de quoi s`agit-il - Haut Conseil de la santé publique

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Éducation thérapeutique Concepts et enjeux
Éducation thérapeutique
du patient :
de quoi s’agit-il ?
L’éducation thérapeutique doit aider les patients à prendre soin d’eux-mêmes.
Avec l’augmentation du nombre de personnes atteintes de maladies chroniques
(15 millions en France), elle devient partie prenante des soins et doit être formalisée.
Brigitte
Sandrin‑Berthon
Médecin de santé
publique,
directrice du Comité
régional d’éducation
pour la santé
du LanguedocRoussillon,
membre du HCSP,
présidente de
la commission
« Maladies
chroniques »
Les références
entre crochets renvoient
à la bibliographie p. 58.
10
adsp n° 66 mars 2009
« L
e patient doit être un partenaire actif de la
prise en charge de sa maladie. […] Je place de
grands espoirs dans l’éducation thérapeutique,
qui permet au patient de mieux comprendre sa maladie
et son traitement. […] L’éducation thérapeutique est un
facteur déterminant de notre état de santé »1. Si l’on en
juge par l’intérêt que semble lui porter le président de
la République, l’éducation thérapeutique du patient est
un sujet d’actualité. Elle fait, depuis quelques années,
l’objet de multiples enquêtes, rapports, recommandations et textes officiels.
Penser l’éducation thérapeutique ?
De quoi s’agit-il ? L’éducation thérapeutique a pour but
d’aider les patients à prendre soin d’eux-mêmes, à agir
dans un sens favorable à leur santé, à leur bien-être. Elle
relève donc de l’éducation pour la santé, s’inscrivant
dans le prolongement des actions destinées au grand
public, ou mises en œuvre sur les lieux de vie, à l’école
ou au travail. Sa particularité est de s’adresser à des
personnes qui requièrent des soins, qu’elles soient
porteuses d’une maladie, d’un handicap, d’un facteur
de risque pour leur santé… ou simplement enceintes.
À juste titre, les soignants2 disent qu’ils s’emploient
depuis toujours à dispenser des informations et des
conseils à leurs patients pour les inciter à prendre soin
d’eux-mêmes, à prévenir les maladies, leur aggravation,
1. Sarkozy N., extrait d’un discours prononcé à Bletterans le 18 octobre
2008.
2. Le terme « soignant » désigne ici tout professionnel qui intervient
dans la chaîne des soins : médecin, infirmier, aide soignant, diététicien, kinésithérapeute, podologue, pharmacien, psychologue, etc.
leurs complications ou leurs récidives. Si l’éducation
thérapeutique bénéficie aujourd’hui d’un intérêt particulier, c’est en grande partie lié au nombre croissant de
personnes atteintes de maladies chroniques : 15 millions
de personnes en France, autrement dit un quart de la
population. Ces maladies nécessitent le plus souvent
une surveillance particulière et des changements d’habitudes de vie (alimentation, activité physique, tabac…).
Leurs traitements sont parfois complexes, souvent
de longue durée, et ils peuvent provoquer des effets
secondaires. Les soignants prennent conscience que les
patients atteints de maladies chroniques ont de grandes
difficultés à suivre les prescriptions et les conseils
qu’ils leur donnent. Il faut noter que la formation initiale
des médecins et des autres professionnels de santé
les prépare mieux à traiter les maladies aiguës qu’à
accompagner au long cours des personnes atteintes
de maladies chroniques.
L’éducation thérapeutique vient donc formaliser une
activité qui était jusqu’à présent considérée comme allant
de soi : dans leur pratique quotidienne, les soignants
délivrent aux patients des conseils qu’ils répètent avec
constance mais sans véritable méthode. L’éducation
thérapeutique, telle qu’elle est décrite dans les recommandations de la Haute Autorité de santé, leur propose
d’adopter une démarche pédagogique structurée afin
d’aider les patients à acquérir les compétences dont
ils ont besoin pour suivre les traitements qui leur sont
prescrits. « Une planification en quatre étapes propose un
cadre logique et cohérent pour l’action des professionnels
de santé : diagnostic éducatif, programme personnalisé
avec des priorités d’apprentissage, séances individuelles
Éducation thérapeutique du patient : de quoi s’agit-il ?
