cit. p 28.
88 _ Un des compagnons de Mahomet qui a assisté avec lui à toutes ses guerres. Il a été nommé
par Je calife Omar comme gouverneur à Koufa en Irak. Dans, la bataille de Siffin en 657 entre Ali et
Muawiya, où il sera tué, Amar s'est rangé dans le camp d'Ali.
89 _ L'un des compagnons du prophète Mahomet, d'origine perse. Il est célèbre pour avoir
conseillé à Mahomet de creuser un fossé autour du camp des musulmans pendant la Bataille du Fossé
en 627, afin de se protéger contre la cavalerie qoraïchite.
40
nation musulmane. D'autres soutiennent au contraire que c'est un personnage de
fiction, crée pour mettre en évidence la pureté et la "sainteté" des compagnons du
prophète, et montrer que les maux de l'Islam ne sont pas dus aux antagonismes
politiques et rivalités économiques entre les compagnons du prophète, mais
proviennent des complots de l'Autre. Le personnage d'Abdallah Ibn Sabaâ s'est avéré
90
et s'avère toujours , une échappatoire ou un paravent pour celer les raisons de la
Grande discorde et du coup les difficultés épistémiques, politiques et morales dont
souffre cet imaginaire. Qu'en est-il de ce personnage entre le mythe et la réalité?
Pour essayer de répondre à cette question, il faut signaler que tous les écrits
sur le personnage d'Ibn Sabaâ, se basent sur les récits transmis par un certain Say!
Ibn Omar at-Tamimi, que Tabari et autres historiens 9! qui sont venus après, ont pris
en considération. Say! Ibn Omar parle d'Ibn Sabaâ, dans ce que rapporte Tabari,
comme un Juif de Sanaâ, de mère noire, converti à l'Islam au temps d'Othman et qui
voyagea dans les contrées musulmanes, en essayant de corrompre les Musulmans. Il a
commencé par le Hîjaz, ensuite Bassora, Kufa et le Cham 92 . Il aurait été à la base
d'idées bouleversantes comme la résurrection du prophète de Mahomet et son retour
(rij'a), et aussi la légation du prophète à Ali de sa mission (wassiyya)93. Tabari
continue, selon Say! Ibn Omar, qu'après un séjour au Cham (Damas actuel et ses
90 _ En effet plusieurs ouvrages récents mettent plus en évidence le rôle d'Ibn Sabaâ dans les
événements de la Fitna. Par exemple on peut citer Solaimane al-'Oda. Abdalla Ibn Sabaâ wa daoroho
fi ahdath al Fitnafi sadr al-islam [Abdalla Ibn Sabaâ et son rôle dans les événements de la Fitna aux
premiers temps de l'Islam]. Arabie Saoudie. Dar Tiba. Sd. 270 pages.
91 _ Tel Ibn Khaldoun qui met dans ses prolégomènes
Sayf Ibn Omar au rang des "grands
historiens". Cité par Hichem Dja'it, Dja'it, Hichem. La Grand Discorde: Religion et politique dans
l'Islam des origines. Op cit. p 174.
92 _
Tabari. tarikh al-oumam wa al moulouk. Op cit TIl. P 647
9J _ on voit bien le rapprochement sur ce dernier point ave le courant chiite en islam. Le chiisme
se réclame du droit et de la légitimité de la famille du prophète Mahomet (ahl al bayt), surtout d'Ali
son gendre, et ses descendants, pour prendre les commandes de la communauté. L'opposition
fondamentale entre sunnisme et chiisme tient à la question du droit incontestable d'Ali à la succession
du Prophète.
41
environs), où il n'a pas pu mettre en marche son plan et où il a été sorti par les
habitants de cette contrée.
Ibn Sabaâ va s'établir ensuite en Egypte, pour prêcher la vénération et le culte
d'Ali. Selon Tabari
94
,
il a réussi à rassembler des disciples autour de lui, qui sont
partis dans les autres contrées pour répandre son appel. Leur but, selon le récit de
Sayf, était de préparer la révolte contre Othman et ses gouverneurs. Sans oublier
qu'ils opéraient en cachette et montraient le contraire [l'Islam] de ce qu'ils pensaient
[la haine aux Musulmans]. Le récit de Sayf mettait plus l'accent sur l'antipathie d'Ibn
Sabaa à l'Islam. Ce qui laisse entendre que cette position vient de son statut ancien de
Juif, converti pour ruiner l'Islam de l'intérieur. Néanmoins, il est une autre
explication de la haine d'Ibn Sabaâ à Othman, donnée par l'historien persan Mir
Muhammaddans ben Khawand, dans son ouvrage célèbre jardins de la pureté sur la
biographie des prophètes, des rois et des califes, écrit en 1417. Sans nier l'existence
d'Ibn Sabaâ, Khawand avance que la haine de ce dernier envers le calife Othman,
provient du fait qu'Ibn Sabaâ en arrivant à Médine, s'attendait à ce qu'il soit bien
reçu par le calife et le prendre sous son aile. Ce qui ne fut pas fait. Ibn Sabaâ a quitté
Médine pour aller préparer ses complots contre le calife 95 .
Il est bien évident que le rapprochement peut être fait entre cette secte
saba 'yia et le chiisme. Elle est même présentée par les historiens sunnites comme
précurseur du chiisme, surtout concernant la question de la taqyyia
96
.
Toujours est-il que l'histoire rapportée par Sayf sur Ibn Sabbaâ lui donne un
autre rôle non moins prépondérant. C'est celui d'inciter Abou Dhar al-Ghifari un
94 _
Tabari. tarikh al-oumam wa al moulouk. Op cit TIL P 647
95 _ Cité par Ali Chabbi. Mabahit fi 'ilm al-kalam wa al-falsafa [axes de recherches dans le
Kalam et la philosophie]. Beyrouth. Dar al-kitab al-jadid al mouttahida. 2002. P 20.
96 _ Dissimulation de l'appartenance à une secte pour échapper à des persécutions de l'État qui
était majoritairement sunnite, surtout aux temps des Omeyyades.
42
compagnon du prophète proche d'Ali Ibn Abi Taleb, à se rebeller contre Muawiya
alors gouverneur de Damas depuis 638.
Cette histoire souffre du manque de crédibilité, pour plusieurs raIsons:
premièrement, on imagine mal comment un compagnon du prophète comme Abou
Dhar al-Ghifari se laisserait influencer par Ibn Sabaâ. Lui qui est considéré comme
l'un des plus grands sahaba. Deuxièmement, l'histoire retient que devant les critiques
d'Abou Dhar contre Muawiya et son mode de vie luxurieux, ce dernier a exilé Abou
Dhar, après l'autorisation du calife Othman, sans pour autant prendre des mesures
contre Ibn Sabaâ, qui est selon le récit rapporté par Say! Ibn Omar l'incitateur de la
révolte contre Othman et ses gouverneurs. Ce qui pousse à se demander même si ce
personnage avait existé, il n'aurait pas ce rôle prépondérant dans les événements de la
FUna, vu les raisons qu'on vient d'évoquer. En sus, même s'il avait cette attention, il
n'aurait pas réussi si le terrain n'était pas propice et les sentiments de
mécontentement et de protestation contre l'enrichissement rapide d'une aristocratie
proche d'Othman, et l'appauvrissement d'une masse musulmane qui touchait de
moins en moins ses dus de Bayt al-Mal.
Il faut retenir que plusieurs penseurs et intellectuels arabo-musulmans
contemporains ont catégoriquement nié l'existence d'Abdallah Ibn Sabaâ 97 . D'autres
ont accepté son existence en niant son rôle de juif comploteur contre l'Umma.
D'autres par contre, ont réitéré leur soutien à la thèse du complot et le rôle d'Ibn
97 Avant de discuter leurs idées, il est utile de rappeler que le point qui reste essentiel dans tous
ses débats c'est ('accusation de Say! Ibn Omar d'être un faible ou un mauvais transmetteur de Hadiths.
Même si cela ne diminue pas de sa qualité de rapporteur de récits historiques, étant donné que les
sciences du hadith utilisent d'autres critères de vérification que ceux du récit historique. Toujours est-il
qu'il a été accusé de mensonge et de faiblesse comme rapporteur de tradition.
43
Sabaâ dans les événements de la Fitna. On se contente d'évoquer les grandes lignes
de l'ouvrage du cheikh saoudien Sulaiman al-'Oda 98.
Après avoir consacré, le premier chapitre de son ouvrage à la société
musulmane, depuis le meurtre du calife Omar, et les conséquences de cet événement
sur la communauté musulmane, Sulaiman al-'Oda esquisse dans le second chapitre,
une biographie d'Ibn Sabaâ. Il se base principalement sur les récits de Say! Ibn Omar
et autres historiens sunnites et chiites ainsi que les écrits des orientalistes. Dans le
troisième et quatrième chapitres, al-'Oda impute tous les événements de la Fitna au
seul Abdallah Ibn Sabaâ, du meurtre d'Othman, jusqu'à la bataille du Chameau.
Dans ses chapitres le mot mouamara (complot en arabe) est utilisé plusieurs
fois. Dans le cinquième, il étend la notion du complot chez tous les disciples d'Ibn
Sabaâ. Il faut ajouter que l'auteur saoudien a consacré une partie 99 pour les
orientalistes qui ont affirmé l'existence d'Ibn Sabaâ, entre autres Reynlod Allen
Nicholson et Ignaz Goldziger. Mais encore faut-il ajouter que ces orientalistes, même
s'ils n'ont pas nié l'existence d'Ibn Sabaâ, ils ne lui ont pas donné une grande
importance dans les événements tragiques de la Fitna.
Toujours est-il que l'ouvrage du saoudien Sulaiman al-'Oda a pour principal
objectif de confronter les écrits sur Ibn Sabaâ et les comparer. Ce qui n'est pas le cas
par exemple d'un autre professeur de l'université islamique d'Al-Madina al­
Mounawwara en Arabie saoudite. Dans son ouvrage 100 Saad al-Hachimi, postule dans
un premier temps que les auteurs musulmans qui ont nié l'existence d'Ibn Sabaâ,
98 _ AI-'Oda, Sulaiman Ahdalla Ibn Sahaâ wa daoroho fi ahdath al Fitna fi sadr al-islam
[Abd alla Ibn Sabaâ et son rôle dans les événements de la Fitna aux premiers temps de l'Islam]. Arabie
Saoudie. Dar Tiba. Sd
99
-Ibid, pp 62-72
100 _ Hachimi (AI), Saad. Abdallah Ibn Sahaâ: haqiqa la khayal. Abdallah Ibn Sabaâ une réalité
non un mythe. AI-Madina al-Mounawwara. Maktabat ad-dar. 1986.
44
tiennent leurs idées de certains orientalistes, notamment Bernard Lewis et Julius
Wellhausen 101 . Il prend comme premier exemple l'écrivain Taha Hussein 102 .
AI-Hachimi entame sa critique de Taha Hussein en avançant que ce dernier
écrit pour plaire à ses maîtres
thèse d'Hussein
104
,
103
orientalistes. Et avant d'essayer de répondre à la
l'auteur dénigre la personnalité du Doyen des Lettres Arabes, en
le taxant de comploteur lui aussi contre l'Umma musulmane J05 . Et tout en essayant de
relier Taha Hussein aux Juifs égyptiens fondateurs du parti communiste égyptien
106
,
AI-Hachimi avance, pour corroborer son idée que Taha Hussein fait partie du complot
sioniste contre les Musulmans, que la première thèse de doctorat dirigée par Hussein
à la faculté des Lettres de l'université du Caire en Egypte, était soutenue par Israël
Wolfensohn sous le titre de "Les tribus juives d'Arabie"lo7. L'auteur saoudien ajoute
que Taha Hussein a tout fait pour que le rabbin juif Chaim Nahum, devienne membre
de l'Académie de la Langue Arabe
/1
moujamaâ al-Iogha al-arabyia
1/
en Egypte, en
1923. Cela, avance AI-Hachimi, pour que le Rabbin espionne les Ulémas et les
penseurs arabo-m usulmans J08 .
lOI _
Ibid, pp 2-3
102 _ on verra ultérieurement comment et pourquoi Taha Hussein nie l'existence d'Ibn Sabaà et
son rôle comploteur, mais dans ce paragraphe on se contente de voir comment Saad Hachimi (AI) a
abordé la thèse de Hussein sur cette question.
103 _
-Hachimi (AI), Op cil, p 3
104 _ Il faut préciser que c'est la même thèse tenue contre Taha Hussein par al-'Oda et autres
intellectuels islamistes, dont on traitera les critiques dans les paragraphes ultérieurs
105 _
Hachimi (AI), Op cil, p 4
106 _ ce qui paraît vraiment étrange étant donné que Taha Hussein était plus proche des libéraux
(surtout le parti des libéraux constitutionnalistes" Hizb al-Ahrar ad-douslouryinne" qui l'ont soutenu
quand il a écrit son ouvrage controversé fi ach-chi'r al'jahili [de la poésie préislamique].
107 _
Hachimi (AI), Op cil, P 4
108 _
Ibid, P4
45
En fait même la nomination des professeurs étrangers par Taha Hussein à
l'université du Caire, devient un complot contre la communauté musulmane 109 . De là,
il déduit d'une façon tranchée que c'est pour cela que Taha Hussein a nié dans son
ouvrage "La Grande Discorde" l'existence d'Ibn Sabaâ et tout son rôle comploteur
contre l'islam 110. Pourquoi Taha Hussein a nié l'existence d'Ibn Sabaâ et tout rôle de
complot de sa part ?
Hussein relit les événements de la Grande Discorde, en intégrant les facteurs
économiques (opulence exagérée, pauvreté outrancière ... etc.) ainsi que le facteur
social du lien tribal, encore très fort au temps de la Fitna, afin d'expliquer les
événements de cette dernière. Il faut préciser que le facteur économique et celui tribal
interviennent dans la plupart des études faites par les penseurs laïcs musulmans, entre
autres Hichem Djaït, AI labri ... etc. Mais il est fondamental de signaler que Taha
Hussein était parmi les premiers à émettre un tel postulat. Et afin de consolider sa
thèse il est allé jusqu'à nier l'existence même d'Ibn Sabaâ.
Toujours est-il que la pierre angulaire de la thèse de Taha Hussein sur Ibn
Sabaâ, est que ce dernier ne figure pas dans les ouvrages de l'historien Al
Baladhur/ Il, et ne figure que dans ceux des historiens qui ont repris le récit de Say!
Ibn Omar 112. Hussein ajoute aussi que l'histoire du bûcher d'Ibn Sabaâ et ses
disciples monté par le calife Ali Ibn Abi Talib, quand il a pris connaissance que ces
derniers l'ont hissé au rang divin, ne figure elle aussi que chez Tabari (d'après Say!
109
-Ibid, P4
110
-Ibid, P 4
III _ Éminent historien musulman du 9ième siècle qui a écrit notamment deux grands ouvrages,
Futuhat al-Buldan (Histoire des conquêtes musulmanes) et les Ansab al-Ashraf (Généalogie des
notables).
112 _ Hussein, Taha. Al-fitna al- koubra - Othman [La Grande DiscordeI - Othman] (Tome 1). Le
Caire. Dar AI-maarif. P [31
46
Ibn Omar toujours)ll3. Alors Hussein conclut que puisque les historiens, ayant parlé
d'Ibn Sabaâ dans leurs ouvrages, se réfèrent tous à Say! Ibn Omar, et puisqu'un seul
homme ne peut comploter contre toute une communauté, ce personnage ne peut être
que fictif et n'ajamais existé
l14
.
Parmi ceux qui ont nié l'existence du personnage d'Ibn Sabaâ, Ali al-Wardi,
dans son ouvrage "Wuaz al-salatin". Al Wardi avance qu'Ibn Sabaâ est un
personnage mythique et n'est autre que le compagnon du prophète Ammar Ibn
Yasser
l15
.
Al Wardi avance plusieurs éléments pour démontrer sa thèse. Entre autres,
qu'Ammar était lui aussi yéménite et de mère noire, comme Ibn Sabaâ. Les
déplacements d'Ammar, surtout en Egypte étaient les mêmes que ceux d'Ibn Sabaâ.
En plus du rôle d' Ammar Ibn Yasser dans la Bataille du Chameau et son amour à
Ali
116
.
