Hiver 2012 « le savoir au service du patient » La face cachée des médicaments Tirer parti des bénéfices Gérer les risques en bref chuv | magazine Mais déjà on voit poindre de nouvelles questions : l’apparition de ce que l’on nomme la médecine personnalisée promet d’entraîner des bouleversements dont on mesure tout juste la portée. Elle est porteuse d’une promesse, celle d’améliorer l’innocuité et l’efficacité du traitement médical que reçoit chaque patient, surtout en présence de maladies mortelles comme le cancer. La lecture du génome, impensable sur le plan scientifique voilà vingt ans, est en passe d’être à la portée du porte-monnaie de n’importe quel citoyen. La tentation sera alors toujours plus forte d’anticiper l’éventuel développement d’une maladie en établissant son propre profil génétique comme de pousser ses proches à le faire. Aura-t-on les moyens scientifiques mais aussi économiques de répondre à ces diagnostics par des médicaments taillés sur mesure ? Ces questions qui se profilent à très brève échéance, promettent d’être aussi vertigineuses que passionnantes. Philippe Gétaz Pierre-François Leyvraz Directeur général du CHUV Innovation Des chercheurs de l’Université de Californie à San Diego sont en passe d’élaborer un vaccin contre l’acné, grâce à une approche innovante basée sur l’immunologie. Le but de leurs travaux est de parvenir à neutraliser la formation des boutons grâce à des anticorps spécifiques. Le groupe pharmaceutique Sanofi-Pasteur s’est récemment associé à ces chercheurs pour une collaboration qui permettrait, d’ici à deux ans, de passer du stade préclinique à un produit abouti. ▫ médicaments : tirer parti des bénéfices 05 | Reportage Une vie normale pour Clémentine 08 | Décryptage Les secrets du laboratoire de pharmacie 10 | Partenariat Une plateforme commune aux CHUV et HUG 12 | Portraits croisés Le pharmacologue et le pharmacien 14 | Recherche L’ordinateur et la molécule 16 | Portfolio Ma pharmacie La Suisse doit former plus de médecins médicaments : Gérer Les risques 18 | Focus Le CHUV lutte contre les erreurs 20 | Décryptage Quelle équipe autour du patient ? 22 | Zoom Les secrets des médicaments 24 | Eclairage La mission de l’unité de pharmacologie 26 | Evolution Le rôle du patient 28 | Interview Vincent Mooser « Chaque médicament est un petit miracle » 30 | Soins Comment peut-on prendre un médicament ? 31 | Culture L’agenda des expositions 32 | Témoignage Le récit de Liv von Siebenthal « Les médicaments font partie de moi » IMPRESSUM Hiver 2012 Le CHUV | Magazine paraît quatre fois par an. Il est destiné aux collaborateurs ainsi qu’aux patients et visiteurs du CHUV intéressés par le cours de la vie de notre institution. Le CHUV | Magazine est imprimé sur du papier Cyclus Print, 100% recyclé. Son sommaire est conçu grâce aux suggestions des correspondants du Service de la communication, qui se trouvent dans les départements, services et hôpitaux affiliés du CHUV. Pour simplifier la lecture, certains libellés de poste ont été rédigés au masculin. Editeurs responsables Pierre-François Leyvraz, directeur général Béatrice Schaad, responsable de la communication Rédaction LargeNetwork (Benjamin Bollmann, Camille Destraz, Séverine Géroudet, Serge Maillard, Daniel Saraga, Alan Vonlanthen), Pierre-François Leyvraz (DG), Bertrand Tappy (DG), Caroline de Watteville (DG), Gabriella Sconfitti (DG) Coordination et graphisme LargeNetwork Coordination au CHUV Bertrand Tappy Infographies LargeNetwork SwissInfographics Images CEMCAV Impression SRO-Kündig Tirage 12’000 exemplaires Couverture Photographe : Gilles Weber Modèle : Stephanie Guignet Contact CHUV Béatrice Schaad Rue du Bugnon 21 CH-1011 Lausanne Vous souhaitez réagir à un sujet, faire une suggestion pour une prochaine édition, reproduire un article : merci de vous adresser à [email protected] ISSN 1663-0319 Textes Séverine Géroudet Le progrès scientifique donne le tempo. Dans des hôpitaux universitaires tels que le nôtre, nous sommes à même de diagnostiquer des pathologies toujours plus complexes. Pour y répondre, la palette de médicaments s’étend à un rythme tout aussi soutenu. Ces nouvelles potentialités nous ont amenés à inviter, au lit du malade, de nouveaux profils professionnels. Les pharmacologues cliniciens, qui collaborent désormais avec nos médecins et nos soignants, permettent d’offrir des traitements toujours plus précis et d’éviter au maximum les risques d’interactions. Photographie Bart Un patient doit recevoir un seul médicament ? Un médecin assistant peut s’en charger ! Un patient doit recevoir deux médicaments ? Il faut appeler le chef de service à la rescousse. Il doit en recevoir trois, voire même davantage ? Dans ce cas, c’est le patron du service qui est requis. Voilà ce que l’on avait coutume de dire lorsque j’étais jeune médecin assistant. Aujourd’hui, ces affirmations sont encore plus vraies. Les risques d’interactions médicamenteuses sont tels qu’ils exigent des compétences toujours plus pointues et, dans certains cas, seule une longue expérience permet d’éviter les incidents. Finis les boutons Statistique chuv | magazine | hiver 2012 Interactions à hauts risques sommaire 03 éditorial Consommation de médicaments : les Romands en tête Le dernier rapport de l’Observatoire suisse de la santé (Obsan) révèle que les Suisses romands ont davantage recours aux médicaments que leurs voisins alémaniques et tessinois. Les médicaments les plus prisés par les Romands, pour la plupart achetés sur prescription médicale, sont les analgésiques. En 2009, les médicaments pointaient au 3e rang des coûts de l’assurance maladie obligatoire après l’hôpital et les consultations en cabinet. Suite à ce constat l’Obsan relève qu’un gros potentiel d’économie serait à tirer d’une réduction du nombre de médicaments. ▫ Vaccin contre le cancer Recherche Dans le domaine de la lutte contre le cancer, des chercheurs des hôpitaux universitaires de Strasbourg ont mis au point un vaccin thérapeutique capable de freiner l’évolution du cancer pulmonaire. Le vaccin produit une protéine altérée, appelée MUC1 qui, en grande quantité, permet de stimuler le système immunitaire pour qu’il attaque spécifi- quement cette molécule et entraîne la destruction des cellules cancéreuses. Des essais cliniques ont démontré que chez 43% des patients ayant reçu le vaccin, la maladie n’avait pas progressé. Cependant, il a été constaté que le remède fonctionnait mieux chez les patients qui étaient également sous chimiothérapie. D’autres essais sont en cours. ▫ Pénurie Pour couvrir ses besoins, la Suisse devra former dans les vingt prochaines années 50% de médecins de famille de plus qu’actuellement. Un rapport du Conseil fédéral établi récemment révèle en effet que les Helvètes sont de plus en plus soignés par des médecins formés à l’étranger. Il est donc impératif de former plus de médecins en Suisse. Malgré cette nécessité, le numerus clausus pratiqué dans plusieurs facultés de médecine de Suisse sera maintenu, pour préserver l’engagement des étudiants et la qualité de la formation. ▫ Un pancréas artificiel pour les diabétiques Recherche Une étude récente menée en France par l’International Artificial Pancreas Study Group a permis de concevoir un pancréas artificiel autonome pour les personnes diabétiques. Cet organe artificiel est muni d’un appareil de mesure continue du glucose situé sous la peau qui transmet ses données au smartphone de la personne qui le porte. L’appareil ordonne ensuite à une pompe portable autorégulée la quantité d’insuline à administrer pour maintenir un taux de sucre convenable dans le sang du patient. Ce système, s’il est validé à l’issue des essais cliniques en cours, permettra aux diabétiques de vivre sans plus se soucier en permanence de leur traitement. ▫ reportage 04 L’histoire extraordinaire de la collaboration d’un hôpital et de deux parents qui ont tout fait pour permettre à une jeune patiente, alimentée uniquement grâce à des poches de nutrition « La machine à faire des gâteaux est en panne. Moi, je dois la réparer avant que tous les gâteaux tombent ! » Assise sur le canapé, Clémentine explique les règles du jeu électronique avec lequel elle s’amuse. Comme n’importe quelle autre fille de 9 ans. Sauf que Clémentine n’est pas tout à fait comme les autres enfants, comme en témoigne l’impressionnante tour formée par le matériel médical empilé à côté d’elle, et relié par un long fil au corps de la petite demoiselle chaque soir, de 18 heures à 8 heures le lendemain. Photographies Philippe Gétaz Texte Bertrand Tappy fabriquées au CHUV, de vivre chez elle. « Dès le départ, nous savions que la naissance de Clémentine ne serait pas sans quelques problèmes. » Première partie : 4-15 Médicaments : tirer parti des bénéfices seconde partie : 18-30 Médicaments : gérer les risques Une vie à l’hôpital « Tout a commencé durant la grossesse, explique sa maman. Lors d’une échographie, les médecins ont décelé une dilatation de l’intestin. Dès le départ, nous savions donc que la naissance de Clémentine ne serait pas sans quelques problèmes. » De fait, peu après la naissance de leur enfant, les jeunes parents vont apprendre la première d’une très longue série de mauvaises nouvelles : Clémentine doit subir une intervention chirurgicale pour enlever la partie atteinte de l’intestin. Mais cela ne suffira pas pour endiguer la maladie. Et à cela s’ajoutent de nombreux foyers infectieux dans son intestin malade… Au bout d’une année, il faut se rendre à l’évidence : il va falloir enlever la majorité des intestins, dont l’état ne permet plus d’espérer une amélioration et qui souffre de trop sérieux problèmes. Clémentine devra donc bénéficier d’une alimentation parentérale (qui ne passe pas par la bouche) sur le long terme. Et toujours aucune idée sur le nom de la maladie. « On pense aujourd’hui qu’il s’agit d’un problème d’ordre génétique sur le codage des