La musique provença le au théâtre antique d'Orange En proposant une communication s ur le thème de La Musiqu e provençale au théâtre antique d'Orange, je n'ignorais pas que je me présenterais les mains à peu près vides. Les spécialis tes, auront vite com pris que mon apport aura peut-être la légèr eté d'un son de galoubet. Néanmoins, il ne semblait pas impossible de faire surgir que lques révélations inédites et toujours utiles à la connaissance d'une activité musicale et nota m men t s ur la présence possible de compos iteu rs provençaux d'hier et d'avant-hier. Trois fois hélas ! les sons de ces derniers ne tournèren t pas dans l'air du soir à Orange, ou presque. Première déception. Et, po ur aggraver mo n cas, la tranche his torique de ce colloque. située entre les temps modernes et le romantisme, ne favorisa it guère mon intervention r elativement aux chorégies d 'Orange qui son t nées, jc le rappell e, le 21 août 1869, c'est-à-dire à peine un an ava nt la déclaration de guerre à l'Allemagne d u 19 juillet 1870. Certes, si, en ce tem ps-là, le romantisme littéraire menait e ncore une carrière active on ne saura it en d irc au tant du romantisme musical fran çais dont le plus pur représentant, Hec tor Berlioz, très contes té, venait jus tement de disparaître en mars 1869, c'est-à-dire peu avant la première chorégie. Deuxième déception . De plus, la musique de Berlioz, comme chacun sait, ne doit rien à la Provence. Troisième déception. Toutefois, étan t donné la position occupée par Orange du fait de ses chorégie réputées, il convenait d'ouvrir un dossier. Vous conviendrez que, même pour un dossier, être mince témoigne toujours d'une certaine existence des choses. Mais, comme vous allez l'apprendre, il ne révèle que des paradoxes. A lui seul, le premier dit tout. Car, si le Félibrige s'était donné pour mission de restaurer la langue et l'art provençaux, il ne semble pas qu'il ait eu les moyen s mus icaux de son entreprise. Et ce, en dépit d'un appel solennel qui fut lancé, en 1869, par Antony-Réal, l'un des deux responsab les 326 de la résurrection du théâtre antique. Membre de la société d'agriculture, Antony-Réal était, à la fois, viticulteur, journaliste et poète. Pour ce coup d'envoi , il avai t composé un e cantate célébrant les arts civilisateurs e t la paix , des origines romaines à nos j ou r s, cantate intitulée: « Les triomphateurs ». Dans SOI1 texte, un alexandrin formulait une in vita tion impérat ive: « Troubadours du Midi, triomphez par Mistral! Présent ce jour-là, Mis tral apprécia le compliment d'un auteur qu'il ne connaissait pas e ncore m ais, pour le théâtre antique , il ne voyait pas d'autres répertoire que celui de la tragédie gréco-latine, voire chrétienne, position maintes fois réitérée par )1 . la sui te. Revenons à cette cantate « Les tr iomphateurs» dont la partition musica le était due à un compos iteur avignonnais, G.-F. Imbert qui la dirigea. Ecrite dans un s tyle convention nel propre à l'époque, mi-class ique, mi-romantique avec effets, e lle ne con tient pas de th èmes provençaux typiques, même si l'ombre de Saboly reste tapie entre que lques noires ct quelques croches. En outre, la brève durée de cette œuvre ne pouvai t constituer, à c lic-seul e, l'essentiel d'un progra mme copieux que l'on pourrait sup poser conçu selon un répertoire antique ou provençal. Ri en de tel. Car, le 21 ao ût 1869 , n 'était rien d'a utre qu e le jour de la foire annuelle d'Orange. Et à cette époque, il n 'éta it guère possibl e d'env isager une pièce gr éco-latine, ce ty pe de représentation n 'a ttirant pas encore les fo ul es. Nos entrepreneu r s improvisés eurent donc recours à deux opéras en vogue, l'un en entier, l'autre en part ie. Le premier, à s ujet biblique, connaissa it encore un e