En fait, il est un peu difficile de croire qu'Ammar Ibn Yassir et Ibn Sabaâ sont
la même personne, en se basant sur les raisons proposées par al-Wardi. En effet, il
peut s'agir de deux personnes différentes qui répondent aux mêmes critères esquissés
par Al Wardi, sans pour autant, porter atteinte au bon sens ou à la logique moderne
comme le veut Al Wardi. De toute façon, Ibn Sabaâ reste un personnage énigmatique
qui a suscité la curiosité et même l'imagination des chercheurs et intellectuels dans le
champ de la pensée arabo-musulmane.
113 _ Hussein, Taha. Al-fitna al-koubra - Ali wa Banouh [La Grande discord -Ali et ses fils].
Tome II. Le Caire. Dar AI ma'arif. 1998. Pp 98 - 100
114 _
Ibid, p 100.
115 _ Wardi (AI), Ali. Wuaz al-salatin: rai sarih fi tarikh al-fikr al-Islami fi daw al-mantiq al­
hadith [les conseillers des sultans: opinion franche sur J'histoire de la pensée musulmane à la lumière
de la logique moderne]. Baghdad. Dar al maarif. 1954. P 274
116 _
Voir tous ses développements dans Wardi (AI), Ali. Op cit. pp 275 - 278
47
On ne peut omettre de signaler que l'historien actuel Hichem Djaït ne dorme
guère d'importance à Ibn Sabaâ. Djaït en parle en quelques lignes ll7 , en dormant les
deux opinions contradictoires sur son existence, sans pour autant trancher sur la
question et dormer son avis, ni même essayer de confronter les différentes opinions
comme il a fait pour d'autres événements. L'attitude de Djaït reste compréhensible et
hantée par l'idée d'éloigner le spectre de la théorie du complot qui règne dès que le
nom d'Ibn Sabaâ apparaît.
Cela étant considéré, on peut avancer, après ces développements, qu'au-delà
de l'existence (ou non), de ce persormage, l'imaginaire musulman lui retient un rôle
de juif comploteur. Alors que la même position a été tenue par des grands
compagnons du prophète, Ammar Ibn Yasser, Abou Dhar AI-Ghifari, à l'égard du
calife Othman et contre Aïcha dans la Bataille du Chameau, sans pour autant être
taxés de comploteurs contre l'Umma. L'explication de ce "deux poids deux mesures"
est qu'en créant ce rôle de complot, l'imaginaire arabo-musulman a trouvé une façon
d'interpréter l'histoire, faisant en sorte que les compagnons du prophète ne soient
jamais associés à des luttes de pouvoir. Ainsi le complot ne peut venir de l'intérieur,
ou émaner de l'Umma idéalisée, projetée et conçue comme parfaite ou en plénitude,
mais plutôt d'un corps étranger et d'un élément extérieur malicieux. En effet, il est
très difficile, voire impossible pour cet imaginaire d'imputer des erreurs aux
compagnons (as-sahaba) du prophète dits aussi les bons ancêtres (as-sala! as-saleh).
Leur qualité de bon ou saleh signifie leur statut référentiel hissé au niveau des
mentors et des modèles à suivre. Le fait qu'ils avaient le privilège d'être des
Compagnons ou sahaba, les entoure d'un halo de respectabilité, et les immunise
contre les reproches et les critiques.
117 _
140
Djaït Hichem. La Grand Discorde: Religion et politique dans l'Islam des origines. Op cit. p
3)- LA PERSISTANCE DE LA RHETORIQUE DU COMPLOT DANS LE
DISCOURS ARABO-MUSULMAN CONTEMPORAIN
Il a été question de mettre en évidence, dans la partie précédente, les
antécédents historico-religieux de la rhétorique du complot dans l'imaginaire arabo­
musulman, et dans la présente, il s'agit de voir comment certains discours arabo­
musulmans ont renoué avec le complot comme rhétorique pour expliquer les
difficultés et les échecs. En fait cette rhétorique du complot apparaît sérieusement aux
temps des crises.
3.1) critique du discours arabo-musuLman contemporain concernant La
théorie du compLot
Toutefois, avant d'entreprendre l'analyse du discours nationaliste nassérien
sur la notion de la mouamara, ainsi que d'autres discours islamistes pris comme cas
d'étude, il est utile de rappeler un événement historique important, qui a été lui aussi
vu par l'Islam sunnite comme un complot contre l'Umma. C'est la chute de la
capitale du califat abbasside Baghdâd en 1258 entre les mains des Mongols.
En effet, la victoire des armées mongoles sur le calife abbasside a été attribuée
aussi au complot du chiite Mohammed ibn Al-Alqami. Ce dernier était vizir du calife
abbasside Al-Musta 'sim. Ibn Al-Alqami, avec la connivence du savant (d'obédience
chiite lui aussi) Nasreddine Toussi, aurait aidé l'armée de Hulagu, à prendre Bagdad.
Selon Ibn Kathir, le complot d'Ibn A l-Alqami s'est réalisé en trois étapes 118
:
118 _ Ibn Kathir. AI bidaya wa an-nihaya [le Commencement et la fin). T XIII. P 202. L'idée du
complot est confirmée aussi par Ibn Taymyia, connu par son intégrisme sunnite et son animosité contre
les chiites dans Minhaj as-sunna. Tome III. P 38, qui ajoute aussi la connivence de Toussi, non relatée
par Ibn Kathir.
49
Premièrement: il a fait en sorte que l'armée musulmane soit diminuée. Elle
était formée de 100 milles combattants. Le nombre a diminué jusqu'à 10
milles.
Deuxièmement: il a envoyé des épîtres aux Tatars (Mongols), leur expliquant
la faiblesse des armées musulmanes.
Troisièmement: il a déconseillé le combat des envahisseurs de Baghdâd, en
répandant l'idée de la vacuité de se défendre par les armes face aux Mongols.
IL n'est pas du ressort de ces lignes de voir jusqu'à quel point les récits
rapportés par Ibn Kathir et Ibn Taymya, sont vrais. Ce qu'on tient à mettre en
évidence, c'est que la personnalité d'Ibn al-Alqami est devenue le symbole du
complot chiite contre la communauté musulmane sunnite. D'ailleurs, ce nom est
revenu avec acuité dans les discours politiques arabo-sunnites irakiens depuis la chute
de Baghdâd en 2003. L'ex président irakien Saddam Hussein était, parmi les
premiers, à crier au complot chiite. En effet, dans une lettre signée par Saddam
Hussein, publiée par le quotidien londonien arabophone Alquds al arabi
l'ex­
119,
président déchu affirme que la défaite a été causée par la trahison: "A l'instar
d'Hulagu, Bush le criminel est entré à Bagdad, avec l'aide d'Ibn AI-Alqami
l2O
-
et pas
d'un seul Ibn Al-Alqami.. ", Il a ajouté aussi que:" Ceux qui se positionnent contre
l'Irak et complotent contre lui ne trouveront pas la paix de l'appui américain ... ".
De toute façon dans les événements qui suivent, la rhétorique du complot va
alimenter le discours sunnite en Irak surtout celui d'Al Qaïda, cachant un malaise à
comprendre la situation irakienne. Ce discours reprend aussi et surtout les mêmes
119 _
Alquds al arabi (Londres), Je 29 avril 2003
120 _ Il est clair que Saddam faisait référence à Ahmed Chalabi leader chiite du Congrès national
irakien. Ce même Chalabi, lui a été attribué le rôle de servir l'Iran contre les États-Unis dans la guerre
en Irak. D'autres personnages chiites ont été visés par Saddam dans sa lettre comme Kanaan Makia et
même l'Ayatollah Ali AI-Sistani.
50
propos utilisés par les sunnites contre les chiites, lors de la persécution de ces derniers
au temps du calife Al-musta 'sim et même avant.
Après cette brève esquisse d'un des principaux événements de l'histoire
musulmane à la lumière de la rhétorique du complot. Qu'en est-il de cette dernière
dans le discours nationaliste nassérien ?
3.1.1) La Naksa (1967) dans le discours nationaliste nassérien :
La défaite des armées arabes devant Israël en juin 1967, a été sentie dans le
monde arabo-musulman comme une blessure narcissique. Un "petit" pays a mis en
échec le leader panarabe le plus charismatique Gamal Abdel Nasser l2J . Le président
égyptien n'a pas reconnu sa défaite. Et son premier discours historique après la guerre
dite des six jours, dans lequel il a annoncé sa démission 122 , il a fait allusion à un
complot israélo-américano-britannique. En effet, Abdel Nasser a donné une autre
explication de la défaite par les propos suivants: "L'ennemi, que nous attendions à
l'Est et au Nord, nous a attaqués par l'Ouest. Ce fait suffit à prouver que des moyens,
allant bien au-delà de ses capacités propres et de la force qu'on lui connaissait,
avaient été mis à sa disposition". Il a expliqué ensuite comment des avions
britanniques ont attaqué les fronts syrien et égyptien, en plus des opérations de
reconnaissance menées par des avions américains sur des positions égyptiennes.
Il est clair que Nasser, le leader le plus écouté à ce moment par les peuples
arabes, essayait d'expliquer sa défaite rapide et inconcevable à la nation qui
s'attendait à une victoire rapide sur Israël comme cela a été annoncé partout dans les
121
•
- Gamal Abdel Nasser (1918-1970) président d'Egypte de 1954 en 1970. Fondateur de
l'idéologie nassérienne et est considéré comme l'un des grands dirigeants arabes de l'histoire
contemporaine.
122 _ Juste après le discours, des manifestations se sont déroulées dans les rues égyptiennes pour
l'appeler à ne pas démissionner. Ce qu'il a fait d'ailleurs.
51
médias des pays arabes. Ce discours a été suffisant pour fonder la rhétorique du
complot
123
,
pas seulement parmi la masse arabe, mais aussi chez l'élite intellectuelle
qawmiste (nationaliste arabe).
Par ailleurs, le célèbre journaliste et conseiller spécial de Nasser, Muhammad
Hasanayn Haykal a publié plusieurs articles, le lendemain de la Naksa, dans le
quotidien égyptien al-Ahram avançant que la victoire israélienne était le fruit d'un
complot orchestré par les Etats-Unis 124 .
En fait, ce n'est pas la véracité ou non de la thèse du complot qui est
recherchée dans ces lignes 125, mais il faut remarquer que pour prouver une telle
connivence entre Israël, les Etats-Unis et la Grande Bretagne, la logique impose qu'il
faut s'appuyer sur des faits observables
126.
Chose qui était très difficile, voire
impossible les premiers jours qui ont suivi la défaite du 5 juin 1967. Pourtant, on ne
peut omettre de signaler la célèbre discussion téléphonique qui a eu lieu entre Nasser
et le roi Hussein de Jordanie, et rapportée par ce dernier dans ses mémoires. Au cours
de la conversation, Nasser avait l'intention de coordonner avec le roi jordanien pour
faire sortir un communiqué sur la prétendue participation américano-britannique à
cette guerre aux côtés d'Israël. Nasser a demandé à Hussein: " Nous faut-il dire les
123 _ On signale que la rhétorique du complot articulait les propos de Nasser avant la défaite de
1967. Par exemple dans son discours du 26 juillet 1956 en Alexandrie pour annoncer la nationalisation
du canal de Suez lamai Abdel Nasser avance: Les impérialistes ont commencé, à l'aide de leurs
complices et de leurs suppôts, à "ourdir leurs complots et tresser les filets de leurs manœuvres. Et ils
l'ont fait dans chacun des pays arabes
En fait, Nasser jouissant d'un immense prestige dans le
monde arabe cultivait son image de nationaliste arabe qui milite contre le "complot impérialiste".
fi
fi.
124 _
Entre autres AI-Ahram du 23-06-1967.
125 _ En fait le complot aurait pu avoir lieu. Mais ce n'est pas l'objet de la présente recherche. Le
but ici est de voir comment le thème du complot articulait-il le discours nationaliste arabe, surtout
national iste.
126 _ la conversation qui a eu lieu entre Nasser et Le roi Hussein prouve qu'il n'y a pas eu de
vérification des faits, mais on cherchait plutôt à faire répandre le thème du complot à travers le
communiqué.
52
États-Unis et la Grande-Bretagne, ou seulement les États-Unis ?". Le roi a répondu: "
les États-Unis et la Grande-Bretagne
,,127.
Un an après Gamal Abdel Nasser retire ses
propos sur le complot, les attribuant à des informations inexactes fournies par des
généraux égyptiens, démis de leurs fonctions depuis, d'ailleurs 128.
En fait, le thème du complot visant l'Umma, a intégré le discours arabo­
musulman contemporain, surtout nationaliste arabe ou qawmiste (et islamiste après),
depuis le début du XXe siècle. Notamment avec les correspondances 129 MacMahon­
Hussein entre 1915 et 1916, le Sykes-Picot l30 en 1916 et la déclaration de Balfour
l3
!
de 1917. Le discours politique dans l'espace arabe évoque l'existence d'une
conspiration sioniste et coloniale, conçue pour décomposer la "nation arabe" et le
monde musulman, engendrant des guerres civiles et des conflits entre les peuples de
127 _
Talai, hussein Ibn. My "war" with Israël. Ney York. Willam Morrow, 1969, pp 82-83.
128 _ Pasternak, Henri. Juin 1967: le « grand mensonge» qui refuse de mourir. In L'Arche
nO 566, juin 2005. Disponible sur le lien: (page consultée le 11/06/2007), [en ligne], adresse URL:
http://www.nouveau-reac.orgidocs/PHlPH_67.htm
129 _ ces correspondances étaient des lettres entre Sir Henry MacMahon, Haut-commissaire
britannique pour l'Egypte, et le shérif Hussein de la Mecque pendant la période 1915-16. Dans
lesquelles MacMahon propose au shérif l'indépendance du monde arabe, en contre partie celui-ci
devrait aider la Grande Bretagne, en organisant une rébellion contre ['armée ottomane, depuis
l'Arabie.
IJO _ Sykes-Picot est un accord secret entre les gouvernements français et anglais, concernant le
partage de l'Empire ottoman entre les pays alliés de la première guerre mondiale. La Russie et l'Italie
ont accepté les termes de l'accord, qui stipule que la France exercera un contrôle direct sur la plus
grande partie de la Galilée, tandis que l'Angleterre contrôlera le petit territoire de la baie Haïfa-Acre.
L'accord est considéré comme un complot pour diviser l'Umma musulmane et surtout un prélude de
ce qui viendra après, notamment la déclaration de Balfour quelques mois plus tard.
IJI _ la déclaration de Balfour est une déclaration officielle (sous forme de lettre), adressée par
Lord Arthur Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères, à Lord Lionel Walter Rothschild, et
datée du 2 novembre 1917 : dans laquelle la Grande Bretagne envisage l'établissement en Palestine
d'un foyer national pour le peuple juif. Le Document du Mandat, tel qu'il sera ratifié par la Société des
Nations in 1922, contiendra le texte intégral de la Déclaration Balfour. Cette promesse wa'd ou
déclaration (l'lan) serait un point pivot de ce qui sera considéré comme un complot ou mou'amara
contre la nation arabo-musulmane. Dans l'utilisation arabe on souligne plus le terme wa'd justement
pour accentuer l'insinuation au complot.
53
la région selon le principe '.'diviser pou régner". Cela pour qu'Israël vive en paix, et
pour que les puissances étrangères imposent leurs règles du jeu sur toute la région et
ses richesses. Il faut rappeler que ce discours n'a guère changé depuis. Plusieurs
événements qui ont suivi et durant lesquels la région arabe est restée comme un objet
d'expérimentation, sans pouvoir agir, sont interprétés à travers ce prisme. Le thème
du complot a été accepté et répandu, surtout quand il est mis en évidence par un
leader du calibre de Nasser.
Le complot comme première réaction à la défaite, reste quand même,
compréhensible. Vu la confiance qui régnait en Egypte et dans le monde arabe, dans
les capacités de l'armée égyptierme à "écraser Israël en quelques heures sans pour
autant utiliser toutes les capacités militaires [égyptiennes} ,,132. Haykal lui-même,
pourtant cormu par son réalisme, a été emporté par l'euphorie. Trois jours avant la
Naksa, il a avancé qu'''Israël est sur le point d'être cassé de l'intérieur ou de
l'extérieur"
/33.
