Discours de M. Gilbert Amy lors de son installation à l

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Discours de M. Gilbert Amy à l’occasion de son installation
à l’Académie des beaux-arts
le mercredi 15 octobre 2014, au fauteuil de Serge Nigg
Serge Nigg est né le 6 juin 1924 d'une mère ukrainienne et d'un père d'origine écossaise.
Une petite ville des environs d'Inverness, dans le Nord de l'Ecosse, porte d'ailleurs ce
nom. Très tôt c'est le piano qui l'attire et qui forme le musicien. Il a, paraît il, improvisé
devant Olivier Messiaen à l'âge de 14 ans, avant d'entrer, quelques année plus tard, dans
sa classe d'Harmonie, au retour de captivité du jeune maître à qui on ouvre tout grand les
portes du Conservatoire de la rue de Madrid.
Les témoignages créatifs de cette période s'appellent Fantaisie pour piano (1942),
première Sonate pour piano suivie de 2 concertos pour le même instrument (1945 et 46),
détruits par le compositeur. Il s'essaye aussi à l'orchestre avec Timour (1943-44).
A l'époque les études musicales ne duraient pas des années comme aujourd'hui, pour se
terminer par des « licences » ou des « Master » et nul besoin de venir réciter de laborieux
catéchismes pédagogisants ou pseudo « culturels ». Serge Nigg, à 22 ans, a déjà terminé
l'essentiel. Il fréquente à présent René Leibovitz, compositeur et théoricien d'origine
polonaise qui enseigne la technique dite « des 12 sons », héritée de l'enseignement de
Schönberg, son maître. Leibovitz est un homme de certitudes, certains diront de rigueur,
voire de sécheresse. Son enseignement (privé) sera suivi par les éléments les plus créatifs
parmi les élèves de Messiaen, y compris Pierre Boulez, qui s'est exprimé à ce sujet
maintes fois, sans aménité d'ailleurs. Serge Nigg déclarera : « la grande idée était de
retrouver un langage musical universel comme aux grandes époques de la musique
baroque, classique et même romantique (…) avec une syntaxe rationnelle et une
organisation logique du discours... ».
Il lorgnera aussi du côté des micro-intervalles en tous cas comme pianiste où il figure à
l'affiche d'une soirée à 4 pianos « en quarts de tons » consacrée au compositeur Yvan
Vichnegradsky.
Nous avons de cette période militante, une œuvre complexe, restée malheureusement
inédite, les Variations pour piano et 10 instruments, créée à Palerme en 1948 dans le
cadre du Festival de la SIMC. Certains la disent « première œuvre française écrite dans la
technique dodécaphonique sérielle ». Serge Nigg évoquera son adhésion brève mais
inconditionnelle à cette technique en la justifiant ainsi : « il n'y a pires chaînes que celles
d'une trop grande liberté » (Revue Contrepoints avril 1948). Parallèlement, Roger
Désormière crée, avec l'Orchestre National, son Concerto pour piano, cordes et
percussions le 13 février 1947, dans le cadre des Concerts de la Pléiade, série prestigieuse
(animée par André Schaeffner) où l'on avait pu entendre, quelques années auparavant, les
Trois Petites Liturgies de Messiaen. Coïncidence intéressante, à ce même concert figure
la première audition en France de la 5ème symphonie d'un certain Prokofiev... Il serait
urgent que la musicologie contemporaine ressuscite, si je puis dire, les œuvres
instrumentales de cette période, auxquelles s'ajoutent un cycle de Mélodies sur des
poèmes d'Eluard et même un oratorio, Le fusillé inconnu (1949) sur un texte d'inspiration
pacifiste. J'aurais l'occasion d'y revenir.
Cette même année 1949, Nigg adhère au PCF sous l'influence de son frère, ancien
résistant. Je ne m'attarderai pas sur cet épisode certes crucial mais relativement bref si on
le rapporte à la vie créatrice du compositeur qui s'étale sur une soixantaine d'années, mais
il est important de l'évoquer avec précision. Pour résumer, l'idéologie communiste
soviétique s'est dotée d'un puissant levier d'autorité sur la création en général et sur la
musicale en particulier. Il s'agit, pour cette idéologie, de chanter avant tout la louange du
peuple uni dans un bonheur sans nuages et pour ce faire, d'utiliser un langage accessible à
tous, non entaché de « formalisme » et facilement mémorisable par tout un chacun. Le
bras séculier de cette nouvelle DOXA en est la trop célèbre Union des compositeurs
soviétiques. Elle doit veiller au strict respect de ces règles et bien entendu, redresser et
réprimer le coupable d'infractions. Chacun a en mémoire les déboires du jeune
Chostakovitch avec ses premières symphonies ou opéras (on songe à sa Lady Macbeth !),
tombant sous le coup des violents anathèmes des années 30.
