Jérusalem au XIIe siècle - Enseignement et religions

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"Jérusalem, nous conjuguons ton nom", Christian Bernard, octobre 2001
Pour accéder à la présentation du travail interdisciplinaire dont cette séquence est
extraite, cliquer ici.
SEQUENCE D'HISTOIRE POUR LES ELEVES DE SECONDE
A – JERUSALEM AU XIIème SIECLE
1-
LA SITUATION A LA VEILLE DE LA PREMIERE CROISADE (FIN XIème SIECLE)
1.1) Jérusalem est une ville sainte pour les trois monothéismes
Pour les Juifs, c'est le lieu saint par excellence, le lieu de la présence physique de Dieu. Certes, depuis
sa destruction par les Romains en 70 et 135, il n'y a plus de Temple pour assurer les prières et les
sacrifices. Cependant, les Juifs dispersés dans toute la Méditerranée et au-delà, en gardent un souvenir
ardent, et, lors des grandes fêtes dites de pèlerinage comme la pâque, des familles entières "montent" à
Jérusalem où ils peuvent, sous condition, accéder au mur des lamentations. Sur place, les communautés
juives sont peu nombreuses.
Pour les chrétiens, Jérusalem est la ville où se déroula la passion-résurrection du Christ Jésus. C'est
également ici que l'eschatologie chrétienne situe la fin des temps avec le retour glorieux du Christ. Ainsi,
Jérusalem est-elle le nombril du monde où chacun rêve de venir pour mettre ses pas dans ceux du
Christ, et mériter son salut. La Jérusalem terrestre ouvre la voie à la Jérusalem céleste. Le principal lieu
saint est le Saint-sépulcre, un édifice complexe qui abrite à la fois le lieu du calvaire et le tombeau vide de
la résurrection. Ce bâtiment a connu beaucoup de vicissitudes depuis son édification au IVème siècle par
Constantin: incendié en 614 par les Perses, saccagé en 1009 par les troupes du sultan musulman
égyptien Hakim (destruction d'une grande partie du tombeau du Christ), restauré par les empereurs
byzantins au XIème siècle, pris par les Turcs Seldjoukides en 1073.
Pour les musulmans, Jérusalem, "al-Quods", "La Sainte", est la troisième ville sacrée de l'islam après
La Mecque et Médine. L'islam qui se présente comme la religion du retour au pur monothéisme trahi par
les Juifs et les chrétiens, considère donc Jérusalem comme la ville par excellence des révélations
passées; de plus elle est le lieu du voyage nocturne du Prophète Mohamed élevé au ciel à partir du
célèbre rocher (identifié au lieu du sacrifice d'Abraham, lieu choisi jadis pour édifier le temple juif, et enfin,
site précis où au VIIe siècle (687-691), les musulmans édifièrent la mosquée al-Sakhra ou Dôme du
Rocher, sur l'ancienne esplanade du Temple ; début VIIIe siècle, al-Walid fit érigé la mosquée al-Aqsa - la
lointaine -, à proximité, au fond de l'ancienne esplanade du Temple).
En 1099, Jérusalem (cf. Annexe 1 le plan de la vieille ville) est aux mains de musulmans chiites, les
Fatimides d'Egypte qui y possèdent une solide garnison. La ville est bien fortifiée, les remparts actuels,
édifiés par Soliman le Magnifique au XVIème siècle, sont à peu près à l'emplacement des remparts
d'alors, la taille de la vieille ville a peu changé. Jérusalem et sa région sont disputées depuis deux siècles
entre les musulmans sunnites du califat de Bagdad et les musulmans chiites de l'imamat Fatimide
d'Egypte. Outre son statut de ville sainte, elle se situe au contact des deux domaines musulmans, comme
autrefois entre le monde Egyptien et le monde mésopotamien. Aussi, à leur arrivée en 1099, les croisés
trouvent-ils une région épuisée par de nombreuses guerres et leurs conséquences.
1.2) Les pèlerinages aux lieux saints
S'ils existent depuis le début du christianisme, ils ne sont vraiment significatifs qu'à partir des
constructions de Constantin au IVème siècle. La conquête arabe du VIIème siècle n'a pas interrompu le
flux des pèlerinages venus du monde chrétien. Les pèlerins doivent cependant payer une taxe, quelques
soient les maîtres des lieux - ce sont leurs offrandes qui permettent aux empereurs byzantins de
reconstruire le saint -sépulcre détruit par les Fatimides en 1009.
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Le départ, les épreuves encourues tout au long d'un chemin long et dangereux, sont considérés comme
des offrandes rédemptrices. L'encadrement spirituel et matériel des pèlerinages préfigure celui de la
première croisade. D'ailleurs beaucoup de contemporains au XIIe siècle ne distinguaient pas clairement
pèlerinage et croisade : on utilise pour désigner les deux, une même expression du genre "voyage de
Jérusalem"- "iter hierosolymitanum".
Fin XIème siècle, quelques années seulement avant la croisade, d'importants pèlerinages ont été
effectués par des occidentaux, nobles et gens ordinaires. Les difficultés sont certes nombreuses, mais
malgré l'hostilité des nouveaux conquérants de la Syrie-Palestine - les Turcs Seldjoukides-, le flot des
pèlerinages n'a guère été entravé. L'invasion turque n'a pas non plus trop troublé les Eglises chrétiennes
de Palestine. L'historien Michel Balard affirme : "Il est donc inexact de voir dans les croisades une
réponse à un appel des chrétiens d'orient" (Croisades et orient latin, A. Colin, 2001, 273 p.)
La grande continuité des pèlerinages chrétiens à Jérusalem témoigne de l'écho profond que suscite la
Ville sainte dans la piété chrétienne d'alors.
1.3) Alors, pourquoi une croisade à Jérusalem ?
Les historiens ont beaucoup écrit sur ce sujet, la question du pourquoi des croisades a fait couler
beaucoup d'encre et a fait l'objet d'interprétations très divergentes. Les historiens de l'école matérialiste et
marxisante du XXème siècle y ont vu la conséquence de facteurs socio-économiques : des nobles
appauvris ou défavorisés par les héritages se seraient lancés dans des guerres où l'espoir de conquête
territoriale aurait été premier. En fait, l'acquisition de biens fonciers à cette époque était plus facile par
défrichement en occident que par aventure dans un orient souvent aride. Dans la même pensée, la
bourgeoisie marchande italienne, déjà présente au Proche-Orient, voit d'un très mauvais œil ces
aventures guerrières perturbatrices pour leur commerce.
La poussée démographique de l'occident chrétien a été également mise en avant pour expliquer le
mouvement des croisades, une sorte d'échappatoire démographique en quelque sorte. Des études ont
montré que l'essor démographique est postérieur à la première croisade, et n'est donc pas une cause
directe. "Il faut rechercher la cause directe dans l'état mental et psychologique de l'occident à la fin du
XIème siècle ; la croisade résulte d'un double courant : la tradition des pèlerinages et l'idée nouvelle
d'une guerre pour Dieu" (M. Balard).
L'appel du pape urbain II en fin de concile de Clermont en 1095 ne nous est connu que par des récits
postérieurs de témoins, aussi, ses motivations précises ne nous sont pas accessibles. Il semble bien que
cet appel à un voyage armé à Jérusalem s’inscrive dans une longue évolution de l'Eglise d'occident. Cet
appel à la croisade (le terme est bien postérieur) s'inscrit dans un mouvement de reprise en main des
affaires chrétiennes par la papauté. Cette dernière cherche à canaliser la violence féodale en reprenant la
pensée de Saint Augustin dans la "Cité de Dieu" qui distingue la guerre juste, permise, de la guerre
injuste, condamnable.
La seule guerre autorisée devient la guerre juste, confondue désormais avec la guerre sainte, celle qui
consiste à défendre la chrétienté. Déjà le pape Alexandre II en 1063 accorde aux chrétiens morts en
Espagne dans les combats de reconquista contre les Maures, une rémission des péchés. Par ailleurs, le
pape cherche également à imposer son autorité sur les chrétiens d'orient surtout depuis l'affaiblissement
de l'empire byzantin après sa défaite de Mantzikert en 1071 face aux Turcs. Venir en aide à ces chrétiens
byzantins est un devoir de fraternité. La papauté cherche à rétablir l'unité du monde chrétien, le schisme
de 1054 n'est pas alors perçu comme une rupture durable entre les chrétiens d'orient et ceux d'occident.
Ainsi donc, cette chevalerie occidentale mise au service de l'Eglise par le biais de la promesse de remise
de péchés, est-elle envoyée en Asie Mineure, comme elle l'est en Espagne, pour reconquérir des
territoires chrétiens pris par les musulmans. Si Jérusalem et les lieux saints sont au cœur de la
prédication pontificale, c'est pour fixer un terme et un thème mobilisateurs à la reconquête. Cette double
référence mobilisa non seulement les chevaliers comme prévu, mais aussi des clercs et des foules de
gens humbles non armés. La mobilisation va bien au-delà des intentions pontificales."La croisade est
pour le pape une opération militaire destinée, avec l'aide des forces de l'empereur, à reconquérir pour la
chrétienté, les territoires jadis chrétiens, jusqu'à Jérusalem, libérant du même coup le Saint-Sépulcre,
terme et but de l'expédition" (M. Balard).
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2-
JERUSALEM AU XIIE SIECLE, UNE VILLE SAINTE CONVOITEE PAR LES CHRETIENS ET LES
MUSULMANS
2.1) 88 ans de domination chrétienne occidentale : 1099 - 1187
L'appel à la croisade lancé le 27 novembre 1095 par le pape Urbain II souleva les foules qui se mirent en
marche vers Jérusalem. Les motivations étaient mêlées, foi, pénitence, attrait de l'orient… Les paysans
sont les premiers à partir au printemps 1096 avec le prédicateur Pierre L'Ermite, les princes eux, avec
entre autres Godefroy de Bouillon et Baudouin de Boulogne, partent quelques mois plus tard. Après un
très long voyage, de terribles épreuves et de nombreuses batailles, les croisés arrivent devant Jérusalem
en juin 1099. Il ne reste plus qu'une armée de 1200 chevaliers et 12 000 fantassins, un effectif insuffisant
pour encercler totalement la ville bien défendue par une garnison Fatimide à l'abri de ses quatre km de
remparts. Malgré la fatigue et le petit nombre, l'enthousiasme de la foi les fait se surpasser. Le bois de
deux navires génois démontés va servir à construire deux tours mobiles pour attaquer les remparts. Dans
une exaltation messianique et eschatologique, les croisés donnent l'assaut le 15 juillet 1099. Détail
important pour comprendre la mentalité de ces hommes, à trois heures de l'après midi, à l'heure de la
crucifixion du Christ, Godefroy de Bouillon réussit le premier à approcher l'une des deux tours et à faire
pénétrer ses hommes dans la ville. Massacres et pillages dureront trois jours, la plupart des musulmans
sont massacrés, Jérusalem est libérée du joug de l'infidèle, par reconnaissance envers Dieu, ils chantent
un Te Deum au Saint-Sépulcre.