C'est pourquoi, le discours nationaliste ne pouvait envisager
l'éventualité même ou la probabilité d'une défaite devant Israël, dont le rôle
comploteur a été surestimé depuis sa création, alors que ses capacités militaires ont
été sous-estimées.
La rhétorique du complot, sévissait aussI au sem des milieux militaires
égyptiens. En effet Haykal rapporte dans l'un de ses ouvrages sur la guerre de 1967,
que le maréchal Abdel Hakim Amer, commandant en chef adjoint des forces
égyptiermes, a reçu le 06 Juin 1967, l'ambassadeur soviétique au Caire, Dimitri
Pojidaev, pour lui armoncer ses soupçons et ceux de tous le corps des officiers de
132 _ Comme l'a attesté un éditorial du quotidien cairote "La république" (al goumhouria) du
20/05/1967, cité par Youssef AI Qaradaoui. AI houloul al moustawrada wa kayJa janat 'ala
oummatina [Les solutions importées et comment elles étaiènt fatales pour notre Umma]. Le Caire.
Maktabat Wahba. 1977. P 274.
133 _
Ibid, P 274
54
l'armée égyptienne, sur une éventuelle connivence 134 entre les Etats-Unis et l'Union
soviétique 135 . Amer ajoute que l'Egypte n'obtient pas d'armement efficace de la part
de l'Union soviétique, comme l'obtient Israël de la part des Etats-Unis. La réponse de
l'ambassadeur a été annoncée en signalant l'efficacité de ce même armement
soviétique entre les mains des combattants vietnamiens contre les armées
américaines 136.
La question de l'inefficacité des armes soviétiques ouvre sur un autre point
essentiel. Figurant d'ailleurs parmi les facteurs explicatifs de la défaite arabe, donnés
par les journalistes européens. En effet le lendemain de la guerre des six jours, un
article écrit par une journaliste française dans les pages du magazine l 'Express 137,
avance que les Arabes, inventeurs de l'Algèbre dans le temps sont incapables
d'utiliser les appareils électroniques pour mener à bien une guerre moderne. Au-delà
de la véracité de telles explications, il est sûr que la question de la maîtrise de
l'armement n'a pas été une priorité du commandement militaire égyptien. En effet la
prolifération des explications de la défaite autour du complot, a empêché entre autres
de situer le problème dans la maîtrise de la technologie d'armement, et de faire une
critique de la situation militaire. D'ailleurs même Haykal pourtant prolifique,
n'entame cette question de l'armement que superficiellement. Toutefois, il atteste que
134 _ Le mot utilisé en arabe est Tawatou', qui comme on a vu, se rapporte aussi au complot ou
conspiration.
135 _ Haykal, Muhammad Hasanayn. al-Infljar 1967 : harb al-thalathin sanah [L'explosion
1967: la guerre des trente ans]. Le Caire. Markaz al-Ahram li at-tarjama wa an-nachr. 1990. P 728
136 _
Ibid, P 729
137 _ Cité par Abdellah Laroui dans" Thaqafatouna fi daou' at-tharikh [notre culture à la lumière
de l'Histoire]. Beyrouth, Casablanca. Centre culturel arabe, 1997, p 120.
55
les armées arabes dans la guerre de 1967, n'étaient pas prêtes pour un conflit armé, ni
pour le gérer avec l'intelligence suffisante et l'expérience nécessaire 138.
Cela étant, le discours nationaliste arabe, allait perpétuer l'idée du complot 40
ans après la Naksa. En effet dans un communiqué diffusé par le Mouvement
Nationaliste Arabe (Harakat al-Qawmiyyin al-Arab)139, ce dernier impute toutes les
défaites arabes au complot. En fait, le communiqué est composé de 255 mots et où le
terme de " mouamara " apparaît 6 fois.
"ll n'y a pas eu une vraie guerre en 1967 dans le sens militaire du terme, mais juste
une conspiration méticuleusement préparé dans le but de renverser le leader du
nationalisme arabe lamaI Abdel Nasser, et de paralyser la pensée nationaliste arabe,
l'ennemi des mouvements réactionnaires arabes et ceux de la gauche aventurière et
..
d U sIOnisme
ara be. ,,/40.
Le communiqué continue avec le même discours (conspirationniste), à citer les
différents complots contre la nation arabe depuis l'invasion tripartite de 1956
disparition de la République Arabe Unie
l42
,
141
,
la
que le communiqué décrit comme "la
séparation entre la province du nord [Syrie], et la province du sud [Egypte]". Cette
138 _
Haykal, Muhammad Hasanayn,. Op cit. P 809
139 _ Le Mouvement Nationaliste Arabe est constitué à Beyrouth vers la fin des années 1940 par
un groupe d'étudiants nationalistes. Le mouvement est fortement influencé par les idées des
nationalistes arabes surtout Constantin Zureiq. Il a adopté une idéologie révolutionnaire et panarabe
socialiste.
140 _ Voir le communiqué diffusé sur plusieurs sites internet, entre autres celui du journal d'al­
Moharer: (page consultée le 11106/2007), [en ligne], adresse URL:
http://www.al-moharer.netlmoh258/qarb258.htm
141 _ Trois mois après la nationalisation du Canal de Suez, l'Egypte a été le théâtre des frappes
aériennes menées conjointement par la Grande Bretagne, la France et Israël. Il est clair que la non
participation des Etats-Unis à cette coalition met beaucoup de difficultés devant les tenants de la thèse
du complot occidental sur le monde arabe. Au contraire les Etats-Unis ont fortement condamné cette
inyasion!
142 _ la République Arabe Unie (RAU) est l'Etat formé en 1956 par l'Egypte de Nasser et la
Syrie. L'union a pris fin en 196].
56
mouamara selon les termes du communiqué visait à "abattre" le rêve unioniste et
nationaliste arabe. Naturellement, il y a plusieurs raisons de l'échec de la RAU,
principalement
internes,
notamment qu'elle
a été
imposé
hâtivement sans
participation réelle des deux peuples égyptiens et syriens.
Le communiqué en fait reprend la même thèse du discours nationaliste arabe
sur le complot contre la nation arabe, depuis des décennies. Certes, ce discours a
changé avec le temps notamment avec les critiques de ces principaux théoriciens
l43
.
Mais les difficultés inhérentes à ce discours sont restées les mêmes. En effet comme
l'atteste le penseur marocain Mohamed Abed Al labri: " ... d'un point de vue
épistémologique ( ..) le discours qawmiste est d'une nature problématique, c'est-à­
dire qu'i! se pose des problèmes sans solutions, ( ..), en plus c'est un discours qui
transcende la réalité arabe contemporaine ,,144.
En effet, concernant ce premier point, ce discours pose par exemple la
libération de la Palestine comme étape première à l'union. D'un autre côté, il avance
que c'est l'union arabe qui va libérer la Palestine
discours à l'instar de son homologue salafiste
146
,
145
.
Concernant le second point, ce
ne prend pas en considération les
changements historiques. Certes il a réussi à faire naître le sentiment nationaliste dans
la rue arabe mais il est resté irréaliste. Ses thèses sont restées romantiques liées à la
langue (arabe), l'histoire (surtout l'âge d'or de la civilisation musulmane), et le destin
143 _ voir notamment les travaux du colloque organisé à Paris par le magazine "AI-Wahda"
[l'Union] le 26 Fevrier 1985" Al-Wahda n 7. Paris. CNCA. Avril 1985.
144 _ labri (AI) Mohamed Abed. Al khitâb al- 'arabÎ al- mo 'âssÎr : dirâsa tahlïliyya naqdiyya
[Le discours arabe contemporain: Etude analytique et critique]. Beyrouth. Dar Attali'aa li attiba'aa wa
annachr. 1982. P 132
145 _ Notons aussi que Nasser lui-même a déclare ne pas avoir de solution pour les palestiniens.
Voir AI Hafez Yassin. Al-hazima wa al-idiolojia al-mahzouma [la défaite et l'idéologie défaite].
Beyrouth. Dar Attali'aa li attiba'aa wa annachr. 1979. P 109
146 _ Discours islamiste qui voit dans l'âge des salaf assaleh (les ancêtres bons) : le prophète et
ses compagnons), l'âge d'or des musulmans, et qu'il faut le faire revivre à l'époque contemporaine.
57
commun de tous les peuples de la région. Cependant avec la renaissance du sentiment
nationaliste dans la rue arabe, toute une mentalité de complot s'installe, et comme
l'esquisse le penseur arabe palestinien Hisham Sharabi : "L'homme ordinaire voit un
complot derrière tout changement, dans chaque politique, chaque décision ou
développement. Que ce soit au sein de l'armée, par une puissance étrangère, ou par
··
,,147
un groupe po 1It/que
Toujours est-il qu'avec de telles caractéristiques, l'autocritique demeure
difficile. Du coup la faute devient imputable à l'Autre, qui n'adhère pas au projet
qawmiste et nationaliste. Cela étant dit, qu'en est-il maintenant du discours
islamiste?
3.1.2) La théorie du complot dans le discours islamiste (exemples d'Al Qaida, et du
Hamas) :
Le point central du discours islamique ou salafiste, est d'une nature passéiste
ou animé du rêve passéiste d'un futur meilleur. En d'autres termes, le passé arabo­
musulman reste la référence principale de ce discours. C'est ainsi que ce discours
salafiste, réitère les mêmes thèses élaborées par ce courant depuis la "Nahda"; avec
un refus des idées occidentales, le culte du passé "glorieux", l'universalité de
l'Islam ... etc. Ce modèle salafiste qui s'obstine sur une vérité (se trouvant
nécessairement dans le passé)
148,
qu'il veut absolue et transcendante au sein du
paradigme monothéiste musulman, néglige les principes élémentaires de la pensée
147 _ Sharabi, Hisham. Nationalism and revolution in the Arab World. Priceton. NJ. Van
Nostrand. 1966. P. 10 l.Et autres ouvrages sur la famille patriarcale et l'éducation. Voir Sharabi,
Hisham. Le néopatriarcat. Paris: Mercure de France, 1996
148 _ Cette nature passéiste n'est pas acceptée par l'esprit moderne, selon les termes de Lawrence
olivier: "... de nos jours, jouer le jeu de la science, c'est donc accepter que le nouveau est meilleur que
l'ancien". Voir Olivier, Lawrence, Bédard, Guy, Ferron Julie. L'élaboration d'une problématique de
recherche. Paris. L'Harmattan. 2005. PIS
58
historique et prêchant un dogmatisme a-historique ou anti-historique. Dans cette
vision, la science même devient pour l'intellectuel salafiste, juste une interprétation
des thèses "des savants d'antan", et toute l'histoire scientifique n'est que répétition et
point création. Le discours donc, est une tendance traditionnelle textuelle et
dogmatique ayant préféré la fuite dans le passé (foncièrement ancré dans l'imaginaire
collectif arabo-musulman).
Ce
retour représente
aujourd'hui
un mécanisme
psychologique de compensation, "une nostalgie romantique", selon les termes
d'Abdallah Laroui.
Pour essayer de comprendre cette tendance traditionnaliste dans le discours
islamiste, on se réfère à une œuvre majeure dans la pensée arabe contemporaine:
"Majhoum AI- 'aql [Concept de la raison] 149. L'auteur focalise sa critique sur deux
grands penseurs arabes Mohamed Abdou ou Abduh (1845-1905), et Ibn Khaldoun
(1332-1406).
Selon Abdallah Laroui
150
la pensée salafiste de Mohamed Abdou est
l'expression du phénomène des tendances traditionalistes dans la pensée arabe
contemporaine. Le choix salafiste d' Abdou, dans ses positions vis-à-vis de l'Occident,
de la science et de la modernité politique, représente une étape paradoxale dans la
pensée arabe contemporaine. En effet Abdou, et du coup le discours salafiste, en
stipulant que "l'Islam est une religion de science, compatible. avec l'esprit de
l'époque", tout en essayant de concilier le passé avec le présent à travers une
actualisation de
l'héritage arabo-musulman,
n'a
point pu
percevoir .l'écart
épistémologique et historique fondamentale, qui existe entre la raison traditionnelle et
la rationalité moderne contemporaine. Laroui ajoute, que Mohamed Abdou s'attaque
149 _
Laroui, Abdallah. Majhoum AI- 'aql [Concept de la raison]. Centre culturel arabe.
Beyrouth. 1996.
150 _ Sur l'étude consacrée à M. Abdou, voir Laroui, Abdallah. Ibid. Pp 23 - 166, et dont on
essaie ici de faire une synthèse.
59
au projet moderniste occidental (dans son nouveau paradigme), avec une mentalité
théologico-dialectique digne des premiers siècles de l'Islam. Dans ce dernier
référentiel, la raison est dans le Texte, et elle est absolue. Le paradoxe d' Abdou
réside, selon Laroui, dans son déni de la dimension temporelle et à l'histoire, et à sa
récusation des exigences modernes. D'où son incompréhension de la coupure établie
par la modernité avec les cultures anciennes et pré modernes. Ce qui l'a poussé à
croire, avoir repéré un vecteur de la modernité dans le passé arabo-musulman, tout en
essayant de le renouveler de l'intérieur.
Il est clair que Laroui est contre toutes ces tentatives de conciliation entre le
passé, quoique que glorieux, et le présent. Pour corroborer cette thèse, Laroui
s'attaque à un autre penseur arabe; Ibn Khaldoun 151, en mettant en lumière les limites
de l'apport khaldounien, et du coup les difficultés du savoir scientifique dans la
culture arabe.
En effet, en critiquant Ibn Khaldoun (penseur qui revient toujours dans les analyses
arabes contemporaines), Laroui insiste sur sa thèse principale qui stipule que
l'épistémologie des époques glorieuses de la civilisation arabo-musulmane est
dépassée. Pour lui, Ibn Khaldoun écarte' toute possibilité de renouvellement dans
l'histoire pour ne pas contredire sa thèse sur les lois établies de l'univers, et n'a
jamais pu définir clairement les concepts dans ses Prolégomènes, ils sont restés
imprégnés des considérations éthiques et religieuses. Selon Laroui, elles ne peuvent
être réintégrées dans le paradigme moderniste. Et comme le cadre épistémologique
moderniste rompt radicalement avec la vision religieuse, le dépassement et la coupure
deviennent une nécessité historique. La théorie khaldounienne reste une phase
primordiale dans la victoire ou la prééminence de la rationalité au moyen âge, mais
elle est propre à cette période de l'histoire. Et cette dernière est largement dépassée
par les systèmes de la connaissance moderne.
151 _ de même sur la critique d'Ibn Khaldoun, voir Laroui, AbdaJiah. Ibid, pp 169 - 364, et dont
on essaie ici de faire une synthèse.
60
Ainsi, chaque époque admet son propre système cognitif et sa propre
philosophie de 1'histoire. Pour ce, la situation économique et socioculturelle arabe, ne
peut s'améliorer sans une nouvelle lecture des problématiques et des concepts
historiques, afin de repenser ce domaine scientifique sur des bases modernes
fondamentalement européens.
Cela étant, il existe d'autres difficultés dont souffre la pensée islamiste
salafiste, l'expression par excellence du phénomène des tendances traditionalistes
dans la pensée arabe contemporaine. Le choix salafiste, dans les positions de ce
courant vis-à-vis de l'Occident, de la science et de la modernité politique, représente
une étape paradoxale, et fort complexe dans la pensée arabe contemporaine. En effet,
ce courant stipule entre autres que "l'Islam est une religion de science, compatible
avec l'esprit de l'époque", tout en essayant de concilier le passé avec le présent à
travers une actualisation de l'héritage arabo-musulman. Ceci sans pour autant
percevoir l'écart épistémologique et historique fondamental, qui existe entre la raison
traditionnelle et la rationalité moderne contemporaine. Ce qui pousse à dire que les
penseurs de ce courant 152 s'attaquent au projet moderniste occidental (dans son
nouveau paradigme), avec une mentalité du passé. Dans ce dernier référentiel, la
raison est dans le Texte, et est absolue. D'où aussi les difficultés des tentatives de
conciliation entre le passé, quoique que glorieux, et le présent. Et du coup les
difficultés du savoir scientifique dans la culture arabo-musulmane même.
Toujours est-il qu'il est un point essentiel qu'il faut mettre de l'avant pour
essayer de comprendre les difficultés du savoir scientifique contemporain pour cette
culture.
