Faut-il modifier les mécanismes de fixation de prix d’achat du coton graine au producteur et d’abondement du fonds de gestion risque prix de la filière coton au Cameroun ? Mpabe Bodjongo Mathieu Juliot Phd en économie Ministère du Commerce du Cameroun Centre de Recherche en Economie et Gestion de l’Université de Yaoundé 2 Tel : (00237) 699 49 60 50 Email : [email protected] BP : 27 Yaoundé 1 Résumé : Cette étude cherche à apporter une réponse à une préoccupation actuelle des pouvoirs publics camerounais sur la modification des mécanismes de fixation de prix d’achat du coton graine au producteur et d’abondement du fonds de gestion risque prix du coton au Cameroun (FGRPC-C). Au regard de la théorie économique et des informations recueillies auprès de la SODECOTON et de la CNPCC1 pour le compte de la campagne cotonnière 2014/2015, nous avons trouvé que ces 2 instruments de gestion de risque prix actuellement mis en œuvre présentent un coût énorme pour les différents acteurs de la filière. Le mécanisme de fixation du prix d’achat du coton graine doit prendre en compte les coûts de production supportés par les cotonculteurs. L’Etat du Cameroun doit supprimer les subventions octroyées à cette filière et respecter les prix arrêtés par le nouveau mécanisme. Il faut supprimer le principe de plafonnement du fonds de gestion risque prix. Mots clés : mécanisme, fixation de prix, fonds de gestion risque prix, filière coton Code JEL : Q13, Q18, Q19, 013 Abstract This study seeks to provide an answer to a current concern of the Cameroonian government on changing the setting mechanisms of the purchase price of seed cotton producer and employer contribution of funds management risk price of cotton in Cameroon (FGRPC-C ). In view of economic theory and information gathered from SODECOTON and CNPCC on behalf of the cotton 2014/2015 campaign, we found that these two currently implemented price risk management instruments have enormous cost to the various players in the sector. The attachment mechanism of the purchase price of seed cotton must take into account the production costs incurred by cotton growers. The government of Cameroon needs to remove subsidies to this sector and meet the price set by the new mechanism. We must remove the principle of capping the risk management fund prices. 1 CNPCC : Confédération Nationale des Producteurs de Coton du Cameroun 2 1. Introduction La filière cotonnière au Cameroun, à l’instar de celles des autres pays de l’Afrique subsaharienne, est en proie à de nombreuses difficultés imputables aux subventions élevées octroyées aux cotonculteurs des pays occidentaux, l’accroissement des coûts de production et de transport, les faibles taux d’égrenage et de trituration domestiques du coton graine et aux défaillances des mécanismes actuels de fixation des prix plancher d’achat du coton graine (Nubukpo, 2006). Ces mécanismes de fixation de prix d’achat du coton graine indexés essentiellement sur les cours de la fibre de coton sur le marché mondial souffrent de sa baisse tendancielle et de sa volatilité. A titre d’illustration, le cours du coton sur le marché mondial a reculé de 8,95% en variation relative entre avril 2015 et janvier 2016. Les ajustements du mécanisme prix coton ont été mis en œuvre dans le but d'adapter les filières cotonnières au caractère endémique des crises du marché mondial de coton dans certains pays producteurs en Afrique (Fok, 2006). Le mécanisme d’abondement du FGRPC-C essuie des critiques de la part de la SODECOTON et de la CNPCC. L’inefficacité des mécanismes de détermination du prix plancher d’achat du coton graine et d’abondement des fonds de gestion risque du prix du coton graine ont eu les effets directs ou indirects suivants (Fok, 1993, 2006 ; Chatel, 2002) : (i) le retard dans l’annonce du prix d’achat du coton ; (ii) le retard dans la commercialisation du coton pouvant induire le