Réduire la pauvreté : comment les collectivités territoriales peuvent-elles être des catalyseurs du développement économique pro-pauvre? Les trois dernières décennies ont été marquées par des progrès impressionnants en termes de niveau de vie dans la plupart des pays en voie de développement. Cependant, un autre groupe de pays a divergé de la majorité et a connu une baisse de niveau de vie en valeur absolue. La crise financière et économique qui a débuté en 2008 – et la chute consécutive de la demande mondiale, des prix des produits de base ainsi que de l’aide et de l’investissement étranger – ont aggravé le sort de beaucoup de ces pays les moins avancés (PMA) et aggravé leur vulnérabilité économique. La pauvreté persistante et les crises alimentaires récurrentes ont souligné la nécessité de repenser les approches visant à promouvoir la croissance pro-pauvres et le développement économique. Cette nécessité est de plus en plus pertinente dans les pays hors-PMA, où les inégalités régionales et urbaines/rurales (et intra-urbaines/intra-rurales) ont persisté (ou se sont renforcées) à la suite d’événements économiques, environnementaux, climatiques et politiques mondiaux et régionaux. Le développement économique implique un changement positif, durable et global de la qualité de vie des gens et une amélioration mesurable de leur bien-être économique. (D’un point de vue plus strict, il renvoie à la manière dont les biens et services sont produits et à l’équité avec laquelle les bénéfices économiques sont répartis.) Le développement économique local (DEL) implique l’application de ces principes dans un territoire défini (région, province, ville, district ou localité1). Il implique également l’utilisation efficace des ressources humaines, naturelles et financières d’un territoire ainsi que le déploiement stratégique et le développement continu de ses avantages comparatifs. Toutefois, puisque les économies basées sur le territoire sont liées, tout effort visant à stimuler le développement économique d’un territoire quelconque doit être poursuivi de manière à assurer l’intégration économique avec son environnement. En revanche, la croissance économique (nationale ou locale) se réfère à une augmentation quantitative des biens et services produits par une économie, et à la valeur monétaire des transactions qui ont lieu au sein de cette économie. Dans un certain nombre de PMA (mais aussi dans certains pays industrialisés à revenus moyens, bénéficiant d’une croissance économique régulière), la pauvreté persiste dans certaines parties des villes et dans les régions rurales ou éloignées, et le fossé entre riches et pauvres continue de se creuser. On 1 Habituellement mesurée via le suivi de l’évolution de la valeur du produit intérieur brut (PIB). 27 Poursuivre les OMD grâce aux collectivités territoriales ne fera face à ces réalités sur un territoire donné que par une approche intégrée et globale du développement économique qui vise un équilibre entre la croissance économique, l’équité et la durabilité environnementale et sociale. Le développement économique local est un thème prioritaire des discussions dans de nombreuses localités, tandis que chacun explore de nouveaux espaces ouverts par la réorientation d’arrangements dans les relations nationales et internationales (y compris la décentralisation, la mondialisation et la démocratisation). Ces phénomènes de transformation accroissent l’importance des collectivités locales dans le processus de développement économique. En effet, de nombreuses collectivités locales, soutenues au niveau national, ont tiré parti de nouvelles opportunités pour lancer, encourager ou soutenir l’activité économique locale. Dans le même temps, la démocratisation signifie que les dirigeants locaux – y compris les maires, les élus, le secteur privé et les responsables locaux – doivent jouer un rôle plus important ; ils doivent aussi répondre aux pressions populaires pour influencer l’orientation de la croissance et mettre en œuvre des stratégies de développement locales afin de promouvoir l’emploi et améliorer le bien-être local. Qui sont les acteurs de la promotion du développement économique local et que font-ils ? Le développement économique local est assuré via un travail collectif des acteurs publics et privés afin d’améliorer la compétitivité, la diversité et la productivité de l’économie d’un territoire donné et assurer à ses citoyens un accès équitable aux opportunités économiques et aux offres d’emploi. C’est le résultat de l’action d’une multitude d’acteurs : les ministères, les autres organisations du secteur public, les collectivités locales, les organisations quasi-gouvernementales et non gouvernementales. Ces entités remplissent généralement une fonction de réglementation, d’orientation stratégique ou de facilitation envers la promotion du développement économique local. Dans certains cas, elles offrent une gamme de services de soutien et interviennent parfois pour créer un environnement propice dans lequel le secteur privé peut fonctionner plus efficacement. Cette catégorie d’acteurs joue donc un rôle primordial pour déterminer la qualité de l’environnement favorable aux activités. Les acteurs du secteur privé (qu’il