Il faut signaler que la civilisation arabo-musulmane est une "civilisation du
Fiqhl53rd54. En sus, il faut noter que l'ensemble des sciences appartenant au champ
152
Par commodité on donne l'exemple de Mohamed Abdou (1845-1905)
153 _ Le Fiqh et la science du droit islamique constitué à partir du VIlle siècle, et dont il existe
plusieurs école dans le monde musulman.
61
paradigmatique musulman 155, englobe la linguistique ('ilm al lougha), la science du
droit musulman (Fiqh) et la théologie dialectique (Al Kalâm). Foncièrement, ces
branches du savoir trouvent leurs fondements dans le texte coranique et les dires et
faits du prophète (Hadîths). Elles s'alignent au texte sacré sans contestation et se
contentent de l'interpréter. Il faut souligner surtout la place centrale des fondements
du Fiqh dans la raison arabe
156,
et qui est similaire à celle occupée par les
mathématiques dans la civilisation occidentale, et comme le stipule Al labri "les
fondements du Fiqh représentent pour la raison arabe, ce que le système cartésien est
pour la raison occidentale ,,157.
On peut dire ainsi que le discours islamiste salafiste, imprégné par les
fondements du Fiqh essaie, dans toutes ses dimensions épistémologiques, de
comprendre le texte à l'intérieur de son champ paradigmatique de l'époque du
prophète et ses compagnons ('Asr AssalafAssaleh). Par ailleurs, et vu que la science
du Fiqh, est arrivée à son stade complet et ultime, au début même de leur élaboration
(à l'époque de la Codification du Fiqh entre le VIlle et IXe siècle), le discours
islamiste, structuré lui-même par les fondements de cette science, est resté
"prisoIU1ier" de cette période. Et c'est justement une des causes, sinon la principale,
qui expliquent le poids de la tradition dans la pensée arabe contemporaine, et la
difficulté de cette dernière de rompre ou même de se concilier avec son passé. Cela
est dû principalement à l'objet même de la science du Fiqh, qui est le Texte
religieux: Coran et Hadiths du prophète.
154 _ labri (Al), Mohamed Abed. Takwîn al- 'aql al- 'arabÎ. [La genèse de la raison arabe]
(Beyrouth, Casablanca. AI markâz At-thaqâfi al-'arabî. 1991. 4ième édition). P 339
155 _
c'est à dire les lois générales qui réglementent le dogme, la langue et la connaissance en
islam.
156 _ On emprunte ici le terme de "raison arabe" de Mohamed Abed AI labri, pour signifier
l'ensemble des connaissances produites par les penseurs, philosophes et Ulémas en langue arabe. Voir
labri (Al), Mohamed Abed. Takwîn al- 'aql al- 'arabî. [La genèse de la raison arabe]. Op cit. p Il
157 _
Ibid, P 339
62
Toujours est-il que les principales caractéristiques du discours islamiste
contemporain, et les fondements qui articulent sa pensée, d'un point de vue
épistémologique, peuvent ouvrir une brèche à la compréhension de l'utilisation de la
rhétorique du complot, surtout dans sa dimension politique. On note que le religieux
et le politique sont intimement liés dans la pensée islamiste salafiste. Cette idée est
pal1agée par toutes les tendances du courant islamiste 158. En effet, ce discours se
considère lui-même tellement complet et ultime (ceci, comme on a vu, à cause de ses
fondements), que toute défaillance ne peut venir de l'intérieur, mais plutôt de
l'extérieur. Quelque soit cet extérieur: juif, occidental. .. etc.
Dans cette perspective, Pierre-André Taguieff avance que le discours
islamiste antisioniste, antiaméricain, antimaçonnique est structuré suivant les mêmes
procédés que les pamphlets conspirationnistes occidentaux. Dans ce genre de discours
islamiste, il est question du complot mondial depuis les Illuminati et les Templiers
jusqu'aux Skull and Eanes, en passant par les protocoles des sages de Sion/
59
.
Mais
naturellement le complot contre l'Islam est celui qui est mis en lumière. Cela étant,
qu'en est-il de ce discours dans sa dimension politique, et surtout jihadiste.
158 _ De là on peut comprendre partiellement l'échec du processus de la laïcisation en islam. Par
exemple Le penseur islamiste Youssef AI Qaradaoui, avance dans son ouvrage AttatarroujAI 'ilmanï
fi mouwajahat al islam (L'intégrisme laïque face à l'islam), Dar As-chourouq, 2001. P 29, que "la
laïcité est en contradiction avec la religion islamique et qu'elle ne peut réussir à s'implanter en terre
d'islam, étant donné que l'idée «augustinienne» des deux cités (céleste et terrestre) n'a point de place
dans le système symbolique islamique où tout est religieux, l'État et la société". Cité par Sami Aoun
in: Aujourd'hui l'islam: Fractures, intégrisme et modernité. Montréal. MEDIASPAUL 2007. P 63
159 _ Taguieff, Pierre-André. La foire aux illuminés. Esotérisme, théorie du complot,
extrémisme. Fayard, Mille et une nuits, novembre 2005. P. 518-522
63
Le discours d'Al Qaïda : la perception islamiste combative
Le discours d'AI Qaïda à travers les déclarations des deux leaders Oussama
Ben Laden et Ayman al-Zawahiri 160 ne parait pas trop attaché au thème du complot.
En effet, depuis le premier communiqué de Ben Laden du 16 septembre 2001, une
semaine après les événements du Il septembre, l'allusion au complot contre la
communauté musulmane n'apparaît que dans trois occasions. La première est la
lettre 161 de Ben Laden concernant l'initiative saoudielU1e sur la paix au Moyen­
Orient. Le paragraphe qui retient l'attention est le suivant:
J62
"Le personnage d'Abou Raghal se répète dans l'histoire de l'Umma depuis un
siècle pour aider les infidèles à mieux s'infiltrer et établir les bases. L'initiative
(américano-sioniste avec une couverture saoudienne) du prince Abdullah, n'est autre
qu'une conspiration et une autre forme de trahison que l'histoire de la région retient
parmi d'autres." 163.
La suite du discours consiste à attirer l'attention sur fIles complots de la famille Al
Saoud contre les Musulmans", depuis l'avortement de la grande révolution
palestinielU1e en 1936, en passant par leur acceptation de mener la première guerre
160
Tous les discours de Ben Laden et AJ-Zawahiri sont disponibles sur le site d'A[­
Jazeera (page consultée le 07 Janvier 2007), [en ligne], adresse URL:
http://www.aliazeera.net/NR/exeres/392BC4D7-E9AA-4E5A-8F33-877EEBOC0781.htm.
Il faut remarquer qu'il Y a toujours une mise à jour avec l'ajout de nouveaux discours des deux
leaders.
161 _
Le quotidien londonien Alquds al arabi du 28 Mars 2002.
162 _ Abu Raghal est le symbole de la trahison dans l'histoire arabo-musulmane. Il a été le guide
du représentant général du Négus éthiopien au Yémen, l'Abyssinien Abraha AI-Achram, quand il a
marché sur la Mecque pour détruire la Kaaba en 570.
163 _ La proposition saoudienne a été un
plan de paix proposé par le Roi saoudien actuel
Abdullah alors prince héritier. Ce plan consiste à normaliser la relation entre Israël et les pays de la
Ligue des États Arabes, en échange du retrait israélien des territoires obtenus après la victoire de 1967.
64
israélo-arabe, sous le commandement de Glubb Pacha 164, jusqu'à leur rôle pour
mettre fin à l'Intifada, avec les accords d'Oslo en 1992.
Il faut noter que le discours de Ben Laden met l'accent sur un complot continu
sur l'Umma de l'intérieur de celle-ci. Il fait signaler aussi la référence faite par le chef
d'Al Qaïda, au personnage d'Abu Raghal que l'imaginaire arabo-musulman retient
comme traître et comploteur contre les Arabes. Il est intéressant de souligner une
contradiction qui survient dans le discours islamiste contemporain faisant référence
au personnage d'Abou Raghal comme étant un traître et un comploteur contre
l'Umma, alors qu'en ce temps, au VIe siècle, la Mecque était le centre des divinités
en pierre que les tribus arabes vénéraient et que l'Islam a lui-même combattu.
Dans un autre discours aux Européens, Ben Laden fait référence expressément
au complot américain :"Je leur [Européens] propose par la présente un traité de paix,
basé sur notre engagement à cesser les opérations contre tous les pays qui
s'engageraient eux-mêmes à ne pas attaquer les Musulmans et à ne pas s'ingérer
dans leurs affaires, y compris dans le complot américain contre le monde islamique
dans son ensemble. ,,165. Il est clair que Ben Laden cherchait plus la division au sein
de la coalition autour des Etats-Unis. Ce discours, totalement politique, comme on
peut le constater, est déchargé des propos religieux.
Par ailleurs, et quand à Ayman al-Zawahiri, il n'a fait référence au thème du
complot, dans tous ses discours qu'une seule fois. Elle concerne la participation du
mouvement Hamas dans les élections palestiniennes en 2006 : "L'ennemi sioniste et
croisé veut nous [Musulmans] séduire en donnant au mouvement [le Hamas] la
possibilité d'accéder au pouvoir pour la pousser à accepter leurs exigences. Par
164 _ Sir John Bagot Glubb, Lieutenant-Général britannique qui a été le commandant de la
Légion arabe pendant la Guerre israélo-arabe de 1948. et dont le rôle est resté controversé.
165 _
Télévision AI-Jazeera (Qatar) et AI-Arabiya (Emirats arabes unis), le 15 avril 2004.
65
conséquent, nous devons faire face à la conspiration de l'ennemi, avec le Jihad et le
refus des conventions ...
,,166.
C'est ainsi qu'on peut déduire que la rhétorique du complot n'est pas une
caractéristique du discours des dirigeants d'Al Qaïda, d'ailleurs Ben Laden est en
cOill1aissance parfaite des politiques américaines dans la région, guidées par les
intérêts plutôt que par le complot contre l'Islam. Ceci bien sûr, peut être expliqué par
la cOill1ivence qui a eu lieu pendant la guerre d'Afghanistan (1979-1989) entre les
"Arabes-Afghans"
dont Ben Laden était le
leader, et les
services
secrets
américains 167.
Le discours du Hamas : la perception islamiste palestinienne
Si le discours d'Al Qaïda est plutôt politique, celui du Hamas reste plus
religieux 168 et la charte du mouvement palestinien fait allusion plusieurs fois à la
conspiration colonialo-sioniste, sur les pays arabes et surtout le peuple palestinien.
Par exemple l'article 32 de la charte du mouvement stipule:
"Le sionisme mondial et les forces colonialistes, par un mouvement subtil et une
planification étudiée, essaient de faire sortir les uns après les autres les Etats arabes
du cercle du conflit avec le sionisme pour qu'enfin de parcours le peuple palestinien
se retrouve tout seul ( ..J. Le Mouvement de la Résistance Islamique appelle les
peuples arabes et islamiques à œuvrer avec sérieux et persévérance à empêcher la
poursuite de ce plan effroyable ( .. J, le plan sioniste n'a pas de limite; après la
166
-Ibid, le 06 Mars 2006.
167 _ Les liens entre la CIA et Ben Laden sont retenus par plusieurs analystes entre autres Abdel
Monam Saidali, du Centre AI-Ahram des études stratégiques du Caire. Cité dans l'article de
professeur canadien gauchiste de l'université d'ottawa Michel Chossudovsky du Centre de recherche
sur la mondialisation (CRM) : " Qui est Oussama ben Laden?". (Page consultée le 10 Février 2007),
[en ligne], adresse URL:
http://www.globalresearch.caJarticles/CHOI09E.html
168 _ ceci est clair avec le nombre de versets Coraniques et des hadiths contenus dans la charte
du Hamas de 1988
66
Palestine, ils ambitionnent de s'étendre du Nil à l'Euphrate. Leur plan se trouve dans
"les Protocoles des Sages de Sion" et leur conduite présente est une bonne preuve de
ce qu'ils avancent. ,,169.
Ce qui retient l'attention dans cet article c'est la référence aux " Protocoles
des Sages de Sion", et qui met de l'avant l'idée d'une conspiration juive.
On peut signaler ici que "les Protocoles des Sages de Sion,,170 remporte beaucoup de
succès, généralement chez le lecteur arabe, vu la place qu'occupe "le Juif' dans
l'imaginaire musulman. En effet, comme l'affirme Jacques Tarnero : « Le sionisme et
Israël occupent désormais, en particulier dans l'imaginaire arabe, la place
qu'occupait jadis le Juif dans l'imaginaire médiéval européen
»17l.
"Les Protocoles
des Sages de Sion" est un faux, comme l'on démontré plusieurs chercheurs 172. Par
exemple, Pierre André Taguieff assure que « Les protocoles constituent assurément le
faux politique le plus diffusé au XXe siècle. ,,173
Mais si Taguieff a démontré que les protocoles ont défini les aspects du mythe
antijuif moderne et la hantise du complot sioniste mondial, le penseur égyptien
169 _ voir la traduction de la charte en français par Jean-François LEGRAIN, Ancien chercheur à
l'Institut Français d'Etudes Arabes de Damas (IFEAD) (1976-1977, 1986-1987), et chargé de recherche
au CNRS depuis 1990. La traduction est disponible sur: (page consultée le 10/06/2007), [en ligne],
adresse URL:
http://www.gremmo.mom.fr/legrain/legrain.htm 1
170 _
Les Protocoles des sages de Sion. Paris: Éditions C.E.A., 1943?
171 _ Tarnero, Jacques: Le négationnisme, ou le symptôme des temps pervers: Une énigme
récurrente: le signe antijuif. ln Revue d'histoire de la Shoah nO 166, mai-août 1999. Centre de
documentation juive contemporaine 1999.
vo ir entre autres :
Taguieff. Pierre André. Les Protocoles des Sages de Sion. Faux et usages d'un faux. Paris,
Berg international, 1992.
Taguieff. Pierre André. Les prêcheurs de haine. Traversée de la judéophobie planétaire. Paris.
Mille et une nuits. 2004. Pp 617-817.
AI-Massiri Abdelwahab. The Protocols, Judaism, and Zionism. Cairo, 2003
172 _
173 _ Taguieff, Pierre-André. La foire aux illumines. Esotérisme, théorie du complot,
extrémisme. Op cit. P 620.
67
Abdelouhab al Massiri 174, avance que "Les Protocoles .... » est un faux, mais son idée
a plus servi au sionisme qu'aux Arabes, même s'il est un faux car ils donnent aux
Juifs des pouvoirs qu'ils n'ont pas réellement" 175. Il ajoute aussi que le but du
sionisme est de promouvoir ces idées pour "semer la terreur dans les cœurs des
Musulmans et des Arabes afin de gagner la guerre psychologique avant d'entrer dans
le champ de bataille ,,176.
La question qui se pose est: Est ce que le professeur Abdelwahhab al Massiri ne
tombe pas, lui-même, sous les charmes de la théorie du complot, avec une telle vision
des choses, en essayant de ne pas verser dans le simplisme qui caractérise celtains
écrits ou discours des tenants des théories du complot? Même s'il indique dans
plusieurs de ses ouvrages que la théorie de la conspiration est réductrice, immorale, et
n'a aucune puissance explicative, ou même une capacité de mobilisation 177. Toujours
est-il que pour le Hamas, cette vision est fondamentale dans son projet et même dans
sa survie comme mouvement dans les territoires palestiniens occupés. Il ne faut pas
omettre de noter que, les versets coraniques qui figurent dans la charte du Hamas,
sont tirés de leur contexte 178 , pour servir le discours du mouvement. Par exemple, le
verset coranique cité dans le même article 32: "Nous avons suscité, parmi eux,
l'hostilité et la haine, jusqu'au Jour de la Résurrection. Chaque fois qu'ils allument
un feu pour la guerre, Dieu l'éteint. Ils s'efforcent à corrompre la terre. Dieu n'aime
pas les corrupteurs" (5, 64). On rappelle que ce verset concernait les tribus juives de
174 _ AI-Massiri est un intellectuel égyptien spécialiste du judaïsme et du sionisme. Il est l'auteur
de plusieurs sur cette question, et d'une grande encyclopédie sur les Juifs et le sionisme.
