Transplantation rénale La transplantation rénale augmente l’espérance de vie des patients en insuffisance rénale terminale et en améliore la qualité de vie. Les progrès récents de l’immunosuppression et des traitements antiviraux ont permis l’amélioration constante de la survie des reins transplantés avec une médiane de survie d’environ 15 ans pour les reins cadavériques en France (c’est à dire que 50 % des reins transplantés sont encore fonctionnels 15 ans après la greffe). Une transplantation rénale peut être envisagée chez tout patient en insuffisance rénale chronique, dialysé ou en instance de l’être, qui en exprime la demande et à condition que les risques encourus n’excèdent pas les bénéfices attendus et qu’il n’existe pas de contre-indication. L’âge (physiologique) < 65-70 ans est généralement accepté. Les seules contre-indications réelles sont un cancer récent ou évolutif et certaines affections psychiatriques. Les greffons sont prélevés sur des patients en état de mort cérébrale (95 %) ou donneur vivants (5 %). Le greffon est conservé à + 4 °C dans une solution spécifique jusqu’à 36 heures (Ischémie froide). La compatibilité ABO est requise ainsi que HLA (Antigènes Leucocytaires (= globules blancs) Humains). 6 antigènes sont testés ; Le receveur ayant le plus grand nombre d’identité est retenu. Terrain : Insuffisant rénal chronique souvent associé au diabète et à l’hypertension. Dialyse préopératoire si patient déjà en dialyse. Le délai d’attente est d’un an et demi environ, autour d’un an à Nice. La durée d’ischémie froide moyenne du greffon rénal est de 16 heures en France, de 13 heures à Nice. Plus elle est raccourcie, meilleur est le résultat. Donc intervention urgente. Durée de la greffe variable, fonction de la qualité des vaisseaux du greffon et de ceux du receveur. 2 à 3 heures en moyenne de chirurgie. Chirurgie extra péritonéale : le rein est implanté dans la fosse iliaque droite, ou parfois à gauche. L’artère rénale est suturée sur l’artère iliaque externe ou interne et la veine rénale sur la veine iliaque externe, alors que l’uretère est implanté directement dans la paroi vésicale. Les reins naturels ne sont pas retirés. Schéma des anastomoses vasculaires et urologiques lors d’une transplantation rénale Le protocole d’immunosupression est prescrit par les néphrologues et administré en pré anesthésique immédiat. En transplantation d’organe, les cibles principales du système immunitaire sont les molécules allogènes (non soi) du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) exprimé à la surface des cellules du transplant. Les lymphocytes T jouent un rôle déterminant dans cette réaction allogénique. En l’absence de traitement immunosuppresseur le rejet est inéluctable. Ce traitement est donc définitif et ne doit être modifié qu’après avis spécialisé. Si l’immunosuppression inhibe les réponses immunes et réduit le risque de rejet, en revanche elle augmente le risque d’infections et de tumeurs. Le traitement immunosuppresseur fait généralement appel à un traitement d’induction aux cours de la première semaine (anticorps polyclonaux type ATG ou monoclonaux type antiRIL2). Le traitement d’entretien fait généralement appel à des associations variables d’immunosuppresseurs oraux : stéroïdes, anticalcineurines, antiprolifératifs (azathioprine, mycophénolate) Idéalement l’immunosuppression devrait être spécifique et inhiber uniquement la réponse immune dirigée contre l’organe transplanté sans modifier les autres réponses, notamment de défense vis-à-vis des agents infectieux ou des tumeurs. Ce n’est pas encore le cas actuellement mais dans l’avenir, il sera peut-être possible d’obtenir une véritable tolérance spécifique de l’organe transplanté. En attendant les progrès proviennent essentiellement de l’individualisation de l’immunosuppression. Chirurgie peu hypothermisante sauf si geste se prolonge : couverture air chaud, circuit fermé. Incision de longueur moyenne (12 – 15 cm) dans le flanc, en décubitus dorsal. Chirurgie propre Alltemeier I : Antibioprophylaxie par Rocéphine 1 g compte tenu du terrain. Chirurgie peu hémorragique (< 500 ml) sauf difficulté d’anastomose vasculaire. Patient groupé, sang disponible au conservateur. Un contrôle ABO ultime est réalisé systématiquement au bloc comparant le sang du receveur et le sang du donneur. (Un tube arrive avec le greffon). Le geste est