ou collectives, évaluation des compétences acquises »
[39]. Pour autant, nombreuses sont les personnes qui
ont acquis ces compétences et qui ne les mettent pas
en œuvre. « S’il suffisait d’une présentation rationnelle et
bien menée des liens de causalité entre des conduites
et des pathologies pour enrayer le développement de
celles-ci, cela se serait observé. Tous les comportements
de prise de risque des patients devraient, en raison, céder
devant les propositions savantes et philanthropiques
des soignants-éducateurs. Le sujet, ainsi sommé par
les éducateurs qui, par postulat, lui veulent du bien,
devrait agir de manière responsable, sous le contrôle
de sa raison, à la production de sa propre santé. En
conséquence, les échecs éducatifs seraient à attribuer
à un mauvais choix de méthodes pédagogiques ou à
leur élaboration insuffisante. […] Ce n’est pas ce qu’on
observe, à tout coup, dans la clinique quotidienne où
le soignant se trouve confronté à un sujet humain pris
dans les rets de ses contradictions : sujet de la raison,
il tente de se soumettre aux normes présentées par les
experts qui lui veulent du bien ; sujet vivant, il regimbe
et biaise face à l’ascétisme hygiéniste qui lui est le plus
souvent proposé » [45]. Les éléments qui influencent
les comportements des personnes vis-à-vis de leur traitement, de leur maladie et, plus généralement, de leur
santé ne relèvent pas seulement d’un apprentissage,
tant s’en faut. Penser une éducation – quelle qu’elle
soit – à travers sa seule composante pédagogique, et
à travers la seule acquisition de compétences (fussentelles d’autosoins et d’adaptation comme le préconisent
les recommandations de la Haute Autorité de santé)
semble réducteur. D’après Laurent Morasz, « il ne s’agit
pas d’inculquer au patient de nouvelles compétences,
ni de le rééduquer en fonction de normes arbitraires,
mais de l’aider, par le biais de la relation, à retrouver ses
capacités et à s’équilibrer dans le cadre de sa personnalité afin de l’aider à faire face à sa maladie » [59]. On
perçoit, que, en plus de la pédagogie, la psychologie de
la santé est une discipline contributive de l’éducation
thérapeutique. Il n’est pourtant pas question d’envoyer
tous les patients sur les bancs de l’école ni consulter
un psychologue. Il s’agit plutôt de redécouvrir une pratique soignante à l’écoute de la personne malade dans
toute sa complexité, physique, psychologique et sociale.
Il s’agit aussi d’être attentif à ce que « véhiculent »
implicitement les attitudes des professionnels et l’organisation des soins, à la valeur intrinsèquement éducative
ou contre-éducative des pratiques soignantes. Comment,
dans leurs comportements quotidiens de soignants, dans
la relation qu’ils établissent avec les patients, dans leur
écoute ouverte ou sélective de la plainte, dans l’organisation collective de leur travail, dans l’aménagement des
lieux de soins… les soignants font-ils œuvre d’éducation
ou, à l’inverse, sont-ils contre-productifs ? Les soignants
disent souvent qu’ils manquent de temps pour pratiquer
l’éducation thérapeutique : il est certes nécessaire de
prévoir des moments, des espaces et des financements
dédiés à cette activité, mais il est également indispen-
sable d’analyser les pratiques soignantes pour éviter
qu’elles aillent à l’encontre des intentions éducatives
affichées. Compte tenu du nombre de personnes qui
devraient bénéficier d’éducation thérapeutique, comment
envisager cette activité autrement qu’en l’« incorporant »
aux soins habituels ? La mise en œuvre d’une éducation
thérapeutique structurée peut passer par l’organisation
d’activités complémentaires aux activités soignantes
traditionnelles, mais elle passe surtout par la mise
en évidence, la valorisation, le développement de la
dimension éducative du soin. L’éducation thérapeutique
se construit ainsi à la rencontre des sciences médicales,
humaines et sociales.
Pratiquer l’éducation thérapeutique ?
Pour un soignant, pratiquer l’éducation thérapeutique
c’est sans doute adopter une manière de travailler qui
favorise l’implication du patient dans les décisions et
les actions relatives à sa santé, à travers la poursuite
de trois objectifs interdépendants :
●● aménager un environnement favorable à l’éducation,
●● mettre en œuvre, auprès des patients, une démarche
éducative personnalisée,
●● établir des liens avec les autres acteurs de l’éducation thérapeutique.