Texte n°1 : Prise de Jérusalem selon l'auteur anonyme de la première croisade.
"Et nous, exultant d'allégresse, nous parvînmes jusqu'à la cité de Jérusalem, la troisième férie (le mardi), huit jours
avant les ides de juin (le 7 juin), et nous l'assiégeâmes admirablement. Robert le Normand l'assiégea du côté nord,
près de l'église du premier martyr saint Etienne, à l'endroit où il fut lapidé pour le nom du Christ; près de lui était
Robert, comte de Flandre. A l'ouest, ce furent le duc Godefroy et Tancrède qui l'assiégèrent. Au sud c'est le comte
de Saint-Gilles qui l'assiégea, sur la montagne de Sion, vers l'église de sainte Marie, mère du Seigneur, où le
Seigneur célébra la Cène avec ses disciples…
Nos seigneurs étudièrent alors les moyens d'attaquer la ville à l'aide de machines, afin de pouvoir y pénétrer pour
adorer le sépulcre de Notre Sauveur. On construisit deux châteaux de bois et un certain nombre d'autres engins. Le
duc Godefroy établit un château garni de machines et le comte Raimond fit de même. Ils faisaient apporter le bois
des terres éloignées. Les Sarrasins, voyant les nôtres construire ces machines fortifiaient admirablement la ville et
agrandissaient leurs tours pendant la nuit…
A ce moment nous souffrîmes tellement de la soif qu'un homme ne pouvait, contre un denier, avoir de l'eau en
quantité suffisante pour éteindre sa soif.
La quatrième et cinquième férie - mercredi 13 et jeudi 14 juillet 1099 - nous attaquons fortement la ville de tous les
côtés mais, avant que nous ne la prissions d'assaut, les évêques et les prêtres ordonnèrent par leurs prédications et
leurs exhortations que l'on ferait en l'honneur de Dieu une procession autour des remparts de Jérusalem et qu'elle
serait accompagnée de prières, d'aumônes et de jeûnes.
La sixième férie, de grand matin, nous attaquons la ville de tous les côtés sans pouvoir lui nuire : et nous étions
dans la stupéfaction et dans une grande crainte. Puis, à l'approche de l'heure à laquelle Notre Seigneur JésusChrist consentit à souffrir pour nous le supplice de la Croix, nos chevaliers postés sur le château se battaient avec
ardeur, entre autres le duc Godefroy et le comte Eustache son frère. A ce moment, l'un de nos chevaliers, du nom
de Liétaud, escalada le mur de la ville. Bientôt, dès qu'il fut monté, tous les défenseurs de la ville s'enfuirent des
murs à travers la cité et les nôtres les suivirent et les pourchassèrent en les tuant et en les sabrant jusqu'au temple
de Salomon - la Mosquée d'Omar-, où il y eut un tel carnage que les nôtres marchaient dans leur sang jusqu'aux
chevilles...
Entrés dans la ville, nos pèlerins poursuivirent et massacrèrent les Sarrasins jusqu'au temple de Salomon, où ils
s'étaient rassemblés et où ils livrèrent aux nôtres le plus furieux combat pendant toute la journée au point que le
temple tout entier ruisselait de leur sang. Enfin, après avoir écrasé les païens, les nôtres saisirent dans le temple un
grand nombre d'hommes et de femmes, et ils tuèrent ou laissèrent vivant qui ils voulurent. Au-dessus du temple de
Salomon, s'était réfugié un groupe de nombreux païens des deux sexes, auxquels Tancrède et Gaston de Béarn
avaient donné leurs bannières. Les croisés coururent bientôt par toute la ville, prenant l'or, l'argent, les chevaux, les
mulets et pillant les maisons qui regorgeaient de richesses.
Puis tout heureux et pleurant de joie, les nôtres allèrent adorer le sépulcre de notre Sauveur Jésus et s'acquittèrent
de leur dette envers lui. Le matin suivant les nôtres escaladèrent le toit du temple, attaquèrent les Sarrasins,
hommes et femmes, et, ayant tiré l'épée, les décapitèrent. Quelques uns se jetèrent du haut du temple. A cette vue
Tancrède fut rempli d'indignation (…). Le huitième jour après la prise de la ville, on élut le duc Godefroy prince de la
cité afin de combattre les païens et de défendre les chrétiens."
D'après "Histoire anonyme de la première croisade"
texte établi par L. Bréhier, Paris, Les Belles Lettres, 1924, chap.37-39, pp. 195-207.
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Ces massacres de musulmans commis par les chrétiens occidentaux jusqu'à l'intérieur même de la
mosquée al-Aqsa, contrastent pleinement avec la prise de Jérusalem par Omar en 638, ou plus tard par
Saladin en 1187. Attention de ne pas déduire de ces exemples que la fanatisme n'est que d'un seul côté,
nous avons, malheureusement des situations semblables dans les deux camps (un épisode peu connu
est le massacre de 1177 commis par des musulmans à l'encontre de guerriers chrétiens venus les
attaquer jusqu'en Arabie. Les chevaliers francs furent conduits à Mina - lieu important sur la route du
pèlerinage musulman, près de la Mecque -, pour y être égorgés comme les moutons du sacrifice ; cette
affaire peu glorieuse hante toujours l'islam).
Sous la domination des Francs, pendant 88 ans - de 1099 à 1187 -, la physionomie de la ville changea
partiellement. L'ancien quartier musulman est peuplé de Francs notamment des croisés d'origine
germanique, l'ancien quartier juif, est pris par des Syriens (chrétiens d'orient, non grecs). Les lieux saints
de l'islam deviennent des lieux chrétiens : sur l'esplanade du Temple (juif) ou esplanade des mosquées
comme l'on dit de nos jours, la mosquée al-Aqsa (la lointaine, érigée entre 705 et 715) devient le siège
des Templiers - institution de 1118 -, le Dôme du Rocher (appelé aussi mosquée d'Omar - construit entre
687 et 691 en souvenir de l'ascension nocturne de Mahomet) devient une église, le Templum Domini
confié aux chanoines augustins qui édifièrent sur l'esplanade un monastère et ses dépendances. Tout
cela est considéré comme souillure par les musulmans qui démoliront ces bâtiments après la reconquête
de 1187.
Le roi s'installe dans la Tour de David. Pour les besoins du culte et des pèlerinages chrétiens, les croisés
bâtissent assez rapidement de nombreuses églises, le Saint-Sépulcre, en partie restauré par l'empereur
byzantin Constantin IX en 1048, devient une belle église romane englobant le Calvaire et le Tombeau; les
chrétiens occidentaux transfèrent en Terre sainte, l'art religieux d'Europe. Cette nouvelle Jérusalem
témoigne de la foi des croisés, de leurs conceptions religieuses où la Jérusalem céleste n'est pas loin de
la Jérusalem terrestre.
2.2) Reconquête musulmane : prise de la ville par Saladin en 1187
Texte n° 2: Texte de Michel le Syrien
"Cependant Saladin, ayant reçu par la victoire une nouvelle trempe comme l'acier, s'avança joyeusement contre la
Cité sainte de Jérusalem. Le siège dura quelques jours; et comme les Francs n'attendaient aucun secours, ils
résolurent de livrer leur ville et de s'abandonner au glaive insatiable des païens. Mais Saladin se montra magnanime
dans cette circonstance, et leur permit de se racheter au prix de dix tahégans par tête et de se retirer en paix. Cette
condition fut exécutée.
Ils partirent, faisant retentir l'air de leurs gémissements, comme des agneaux qui sont séparés de leurs mères.
Poussant des cris lamentables, ils s'éloignèrent de la ville qui a reçu un Dieu. Ils auraient arraché des larmes même
à des cœurs de pierre. Il en resta vingt mille, hommes ou femmes. Saladin donna la liberté à trois mille d'entre eux,
vieillards des deux sexes, et à sept mille enfants, et envoya en Egypte cinq mille jeunes gens pour fabriquer des
briques destinées à la construction des remparts et des palais. Les nobles fils de Sion furent condamnés aux
travaux des anciens Israélites par notre Pharaon, lancé contre nous par le Pharaon incorporel (Satan), pour nous
tourmenter. Il laissa aussi des chrétiens à Jérusalem, pour restaurer les remparts de cette ville, qu'il disposa pour en
faire une de ses places fortes.
Le temple fut inondé du sang des fidèles immolés. Les musulmans lavèrent cet édifice avec de l'eau, et ensuite
avec de l'eau de rose. Saladin y fit sa prière, et ils y établirent leur culte. Il y plaça une inscription qui défendait aux
chrétiens d'y entrer sous peine de mort ou d'être contraints d'embrasser l'islam. Il mit un tribut sur l'église de la
Résurrection ; ceux qui voulaient y avoir accès pour prier devaient payer un tahégan par personne."
Traduit de l'arménien par Ed. Dulaurier, dans le "recueil des Histoires des croisades",
T V, Documents arméniens, Imprimerie Nationale ed.; Paris 1869.
Saladin (Salah ed-din en arabe) -1137-1193 - est côté musulman, le grand héros du XIIème siècle.
D'origine kurde, il entreprit de réaliser l'unité du monde musulman, il y réussit partiellement. Maître de
l'essentiel des terres de Mésopotamie, de Syrie et d'Egypte (reprise aux musulmans Chiites), il encercle
les terres palestiniennes des croisés occidentaux. Cette politique unificatrice qui ne concerne que le
Proche-Orient, - l'occident musulman dirigé par les Almohades ne répond pas à ses appels -, est menée
dans le cadre d'un appel à la guerre sainte : jihad.
Cette reconquête musulmane coïncide avec une période de grande faiblesse chez les chrétiens d'orient.
Les Francs, divisés, mal commandés sont battus par les armées de Saladin à Hattin près de Tibériade en
juillet 1187. Saladin sut se montrer magnanime et chevaleresque.
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Devant chaque ville, dont Jérusalem, pour éviter de longs sièges, il offrait la libre sortie des personnes et
des biens. C'est la guerre sainte certes, mais avec une grande dignité de comportement, ce n'est pas une
persécution. Saladin est l'image même du héros du Moyen Âge tant du côté musulman que du côté
chrétien : l'image d'un prince qui eût été digne d'être chrétien et chevalier !
A Jérusalem, on peut estimer que 4 000 personnes payèrent rançon (2 besants pour les enfants, 10 pour
les hommes, 5 pour les femmes), 10 000 furent libérés gratuitement par Saladin et 8 000 rachetés
collectivement. 11 à 16 000 furent réduits en esclavage parmi lesquels 5 000 allèrent construire des
fortifications en Egypte; il y avait peut-être 35 000 Francs dans Jérusalem, deux vieillards seuls furent
autorisés à y demeurer.
Des chrétiens grecs, avec le statut de dhimmi, prirent la place des chrétiens Francs dans les lieux saints :
Isaac l'Ange, nouvel empereur de Constantinople adresse ses félicitations à Saladin, et le patriarche grec
s'installe à Jérusalem, c'est la fin de la domination chrétienne d'occident et une étape importante dans la
montée de l'hostilité entre les deux mondes chrétiens. Les Juifs sont autorisés à retourner.