protéines des cellules des muqueuses, explique le Dr Jacques Cotting, chef de l’Unité des soins intensifs médico-chirurgicaux de pédiatrie du CHUV. Mais cela reste une supposition. » Cette structure, faite de poussesseringues, de poches de liquides et de tubulures, permet à Clémentine de se nourrir depuis sa naissance. Alors qu’elle est aujourd’hui en 3e primaire, elle n’a en effet jamais pu digérer de nourriture prise par la bouche à cause d’une maladie encore Commence ensuite une longue inconnue, qui a rendu son appareil digestif incapable de remplir son rôle. hospitalisation de quatre ans, durant chuv | magazine | hiver 2012 Une vie normale pour Clémentine 05 chuv | magazine | hiver 2012 médicaments : les bénéfices Même dans le cadre de l’hôpital, entre le suivi médical et les nombreux intervenants qui entourent la petite famille, des moments de complicité sont possibles entre parents et enfant : « Aux soins intensifs, les parents sont intégrés dans le quotidien de leur enfant, explique la maman de Clémentine. Ils reçoivent une petite formation et peuvent ensuite faire eux-mêmes la toilette ou donner certains soins. Il est normal de se demander comment on peut devenir parents entre les murs d’un hôpital. Mais grâce à cette organisation, je vous assure que c’est tout à fait possible ! » Reste que pour le couple, la chose est claire depuis le départ : ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour offrir à Clémentine une vie normale. Chez eux. Chez elle. Mais pour y parvenir, il va falloir rencontrer de nombreux interlocuteurs : assurances maladie, AI et même l’Office fédéral des assurances sociales à Berne. Le cas est en effet complexe : il s’agit de trouver une « logique administrative » permettant aux parents de ramener leur enfant chez eux pour lui donner eux-mêmes les soins quotidiens, tout en pouvant à tout moment revenir au CHUV en cas de pépin. Pour y arriver, il faudra attendre trois ans. Mais en 2009, à 7 ans, Clémentine peut enfin dormir tous les soirs dans sa chambre, hors du centre hospitalier. Pour ses parents, c’est un soulagement, et les angoisses du début sont vite estompées, comme se souvient le père de Clémentine : « Il a fallu apprendre à faire la distinction entre tous les bips du matériel, et intégrer toutes 06 11’000 Depuis la naissance de Clémentine, l’Unité de fabrication du Service de pharmacie du CHUV a réalisé plus de 11’000 préparations (médicaments et poches de nutrition) pour la jeune fille. Ces produits, réalisés « sur mesure », les manipulations. Tout cela en trouvant notre équilibre entre l’exactitude médicale et les aléas d’une vie de famille normale ! Mais nous ne l’aurions jamais fait en habitant trop loin du CHUV, et sans la possibilité de joindre quelqu’un des Soins intensifs, et ce à n’importe quel moment du jour et de la nuit. » Une incroyable logistique Même en réfléchissant quelques minutes, il est impossible de se représenter la logistique assumée au quotidien par les parents de Clémentine. « Même nous, nous n’y arrivons plus, sourit sa maman. Nous avons pris conscience de la masse de choses à connaître lorsque nous avons rédigé un petit classeur pour les personnes qui gardent Clémentine, une fois que les perfusions sont branchées. Mais même là, nous ne restons éloignés que quelques heures, pour aller au restaurant, par exemple. » Du côté du Centre hospitalier, Clémentine continue à être présente préparations (poches de nutrition et médicaments) comme c’est le cas pour tous les autres patients dans la même situation, ne peuvent être réalisés que dans l’enceinte de l’hôpital, à cause de la technologie et des conditions strictes de stérilité nécessaires. dans la tête des différents professionnels des services qu’elle a côtoyés, même en vivant désormais ailleurs : le Service de la pharmacie continue à produire, en milieu stérile, les poches de nutrition (mélange de sucres, de lipides et de protéines adapté à ses besoins), la Médecine de laboratoire continue à recevoir ses échantillons pour les examens, et le Service de soins intensifs prépare chaque semaine deux grands cartons contenant les médicaments dont la petite aura besoin. « Et chaque mois, nous ajoutons un second chariot contenant le matériel nécessaire, par exemple des seringues, ou des poches, ajoute Martine Dupasquier, ICUS à l’Unité des soins intensifs médico-chirurgicaux de pédiatrie et référente de Clémentine sur le plan infirmier. Nous recevons une commande de la part des parents qui tiennent à jour une liste de leurs besoins, et nous faisons la commande comme pour un service normal. Ce système n’est possible que grâce à leur volonté En 2009, à 7 ans, Clémentine peut enfin dormir tous les soirs dans sa chambre. et leur rigueur. Sans cela, leur petite n’aurait jamais pu sortir de l’hôpital. C’est une collaboration vraiment exemplaire… » Chaque semaine, les parents de Clémentine se rendent au CHUV pour aller chercher le matériel nécessaire au soin de leur fille. Aujourd’hui, Clémentine va à l’école, a des copains, joue et lit Les Schtroumpfs. Vers 18 heures, tous les jours, ses parents la « connectent » à sa tour avant que toute la famille se retrouve à la cuisine, pour le souper. Une vie normale en somme, résultat d’années de tractations, de préparations et d’un travail complémentaire entre l’hôpital et cette famille, qui a même pu partir en vacances en France. Et le père de conclure : « La prochaine étape, c’est de pouvoir prendre l’avion ! » ▫ chuv | magazine | hiver 2012 laquelle les parents, secondés par leurs proches, se relaient auprès de leur enfant, tout en gérant chacun une carrière professionnelle : « Nous avions besoin d’avoir les deux un travail, explique le papa de Clémentine. Nous voulions pouvoir parler d’autres choses quand nous nous retrouvions avec mon épouse, et garder une vie sociale pour ne pas vivre à huis clos. Sinon nous serions devenus fous ! » reportage 07 chuv | magazine | hiver 2012 médicaments : les bénéfices Texte Bertrand Tappy 08 Chaque étape de la préparation est enregistrée par un ordinateur qui vérifie l’exactitude des quantités de médicaments manipulées, et gère les éventuels restes de matières premières qui peuvent ensuite être réutilisés en fonction de leur stabilité. Au-dessus de l’enceinte de préparation se trouvent les commandes permettant de modifier la pression, l’éclairage ou la hauteur du Cytobox. Une fois terminée, la préparation est étiquetée à l’intérieur du Cytobox. Elle est ensuite scellée, puis acheminée vers les unités de soins dans des boîtes dédiées aux chimiothérapies. La personne ayant la lourde responsabilité de fabriquer des médicaments est généralement un assistant en pharmacie qui s’est spécialisé comme opérateur de production. Il y a deux zones pour la fabrication des médicaments injectables personnalisés : un pour les chimiothérapies par le biais d’installations nommées Cytobox, et un autre, aux conditions de stérilité encore plus strictes, pour des préparations telles que les poches de nutrition (voir portrait pages 4 à 7). Aptes à travailler dans les deux espaces, ces professionnels ont pour mission de réaliser des médicaments dont le dosage et la forme correspondent exactement aux besoins d’un patient donné. Les « matières premières » et le matériel nécessaires à la réalisation de la chimiothérapie sont introduits dans la zone de fabrication via un sas d’entrée qui possède un système de circulation d’air ultraperfectionné : durant les quelques secondes pendant lesquelles le matériel est enfermé dans ces sas, l’air sera renouvelé à 15 reprises afin d’être purifié. Le personnel, quant à lui, pénètre cette zone de production par une série de sas sécurisés. Sous le Cytobox, au sol, se trouvent trois commandes à pied, l’une permettant de créer un vide d’air dans une petite chambre dédiée au remplissage de poches et les deux autres de commander l’ouverture des sas d’entrée et de sortie des Cytobox. Les « matières premières » et le matériel sont introduits dans le Cytobox via de nouveaux sas. Pour réaliser la préparation dans le Cytobox, l’opérateur travaille derrière une vitre grâce à des gants spéciaux qui l’isolent des produits qu’il manipule. Afin de prévenir tout accident, un différentiel de pression est appliqué entre l’extérieur et l’intérieur du Cytobox, ce qui permet d’éviter d’éventuelles projections vers l’extérieur. Le travail, d’une précision absolue, nécessite également une grande endurance : certaines préparations peuvent en effet prendre jusqu’à soixante minutes ! chuv | magazine | hiver 2012 Au milligramme près L’Unité de fabrication de la pharmacie du CHUV présente ses secrets pour la réalisation de médicaments stériles personnalisés. Merci d’essuyer vos chaussures et d’attacher vos blouses avant d’entrer, une propreté absolue est de mise ! Photographie Patrick Dutoit décryptage 09 chuv | magazine | hiver 2012 médicaments : les bénéfices partenariat 10 Centrale d’achats commune : un duo qui fonctionne Une centrale d’achats commune aux CHUV Texte Alan Vonlanthen >10% u budget u CHUV Photographie Christophe Voisin et HUG permet entre les deux hôpitaux une économie annuelle de 50 millions. Cinquante millions de francs d’économie par an rien que sur les achats récurrents ! C’est le résultat de la mise en place d’une centrale d’achats commune aux HUG et au CHUV, alors que ses promoteurs n’attendaient qu’une réduction de 10 millions au bout de trois ans. Sur les seuls médicaments, l’économie en 2010 s’est chiffrée à un plus de 3 millions pour le CHUV et les HUG. Le CHUV à lui tout seul a économisé 1,48 million. Comment est-ce possible? La CAIB en chiffres 200’000 commandes/an 700 mios CHF volume d’achats/an Vaud/Genève (médicaments, matériel et équipements) 30’000 articles à gérer 1200 fournisseurs actifs (> 1 commande/an) 60 mios économies annuelles sur les budgets d’investissement (nouvelles acquisitions) 50 employés à la