le Tibet © Lily Chan Immersion dans le quotidien de bouddhistes tibétains. Un témoignage sur le terrain, parmi ces hommes et ces femmes qui prient pour la paix et le bonheur de tous les êtres vivants. Quand le Tibet se prosterne film documentaire de Jean-Claude Raoul J ’ai souvent entendu parler du bouddhisme tibétain, non en tant que religion mais en tant que philosophie. Certaines lectures m’ont interpellé mais n’ont abouti qu’à des interrogations. Ce pays si différent, si mystérieux n’est-il pas perçu comme un mythe, une part de rêve par l’Occidental ? Je voulais observer comment, au Tibet, la foi dans le bouddhisme se pratiquait au quotidien et rapporter ce que mes yeux allaient voir et mes oreilles entendre. Ce pays ne se limite pas au seul découpage administratif appelé “Tibet autonome”. Il est grand comme cinq fois la France. Les paysages extrêmement variés sont dominés par un univers minéral où les drapeaux flottant au vent proclament leur ancrage dans le bouddhisme tibétain. Les lieux de tournages étaient situés entre 3 000 et 4 800 m d’altitude. Sur ces hauteurs, accessibles le plus souvent par des routes en très mauvais état, détériorées par la neige, la glace et les énormes poids lourds, j’ai pu goûter à la vie tibétaine. Les femmes sont admirables J’ai filmé une multitude de scènes de la vie courante, des torrents presque complètement gelés où les femmes viennent se ravitailler en eau. Ces femmes font la lessive dans des brouettes métalliques ou utilisent un bidon coupé de 200 litres comme machine à laver. Le linge est foulé aux pieds avec des bottes. Je les ai vues construire des maisons, biner les champs, buter les pommes de terre… Une ferveur impressionnante J’ai vu les pèlerins se prosterner tous les trois pas, mesurant de leur corps la distance parcourue pour se rendre à Lhassa, franchissant les cols dont l’un à 4 800 m d’altitude, à 840 km de leur ville sainte... J’ai filmé de nombreuses cérémonies Découvrir le Tibet célébrées par des moines de la lignée des bonnets rouges ou jaunes, accompagnées des grandes trompes ainsi que de tambours. La foi des Tibétains se manifeste par de nombreux rituels, circumambulations, prosternations à l’intérieur et autour des temples, grands pèlerinages, fumigations, sculpture de saintes écritures sur des pierres en bordure des routes ou émergeant des torrents et des lacs. Les bouddhistes ne prient pas pour eux mais pour la paix, pour le bonheur de l’humanité et de tous les êtres vivants. Hélas les religions ont un point commun : les hommes au nom de leurs dieux et même au sein de leur propre religion se massacrent avec ardeur. Les bouddhistes, qui ne feraient pas de mal à une mouche, n’y ont pas échappé. Les Chinois ne sont pas sectaires. Ils disent : “La vérité a mille visages” et ils ont trouvé bien d’autres motifs que la religion pour se massacrer. “Rien n’est permanent tout est éphémère” Le bouddhisme tibétain ne me semble pas en régression. Dans un territoire limité et en peu de temps, j’ai assisté à deux inaugurations de chörtens, à trois rénovations importantes de temples et à de nouvelles constructions très impressionnantes par leurs dimensions. L’amélioration des conditions de vie, des nouveaux modes de communication et l’accès à l’enseignement auront-ils des conséquences sur la foi des futures générations ? Les actes parlent plus que les mots J’ai vécu dans des familles, chez des lamas et chez un bouddha vivant*. J’ai passé de longs moments dans les temples. Certains actes observés en disent plus long que les mots. J’étais étrange pour les Tibétains. Un grand bonhomme souvent seul, chargé comme un bourricot, arpentant montagnes et vallées, les interrogeait. La taille et le poids de mes sacs les impressionnaient. Cela m’a ouvert des portes. J’ai bénéficié de l’aide de ce formidable réseau d’amitié tissé au cours des précédents séjours en Chine et j’ai reçu des marques de gentillesse tant de la part des Tibétains que des Chinois, y compris de certains policiers qui partageaient la même passion pour la photo. Mais j’avais un autre désir, celui de filmer les premières neiges lorsqu’elles tombent sur les yourtes, les troupeaux de yacks, les villages et voir blanchir les sommets de ces hauts plateaux. Le 17 janvier 2012, miracle ! Elle tombait depuis deux jours. C’était juste avant mon retour en France, une chance inouïe. J’ai rapporté ces images ardemment souhaitées. Le tournage s’est déroulé sur quatre années. Je n’ai pas la prétention de vouloir résumer une religion en une heure et demie ni de me considérer comme spécialiste du bouddhisme. Ce documentaire est un témoignage, sur le terrain, du bouddhisme tibétain vécu au quotidien par des petites gens, hommes ou femmes, par des moines ou nonnes, par des bouddhas vivants qui ont accepté que je partage leur vie, que je parle d’eux. C’est un regard porté sur leur manière de vivre cette croyance, sans autre message que celui de considérer leurs façons, si différentes, de vivre cette religion. Cette multiplicité montre que la dévotion demeure un acte personnel et devrait rester libre. Cherchez par vous-même Les rencontres avec des personnes différentes et une autre pensée ont été une découverte, un enrichissement sur le plan intellectuel. Le Dalaï-lama a dit : “Ne croyez pas ce qu’on vous dit. Cherchez par vous-même”. C’est ce que j’ai fait en donnant la parole à ceux qui vivent imprégnés de cette religion. Mais ce besoin de croire, d’espérer, dans une contrée où le système politique ne tolère guère qu’on emprunte un autre chemin, va-t-il pouvoir durer ? J’ai souvent été surpris, étonné, parfois bouleversé. Cette immersion m’a permis de ne pas classer ce peuple dans des cases noires ou blanches. Il y a, en vérité, beaucoup de gris avec une intensité différente. Ce sont ces nuances et variations que l’on oublie souvent de nous préciser en France. Les bons d’un côté, les mauvais de l’autre. Quel raccourci facile ! Parler du Tibet, c’est parler d’une situation mouvante où rien n’est établi durablement. Comme on dit dans le bouddhisme : “Rien n’est permanent, tout est éphémère”. Texte Jean-Claude Raoul * Un bouddha vivant est une personne qui a atteint le nirvana, qui est décédée et dont l’esprit s’est réincarné dans le corps d’un jeune enfant © Jean-Claude Raoul © Lily Chan _Ces moines se prosternent depuis un an et demi pour aller à Lhassa (1) _La joie et la ferveur d'une jeune nonne (2) _Une oasis de verdure perdue dans cet univers minéral (3) © Jean-Claude Raoul