déclassement du coton et la réduction des revenus des cotonculteurs. Le taux de pauvreté monétaire dans les régions de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême-Nord2 qui est respectivement de 47,1%, 67,9% et 74,3% semble largement supérieur à la moyenne nationale (37,5%)3; (iii) le retard dans le paiement des revenus des cotonculteurs ; (iv) le retrait des paysans de la production du coton et la diminution de la production de la graine et de la fibre de coton. La production camerounaise de coton-fibre pour la campagne 20152016 était d’environ à 97 650 tonnes, soit une baisse de 10 850 tonnes en variation absolue et 10% en variation relative (USDA, 2016). Le Cameroun ne compte pas parmi les 4 principaux pays producteurs de coton en Afrique ; (v) le fléchissement des rendements et des superficies agricoles. Les superficies et les rendements agricoles prévus pour la saison cotonnière 2015-2016 connaitront un repli respectivement de 4,54% et 5,65% (USDA, 2016) ; (vi) le solde déficitaire de la SODECOTON. Pour se détourner de cet avenir sombre prédit par Nubukpo (2006), l’objectif de cette étude est d’examiner les défaillances des mécanismes actuels de fixation des prix du coton-graine et d’abondement du FGRPC-C et de proposer des nouveaux mécanismes plus en adéquation avec les réalités de la filière. 2 3 Le coton est cultivé uniquement dans ces 3 régions au Cameroun INS (2015) 3 La réalisation de cet objectif s’articule autour de 4 sections. La première section retrace l’évolution de la politique cotonnière au Cameroun. La seconde section fait un examen critique du mécanisme actuel de détermination du prix plancher d’une part, et propose un nouveau mécanisme de fixation de ce prix d’autre part. La troisième section opère une analyse critique du mécanisme actuel d’abondement du FGRPC-C d’une part et suggère un nouveau mécanisme d’abondement. La quatrième section, en guise de conclusion, propose quelques recommandations. 2. Evolution de la politique cotonnière au Cameroun La politique cotonnière a connu des changements durant les différentes phases de l'évolution institutionnelle du Cameroun. D'abord marquée par la forte présence de l'État en amont et en aval de l'activité agricole durant la phase de planification, elle a connu un démantèlement de l'activité étatique avec les PAS et la Nouvelle Politique Agricole (NPA) mise en place dès 1990. 2.1. La politique cotonnière camerounaise avant la mise en œuvre de l’ajustement structurel Avant la mise en œuvre des PAS, l'État est fortement impliqué dans l'élaboration et la mise en œuvre de la politique cotonnière au Cameroun (Goreux, 2003). Il est fortement impliqué dans les activités cotonnières par le truchement de certains de ses organes : la SODECOTON dans les opérations de production, le FONADER en matière de financement, de l’ONCPB dans le domaine de la commercialisation et l’IRA dans la recherche scientifique (IRA). Plusieurs instruments étaient alors utilisées : (i) la subvention à la production. Elle se matérialisait par l’octroi des primes diverses à l'arrachage et à la création de nouvelles plantations et les transferts courants sans contrepartie destinés à l’acquisition du matériel agricole et des intrants agricoles (semences sélectionnées, engrais, produits phytosanitaires, etc.). Selon Varlet & Berry (1997), le taux de subvention des engrais était compris entre 75% et 100% ; (ii) l’administration du prix d’achat du coton graine aux producteurs. L’Etat fixait le prix d’achat du coton-graine; (iii) la formation et l'information des cotonculteurs, la facilitation de leur accès aux crédits financiers; les subventions à l’exportation. 