CAIB (équivalents temps-pleins) L’organisation de la Centrale d’achats commune (CAIB) témoigne de l’efficacité des délégués médicaux : elle place un chef de produits « achats » en face du chef de produits « ventes » de chaque fournisseur. Et si les achats sont centralisés, l’approvisionnement, en revanche, reste décentralisé. Ainsi, Genève et Lausanne conservent leur autonomie dans la gestion des commandes au jour le jour. La CAIB leur facilite la vie en négociant pour eux les meilleures conditions sur la base des recommandations de commissions. L’idée de la CAIB fut émise par Ricardo Avvenenti en 2000, dans la foulée du projet Rhuso qui proposait de fusionner les hôpitaux de Vaud et de Genève. Rhuso fut balayé par le peuple genevois mais la centrale d’achats commune survécut. En effet, harmoniser les choix de médicaments entre services simplifie la poursuite du traitement par les patients lors des transferts. Pour Ricardo Avvenenti, directeur de la CAIB, le modèle est aussi un succès dans le rapprochement des deux institutions. « Au début, les chefs de service assis à la même table se regardaient parfois en chiens de faïence ; la collaboration n’a pas toujours été aussi fructueuse qu’aujourd’hui. Mais le soutien des deux directions générales et les montants importants rapidement économisés par les services ont favorisé l’adoption du modèle. » La CAIB se bat désormais pour faire valoir les benchmarks européens auprès des fournisseurs suisses : « Le niveau de vie justifie certes une 50 mios petite différence dans le prix des économies annuelles sur les budgets médicaments et des équipements, Harmoniser les choix d’exploitation Pour les médicaments, c’est la Cocomed indique Ricardo Avvenenti, mais nous (achats récurrents) constatons parfois des écarts de plus (Bureau Vaud-Genève des commissions des médicaments) qui coordonne de 50% par rapport aux prix de nos voisins, ce qui est indéfendable. Nous les travaux de Lausanne et Genève continuerons à nous battre ; c’est notre et émet des recommandations sur des contribution à la maîtrise des coûts critères avant tout pharmacologiques de la santé. » Cette interface privé(efficacité, ratios risque/bénéfice, public est plus utile que jamais. ▫ coût/utilité) et organisationnels. Une année au Service de pharmacie du CHUV, c’est... 276’375 produits médicamenteux envoyés dans les services de soins, soit en moyenne 757 par jour. Ils proviennent d’un stock comprenant plus de 1’700 sortes de médicaments. 9640 chimiothérapies préparées, soit en moyenne 26 par jour. 400’000 kg de médicaments de perfusion reçus des fournisseurs externes sur plus de 1’300 palettes, soit le poids de 80 éléphants ! Le marché suisse des médicaments 4,8 milliards de francs par an 623 kg de paracétamol (antidouleur) utilisés, soit l’équivalent de 77’875 boîtes de Dafalgan 500 mg à 16 comprimés. 7033 médicaments « personnalisés » fabriqués, soit en moyenne 19 par jour. 21,2% 26,3% 52,5% Hôpitaux Drogueries et médecins de cabinet Pharmacies traditionnelles chuv | magazine | hiver 2012 11 chuv | magazine | hiver 2012 médicaments : les bénéfices 12 chef de la pharmacologie clinique Thierry Buclin, a lui-même testé des médicaments en tant Textes Camille Destraz que volontaire. « Je suis à 100% un produit CHUV ! » Nommé en août dernier à la tête de la division de pharmacologie clinique, le médecin-chef Thierry Buclin œuvre à l'hôpital depuis le début de sa carrière profession- nelle. Tester les médicaments, connaître leurs effets sur l’homme, détecter les risques, c’est son quotidien : « Nous sommes responsables des premières administrations d’un médicament chez l’homme. Cela nécessite d’être à l’affût de tout. » Le prof. Thierry Buclin est une référence en la matière, régulièrement demandé pour des éclairages dans la presse et parfois sollicité par les instances juridiques lorsqu’il s’agit, par exemple, de déterminer quels sont les liens entre une prise de médicaments et un acte criminel. Issu d’une famille de juristes, le prof. Thierry Buclin a toujours eu un penchant marqué pour les sciences et la pensée humaniste. Il se souvient de son premier déclic : « Durant mes études de médecine, j’avais peu de moyens. Pour financer mon cursus, je me suis lancé dans des veilles de nuit. Cela a été ma première confrontation avec le monde du travail. J’ai découvert l’attention vis-à-vis du patient. A côté de ça, je me portais volontaire pour des études cliniques. Je testais différents médicaments. Cela m’a initié à la recherche clinique de l’intérieur. » Envisageant de devenir médecin généraliste après ses études, il découvre la pharmacologie grâce aux cours dispensés par des professeurs passionnés. Puis il se dirige vers la médecine interne, fait quelques incursions en neurologie et en psychiatrie. Jusqu’au jour où il apprend que la pharmacologie du CHUV engage un assistant. Le chef de la pharmacie « A cette occasion, j’ai rencontré Jérôme Biollaz, qui allait reprendre cette division. Il m’a confié beaucoup d’essais cliniques et a été très à l’écoute de ma créativité. Je suis parvenu à le convaincre qu’il fallait augmenter le nombre de nos consultations, et ne pas se contenter de faire des études dans notre coin. » L’occasion de revenir « Les risques et les effets des médicaments me fascinent. » Passionné par les effets métaboliques et cardiovasculaires, le prof. Thierry Buclin a également réalisé des études touchant aux aspects psycho-pharmacologiques. « Là, on a l’impression de toucher à la biologie de l’âme ! » En 2008, poussé par un intérêt pour la culture anglaise, il passe six mois à Oxford pour des travaux sur le monitoring thérapeutique avec l'épidémiologue Paul Glasziou et le pharmacologue Jeff Aronson. Une belle transition avant de reprendre les rênes de la division de pharmacologie clinique où il y a, selon lui, « de réelles valeurs à défendre avec finesse et intelligence ». Sa manière à lui de se « rincer l’esprit » ? Tester les randonnées en montagne et expérimenter les variations de sa voix en chantant dans un chœur ! ▫ Voir aussi en page 24 quittera bientôt son poste pour travailler dans les vignes valaisannes. sur un parcours dont le maître-mot est diversité. Le prof. André Pannatier quittera la pharmacie en mars 2013 pour un virage professionnel radical. Aujourd’hui à la tête d’une équipe de plus de 70 personnes, professeur associé à l’Ecole de pharmacie GenèveLausanne, membre de nombreuses commissions, André Pannatier se retrouvera bientôt en pleine nature, dans le vignoble valaisan de son frère, à faire renaître et vivre les ceps porteurs de fruits « à la chimie bien plus complexe que celle des médicaments ». « Cette passion pour la vigne est née tardivement, précise-t-il. Je travaillerai aux côtés de mon frère, qui est propriétaire d’un vignoble, et avec lequel je suis très complice. » Arrivé au CHUV à 30 ans, en 1980, nommé chef de service de la pharmacie en 1984, le prof. André Pannatier a pourtant bien failli ne jamais œuvrer dans ce secteur, la faute à des tests d’orientation durant l’année de sa maturité. « J’hésitais entre médecine, médecine vétérinaire et pharmacie, alors que l’on me recommandait les lettres. » Mais décidément trop attiré par « l’approche chimique de la vie », il finit par suivre son instinct. Après l’obtention de son diplôme en 1976, sa thèse de doctorat en 1979 suivie d’une année de post-doctorat, il se met en quête d’un poste dans un hôpital aux Etats-Unis. Mais une annonce attire son attention : le CHUV cherche un pharmacien adjoint. Dilemme ! « J’ai un peu joué à pile ou face ! » rigole celui qui, depuis son engagement, est resté dans le même secteur après avoir rapidement repris les rênes du service. En trente ans, il aura notamment mené à bien le projet de l'intégration de la pharmacie de Cery, puis des autres unités de soins. Ce sont des exemples parmi d’autres. Il a également mis sur pied un service d’assistance pharmaceutique et de pharmacie clinique exercée par des pharmaciens présents dans les unités de soins (voir pp. 20-21). « Après trente ans au CHUV, je vais travailler dans les vignes » La centralisation de la préparation de médicaments anticancéreux l’a également tenu en haleine. « Tous les cytostatiques administrés au CHUV sont maintenant préparés ici à la pharmacie. » Il a modernisé la fabrication dans sa globalité pour répondre aux exigences les plus pointues. « Nous nous sommes lancés dans des démarches très lourdes, avec, à la clé, une inspection de Swissmedic en août dernier. Ce matin (9 novembre 2011), j’ai reçu l’annonce de Swissmedic nous octroyant l’autorisation de fabrication, de commerce de gros et d’exportation des médicaments prêts à l’emploi. C’est une grande victoire, une victoire d’équipe. » Comment ce passionné, qui apprécie tant « la diversité et la richesse » de son travail, imagine-t-il son virage ? « Pour l’instant, je suis pleinement au CHUV. Mais c’est tellement extraordinaire de se retrouver dans la nature, à vivre et guider la renaissance d’un cep de vigne ! Je pense que je vais y arriver sans trop de difficulté. » ▫ chuv | magazine | hiver 2012 Thierry Buclin et André Pannatier connaissent le mode d’emploi pour aller au bo ut de leurs passions Le nouveau médecin- Photographies Eric Déroze portraits croisés 13 chuv | magazine | hiver 2012 médicaments : les bénéfices Des médicaments nés sur ordinateur La technologie informatique permet d’identifier de nouvelles molécules. Une accélération de la recherche médicale qui offre une arme de plus dans Texte Daniel Saraga Photographie Heïdi Diaz la lutte contre le cancer. Sur l’écran, des formes colorées de rouge et de bleu s’animent. Elles représentent une nouvelle molécule découverte par l’équipe du prof. Olivier Michielin. Elle deviendra peut-être un médicament candidat contre le mélanome, le cancer de la peau le plus agressif. Oncologue au CHUV, le chercheur de l’Université de Lausanne