peu douloureux en post opératoire : analgésie associant rarement les morphiniques. Les temps opératoires importants sont : -Début de l’ischémie chaude : greffon sur le champ opératoire. -Anastomose veineuse : clampage puis déclampage de la veine rénale. -Anastomose artérielle : clampage puis déclampage de l’artère rénale. Noter les heures de ces temps. Fin de l’ischémie chaude : Déclampage artériel (perfusion du greffon). Cette ischémie chaude dure de 30 à 60 minutes selon les difficultés chirurgicales. L’ischémie totale du greffon (dite ischémie froide) débute lors du clampage artériel du rein sur le donneur lors de l’administration du liquide de préservation froid et se termine lors du déclampage artériel à la fin de la réalisation des anastomoses vasculaires sur le receveur. Enfin : Anastomose urétéro-vésicale. Stratégie anesthésique - Anesthésie de l’insuffisant rénal (cf. cours 1 ère partie). AG avec intubation et curarisation. 1 VVP du coté opposé à la fistule. 1 VVC pour monitorer la PVC en per et post opératoire. Remplissage +++, cristalloïdes (NaCl et G 5 %) et albumine à 4 % Jamais de colloïdes, jamais de Ringer L. - Maintient de la tension autour de 120 mm Hg et de la PVC > 10 cm H20 (idéal 12 à 15). - 250 mg de Lasilix en 10 minutes après déclampage artériel, associé à 250 à 500 ml d’albumine à 4 %. Après le réveil le patient est admis pour quelques jours en soins intensifs pour poursuite de l’optimisation hémodynamique et adaptation du protocole immunosuppresseur. Prévention du risque thromboembolique par HBPM. Reprise de la voie orale à J1 post op. Complications de la transplantation Complications précoces (< 1 an) : Hémorragique : hématome rétropéritonéal, voire hémorragie aigue. Thrombose des vaisseaux rénaux (veine +++) : oligoanurie Surveillance par échodoppler, reprise chirurgicale si besoin. Une reprise différée de fonction rénale peut indiquer un rejet aigu, une toxicité de la ciclosporine ou encore une nécrose tubulaire aiguë provoquée par l’ischémie avant la revascularisation du rein. La biopsie de l’organe transplanté permet habituellement de distinguer ces diagnostics. Suppléance par hémodialyse temporaire (jusqu’à 1 mois). Une insuffisance rénale aiguë fonctionnelle liée à l’hypovolémie ou un obstacle vasculaire ou urinaire peut également survenir. Le rejet humoral aigu est une situation immédiate et grave liée à des anticorps circulants. L’intensification de l’immunosuppression et des échanges plasmatiques sont utilisés pour soustraire les anticorps circulants. Le rejet aigu cellulaire survient chez 10 à 20 % des patients et peut être corrigé par les glucocorticoïdes à fortes doses ou des anticorps anti-cellules T. Les infections bactériennes (immunosuppression, transplantés âgés) Isolement au Soins intensifs. Les infections à cytomégalovirus peuvent être responsables de fièvre, de rétinopathie, d’hépatite, de colite, de pneumopathie et de thrombocytopénie. Le traitement fait appel au ganciclovir ou au valanciclovir. Les syndromes lymphoprolifératifs post-transplantation sont des lymphomes causés par le virus Epstein Barr. Ils peuvent dans certains cas répondre à la diminution ou l’arrêt de l’immunosuppression. Complications chroniques de la transplantation La perte de fonction rénale encore appelée "rejet chronique" ou "dysfonction chronique d’allogreffe" est la conséquence de mécanismes à la fois immunologiques et non immunologiques. Les facteurs contributifs sont nombreux et associent diversement le rejet immunogique, la néphrotoxicité de la ciclosporine, l’hypertension artérielle et autres facteurs hémodynamiques, la récidive de la maladie initiale. L’hypertension artérielle peut être la conséquence du traitement glucocorticoïde, de la ciclosporine, de l’hypersécrétion persistante de rénine par les reins natifs ou d’une sténose de l’artère rénale du transplant. Les dyslipidémies, hypercholestérolémies et hypertriglycéridémies, sont fréquentes avec le traitement par stéroïdes, la ciclosporine ou la rapamycine. Les glucocorticoïdes sont responsables d’une ostéoporose généralisée et parfois d’une ostéonécrose des têtes fémorales. L’hyperparathyroïdie persistante peut être responsable parfois d’une hypercalcémie et plus souvent d’une hypophosphatémie par phosphaturie inadaptée nécessitant des suppléments en phosphate Les cancers cutanés sont une complication tardive fréquente