Médias électroniques Damienne Gallion juillet/août 2000 techniques de presse Une étude originale sur l’écriture du Web Le texte, plus fort que l’image Sur un site d’information, vers quel élément se dirigent en premier les yeux des internautes ? Vers les photos, les graphiques et autres illustrations spécialement placés sur la page d’accueil et censés rendre le site plus attractif ? Pas du tout. La majorité des « aficionados » de l’actualité en ligne fixent leur regard en premier lieu sur le texte. Et, tout au long de la connexion, le contenu reste déterminant dans leur navigation. C’est ce que révèle une étude, baptisée « Eyetrack 2000 » et menée aux Etats-Unis par l’Université de Stanford (Californie) et l’Institut de recherches Poynter (Floride). Elle ouvre, pour les concepteurs de sites, plusieurs pistes intéressantes. donc pas valeur de sondage général sur toutes les catégories d’internautes, souligne Andrew DeVigal, membre de l’Institut Poynter spécialisé dans le journalisme sur Internet et co-directeur de l’enquête. Si nous avions choisi d’étudier un échantillon plus large, nous aurions perdu en précision. Nous voulions voir comment les gens habitués à l’information en ligne la consultaient », explique-t-il dans un article consacré à ce sujet sur le site Editor & Publisher Online. Principal instrument de l’enquête Stanford/Poynter : une mini-caméra dotée de logiciels spéciaux, fixée sur la tête de chaque participant et chargée de suivre le regard de l’internaute en train de se poser sur tel ou tel endroit de la page affichée à l’écran de l’ordinateur. Cette caméra a notamment enregistré les instants où les yeux de l’utilisateur se fixaient sur une partie de la page (la période de « fixation » devant durer au moins un dixième de seconde, temps nécessaire au cerveau pour appréhender une information). En tout, et pour donner une idée de l’ampleur des données récoltées, les chercheurs ont enregistré pas moins de 608 063 « eye fixations ». Avant l’invention de cette mini-caméra sophistiquée qui a permis le lancement de l’étude en décembre 1998, de semblables enquêtes sur les méthodes de lecture des internautes avaient été menées depuis 1996 par l’Université Stanford, mais elles n’avaient pour matière première que des enregistrements vidéo : les « cobayes » étaient simplement filmés chez eux ou au bureau. Autant dire que les résultats obtenus ne pouvaient pas être très précis. Certes, on savait déjà, plus ou moins obscurément, que le comportement de l’internaute surfant sur un site d’actualité était différent de celui du lecteur face à l’édition papier de son journal. Mais savait-on précisément en quoi ? L’étude Stanford/ Poynter vient, à ce sujet, nous apporter d’importants débuts de réponse. Précisons d’emblée que cette enquête a été menée sur un public ciblé, composé de 67 personnes (34 à Chicago et 33 à St Petersburg) sélectionnées en fonction de leur intérêt pour l’actualité en ligne (toutes consultant trois fois par semaine au moins un site d’information). « Cette étude n’a Les contenus des articles lus dans leur quasi-totalité Une fois ces nouvelles données mises en relation avec le contenu des pages visitées par les participants – auxquels il était demandé de consulter l’actualité en ligne comme ils en avaient l’habitude et selon leurs envies – et le nombre de clics sur la souris de l’ordinateur, les chercheurs ont pu dégager plusieurs faits marquants. Tout d’abord, à l’inverse des lecteurs qui, en dépliant leur journal, sont immé- Les participants à l’étude « Eyetrack 2000 » portaient sur leur tête une mini-caméra très perfectionnée qui a enregistré tous les mouvements de leur regard. 66 diatement attirés par les photos, les internautes, lorsqu’ils se connectent à un site, dirigent leur regard automatiquement vers le texte, et plus précisément sur les titres, les brèves et les légendes. Leurs yeux ne font que glisser sur – autrement dit, ignorent – photos, graphiques et autres images. L’étude a montré que la plupart du temps, les participants ne s’arrêtaient sur les photos qu’après avoir cliqué sur un titre, lu l’article correspondant, et être revenus sur la page précédente. Autre fait notable : le regard des internautes a parcouru quasi systématiquement plus de 75 % de la longueur des articles sélectionnés par eux. « Quand on y pense, ces conclusions sont logiques », analyse Steve Outing, spécialiste du Web, éditorialiste sur le site Editor § Publisher, et qui s’est longuement penché sur cette étude. « Sur un écran d’ordinateur, les photographies ne sont pas de très bonne qualité et elles sont longues à charger. (NDLR : les ordinateurs utilisés pour cette expérience bénéficiaient de connexion à haut débit. Les images apparaissaient donc en même temps, ou presque, que le texte. Mais, souligne Steve Outing, les participants étaient sûrement conditionnés par leur habitude à voir les images se charger lentement). Par conséquent, les gens sont attirés par le texte. D’autre part, ceux qui vont sur le Web utilisent davantage ce nouveau média pour rechercher quelque chose de précis que pour surfer au hasard. Sur un site, un simple titre ou un lien hyper-texte peut vous conduire à lire un article. Les choses se passent différemment avec un journal ou un magazine : assis dans un confortable fauteuil, vous feuilletez le produit, plus ou moins à la recherche de sujets susceptibles de vous intéresser, et c’est une photographie qui peut vous donner envie de lire le texte correspondant. » « En fait, conclut Steve Outing, les résultats de l’étude de l’Institut Poynter et de l’Université Stanford confirment ce qu’on oublie souvent : à savoir qu’Internet est un nouveau média et que les gens vont l’utiliser autrement. Nombreux sont ceux qui, parmi les éditeurs multimédia, s’accrochent encore