est un spécialiste de la simulation informatique des molécules, une méthode en plein essor à même d’identifier rapidement de nouveaux médicaments prometteurs. L’équipe du prof.Olivier Michielin a découvert une molécule capable de contrecarrer un moyen utilisé par certaines cellules cancéreuses pour échapper au système immunitaire : les tumeurs produisent un enzyme nocif qui affaiblit les capacités de défense des globules blancs. « Il détruit un acide aminé essentiel aux globules blancs, explique le médecin. Pour empêcher l’action de cet enzyme, il faut trouver une molécule qui puisse se fixer sur lui. Nos simulations sur ordinateur nous ont permis d’identifier des nouvelles entités qui épousent parfaitement la forme de l’agent nocif et peuvent ainsi le neutraliser. » Les premiers composés chimiques ont été testés avec succès sur des souris. In vivo, in vitro, in silico Cette nouvelle chimie informatique complète les approches « in vivo », qui consistent à tester des composés sur des êtres vivants, et « in vitro », où des cultures cellulaires sont étudiées dans des éprouvettes. Surnommée « in silico » en référence au silicium contenu dans les puces informatiques, cette approche exige de rassembler médecins, informaticiens, chimistes et physiciens. Le prof. Olivier Michielin a d’ailleurs suivi une double formation de médecin à l’UNIL et de physicien à l’EPFL. De nombreux mécanismes biologiques passent par l’emboîtement de deux molécules et la conception informatique de médicaments revient souvent à trouver une « clé » correspondant le mieux possible à une « serrure ». Mais découvrir de nouvelles molécules n’est pas une tâche aisée – le nombre de combinaisons est virtuellement infini. L’équipe lausannoise utilise les ordinateurs de Vital-IT, une infrastructure informatique consacrée aux sciences de la vie mise sur pied par les Universités de Lausanne et de Genève et par l’EPFL. Les chercheurs vont également pouvoir utiliser le super-ordinateur IBM Blue Gene de la plateforme lémanique Cadmos, un monstre de puissance capable d’effectuer 56'000 milliards d’opérations par seconde (soit 10’000 fois plus qu’un ordinateur de bureau standard). L’avantage de la simulation numérique est de pouvoir découvrir très rapidement de nouveaux composés sans passer par d’innombrables essais chimiques, souligne le chercheur : « Il est important de disposer de plusieurs familles de molécules avant de passer aux essais cliniques sur les humains, car il arrive que des composés chimiques soient mal absorbés par l’organisme ou s’avèrent toxiques. » Améliorer les protéines Un second projet du prof. Olivier Michielin vise à aider les globules blancs à reconnaître les cellules cancéreuses et surtout à mieux s’y fixer, car c’est ainsi qu’ils peuvent les détruire. « Nous sommes partis de la protéine naturellement présente sur les globules blancs, poursuit le chercheur. L’efficacité de ce récepteur n’est pas optimale, car il ne colle pas parfaitement aux marqueurs situés à la surface des cellules tumorales. Nous l’avons donc amélioré sur ordinateur et trouvé la forme qui correspond le mieux au marqueur. » Un traitement consisterait à faire fabriquer cette protéine améliorée par les globules blancs. L’idée est d’insérer le bout d’ADN codant le récepteur dans des globules blancs extraits du patient et cultivés in vitro. Une fois multipliés, ces derniers sont réinjectés dans le corps afin de lutter contre la maladie, une approche inspirée de la thérapie génique (voir encadré). Mais si ces approches ont déjà démontré leur efficacité en labo, le prof. Olivier Michielin rappelle une dure réalité de la recherche biomédicale : « Nous sommes capables de guérir pratiquement tous les cancers, mais seulement sur des cultures cellulaires ou des souris. » Pour le chercheur, l’ordinateur n’est qu’un outil : son objectif est de soigner les patients. Plus de 50% de son activité est d’ailleurs dédiée à la prise en charge des patients en oncologie : « Traiter des patients m’aide à voir directement l’efficacité des nouveaux traitements, mais cela me confronte également aux situations où les options thérapeutiques sont insuffisantes. C’est une grande source de motivation pour faire avancer nos projets au laboratoire. » ▫ A l’aide de son équipe, le prof. Olivier Michielin, spécialiste de la simulation informatique des molécules, a identifié des entités capables de neutraliser des cellules cancéreuses. La thérapie génique s’attaque à la maladie de Huntington La chorée de Huntington est une maladie rare qui se manifeste par des mouvements incontrôlés et des changements de personnalité et qui conduit inexorablement à la mort une quinzaine d’années après l’apparition des symptômes. La nouvelle professeure associée de l’UNIL et cheffe du Laboratoire de neuro-thérapies cellulaires et moléculaires du Département des neurosciences cliniques du CHUV, Nicole Deglon, est sur une piste pour trouver un traitement. « Nous savons que la maladie est causée par la mutation d’un gène spécifique. Il fabrique des protéines anormales qui occasionnent la mort de cellules nerveuses situées dans le striatum, une zone du cerveau responsable du contrôle des mouvements. Notre idée consiste à utiliser un virus désactivé pour insérer dans les cellules malades un segment de code génétique capables de bloquer la fabrication des protéines anormales. » Cette approche entièrement nouvelle de la thérapie génique est basée sur les « ARN interférents », dont la découverte fut récompensée en 2006 par un Prix Nobel de médecine. chuv | magazine | hiver 2012 14 recherche 15 chuv | magazine | hiver 2012 médicaments : les bénéfices 16 chuv | magazine | hiver 2012 Pour cette édition du CHUV I Magazine, le photographe Philippe Gétaz a immortalisé sa pharmacie de quartier, située au centre-ville de Lausanne. Gérée par Rached et Isabelle Sghaier depuis vingt-deux ans, la Pharmacie Chauderon possède une ambiance particulière, avec ses meubles centenaires qui servaient autrefois dans une pharmacie située quelques maisons plus loin. Devenue un véritable lieu de rencontre pour les habitants du quartier, la Pharmacie Chauderon a rapidement séduit l’œil de notre photographe, qui a également réalisé une série sur les autres commerçants situés près de son domicile. Photographie Philippe Gétaz portfolio 17 chuv | magazine | hiver 2012 Ma pharmacie portfolio Sécurité électronique Chaque perfusion requiert une préparation spécifique. Le médicament stocké sous forme de concentré doit être dilué dans une seringue, qui dans un second temps est branchée au système de perfusion. « Entre six et 18 solutions injectables sont préparées par jour et par infirmière, explique Laurent Gattlen. Ce processus se déroule souvent dans le stress, dans un local bruyant et mouvementé. » Dès lors, l’équipe des soins intensifs a minutieusement étudié puis optimisé l’ergonomie du poste de préparation. Elle a également mis au point un système d’étiquettes pré-imprimées, à coller sur les seringues avant même de commencer la dilution. Chaque médicament 4. possède son propre modèle, avec une couleur spécifique et des indications claires sur la préparation et le dosage. seconde partie : 18-30 Médicaments : gérer les risques Une manipulation sous haute surveillance Des erreurs peuvent se produire lors de l’administration de médicaments. Zoom sur les moyens mis en œuvre Texte Benjamin Bollmann Infographie LargeNetwork SwissInfographics pour garantir la sécurité du patient aux soins intensifs. 1. « L’état de nos patients peut basculer d’une minute à l’autre. Pour les stabiliser, nous leur injectons des médicaments qui agissent très rapidement. » Laurent Gattlen, infirmier au Service de médecine intensive adulte du CHUV, est responsable de la logistique et des équipements de perfusion. Couramment employé, ce mode d’administration peut se révéler particulièrement dangereux s’il n’est pas correctement manipulé. « Une erreur de dosage ou dePrescription: vitesse d’injection potentieldoublepeut validation lement avoir entre de graves conséquences, Le médecin les données du patient dans un logiciel, qui calcule les dosages et établit l’ordonnance. Un deuxième médecin la valide. 2. précurseur en matière de prévention des erreurs. Il a mis en place une série de mesures pour sécuriser le circuit des perfusions. Première étape : Pire, dans l’urgence, un professionnel la prescription du médecin. « Celle-ci est rédigée sur une feuille pré-remplie, pourrait faire un mauvais mélange, afin de minimiser les risques de se se tromper de produit, voire même tromper lors de la relecture, explique de patient. « Le risque d’erreur Laurent Gattlen. De plus, la procédure concerne toutes les étapes de la vie veut que l’infirmière la relise avec d’un médicament, du moment de sa prescription à celui de son adminis- le médecin, avant de la recopier dans le dossier informatique du patient. tration », prévient l’infirmier. Il s’agit d’un logiciel jouant un rôle clé le suivi de AuTransmission CHUV, le Service de médecine à l’unité de fabrication dans la planification Sélection deset«ingrédients»: intensive adulte fait figure Le service de pharmacie du de CHUV reçoit la médication. » double validation la prescription nécessaire à la fabrication Un logiciel calcule automatiquement de la chimiothérapie. les volumes de médicament à utiliser. Deux opérateurs les vérifient. explique le spécialiste. Les médicaments passent tout de suite dans l’ensemble de la circulation sanguine. » Circuit de fabrication des chimiothérapies : sécurité maximale 3. « A toutes ces mesures s’ajoute un contrôle visuel des appareils à chaque changement d’équipe. » Autre facteur décisif : le travail du pharmacien clinicien, qui régulièrement se trouve aux côtés de l’équipe soignante lors des visites médicales. « Cette collaboration interdisciplinaire s’avère particulièrement bénéfique dans les services tels que