carrière pres tigieuse pui sque l'Opéra de Paris le ma intenait à son répe rtoire. Il s'agissait du « Joseph », de Méhul, operia-seria aya nt obtenu, cn 1807, un prix fond é par Napoléon. Pour un opéra classique français de l'époque, se maintenir en vic durant plus de soixante ans, la performance vaut d 'ê tre citée. La partie d'opéra dont j'ai parlé était un e scène trag ique, celle des tombeaux, ex trai te d'un « Roméo et Julie tte », donné à la Scala en 1825. Le romantisme italiani sa nt de cette scène provoquait , sem ble-t-il , certain fri sson poét ique. Mais l'auteur, Nicolas Vaccai, ne survit dorénavant que grâc e à de mervei ll euses vocalises toujours e n usage dans les conser va toires. On peut dire qu'avec le programme de ce prem ier spectacle donné à Orange, la mus ique es t là, triomphante e t lyrique, classique ct romantique. LA MUSIQUE PROVENÇALE AU THÉATRE ANnQUE D'ORANGE 327 Même s i le musicien de la cantate est avignonnai s, elle n'a rien de provençal ! Passo ns brièvement sur le réper toire gréco-latin qui consacrera Orange dans l'opinion publique nationale, dès 1888, lo rsque Mounet-Sully fera triompher Sophocle dans le rôle d'Œdipe. Grâce au coup d'envoi donné pa r ce t ac teur, la Comédie frança ise deviendra pensionnaire du théâtre antique durant qu elques décennies . Ce qui ne saurait faire oublier que toutes Les tragédies représentées avaient un appui choral et orchestral obligé. Si ce lte participation musicale obtenait la fave ur du public et, si les entrepreneurs de spectacles, félibres ou non, étaient bien décidés à tirer parti de r essources acoustiques privi légiées, le Grand mur du théâtre antique imposait, en raison de son architecture roma ine, la contrainte de ses propres données scéniques. Ce dernier point spectaculaire ne deva it guère favori ser certa ins a uteurs du répertoire classiq ue, même avec in terventions musicales. Ici , les œ uvres de Molièr e et de Hugo semb lèrent déplacées, celles de Shakes peare et de Montherlant dépaysées. Ne parl ons pas de l'unique essai d'opér ette . Bref, si la musique in terve na it au cours de la m ise en scène de toutes les œuvres du théâtre parlé, e lle ne de vait r ien à un e quelconque rénovation ou renaissance de musiciens provençaux puisa nt leur inspiration dans une e thnie que les félibres tentaient de fa ire resurgir. Ains i, le vœu d'Antony-Réal ne dépassa pas l'année 1869! Cependant, le célèbre «Coupo santo» fut la marseillai se des chorégies qu'un aud itoire enthousias te cha ntait à perte d'ha leine. Les paroles de Mistral, véritable profession de foi du renouveau provençal, avaient été ada ptées sur un ai r de Saboly, compositeu r provençal du XVII- s iècle dont les noëls demeure n t célèbres. Compositeur des temps modern es, Sabo ly vient d 'être cité. Plus tard, Bizet lui répondra comme on sait. Mais « L'A r lésienne », œuvre composée 1872 par u n Parisie n d 'esp rit sa ns doute méditerranéen, n'apparut dans le théâtre antique d'Orange qu'en 1904, c'es t-à-di re 32 ans après sa création. Et, de 1904 à 1954, o n ne dénombre que s ix représentations de cette œuvre en 50 années. Il n'y a pas d'explication s à cc fa it curieux, même si , hors Cil 328 chorégies, quelques associations privées tentèrent ici l'aventure dans un but d'expression de théâtre populaire. Toutefois, Edouard Colonne, à la tête de l'o rchest re qu'il avait créé, fai sait entendre l'Intermezzo de « L'Arlé· sienne» e ntre un {( Jules César» et un « Œdipe-Roi », en 1905. Plus tard, en 1921, sous forme de {( Suite» , V. d'Indy intervenait avec le même orc hes tre dans un e pa rti e mu s icale avec « Cinna». Et Gabriel Pierné suivra cet exemple a vec l'Antigon e, de Sophocle, e n 1924. Rien d e plus provençal qu e « Mireio l). La musique de cette langue r