Cette prise de Jérusalem par Saladin contraste totalement avec celle de 1099 par les croisés Francs. Le
culte musulman est rétabli, le Templum Domini des Francs redevient la mosquée d'Omar ou Dôme du
Rocher et le Temple de Salomon, siège des Chevaliers templiers, redevient la mosquée al-Aksa. Les
diverses constructions franques installées sur le Haram lui-même sont détruites afin de purifier ce lieu
saint de l'islam. L'esplanade des mosquées retrouve son aspect dépouillé, la Roche même est
débarrassée de son revêtement de marbre. Le Saint-Sépulcre fermé en 1187, redevient accessible aux
pèlerins occidentaux dès 1192.
2.3) La quatrième croisade (1202-1204) : reprendre Jérusalem, oui mais d'abord … Constantinople !
Le pape Innocent III lance la quatrième croisade afin de délivrer Jérusalem prise par Saladin en 1187. Le
pape souhaite que cessent les querelles entre souverains occidentaux et qu'unis, ils aillent défendre la
terre du Christ ! La croisade devient un moyen pour unir la chrétienté d'occident sous l'égide pontificale.
Un siècle après la première croisade, l'élan de ferveur religieuse est toujours aussi présent.
Pour éviter les embûches d'un itinéraire terrestre où l'on se heurte toujours aux Byzantins et aux Turcs en
Asie Mineure, le choix est fait d'un passage direct par bateaux, les villes de commerce italiennes étant
chargées du transport. L'argent du voyage manquant, les Vénitiens, pour être payés utilisent les croisés
pour reprendre la ville de Zara (Zadar actuelle sur la cote dalmate). D'ici, un enchaînement de
circonstances et de faits vont mener les croisés à se mêler des affaires intérieures de Constantinople.
C'est ainsi que les croisés sont amenés à prendre Constantinople le 13 avril 1204. Les chrétiens
d'occident prennent et saccagent la "seconde Rome", ville sainte des chrétiens grecs orientaux.
Comment ces chevaliers du Christ ont-ils pu commettre un tel acte ? Le pape, initiateur de cette croisade
ne peut arrêter l'enchaînement des faits. La croisade s'arrête là, l'empire byzantin est conquis et partagé
entre les vainqueurs chrétiens latins. Des milliers de pèlerins parmi les plus humbles ont déjà quitté cette
croisade qui oublie son but : Jérusalem. Les controverses des sources et des historiens sont toujours
d'actualité sur les raisons de cette étrange déviation d'une croisade qui frappe non les infidèles Sarrasins,
mais d'autres chrétiens. Finalement, la grande victime de la guerre sainte occidentale, c'est Byzance plus
que le monde musulman.
Ainsi s'achève un siècle de contacts entre les trois univers chrétien latin d'occident, chrétien grec de
Byzance et monde musulman du Proche-Orient. Au-delà de toutes les péripéties de ce XIIème siècle,
Jérusalem pour les uns et les autres demeure un enjeu prégnant, hautement symbolique au sens fort du
terme, le symbole c'est ce qui unit - l'homme et Dieu-.
3-
QUELS CONTACTS ET PERCEPTIONS DE L'AUTRE ?
3.1) Avec l'islam
a) Les croisades vues par les musulmans
Il faut se garder de considérations trop idéologiques et globalisantes sur ce sujet ; le monde musulman
n'est pas uni et, précisément, la zone concernée par les croisades où se trouve Jérusalem, est zone de
conflit entre les deux grands ensembles opposés du monde musulman : chiite d'Egypte et sunnite
Seldjoukide (Iran, Iraq, Syrie, Asie Mineure).
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Les musulmans étaient habitués aux raids menés par les chrétiens de Byzance, leurs ennemis
immédiats, mais ils n'ont pas compris la spécificité de l'attaque des croisés nommés ici "les Francs". Lors
de la prise de Jérusalem par les Francs l'émotion fut grande localement, en Syrie, par contre, aucune
réaction notable dans le califat de Bagdad ou dans l'islam occidental. Aucun récit musulman de la
première croisade n'a été conservé, mais, la reconquête de la fin XIIème siècle, elle, sera prise en
compte.
Cette arrivée des Francs n'est perçue que comme conquête territoriale, une agression contre le territoire
de l'islam, telle est la première caractéristique : La Palestine, Jérusalem sont terres de l'islam! On
retrouve cette position exclusiviste chez les chrétiens pour qui il allait de soi que cette terre était et devait
rester chrétienne."Veuillez vous retirer de la terre de Dieu et des chrétiens que le bienheureux apôtre
Pierre a convertie autrefois" ainsi s'exprime l'auteur anonyme de la première croisade.
Une seconde caractéristique consiste à percevoir cette attaque dans le cadre d'un vaste mouvement de
conquête de terres musulmanes par les chrétiens occidentaux:
Texte n° 3
"La première apparition de la puissance des Francs et leur première agression contre le territoire de l'islam, dont ils
conquirent une partie, se produisit en l'an 478 (de l'Hégire, 1085-86 de l'ère chrétienne), quand ils s'emparèrent de
la cité de Tolède et d'autres terres d'Andalousie… En 490 (1097), ils marchèrent contre la Syrie."
Ibn al-Athîr (1160-1233), historien arabe dans son ouvrage "La somme des histoires".
Ainsi, la croisade n'est-elle qu'un élément d'une vaste contre-offensive chrétienne, purement territoriale,
personne ne voit l'aspect religieux. Aucun musulman d'alors n'opère un quelconque rapprochement entre
la théorie de la croisade et la notion de "jihad" que l'on traduit le plus souvent par "guerre sainte".
"La croisade a un objectif précis et une durée limitée : défendre ou libérer des chrétiens opprimés et
remettre en la possession de la chrétienté les Lieux saints de Palestine. Le jihad, au contraire, a un
objectif universel qui s'impose à tous les fidèles de Mahomet : combattre les non-musulmans jusqu'à ce
que toute la terre soit soumise à Allah". (Michel Balard p. 172).
La grande division régionale de l'islam ne pouvait que générer une réponse molle dans les premiers
temps, il faut attendre 1120 pour assister à un réveil de l'islam. Le mouvement apparaît dans la région de
Damas, en milieu sunnite et ce sera le mérite de Nûr al-Dîn et de Saladin que d'utiliser le thème
mobilisateur du jihad contre les Francs pour favoriser une certaine unité musulmane capable de réaction.
La guerre sainte musulmane n'est pas une donnée permanente au XIIème siècle. D'un côté comme de
l'autre, il ne faut pas parler du grand affrontement islam-chrétienté.
b) Quels contacts religieux ?
Malgré les massacres liés à la conquête, les musulmans, sunnites et chiites, constituent toujours au
XIIème siècle, l'essentiel de la population locale qui globalement conserve ses us et coutumes. S'il y a
entre eux et les Francs, des échanges commerciaux indispensables à la survie de tous, sur le "plan
religieux note Pierre Aubé, les positions sont figées et l'incompréhension totale". "L'islam, dans ses
fondements religieux et ses apports à la civilisation, est ignoré absolument. D'emblée, les mosquées de
Jérusalem - et quelles ! - sont fermées, avant que s'instaurent peu à peu de timides lieux de prière,
soupapes de sûreté qui ne sont pas acceptées par tout le monde. En un temps où la Sicile normande ou
l'Espagne musulmane sont des foyers de recherche intense, où un abbé de Cluny fait entreprendre
(même si c'est à des fins polémiques) une "traduction" du Coran, où Geoffroy de Viterbe adapte des
extraits de la Sîra ou des Maghâzî, bref, quand les intelligences un peu partout frétillent, l'Orient latin est
atone. Si tout musulman sait des bribes de christianisme, puisque l'islam assume la totalité de la
révélation autant qu'il la clôt, le chrétien latin installé en Orient - et c'est vrai, souvent, des plus éminents,
comme Guillaume de Tyr - sait de la religion de l'ennemi ce qu'on en disait en Occident : des âneries, sur
fond de propos malsonnants" (Pierre Aubé).
Note J. Flori, "la caricature de l'islam dans l'occident médiéval : origine et signification de quelques
stéréotypes concernant l'islam", "Aevum", 1992,2, pp. 245-256 ; et "Oriens horribilis"… tares et défauts de
l'Orient dans les sources relatives à la première croisade", publié dans "Monde oriental et monde
occidental dans la culture médiévale, Wodan n° 68, Greifswald, 1997, pp.45-56.
Aubé Pierre, "Baudouin IV de Jérusalem, le roi lépreux", 487 p, 1999.
Et "Les empires normands d'Orient, XIème-XIIIème siècles", 344 p, 1999.
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c) Quelques personnages d'exception
Pour nuancer cette situation d'ignorance réciproque, il faut signaler quelques personnages d'exception
qui réussirent à se hisser à un certain niveau de compréhension et de tolérance de l'autre. Tel est le cas
d'Usâma, prince syrien (A. Miqel, Ousâma, un prince syrien face aux Croisades, Paris, Fayard, 1986).
Texte n° 4
"Lorsque je visitai Jérusalem, j'entrai dans la mosquée Al-Agrâ (El-Aksa) qui était occupée par les templiers, mes
amis. A côté se trouvait une petite mosquée que les Francs avaient convertie en église. Les Templiers
m'assignèrent cette petite mosquée pour y faire mes prières. Un jour, j'y entrai, je glorifiai Allah. J'étais plongé dans
ma prière, lorsqu'un des Francs bondit sur moi, me saisit et retourna ma face vers l'Orient en me disant :"Voici
comment l'on prie !" Une troupe de Templiers se précipita sur lui, se saisit de sa personne et l'expulsa. Puis ils
s'excusèrent auprès de moi et me dirent :"C'est un étranger qui est arrivé ces derniers jours du pays des Francs ; il
n'a jamais vu prier personne qui ne soit tourné vers l'Orient".
Ainsi s'exprime vers 1130-50 (milieu XIIème siècle) Usâma ibn Munqidh dans Des enseignements de la
vie. Ce musulman très ouvert, à la culture raffinée, voyagea dans tout le proche orient lors de sa carrière
de diplomate. Ce témoignage montre que si l'on arrivait parfois à une acceptation de l'autre que l'on
côtoie quotidiennement, les préjugés à l'encontre de l'islam sont toujours intacts pour ce Templier
nouveau venu d'occident.
3.2) Avec le christianisme oriental
Pour schématiser, dans ce christianisme oriental on peut distinguer deux grands ensembles :
- l'Eglise grecque byzantine
- les Eglises hors empire, dispersées au Proche-Orient.
Les relations des latins avec ces deux ensembles sont différentes. L'univers chrétien en ce XIIème siècle
est comme le monde musulman, bien fragmenté.
a) L'Eglise grecque byzantine
Elle repose sur un double principe :
- collégial au point de vue dogmatique : c'est le concile convoqué et présidé par l'empereur (le basileus)
qui fixe les dogmes. Le dernier concile œcuménique remonte à 786, donc au XIIème siècle, cette
organisation est toute théorique. La collégialité du concile concerne, pour les Byzantins, les cinq
patriarcats de Rome : Constantinople, Antioche, Alexandrie, Jérusalem. Rome ne bénéficie que d'une
primauté honorifique. Cette prétention à l'universalité se heurte à la montée en puissance de la
papauté.