C’est la poursuite conjointe de ces trois objectifs qui
garantit, me semble-t-il, la structuration d’une éducation
thérapeutique vraiment intégrée aux soins.
L’environnement favorable
Une information ou un conseil délivré à un patient a plus
de chance d’être entendu s’il répond à une question
que celui-ci a posée plutôt qu’à une préoccupation
du soignant. Tout professionnel amené à rencontrer
le patient est susceptible de s’entretenir avec lui de
manière informelle : il faut donc qu’il puisse répondre
de façon appropriée aux questions que pose le patient
à propos de sa santé, au moment où il les pose. S’il
ne peut apporter lui-même l’information, il fera bien sûr
appel à un professionnel plus qualifié. Cela nécessite
que chaque membre de l’équipe soignante ait conscience
de son rôle en matière éducative et bénéficie d’une formation continue en rapport avec sa fonction. L’objectif
est que chacun soit en mesure de saisir les opportunités
éducatives qui se présentent à lui. Si par exemple une
personne diabétique s’étonne de la composition du
repas qui lui est servi à l’hôpital, il est utile que l’aidesoignant entende ses remarques et sache « rebondir ».
D’autant que les personnes malades se confient plus
facilement aux membres de l’équipe soignante qui leur
semblent les plus accessibles : « Il y a des choses que
l’on n’ose pas dire au docteur ! »
Il est également utile que toute l’équipe s’applique à
repérer les messages contradictoires entre les conseils
donnés au patient et les situations auxquelles les
soignants le soumettent : apporter un plateau-repas
jusqu’au lit du patient auquel on recommande de
marcher le plus souvent possible, remettre au patient
adsp n° 66 mars 2009
11
Éducation thérapeutique Concepts et enjeux
une ordonnance illisible en insistant pour qu’il la suive
à la lettre, inviter le patient à poser les questions qui le
préoccupent tout en adoptant une attitude qui l’intimide
ou l’infantilise, etc.
La démarche éducative personnalisée
Il s’agit en tout premier lieu d’adopter une posture
éducative dans ses relations avec le patient : admettre
qu’une collaboration entre soignant et patient est indis-
L’éducation thérapeutique des personnes diabétiques au CHU de Besançon : exemple d’une démarche structurée
L
e service de diabétologie est divisé en trois secteurs d’activités :
●● hospitalisation complète pour les personnes très
âgées, les complications sévères et les découvertes de
diabète à l’occasion d’un épisode aigu,
●● hospitalisation de jour pour les patients adressés du
fait d’un diabète déséquilibré ou pour un bilan annuel du
retentissement de la maladie,
●● consultations externes pour le suivi.
1re étape
Chaque patient qui arrive dans le service, dans l’un ou
l’autre des trois secteurs, bénéficie d’un « bilan éducatif
partagé » initial. Cet entretien approfondi est réalisé par la
ou les personnes qui accueillent le patient : infirmière, diététicienne, médecin. C’est un temps primordial d’échanges
où nous essayons de pratiquer une écoute active et non
sélective. Nous faisons connaissance mutuellement, sans
a priori : nous nous présentons, annonçons l’objectif de
l’entretien et laissons le patient exprimer ce qui l’amène,
ses attentes, ce qu’il ressent à propos de sa maladie, ses
préoccupations, ses difficultés, ses envies, ses ressources,
ses solutions… Il ne s’agit pas d’écouter le patient pour
mieux le convaincre de ce qui serait bon pour lui (« Je
comprends votre situation mais il faudrait que vous… »).
Il s’agit de l’écouter vraiment, de prendre en compte ce
qu’il nous dit puis de « tricoter » avec lui quelque chose
qui ait du sens pour lui et pour nous. Si l’entretien avec le
patient lui-même n’est pas possible, nous nous attachons
à rencontrer l’entourage ou à contacter les soignants qui
interviennent au domicile pour mieux connaître et comprendre la situation.
Cécile
Zimmermann
Médecin, service
de diabétologieendocrinologie,
CHU de Besançon
12
adsp n° 66 mars 2009
2e étape
À l’issue de cet entretien, nous rédigeons avec le patient
(et/ou son entourage) une synthèse en trois points : les
difficultés, les ressources, les priorités. Si le patient en est
d’accord, cette synthèse sera retranscrite dans le courrier
destiné à son médecin et aux autres professionnels qui
l’entourent, courrier dont il sera également destinataire.