les soins intensifs, où les thérapies médicamenteuses sont complexes », explique Pierre Voirol, qui exerce cette fonction. Par ailleurs, la pharmacie maintient à jour des bases de données utiles aux soignants, comprenant des informations telles que les incompatibilités entre les médicaments. La PMU aussi Vingt mille, c’est le nombre d’ordonnances traitées chaque année au comptoir de la pharmacie de la Policlinique médicale universitaire (PMU). « Avec une telle quantité de médicaments, il arrive que des erreurs se produisent, comme se tromper d’emballage, admet le prof. Olivier Bugnon, pharmacien chef à la PMU. Mais les incidents restent rares et n’ont jamais eu de conséquences graves. » La pharmacie procède à un contrôle systématique des ordonnances 5. en trois étapes. L’historique du 6. patient est d’abord comparé Pour l’instant, les systèmes inforà la prescription par l’employé de matiques utilisés aux soins intensifs pharmacie. Le pharmacien vient ne permettent pas d’étudier le taux ensuite au comptoir pour la valider d’erreur de manière systématique. « Pour l’administration des médicaet s’assurer que le patient ait « Difficile de donner une estimation, ments, nous avons acquis du matériel bien compris l’usage du traitement. dit Laurent Gattlen. Seules les erreurs de perfusion précis et doté de systèmes « Il arrive souvent qu’il manque détectées et celles déclarées sont docude sécurité électroniques, explique une information sur l’ordonnance », mentées. » Toutefois, le service prévoit Laurent Gattlen. Les appareils sont révèle le prof. Olivier Bugnon. l’informatisation intégrale des presconçus pour minimiser le risque Enfin, un dernier contrôle de criptions, la connexion des appareils au d’erreur lors du réglage des paramètres l’ordonnance et des médicaments dossier informatique du patient, ainsi d’injection et durant toute la perfudistribués est réalisé le lendemain, que l’utilisation de codes-barres sur les sion. » Pendant le traitement, l’état du Étiquetage au moment de validation la facturation étiquettes. Des mesures qui devraient Transport: Fabrication dans une enceinte à l’intérieur double patient est surveillé en permanence. de l’enceinte à la caisse maladie. encore renforcer stérile (Citobox) stérile la prévention. ▫ Une équipe dédiée s’occupe du Le préparateur suit pas à pas les Pour éviter les confusions, la transport de la chimiothérapie au sein instructions affichées à l’écran. Grâce chimiothérapie sort déjà étiquetée du CHUV. Avant de l’administrer, deux à une balance, l’ordinateur contrôle de l’enceinte. La préparation est infirmières contrôlent si elle correspond le volume prélevé à chaque étape. ensuite contrôlée. à la prescription. La manipulation des chimiothérapies, des substances potentiellement dangereuses, demande de grandes précautions. 1. Prescription: double validation Le médecin entre les données du patient dans un logiciel, qui calcule les dosages et établit l’ordonnance. Un second médecin la valide. 2. Transmission à l’unité de fabrication Le Service de pharmacie du CHUV reçoit la prescription informatique nécessaire à la fabrication de la chimiothérapie et la valide. 3. 5. 4. Sélection des «ingrédients»: double validation Un logiciel détermine automatiquement les médicaments et leur quantité à utiliser. Deux opérateurs les vérifient. Fabrication dans une enceinte stérile (Cytobox) Le préparateur suit pas à pas les instructions affichées à l’écran. Grâce à une balance, l’ordinateur contrôle le volume prélevé à chaque étape. 6. Etiquetage à l’intérieur de l’enceinte stérile Pour éviter les confusions, la chimiothérapie sort déjà étiquetée de l’enceinte. La préparation est ensuite contrôlée. Transport: double validation Une équipe dédiée s’occupe du transport de la chimiothérapie au sein du CHUV. Avant de l’administrer, deux infirmières contrôlent si elle correspond à la prescription. chuv | magazine | hiver 2012 18 focus 19 chuv | magazine | hiver 2012 médicaments : les risques Quelle équipe autour du patient pour éviter l’erreur médicamenteuse ? A l’unité des soins intensifs, les médicaments administrés La banque nationale de l’imagerie cérébrale ne donnent pas droit à l’erreur. Leur nature potentiellement dangereuse exige une marge d’erreur minime. Le monitoring du patient permet de surveiller ses fonctions vitales, comme son rythme cardiaque ou sa tension. L’équipe peut alors vérifier si le médicament administré a une influence néfaste ou positive sur les fonctions vitales du patient et agir en conséquence. Texte Séverine Géroudet Photographie Gilles Weber Ce panneau qui s’accroche au monitoring permet de signifier visuellement que le patient a une allergie connue et qu’il ne faut pas lui administrer certaines substances médicamenteuses. Pierre Voirol, pharmacien responsable de l’assistance pharmaceutique pour les soins intensifs. Le pharmacien, présent à 30% dans l’unité, tient un rôle de soutien. Il dispense des conseils et des informations sur les médicaments à la demande des médecins et des infirmiers et infirmières. Il constitue également une aide précieuse à la prescription. Les pompes servent à administrer les médicaments aux patients de manière continue. C’est un outil mécanique, automatique et contrôlé, qui pousse la seringue de manière régulière. Il émet une alarme dès qu’un problème se produit ou lorsque la seringue est presque vide, afin que le changement de seringue puisse être anticipé. Sa marge d’erreur est de 2%. seconde partie : 20-34 soigner François Mudry, infirmier spécialisé en soins intensifs. C’est le rôle des infirmiers et infirmières de préparer et d’administrer aux patients les médicaments prescrits par le médecin. A l’aide d’un système d’étiquettes régi par un code de couleur, il prépare les solutions médicamenteuses. Chaque étiquette est pré-remplie et présente la définition exacte de préparation du médicament, empêchant toute marge de manœuvre. Ainsi les erreurs de préparation sont limitées. La feuille d’ordre est un formulaire qui contient les prescriptions du médecin. Le formulaire est pré-rempli et structuré de manière à simplifier le travail de prescription ainsi que la transmission des informations de médecin à infirmier. Dans d’autres unités, ce formulaire est informatisé. C’est la prochaine étape pour les soins intensifs, car l’informatisation permet de réduire davantage la marge d’erreur. Le dossier informatisé du patient répertorie les données venant du monitoring et les informations en lien avec le médicament administré. Il permet un suivi spécifique de ce dernier par des calculs, des statistiques et un historique. Lise Piquilloud Imboden, doctoresse et cheffe de clinique. Le médecin détermine le médicament dont le patient a besoin et le prescrit. Il définit le dosage nécessaire du médicament et le rythme auquel il doit être administré. Laurent Gattlen, responsable des procédures d’administration des médicaments et du bon fonctionnement des appareils qui y sont liés. Entouré de toute une équipe, il assure un rôle de maintenance du matériel rattaché à la médication ainsi qu’une permanence logistique. En lien avec son travail aux soins intensifs, Laurent Gattlen a mené plusieurs études et rédigé de nombreuses publications sur la sécurité du médicament. chuv | magazine | automne 2011 20 décryptage 21 chuv | magazine | hiver 2012 médicaments : les risques Pastilles vertes et sirops roses 3 Goût Les plus jeunes générations ont pu échapper à l’ingestion d’huile de foie de morue à la cuillère, grâce à l’arrivée des gélules. Il n’en reste pas moins que le goût des médicaments fait débat. « Je trouve personnellement que certains comprimés effervescents ont très mauvais goût », dit en souriant le Dr Gregory Podilsky. Mais il y a une bonne raison à cela : la forme galénique la plus simple est toujours la meilleure. « Il y a déjà suffisamment de contraintes techniques à intégrer, et trouver de bons agents masquant le goût n’est pas si facile. » Le goût, la couleur et la forme des médicaments varient considérablement. Ils sont déterminés par l’âge du patient, la pathologie visée ou encore le mode d’administration le plus efficace. Explications. Texte Serge Maillard Photographie Chloé Pracchinetti 1 Forme Comprimés, gels, sirops, cachets, granules, pastilles, ou encore dragées… Il faut faire preuve d’imagination pour concevoir l’aspect physique des médicaments, leur « forme galénique », du nom de Galien – qui est à la pharmacie ce qu’Hippocrate est à la médecine. « Les substances actives, qui se présentent le plus souvent sous forme de poudre, ne sont pas ingérables en tant que telles, explique le prof. André Pannatier, pharmacien-chef au CHUV. Pour en faire un médicament, il faut ajouter des excipients, des substances inertes permettant de soutenir l’action du médicament. » Un seul médicament peut ainsi se décliner sous plusieurs formes. Le méthotrexate, par exemple, utilisé entre autres en oncologie, est disponible sous forme orale liquide ou sous forme de comprimé, en solution injectable administrable par voie sous-cutanée, intramusculaire, intraveineuse et même intrathécale c’est-à-dire par injection directe dans le dos, entre les vertèbres. Autre exemple d’inventivité pharmaceutique : l’oméprazole, qui vise à couper l’acidité gastrique. « S’il arrive tel quel dans le milieu acide de l’estomac, il se détruit tout de suite, explique le docteur Grégory Podilsky, pharmacien responsable de l’Unité de fabrication des médica- 2 Couleurs ments du CHUV. Or, la substance active ingérée doit transiter par l’estomac avant de passer dans le sang. L’industrie a donc créé une forme gastro-résistante, qui peut traverser l’estomac tout en étant protégée de l’acidité et se libérer ensuite au niveau de l’intestin. » On parle dans ce cas de comprimé « enrobé ». Outre le choix du mode d’administration le plus efficace, l’industrie pharmaceutique fait aussi intervenir