- monarchique au point de vue disciplinaire. L'organisation de l'Eglise est calquée sur celle de l'Etat.
L'empereur cherche, en contrôlant le patriarche de Constantinople, à gérer l'empire avec l'appui de
l'ensemble du clergé.
Depuis plusieurs siècles, la tension monte entre l'Eglise latine d'occident et l'Eglise grecque d'orient. Le
pape apparaît ici comme le collaborateur des puissances politiques occidentales. La déchirure entre les
deux parties de la chrétienté est due aux croisades, notamment à la quatrième qui, en 1204, vint
commettre l'irréparable : la prise et le pillage de Constantinople par les croisés latins. Ce n'est qu'après
cet acte fratricide que l'incident théologique de 1054 fut considéré comme un schisme.
Ainsi donc pour Byzance, ce XIIème siècle est encadré de deux épisodes difficiles dans ses relations
avec la chrétienté d'occident :
- l'arrivée de la première croisade fin XIème siècle,
- la prise de Constantinople par la IVe croisade détournée de son but, Jérusalem, en 1204, tout début
XIIIe siècle.
COMMENT LES BYZANTINS VOIENT-ILS LA PREMIERE CROISADE ? La réponse est claire : fort mal ! Et cela,
dans les deux sens de l'expression : incompréhension et hostilité.
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Incompréhension. Après leur défaite à Mantzikert (1071) face aux Turcs, ils adressèrent à l'Occident,
comme ils l'avaient déjà fait à plusieurs reprises, une demande d'aide militaire afin de reconquérir les
territoires perdus. Ils attendaient donc de l'occident frère, un envoi de chevaliers mercenaires et
aucunement une troupe importante, composite (chevaliers, clercs, paysans) aux intentions religieuses et
à la mentalité indépendante. L'esprit de guerre sainte leur est totalement étranger, et, l'idéologie de la
croisade leur restera totalement incompréhensible.
Hostilité. L'empire byzantin ne s'attendait donc nullement à accueillir des foules incontrôlables et contre
lesquelles il fallut plusieurs fois user de la force. Le point de vue byzantin nous est bien connu grâce au
récit d'une princesse, Anne Comnène, qui en fin de vie, raconta dans "l'Alexiade", ses souvenirs
d'enfance. Elle avait alors 13 ans, elle se souvient de l'inquiétude de son père, l'Empereur Alexis
Comnène (1081-1118). En effet, parmi les seigneurs de la première croisade, certains avaient
auparavant déjà attaqué l'empire byzantin et laissé de mauvais souvenirs, c'était notamment le cas de
Bohémond et de ses guerriers normands de Sicile qui prirent un temps une partie de la Grèce byzantine.
L'empereur trouva une solution de compromis. Les foules furent encadrées militairement, transférées
rapidement de l'autre côté du Bosphore afin d'éviter un séjour malheureux à Constantinople.
Globalement, ces Francs furent bien reçus, dans le cadre d'une nécessaire fraternité chrétienne. Les
chefs eux furent comblés de cadeaux afin qu'ils servent la cause byzantine de reconquête territoriale.
Texte n° 5
"Le basileus le reçut (Hugues de Vermandois, frère du roi de France, lequel ne peut participer à la croisade pour
raison d'excommunication suite à une liaison adultère) avec honneur, le combla de toutes espèces de prévenances
et, après lui avoir donné en outre de grosses sommes d'argent, le persuada sur-le-champ de devenir son homme
lige, en prêtant le serment habituel des latins".
Anne Comnène.
Au bout du compte, au XIIème siècle, les Byzantins ne retrouveront pas leurs territoires cédés aux Turcs
en 1071. Incompréhension et défiance s'installent de plus en plus entre les deux parties de la chrétienté,
chacune accuse l'autre d'être la source de ses maux, les préjugés s'installent de part et d'autre. Byzance
juge la croisade absurde et dangereuse pour l'intégrité de son empire, l'Occident s'indigne de la méfiance
des Grecs auxquels on attribue la responsabilité des échecs.
"Rien de bien étonnant dès lors si, en Occident s'impose, au cours du XIIème siècle, l'image du Grec
perfide, bavard et schismatique, puisque séparé de Rome, et en Orient l'image du Latin brutal et sans
scrupules, mais fasciné par le mirage de Byzance, de ses fabuleuses richesses et de ses reliques
insignes, dont celle de la Vraie Croix" (M. Balard, p.149).
L'aboutissement de ces incompréhensions sera la prise de Constantinople en 1204 qui rigidifia les
positions des uns et des autres, la séparation des deux Eglises dure jusqu'à nos jours.
b) Les autres chrétiens, non grecs du Proche-Orient
Dans cette région, les communautés chrétiennes sont nombreuses et divisées, la plupart appartiennent à
des Eglises séparées de Rome depuis longtemps et également hostiles au pouvoir centralisateur de
Constantinople. Pour conserver leur indépendance, elles adoptèrent au IVème siècle des dogmes un peu
différents de ceux de Byzance; c'est le cas des trois Eglises monophysites : Arméniens, jacobites de
liturgie syriaque, et Coptes d'Egypte arabisés. Localement jouent aussi un rôle important, les Maronites
au Liban et les Nestoriens en Irak. Dans la région même de Jérusalem, théoriquement sous contrôle
byzantin, les chrétiens sont en fait indépendants et s'accommodent assez bien du protectorat musulman,
ils bénéficient du statut de "dhimmî" (monothéistes protégés).
Aux premiers moments de l'occupation franque à Jérusalem, ces Eglises locales accueillirent bien les
croisés latins, comme des "sauveurs envoyés pour les affranchir du joug musulman". Certaines Eglises
furent choyées par les nouveaux maîtres des lieux, mais d'autres, jugées trop hérétiques, notamment les
monophysites coptes et jacobins, furent interdits de pèlerinage. Progressivement au cours du XIIe siècle,
les populations chrétiennes locales deviennent les alliées des musulmans afin de se libérer du "joug
religieux des Francs". "Les chrétiens d'Orient le resteront, tout comme les croisés demeureront des
catholiques romains en orient. Nulle passerelle." Tel est le constat de Pierre Aubé.
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c) Avec les Juifs
En Syrie-Palestine, une dizaine des communautés juives est présente, dont une à Jérusalem, mais cette
population juive est ici en déclin depuis la conquête des Turcs Seldjoukides. (Après leur victoire de
Mantzikert en 1071 sur l'armée byzantine, ces Turcs se répandent dans toute l'Asie Mineure ainsi qu'en
Syrie-Palestine où ils prennent Jérusalem en 1073. Les Turcs Seldjoukides, récemment convertis à
l'islam sont assez intolérants et violents à l'égard des non musulmans, Juifs et chrétiens).
Ces Juifs, avertis des massacres commis en occident par les premiers croisés à l'encontre de leurs
coreligionnaires, prennent peur à l'arrivée des croisés et se réfugient dans les villes importantes. En effet,
les communautés juives du nord de la France et des villes allemandes souffrirent beaucoup du passage
de la croisade populaire menée par Pierre l'Ermite. Pillages, massacres jalonnent la route de Jérusalem.
A Jérusalem même, les Juifs sont pratiquement absents, car indésirables depuis la destruction de la ville
par Hadrien au deuxième siècle - pour l'anniversaire de la destruction du Temple, il leur est permis de
venir pleurer sur ses ruines . L'empire romain devenu chrétien poursuivit le bannissement- excepté une
longue période de 438 avec l'impératrice Eudoxie qui autorise leur retour, jusqu'à la nouvelle exclusion de
629 sous Héraclius, et, curieusement, à la demande de la population chrétienne, les musulmans du
conquérant Omar au VIIe siècle rejettent eux aussi toute présence juive - contrairement à leur tradition
d'accepter les "gens du Livre" chrétiens et Juifs.
Ainsi, lors de la prise de Jérusalem par les croisés en 1099, c'est une petite communauté juive qui subit
massacre et esclavage. Les historiens actuels, grâce aux archives d'une synagogue égyptienne (la
Geniza) sont en mesure de nuancer ce que l'on dit des actions des croisés, en effet, ces derniers
autorisèrent d'autres Juifs d'Egypte et d'Italie à racheter à un prix volontairement bas les captifs Juifs de
Jérusalem. Au XIIe siècle, des communautés juives peuvent se reconstituer en Palestine, pas à
Jérusalem qui leur reste interdite (hormis quelques familles de teinturiers au service des Francs). L'ancien
quartier juif est devenu le quartier des Syriens. Les communautés juives palestiniennes sont
régulièrement alimentées par un courant d'immigration venu d'Europe chrétienne où leur condition de vie
se détériore malgré l'appui de certains évêques et de Saint Bernard, abbé de Clairvaux qui tient à
rappeler que les Juifs sont l'objet d'une promesse divine qui n'a pas encore été réalisée.
En 1165, le plus célèbre voyageur juif, Rabbi Benjamin ben Jonah de Tulède (Navarre) qui a parcouru les
contrées allant d'Espagne jusqu'en Chine, témoigne d'une petite présence juive à Jérusalem. Son texte
est de 1165, en pleine époque franque, une vingtaine d'années avant la reprise de la ville par Saladin.
Texte n° 6
"C'est une petite ville munie de trois murailles et fort peuplée de Jacobites, de Syriens, de Grecs, de Georgiens et
de Francs de toute langue et nation. Il y a une maison où l'on fait la teinture, que les Juifs possèdent, ayant eux
seuls le droit de faire la teinture, moyennant une certaine somme qu'ils payent tous les ans au Roi. On compte dans
cette ville environ deux cents Juifs, qui demeurent sous la tour de David. Là est aussi ce grand temple qu'on appelle
"Sepolchro", qui est le tombeau de cet Homme…
C'est là qu'est "Templo Domino", qui a été autrefois un lieu sacré, sur lequel Omar, fils d'Alcatab, avait bâti une
grande et parfaitement belle voûte, où les Gentils n'osent point mettre d'images, ni aucune ressemblance, mais ils y
viennent seulement pour y faire leurs prières.
A l'opposite de cet endroit à l'Occident est une muraille qui est un reste de celle du Temple, et même du Saint des
Saints. On l'appelle la porte de Miséricorde. Tous les Juifs vont prier devant cette muraille à l'endroit où était le
parvis."
Ce texte est la première mention moderne d'une dévotion juive au "mur des Lamentations". Le Dôme du
Rocher a été transformé en église par les Francs sous le nom de Templum Domini.
Saladin, après avoir reconquis Jérusalem sur les chrétiens, autorise le retour des Juifs dans la ville.
Ainsi donc, globalement, les Juifs eurent beaucoup à pâtir des croisades qui suscitèrent en occident une
violente reprise d'antisémitisme qui perdurera longtemps: pensez à ce sujet au comportement du roi
saint Louis mi-XIIIème siècle. Les Juifs trouvent plus de protection en milieu musulman d'Asie et
d'occident, qu'en milieu chrétien.