Il faut d'ailleurs ajouter que ce refus du soi-disant formalisme et de la musique
« desséchée » est plus ou moins dans l'air du temps aussi à l'Ouest. Un compositeur aussi
peu suspect de connivence avec l'idéologie communiste, Arthur Honegger, affirme dans
un entretien du début des années 50 : « La musique doit changer de public, s'adresser à la
masse. Pour cela elle doit changer de caractère, devenir droite, simple, de grande allure.
Le peuple se fiche de la technique et du fignolage... » (Propos cités dans la Revue le Point
de mars 1954 : Aspects de la musique contemporaine.). Il convient cependant de noter
que le terme de « réalisme » n'est pas utilisé par Honegger. En revanche, on le trouve (ce
terme) à l'affiche d'une manifestation publique de l'Association française des musiciens
progressistes intitulée « Contribution à un nouveau réalisme en musique » où figurent
l'Alexandre Nevsky de Serge Prokofiev et la Cantate des forêts de Chostakovitch,
présentée par Serge Nigg en personne, en mars 1951.
Revenons à notre auteur en rappelant les œuvres de cette période d'affiliation à la
doctrine, dont les titres sont bien évocateurs d'une certaine « couleur idéologique » :
Petite cantate des couleurs, Les vendeurs d'indulgences, Prière pour le premier jour de
l'été. Précisons aussi que certaines de ces partitions seront exécutées dans les pays
communistes. Son poème symphonique « Pour un poète captif », créé à Prague sous la
direction du célèbre chef Karl Ancerl, est composé à l'occasion de la campagne pour la
libération du poète turc Nazim Hikmet. Quant au Concerto pour piano n°1 (créé en 1954
et à ne pas confondre avec celui datant de 1946 probablement détruit), c’est la partition la
plus importante de cette période et le compositeur lui gardera son estime...
Inutile d'ajouter que l'héritage de Leibovitz, même revu et corrigé par la plume alerte et
transparente de Serge Nigg, a disparu de sa pensée officielle et probablement de son
horizon intime, comme totalement inconciliable avec les données du jdanovisme ambiant,
même filtré par le « style français » !
Serge Nigg quittera le Parti en 1956, au moment de l'invasion soviétique en Hongrie. Sa
prochaine œuvre, un concerto pour violon (créé par Christian Ferras en 1960) esquissera
les lignes d'une nouvelle esthétique, plus originale et comme délivrée : une sorte de
synthèse des expériences précédentes est en marche. L'acquis indéniable des années
« rigoureuses » se fondra dans un nouveau moule, plus adapté à une expression
personnelle.
Si l'œuvre de Nigg, à l'aube des années 60, paraît toujours marquée par les influences voire les interférences -
littéraires : poèmes d'Eluard, de Mallarmé (le Chant du
dépossédé), d'Artaud (Fulgur, triptyque symphonique d'après Héliogabale), évocation de
Villiers de l'Isle Adam avec les Visages d'Axel, elle n'en est pas moins caractérisée par un
goût du symphonisme pur, même à travers des partitions de dimensions assez modeste.
C'est que Nigg est un virtuose de l'orchestre. L'attestent les compositions commandées
par les orchestres français (surtout de la Radiodiffusion). C'est qu'à l'époque, les chefs
n'hésitaient pas à embarquer dans leurs bagages des partitions contemporaines
significatives, au cours de tournées internationales. Ce fut le cas notamment pour son
œuvre Millions d'oiseaux d'or, créée en 1980 par Michel Plasson et l'Orchestre du
Capitole de Toulouse à Boston, dans le prestigieux Symphony Hall. Sur cette œuvre,
voici ce qu'écrit le critique Jacques Lonchampt dans Le Monde du 13 décembre 1981 :
« La souplesse, l'élégance de cette musique tendue vers une beauté rayonnante
s'expriment à travers une orchestration idéale, où tous les instruments dominent tour à
tour et se fondent dans le bonheur comme les dauphins jouant avec les vagues de la
mer. »
Les titres s'enchaînent assez régulièrement depuis la Jérôme Bosch Symphonie (composée
en 1959) considérée par certains comme son chef d'œuvre, jusqu'aux Fastes de
l'imaginaire (1974) en passant par les Visages d'Axel, commande du Festival de
Besançon pour l'édition 1967, Fulgur, déjà cité (1969), Mirrors for William Blake (1978)
et plusieurs œuvres concertantes. A propos des Fastes de l'imaginaire (créés en 1974)
voici ce qu'il écrit en manière d'introduction : « ici tend à s'exprimer, en une rigoureuse
structure symphonique, l'apparat de fêtes secrètes, un jeu d'images peuplant un univers
poétique personnel, nourri d'éclats ou voilé de mystère, le luxe irréel de Fastes
impossibles. ». On notera au passage l'élégance de plume et l'acuité de la formulation de
l'auteur.