175 _ Voir son entretien téléphonique ave le site de la télévision qatari AI-Jazeera disponible sur:
(page consultée le 30/06/2007), [en ligne], adresse URL:
: http://www.aljazeera.netlNews/archive/archive?ArchiveId=44179
176 _
Ibid.
177 _
voir entre autres, AI Massiri, Abdelwahab. The Protocols, Judaism, and Zionism. Cairo,
2003
178 _ voir la première partie du chapitre 1 de ce mémoire, pour les exemples des versets
coraniques concernant les Juifs.
68
Médine (comme l'avance l'exégète Ibn Kathir), et le généraliser à tous les Juifs à
travers l'histoire (au moins de la civilisation arabo-musulmane) serait un indice
révélateur du déficit dans le raisonnement historique, sinon une instrumentalisation
idéologique.
3.2) Au delà de la théorie du complot: la restructuration de la mémoire collective
arabo-musulmane
L'imaginaire arabe s'est penché sur l'idée du complot étranger, depuis la
Fitna. Dans cette perspective, la religion est exploitée pour expliquer que le mal ne
peut venir que de l'extérieur et se soustraire ainsi de toute responsabilité. Etant donné
que cet imaginaire retient que l'Umma est la meilleure communauté sur Terre. L'idée
provient du verset coranique suivant: "Vous êtes la meilleure Umma (communauté)
qu'on ait fait surgir pour les hommes, vous ordonnez le convenable, interdisez le
blâmable et croyez en Dieu" (Al !marne, 110). Ce verset est repris à chaque fois, pour
parler de la communauté musulmane dans son ensemble. Mais en se référant aux
exégèses, notamment d'Ibn Kathir et Tabari, on constate que le verset désigne par
communauté, les mouhajirine, ou les compagnons qui ont immigré avec le prophète à
Médine. Tabari ajoute que le terme Umma peut désigner, selon certains linguistes, la
voie. On signale aussi qu'Ibn Kathir stipule que ce verset peut être généralisé à toute
la communauté musulmane, si elle suit les pas des mouhajirine, notamment en
ordonnant le convenable, en interdisant le blâmable et en croyant en Dieu.
Dans cette perspective, on peut retenir les trois traits caractéristiques du
Complot qu'Emile Poulat a avancé dans" L'esprit du complot,,179 ; et qui sont: la
visée utopique, la fracture de la société réelle, et l'impossibilité d'appréhender
179 _
Poulat (Émile), L'esprit du complot, Politica Hermetic3, nO 6, L'Age d'Homme, Paris.
1992. Pp. 6-12.
69
l'adversaire/ 8o . D'autre part, selon Poulat, les sociétés dans leur état de fragilité, se
sentent menacées par l'étranger 181, qui devient un ennemi extérieur, et par les
insatisfaits et les révoltés de l'intérieur. Cette idée rejoint cel1e de Serge Moscovici
dans son article" The conspiracy mentality
.,18\ formulée comme suit:
"la mentalité
du complot divise les gens [. ..} en deux classes. L'une pure, l'autre impure" 183. Dans
le même ordre d'idée, la culture arabo-musulmane et même la théologie retient
l'existence de deux espaces ou monde Dar al-Islam
/84,
territoire où règne les
Musulmans, nécessairement "bien"; et Dar al-Harb/ 85 , territoire impie, donc "Mal" et
où les Musulmans doivent faire la guerre pour le soumettre à Dar al-Islam, ou au
Bien.
Toujours selon Moscovici, dans l'esprit des théoriciens du complot, la société est
dans un état d'harmonie sans conflits, et si désordre et décadence il y a, cela ne peut
venir que des mauvais conspirateurs. A ce titre, plusieurs mouvements de rébel1ion
dans l'histoire arabo-musulmane ont été expliqués par plusieurs penseurs musulmans,
rêvant du retour du califat, par un complot contre l'Umma. Alors que l'explication
rationnel1e,
tenant
compte
de
plusieurs
facteurs
identitaire ... etc.), assurent que ces mouvements
180
-Ibid, p.9
181
-Ibid, p.6
186
(économique,
politique,
étaient ceux de contestation
182 _ Moscovici, Serge. "The Conspiracy Mentality." Trans. Kathy Stuart. ln
Changing
Conceptions of Conspiracy. Ed. Carl F. Graumann and Serge Moscovici. New York: Springer-Verlag,
1987.151-169.
183
-Ibid, p.154
184 _ littéralement Dar al-islam signifie la «Maison l'Islam» : ce sont les territoires dominés par
l'empire musulman.
185 _ Littéralement Dar al-Harb signifie (Maison de la guerre) : ce sont les territoires des non
musulmans, donc en dehors de dar al-islam.
186 _ comme la révolte des zandj (esclaves noirs), dans les périodes de 689 jusqu'à 883, et le
mouvement des Qarmates qui sont décrits comme des révolutionnaires « communistes », et parfois
comme une secte guerrière et qui en 930, se sont emparés de La Mecque.
70
contre le despotisme califal 187 . Ce discours de victimisation est le même tenu par
plusieurs islamistes et nationalistes (nassériens, syriens ... etc.).
Devant ces explications, il paraît clair que l'utilisation des référents religieux
surtout dans les prêches de Vendredi, pour rendre l 'Umma aussi pure, a facilité la
tâche à l'imaginaire musulman pour croire profondément que ces difficultés internes
ont des causes externes. Il en était ainsi avec la mort du calife Omar, celle du Calife
Othman, les batailles des Sahaba entre eux, la chute de Bagdad en 1258, la création
de l'Etat d'Israël en 1948, et tout ce qui se passe dans la région depuis la seconde
guerre du Golfe en 1991. Cette 'oqdat al mouamara (complexe du complot)188 selon
les termes du chercheur religieux libanais Cheikh Hussein AI Khechen, est perçu
comme révélateur du déficit du sens critique.
3.2.1) la théorie du complot comme révélateur du déficit du sens critique:
Depuis la seconde moitié du XXe siècle, on retient que le SIOnisme est
considéré comme le mouvement responsable de tous les plans politiques survenus
dans la région du monde arabe. La théorie du complot va refaire surface après
l'éclatement de l'Union soviétique. Plusieurs écrits, américains surtout, ont essayé de
montrer le monde de l'Islam comme un futur rival des États-Unis. Ce qui retient
l'attention, c'est qu'après chaque crise et chaque défaite, la rhétorique du complot
refait surface, pour accuser l'Autre (colonialisme, Les États-Unis, les communistes, le
sionisme, les firmes internationales, les institutions financières internationales ... etc.).
187 _ voir par exemple Ismaïl, Mahmoud : Al-harakat as-sirryia fi al-islam: Les mouvements
secrets en islam. Sina li an-nachr. Le Caire. Moassassat al intichar al -arabi. Beyrouth. 1997. 5ième
édition.
188 _.
Khechen (AI), Cheikh Hussein. Op cit. pp 257
71
Leur attribuer tous les malheurs, c'est en fait adopter une interprétation
UnI
dimensiOlUlelle et uni factorielle.
Il y a plusieurs niveaux pour approcher la mentalité du complot dans
l'imaginaire musulman: l'approche de l'analyse politique, et celle de l'exagération
politique.
- L'Approche de l'analyse politique.' il est évident de dire que la politique extérieure
consiste principalement dans la recherche de l'intérêt national des États. Ce dernier
pourrait être recherché soit par la paix et selon les principes du droit international, soit
par la guerre ou les conflits, avec tout ce qu'ils exigent comme manœuvre et
conspiration ou l'art de simuler et dissimuler, aurait dit Machiavel 189 . Ces outils sont
en fait les deux faces de la politique. Et sans eux, la politique internationale devient
absconse ou histoire de complots.
Cela étant, la politique a profondément changé, depuis que le réalisme y a été
instauré, et la rupture a été faite par Machiavel avec la tradition de la philosophie
politique antérieure. Avec notamment l'éloge fait dans "Le prince" de la vertu du
paraître, du faire-croire, et de l'hypocrisie 190, où Machiavel signale pour son prince
qu'''illui est toujours bon, par exemple de paraître clément, fidèle, humain, religieux,
sincère ... ", mais qu'il doit songer "uniquement à conserver sa vie et son État ... ". Par
conséquent, on peut dire que tout ce que la politique ne peut pas le réaliser
solennellement par le droit et les conventions, elle cherche à le réaliser par d'autres
moyens tels la guerre, l'influence, la manipulation et les complots
ad-hoc,
susceptibles d'être rentables pour l'Etat dans une situation donnée.
De là, on peut dire que tout État a deux politiques, une avouée et ornée de principes
moraux, et une autre politique secrète esquissée par les militaires, les stratèges et les
services d'intelligence. Dans cette perspective, toute politique internationale qui se
189 _ Chevalier. Jean-Jacques. Les grandes œuvres politiques de Machiavel à nos jours. Paris
Armand Colin. 1970. P 27
190 _
Machiavel. Le prince. Chapitre XVIII. Tunis. Cérès Editions. 1994. Pp 79-82
72
veut réussie doit en pnnclpe fonctionner publiquement, en vertu du droit et des
principes
humains,
sans
pour
autant omettre
l'attitude
machiavélique,
que
l'incertitude du comportement des autres acteurs et le conflit des intérêts imposent.
- L'approche de l'exagération politique de la théorie du complot: De ce qui précède
on peut déduire que la politique n'est pas exempte de complots, et comme cela a été
esquissé dans la première partie, l'idée de croire en un complot contre la nation
arabo-musulmane n'est pas nouvelle. Mais les questions qui se présentent sont:
Pourquoi l'idée du complot revient comme l'explication majeure et dominante des
crises du monde arabo-musulman, comme manière de se soustraire à ses
responsabilités? Pourquoi l'imaginaire musulman ne prend pas l'idée du complot
comme une forme de la politique moderne qui ne peut être permanent et n'est
commandé que par les intérêts eux aussi susceptibles de changer?
Comme il a été esquissé 191, cet imaginaire musulman ne prend pas les
analyses critiques et autocritiques de son corpus religieux et historique (hissé lui aussi
au rang du sacré ou du tabou ), en considération. Au contraire, plusieurs chercheurs
modernes
191 _
l92
dans l'espace arabo-musulman qui se sont attaqués à ce corpus historico­
Voir la première partie de ce travail.
192 _ On cite l'exemple du penseur égyptien Farag Fouda auteur de "La vérité absente" (Al­
haqiqa al-gha 'iba) assassiné en 1992, pour avoir osé donner une lecture scientifique non
conventionnelle de l'histoire des premiers califes de l'islam, les montrant comme des hommes
susceptibles de faire des erreurs et ambitieux du pouvoir politique, pour expliquer notamment les
événements de la Fitna. Ce qui est intolérable dans la littérature islamiste contemporaine. Il ya aussi
Nasr Hamed Abou Zeid intellectuel égyptien déclaré comme apostat et contraint de quitter son pays,
pour avoir osé avancer la thèse de l'historicité du texte Coranique. Voir entre autres ses deux
ouvrages: Discours et herméneutique et Critique du discours arabe. Et autres encore comme, Sayed
AI-Qomni auteur de nombreux ouvrages contre les thèses islamistes sur l'histoire musulmane: " le
parti hachémite et la constitution de l'Etat islamique", "Les guerres de l'Etat du prophète' Badr et
Ohoud' et "le mythe et la tradition". AI Qomni a renoncé à son travail d'écrivain après avoir reçu des
menaces de mort de la part d'islamistes égyptiens. Nawal al Saadaoui intellectuelle et féministe
égyptienne, auteur notamment de " Femmes égyptiennes: tradition et modernité ". Paris. Editions Des
femmes. 199 J
73
religieux par la critique et l'analyse, se sont vus discrédités par le courant islamiste,
radical certes mais bel et bien influent au sein des masses populaires 193. En outre, le
recours au complot pour comprendre des faits et des événements essentiellement
d'ordre politique et géopolitique, est un indice du déficit du rationalisme, de l'esprit
critique et de la culture démocratique dans l'espace arabo-musulman. Et plusieurs
contraintes jouent en faveur de ce déficit et du coup, du recours à l'idée du complot
comme un raccourci mental et facile pour comprendre et expliquer l'histoire:
* Les contraintes socioéconomiques :
partagé,
Le monde arabo-musulman contemporain est
pour le moins globalement, entre deux
sociétés différentes voire
diamétralement opposées: La première est un monde rural marginalisé qui comprend
la campagne, et quelques villes ou parties de villes, ruralisées 194. La seconde est le
monde urbain, avec tous ses métiers commerces et professions, nouveaux et
changeants, ses étudiants, ses acteurs politiques modernes. Les relations sociales se
chevauchent entre ces deux mondes, le premier est structuré sur une base tribale.
Tandis que l'autre est organisé selon les critères de la société moderne, dans ses
activités économiques et sociales.
Ce hiatus entre ces deux mondes, et surtout l'incapacité du second à influencer le
premier à intégrer la modernité, constitue un problème essentiel pour la pensée arabo­
musulmane contemporaine. En effet les gens de la campagne ont intégré les
institutions "modernes" de la ville (Armée, partis politiques ... etc.), en gardant la
culture tribalo-clanique, c'est ainsi que les valeurs modernes de l'action politique et
193 _ Les élections emportées par les islamistes dans plusieurs pays arabo-musulmans, même les
plus laïcs telle la Turquie, sont largement significatives. Par exemple: La percée des Frères
Musulmans dans les élections législatives égyptiennes 2005 était plus ou moins surprenante pour le
parti national au pouvoir et les autres forces laïques de l'opposition. La victoire du Hamas dans les
élections palestiniennes du 25 janvier 2006 a mis fin au mythe du Fatah comme seul représentant du
peuple palestinien à l'intérieur des territoires palestiniens occupés.
194 _ Selon les termes de Halim Barakat dans son ouvrage" La société arabe au XXe siècle".
Barakat, Halim. La société arabe au XXe siècle. Beyrouth, CasablancaMarkaz dirassat al-wahda al­
arabyia. 2000. P 232
74
civile, se sont elles même ruralisées dans la société arabo-musulmane. Les forces qui
ont joué un rôle important dans les pays arabo-musulmans sont nombreuses. Grâce à
leurs degrés d'influence, ces forces peuvent être classées par catégorie comme suit:
• Les familles régnantes traditionnelles qui ont hérité le pouvoir depuis des
siècles 195, ou de nouvelles familles venues au pouvoir par des coups d'Etat ou
même des élections ou par plébiscite. Ces familles ne tiennent pas seulement
le pouvoir politique, mais aussi les rênes de la vie économique
l96
.
• La bourgeoisie commerçante financière et foncière qui est constituée des
grandes familles anciennes, des familles qui ont développé leurs commerces
sous le colonialisme occidental. Ainsi que la petite bourgeoisie et la moyenne
qui se sont développées après l'indépendance, mais qui reste largement
dépendante de la grande bourgeoisie.
• La petite bourgeoise qui bénéficie du soutien des familles régnantes dans le
domaine commercial et financier et qui occupe des postes importants dans la
hiérarchie étatique, l'armée et les offices nationaux.
195 _ Comme la Famille AI Saoud, en Arabie saoudite, les Hachémites en Jordanie, ou les
Alaouites au Maroc.
196 _ Par exemple, Zartman dans "political elites in Arab North Africa », stipule que la richesse,
au Maroc comme en Egypte reste un facteur décisif pour faire partie de l'élite ministérielle. Cité par
Amina El Messaoudi. In « Al wouzara' fi an-nidham as-siyassi al-maghribi [les ministres dans le
système politique marocain] »: 1955-1992 ». Casablanca. AI najah al jadida. 2001. P 121. L'auteur
ajoute pour le cas du Maroc que la classe riche ou aisée ou même "chanceuse", selon les termes de
l'auteur, a donné 83 ministres depuis 1955 à 1985, avec un pourcentage de 42.34%. Suivie de la classe
moyenne avec 56 ministres (28.58%), vient après, la classe populaire ou inférieure avec seulement 29
ministres (14.8%). ibid. page 122, tableau 23
75
* Les
contraintes culturelles: Ce qui caractérise la société arabo-musulmane, c'est
son immuabilité relative à travers la reconduction et la perpétuation, de génération en
génération, des valeurs et des normes héritées et relevant des sociétés archaïques.