es tituée se suffisait à elle-même. Et, du fond des âges, elle exprimait un ensemble de tradition s en lesquelles tous les Provençaux redécouv raient le ur ide ntité. Vous avez d eviné que Gounod va bie ntôt faire chanter « sa » Mireille. J e ne vous parlerai pas des circons tances de cette collabor at ion Mi s tral·Gounod s inon pour évoque r le fait que le Parisien Gounod v int composer sa partition près de Maillane, soumettant p res qu e journelle ment à Mis tral ses esqui sses ou d es pa rti es achevées . Après tout, ce nouveau maître d 'un opéra typ iqueme nt fran çais pou vait bien redéco uvrir, lui au ss i, un e nse mble de tournures mélodiques populaires propres à la région d'Arles e t s'en imprégne r. Ce qu 'i l fit et le rés ultat d e ses r ec he rches reç ut l'a pprobat ion de Mi s tral. J e gl isse rai su r les avata rs qu e connut la « Mireille » de Gounod, la redoutable Mme Carvalho, c réa trice du rôle, ayant ex igé maints reman iements qu i dénaturèrent la pre mi è re exécution de l'œ uvre en 1864. Alors, ce fut un beau tollé dans le camp des purs e t durs clu fé lib r ige. Il faudra attendre 1939 pour qu e Je public prenne enfin connaissance de la ve r sion primitive grâce aux efforts conjugués d'Henri Büsser e t de Reynaldo Hahn. Aujourd'hui , même s i l'on peut déplorer de ,'cgrettables e ntorses fa ites au poème de Mis tral par le libre ttis te Michel Carré, tout le mond e s'accorde pour affirme r que la partition musicale chante assez hie n la Provence t radit ionne lI e. Mais c'est d 'Orange et de son th éât re ant ique qu 'il s'agit. J'ai rappelé que Mi s tral était un fam ilie r des ch orégies. J'ai a ussi rap pelé deux dates: e n 1859 pa rait le poème; en 1864, on donne la pre mière représentat ion de J'opéra à Paris . Or, ce n'est qu'e n 1930 qu'apparaît « Mireill e» a u th éâ tre antique. Œuvre populaire s'il e n fut, appréciée aill eurs par les Provençaux LA MUSIQUE PROVENÇALE AU THÉATRE ANTIQUE D'ORANGE 329 non félibres, on peut s'étonner d'un écart de 66 années entre la première parisienne et la première orangeoise. Notons aussi que la dernière repré~ sentation de cette œuvre au théâtre antique eût lieu en 1970, clôturant ainsi le nombre infime de 6 exécution. {( Mirei lle» ferait-elle peur aux entrepreneurs de spectacles? Toutefois, il convient de considérer un instant cette date de 1930 qui vit la première orangeoise. En effet, c'était celle du centenaire de la naissance de Mistral. Beau motif pour se décider. Car un fait curieux mérite d'être mentionné. Après tout, on ne s'interroge guère sur les origines de la collaboration Mistral-Gounod et l'on oublie que toute rencontre est le fait d'un homme. En l'occurrence, cet homme était un disciple lyonnais, inconditionnel de Mistral. J'ai nommé Paul Mariéton, le mystique du théâtre antique dont il fut le chorège de 1888 à 1911. Ami de Mistral, provocateur de cet opéra, artisan spirituel des spectacles qui firent la réputation d'Orange, pourquoi Mariéton n'a-t-il pas programmé «Mireille»? C'est en vain que je me suis efforcé d'élucider ce mystère car, avant sa mort, Mariéton a détruit une partie de sa correspondance et tous les témoins de ce temps-là sont restés muets sur ce sujet. La musique de Gounod était-elle tabou? Lorsqu'on examine les programmes préparés par Mariéton au cours de ses années de direction, la tragédie gréco-latine est certes dominante, les œuvres dramatiques d'auteurs provençaux également. Mais les ouvrages lyriques de Gluck, Boîto, Berlioz, Saint-Saëns et Massenet font leur apparition et les concerts réguliers sont copieux. Dès 1904, l'orchestre Colonne débute une carrière orangeoise qui ne s'arrêtera qu'en 1961, seulement interrompue par les deux guerres. Lorsqu'on lit le texte suivant de Mistral adressé à