s’agisse d’entreprises formelles ou informelles, très petites, petites, moyennes ou grandes) et la population active remplissent de leur côté une fonction de production du développement économique local : ils représentent les principaux moteurs de l’activité économique. La qualité de la contribution de chacun de ces types de partenaires déterminera les caractéristiques et le succès du développement économique local obtenu. Quel rôle jouent les collectivités locales dans la promotion du développement économique local ? Partout dans le monde, les collectivités locales jouent un rôle de plus en plus essentiel dans la promotion du développement économique dans leurs localités. Dans les pays 28 développés ou en développement, les collectivités locales fournissent des conseils stratégiques aux promoteurs du développement local par une coordination active et une consolidation de leurs actions visant à la réalisation des objectifs stratégiques de développement économique. Elles interviennent également pour améliorer le cadre réglementaire et investir de façon stratégique (directement ou à travers des partenariats public-privé) afin de répondre aux besoins en matière d’infrastructure et de croissance économique. En outre, les collectivités locales favorisent souvent le développement des activités économiques, des services financiers, des services de communication et de transport requis par les secteurs économiques, groupes et chaînes de valeur d’une localité. Parfois, des collectivités locales bien dotées s’engagent directement dans la prestation de certains services stratégiques de développement économique et interviennent pour atténuer le risque financier porté par les entreprises locales (ou par les institutions financières prestataires). Certaines investissent dans la R&D et le lobbying au nom de leur secteur privé, sur la scène régionale, nationale et mondiale. Cependant, dans la majorité des PMA et dans certains pays en voie de développement, les collectivités locales sont rarement en mesure de contribuer de manière constructive au développement économique local. Dans la plupart des cas, leur mission de promotion du développement économique et leurs allocations fonctionnelles et de ressources ne sont pas suffisamment définies dans la législation locale, et ne sont donc pas reconnues ni exprimées dans les cadres juridiques et réglementaires des autres secteurs concernés (agriculture, industrie, commerce, ou formation professionnelle). Tant que ces missions ne seront pas énoncées clairement, les collectivités locales resteront généralement sousfinancées. Cette réalité a fait percevoir la plupart des collectivités locales, au mieux comme inadaptées, et au pire comme des obstacles à la réalisation du développement économique local. Quels sont les défis auxquels se heurtent les collectivités locales dans la promotion du développement économique local ? Même si l’on s’emploie à résoudre ces questions politiques et institutionnelles, réussir son développement économique local est un défi qui exige des capacités spécifiques et un état d’esprit déterminé. Le principal risque est que, sans l’expertise et l’expérience nécessaires, les collectivités locales consacrent des ressources à des idées économiques qui ont peu, voire aucune, chance de succès, ou à celles qui peuvent avoir un impact négatif sur les résultats escomptés. Même si le potentiel du marché est manifeste, les collectivités locales n’ont pas toujours l’expertise économique suffisante pour développer le concept, gérer le projet ou même communiquer et coopérer avec les acteurs économiques locaux qui agissent sur le terrain. L’expérience est remplie de collectivités locales – dans les pays riches ou pauvres – qui ont cédé inutilement, et sans contrepartie, des avantages fiscaux et autres incitations pour attirer des investisseurs ou pour rivaliser avec les circonscriptions voisines. Le secteur privé exprime souvent le souhait que les collectivités 29 Poursuivre les OMD grâce aux collectivités territoriales locales « lui laissent le champ libre ». Cette demande récurrente est en contraste frappant avec le désir de collectivités locales mal inspirées, qui essaient d’en faire trop, dans des domaines inappropriés. Au lieu de cela, la simplification des procédures, la réduction des formalités administratives, l’élimination des coûts de transaction (y compris le coût de la corruption) deviennent les changements à portée de main pour les collectivités qui souhaitent favoriser le développement économique local. Qu’est-ce qui peut être fait pour débloquer le potentiel des collectivités locales en matière de promotion du développement économique local ? Pour réussir le développement économique local, il est nécessaire d’avoir des collectivités locales transparentes et efficaces et des dirigeants locaux forts, mais une collectivité locale forte est loin d’être une condition suffisante. L’expérience a montré que, pour libérer le potentiel des collectivités locales en matière de promotion du développement économique local, il fallait s’attaquer à certains problèmes situés en dehors du domaine de l’administration locale. Qu’est-ce qui est nécessaire au niveau politique national pour permettre aux collectivités