Ainsi plusieurs tendances du système des valeurs, arabo-musulman, entravent
sérieusement la possibilité d'une éducation basée sur l'autocritique, susceptible de
libérer le citoyen de la mentalité du complot et son corollaire celle de la
victimisation :
- La tendance de mettre l'emphase sur l'appartenance à la famille ou à la
Taifa, et non pas sur l'individu-citoyen.
- La tendance à la dépendance et l'obéissance, et non à l'indépendance, la
confirmation de soi,
- La tendance à réitérer un système éducatif basé sur "apprendre" plutôt que
"comprendre".
- La tendance vers l'égoïsme, et ceci en dépit des valeurs communiquées par
une religion monothéiste comme le christianisme ou l'Islam.
Ce qui a créé un déséquilibre dont souffre la structure sociale arabo-musulmane qui
reste sous la pression d'autres contraintes, notamment d'ordre culturel. En effet, il
semble que les explications par les contraintes socio-économiques et politiques dans
la culture arabo-musulmane, restent insuffisantes. Les mentalités, bien que
dépendantes des transformations économiques sociales et politiques, gardent une
autonomie dans une certaine mesure. Et parfois la réalité sociale change sans que les
mentalités suivent ce changement. Les moyens technologiques modernes deviennent
utilisés par une société, mais les mentalités traditionnelles 197 sont encore persistantes.
A ce niveau, le discours culturel, à la lumière du vécu dans les sociétés
197 _ La sorcellerie, le culte des démons et des saints susceptibles de guérir, restent des pratiques
largement répandues dans les pays de l'espace arabo-musulman. A ce sujet voir par exemple:
Dermenghem, Emile.: Le culte des saints dans l'Islam Maghrébin. Gallimard, Paris, 1954. Rachik,
Hassan. Sacré et sacrifice dans le Haut Atlas marocain, Casablanca: Afrique-Orient, 1990.
76
contemporaines devant ses défis
est un discours en cnse : d'une part, il y a
l'effritement des politiques, des idéologies et des idées. D'autre part, les grands
progrès dans les sciences sociales qui ont eu comme conséquence l'apparition de
nouvelles lectures des rapports humains et entre acteurs politiques. En plus des
révolutions scientifiques (technologiques, informatiques ... etc.) sonnant le glas à une
culture et donnant naissance à une autre.
Les facteurs les plus importants de la cnse culturelle contemporaine du
discours arabo-musulman se situe dans la tentative d'identifier les composantes de la
culture occidentale mondialisée, avec la peur ou la hantise pour sa culture nationale,
son identité culturelle, et sa spécificité nationaliste héritière d'un legs historique
important. D'où une culture arabo-musulmane contemporaine perçue comme un
rapport déséquilibré entre la perception et l'action, entre une perception incomplète et
une action impuissante, entre le "penser" brouillé et l'agir vague. En outre on peut
ajouter que depuis la marginalisation de la réflexion philosophique et du rationalisme,
vers le Il ième siècle, la culture intellectuelle arabo-musulmane a été paralysée par la
persistance des superstitions. Ajoutons à cela l'analphabétisme 198 et la primauté de la
culture orale et celle du fatalisme, sans oublier le manque de l'esprit critique dans les
programmes scolaires, la propagation de la mentalité du déni 199, où les erreurs ne sont
pas avouées, et le verrouillage du système politique ne permettant aucune participation
au pouvoir. C'est ainsi que la mentalité du complot s'érige comme un raccourci mental
et un détour de la critique interdite et une liberté limitée, absente ou étouffée.
198 _ A titre d'indication: « En matière d'enseignement, le niveau inacceptable d'analphabétisme
(le tiers des hommes et la moitié des femmes en 2002) et la privation de certains enfants arabes, quand
bien même dans de faibles proportions, de leur droit fondamental à l'enseignement élémentaire,
limitent la progression de l'enseignement en terme quantitatif ». Voir le rapport sur le développement
humain dans le monde arabe publié par l'agence de l'ONU pour le développement daté de 2005. (Page
consultée le 07 Janvier 2007), [en ligne], adresse URL:
http://domino.un.org/unispal.nsf/8525 5db800470aa48525 5d8 b004e349a/09ca608fa317fDf48525
6fda006geOac/$FILE/French.pdf
199 _ A titre d'exemple, on peut dire que les erreurs du passé sont rarement avouées, concernant
la Fitna par exemple, les erreurs des compagnons du prophète, qui ont fait la guerre entre eux, sont
rarement débattues dans les mosquées et par les penseurs islamistes.
77
Ce point ouvre sur (et explique partiellement) un autre, non moins essentiel,
c'est la montée de l'intolérance et de l'extrémisme, accompagné de l'appel incessant
du retour de l'État religieux. Il est structuré par un discours stéréotype traditionaliste
réfutant la modernité jusqu'à la diabolisation, se référant aux Hadiths du prophète:
"Suivez et n'innovez pas, car on vous a donné ce qui est suffisant [et toute innovation
est un égarement.],,2oo, et, "Toute innovation est un égarement, même si les gens la
considère comme bonne." 201, et aussi et surtout "Faites attention aux choses
nouvelles, car toute nouveauté est une innovation, et toute innovation est un
égarement, et tout égarement mène à l'Enfer". Signalons que ces hadiths concernent
les affaires religieuses, où l'innovation est interdite, alors que les affaires autres que
religieuses ne sont pas prises en considération dans cette question d'innovation,
d'ailleurs d'après un autre hadith rapporté par Muslim le Prophète a dit: "Vous êtes
plus au courant que moi des affaires de votre vie (ici-bas) ".
Ce malaise senti dans la culture arabo-musulmane, principalement avec ses référents
historiques et religieux, reste un indice clair de la non assimilation de l'héritage
arabo-musulman, de ses lectures et de ses interprétations divergentes. Ce passé est
alors assujetti à une seule lecture, où il devient pur et immaculé, et toute tentative de
changement surtout si elle vient de l'extérieur est perçue comme une menace et
faisant partie du Complot contre l'Umma.
* Les contraintes politiques:
On peut dire que la pensée politique arabo-musulmane,
n'a pas connu la même gestation épistémologique et idéologique comme la pensée
politique en Occident, dans le siècle des Lumières et les révolutions nationales. Ces
dernières ont permis à la politique de passer du paradigme théologique à la science et
200 _ Rapporté par Waki ' dans az-Zuhd (No 315) et Abou Khaythamah dans Kitabul-'Ilm (No
54), où shaikh AI-Albani l'a authentifié. Le complément est rapporté par Tabarani dans Al-Kabir
(9/1 54)
20\ _ Rapporté par Al-Bayhaqi dans Al-Madkhal ila Sunan al koubra (No 191) et aussi Ibn Nasr
dans As-Sunna (p. 24).
78
à la pratique. Par conséquent, les politiques modernes étaient caractérisées par le
réalisme. Ce qui a permis d'analyser les événements, à travers le prisme du réalisme
et de l'équilibre des forces 2ü2 . D'autre part, les politiques arabes ont été dirigées au
lendemain des indépendances par des élites, isolées de leurs peuples et souvent sans
légitimité. Ce qui a donné des politiques basées sur l'improvisation sans vision claire,
et contradictoires avec les intérêts même des pays gouvernés. En plus de l'utilisation
machiavélique de slogans susceptibles de toucher les masses. Parfois c'est le
nationalisme arabe qui est mis de l'avant, tantôt c'est l'appartenance à l'Umma, et
parfois c'est l'État national qui prime mettant en évidence les caractéristiques de la
contrée et ses différences par rapport à ses voisins les plus proches.
Dans cette perspective, et surtout pour cacher les échecs de leurs politiques,
l'instrumentalisation de la théorie du complot extérieur permanant, a été le cheval de
bataille de plusieurs forces et systèmes politiques dans l'espace arabo-musulman.
Daniel Pipes, pour ne citer que lui, avance dans cette même perspective:" les
autorités [dans le monde musulman] exploitent machiavéliquement les théories de
complot pour leurs propres fins ,,203 Pipes donne l' exempie de l'écrivain britannique
Salman Rushdie: "La campagne contre Salman Rushdie a commencé dans les rues
de Grande-Bretagne et le Pakistan; Seulement après que les gouvernements,
saoudien et iranien, l'ont adopté et en ont fait un événement,,204 Pipes avance que la
théorie du complot constitue un obstacle réel à la modernité elle-même dans la
région, et empêche les citoyens dans monde musulman de réaliser le progrès auquel
ils aspirent. Même les intellectuels arabes au Moyen Orient interprètent les grands
202 -Il n'est pas de l'intention de ces lignes d'analyser l'histoire de la politique en occident. Mais
il est important de signaler que le réalisme politique a été instauré depuis Machiavel (1469-1527),
dans "Le Prince" où la politique n'est plus une affaire de morale.
203 _ Pipes, Daniel: The Hidden Hand: Middle East Fears ofConspiracy. New York: St. Martin's
Press, 1996, p 231 .
204
-Ibid, P 231
79
événements de l'histoire par le prisme des théories du comploe0 5 . Elle constitue un
des dispositifs politiques les plus distinctifs de la région. Dans la même vision des
choses, Olivier Roy avance que: "La théorie du complot est en ce moment ce qui
paralyse la pensée politique musulmane. 1/206
3.2.2) La théorie du complot: le raccourci mental vers le bouc émissaire et le
machiavélisme de la classe dirigeante.
La rhétorique du complot a été cultivée par la classe dirigeante qui utilise ce
genre de discours pour justifier les échecs ainsi que pour barrer la route aux
revendications des forces de l'opposition. Le complot est aussi employé contre les
opposants. Les discours accusateurs contre les opposants font souvent référence à la
trahison et au complot de l'extérieur, et où participeraient activement ces
2 7
opposants 0 . Les justifications par les accusations et le complot interfèrent avec la
personnification du pouvoir et des relations politiques. La rhétorique du complot elle­
même devient une tendance à la personnalisation d'ennemis (imaginés), et que
l'imaginaire retient comme formant une menace contre "le moi social". On trouve
dans cette perspective, toute une terminologie "atteinte à l'identité nationale",
"L'occident et le retour des croisades" ... etc. Ce qui rejoint l'idée avancée par Alain
de Benoist
208
sur les théories du complot qui permettent de faire une économie
d'efforts. La théorie du complot, chez lui, tient à une seule cause, épargnant ainsi à
ses tenants, de se livrer aux recherches historiques, psychologiques et sociologiques
205 _
Ibid, P 2
206 _
Roy, Olivier. L'échec de l'Islam politique. Paris. Seuil. 1992. P. 34.
207 _ Exemple de Ayman Nour le Président du mouvement Kifaya, et du Professeur Saad Eddine
Ibrahim directeur du centre de recherches Ibn Khaldoun au Caire en Egypte. Voir l'entretien fait avec
Saad Eddine Ibrahim dans le Journal montréalais Al-Mustakbal du 12 Juillet 2007.
208 _ Benoist, Alain DE: Psychologie de la théorie du complol, Politica hermetica [diffusion
l'Age d'Homme], n'6-1992, pp. 13-35
80
pour expliquer les événements sociaux. En d'autres mots, « Le refus de penser le
bouleversement, de substituer aux modes de représentation traditionnels de nouveaux
codes est le corollaire de la peur de l'historialité.
»209.
Taguieff quant à lui parle
d'inquiétude: " Croire au complot, c'est se mettre en mesure de donner du sens à ce
qui en paraît dépourvu, et qui inquiète." 210
Le rejet du principe de la critique et de l'autocritique, ainsi que l'amour
excessif au leader (al moustabid al Adil [le despote juste]), qui ne se trompe pas, font
que l'idée du complot soit acceptable dans l'imaginaire arabo-musulman, refusant de
demander des comptes rendus à un pouvoir devenu une icône. Le Moi ne se trompe
pas. Le responsable, c'est l'Autre.
Cette rhétorique du complot contre l'Umma, va prendre une forme idéologique et
politique contre toutes les formes d'opposition. Les régimes nationalistes dits
révolutionnaires ont ainsi expliqué les empêchements de réaliser les buts, promis à
leurs peuples par la conspiration impérialiste et sioniste. Tandis que les régimes
conservateurs ont estimé que leur échec sur le chemin du développement et la
stabilité, est dû aux communistes et aux athées, au service de l'URSS. L'idée du
complot est ainsi le meilleur et le plus court chemin pour décliner toute
responsabilité, devant des populations qui déclinent elles-mêmes toute participation
politique active, en raison de leur désintéressement à la politique, et leur indifférence
par faiblesse de la conscience politique et sociale, ou même d'un manque de
confiance dans ces systèmes politiques clos et ne permettant guère l'élargissement de
la participation.
Devant cet état des choses, où la liberté individuelle n'est pas encore prise au
sérieux, la faiblesse dans la participation politique, la faible participation de la société
civile dans les décisions politiques, se faisant dans des cercles fermés, le manque du
209 _ Carlier, Michel. "La théorie du complot". GRECE, coll. Points de vue nOII, 1994 (page
consultée le 07 Janvier 2007), [en ligne], adresse URL:
http://www.grece-fr.net/textes/ txtWeb. php? id Art=249.
210 _ Taguieff,
14
Pierre-André. L'imaginaire du complot mondial. Paris. Mille et une nuits. 2006, p
81
débat public, le mensonge politique, le manque de la responsabilité interne, sans
oublier le manque critique des processus décisionnels et de la compréhension des
décisions stratégiques et étatiques, la situation sociale devient de plus en plus difficile
à comprendre par l'homme ordinaire. L'Occident ou l'extérieur devient un bouc
émissaire pour affranchir les pouvoirs de leur déficience et incompétence, ainsi que
donner une légitimité à l'attentisme de la société. Cette situation est plus ou moins
similaire à l'époque postrévolutionnaire (la révolution française de 1789), Massimo
Introvigue souligne en parlant de l'imaginaire du complot qui régnait à l'époque en
France:
"... c'est le rôle sociologique { .. .} de la théorie du complot qui me semblerait plutôt
naitre de la société complexe où les gens, quelle que soit leur position politique,
voient la situation sociale extrêmement difficile à saisir et la théorie du complot {.. .}
les aide à saisir à nouveau, à se sentir maîtres de la situation historique dans un
schéma noir / blanc, nous / eux ... etc. ,,211
La séparation entre gouvernants et gouvernés et le manque d'interaction entre
les valeurs et les demandes de ces derniers d'une part et le comportement politique
des premiers d'autre part, affecte la transparence et accentue la disposition des
gouvernés
à accepter toute explication donnée par les tenants du pouvoir. Ces
derniers ne se gênent guère d'utiliser toutes les formes de violence contre ses
adversaires. Ajoutons à cela l'absence d'institutions sociales et politiques capables de
préparer et socialiser des citoyens au dialogue ouvert, ainsi que des structures
économiques et sociales et du cadre culturel, nécessaires pour l'apprentissage de la
démocratie, sans oublier la non-reconnaissance du pluralisme politique, et l'absence
de l'alternance du pouvoir comme un régulateur démocratique. En un mot "quand la
société souffre, constate Durkheim, elle éprouve le besoin de trouver quelqu'un à qui
elle puisse imputer son mal, sur qui elle puisse se venger de ses déceptions.
,,212.
211 _ Introvigne, Massimo. L'esprit du complot, Politica Hermetica, nO 6, L'Age d'Homme,
Paris. 1992. P 30
212.
Girardet, Raoul Mythes et mythologies politiques. Paris. Éditions du Seuil. 1986. P. 54.
82
Cela étant, il y a une idée qui a été exploitée par plusieurs leaders arabes et qui
a beaucoup servi à les tenir au pouvoir dans leurs pays. C'est l'idée du "Grand Israël"
qui consiste à dire que l'État israélien projette d'agrandir ses territoires sur tous les
territoires des pays arabes. Au-delà de la véracité de ce rêve, ce qui nous concerne ici
c'est de mettre en évidence son utilisation par certains chefs d'Etat de la région. En
effet, parmi les propos du leader libyen Mouammar Kadhafi à la télévision libyenne
le 20 Mars 1990: "le plan américano-sioniste à travers "le Grand Israël" projette
occuper le monde arabe et le monde musulman, et contrôler surtout la Mecque et
Médine."
213.