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B - CLASSE DE SECONDE : TRAVAIL PEDAGOGIQUE
1 - SITUER CE TRAVAIL DANS LE PROGRAMME DE SECONDE
Nous suivons deux manuels scolaires de classes de seconde : le Bertrand-Lacoste, collection J, Le
Pellec et le Nathan, collection Guillaume Le Quintrec.
Le cadre est celui de la Méditerranée au XIIe siècle, carrefour de trois civilisations (cf. annexes).
1.1) Une première leçon (le nombre de séquences de cours est à déterminer selon le choix du
professeur d'approfondir tel ou tel point) posera le cadre spatial de ces trois civilisations dont la religion
est le fondement majeur :
- deux chrétiennes : occidentale latine (le catholicisme romain) dans la partie ouest de l'Europe et
byzantine (l'orthodoxie) dans la partie est,
- une musulmane au sud et à l'est de l'espace méditerranéen.
Cette première approche doit être globale, elle vise deux objectifs :
- caractériser brièvement dans les grandes lignes chacune de ces trois civilisations, notamment les
conceptions religieuses de chacune. Faire en sorte que l'élève en ait une vue claire, facilement
assimilable et mémorisable.
- visualiser sur une carte l'espace occupé par chacune d'elle, ainsi que les zones de contacts. Trois
principales doivent être situées : l'Espagne, la Sicile et le levant où se trouve Jérusalem.
Chacune de ces trois zones de contact est intéressante à étudier, l'Espagne comme la Sicile présentent
une grande richesse de documentations, de contacts non seulement guerriers mais aussi économiques
et culturels. Le choix de l'une ces zones peut donner lieu à un travail interdisciplinaire très riche,
notamment avec le professeur de langue espagnole ou italienne.
Notre choix se porte sur le Proche Orient parce que Jérusalem, lieu hautement symbolique pour chacune
de ces civilisations, y joue un rôle de miroir où se révèlent les imaginaires de chacun. Que les choses
soient claires, ce choix n'a aucune prétention de supériorité pédagogique, il relève simplement du fil
conducteur choisi pour l'ensemble de ce dossier, à savoir, Jérusalem.
1.2) Une deuxième leçon sera consacrée à la partie orientale de la Méditerranée et plus particulièrement
au Proche-Orient, cadre géographique des croisades et des Etats latins créés au XIIème siècle. Cet effet
de zoom a pour objectif, en regardant les choses de plus près, d'examiner la diversité à l'intérieur de
chaque ensemble religieux. Cette approche du complexe nous semble être essentielle afin que les élèves
prennent conscience de la pluralité des conceptions humaines à partir d'un même fondement religieux; ce
qui constitue une manière de tordre le cou aux simplismes, aux vues abusivement généralisatrices.
La première leçon pose les grandes caractéristiques, standardise, la seconde distingue et complexifie.
Deux domaines nécessitent particulièrement ce regard : la chrétienté orientale et l'islam. Tous les deux,
au-delà de leur fondement réciproque, connaissent de grandes divergences internes. Le pluriel est de
mise, il y a des chrétientés, il y a des islams.
Il est bien sûr hors de question, avec de jeunes élèves de seconde, de s'enfoncer dans les querelles
théologiques longues et compliquées qui ont amené ces divisions, mais simplement de montrer la nonuniformité, la diversité d'approche d'une même réalité religieuse.
Cette leçon peut aboutir, entre autres, à deux constats importants:
- les diversités internes au christianisme et à l'islam, empêchent de tomber dans une vue manichéennes
et préjudiciable des rapports entre civilisations. Pas plus au XIIe siècle que de nos jours où les mêmes
fractures rejouent, il n'y a de chocs frontaux de civilisations. La diversité entraîne des jeux d'alliances
parfois inattendus. Il n'y a pas de choc chrétien contre un bloc musulman et inversement. D'un côté
comme de l'autre, il y a toujours un groupe qui marque sa différence.
- Ce constat de diversité devrait être perçu par les élèves comme richesse humaine et non comme
faiblesse ou scandale. Le fait est ici capital d'un point de vue de l'approche du fait religieux. Cette étude
est anthropologique, distanciée et non confessante de l'intérieur d'une foi qui déplorerait le manque
d'unité.
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2 – LA VILLE DE JERUSALEM AU XIIème SIECLE
L'objectif de cette séquence est de faire prendre conscience aux élèves que Jérusalem est ville sainte
pour les trois religions monothéistes : juive, chrétienne et musulmane, et ainsi que ces trois religions ont
une commune origine qui se traduit physiquement sur le terrain par une proximité voire des
chevauchements de lieux saints, mais aussi des différences notables. Pour chacune d'elle, l'élève devra
prendre conscience de l'importance symbolique de Jérusalem pour chaque monothéisme, comment
chacun est ici auto-centré, totalement ou partiellement.
Par ailleurs, il est essentiel de bien faire comprendre que ces constats sont toujours actuels, que ce
travail de compréhension va bien au-delà d'un XIIe siècle qui peut leur paraître lointain
2.1) Quels supports documentaires utilisables ?
Trois fiches sur ce sujet constituent la référence de connaissances pour le professeur et, éventuellement
pour l'élève comme documentation de recherche.
Cinq documents de travail directement pour la séquence pédagogique (cf. annexes) :
- une description de la ville de Jérusalem par le géographe musulman Al-Idrîsî
- un petit texte d'un juif, Rabbi Benjamin ben Jonath de Tolède qui fait mention du Mur des Lamentations.
- Un texte d'un voyageur musulman, Nâsir-i Khusraw, qui décrit le Dôme du Rocher
- Un texte musulman soulignant l'importance de Jérusalem pour l'islam.
- Une image chrétienne de la représentation de Jérusalem
- Un plan de Jérusalem au XIIe siècle.
Des extraits vidéo ou quelques photographies actuelles de ces lieux saints qui physiquement ont assez
peu changé de visage (si ce n'est la création d'une vaste esplanade devant le mur des lamentations
dégagée par Israël après l'occupation de la ville-est en 1967 lors de la guerre des six jours.
2.2) Travail de l'élève- consignes à réaliser
1) Repérer dans les trois textes les données qui relèvent de chacune des trois religions - Effectuer un
repérage lisible, par exemple en utilisant un surligneur de couleur fluo, avec une couleur par religion
(bleu pour le judaïsme, rouge pour le christianisme, vert pour l'islam).
2) Qui sont ces trois auteurs, d'où viennent-ils, de quand datent leurs écrits, quelles connaissances
peuvent-ils avoir de Jérusalem.
3) Repérer ces lieux saints sur le croquis de Jérusalem (utiliser les mêmes couleurs).
4) Expliquer en quelques phrases la raison d'être de chacun de ces lieux saints.
5) Vous remarquerez des chevauchements et des changements de noms au cours du XIIème siècle,
qu'en déduisez-vous ?
6) En synthèse, construire un petit tableau récapitulatif des lieux saints pour chacun des trois
monothéismes - avec nom, lieu et sens.
3 - IMAGES ET REPRESENTATIONS DE L'AUTRE
L'historiographie classique aborde souvent les données humaines d'un seul et même point de vue, soit le
seul point de vue d'un vainqueur, l'histoire est écrite par lui, soit du seul point de vue de l'occidental
chrétien en ce qui concerne notre sujet. Cette évidence se lit jusque dans les mots employés.
Un exemple contemporain à propos de Jérusalem est significatif: traditionnellement un public français
utilisait l'expression "esplanade du Temple", dans un cadre culturel judéo-chrétien, ignorant la présence
religieuse musulmane depuis le VIIe siècle; il a fallu attendre la deuxième Intifada lancée en octobre
2000 suite au geste provocateur d'A. Sharon, connue sous le nom d'Intifada El-Aqsa, pour que l'opinion
publique française, adoptant majoritairement le point de vue palestinien, utilise l'expression "esplanade
des mosquées". Ce changement d'appellation dans le grand public souligne le changement de regard.
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Nous proposons donc aux élèves un regard croisé sur les évènements, sur les hommes de cultures et de
croyances différentes au XIIème siècle à propos de l'aventure des croisades, c'est-à-dire à propos de
Jérusalem. Ces regards croisés visent à comprendre l'autre et finalement soi-même, ils permettent de
relativiser un angle de vue, et de faire comprendre que toute perception est intimement liée à une culture.
Dans une perspective anthropologique de l'approche du fait religieux, cette démarche est essentielle, elle
permet une meilleure compréhension de soi et des autres et devrait déboucher non sur un relativisme
nihiliste, mais sur une attitude de tolérance, condition du dialogue, de l'ouverture.
Le XIIe siècle est marqué en ce qui concerne Jérusalem, par l'épopée de la croisade, cette grande
aventure lancée par des chrétiens latins, par des Francs d'occident, à l'encontre des musulmans à
Jérusalem, voire des Byzantins, sur la route de Jérusalem. Comment ces Latins perçoivent-ils leur propre
aventure, quels regards portent-ils sur les uns et les autres, chrétiens et musulmans, et, réciproquement,
comment les autres considèrent-ils cette intrusion occidentale.
3.1) Les musulmans
a) le regard des chrétiens catholiques occidentaux
LES OCCIDENTAUX, NOTAMMENT LES CROISES QUI VONT EN ORIENT, CONNAISSENT TRES MAL L'ISLAM.
L'islam n'est pas considéré comme une religion digne de ce nom et respectable, mais soit comme une
hérésie, soit comme du paganisme, c'est-à-dire, quelque chose à combattre. Cette attitude permet aux
chrétiens d'occident de faire rejouer en leur faveur, des catégories d'opposition bien connues comme
chrétiens/ païens antiques, ou peuple d'Israël/ païens des temps bibliques.
Les caricatures rencontrées dans les documents peuvent se classer en deux catégories, celles à
l'encontre du Prophète en personne, et celles visant la doctrine religieuse, l'islam. A l'encontre de
Mahomet et sa révélation les caricatures consistent à le déconsidérer et à ridiculiser son action. Sa vie
sexuelle surtout choque les consciences chrétiennes, et beaucoup pensent qu'une telle attitude envers
les femmes ne peut être que la preuve d'une tromperie, Mahomet est un faux prophète, les vrais, sousentendu, ceux de la Bible ne se comportent pas ainsi.
L'islam est une religion idolâtre, païenne, polythéiste. La plupart des écrivains occidentaux, ne l'oublions
pas sont des clercs pour qui cette religion rivale et détestée doit être assimilée à la catégorie connue de
l'idolâtrie païenne antique. D'où vient une telle calomnie insupportable pour un islam qui justement
cherche à se présenter comme la pureté même du monothéisme ? Est-ce seulement de l'ignorance ?