une logique commerciale dans l’aspect des médicaments. Un choix controversé, note le Dr Grégory Podilsky : « Très clairement, le marketing ne va pas toujours de pair avec la sécurité. Par exemple, la ligne graphique utilisée pour identifier une marque peut amener à la confusion entre plusieurs médicaments, notamment en ce qui concerne leur couleur (voir point no 2). » La couleur n’est jamais le fruit du hasard. « A des fins de marketing, l’industrie pharmaceutique a exploité des études sur la psychologie des couleurs, explique le prof. André Pannatier. Par exemple, il a été démontré que le rouge était associé à un effet stimulant alors que le bleu était plutôt perçu comme exerçant un effet tranquillisant. » Paradoxalement, la petite pilule bleue bien connue contre l’impuissance doit sa couleur à celle de son fabricant, qui a fait le choix du bleu pour son logo. La logique commerciale n’est jamais très loin... D’autres constantes existent. Par exemple, la plupart des emballages contenant des produits à base de fer contre l’anémie sont rouges, pour rappeler le sang. Il n’existe cependant pas de consensus au niveau international pour le code couleur des médicaments. « Il y a tellement d’associations possibles qu’il est inconcevable d’attribuer une couleur spécifique à chaque médicament, note Grégory Podilsky. Un patient peut donc très bien se retrouver avec cinq médicaments blancs et ronds, ce qui rend les confusions possibles. » Les pharmaciens du CHUV masquent le goût en priorité lorsque le médicament doit être ingéré par un enfant. « Par exemple, la predisone, un dérivé de la cortisone utilisé entre autres contre certains types d’allergie, a un goût absolument horrible qui peut être masqué par du chocolat. » Certains praticiens s’opposent cependant à ce qu’on donne une saveur trop attractive à un médicament. Un goût désagréable peut en effet aussi servir à limiter les abus. ▫ Le placebo, plus qu’une simple croyance « Les médecins utilisent souvent l’effet placebo, par exemple lorsqu’ils prescrivent des vitamines contre un peu de fatigue, explique Thierry Buclin, professeur de pharmacologie clinique. L’esprit humain étant très sensible à la suggestion, les remèdes “à bien plaire” étaient déjà connus dans l’Antiquité, rappelle-t-il. L’étymologie latine du mot placebo signifie d’ailleurs “ je plairai ”, titre d’un psaume. » Après la Seconde Guerre mondiale, les Anglo-Saxons ont lancé les premiers grands essais cliniques comparant les effets d’un médicament comprenant des substances actives à un produit neutre, un placebo. Ni le patient volontaire ni le médecin ne savent quel est le « vrai » médicament. « L’effet placebo contient la force de la croyance, mais aussi celle du temps qui passe. Les statistiques nous permettent d’évaluer l’effet réel d’un médicament, au-delà de l’effet placebo. chuv | magazine | hiver 2012 22 zoom 23 chuv | magazine | hiver 2012 médicaments : les risques Recenser et rassurer Dans la série Dr House, l’épisode s’achève lorsque le médecin met un nom sur la pathologie dont souffre le patient, comme s’il suffisait ensuite d’administrer le bon traitement. Dans la réalité, il en va tout autrement : « Cela ne s’arrête pas quand l’ordonnance est signée, confirme le prof. Thierry Buclin. Cette représentation est symptomatique d’une époque où l’on a des attentes aussi nombreuses que simplistes des médicaments. Mais il ne faut pas oublier que « Pharmakon », le mot grec à l’origine de « Pharmacie » autant que de « Pharmacologie », désignait à la fois le médicament et le poison ! » Pharmacologique, mon cher Watson Pour le public, la différence entre pharmacie et pharmacologie peut sembler floue. Tour d’horizon des activités cruciales de cette unité du CHUV avec son chef, le prof. Thierry Buclin. Si tout le monde a déjà croisé un pharmacien dans sa vie, les pharmacologues sont un peu plus difficiles à rencontrer hors de l’hôpital. Mais quelle est leur mission ? « Notre travail peut se définir parallèlement à celui de l’infectiologue, répond Thierry Buclin, professeur ordinaire de l’UNIL et chef de la Division de pharmacologie clinique du CHUV. Nous devons comprendre et identifier l’adversaire, avant de corriger ou de prévenir ses méfaits. Sauf qu’au lieu de combattre les microbes, nous nous intéressons aux médicaments ! » On considère qu’en moyenne 5 à 10% des personnes hospitalisées le sont à cause de médicaments : « Ce ne sont pas toujours des erreurs, continue le prof. Thierry Buclin. Parfois ce sont des effets imprévisibles, voire délibérés comme dans le cas des chimiothérapies qui sont, ne l’oublions pas, des produits assez toxiques. » Ainsi, le pharmacologue est souvent amené, dans le cadre du diagnostic ainsi que dans le choix du traitement, à jouer le rôle d’expert auprès du médecin pour répondre à des questions aussi importantes que « faut-il arrêter ce médicament ? », « ces substances risquent-elles d’interagir défavorablement ? » ou « devrait-on ajuster le dosage de ce produit ? ». « Bien sûr, des spécialistes comme les cardiologues ou les neurologues connaissent à fond les indications des traitements qu’ils prescrivent, ajoute le prof. Thierry Buclin. Mais notre discipline concerne néanmoins tout l’hôpital dans la prévention des effets secondaires. » En plus de son activité hospitalière, l’Unité de pharmacologie fournit un De fait, la pharmacovigilance (soit l’enregistrement et l’évaluation des effets secondaires des médicaments) fait partie des attributions de l’unité du prof. Thierry Buclin. Mais ses projets visent aussi à prévenir ces problèmes grâce à une individualisation des traitements basée sur un suivi thérapeutique précis. « Le développement du monitoring est particulièrement prometteur en Suisse, où l’on est volontiers enclin à surveiller et mesurer, constate le pharmacologue. Mais cette activité implique des remises en question et demande des efforts de la part des médecins et de l’industrie pharmaceutique. Depuis les années 1990, nous réussissons progressivement à faire passer l’idée que les patients ne sont pas tous égaux face aux médicaments, et que, par conséquent, dans certains cas, le dosage unique n’est pas une bonne chose. Nous avons mené déjà de nombreuses recherches, notamment dans le cas des trithérapies contre le sida et d’autres infections. Et nous nous penchons maintenant sur les nouveaux traitements anticancéreux. Nous sommes un petit centre, mais nous obtenons déjà des résultats très intéressants pour la communauté scientifique internationale. » La technologie offre également de toutes nouvelles perspectives : « Nous sommes en train de concevoir, en collaboration avec l’EPFL, un système de monitorage qui pourrait, grâce à un système miniaturisé, permettre au médecin de connaître instantanément la concentration de médicaments qu’un patient a dans le sang, expose le prof. Thierry Buclin. Cet appareil permettrait ainsi de modifier immédiatement les dosages selon les besoins du patient. Nous n’en sommes qu’au tout début ! » ▫ Photographie BZH Matth Photographie Heïdi Diaz 24 grand nombre de prestations, notamment auprès des médecins installés : « Un médecin d’hôpital ou de cabinet signe environ 4000 prescriptions par année, explique le prof. Thierry Buclin. Cela représente une responsabilité énorme ! Notre unité a donc également une mission importante de formation auprès des professionnels, afin de promouvoir un emploi rationnel et de prévenir au maximum les pépins. » chuv | magazine | hiver 2012 Texte Bertrand Tappy éclairage 25 chuv | magazine | hiver 2012 médicaments : les risques La tératovigilance, ou l’ange gardien des futures mères S’il est bien une « population » à qui les médicaments ferment facilement leur porte, ce sont les femmes enceintes. « Comme on peut l’imaginer, il est très compliqué de faire des études auprès de femmes enceintes volontaires, explique le prof. Thierry Buclin. C’est pour cette raison qu’une majorité des médicaments sont interdits aux femmes attendant un enfant : c’est une précaution, qui résulte d’une incertitude sur les effets possibles. » Mais qu’en est-il de celles qui prennent un traitement alors qu’elles ignorent qu’elles sont enceintes ? « Notre unité abrite depuis maintenant quinze ans le Swiss Teratogen Information Service (STIS), qui offre information et soutien au généraliste ou au gynécologue de cabinet. Ils nous contactent pour savoir si cette prise de médicament représente un risque pour l’enfant à naître, répond le pharmacologue. Nous partageons un réseau avec d’autres centres des pays industrialisés, qui enregistrent chaque exposition tout comme nous. Heureusement, dans beaucoup des 500 cas que nous traitons par année, nous rassurons plutôt la patiente à propos de la crainte de malformations. Sinon, nous recommandons des examens complémentaires. » Mais surtout, le STIS récolte le suivi des grossesses jusqu’à la naissance. « A travers le réseau, nous obtenons ainsi les données anonymisées de milliers de cas, soit une masse d’informations irremplaçable dans ce genre de surveillance épidémiologique. » Sécurité à l’hôpital : la parole aux patients Pour prévenir les erreurs médicales, le CHUV a distribué à 1500 patients une brochure de prévention. Un projet pilote Texte Serge Maillard Photographie Eric Déroze avec un mot d’ordre : les malades ont un rôle à jouer. Patient ne veut pas dire passif. Durant six mois, le CHUV a participé à une expérience pilote organisée par la Fondation pour la sécurité des patients, visant à inclure les malades dans la prévention des erreurs médicales. « Nous considérons le patient comme un partenaire, explique le prof. Jean-Blaise Wasserfallen, directeur opérationnel clinique. Non seulement nous avons l’obligation légale de l’informer des bénéfices et risques d’un traitement, mais nous voulons aller plus loin, en l’incitant à interpeller notre personnel s’il remarque quelque chose