Les priorités ne sont pas définies par les soignants, en
fonction de ce qui leur semble être bon pour le patient.
Elles se dégagent de ce qui a été exprimé par les uns et
les autres au cours de l’entretien : il s’agit bien de « convenir ensemble ». Elles sont d’ailleurs très différentes d’un
patient diabétique à l’autre, car chaque rencontre est une
nouvelle aventure dont on ne sait pas, à l’avance, où elle
va nous mener.
3e étape
De ces priorités découle un « plan d’action personnalisé ».
Pour cela, nous avons à notre disposition une palette « d’outils » que nous utilisons au cas par cas :
●● Des séances éducatives individuelles : nous nous
appuyons sur toutes les ressources internes au service, les
différents professionnels de l’équipe ayant appris à travailler
ensemble et non en parallèle. Ces séances permettent
d’explorer, d’analyser une difficulté, de réfléchir ensemble
aux façons de la surmonter, d’acquérir des compétences,
de définir un objectif opérationnel de changement…
●● Des séances collectives : sous forme d’ateliers ciblés,
de journées thématiques, de plusieurs séances suivies. Ces
séances de groupe permettent aux patients de faire des
expériences ensemble, de développer des compétences
et – ce qu’ils apprécient le plus – d’échanger entre eux.
●● Un accompagnement téléphonique formalisé.
●● Des documents et supports élaborés par l’équipe.
●● Des ressources extérieures avec lesquelles nous avons
peu à peu développé une collaboration : infirmière tabacologue, équipe de la maison des adolescents, psychiatre
de l’équipe de liaison, centre d’alcoologie, etc.
En fonction de la priorité de chaque patient, de ses
attentes, de ses besoins, de ses envies, de sa disponibilité, nous piochons dans cette palette de possibles. Cette
démarche se doit d’être transparente, limpide pour le patient, c’est ce qui fait qu’elle a du sens et qu’il y adhère,
sans difficulté.
4e étape
Dans un délai convenu avec le patient, vient le temps d’un
nouvel entretien individuel : le « bilan éducatif partagé »
de suivi, idéalement réalisé par la personne qui a mené
l’entretien initial. Il s’agit d’analyser ensemble le chemin
parcouru depuis la dernière rencontre : ce qui va mieux, ce
qui n’est pas résolu ; d’être à l’écoute des préoccupations
et des attentes du patient, mais aussi de faire part de nos
préoccupations de soignant. Nous convenons à nouveau
de priorités, puis d’un plan d’action personnalisé… et ainsi
de suite. Nous avançons ainsi pas à pas et côte à côte. La
démarche éducative est donc structurée, commune à tous
les patients, mais son contenu est extrêmement variable
de l’un à l’autre.
Pour les personnes diabétiques de type 1, nous assurons
le suivi éducatif « continu ». Pour les personnes diabétiques
de type 2, le relais est rapidement passé au médecin
traitant et/ou à l’infirmière libérale : certains d’entre eux
ont été formés à l’éducation thérapeutique par le réseau
Éducation thérapeutique du patient : de quoi s’agit-il ?
pensable pour construire des solutions adaptées à
chaque situation particulière, reconnaître et solliciter le
plus souvent possible l’expertise du patient – expertise
différente et complémentaire de celle des soignants –,
Gentiane (réseau de santé pour la prise en charge des
personnes diabétiques de Franche-Comté), ce qui rend
plus facile la poursuite de la démarche.
Nous n’avons jamais eu à convaincre un patient de
participer à ce programme. La démarche actuelle est transparente, elle a du sens pour chacun, il n’y a pas lieu de
déployer de grands moyens pour que le patient y adhère.
Nous avons cessé de « prescrire » l’éducation thérapeutique
car celle-ci n’est pas une option, elle fait partie intégrante
de la prise en charge de chaque malade.
Les principales limites à ce dispositif sont d’ordre organisationnel :
●● En hospitalisation complète, le détachement d’un
soignant pour réaliser les entretiens n’est pas toujours
possible… même pour un service où l’éducation se veut
une priorité !