Est-ce un phénomène de "projection" au sens freudien, d'une société chrétienne occidentale adorant
reliques, statuaires de processions ? Ou tout simplement un acte de mauvaise foi jugé nécessaire à la
propagande de l'époque ? Il faut montrer un modèle repoussant. Cet islam ainsi défini ne peut être que
l'œuvre du Malin, du Diable. Rares sont les auteurs qui comme Guibert de Nogent cherchent à se
documenter et à proposer une description juste de l'islam.
EN QUOI ET COMMENT LA CROISADE EST-ELLE ALORS CONSIDEREE COMME UNE GUERRE SAINTE ?
Lorsque le pape Urbain II lance son appel à la croisade en 1095, l'Eglise est en total renouveau, et, il a
déjà derrière lui au moins deux catégories de données sur lesquelles s'appuyer.
LA REFERENCE PENDANT UNE GRANDE PARTIE DU MOYEN ÂGE C'EST TOUJOURS SAINT AUGUSTIN pour qui la
guerre est un mal inévitable, conséquence de la présence du péché dans le monde. Pour être
pragmatique, reste donc à définir les conditions d'une guerre juste et à écarter les autres situations de
conflit. L'Eglise s'emploie à cela dans tout un mouvement en faveur de la paix.
Trois conditions vont être définies :
- La guerre ne doit pas être une fin en soi (ce n'est pas un mode de vie, elle n'est pas faite pour chercher
à dominer, à conquérir).
- Elle doit viser à rétablir la paix, la justice, la "tranquillité de l'ordre".
- Elle ne doit pas tolérer les atrocités, comme des actions contre tout ce qui est religieux.
La guerre est donc juste si elle cherche à venger des torts (problème de justice), à récupérer des terres
injustement confisquées. Tout autre cas de guerre n'est que du brigandage.
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Qui décide de cette guerre? Le prince, la guerre est un droit régalien; mais très tôt le pape lui aussi se
positionne, deux papes joueront un rôle important dans cette volonté de monopole de droit de guerre :
Urbain II et Innocent III. La guerre donc, mal inévitable, un peu somme toute comme le mariage, deux
choses à contrôler du point de vue de l'Eglise et donc réservées seulement aux hommes du second rang,
les laïcs; les clercs, eux, se voient interdire ces deux pratiques; on ne verse ni son sang ni son sperme,
les deux produits de la vie.
LA RECONQUETE DES TERRES ESPAGNOLES au cours de laquelle le pape Alexandre II en 1063 promet des
indulgences aux chrétiens qui s'y battent. La croisade est donc considérée comme une guerre juste car
elle vise à délivrer le tombeau du Christ, terre sainte par excellence où Jésus-Christ vécut, mourut et
ressuscita. Cette terre de Palestine imbibée de la présence du Christ est ainsi considérée par ces
chrétiens d'occident comme éternellement chrétienne, indûment et injustement accaparée par des
infidèles. Reprendre son bien n'est que justice. Et quel bien ! la terre où Dieu s'est incarné ! Aussi est-ce
Dieu lui-même qui mène le combat, les croisés ne sont que ses soldats. Plus qu'une guerre sainte, c'est
en fait une guerre sacrée. Les premiers croisés partent au cri de "Dieu le veut!" .A l'époque, personne
n'emploie le mot croisade, mais soit le terme de pèlerinage ou une expression du genre " Gesta dei per
Francos" - Les hauts faits de Dieu accomplis par l'intermédiaire des Francs".
La réforme grégorienne engagée pour purifier le monde chrétien présente deux facettes
complémentaires: il s'agit d'une purification interne, à savoir chasser le péché du sein même de la
communauté chrétienne, ce que l'on appelle l'hérésie et les fautes morales qui entraînent comme punition
la victoire des païens sur les chrétiens; et d'une purification externe par "extirpation des païens des terres
chrétiennes, à commencer par les hauts lieux de la foi où le Christ acquis à son peuple son salut, en
particulier le Saint-Sépulcre." J. Flori. La purification interne, la pénitence est la condition indispensable
de préparation à la croisade. Voir le texte "Invitation à la pénitence" par le pape Grégoire VIII en 1187
après la défaite des croisés à Hattin face à Saladin.
Ce regard des latins sur leur propre aventure et sur les musulmans reste valable tout au long du XIIe
siècle. Les choses changeront au XIIe siècle, la fréquentation à la fois des musulmans et de la Palestine,
l'échec final de la croisade y sont pour quelque chose. Ce qui change dans les mentalités catholiques
latines c'est l'idée de Dieu: à une conception d'un Dieu de majesté et tout puissant lançant ses troupes à
la reconquête de ses terres, se substitue une nouvelle religiosité, celle d'un Dieu souffrant pour tous les
hommes, l'image du Christ de la passion. Désormais se pose plus la question de la mission, de la
conversion des infidèles que leur extermination. Certes la survivance de l'idée de croisade survivra
encore longtemps, jusqu'à la victoire navale de Lépante en plein XVI e siècle (1571) considérée enfin
comme la revanche sur l'islam. Avec cette évolution du début XIIIe siècle, les latins passent d'une volonté
de possession de Jérusalem, à une Jérusalem rêvée, celle que l'on va quérir par le pèlerinage.
b) le regard des musulmans sur les Francs (catholiques latins)
DANS UN PREMIER TEMPS, les musulmans n'ont pas du tout perçu la spécificité de la croisade, mais ont
interprété cette arrivée de chrétiens comme l'une des multiples péripéties de volonté de reconquête de la
Palestine. Après tout, cette terre est constamment disputée alors par les Fatimides d'Egypte, les
Abbassides de Bagdad, et les troupes byzantines. Cependant, le christianisme est connu dans ses
grandes lignes, Jésus (Isa) est une figure importante du Coran - certes, il n'est pas mort sur la croix, il
n'est donc pas ressuscité et n'est pas Dieu -. Les musulmans sont depuis longtemps en contact avec le
christianisme de Byzance qui n'est pas de leur point de vue fondamentalement différent, à Jérusalem
même ils identifient fort bien ce que représente le Saint-Sépulcre et autorisent les pèlerinages,
moyennant une taxe. La description du Saint-Sépulcre par un voyageur persan montre bien le regard.
LE REGARD TRADITIONNEL DE L'ISLAM SUR LE CHRISTIANISME consiste à dire que ce dernier a falsifié la
révélation en son temps, n'est pas rigoureusement monothéiste, mais associateur : il y a confusion entre
trinité -un seul Dieu en trois personnes- et un tri-thèisme. Le Coran lui-même affirme " Ne dites pas
trois !".
LE JIHAD, (Balard, Martin…"Islam et monde latin milieu Xe-milieu XIIIe" ADHE, 157 p 2001, Guichard P.,
Sénac, Ph., "Les relations des pays d'islam avec le monde latin milieu Xe-milieu XIIIe" Sedes, 283 p.,
2000) terme que l'on traduit un peu trop rapidement et exclusivement par "guerre sainte". Le mot est forgé
à partir de la racine "JHD" qui signifie "faire effort vers un but déterminé".
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Le but en question est toujours considéré comme un bien, les acceptations en furent très diverses dans
l'histoire, cela va d'un effort fait sur soi-même pour combattre ses mauvais penchants et devenir ainsi
meilleur musulman, à l'effort guerrier pour défendre ou accroître le domaine de l'islam voire un effort de
croissance économique pour le mieux être des habitants (cas extrême du Président H. Bourguiba dans
une Tunisie laïcisée après son indépendance).
Le Prophète en personne était un chef de guerre, il participa à de nombreux combats, mais si la pratique
de la razzia se comprend dans un milieu de bédouins du désert, il a fallu assez vite codifier la pratique du
jihad pour une société musulmane devenue en grande partie urbaine, cela dès le VIIIème siècle.
La jurisprudence des premiers siècles et la perception de cette notion par les mystiques soufis, conduit
traditionnellement à distinguer le jihad mineur, ou effort guerrier pour défendre le domaine de l'islam et le
jihad majeur, ou effort spirituel sur soi. L'accent mis de nos jours sur ce dernier sens, par la plupart des
musulmans contemporains et des chrétiens soucieux de défendre "un véritable islam", ne doit pas faire
oublier que le premier sens existe, de nos jours comme au XIIe siècle. L'idée de combat imprègne toute
culture islamique, à tel point que lorsque l'on doit nommer des résistants quelconques, même sans
référence religieuse implicite, on emploie toujours le terme de "moudjahidin", à savoir le combattant du
jihad.
L'idée de jihad chez les musulmans concernés par la croisade au XIIème siècle, n'apparaît d'abord que
timidement chez les oulémas, les intellectuels de la religion. Le premier responsable politique et militaire
à lancer l'idée est Zengî dans les années 1120 en Syrie. Ce sont en fait ses successeurs, Nur-al-Din et
Saladin qui mettront vraiment le jihad en pratique comme véritable instrument de propagande.
Le combat est engagé dans une double direction:
- à l'intérieur du monde musulman contre les pratiques de l'islam jugées mauvaises, voire déviantes ou
hérétiques. C'est ainsi que le sunnisme s'impose au détriment du chiisme égyptien, par un effort intense
de créations d'écoles, de mosquées sunnites. C'est d'un réveil de l'islam qu'il s'agit, celui-ci doit se
purifier pour mériter la victoire - le succès des Francs à Jérusalem est ainsi perçu comme l'action
punitive de Dieu à l'adresse de musulmans non unis et peu orthodoxes. La légitimité du pouvoir en
place passe par là.
- Vers l'extérieur, c'est-à-dire contre les chrétiens qui occupent indûment Jérusalem, élément du "Dar alislam", de l'espace musulman. La réaction musulmane n'arrive donc que dans la deuxième moitié du
XIIe siècle. Ce réveil mènera à la reconquête musulmane de Jérusalem (1187) et ensuite au XIIIème
siècle de tout le sahil (littoral méditerranéen des Etats latins en Palestine).
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ANNEXES
1) PLAN DE LA VIELLE VILLE
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2) TEXTES POUR LE TRAVAIL PEDAGOGIQUE DES ELEVES
a) Les chrétiens orientaux
ORIGINE
A partir du IVème siècle, tout l'empire romain, c'est-à-dire l'ensemble du bassin méditerranéen, adopte le
christianisme comme religion officielle. Devenu difficilement gérable, l'empire se divise en deux parties.
Dans la partie occidentale, de langue latine, Rome auréolée du prestige fondateur de Pierre et de Paul,
arrive à fédérer autour d'elle les différentes communautés chrétiennes, alors que dans la partie orientale,
de langue grecque, Constantinople, la Nouvelle Rome fondée par l'empereur Constantin, n'y parvient pas.
Dans la partie orientale de la Méditerranée donc, les communautés chrétiennes qui pour la plupart
remontent aux origines du christianisme, sont jalouses de leur autonomie, attachées à leurs
particularismes de langue et de rituel.
Face à un pouvoir politico-religieux de Constantinople qui se veut de plus en plus centralisateur, ces
églises orientales pour échapper à la domination byzantine prennent des positions théologiques
différentes. Au fur et à mesure que le dogme chrétien se précise, d'un concile à l'autre, elles refusent les
nouvelles interprétations, et ainsi se séparent. Les questions théologiques des IVème et VIème siècles
portent alors surtout sur la nature du Christ, il s'agit de dire en quoi il fut homme et en quoi il est Dieu.