locales d’apporter leur contribution ? Bien que la politique nationale se soit avérée efficace pour orienter les ressources visant à favoriser le développement économique national et la croissance économique en faveur des pauvres dans de nombreux endroits, peu de pays ont réussi à introduire un programme global de décentralisation coordonnée et de politiques locales de développement économique. Parfois, les administrations centrales prennent des mesures directes au niveau local en court-circuitant les collectivités locales, et il ne semble pas que les gouvernements nationaux encouragent leurs homologues locaux à prendre des initiatives et à diriger le processus de développement économique à partir d’en bas. Cela est dû à plusieurs facteurs : la réticence des responsables centraux à partager le pouvoir, le souci des gouvernements centraux de maintenir l’équilibre fiscal, et la limitation des moyens des collectivités locales. L’une des questions importantes dans la formulation d’un cadre politique national pour le développement économique local est de trouver le juste équilibre entre pro-croissance et pro-pauvres, mais aussi entre les contrôles nationaux et l’autonomie locale. Qu’est-ce qui est nécessaire en termes de pouvoir légal ? Bien que les collectivités locales aient généralement la mission légale de mettre en œuvre le développement économique local, en réalité ce pouvoir légal est souvent limité dans sa portée. En cas de problèmes ou de complications, elles n’ont pas toujours les moyens d’arriver à leurs fins. Les moyens dédiés à la promotion du développement économique local, bien que limités au stade initial, sont souvent mentionnés comme étant la condition essentielle pour établir les liens nécessaires à la réussite. La nécessité d’une équipe dédiée et de compétences professionnelles peut signifier que les collectivités plus petites 30 ou en difficulté financière doivent compter sur des agents extérieurs, tels que les acteurs provinciaux, nationaux ou internationaux, ou faire avec les efforts des maires ou d’un ou deux responsables de départements, sans aide extérieure. Dans de nombreux cas, il est essentiel pour le développement économique local de sélectionner le niveau approprié. Qu’est-ce qui est nécessaire en termes de financement ? Le financement du développement économique local nécessite souvent une attention particulière. De ce point de vue, une nouvelle perspective de financement pourrait se justifier lorsque les administrations locales et nationales ont toutes deux un intérêt à promouvoir le développement économique local. En plus d’augmenter la disponibilité des finances publiques locales, des outils financiers spécifiques au développement économique, pourraient être utiles pour des fonds destinés à des fins spéciales (par exemple les finances municipales et les financements spéciaux du gouvernement central) afin d’aider à combler les lacunes de l’infrastructure ou du crédit, lorsqu’un bénéfice évident peut être démontré. Qu’est-ce qui peut être fait par les partenaires de développement ? Il est essentiel que les partenaires de développement mobilisent directement l’intérêt des administrations locales et défendent le développement de leurs moyens en tant qu’acteurs essentiels dans l’effort de promotion du développement économique local. Il est également crucial que les partenaires donateurs allouent des ressources financières pour accroître les allocations limitées dont disposent les collectivités locales pour les initiatives de promotion du développement économique local. Les partenaires de développement devraient se méfier de la tendance qui consiste à s’engager sur la scène locale avec un programme qui risque de ne pas correspondre aux besoins locaux (tels que définis par la communauté ou la collectivité locale elle-même). Aller de l’avant trop imprudemment risque d’engendrer la simulation de l’offre tout simplement parce que les ressources sont liées à l’offre des donateurs. Questions à débattre : 1. Quel rôle les collectivités locales doivent-elles jouer dans la promotion du développement économique local ? Dans quelle mesure ce rôle va-t-il varier en fonction du modèle de collectivité locale (sous-développée, opérationnelle/en évolution ou développée) et du type d’environnement (rural ou urbain) ? 2. De quoi les collectivités locales ont-elles besoin pour être en mesure de jouer un rôle efficace dans la promotion du développement économique local ? Plus concrètement, quelles politiques, juridiques et réglementaires, quels apports institutionnels et de capacités, ainsi que quelles options financières sont nécessaires ? Quels sont les défis que pose généralement leur mise en œuvre ? 31 Poursuivre les OMD grâce aux collectivités territoriales 3. Dans les cas où les collectivités locales ont réussi à promouvoir le développement économique local, quels sont les facteurs à l’origine de leur succès ? À l’inverse, quels sont les facteurs qui ont contribué à l’échec d’autres collectivités locales ? 4. Quelle a été la contribution des économies locales à la croissance économique nationale ? Peut-on établir un parallèle entre le degré d’autonomie (entre autres facteurs) et la part de contribution aux revenus nationaux ? 32