C'est à travers ces ouvrages-là que s'affirme en effet son langage le plus personnel, certes
toujours marqué par l'atonalisme post-sériel de la première époque, mais au service d'une
narrativité lyrique et expressive qui emprunte sa facture tout autant à l'imaginaire
expressionniste d'un Schönberg ou d'un Berg qu'aux couleurs incontestablement
françaises d'un orchestre irradié de lumière, qui porte sa marque de fabrique, comme
l'atteste ce fragment que je vous fais écouter à présent, tiré de Millions d'oiseaux d'or.
(Extrait n°1 du CD de 4’)
A propos de la possible influence de Schönberg, il m'est apparu lors de l'étude de ses
partitions symphoniques un détail significatif de plume : Nigg utilise systématiquement
les indications graphiques inventées par le maître viennois pour mettre en relief les voix
principales et secondaires, avec un grand H ou un grand N. Ces indications ne relèvent
d'aucune pédanterie. Elles sont au contraire une aide appréciable pour le chef d'orchestre
qui peut facilement attirer l'attention des musiciens, tout autant qu'une nuance (relative)
ou qu'une liaison de phrasé...
La forme concertante a, elle aussi, retenu toute son attention, donc. Du premier concerto
pour violon de 1957 jusqu'au 2ème pour alto créé en 2000 par le jeune violoniste et altiste
Raphael Oleg en passant un 2ème et important concerto pour piano créé au Festival de
Strasbourg en 1971 par l'excellent Bernard Flavigny. J'ai eu moi-même l'occasion
heureuse de diriger ses Mirrors for William Blake, « symphonie concertante » pour piano
et orchestre, avec le Nouvel Orchestre Philharmonique et l'auteur lui-même au piano
(rappelons que Serge Nigg était un excellent pianiste) lors de sa création le 25 octobre
1979 à Paris.
C'est le moment d'évoquer les rapports amicaux que nous eûmes au cours de ces années
70/80. J'avais fait sa connaissance assez jeune, par l'intermédiaire de Louis Saguer,
compositeur aussi compétent et subtil que méconnu, dont il avait été le compagnon de
route au sein de l'Association des musiciens progressistes (ainsi que ma consœur Betsy
Jolas et mon confrère académicien Jean Prodromidès, ici présents, mais aussi de
personnalités disparues comme Iannis Xenakis et Joseph Kosma). Nous nous étions
quelque peu perdus de vue avant de nous retrouver, géographie estivale oblige, dans la
Provence lubéronnaise où il possédait une maison, non loin de Gordes. Nous avons alors
repris une relation amicale des plus chaleureuses. J'admirais sa culture éblouissante, sa
spontanéité intellectuelle, son sens de la drôlerie et de la farce. Certes, nous évitions les
sujets qui fâchent : il s'était éloigné de la création contemporaine internationale la plus
radicale et ne tenait pas à l'évoquer. Je pressentais les affrontements et restais quant à moi
discret sur ce sujet. Avec le recul, j'ai le sentiment que Serge Nigg s'était exaspéré par une
forme de désinvolture (pour ne pas dire plus) dont témoignaient certains compositeurs
« radicaux » par rapport aux instruments, souvent ignorés dans leur génie propre ou
maltraités par l'inexpérience ou le désir de provocation. J'aurais sans doute partagé son
indignation... N'affirme-t-il pas, lors d'un entretien réalisé au début des années 2000 :
« Connaissez-vous quelque chose de plus triste que le n'importe quoi ? De plus avilissant
que l'étalage rudimentaire de sentiments primaires au moyen d'une technique
sommaire ? », questions on ne peut plus typiques de la part de ce perfectionniste.