Ces propos et d'autres encore du colonel Kadhafi s'inspirent
profondément de la théorie du complot. Parfois ce dernier est à la fois israélien et
américain, dans d'autres occasions, il est juif et chrétien. Par exemple, s'adressant
aux Serbes dans leur guerre contre les Bosniaques il avance à la télévision libyenne:
"Vous les Serbes, vous étiez nos amis depuis Tito. La doctrine orthodoxe est similaire
à l'Islam,' vous ne devez pas tombez dans le complot des Catholiques, des
"
et d es J Ulifs ,,214 .
Protestants, des Chretlens
Nul doute que l'image du leader libyen en Occident est restée négative, même
après la levée des sanctions contre la Libye et l'ouverture du régime libyen sur les
pays occidentaux. Cette image de Kadhafi peut être expliquée par l'orientation du
leader libyen depuis son avènement au pouvoir en 1969. Kadhafi se proclame lui­
même comme un disciple du leader nationaliste arabe Nasser. L'idéologie
nationaliste, poussée au paroxysme par Kadhafi, est fondamentalement antilibérale et
anticapitaliste, et qui voit dans l'Occident et Israël, la source de tous les maux arabes
213 _ Cité par Pipes, Daniel: The Hidden Hand: Middle East Fears ofConspiracy. New York: St.
Martin's Press, 1996. P 59
214 _
Ibid. P 129
83
et musulmans. Du coup Kadhafi rejette le système économique capitaliste américain
qu'il considère "corrompu et décadent" (page 45 des explications du Livre Vert)215.
L'anti-occidentalisme était le cheval de bataille de Kadhafi qui tenaient des
discours journaliers pour dénoncer, voire insulter ce qu'il appelle l'impérialisme
américain, responsable de l'implantation d'Israël dans la région selon ses propos.
Cette vision du monde et ce référentiel idéologique de Kadhafi a largement consolidé
l'image du leader libyen en Occident, où les médias lui réservent "le quasi-monopole
du terrorisme international, et la « qualité» d'ennemi mondial n° 1 ,,216
En outre, on peut ajouter qu'en général Kadhafi se proclame comme un "opposant à
l'échelle mondiale,,217. Ce positionnement de Kadhafi comme opposant à l'Occident,
a facilité chez le leader libyen le recours à la rhétorique du complot occidental sans
conviction en fait de sa part. Car, avec la levée des sanctions sur la Libye et
l'intégration de celle-ci dans la communauté internationale, le colonel Kadhafi a
changé complètement son discours antioccidental et ne fait plus allusion au complot.
Cela s'est passé en fait, sans une critique de son ancien discours versé dans la
rhétorique du complot.
On signale que dans l'affaire des infirmières bulgares et du médecin d'origine
palestinienne, condamnés à mort deux fois pour avoir inoculé le virus du VIH à des
enfants d'un hôpital de Benghazi le fils du colonel Kadhafi Saïf al-Islam convient,
dans un entretien accordé au quotidien français le "Monde,,218, que le personnel
soignant bulgare, était innocent: "elles (les infirmières) ont malheureusement servi de
boucs émissaires", déclare-t-il, estimant que la Libye a réalisé dans cette affaire "un
215 _ Cité par Robert Charvin
et Jaques Vignet - Zuns in Charvin, Robert et Vignet-Zuns,
Jacques. Le syndrome Kadhafi. Paris Editions Albatros, 1987. P. 73
216 _
Robert Charvin et. Vignet - Zuns, Jaques. Op. Cit. p. Ils
217 _ "Je me tiens aux côtés de l'homme de la rue, de j'homme persécuté, qu'il soit chrétien ou
musulman ... " cité par Robert Charvin et Jacques Vignet - Zuns. P 121.
218 _
Voir le quotidien français le Monde du 26 juillet 2007
84
bon deal". Depuis le début de cette affaire, les autorités libyennes ont crié au complot
occidental et sioniste pour contaminer les enfants libyens. Les déclarations de Saïf al­
Islam Kadhafi, sont passées sans gène en Libye, et n'ont pas suscité d'indignation au
sein de la population. Ce qui prouve encore une fois que l'imaginaire arabo­
musulman n'est pas encore prêt à accepter une révision de l'idée du complot
occidental contre l'Umma musulmane.
Cela étant et si Kadhafi a changé son discours, celui du parti Baath en Syrie
est resté le même, et avec la même rhétorique du complot véhiculée par l'ex-président
syrien Hafez al-Assad, et perpétué par son fils Bachar le président actuel de la Syrie.
En effet, le complot israélien et l'idée du "Grand Israël" reviennent beaucoup dans le
discours de Hafez al-Asad, comme danger imminent 2J9 contre les Palestiniens et les
Arabes. Alors qu'il a été soupçonné de saboter la défense syrienne au Golan en 1967,
lorsqu'il était ministre de la défense, une offensive irakienne sur Israël en 1973,
d'avoir permis le massacre à Tel Zaatar (camp palestinien à Beyrouth-Est au Liban)
en 1976, et d'avoir été à plusieurs reprises en contact avec les Israéliens lors de la
guelTe civile libanaise (1975-1990)220. En sus, il a été soupçonné de coopérer avec les
États-Unis
22
!
au détriment de la cause palestinienne. Cette cause qu'il défe'ndait dans
ses discours anti-américains. En fait ces accusations, qu'on peut aussi considérer
comme relevant elles-mêmes de la rhétorique du complot, étant donné qu'elles­
mêmes sont présentées sans preuves claires, allaient se confirmer chez leurs
défenseurs après que les troupes syriennes rejoignent celles américaines dans la
219 _ Voir quelques uns de ses discours annuels, du 8 Mars commémorant la révolution du parti
Baath de 1963, entre 1985 et 1990 in, Ma'oz Moshe, syria and Israël: From War to peace-making.
Oxford. Clarendon Press. 1995. Pp 32-80
220 _ Pour plus de détails voir Saint-Prot Charles. Les mystères syriens: La politique au Proche­
Orient de 1974 à 1984. Paris. Albin Michel. 1984. Pp22-23
221 _ Cité par Turki Fawaz, Exile's Return: The Making of a Palestinian American. New York.
Free Press. 1994. P 76
85
seconde guerre du Golfe en 1991
222
contre Saddam Hussein. Ajoutons à cela que le
régime syrien est vu par l'Islam sunnite comme l'ennemi de ce dernier, vu qu'il est
entre les mains des Alaouites
223
.
Ces derniers sont considérés comme apostats et sont
souvent vus par les sunnites comme de connivence avec Israël, après la perte en 1967
du Golan conquis par Israël lors de la guerre des Six Jours, et son annexion par l'Etat
hébreu en 1981. Et surtout avec le massacre de Hama, ville syrienne à majorité
sunnite, qui a été écrasée par le régime syrien en 1982.
On signale que si les alliances et contre alliances faites par le régime syrien au
moment des crises relèvent de la "raison d'Etat" esquissée par Machiavel dans son
"Prince", et qui peut être contraire aux "idéaux" de la Syrie
224
.
La rhétorique du
complot est utilisée davantage vers l'intérieur et a ainsi servi comme moyen, parmi
d'autres pour légitimer le pouvoir syrien.
Il est important de noter que le même discours est encore utilisé par le parti
Baath syrien, toujours en pouvoir. En effet, le 25 Mai 2007 à l'occasion de la
candidature du président Bachar al-Assad pour un
i
ème
mandat présidentiel, le
secrétaire général adjoint du Parti Baath Syrien, Abdallah al-Alunar a affirmé que:
" Le peuple arabe vit une occasion nationale pour choisir son leader
exceptionnel le président Bachar al-Assad (. ..) qu'il est le leader des
ambitions et des esphts du peuple arabe et qui affronte, forcement, les d~fis
222 _ Pipes, Daniel: The Hidden Hand: Middle East Fears ofConspiracy. New York: St. Martin's
Press, 1996. P 277
223 _ les Alaouites constituent environ JO % de la population de la Syrie, dont fait partie la
famille régnante AI-Assad. Les alaouites forment une branche radicale du chiisme professant qu'Ali
(gendre du Prophète et 4ième calife de l'Islam) est l'incarnation de Dieu. Il est éternel en sa nature divine
et s'est manifesté comme imam du temps.
224 _ Ces idéaux figurent dans la constitution syrienne, toujours en vigueur. En vertu du premier
principe intitulé" l'unité de la nation arabe et sa liberté: Le peuple de la Syrie arabe fait partie des
autres peuples de la nation arabe. Ils travaillent et luttent ensemble pour la réalisation l'unité complète
de la nation arabe.
86
extérieurs et les complots sionistes qui menacent le peuple palestinien et
arabe. ,,225.
On remarque que la rhétorique du complot revient à chaque investiture comme une
composante essentielle dans le pacte qui devrait lier le président syrien avec son
peuple.
L'ex-président irakien Saddam Hussein lui aussi, utilisait cette rhétorique du
complot, sans pour autant en être convaincu. En effet selon un communiqué de
l'Agence nationale de presse iraquienne NINA, du 27 décembre 1990, lors de
l'invasion irakienne du Koweït et quelques semaines avant le déclenchement de la
seconde guerre du Golfe en Février 1991, Saddam Hussein a déclaré que "1 'essence
du complot ... ce sont les efforts américains pour dominer le monde et le désir
israélien pour fonder le "Grand Israël,,226. Les discours de l'ex-leader irakien, dont
on a cité un seul exemple pour la commodité du travail, étaient imprégnés de la
rhétorique du complot judéo-impérialiste. Proclamé comme leader nationaliste du
monde arabe, surtout grâce à son aide aux Palestiniens, Saddam Hussein a été lui
aussi accusé de connivence et de complot avec Israë1
227
,
par le président égyptien
Hosni Moubarak 228 . Mais si les liens avec Israël restaient au seuil des accusations
entre les leaders arabes, ceux avec les États-Unis s'avèrent plus concrets. En effet,
Saddam a été depuis son avènement l'homme des Etats-Unis dans la région.
225 _ voir le discours sur le site official du Parti Baath Syrien: (page consultée le 10/07/2007),
[en ligne], adresse URL:
http://www.baath-party.org/french/news detail.asp?id= 154
226 _
Cité par Pipes, Daniel: The Hidden Hand. Op cil, p 156
227 _
l'Agence de presse du Moyen-Orient, le 01 Octobre 1990. Cité par Pipes, Daniel. Ibid, p
228 _
Qui a été lui aussi accusé par le régime irakien d'être un agent israélien.
274
87
D'ailleurs comme l'affirme un auteur: "le parti Baath antiaméricain est venu au
pouvoir en Irak par un train américain ,,229
Suite à ces exemples qui semblent significatifs sur l'instrumentalisation de la
rhétorique du complot par quelques dirigeants arabes, on n'omet pas de mentionner
que le journaliste Muhammad Hasanayn Haykal a officiellement accusé deux rois
arabes (Hassan II du Maroc et Hussein de Jordanie) de comploter contre la cause
arabe dans un ouvrage 230 paru après leur mort.
Haykal cite Bob Woodward
231
qui esquisse dans son ouvrage la relation du roi
jordanien avec la CIA et jusqu'à devenir un haut responsable de la CIA dans la région
du Moyen-Orient
232
.
De même pour le roi Hassan II, Haykal cite un article du New
York Times du 26 Juillet 1999, stipulant lui aussi les liens du roi du Maroc avec le
Mossad, pour avoir mis sur écoute les sommets arabes que Hassan II organisait dans
son pays, en contrepartie, les services secrets israéliens protégeaient le roi à
l'intérieur et à l'extérieur du Maroc
m
. Ces deux exemples sont cités pour montrer
que dans une telle atmosphère d'accusations et d'accusations réciproques de trahison
et de traîtrise, il est plus aisé pour la rhétorique du complot de s'installer et de
proliférer, ainsi que de réduire toute explication à un complot sioniste et impérialiste
et que même la tentative de déconstruire cette mentalité du complot devient elle­
même un complot.
229 _ Sami Yosif, "The lraqi-U.S. War: a Conspiracy Theory," in The Gulf War and the New
World Order, edited by Haim Bresheeth and Nira Yuval-Davis (London: Zed Books, 1991), P 58
230_ Haykal, Muhammad Hasanayn. Kalam fi as-syiassa. Qadaya wa rijal : wijhat nadhar ma 'a
bidayat al-qarn al-wahed wa al- 'ichrine [Propos En politiqueAffaires et Hommes: Points de vue au
début du 21'eme siècle. Le Caire. Ach-charika al-misryya li an-nachr al-arabi wa ad-daouli. 2000
231 _ Woodward, Bob. Shadow. Five Presidents and the Legacy of Watergate. New York: Simon
& Schuster. 2000.
232 _ Haykal. Muhammad Hasanayn. Kalam fi as-syiassa. Qadaya wa rijal : wijhat nadhar ma 'a
bidayat al-qarn al-wahed wa al- 'ichrine. Op cit. p 311
233 _
Ibid, pp 332-333
CONCLUSION
Ce travail est une tentative pour démontrer que la théorie du complot a des
racines plus profondes, dans les structures mentales arabo-musulmanes remontant aux
croyances et aux faits historico-politiques. Ce qui inclut:
des récits coraniques sur les intrigues des Juifs contre leurs prophètes et aussi
contre les autres nations. Il était indispensable de mettre en valeur les différentes
exégèses, sur ces récits coraniques et les mettre dans leur contexte historique.
Pour voir ensuite leur généralisation sur tous les juifs, dans un souci de trouver
un fondement à la mentalité du complot dans le texte religieux.
Les confirmations de la Sunna du prophète Mahomet sur le rôle "complotiste"
des Juifs dès les premiers temps de l'Islam contre la nouvelle religion et son
prophète, ainsi que l'État musulman encore embryonnaire. Cet épisode de
l'histoire comme on a essayé de le montrer, a été fondateur de l'insertion de
l'image négative des Juifs dans l'imaginaire musulman.
Ce qu'on peut retenir des ouvrages historiques de la civilisation arabo­
musulmane est que derrière la Fi/na, se dessine une conspiration juive et/ou
persane. En effet, la notion du complot, dans l'imaginaire musulman trouve son
origine, après la mort du deuxième calife Othman en 656. Après, toutes les
guerres entre les compagnons du prophète qui se sont produites, ont été imputées,
à un seul homme: Abdallah Ibn Sabaâ. C'est lui qui, d'après plusieurs
historiens, a monté tout le complot contre le troisième calife Otlunan (644-656),
et du coup il était responsable de tous les maux des musulmans pendant cette
période. La pierre angulaire dans ce genre d'explication des événements
historiques de cette période, est que les compagnons du prophète, gardent dans
l'imaginaire musulman, une place d'hommes saints « qui ne font pas d'erreurs ».
Cela malgré leurs désaccords politiques et leurs conflits armés pour la prise du
pouvoir après la mort du prophète. En sus, la recherche historique, comme on
vient de le voir, montre qu'il est peu probable, voire difficile, qu'un individu
89
(Abdallah ibn Sabaâ) soit seul responsable de tous les événements historiques de
la Fitna. Mais la "création" de ce personnage et/ou de son rôle, reste un paravent
pour celer ou occulter les raisons de la Grande Discorde et du coup les difficultés
épistémiques, politiques et morales dont souffre cet imaginaire musulman.
Dans l'eschatologie musulmane parmi les dires du prophète qui relatent les
signes de la Fin des Temps, plusieurs hadiths alimentent encore plus l'imaginaire
musulman et le rendent plus penché vers l'interprétation de l'histoire à partir du
prisme du complot juif.
L'imaginaire arabo-musulman contemporain, retient que les maux de son monde
proviennent soit des Juifs, d'ailleurs, l'ouvrage "les protocoles des sages de
Sion" continue à susciter les passions, soit de l'Occident.
A noter que cela a pris
des dimensions importantes avec la déclaration (ou promesse) Balfour de 1917,
le conflit israélo-palestinien avec la naissance de l'État d'Israël depuis 1949.
Dans ce travail, l'accent a été mis sur l'influence des textes sacrés et leurs
différentes interprétations, ainsi que leur rôle dans l'implantation de cette notion dans
l'imaginaire collectif arabo-musulman, et cela depuis les premiers temps de l'Islam. Il
était question à travers les lignes précédentes, de voir comment la tradition (legs
historique) et la culture politique musulmane contemporaine, interagissent pour
rendre la théorie du complot aussi persistante dans plusieurs aspects de la pensée
arabo-musulmane.