●● Une grande part de l’activité d’éducation repose sur
l’hôpital de jour, qui paraissait un cadre particulièrement
propice (temps plus important qu’en consultation, multiprofessionnalité, alternative intéressante à une hospitalisation de plusieurs jours). Or la circulaire encadrant les
hospitalisations de jour nous a conduits à comptabiliser
une simple consultation médicale pour un temps dédié
au patient d’une demi-journée ou plus.
●● Ce dispositif repose sur une équipe entière, formée
et expérimentée. Cela nécessite d’entretenir cette culture
commune, de mettre à jour les connaissances et les compétences de chacun, de se réunir, d’évaluer sans cesse nos
pratiques. Toute nouvelle personne qui intègre le service doit
bénéficier d’un accompagnement pour « prendre le train
en marche » et ce n’est pas toujours aisé. Plus inquiétant,
l’organisation actuelle en pôle et la mutualisation du personnel paramédical qui l’accompagne nous questionnent
sur la pérennité de telles pratiques à l’hôpital public.
●● Enfin, il existe des limites humaines qui ne sont pas
liées à ce dispositif en particulier mais au fait que les
soignants d’une équipe sont des êtres humains comme
les autres, avec leurs forces et leurs faiblesses : le naturel
revient vite au galop, pour peu que l’on soit un peu trop
soucieux, pressé ou fatigué…
Morceau choisi
Un patient diabétique est suivi en consultation après cicatrisation d’une plaie. À plusieurs reprises, en examinant
ses pieds, le médecin et l’infirmière lui ont conseillé d’aller
consulter un pédicure. Tous les arguments ont été mis en
avant : « Couper les ongles soi-même, vous savez, ça peut
être dangereux, d’autant que les vôtres sont très épais. »
faire fondamentalement confiance au patient. Lui faire
confiance, c’est accepter que sa parole a du sens et
qu’il se comporte en sujet de sa propre histoire : si le
soignant n’a pas cette conviction profonde, comment
« Et puis vous avez beaucoup de corne, c’est important
de l’ôter. » « Je pense qu’il faudrait aussi que vous fassiez
faire des semelles adaptées, ça limiterait les frottements. »
Le patient acquiesce et essaye de se justifier : « Oui,
docteur, mais…, je n’ai pas eu le temps. Et puis c’est
pas facile car le pédicure ne se déplace pas à domicile
et je n’ai trouvé personne pour m’emmener… » — « Vous
savez, c’est important d’aller voir un pédicure quand on
a des pieds fragiles comme les vôtres, je vous l’ai déjà
expliqué. Je pense que ce serait bien que vous ne perdiez
pas de temps et que vous y alliez avant notre prochaine
consultation. Vous n’avez tout de même pas envie que ça
recommence ! »
Le patient finit toujours par dire : « Oui docteur » et promet
qu’il prendra son rendez-vous sans tarder. À chaque consultation, on refait un peu plus de la même chose : informer,
conseiller, répéter, argumenter, essayer de convaincre…
voire faire la morale quand on se sent démuni.
Faudrait-il proposer à ce patient une séance d’éducation ?
A-t-il besoin de renforcer ses compétences sur les risques
podologiques et les modalités de prévention des plaies
de pieds ? Et si l’on commençait par écouter ce qu’il a à
nous dire, en évitant de faire autre chose en même temps ?
Après l’examen clinique, asseyons-nous et prenons un
peu de temps :
– « À la dernière consultation, nous avions parlé de l’intérêt
dans votre situation d’aller voir un pédicure. J’ai l’impres‑
sion que c’est quelque chose qui est difficile pour vous… »
Silence.
– « Oui c’est vrai, je n’ai pas très envie d’y aller. »
Silence.
« En fait, mon médecin généraliste me le déconseille et
elle m’a dit que le pédicure pourrait me faire une blessure
en faisant les soins. »
Silence.
« Et puis vous savez, docteur, mon médecin traitant,
c’est ma fille, alors, vous comprenez, je ne veux pas la
contrarier ! »
Silence.
– « Il faudrait peut-être que vous lui passiez un coup de
fil pour en parler avec elle ? »
Moralité : pour pratiquer l’éducation thérapeutique, le
soignant doit peut-être appendre à se taire ! b
adsp n° 66 mars 2009
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Éducation thérapeutique Concepts et enjeux
peut-il espérer favoriser l’implication du patient dans
les décisions et les actions relatives à sa santé ?