dont l’incidence est fortement augmentée par l’exposition au soleil. La réactivation d’un virus de l’hépatite B ou C chez des malades préalablement infectés peut évoluer vers l’hépatite chronique, la cirrhose ou l’hépatocarcinome. L’évolution de la transplantation rénale est le plus souvent favorable. Terrain patient insuffisant rénal L’insuffisance rénale chronique est longtemps asymptomatique. Elle est parfois découverte lors du bilan préopératoire. L’insuffisance rénale est un facteur de risque de morbidité et de mortalité post opératoire. La diurèse est souvent conservée au début mais : -Baisse de la capacité du rein à acidifier l’urine -Perte du pouvoir de concentration des urines -Protéinurie, glycosurie La diurèse diminue avec l’évolution de la maladie. Evaluation de la fonction rénale : -Volume de la diurèse des 24 h -Créatininémie : >175 micromoles/L = IR sévère (ASA 3) > 800 micromoles/L = IR terminale -Clairance de la créatinine : Mesurée : UV/P créat Urinaire x Volume urine des 24 h / créat Plasmatique Calculée : - Formule de Cockcroft et Gault : normale > 90 ml/min (140 – âge) x Poids x 1.23 (H) ou 1.04 (F) créatininémie - Formule issue de l'étude MDRD (Modification of Diet Renal Disease) qui prend en compte l'âge, le sexe et l'origine ethnique (caucasienne ou noire). Dans tous les cas : IR modérée entre 30 et 60 ml/min IR sévère entre 10 et 30 ml/min (ASA 3) IR terminale < 10 ml/min Répercussions de l’insuffisance rénale Système cardiovasculaire : -HTA (augmentation de la rénine) -Coronaropathie, insuffisance cardiaque -Artériosclérose -Dialyse : variation de la volémie, fistule artérioveineuse Rein : -Hyperkaliémie -Acidose métabolique -Surcharge vasculaire hydrique ou au contraire déshydratation et hypovolémie Système nerveux : -Urémie : fatigabilité, convulsions, coma -Dysautonomie (hypotension orthostatique) -Neuropathie périphérique Appareil digestif : -Anorexie, nausées, vomissements, dénutrition -Ulcères gastroduodénaux (urémie) Hématologie : -Baisse de la sécrétion de l’érythropoïétine : anémie -Troubles de l’agrégation plaquettaire : saignements Immunologie : -Réponse immunitaire anormale -Infections virales fréquentes (VHC, VHB, VIH …) Insuffisance rénale aiguë : Incapacité brutale des reins à adapter le volume et le contenu urinaire aux besoins de l’homéostasie. Cause pré-rénale : Hémorragie ou hypotension avec hypoperfusion rénale. Cause rénale : Maladie rénale primitive ou secondaire (infection), toxiques (dont médicaments). Cause post-rénale : Obstruction des voies excrétrices. La levée de l’obstruction (souvent par chirurgie) reverse la situation. En cas de cause aiguë la diurèse est basse ou nulle. Influence de l’insuffisance rénale sur les anesthésiques Baisse de l’excrétion urinaire : -Toxicité des molécules à élimination rénale sous forme inchangée. -Accumulation potentiellement toxique des métabolites d’élimination urinaire Hypoalbuminémie : augmentation de la fraction libre des médicaments = surdosage relatif. Acidose : baisse de la forme ionisée des anesthésiques, augmentation du volume de distribution et de la demi-vie d’élimination. Anesthésie de l’insuffisant rénal Préparation -Trouble de la volémie +++, HTA -Hyperkaliémie, anémie -Dialyse préopératoire Monitorage : simple si chirurgie non hémorragique Perfusion : -pas de potassium, volume adapté sur le monitorage -Dial-a-flow Positionnement : -Fistule : pas de brassard ni de perfusion sur ce bras -Points de compression +++ : peau fragile Anesthésiques : -Curares Attention à la Celocurine (hyperkaliémie) Accumulation des curares stéroïdiens (Norcuron) Action prolongée du mivacurium si déficit en pseudocholinesthérases Curares de choix : Tracrium ou Nimbex -Hypnotiques Propofol Halogénés : Desflurane, Isoflurane (attention au Sévoflurane ?) -Morphiniques Accumulation des métabolites de la morphine en postopératoire Moindre accumulation du Sufenta Rémifentanil +++ (mais dégradé par pseudocholinesthérases) -AINS : Néphrotoxicité ++ -Sévoflurane : Sa dégradation dans la chaux sodée produit un métabolite : le composé A Expérimentalement : toxicité rénale et hépatique Seuil de néphrotoxicité chez le rat = 150-300 ppm Etudes contradictoires chez homme : Derniers travaux : pas effet néphrotoxique même chez l’insuffisant rénal modéré Corrélation entre le taux de composé A et l’apparition d’une protéinurie chez le volontaire.