Mariéton en 1899: «c'est une erreur de croire que, sans les représentations d'Orange Eschyle serait enterré. C'est bien plutôt Orange qui le serait sans Eschyle », on se demande où situer « Mireille » dans l'esprit de ces deux hommes intimement soudés par des liens très profonds. Mistral disparaît en 1914. Mariéton l'avait précédé de trois ans . La première de «Mireille », en 1930, c'était encore bien loin. En évoquant les concerts donnés à Orange de façon pratiquement ininterrompue, des origines à nos jours, c'est le moment d'aborder la 330 PH. CHABRO participation des mus iciens provençaux pouvant s'inscrire dans la période é tudiée aujourd 'hui. Des tem ps modernes a u romantisme, on ne trouve rien. Auro ns-nous plus de chance avec les contemporains? En ra ison de ses thèmes traditionnels, {( La suite provençale» de Darius Milhaud aurait dû ê tre programmée. Au suj e t de cette œuvre, les arc hi ves des chorégies ne font rien entendre. Pourquoi cette lacune? Elle étonne, car la musique de D. Milhaud ne fut pas n ~gl i gée au théâ tre an tique. En effet, sous fo rm e de mus ique de scène, clle fut en tendu e, en 1936, à J'occasio n d'un « Bertran de Born» conçu par Jea n Valmy-Baysse. Fresq ue hi s torique en 10 tableaux, l'œ uvre comprena it un arrêt entre le 5" et le 6 e , jus te le temps d 'un balletchanté composé pa r D. Milhaud , ballet intitulé « Moyen Age fleuri >l . Janine Michaud chan lait, Paul Paray dirigeait. Si D. Milhaud était provença l, on ne peut pas di re qu e le suj e t aquitain traité l'était. E n conclusion, il apparaî t que le rô le musical des chorégies d'Ora nge s'est contenté de frôl er quelques aspects de la poétique provençale. Ce ne sont pas « L'hymne à la ciga le» composée par Massenet en 1912, et ( Le poème symphonique de Mireio» dù au Marseillai s Gabr iel Marie, donné en 1947, qu i a jo utè ren t un fle uro n a u palmarès. Et si les d irecteurs-fé libres qui se s uccédèrent jusq u'à la prise en charge des chorégies par l'opéra de Paris, peu avan t la dern ière guerre, n'ont pas programmé d'œuvres musicales d'auteurs provençaux vivant à la période qui nous in téresse, les raiso ns paraisse nt évidentes et la musicologie d'alors n'avait pas encore ress uscité l'œuvre d 'un Gilles, par exemple . Bien sûr, dep ui s 197 1, un vas te public a pu goûter au théâtre a ntique troÎs R equ i em: ceux de Verdi , de Berli oz et de Brahms. Pourquoi pas celui de Gilles qui, il y a quelques années, a ttirait les fo uiles a illeurs, sans pa rl er d'un succès discograhiquc prod igieux. Ains i mon propos semble ne conteni r que des paradoxes. Sans dout e parce qu e, au cours de 109 a nnées d'ex istence, dont 30 d'inactivité dues à des trava ux d'amé nagemen t e t aux trois guerres, les chorégies d'Ora nge n 'of1rirent jamais ce côté séc uri sa nt que "on a ttri bue à tort aux ins titutions cdèbres. Si l'on admet que la populat ion d'Orange d'avant la guerre de 1914 n 'aurait pas r em pli l'act uel th éâtre antique, on saisit mieux les a léas posés par les in ves ti ssements artis ti ques. Et ce ne sont pas les excellentes LA MUSIQUE PROVENÇALE AU THÉATRE ANTIQUE D'ORANGE 331 formations folkloriques de Provence, tel que le merveilleux groupe des « Enfant d'Arausio », dont le répertoire musical impeccable maintient la pure tradition provençale de toujours, qui peuvent animer, sans coup férir, ce lieu théâtral incomparable, à J'acoustique privilégiée. En quelques mots, j'ai dégagé l'essentiel de ce que 271 spectacles pouvaient contenir d'intéressant à propos de la participation d'Orange concernant ce colloque . Au début, je vous avais donné à entendre que le bagage était mince. J'espère néanmoins que les quelques points soulevés apparaîtront pourtant comme des informations non négligeables. Ph. CHABRO.