En second lieu, mettre en place une démarche éducative personnalisée avec un patient, c’est créer des
moments de bilan partagé au cours desquels il s’agit
toujours :
●● d’évaluer ensemble (la situation du patient, l’atteinte
d’objectifs, le bien-fondé d’une décision antérieure…)
●● de convenir (décider ensemble de priorités, d’objectifs, de la participation à un atelier collectif, d’un
changement de traitement, d’un plan d’action…).
Ces bilans éducatifs partagés concrétisent la collaboration, l’alliance entre le professionnel et le patient : ce
sont des moments privilégiés d’échanges, qui devraient
rythmer le suivi à long terme des personnes atteintes
de maladies chroniques. Pour mener ces entretiens,
le soignant doit apprendre à pratiquer une écoute non
sélective (inviter le patient à se raconter, respecter les
silences, se laisser surprendre…), accueillir les émotions
du patient tout en reconnaissant ses propres émotions,
entendre les préoccupations du patient et chercher
comment elles peuvent s’articuler avec les préoccupations de l’équipe soignante. Cette façon d’écouter est
en tout point opposée à celle que l’on enseigne aux
futurs médecins pour poser un diagnostic : le médecin a
besoin de réponses précises à des questions précises, il
apprend donc à mener un interrogatoire, à interrompre le
discours du patient pour éviter de trop longues digressions
qui viendraient gêner sa démarche décisionnelle. Pratiquer l’éducation thérapeutique suppose alors de savoir
conjuguer deux postures apparemment contradictoires :
celle du soignant qui utilise sa compétence médicale
pour intervenir auprès d’un patient qui le demande et
celle de l’éducateur qui encourage et aide le patient à
progresser sur le chemin de l’autonomie. « L’éducateur
est conduit à dire son savoir, mais non pas d’une place
d’expert qui le situerait hors des contingences de l’humaine condition, comme si elles ne le concernaient pas
mais à le dire dans une relation, dans un lien à l’autre,
un “bricolage relationnel” qui le positionne comme sujet
humain, en face du mystère d’un autre sujet humain. Le
bricolage est une action dont la technique repose sur
une capacité à l’improvisation, à l’adaptation aux matériaux, aux circonstances. Le bricolage contient une idée
de provisoire, de jamais achevé. Le bricolage ne clôture
jamais une action, il l’adapte provisoirement. Cette attitude
devrait être celle de tous les éducateurs de santé, face à
la complexité et à la mouvance de la vie » [45].
Enfin, pour prendre soin d’elles-mêmes, les personnes
atteintes de maladies chroniques ont généralement
besoin de savoirs et de compétences spécifiques que
l’éducation thérapeutique les aide à acquérir : manipuler du matériel d’injection ou d’inhalation, adapter
la posologie du traitement à des résultats biologiques,
reconnaître des signes d’aggravation de la maladie,
connaître la teneur en sel ou en graisses des aliments,
etc. Les professionnels de santé peuvent aider les
patients à acquérir ces connaissances et ces compé-
14
adsp n° 66 mars 2009
tences quand ils les reçoivent en consultation ou quand
ils leur délivrent un soin ou un médicament. Le patient
diabétique peut apprendre auprès de son infirmière
à faire lui-même ses injections d’insuline, le patient
asthmatique peut apprendre auprès de son pharmacien
à utiliser un inhalateur, le patient sous anticoagulants
peut apprendre auprès de son médecin à surveiller et
adapter son traitement, etc. C’est la raison pour laquelle
beaucoup de soignants déclarent faire de l’éducation
thérapeutique sans avoir ressenti le besoin de se former.
Dans la réalité, les compétences à acquérir par les
patients sont parfois complexes et les professionnels
n’ont pas toujours la disponibilité requise. De toute façon,
il ne suffit pas que le soignant dise, répète, énonce,
explique… pour que le patient apprenne. Aider l’autre à
s’approprier un savoir ou un savoir-faire nécessite des
compétences pédagogiques, et relationnelles, que les
soignants n’ont pas forcément développées. L’éducation
thérapeutique prévoit des temps de rencontre spécialement dévolus à l’acquisition, par les patients, des
compétences qui leur seront utiles pour prendre soin
d’eux-mêmes. Il peut s’agir de séances individuelles ou
collectives, ces dernières offrant l’avantage de favoriser
les échanges entre personnes atteintes d’une même
maladie : échanges d’expériences et de savoirs, soutien
réciproque… Dans tous les cas, ces séances doivent
être soigneusement préparées et utiliser des méthodes
pédagogiques qui garantissent leur adéquation aux
besoins et aux attentes des patients.