2.2. La politique cotonnière camerounaise post ajustement structurel Apres la crise économique et bancaire des années 80, le Cameroun sous l’égide des institutions de Bretton Woods, a été mis sous ajustement structurel. La nouvelle stratégie de relance de la filière cotonnière était assise sur les éléments suivants (Touna Mama, 2008) : (i) l’amélioration des techniques culturales pour accroitre les rendements ; (ii) le renforcement de la recherche appliquée et la vulgarisation des résultats ; (iii) l’accroissement de l’utilisation des engrais et des pesticides ; (iv) la poursuite de la promotion de la culture motorisée et attelée ; (v) l’extension de la culture du coton dans la partie méridionale du Cameroun ; (vi) la forte réduction des subventions aux intrants agricoles. A titre 4 d’illustration, la filière cotonnière ne reçoit de l’Etat du Cameroun qu’environ 2 milliards de FCFA ; (vii) la privatisation de la distribution des engrais. La FONADER a été liquidé ; (viii) l’instauration d’un système de prix plancher au producteur ; (ix) la réduction des coûts de commercialisation et de fonctionnement de l’ONCPB et de la SODECOTON ; (x) la mise en place d’un système de répartition des surplus entre les producteurs, la SODECOTON et un fonds de stabilisation (FGRPC-C) ; (xi) la libéralisation de la commercialisation du coton pour accroitre sa compétitivité grâce à une correction des modalités d’octroi des agréments aux exportateurs, à une suppression des monopoles de commercialisation accordés dans certaines zones, et à une rétrocession des attributions de commercialisation de l’ONCPB au secteur privé ; (xii) la suppression de la taxe sur les exportations ; (xiii) l’appui à la réalisation des micro-projets initiés par les coopératives ou les communautés villageoises ; (xiv) l’ouverture du capital de la SODECOTON aux acteurs du secteur privé. Contrairement aux pays développés ou émergents producteurs de coton (Fousseini, 2010 ; Bagayoko, 2013), ce système d’aide au développement du coton au Cameroun n’a pas prévu des instruments tels que les subventions à l’exportation, les subventions à la production, les restrictions aux importations du coton, les subventions à la consommation de coton pour les industriels locaux, la fixation d’un quota spécial d’importation, des prêts à la commercialisation, d’une assurance récolte visant à couvrir les producteurs contre les risques climatiques ou les maladies susceptibles de faire chuter les rendements, des autres mécanismes de facilitation d’accès aux crédits bancaires (des taux d’intérêt financier bonifiés), les crédits impôt, les contrats de recherches et les allègements fiscaux. Le mécanisme de fixation du prix d’achat du coton graine aux producteurs et le mécanisme d’abondement du fonds de gestion risque prix de la filière cotonnière, ainsi mis en œuvre au Cameroun pendant l’ajustement structurel, sont aujourd’hui victimes des diatribes des cotonculteurs. 3. Mécanisme de fixation du prix d’achat du coton graine Dans cette section, une analyse critique du mécanisme actuel de fixation du prix d’achat du coton graine au Cameroun sera effectuée. Puis, un nouveau mécanisme va être proposé. 3.1. Critique du mécanisme actuel de fixation du prix d’achat du coton graine au Cameroun : à l’aune de la théorie de la valeur du bien Le mécanisme de fixation du prix d’achat du coton graine actuellement en vigueur au Cameroun se fixe pour objectif de garantir le paiement au producteur d’un prix plancher d’achat du coton graine fixé au début de la campagne agricole, quelle que soit l’évolution des cours de la fibre de coton et de leur octroyer un complément de prix en cas d’évolution favorable des cours. La formule de calcul du prix-plancher employée actuellement se présente de la manière suivante: 5 𝑷𝒑 = 𝑪𝒕 ∗ 𝟎, 𝟔𝟔 ∗ 𝟎, 𝟒𝟐𝟓 Le prix plancher 𝑃𝑝 payé aux producteurs de coton est obtenu en considérant le taux de rendement moyen de la fibre de coton à l’égrenage (42,5%) et 66% représente l’indice de découragement du cotonculteur. La valeur du cours de tendance de la campagne cotonnière (n-1/n) est calculée au plus tard le 15 avril