Hormis quelques non-dits, aucune entrave, donc, à nos bonnes relations. Ce qui l'amena à
me proposer de diriger cette nouvelle œuvre à l'époque où j'étais en responsabilité de
l'Orchestre Philharmonique de Radio-France. Par la suite il me fit cadeau de sa partition
ultérieure (Millions d'oiseaux d'or) avec une charmante dédicace.
Si, parallèlement à la musique pure, comme on dit, Serge Nigg fut peu sollicité par le
cinéma : 2 seules musiques de film à son catalogue, l'une pour Yves Ciampi (Qui êtesvous Mr Sorge?), l'autre pour Alain Cavalier (Le combat dans l'ile), il consacre en
revanche du temps à écrire pour la Radiodiffusion. On connaît l'extraordinaire essor des
Musiques dites d' « illustrations musicales » qui furent lancées, à la radio nationale, sous
l'impulsion conjuguée de Jean Tardieu et plus tard Alain Trutat, avec la complicité
merveilleuse et attentive d'Henri Dutilleux qui en fut le premier responsable, dans les
années 50. Nigg signera au moins une douzaine de partitions sur les textes les plus variés,
d'Albert Camus à Philippe Soupault, la dernière en date étant certaine Histoire d'oeuf,
d'après Blaise Cendrars, en 1963, partition qui donnera lieu plus tard à une version
chorégraphique à l'Opéra de Nantes. Quant à L'étrange aventure de Gulliver à Lilliput,
elle obtint, en 1958, le Prix Italia de la création radiophonique.
Un mot sur la musique de chambre. L'essentiel est dédié au piano : 3 sonates et deux
brefs cycles assez tardifs : Tumultes et 2 images de nuit, et au Violon et piano (une sonate
écrite en 1974). Son unique quatuor à cordes a été créé, lui, en 1983. A quand sa reprise ?
Le compositeur a aussi occupé, par deux fois, des fonctions officielles. Tout d'abord, celle
d'inspecteur des Théâtres lyriques français (de 1967 à 1982) dépendant du Ministère de la
Culture. Il sera par la suite nommé au Conservatoire de Paris (rebaptisé aujourd’hui
C.N.S.M.D.) à la classe de composition, de 1978 à 82, et ensuite à celle, nouvellement
créée, d'instrumentation et d'orchestration. Ce dernier enseignement semble l'avoir rendu
particulièrement heureux, d'après les témoignages de ses anciens élèves (parmi lesquels il
me plaît de citer notre nouveau confrère Thierry Escaich). Rappelons qu'il fut élu à
l'Académie des Beaux Arts le 1er mars 1989.
Permettez-moi de conclure ce rapide panorama d'un créateur aussi singulier qu'attachant
par un vœu tout personnel. L'époque présente se préoccupe peu du passé récent. Elle lui
préfère la muséographie de l'ancien (certes gratifiante!) et l'adoration de valeurs toujours
« nouvelles » qui contribuent à l'effacer. Il me semble qu'il serait tout à fait opportun et
même urgent, de mettre en perspective, par une programmation équilibrée et
soigneusement sélectionnée, les musiques de cet immédiat après-guerre, dans un souci de
Re-Présentation, analogue à celui qui prévaut, de nos jours, à la mise en place des
grandes expositions rétrospectives d'artistes du 20° siècle. Les musiques contemporaines
ont besoin d'être « exposées », c'est à dire confrontées, à l'instar des arts visuels, les unes
aux autres dans une démarche de mise en relief historique. Nul doute qu'une œuvre
comme celle que je viens d'évoquer à grands traits devant vous, trouverait sa place,
naturelle et éminente, dans une telle rétrospective. Celle-ci, à n'en pas douter, mettrait en
évidence les grandes lignes d'une certaine forme d'unité, mais aussi les traces des
hésitations et des fractures stylistiques ou idiomatiques, compte tenu des influences
subies, aussi bien politiques que proprement musicales. Il serait urgent de ne pas oublier,
avec le temps qui passe, les saveurs particulières, malgré ses errances ou ses excès, d'un
art de transition essentiel à la compréhension du 20° siècle.