Il a été mis en contexte les récits du Coran sur les intrigues des Juifs pour montrer
qu'ils alimentent encore l'imaginaire arabo-musulman et le rend plus penché vers
l'interprétation de l'histoire à partir du prisme du complot, surtout juif.
Ensuite comme cas d'étude, nous avons traité du discours nationaliste arabe
(nassérien comme exemple) et islamiste (ceux d'AI Qaïda, et le Hamas comme
exemples). Si on a essayé de démontrer que le poids de l'histoire et de la religion ont
largement concouru à ce que l'imaginaire arabo-musulman continue d'accepter
l'interprétation par la théorie du complot, d'autres facteurs, tell' épuisement du sens
90
critique, l'enracinement de la blessure narcissique dans la mémoire collective arabo­
musulmane ont été mis en relief, afin de bien cerner l'hypothèse de recherche de la
problématique posée dans le mémoire.
Cela étant, avec une vision narcissique de soi (" Vous êtes la meilleure Umma
(communauté) qu'on ait fait surgir pour les hommes, vous ordonnez le convenable,
interdisez le blâmable et croyez en Dieu" (Al Imarne, 110), accompagnée de la peur
pour sa propre culture nationale et son identité culturelle (fin de l'expansion et fin du
califat en 1924), une omission des analyses critiques et autocritiques de son corpus
religieux et historique, et tout en se soustrayant de toute responsabilité, l'imaginaire
musulman croit que ces difficultés internes ont des causes externes. Qui sont réduits
à une seule: le complot.
Ce qui retient l'attention, c'est qu'après chaque cnse et chaque défaite, la
rhétorique du complot refait surface, pour accuser l'Autre non musulman. Comme il a
été esquissé, le recours au complot comme un raccourci mental dans les explications
qui relèvent des analyses scientifiques approfondies, est un indice du déficit du
rationalisme, de l'esprit critique et de la culture démocratique dans l'espace arabo­
musulman.
Cela étant, l'immuabilité de la culture dans l'espace arabo-musulman est
expliquée entre autres par la recherche d'une légitimité dans les textes religieux. Ce
qui entrave sérieusement la possibilité d'une éducation basée sur l'autocritique,
susceptible de libérer le citoyen de la mentalité du complot en cas de crise. En outre,
la réticence à la modernité jusqu'à la diaboliser, dans le discours islamiste radical est
un autre malaise de la culture arabo-musulmane. Elle reste un indice clair du poids et
du rôle de l'héritage arabo-musulman dans le façonnement de cet imaginaire. Le
passé doit alors être assujetti à une nouvelle lecture, où il doit être considéré comme
objet de science ni pur ni immaculé.
GLOSSAIRE
•
Ce petit glossaire regroupe les prIncIpaux termes et noms arabes cités dans le
mémoire.
TERMES ARABES:
AHL AL BAYT : « Les gens de la maison». Le terme se rapporte stricto sensu, à la
famille du Prophète et ses descendants de sa fille Fatima et son gendre Ali, Dans
l'histoire de l'Islam, plusieurs dynasties ont légitimé leur prise du pouvoir par leur
appartenance à Ahl al Bayt.
ARABE: regroupe des peuples d'origine sémite, qui ont vécu en Arabie et qui sont
restés liés par la langue arabe (langue du Coran aussi). Les Arabes sont en majorité
Musulmans, mais il existe quelques millions de chrétiens vivant principalement au
Liban et en Egypte.
CALIFAT (succession). Institution née après la mort du Prophète. Le califat est la
seule forme du pouvoir, élaborée par la science politique musulmane. Le pouvoir
califal s'étend de la représentation des croyants, jusqu'à la protection de leurs droits
et libertés. Après l'éclatement du califat ottoman en 1924, le problème s'est posé aux
penseurs musulmans sur la forme du pouvoir qu'il faut retenir.
CHIRK (polythéisme) : Le chirk en Islam est un péché grave, car il met en cause le
dogme de l'unicité de Dieu.
•
- Ce glossaire a été principalement et en grande partie, synthétisé à partir de l'ouvrage de
Sami Aoun : mots-clés de J'islam. Montréal. MEDIASPAUL 2007.
92
DAR AL-HARB (le domaine de la guerre). Territoires des non musulmans, par
opposition à dar al-islam.
DAR AL-ISLAM: domaine sous domination des Musulmans. Cette division du
monde appartient au fiqh ancien, c'est pourquoi plusieurs penseurs arabes avancent
qu'elle est inadéquate dans les temps modernes.
DOSTOUR AL-MADINA (pacte de Médine): Document établi par le prophète
(avec les tribus vivant à Médine) en 622. Ce document avance entre autres, la
garantie de la liberté de culte et l'égalité de tous les habitants de la ville, au delà de
leur différence religieuse.
FIQH : Science du droit islamique constitué à partir du VIlle siècle. Dans le monde
sunnite, il existe quatre écoles juridiques fiqhistes sunnites: malikite Malik (env.
715- env. 795), hanafite d'Abou Hanifa (699-767), shafi'ite de Shafi'i (767-820) et
hanbalite Ibn Hanbal (780-855. Ainsi que l'école chiite dite jaafarite fondée par
Jaafar Sadek (699-765).
FITNA (discorde) : Crise politico-religieuse survenue sous le califat d'Ali (656-661).
Elle est plus connue sous le nom de «Grande Discorde». Le califat d'Ali a été
contesté par Aïcha (veuve du Prophète) et d'autres compagnons du Prophète. Ce qui a
conduit à la bataille du Chameau (ma 'rakat al jamal) entre Ali et ses alliés (les
premiers chiites) d'une part, et Aïcha et ses proches d'autre part.
HADITH (propos): Dire ou fait du prophète Mahomet, rapporté par ses
compagnons. Il existe toute une science des hadiths, qui rejoint l'exégèse du Coran,
pour former les principales sciences religieuses en Islam.
DAMAS (BArakat al Moukawama Al iSlamiya) (mouvement de résistance
islamique) : Mouvement de résistance fondé en 1987 dans les territoires palestiniens.
93
Le mouvement est sur la liste des mouvements terroristes de plusieurs pays
occidentaux.
JIHAD (effort, guerre sainte): on distingue le «grand jihad» et le «petit jihad». Le
premier doit être pour une purification spirituelle. Le " petit jihad" est la guerre, que
les Musulmans ont le droit de mener pour se défendre ou s'imposer.
KAABA: Édifice cubique au centre de la Grande mosquée de La Mecque. Pour les
Musulmans, la Kaaba est la «Maison de Dieu». La Kaaba contient la pierre noire, une
météorite vénérée par les pèlerins musulmans. La tradition musulmane la décrit
comme une pierre du Paradis.
KHARIJISME: Principale branche de l'Islam connue pour son rigorisme et qui a eu
recours à la violence politique. Notamment en assassinant le calife Ali, après la
bataille de Nahrawan en 658 où il en a massacré des centaines.
MECQUE (MAKKA en arabe) : Ville sainte de l'Islam en Arabie saoudite. Elle a
plusieurs noms (Makka, Bakka, Oum al Qora ... etc.). L'accès à cette ville est interdit
aux non musulmans.
MEDINE (Al -Madina en arabe) : Ville d'Arabie saoudite et première capitale de
l'État musulman. Elle renferme le tombeau de Mahomet.
NAHDA: Renaissance arabe au XIX e siècle, caractérisée par l'envoi des missions
scolaires égyptiermes en Europe. Les penseurs arabes se sont interrogés sur les causes
du retard du monde musulman. Parmi eux: Girgi Zaydan (1861-1914), Mohamed
Abdou (1849-1905)
QIBLA (direction) : C'est le point vers lequel les Musulmans se tournent lors des
prières. Ce point est la Kaaba à la Mecque. La première Qibla était Jérusalem.
94
QORAÏCH: Tribu du prophète Mahomet à la Mecque et qui a joué un rôle
important dans 1'histoire commerciale de l'Arabie avant et après l'avènement de
l'Islam.
QUDS (AL) (Jérusalem) : Pour les Musulmans, c'est une ville sainte qui abrite la
Mosquée AI-Aqsa troisième lieu sacré en Islam.
CORAN (QUR 'AN) : Livre sacré de l'Islam. Selon la tradition musulmane, il est la
parole de Dieu. Il comprend 114 chapitres (sourates) divisés en versets (ayat).
SALAFI ou salafiste (du sala!qui signifie ancêtres) : Terme utilisé pour désigner le
courant islamiste qui refuse la modernité et appelle à un retour à la vie du prophète et
de ses compagnons dits (as-sala! as-saleh (les ancêtres vertueux).
SHARI'A (loi islamique): L'ensemble des principes islamiques généraux qUi
codifient le comportement musulman.
SHI'ISME: Second principal courant de l'Islam après le sunmsme. Les chiites
croient qu'Ali devait être le successeur du prophète. Le chiisme est divisé en
plusieurs courants (le chiisme duodécimain, l'ismaélisme, le Zaydisme ... etc.)
SUNNA: paroles et actes du prophète transmis par ses compagnons et leurs
successeurs, à travers le temps.
SUNNISME: Courant principal et majoritaire en Islam qUi accorde une place
centrale à la Sunna du Prophète.
95
TAFSIR (explication) : Science d'explication du Coran en prenant en considération
les causes de la «descente» des versets (asbab anouzouT). Parmi les exégèses: le
Tafsir de Tabari et le Tafsir d'Ibn Kathir.
ULEMA: Savants et juristes de l'Islam qui ont pour mission l'application de la
Shari 'a.
UMMA: Terme désignant l'ensemble de la communauté des Musulmans, sans égard
à l'emplacement géographique.
NOMS PROPRES
ABDOU, Mohamed (1849-1905): Théologien réformiste de la Nahda. Il a publié
entre autres Risalat al tawhid (Traité de l'unicité divine).
ALI (600 env. -661). Quatrième calife de l'Islam (656-661), cousin et gendre du
prophète Mahomet, assassiné par les kharidjites. Les chiites le vénèrent en tant que
premier Imam de la communauté chiite.
ARKOUN, Mohamed (1928-
): Islamologue et historien algérien. Il a publié entre
autres "l'Humanisme arabe au Xe siècle", "Pour une critique de la raison islamique"
et "La Pensée arabe".
BAKR (Abou) (570 env.-634) : Premier calife de l'Islam (632-634), beau-père et ami
de Mahomet. Abou Bakr a consacré son court califat à mettre fin à un mouvement
sécessionniste politico-religieux de plusieurs tribus.
BOUKHARI (Al) (810-870) : Compilateur des hadiths de l'Islam sunnite. Sa collection
Sahih Bukhari est considérée comme la plus authentique après le Coran.
96
ZAWAHIRI (Al), Ayman (1951-
): Ancien dirigeant du groupe islamiste radical
égyptien "le Jihad islamique". Il est le principal bras droit de Ben Laden du réseau
AI-Qaida.
FOUDA, Farag (1945-1992) : Intellectuel égyptien laïc assassiné en 1992 par les
islamistes. Parmi ses ouvrages: "La vérité absente" et " le Mariage Temporaire".
JABRI (Al), Mohamed Abed (1935-
) : penseur marocaine connu par son Naqd
al- 'aql al- 'arabî. [Critique de la raison arabe] en 4 tomes. Il a écrit aussi Nahnu wa
al-turâth. Qirâ 'ât mu 'âsira fi turâthinâ al-falsafi. [Nous et notre tradition. Lectures
contemporaines de notre tradition philosophique] et AI-Turâth wa al-hadâtha
[tradition et modernité]
KATHIR
(Ibn) (mort en 1373) : Historien et exégète du Coran. Parmi ses ouvrages AI­
bidâyah wan-nihâyah (Le Commencement et la fin) et Tafsir Ibn Kathîr (L'exégèse
d'Ibn Kathir).
KHALDOUN
(Ibn) (1332-1406). Historien arabe célèbre grâce à son "Muqaddima" ou
Les prolégomènes, où il a établi les bases de sa méthodologie de la lecture de
l'Histoire.
LADEN (Ben), Oussama (1957-
): Activiste islamiste saoudien, chef et fondateur
d'AI-Qaïda et principal ennemi de l'administration américaine depuis les événements
du Il septembre 2001.
LAROUI, Abdallah (1933-
) : Historien marocain auteur de plusieurs ouvrages
d'analyse de la pensée arabo-musulmane: "Islam et modernité" "L'idéologie arabe
contemporaine" et 'l,a Crise des intellectuels arabes"
97
MAHFOUDH, Naghib (1911-
): Romancier et Prix Nobel de littérature en 1988
égyptien. Il a écrit notamment: La Trilogie du Caire en trois volumes.
MAHOMET (570-632) : Prophète et fondateur de la civilisation arabo-musulmane.
Symbole de l'unité des Musulmans, Mahomet est glorifié en Islam. Son appel à la
nouvelle religion, était mal reçu par sa tribu Qoraïch. Contraint de quitter sa ville
natale la Mecque à Médine, c'est dans cette dernière qu'il fonda le premier État
islamique et devint à la fois un chef religieux, politique et stratège militaire. Il mourut
en 632, après avoir répandu l'Islam dans toute l'Arabie.
MUSLIM (821-875). Compilateur des hadiths pour l'Islam sunnite: Son livre Sahih
Mouslim est considéré comme la plus importante collection de hadiths après celui
d'Al Boukhari.
NASSER (Abdel), Gamal (1918-1970): Fondateur dans les années 40 du
mouvement des "Officiers libres", qui a renversé le Roi Farouk 1er en 1952. Nasser
est devenu président de l'Égypte en 1954. Promoteur de l'unité arabe, il nationalisa le
canal de Suez, en 1956. Sa défaite militaire devant Israël en 1967, l'a partiellement
isolé et a sonné le glas à l'euphorie de son idéologie le nassérisme.
QARADAOUI (AI), Youssef (1926-
): Savant religieux égyptien, auteur de
plusieurs ouvrages dont: Al-Halâl wal-Harâm jil-Islâm [Le licite et l'illicite en
Islam], Fatâwâ Mu 'â§irah [Fatwas contemporaines].
QOMNI (Al) Sayed (1947-
) : historien égyptien auteur de nombreux ouvrages:
"Les guerres de l'Etat du prophète: Badr et Ohoud" et " le mythe et la tradition".
98
OMAR (581-644). Deuxième calife de l'Islam (de 634 à 644). Sous son règne,
plusieurs conquêtes ont été menées contre l'empire sassanide, et l'Égypte. Il a été
assassiné par un prisonnier d'origine perse.
OTHMAN (576-656) : Troisième calife de l'Islam (de 644 à 656). Sous son califat
plusieurs contestations ont été engagées contre sa politique financière.
SAADAOUI, Nawal (1931notamment:
modernité
): Intellectuelle féministe égyptienne. Elle a écrit
''La Face cachée d'Eve" et ''Femmes égyptiennes: tradition et
ft.
T ABARI (839-923) : Historien et exégète du Coran. Il a écrit notamment Tarikh al
oumam wa al moulouk [L'histoire des rois et des peuples] et son Ta/sir a-tabari)
[Exégèse du Coran]
T AHA (Hussein) (1889 - 1973) : Penseur et romancier égyptien. Nommé Doyen des
Lettres Arabes. Disciple de Durkheim, il a écrit notamment une autobiographie "Al­
Ayyam" [Les Jours] et "de la poésie préislamique".
TAYMIYA (Ibn) (1263-1328) : Théologien et jurisconsulte musulman. Il est l'auteur
de nombreux ouvrages, notamment: Dar 'u ta 'ârudh i/- 'aqli wan-naql [Réfutation de
l'opposition entre raison et révélation].
TANTAOUI, Mohamed Sayyed (1928-
): Cheikh d'Al Azhar en Égypte depuis
1996. Il a fait du dialogue islamo-chrétien, surtout en Egypte une de ses priorités.
ZEID (Abou) Nasr Hamid : Penseur égyptien qui a écrit notamment naqd al khitab
addini [Critique du discours religieux] en 1999, où il avance l'idée de l'historicité du
99
Coran. Il a été considéré comme apostat et menacé de mort par les islamistes
égyptiens. Ce qui l'a contrait à quitter l'Egypte vers l'Europe.
BIBLIOGRAPHIE
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