aveuglément à la « culture de la techniques de presse juillet/août 2000 chose imprimée ». Or, pour lancer des sites sur le Web, il faut absolument se débarrasser de cette façon de penser. » A la lumière des premiers résultats de cette recherche, les auteurs de l’étude estiment eux aussi qu’il est nécessaire pour les créateurs de sites de changer rapidement de politique iconographique. Agrandir la taille des différents types d’illustrations pour attirer l’attention de l’internaute n’est pas la solution, affirment les auteurs. Selon eux, il faudrait désormais songer à placer sur les sites d’information des photographies originales, fortes, voire spectaculaires. Les chercheurs vont jusqu’à conseiller aux intéressés de recruter dans leur équipe des personnes spécialement formées à cette tâche. Ce qui, pour l’heure, n’est que très rarement le cas. Le cas particulier des bannières publicitaires Si les photos accrochent moins que le texte l’attention des internautes, il en va de même pour la publicité affichée sur les sites d’information. Selon les statistiques établies par l’étude, elle est encore moins regardée que les photos. Il faut cependant noter que les bannières publicitaires, par rapport aux simples images promotionnelles (et notamment les « tile ads », petits carrés publicitaires), tirent leur épingle du jeu. Par ailleurs, l’étude a déterminé que le temps moyen de « fixation » du regard de l’internaute sur ces bannières est d’une seconde. Les chercheurs considèrent néanmoins que ce temps est suffisant pour « percevoir » une publicité. Ils conseillent donc aux annonceurs qui choisissent des bannières animées de faire toujours apparaître le nom de la marque. Sinon, les internautes risquent de n’apercevoir que le produit ! Les sites généraux plus prisés que les sites spécialisés Les chercheurs se sont également intéressés aux différents types de sites d’actualité que les participants choisissaient de consulter. Il est apparu notamment qu’une grande partie d’entre eux (40 %) commençaient leur session Internet en se connectant au site de leur journal local, tandis que moins d’un tiers se rendaient d’abord sur un site national (NYTimes, Washingtonpost, ABCNews…). L’étude a également mis en évidence une préférence des internautes Damienne Gallion Medias électroniques des personnes observées ont fréquemment utilisé la commande « back » et la barre de navigation verticale (qui fait défiler la page). Voilà une donnée qui pourrait aider les concepteurs de sites dans le choix qui se présente constamment à eux : présenter le contenu sur de longues pages « déroulantes » ou concevoir de plus courtes pages, mais qui obligent les internautes à cliquer plus souvent. A la lecture des résultats de cette étude, les journaux présents sur Internet vont-ils changer de stratégie ? « Certains nous disent que oui, tandis que d’autres refusent nos conclusions et prétendent qu’elles sont erronées, raconte Marion Lewenstein, professeur en communication à l’Université Stanford et principale initiatrice du projet. Mais pour l’instant, nous avons encore trop peu de retours pour dire quoi que ce soit. En plus, notre étude est encore loin d’être finie, nous n’avons pas terminé d’analyser toutes les données recueillies. Une chose est sûre : une fois que cela sera fait, j’aimerais poursuivre cette enquête sur un échantillon plus large. » < pour les sites d’information générale par rapport aux sites spécialisés (exemples : CNNfn, site d’informations financières; ESPN, site consacré aux sports ; Zdnet, site dédié à l’informatique et au multimédia…). Les limites de la personnalisation Dans le même ordre d’idées, les chercheurs ont constaté que les internautes férus d’information qui avaient dans un premier temps adopté la formule des nouvelles personnalisées (les « customized news » proposées par exemple par MyYahoo or MyNetscape) l’avaient par la suite plus ou moins abandonnée. « Ils craignent de manquer quelque chose d’important » expliquent les chercheurs, en soulignant : « Les lecteurs d’actualité en ligne s’intéressent au monde en général, et ne se focalisent pas seulement sur leurs intérêts personnels. » Ce qui se traduit en pratique par un nombre important de sites visités en une seule session (6 en moyenne en une demi-heure) et par une navigation tous azimuts, les sites proposant de nombreux liens remportant un succès certain. Enfin, dernier enseignement tiré de cette étude, plus technique, mais encore une fois étonnant et instructif : la plupart (Pour tout renseignement sur l’étude Stanford/Poynter : http://www.poynter.org). > Principaux résultats et chiffres clés de l’étude Stanford/Poynter Les 67 personnes étudiées ont surfé sur 211 sites d’actualité (presque 6000 pages au total) pendant 40 heures en tout. Durée moyenne d’une connexion : 34 minutes. Nombre moyen de sites visités pendant une connexion : 6. Parmi les conclusions de l’étude : Ont été vus par les internautes : respectivement 92 % et 82 % des articles et brèves présentés sur les pages sélectionnées, 64 % des photos, 45 % des bannières publicitaires, 22 % des autres types de publicité, 22 % des graphiques. Chaque article, ou presque, est lu en moyenne à 75 % de son contenu. 40 % des personnes se sont rendues, en premier (c’est-à-dire au début de leur temps de connexion) sur le site de leur journal local ; 28 % sont allés sur un site national ; 8 % sur un site spécialisé ; 9 % sur un portail. 80 % des participants lisent les faits divers et 70 % les nouvelles sportives (les femmes arrivent dans ce domaine à égalité avec les hommes, mais elles consacrent moins de temps qu’eux à ce type de consultation). Temps maximum passé sur un site d’informations générales : 46 minutes. Temps maximum passé sur un site d’informations spécialisées : 20 minutes. 67