d’anormal. » s’il observe que la pilule qu’on lui remet n’est plus bleue mais jaune. » Concrètement, une brochure intitulée Eviter les erreurs – avec votre aide a été distribuée dans cinq services. Elle invite le patient à communiquer ce qui lui semblerait inhabituel. « Au fond, c’est le seul individu présent physiquement durant chaque consultation, examen et traitement, ajoute le prof. Jean-Blaise Wasserfallen. De nombreuses erreurs survenant au lit du malade peuvent être observées par le patient. » Ces points incluent notamment la réaction des patients s’ils observent que le professionnel ne s’est pas désinfecté les mains ou s’il le confond avec un autre – « Nous évitons de mettre un Perret et un Pernet dans la même chambre », précise sur ce point le prof. Jean-Blaise Wasserfallen. Exemple type, abordé dans la brochure : la confusion de médicaments. « Les infirmières vérifient deux fois si le médicament attribué est le bon, mais il y a toujours une possibilité de défaillance ou de confusion. Le patient est bien placé pour réagir, par exemple Osera-t-il pour autant communiquer ses doutes ? La brochure vise précisément à briser la « barrière d’incommunicabilité » qui peut survenir entre patient et professionnel de la santé. « Souvent, les patients arrivent inquiets et déstabilisés à l’hôpital, observe le prof. Jean-Blaise Wasserfallen. Ils se retrouvent dans un nouvel univers, sans savoir de quelle manière ils peuvent intervenir. La brochure détaille cinq points pratiques où une bonne communication peut faire la différence. » un nouveau rôle, plus vigilant, sans pour autant que la responsabilité lui soit transférée. Au risque d’éroder la relation entre patient et soignant ? « C’est une relation de confiance qui se construit, mais qui se mérite aussi. Le patient bien informé posera des questions plus pertinentes, et sera aussi plus exigeant vis-à-vis du soignant », répond le prof. JeanBlaise Wasserfallen. L’inverse est aussi vrai : si le patient ne respecte pas les recommandations du personnel soignant, il court le risque d’être remis à l’ordre. « La première fois que j’ai mis à la porte un patient qui contrevenait régulièrement à l’interdiction de fumer, mettant en danger la santé de son voisin de chambre, tout le monde m’a pris pour un fou ! » raconte le directeur médical. A patient plus attentif, médecin plus exigeant. Les jeunes plus réactifs Dans leur rapport avec les soignants, Oser remettre en cause le soignant les générations se suivent et ne se ressemblent pas. « Les jeunes adoptent Cette approche plus approfondie de la relation patients–professionnels plus facilement une attitude de requiert également une sensibilisa- partenaires, car ils reçoivent plus d’informations via internet, constate tion de ces derniers. « Eux aussi le prof. Jean-Blaise Wasserfallen. doivent apprendre, par exemple, Ils sont non seulement mieux à accepter que le patient observe informés, mais aussi plus exigeants. l’écran de contrôle de leur appaLes personnes âgées ont plutôt reil. » Le facteur déterminant pour l’habitude d’une médecine plus le succès du projet réside dans paternaliste, avec un rôle moindre la possibilité de « remise en laissé au patient. » Le temps ferait cause » de l’autorité médicale par donc le jeu d’un patient plus réactif. le patient, qui se voit attribuer « Cette tendance ne doit toutefois pas masquer le fait que la population soignée est aussi constituée de personnes rendues vulnérables par l’âge ou la maladie, relève Nicolas Jayet, infirmier et chargé de communication à la Direction des soins. Nous devons donc être particulière- ment attentifs auprès de ceux qui ne sont pas en mesure de réagir, de questionner ou de se positionner. » L’étude menée a bien fonctionné : quelque 95% des patients et 78% du personnel soignant y ayant participé sont tombés d’accord sur le fait que « les hôpitaux devraient mieux informer les patients sur la prévention d’erreurs médicales ». Cela sera chose faite dans la nouvelle brochure d’information remise à l’accueil, qui comprendra un passage sur la communication entre patients, familles et soignants... ▫ chuv | magazine | hiver 2012 26 évolution 27 chuv | magazine | hiver 2012 médicaments : les risques 28 pour construire la médecine de demain et la possibilité, en occupant le poste qu’on me proposait, de participer à cet effort. En plus, il y avait beaucoup d’autres paramètres à prendre en compte, notamment mon épouse et mes enfants ! Photographie Philippe Gétaz Mais n’y a-t-il pas de risque que votre parcours ne vous mène vers de futurs conflits d’intérêts ? La chose a bien sûr été abordée durant la procédure de recrutement. Mais pour être vraiment sûr que ce genre de situations ne se produise pas, je ne fais pas partie de la commission des médicaments du CHUV, qui choisit les produits que l’hôpital achète. « Chaque médicament est un petit miracle » Récemment nommé à la tête du Département des laboratoires du CHUV et profes- seur ordinaire à l’UNIL, Vincent Mooser a choisi de revenir en Suisse et dans le ser- vice public après plusieurs années passées aux Etats-Unis en tant que vice-président de l’entreprise pharmaceutique GlaxoSmithKline. CHUV Il est rare de voir un professionnel de la santé faire un retour du privé vers le service public. Quelles sont les raisons qui vous ont amené à rejoindre Lausanne ? Vincent Mooser J’ai passé quelques nuits blanches pour prendre cette décision ! (Rires) Mais vous savez, cela avait déjà été le cas en 2002, lorsque j’avais choisi de quitter le CHUV pour partir travailler dans l’industrie pharmaceutique à Philadelphie et de poser le stéthoscope pour un bureau. A l’époque, je ne savais pas grand- chose de ce qui m’attendait. Heureusement, les choses se sont bien passées pour moi et pour ma famille ; et au moment où l’opportunité de revenir au CHUV s’est présentée, j’ai été séduit par le potentiel qu’offrait la place lausannoise et l’Arc lémanique Vous aimez parler des médicaments comme des « miracles ». Pouvezvous nous en dire plus ? Durant les années que j’ai passées au sein de la pharma, j’ai eu la chance de vivre en interne comment on découvre et comment on développe un nouveau médicament : depuis le travail en éprouvette jusqu’à la découverte de la molécule, suivi par le long et coûteux travail des essais cliniques. A ce sujet, il y a une chose dont le grand public n’est pas conscient : pour un médicament qui arrive sur le marché, ce sont des années de labeur et des milliers de molécules qui ont été testées, dont la grande majorité est arrêtée en chemin. Tout cela a un coût immense ! Je vous laisse imaginer la résilience qu’il faut pour travailler dans ce milieu… Que répondez-vous à ceux qui disent que la recherche académique ne sert à rien si l’industrie ne voit pas un intérêt financier comme dans le cas de maladies orphelines ? L’académie et l’industrie ont des missions différentes. L’académie doit conduire à une augmentation de nos connaissances et à leur transmission ; l’industrie doit produire des nouveaux traitements. Vous savez, depuis deux-trois ans, l’industrie s’est rendu compte qu’elle ne savait pas tout et qu’elle avait tout intérêt à travailler avec le monde académique. Il existe un autre élément : l’industrie fait marche arrière, après avoir longtemps cru que l’on pouvait extrapoler à l’homme ce qu’on avait observé chez l’animal. D’où un intérêt soudain pour les recherches menées sur le génome humain par le monde académique, qui lui permettraient d’ouvrir de nouvelles perspectives… Quant à l’Université, elle n’a tout simplement ni le mandat ni les reins assez solides financièrement pour absorber les coûts et essuyer les risques liés au développement des médicaments. Il est donc assez passionnant de voir les deux mondes se rapprocher aujourd’hui. « L’industrie s’est rendu compte qu’elle ne savait pas tout. » Quand une dose de traitement est vendue un demi-million de francs, est-ce que l’on ne passe pas la barrière du raisonnable ? Comment expliquer une telle dérive ? C’est un problème complexe. Il faut comprendre la situation de l’industrie : lorsqu’une molécule est synthétisée – attention, je dis bien synthétisée et non pas commercialisée – le laboratoire dispose de quinze années environ pour rentrer dans ses frais et faire du bénéfice avant que la formule ne soit mise à la disposition de ses concurrents. Mais sur ces quinze années, vous devez enlever cinq ans de développement pré-clinique, et au moins cinq ans d’essais cliniques ! Il ne reste plus que cinq ans, quand tout va bien, pour rentabiliser votre médicament. Pour rembourser un milliard, c’est court ! Mais comment réagissez-vous lorsque les hôpitaux doivent produire eux-mêmes des traitements, parce que l’industrie pharmaceutique refuse de le faire par manque de rentabilité, notamment en pédiatrie ? Ce n’est pas uniquement une question d’argent. En pédiatrie, il y a effectivement énormément d’inconnues. Et le contexte est très difficile pour les chercheurs ; les coûts des essais cliniques sont très grands, le marché est restreint et le nombre de cas par pathologie est vraiment petit. Il existe toutefois des pistes pour sortir de cette situation, notamment la possibilité de prolonger de six mois la durée de la fameuse patente de quinze ans, pour encourager la recherche dans le domaine de la pharmacologie pédiatrique. Ce genre de solutions a encouragé les maisons pharmaceutiques à mieux connaître l’effet et la dose optimale des médicaments chez les enfants. Dans ce contexte, quel est votre projet en tant que chef de département ? Nous arrivons aujourd’hui dans une période que nous appelons « post-génomique » : cela fait dix ans que le génome humain a été décrypté pour la première fois, après des années de travail et un budget de plusieurs milliards de dollars. Depuis lors, la technologie pour réaliser ce travail a progressé de manière fantastique, et coûte nettement