Ainsi donc, mis à part l'église arménienne qui elle remonte aux origines du christianisme, les autres
églises orientales se séparent de l'orthodoxie byzantine autant pour des raisons de volonté
d'indépendance politique que pour des raisons de doctrines.
ATTITUDES AU XIIEME SIECLE A L'EGARD DES CHRETIENS LATINS, LORS DES CROISADES
Les Arméniens sous la poussée de musulmans, les Turcs Seldjoukides qui avancent en Anatolie, se
déplacent vers la Méditerranée (Nord Syrie). Ils jouent souvent un rôle important en pays musulman,
comme gouverneurs de villes ou comme conseillers de princes. Ces Arméniens considèrent de manière
positive l'arrivée des croisés - catholiques latins. Il n'y eut cependant pas de véritable réciprocité dans ce
domaine relationnel.
A Jérusalem même, ils occupent tout un quartier de la ville, groupés autour de l'église St Jacques. Leur
patriarche- le catholicos-, vit en Anatolie, à la cour du roi de "Petite Arménie", où l'influence française est
assez forte.
Tous les autres chrétiens orientaux vivaient avant l'arrivée des croisés, en territoire musulman moyennant
le paiement d'une taxe, avec le statut de dhimmis.
Les latins les acceptent fort mal, leur font subir des brimades, à tel point qu'ils vivaient parfois mieux leur
religion sous domination musulmane que sous celle jamais acceptée des latins.
QUELQUES EXEMPLES D'EGLISES CHRETIENNES ORIENTALES
1) églises des 2 conciles (nestoriennes) refus des conclusions d'Ephèse 431.
exemple : église nestorienne
Langues
Syriaque, arabe
2) églises des 3 conciles ou monophysites (refus des conclusions de
Chalcédoine 451)
- église orthodoxe copte
- église jacobite (patriarcat d'Antioche et de Damas)
- église arménienne
Copte et arabe
Syriaque, arabe
arménien
3) églises des 7 conciles ou orthodoxes (séparées de Rome depuis 1054)
- église grecque orthodoxe ou melkite (dont le patriarcat de Jérusalem)
Grec, arabe
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LISTES DES SEPT GRANDS CONCILES
Concile
date
Sa proclamation
Nicée 1
325
Le Verbe, Fils de Dieu, vrai Dieu né du vrai Dieu, est consubstantiel
(homoousios) au Père. C'est le concile qui précise le credo.
Constantinople 1
381
L'Esprit saint, Seigneur et qui donne la vie, procède du Père et
reçoit avec le Père et le Fils, même adoration et même gloire.
Ephèse
431
Marie est mère de Dieu (Theotokos).
Chalcédoine
451
Jésus-Christ, vrai Dieu, vrai homme, une seule personne en deux
natures, sans confusion ni changement, sans division ni séparation.
Constantinople 2
553
Deux natures dans l'unité de la Personne du Verbe incarné.
Constantinople 3
680
Deux natures donc deux volontés.
Nicée 2
787
Culte des images autorisé (l'adoration est due à Dieu seul), la
vénération de l'image s'adresse à la personne représentée.
Monophysisme : du grec monos, unique, et phusos, nature
Les deux natures, humaine et divine du Christ sont très unies, sa nature humaine s'est fondue dans sa
nature divine. Telle est au Ve siècle la position des monophysites lors du grand débat sur le Christ :
comment son humanité et sa divinité peuvent-elles coexister ? Des Eglises ont gardé cette position
doctrinale, ce sont l'Eglise arménienne, les Eglises jacobites (Eglise orthodoxes syrienne d'Antioche et
Eglise orthodoxe syrienne), les Eglises coptes (Eglise orthodoxe copte d'Egypte, Eglise orthodoxe
éthiopienne).
Le Concile de Chalcédoine en 451 condamna le monophysisme, et affirme qu'il y a bien deux natures
dans le Christ mais que l'union de ces deux natures n'annule pas leur différence.
b) Les groupes musulmans
L'islam est souvent perçu à tort par l'occident comme uniforme, cela est une illusion qu'il faut dissiper,
aussi bien pour nos jours que pour le XIIe siècle qui nous occupe. Il existe trois principales branches (on
ne dit plus sectes car le mot a pris un sens péjoratif avec l'essor des "nouveaux mouvements religieux") :
le sunnisme, le chiisme et le Kharidjisme. Ce sont trois manières différentes de vivre l'islam.
ORIGINES DE CES TROIS BRANCHES DE L'ISLAM
A la mort du Prophète Muhammad en 632 (An 10 de l'Hégire), se posa le problème de sa succession,
non pas dans sa mission prophétique - il est considéré comme le dernier des prophètes-, mais dans sa
fonction de direction de la communauté musulmane, l'Umma. Les trois premiers successeurs -ou Califesfurent Abû Bakr (632-34), Umar (634-44) et Uthman (644-56). Le quatrième calife (656-661) fut Ali, cousin
et gendre du Prophète (il épousa sa fille Fatima dont il eut deux fils, Hasan et Husayn).
L'opposition politique syrienne à Ali déclencha la guerre entre groupes musulmans. En 657 la bataille de
Siffin sur les rives de l'Euphrate donna naissance aux trois branches de l'islam. Cette bataille qui opposait
les partisans d'Ali et les Syriens qui allaient créer la dynastie des Omeyyades, se termina non par une
victoire militaire d'un camp sur l'autre, mais par une décision d'arbitrage à l'amiable entre musulmans.
Un groupe parmi les partisans d'Ali refusa cette idée d'arbitrage, ce sont les Kharidjites ("ceux qui sont
sortis") qui reprochent à Ali de ne pas défendre son pouvoir venu de Dieu et d'accepter à la place un
arbitrage, c'est-à-dire une décision humaine. Ils constituent un groupe rigoriste, "puritain", pour eux, tout
musulman pieux et digne de ce nom peut être Calife. Il ne subsiste de nos jours qu'un petit groupe, au
Yémen et dans l'île de Djerba en Tunisie.
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Que deviennent ceux qui avaient accepté l'arbitrage ? Cet arbitrage tourne à la défaveur d'Ali qui est
accusé d'avoir participé et profité de l'assassinat de son prédécesseur, le calife Uthman. Devenu
minoritaire et mis à l'écart, Ali est assassiné en 661 par un Kharidjite, ce qui fait le jeu de ses adversaires,
maintenant nettement majoritaires et qui prennent le nom de Sunnites. Les Sunnites considèrent que la
communauté des croyants doit être dirigée par un calife qui prend appui sur deux éléments clefs, le
Coran et la tradition du Prophète, la Sunna. Le Sunnisme, ce qui signifie "gens de la Tradition et du
consensus", se perçoit lui-même comme le gardien du véritable islam, comme l'orthodoxie musulmane.
Restent les partisans d'Ali qui prennent le nom de Chiites (ou Shiites) - de "Chi-at Ali", les partisans
d'Ali-.
Ainsi donc, l'origine des trois grandes branches de l'islam remonte au VIIème siècle (ler siècle de
l'hégire), c'est à dire pratiquement aux origines mêmes de l'islam. Entre cette époque et le XIIème siècle,
chacun de ces groupes se subdivise comme le montrent les tableaux ci-dessous.
A l'époque de la première croisade, l'Egypte est dirigée par un califat chiite, celui de la dynastie des
Fatimides, qui est en concurrence avec le califat sunnite de Bagdad. Ces deux Califats se disputent la
Palestine, zone tampon entre leurs deux domaines. En 1099, les croisés prennent Jérusalem aux
Fatimides chiites.
LES DIFFERENCES ENTRE CES MUSULMANS SUNNITES ET CHIITES.
Les deux groupes respectent un tronc commun de croyances et de pratiques comme les cinq piliers (
profession de foi, prières quotidiennes, aumône légale, jeûne du Ramadan, pèlerinage à la Mecque).
Leurs divergences portent sur plusieurs domaines qu'il n'est pas aisé d'expliquer en quelques mots à des
élèves de seconde, nous sélectionnons ici trois points particuliers qui nous paraissent importants pour
comprendre éventuellement l'actualité plus que le XIIe siècle.
des pratiques différentes dans le culte (ces manifestations religieuses extérieures sont les plus faciles à
percevoir par les élèves). Les chiites regroupent les cinq prières quotidiennes obligatoires en trois fois :
matin, midi et soir. Aux formules rituelles de ces prières, ils ajoutent :"Ali est proche de Dieu, ami et
détenteur du pouvoir". Les chiites ont le culte des morts, des martyrs et des saints. Ce goût particulier
vient des origines de leur histoire, où les trois personnages fondateurs, Ali et ses deux fils, meurent
assassinés, martyrs. Les tombeaux de ces derniers sont lieux de pèlerinage, Karbalâ et Najaf en Irak
actuel, avec des rites semblables à ceux pratiqués à la Mecque.
La différence majeure porte sur la question de l'autorité politique et religieuse et sur la conception de la
révélation qui en découle. Pour les sunnites, le Calife ne dirige que temporellement en assurant l'unité et
la défense du groupe. Les chiites affirment qu'ils doivent être dirigés par un descendant du Prophète, par
un guide que l'on nomme ici Imam (ne pas confondre avec le même mot qui signifie seulement chez les
sunnites, celui qui dirige la prière dans une mosquée). L'Imam chiite est le guide des croyants, celui qui
est parfait et infaillible, qui seul interprète la parole de Dieu dans le Coran, en donne le sens caché. Ce
processus entraîne un effort d'interprétation de la révélation (l'ijtihad) où la raison, la réflexion ont leur
place. Le chiisme de ce fait est toujours ouvert à la recherche intellectuelle, alors que le sunnisme qui
pourtant proclame que tout croyant est seul avec sa raison face à Dieu avec le devoir de l'effort
d'interprétation, a en fait laisser cette action à des spécialistes, juristes et docteurs de la Loi, et très vite,
cette jurisprudence a été fossilisée, voire sacralisée.
Ainsi donc, la connaissance des choses cachées (il y a là un côté nettement gnostique) se transmet dans
la lignée des Imams issus d'Ali. Les chiites sont cependant divisés sur cette généalogie d'imams. Pour
certains, elle s'arrête au septième, avec Ismail, d'où leur nom de Septimaniens ou Ismaïliens, pour
d'autres, elle va jusqu'au douzième (Muhammad al-Muntazar) d'où leur nom de Duodécimains. Au-delà
de cette différence, les deux groupes chiites ont une même conviction : le dernier Imam (le 7e ou le 12e) ,
n'est pas mort, il est simplement occulté, il reviendra à la fin des temps inaugurer un règne de paix et de
justice. Cette conception est proche du messianisme judéo-chrétien, ici l'on ne dit pas messie, mais
mahdî.
Les Sunnites considèrent ces courants chiites comme un peu hérétiques, nous le voyons au XIIème
siècle dans l'action menée par Saladin visant à unifier sous la bannière du sunnisme.