« …Aucune civilisation n’a réussi à créer à partir des sons ce miracle qu’est l’histoire de
la musique européenne, avec toute sa richesse de formes et de styles ! », ce cri spontané
de Milan Kundera dans l’Immortalité, je pense l’avoir inconsciemment lancé lorsqu’à
l’âge de 12 ans, je « décidais » que je serai compositeur. C’est l’immense flux de la
Musique (et d’abord l’occidentale) qui m’arrivait en bourrasques, par orchestre interposé,
lorsque, à l’orée de l’adolescence, j’essayais naïvement d’imiter les maîtres. Cette
passion du son organisé ne m’a plus quitté et a, pour ainsi dire, conduit ma vie, même si
je suis conscient, ô combien, des chemins de traverses et des impasses que je n’ai su
éviter. L’architecture en mouvement de la symphonie, telle me semblait être le clavier où
s’exerce tout compositeur. Il reste à trouver l’harmonie et à fixer le « temps » vrai
(comme Messiaen le disait de l’ « harmonie vraie ») de ce qui apparaît d’abord chaotique
et discontinu. Un vrai défi en plein 20ème siècle où tant de techniques s’offraient aux
compositeurs de l’après-guerre, les uns tournés selon moi, vers le passé, certes brillant
mais révolu, les autres avant-gardistes par leurs positions rigoristes voire parfois rigides
quant à la syntaxe sonore à mettre en œuvre. Le choix ne me posa aucun problème même
si, au fil des années et bien naturellement, la passion pour une rigueur jugée envahissante
fit place à un métissage harmonique plus lissé, plus accueillant aux intervalles jadis
honnis et probablement plus rassurant pour l’auditeur.
Aujourd’hui, dans une phase avancée pour ne pas dire tardive de mon travail, je ne renie
rien des choix rigoristes de mes débuts et mesure la distance franchie avec philosophie. Il
m’est toujours aussi utile de recevoir telle remarque, précise ou intuitive, concernant tel
ou tel détail d’un ouvrage, ou de recevoir une amicale critique souvent tout à fait
justifiée. Cet aller et retour avec mes amis (musiciens ou non) ou avec le public qui veut
bien se donner la peine de m’écouter, procure un savoureux mélange de satisfaction
inquiète et d’encouragement à aller plus loin. C’est toujours ainsi que j’ai vécu, pour ma
part, l’entreprise d’un nouveau travail, d’une nouvelle réalisation.
Il me reste à adresser quelques remerciements.
J'aimerais ainsi rendre hommage à mes aînés et aux maîtres qui m'ont ouvert au Monde et
au métier de la Musique : en tout premier lieu à mon professeur de philosophie, Jacques
Muglioni, qui m'a enseigné la rigueur de la pensée, à Olivier Messiaen et Darius Milhaud
qui, en m'accueillant dans leurs classes, m'ont ouvert un monde pas seulement de sons et
de couleurs, mais aussi d'amitiés durables, à Pierre Boulez, qui m'a fait confiance très tôt,
à Pierre Vozlinsky et Maurice Fleuret qui, chacun en leur temps, m'ont confié de grandes
responsabilités, avec générosité et clairvoyance, à mes nombreux confrères, consœurs et
amis dont le professionnalisme, artistique ou administratif, m'a nourri et encouragé, à ma
femme et mes enfants qui m'ont épaulé chacun dans leur rôles, sans oublier ma sœur, à
qui je dois probablement le goût pour la Philosophie, et mes parents, disparus il y a des
décennies et qui, dans les temps difficiles de l'après-guerre, ont su adouber ce qu'ils
percevaient comme étant ma vocation, avec abnégation et soutien affectueux.
Enfin, qu’il me soit permis d’associer à cet hommage les noms de trois grands chefs
d’orchestre qui ont particulièrement marqué ma vie, en leur temps. Les deux premiers
sont justement célèbres : Georg Solti, qui me commanda D’un espace déployé pour
l’Orchestre de Paris et eut la témérité de le reprendre trois fois la tête de son magnifique
orchestre de Chicago, Sergiu Celibidache qui, sans diriger ma musique, m’entoura de son
ombre majestueuse et quelque peu autoritaire et avec qui j’eus le bonheur de
conversations « de fond » sur la musique et sur son thème de prédilection : la
« phénoménologie » de la musique ; enfin Rolf Reuter, moins connu du public français,
chef allemand (et surtout saxon comme il aimait à préciser) de la RDA, nourri de la
grande tradition. Il fit notamment l’effort de faire connaître ma musique à Weimar,
Leipzig et Berlin, et j’entretins avec lui une amitié inaltérable de 20 ans.
Il me reste aussi à vous remercier, chers confrères, de l'honneur que vous m'avez fait en
m'accueillant parmi vous dans cette assemblée.
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