Les liens entre acteurs de l’éducation thérapeutique
Selon la Haute Autorité de santé, l’éducation thérapeutique du patient doit « être multiprofessionnelle,
interdisciplinaire et intersectorielle, intégrer le travail
en réseau ». C’est « un processus permanent » qui « fait
partie de la prise en charge à long terme ». Autrement
dit, cette activité mobilise nécessairement plusieurs professionnels, aux compétences diverses, et elle s’exerce
dans différents lieux de soins. Comment, dans ce cadre,
garantir la synergie et la cohérence des interventions ?
Si des soignants de différentes disciplines se forment
ensemble à l’éducation thérapeutique, une attention
particulière peut être portée à la diversité et à la complémentarité des compétences au sein du groupe en
formation : cela favorise la reconnaissance de l’apport
spécifique de chaque catégorie de professionnels. Après
la formation, il sera plus facile pour chacun, dans son
contexte de travail, de participer en interdisciplinarité
au développement de l’éducation thérapeutique.
De la même façon, la conception et l’évaluation
du programme, du dossier d’éducation ou des outils
pédagogiques doivent faire l’objet d’une concertation
associant non seulement les différentes catégories de
professionnels qui composent l’équipe, mais aussi des
représentants des patients. Le terme d’équipe désigne ici
les professionnels qui travaillent dans un même service
hospitalier, centre de santé, cabinet libéral, pharmacie,
ou qui sont membres d’un même réseau. L’ensemble
Éducation thérapeutique du patient : de quoi s’agit-il ?
de la démarche est facilité si, lorsque l’équipe est nombreuse, un groupe pluri-professionnel de coordination
se constitue en son sein pour entretenir la dynamique
collective, garantir le partage d’informations, la prise en
compte du point de vue de chacun, le suivi de l’activité
et la mise en application des décisions prises. Il faut de
toute façon aménager des temps d’échanges à propos
de l’éducation et prévoir des documents de liaison entre
les intervenants (ne serait-ce qu’intégrer l’éducation
thérapeutique dans les courriers qui s’échangent entre
professionnels à propos des patients).
En conclusion
Si l’éducation thérapeutique est intégrée aux soins, si
elle est un soin à part entière, elle doit répondre aux
mêmes exigences que n’importe quel autre soin : être
scientifiquement fondée, accessible à tous les patients
et adaptée à chacun, respectueuse des personnes,
structurée, organisée, évaluable, mise en œuvre par
des personnes formées. Elle doit bénéficier de travaux
de recherche qui lui permettent de s’améliorer au fil
du temps. La publication de recommandations professionnelles sur l’éducation thérapeutique du patient et
son inscription dans le projet de loi représentent des
avancées importantes liées à la mobilisation active des
professionnels, des formateurs et des associations de
patients engagés de longue date dans cette activité.
Le plus difficile est de formaliser, de structurer, d’organiser l’éducation thérapeutique… sans la dénaturer.
Les schémas, les planifications, les protocoles sont
là pour introduire de la rationalité dans les pratiques.
Simplificateurs par essence, ils rassurent les soignants.
Néanmoins, il serait dommage d’envisager l’éducation
thérapeutique comme une simple technique. Il serait
dommage que, sous couvert d’éducation, on se contente
d’introduire des savoir-faire pédagogiques dans les pratiques médicales. La médecine moderne s’est développée
grâce à des recherches scientifiques qui objectivent, qui
rationalisent, qui éliminent les biais, notamment par des
études « en double aveugle ». Éliminer les biais, c’est
éliminer la subjectivité dans la collecte des données. Or
que devient l’éducation si elle ne prend pas en compte
la subjectivité ? Ce qui est le dogme de la validité en
recherche quantitative ne doit pas le devenir en éducation. « La médecine est l’art d’approprier les sciences
et les techniques biomédicales au service de la santé
d’une personne singulière et non de l’homme abstrait.
C’est bien pour cette raison qu’il s’agit d’un art et non
d’une simple science appliquée ou d’une technique » [48].
L’avènement de l’éducation thérapeutique constitue une
opportunité pour redonner à la médecine sa dimension
« artistique » : il serait dommage de ne pas la saisir. b
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