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3) DOCUMENTS POUR LE TRAVAIL PEDAGOGIQUE
Représentation de Jérusalem par les Croisés
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Méditerranée Fin XIème et début XIIIème siècles
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1) Texte du géographe musulman, Al-Idrîsî
Jérusalem est une ville illustre, de construction immémoriale et éternelle. Elle porta le nom d'Îliyâ'. Située sur une
montagne accessible de tous les côtés, elle est allongée et s'étend de l'ouest à l'est. À l'occident se trouve la porte
dite du Mihrâb ; elle est dominée par la coupole de David (sur qui soit le salut !) ; à l'orient, la porte dite de la
Miséricorde (bâb al-Rahma) qui est ordinairement fermée et ne s'ouvre que lors de la fête des rameaux; au sud, la
porte de Sion (Sihyûn) ; au nord, la porte dite d''Amûd al-Ghurâb. En partant de la porte occidentale ou d'al-Mihrâb,
on se dirige vers l'est par une rue et l'on parvient à la grande église dite de la Résurrection, et que les musulmans
appellent Qumâma. Cette église est l'objet du pèlerinage de tout l'Empire grec d'Orient et d'Occident. On y entre par
la porte occidentale et l'on parvient directement sous le dôme qui couvre toute l'église et qui est l'une des choses les
plus remarquables du monde. (…)
Après être descendu dans l'église, le spectateur trouve le très vénéré Saint-Sépulcre ayant deux portes et surmonté
d'une coupole d'une construction très solide, très bien construite et d'une décoration exceptionnelle; de ces deux
portes l'une fait face, du côté du nord, à la porte de Santa-Maria, l'autre fait face au sud et se nomme porte de la
Crucifixion : c'est de ce côté qu'est le clocher de l'église, clocher vis-à-vis duquel se trouve, vers l'orient, une (autre)
église considérable, immense, où les Francs chrétiens célèbrent la messe et communient. À l'orient de cette église,
et un peu au sud, on parvient à la prison où le seigneur Messie fut détenu et au lieu où il fut crucifié. La grande
coupole (de l'église de la Résurrection) est circulairement percée à ciel ouvert et on y voit tout autour et
intérieurement des peintures représentant les prophètes, le seigneur Messie, sainte Marie sa mère et saint Jean
Baptiste. Parmi les lampes qui sont suspendues au-dessus du Saint-Sépulcre, on en distingue trois qui sont en or et
qui sont placées au-dessus de la tombe. Si vous sortez de l'église principale en vous dirigeant vers l'orient, vous
rencontrerez la sainte demeure qui fut bâtie par Salomon, fils de David - sur lui le salut ! - et qui fut un lieu de prière
et de pèlerinage du temps de la puissance des juifs. Ce temple leur fut ensuite ravi et ils en furent chassés. À
l'époque où arrivèrent les musulmans, il fut de nouveau vénéré et c'est maintenant la grande mosquée connue par
les musulmans sous le nom de mosquée al-Aqsâ. Il n'en existe pas au monde qui l'égale en grandeur, si l'on en
excepte toutefois la grande mosquée de la capitale de l'Andalousie (dyâr al-Andalus) ; car, d'après ce qu'on
rapporte, le toit de cette mosquée est plus grand que celui de la mosquée al-Aqsâ. L'aire de cette dernière forme un
parallélogramme dont la hauteur est de deux cents brasses, et la base de cent quatre-vingts. La moitié de cet
espace, celle qui est voisine du Mihrâb, est couverte de dômes en pierre soutenus par plusieurs rangs de colonnes ;
l'autre est à ciel ouvert. Au centre de l'édifice il y a un grand dôme connu sous le nom de Dôme du Rocher ; il fut
orné d'incrustations d'or et d'autres beaux ouvrages, par les soins de divers califes musulmans. Au centre se trouve
un rocher tombé (du ciel) de forme quadrangulaire comme un bouclier ; au centre du dôme, l'une de ses extrémités
s'élève au-dessus du sol de la hauteur d'une demi-toise ou environ, l'autre est au niveau du sol ; elle est à peu près
cubique, et sa largeur égale à peu près sa longueur, c'est-à-dire près de dix coudées. Au pied et à l'intérieur il y a
une caverne, comme une cellule obscure, de dix coudées de long sur cinq de large, et dont la hauteur est de plus
d'une toise ; on n'y pénètre qu'à la clarté des flambeaux. Le dôme est percé de quatre portes ; en face de celle qui
est à l'occident, on voit l'autel sur lequel les enfants d'Israël offraient leurs sacrifices ; près de la porte orientale, on
voit l'église nommée le Saint des Saints, d'une construction élégante. Au sud se trouve le bâtiment voûté qui était à
l'usage des musulmans ; mais les chrétiens s'en sont emparés de vive force et il est resté en leur pouvoir jusqu'à
l'époque de la composition du présent ouvrage. Ils en ont fait des logements où résident des religieux de l'ordre des
templiers, c'est-à-dire des serviteurs de la maison de Dieu. Enfin la porte septentrionale est située vis-à-vis d'un
jardin bien planté de diverses espèces d'arbres et entouré de colonnades de marbre sculptées avec beaucoup d'art.
Au bout du jardin se trouve un réfectoire pour les prêtres et pour ceux qui se destinent à entrer dans les ordres.
Al-Idrîsî, Nuzhat al-mushtaq fî ikhtirâq al-âfâq,
encore appelé Livre de Roger. Sicile, 1154.
2) En 1165, le plus célèbre voyageur juif, Rabbi Benjamin ben Jonah de Tulède (Navarre) qui a
parcouru les contrées allant d'Espagne jusqu'en Chine, témoigne d'une petite présence juive à
Jérusalem. Son texte est de 1165, en pleine époque franque, une vingtaine d'années avant la reprise de
la ville par Saladin.
"C'est une petite ville munie de trois murailles et fort peuplée de Jacobites, de Syriens, de Grecs, de Georgiens et
de Francs de toute langue et nation. Il y a une maison où l'on fait la teinture, que les Juifs possèdent, ayant eux
seuls le droit de faire la teinture, moyennant une certaine somme qu'ils payent tous les ans au Roi. On compte dans
cette ville environ deux cents Juifs, qui demeurent sous la tour de David. Là est aussi ce grand temple qu'on appelle
"Sepolchro", qui est le tombeau de cet Homme……C'est là qu'est "Templo Domino", qui a été autrefois un lieu
sacré, sur lequel Omar, fils d'Alcatab, avait bâti une grande et parfaitement belle voûte, où les Gentils n'osent point
mettre d'images, ni aucune ressemblance, mais ils y viennent seulement pour y faire leurs prières.
A l'opposite de cet endroit à l'Occident est une muraille qui est un reste de celle du Temple, et même du Saint des
Saints. On l'appelle la porte de Miséricorde. Tous les Juifs vont prier devant cette muraille à l'endroit où était le
parvis."
Ce texte est la première mention moderne d'une dévotion juive au "mur des Lamentations". Le dôme du
Rocher a été transformé en église par les Francs sous le nom de Templum Domini.
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3) Texte de Nâsir-i Khusraw (1003- 1088), texte situé vers 1046.
Extrait de "Sefer Nameh" (Relation de voyage) traduit du persan par Charles Schefer, Texte cité dans la
revue Dédale, n° 3-4 1996, pp 100-107.
"Le sanctuaire du Rocher est la troisième maison de Dieu. Il est admis par les docteurs de la loi qu'une prière faite à
Jérusalem a la valeur de vingt cinq mille; celle qui est adressée à Dieu à Médine en vaut cinquante mille, et celle qui
est faire à la Mecque, cent mille. Que le Dieu tout-puissant daigne accorder à tous ses serviteurs la grâce de jouir
de cette faveur! (…). L'édifice à la forme d'un octogone régulier dont chaque côté mesure trente neuf arech. Il y a
quatre porches, chacun d'entre eux s'ouvre sur une des quatre faces qui sont celles de l'est, de l'ouest du nord et du
sud. Le Rocher a cent guez de circonférence; il n'est ni rond ni carré C'est un bloc de pierre de forme irrégulière
semblable aux quartiers de roc que l'on rencontre dans les montagnes (…) L'immense coupole repose donc sur ces
douze piliers placés autour du Rocher. Quand on l'aperçoit de la distance d'une parasange, elle ressemble au
sommet d'une montagne (…). Le Rocher s'élève au-dessus du sol à la hauteur d'un homme, il est entouré d'une
balustrade en marbre, afin qu'on ne puisse l'atteindre avec la main. Il est d'une couleur bleuâtre et jamais il n' a été
foulé par le pied de l'homme…. On distingue la trace de sept pas. J'ai entendu raconter qu'Abraham était venu là
avec Isaac encore enfant, et que ce dernier ayant marché sur le rocher, les marques que l'on y voit sont celles de
ses pas. Le sol est recouvert de beaux tapis en soie et en autres tissus. Une lampe en argent attachée à une chaîne
de même métal est suspendue au centre de l'édifice, au-dessus du Rocher.(…). On prétend que dans la nuit du
Mi'raj, le Prophète fit d'abord sa prière sous le Dôme du Rocher; il posa sa main sur lui et quand il sortit, celui-ci,
pour témoigner son respect, se dressa tout droit; mais le Prophète remit la main sur lui et il reprit sa place. Il est
resté, jusqu'à ce jour, à moitié soulevé. Le prophète se dirigea ensuite vers la coupole qui porte son nom, et là il
monta sur le Buraq. Cette circonstance a valu à ce lieu la vénération dont il est l'objet".
4) Description de Jérusalem par un musulman: Imâd ad- Dîn
L'auteur né à Ispahân en 519/1125, et mort à Damas en 597/1201, fut le secrétaire de Nûr ad-Dîn et
ensuite de Saladin. Il composa des poèmes et rédigea des ouvrages historiques au style très fleuri et
ornementé en prose rimée et rythmée. Son histoire de la conquête de Jérusalem continuée jusqu'à la
mort de Saladin se nomme " L'éloquence cicéronienne sur la conquête de la Ville Sainte". C'est une
source capitale et bien informée, mais parfois le propos est dilué dans un océan de bavardage.
Cet extrait est issu le l'ouvrage : Francesco Gabriel "Chroniques arabes des croisades", textes traduits de
l'italien par Viviana Pâques, Sindbad, 1996, 404 p.
" Jérusalem est la première des deux qibla, la seconde des deux maisons de Dieu, la troisième des zones sacrées :
elle est l'un des trois lieux de prières dont Muhammad a dit que les hommes doivent seller leurs montures pour s'y
rendre et y attacher leurs espérances. Et qui sait si Dieu ne la rendra pas, grâce à vous, à la forme la plus belle,
celle qu'il daigna honorer du nom de la plus noble des créatures quant il dit, Lui, le Très Noble, au début de la
sourate "Louanges à celui qui a fait voyager de nuit son serviteur de la Mosquée sacrée ( la Mecque) jusqu'à la
Mosquée la plus lointaine ( Jérusalem)". Coran XVII, 1.
Ce verset cité se rapporte au voyage nocturne du prophète.
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