moins cher ! Pour vous donner une idée, cela revient aujourd’hui 10’000 fois moins cher pour décrypter les 3 milliards de paires de base qui composent notre génome. Et d’ici à cinq ans, on pourra probablement le faire pour 500 dollars ! Face à ces développements, on peut adopter deux attitudes : soit on attend de voir déferler l’avalanche, soit on s’y prépare. Mon choix est vite fait ! Et je ne parle pas seulement de se préparer d’un point de vue médical, mais aussi éthique, informatique, légal, sociologique, etc. Et le CHUV a une carte à jouer selon vous ? Je considère qu’un hôpital universitaire a la responsabilité d’anticiper ces changements, qui vont indubitablement modifier la pratique de la médecine et qui nous dirigent vers une prise en charge individualisée du patient. L’Arc lémanique a tous les atouts pour jouer un rôle dans cette révolution. C’est donc dans cette voie que je compte créer de nouveaux projets, dont notamment une banque d’ADN couplée, de façon codée, aux dossiers des patients du CHUV, et nous sommes actuellement en discussion avec l’UNIL et l’EPFL. ▫ chuv | magazine | hiver 2012 Texte Bertrand Tappy interview 29 chuv | magazine | hiver 2012 médicaments : les risques Pour pallier ce problème, l’injection périodique du médicament est utilisée en psychiatrie, ainsi que les consultations personnalisées auprès des pharmaciens pour les maladies chroniques. matin midi Le prof. Hans-Jürg Leisinger, qui a été pendant plusieurs années membre de la Commission d’animation culturelle du CHUV, a fait don à l’institution de 24 œuvres d’art réalisées par des artistes provenant de différents pays. Parmi eux, Yves Dana et Kurt von Ballmoos déjà présents dans la Collection du CHUV, Thomas Müllenbach qui a exposé au CHUV en 2007, et des artistes à découvrir, entre autres l’Américain Fred Reich- Texte Caroline de Watteville L’oubli ou le refus du patient de suivre le traitement prescrit est courant. Le prof. Hans-Jürg Leisinger fait don au CHUV de 24 œuvres d’art ! chuv | magazine | hiver 2012 « Docteur, j’ai oublié de prendre mon médicament » Photographies Jonathan Cretton et Chloé Pracchinetti, 30 culture chuv 31 chuv | magazine | hiver 2012 médicaments : les risques man avec la toile Little Summer Music. Ce don constitue un enrichissement remarquable de notre collection d’art contemporain, laquelle a justement pour but de permettre la présence de l’art dans les services hospitaliers. soir Espace CHUV, de septembre à octobre 2011 : Vernissage de l’exposition Danse ! 25 ans de la Cie Philippe Saire ; Fabien Ruf, chef du Service de la culture de la Ville de Lausanne, avec la journaliste Rachel Barbezat. Concert Poésie sonore, Vincent Barras et Jacques Demierre. Vernissage de l’exposition Florian Javet, lauréat de la Bourse Alice Bailly 2011 : les prof. Michel Glauser et Pierre Vogt, membres du conseil de Fondation. Depuis plusieurs années, Chin Eap, professeur associé au centre des neurosciences psychiatriques, est confronté au même problème : l’arrêt ou la mauvaise prise des médicaments par les patients. Un phénomène qui atteint des dimensions considérables : « Après trois mois en moyenne, la moitié des patients qui doivent prendre un traitement médicamenteux par voie orale ne respecte plus le traitement prescrit par le médecin. » La « non-observance » médicamenteuse s’avère particulièrement problématique sur le long terme dans le traitement de certaines pathologies psychiatriques, comme la schizophrénie. « Après un premier épisode aigu et une rémission complète, il faut encore compter douze à vingt-quatre mois de traitement par la suite », explique le prof. Chin Eap. Une solution de substitution à la forme orale des médicaments permet de pallier les écarts, conscients ou non, des patients atteints de troubles psychiatriques : les injections de forme dépôt. Au lieu de prendre un médicament quotidien par voie orale, les patients peuvent choisir une injection mensuelle ou bimensuelle. « Ce processus se fait d’entente avec le patient. Il permet notamment d’éviter d’oublier de prendre les antipsychotiques utilisés dans le traitement de la schizophrénie. » « Après trois mois, la moitié des patients ne respecte plus le traitement. » La forme dépôt doit néanmoins être appliquée avec vigilance : « S’il y a un problème d’effet secondaire, le médicament reste plus longtemps dans l’organisme. C’est pourquoi nous initions toujours un traitement antipsychotique par la voie orale, avant de passer à la forme dépôt. » « Désamorcer les croyances » Autre solution : depuis 2003, la pharmacie de la Policlinique médicale universitaire (PMU) propose des consultations d’« adhésion thérapeutique » afin d’accompagner les patients dans l’intégration de leur traitement. « Nous sollicitons les patients qui éprouvent des difficultés à prendre des médicaments sur une longue durée, par exemple dans le cas d’une maladie cardiovasculaire, explique la Dresse Marie Schneider, pharmacienne responsable de la consultation. Nous les amenons à trouver des solutions par eux-mêmes. » Les séances, qui peuvent s’étirer sur plus de six mois, portent leurs fruits : « Par exemple, une patiente hypertendue pensait qu’elle devait prendre ses deux médicaments à deux moments différents, et elle oubliait souvent de prendre le second. Nous lui avons expliqué qu’elle pouvait les ingérer en même temps. Nous tentons de désamorcer les croyances. » Quelque 150 patients sont actuellement suivis par la pharmacie, en étroite collaboration avec les médecins prescripteurs et les infirmières. ▫ Calendrier des expositions De janvier à avril 2012 Espace CHUV hall principal Espace ERGASIA BÂTIMENT DE LIAISON Le Prix de Lausanne en 40 ans d’affiches Bobo en bulles Prix du public de l’exposition de Noël des collaborateurs du CHUV du 12 janvier au 1er mars 2012 Vernissage le 11 janvier à 18h30 19h Concert de l’HEMU Solistes des classes de chant Luc Aubort Du 8 mars au 25 avril 2012 Vernissage le 7 mars à 18h du 12 janvier au 3 mars 2012 Activités communautaires : collage, peinture et sculpture du 8 mars au 14 avril 2012 Route de Cery, 1008 Prilly Contact : [email protected] Du 12 janvier au 16 février 2012 Bâtiment de liaison CHUV-PMU – Niveau 08 // Contact : caroline.de-watteville@ chuv.ch Espace CHUV hall principal, rue du Bugnon 46, 1011 Lausanne. Programme www.chuv.ch rubrique « Patients et Familles ». Pour tout renseignement : Caroline de Watteville, chargée des activités culturelles, T. 021 314 18 17 ou [email protected] Consultez ou téléchargez tous les anciens numéros du CHUV | MAGAZINE sur le site internet www.chuv.ch, sous la rubrique « CHUV en Bref ». Eté 2010 : L’hôpital la nuit Automne 2010 : Spécial formation Hiver 2010 : La cicatrisation Printemps 2011 : L’Œil Eté 2011 : Le cerveau Automne 2011 : Le sang Eric Déroze, Patrick Dutoit Texte Serge Maillard LUNDI 32 chuv | magazine | hiver 2012 témoignage Xxxxxx Xxxxxxxxxx Xxxxx ▫ ▸▸▸ xxxx Texte Gabriella Sconfitti Photographie Patrick Dutoit Exergue Exergue Exergue « Les médicaments font partie de moi » Vingt comprimés par jour. C’est ce que Liv von Siebenthal doit prendre pour que son corps ne rejette pas ses nouveaux poumons reçus il y a près de deux ans. Suite au diagnostic d’une mucoviscidose tombé à l’âge de 3 ans, la jeune femme a dû apprendre à composer avec l’omniprésence des médicaments. Par voie orale ou par intraveineuse, l’administration de médicaments a toujours rythmé l’existence de Liv von Siebenthal, 24 heures sur 24. Aujourd’hui, après vingt ans de calvaire, même si les poumons sont neufs grâce à la greffe, les médicaments sont toujours présents : leur rôle consiste, entre autres, à lutter contre le rejet du greffon, à protéger le pancréas et à amener un renfort en calcium et en vitamines. A 27 ans, Liv von Siebenthal mène une vie parfaitement normale. Elle va au restaurant, part en vacances, prend des cours de langues et pratique la marche. « Par contre, il faut être organisée. Mais comme je le suis par nature, c’est gérable », lâche-t-elle dans un sourire. En effet, Liv doit chaque jour anticiper les repas à venir, et prévoir encadre les rations de comprimés lorsqu’elle ne rentre pas chez elle, en respectant les intervalles nécessaires entre les Xxxxx prises. « Une fois, je me suis réveillée en pleine nuit et je ne savais plus si j’avais pris mes médicaments la veille ! C’était devenu tellement automatique que je ne m’en souvenais tout simplement plus… C’est la seule fois où j’ai un peu paniqué. » Malgré ces contraintes, la jeune femme accepte la prise de médicaments avec sérénité. Au regard de sa situation précédant la greffe, sa condition actuelle lui paraît tout à fait tolérable. « A l’époque, j’étais liée à de l’oxygène 24 heures sur 24 pour respirer, se souvient Liv. Le branchement à une machine vingt heures par jour aidait à évacuer le gaz carbonique en excès de mes poumons. Et en plus de la prise de dizaines de comprimés quotidiens, il fallait subir des cures d’antibiotiques par intraveineuse durant quinze jours sans interruption, deux fois par an ! Les derniers temps, ce n’était plus une vie. A ce moment-là, j’étais vraiment en lutte contre la maladie, contre ce qu’elle me faisait endurer. » Lorsqu’on lui demande ce qui est le plus dur aujourd’hui, Liv répond avec humour : « Je dois prendre un sirop amer absolument horrible ! » Le caractère positif de la jeune femme lui permet de supporter les migraines, un des effets secondaires possibles, qui surviennent régulièrement. Et une fois par mois, elle doit pratiquer des examens de contrôle visant à éventuellement réajuster les doses. « Au moment de tester mon souffle, je me réjouis toujours “ d’exploser la machine ” ! » Sa seule inquiétude quand elle pense à l’avenir est l’influence que son traitement pourrait avoir sur une éventuelle grossesse. Mais Liv garde espoir. « Je sais que des solutions existent, conclut-elle. J’ai confiance. » ▫