de l’année (n-1), par une technique de lissage exponentielle simple de l’indice A Far East prenant en considération les 3 précédentes campagnes (janvier n-4/avril n-3, janvier n-3/avril n-2 ; janvier n-2/avril n-1) et les cotations du marché à terme de New York à 12-15 mois publiées du 1er janvier au 15 avril de l’année (n-1). Cette formule de calcul du cours de tendance s’inspire des travaux de Cordier et se présente ainsi qu’il suit : 𝑪𝒕 = (𝑰𝒂(𝒏−𝟒) ∗ 𝑨𝟑 + 𝑰𝒂(𝒏−𝟑) ∗ 𝑨𝟐 + 𝑰𝒂(𝒏−𝟐) ∗ 𝑨 + 𝑻𝑵𝒀𝒏 )/(𝟏 + 𝑨 + 𝑨𝟐 + 𝑨𝟑 ) 𝒏−𝟑 𝒏−𝟐 𝒏−𝟏 Ou encore : 𝑪𝒕 = (𝟎, 𝟑𝟒𝟑 ∗ 𝑰𝒂(𝒏−𝟒) + 𝟎, 𝟒𝟗 ∗ 𝑰𝒂(𝒏−𝟑) + 𝟎, 𝟕 ∗ 𝑰𝒂(𝒏−𝟐) + 𝑻𝑵𝒀𝒏 )/(𝟐, 𝟓𝟑𝟑) 𝒏−𝟑 𝒏−𝟐 𝒏−𝟏 Avec A qui représente le coefficient de lissage. Le FGRPC-C a choisi un coefficient de lissage équivalent à 0,7 en référence aux travaux de Goreux ; 𝑰𝒂(𝒏−𝟏) la moyenne de l’Indice A Far 𝒏 East entre le 1er janvier de l’année (n-1) et le 15 avril de l’année n ; 𝑻𝑵𝒀𝒏 la moyenne des termes de New York à 12-15 mois publiés du 1er janvier au 15 avril de l’année (n-1), convertis en “équivalent FCFA/Kg”. Ce mécanisme présente quelques limites au regard de la théorie de la valeur du bien chez les partisans de la pensée classique. L’indice de découragement du cotonculteur pris en compte dans le calcul du prix plancher est le ratio entre le prix moyen d’achat du coton-graine aux producteurs et le prix d’un kilogramme d’engrais. Or l’engrais n’est pas le seul intrant, encore plus le seul facteur de producteur utilisé dans la culture du coton ; d’ailleurs, les dépenses liées à l’acquisition des engrais ne représentent au maximum que 32% des charges. Par contre, les dépenses liées à la valorisation des surfaces agricoles et de la main d’œuvre, qui représentent à elles seules au moins 50% des charges liées à la production du coton-graine, sont omises dans cette formule. Ainsi, cette formule de calcul du prix-plancher présente l’inconvénient de ne pas suffisamment prendre en compte les dépenses liées à la production du coton. Bourdet (2004) révèle que les cotonculteurs se plaignent d’une progression des coûts des facteurs de production que ne semble pas compenser l’évolution du prix d’achat du coton graine. Il est essentiellement indexé sur les cours mondiaux de la fibre. Pourtant, comme le reconnaissent Hugon & Mayeyenda (2003): “Les prix réels et les prix mondiaux ne semblent pas des indicateurs incitatifs pour les producteurs”. Pourtant, à travers le nouveau contrat mondial sur le coton, qui confère désormais au coton camerounais le caractère de référentiel en matière de fixation du prix, la prise en compte de son coût de 6 revient réel devient un impératif. En effet, selon l’ancien contrat, c’est le coton américain qui dictait les mouvements de prix à tout le coton mondial. Or, le nouveau contrat mondial, en plus du coton américain, inclut désormais huit autres origines de fibre: Inde, Australie, Brésil, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire et Mali. Malgré quelques nuances et divergences dans les hypothèses, les partisans de la pensée classique (Adam Smith, Ricardo et Karl Marx) s’accordent tous sur point : la valeur d’un bien est issue de la quantité de travail nécessaire pour sa production. Le prix du bien qui mesure sa valeur doit être déterminé en fonction des coûts de production (Gnos, 2000 ; Deleplace & Lavialle, 2008). Mais chez les marginalistes (Jevons et Menger), la valeur d’échange d’un bien ou son prix dépend de son utilité marginale, qui dépend elle-même essentiellement de la rareté et des goûts subjectifs des individus. Pareto pense que la valeur d’échange d’un bien ne dépend de rien d’autre que de la volonté de ceux qui l’échangent ; elle est fixée librement par un contrat et déterminée au niveau global par la loi de l’offre et de la demande. Marshall va faire une analyse de la valeur d’un bien dans le temps. A court terme, le prix d’un bien est déterminé uniquement par l’utilité marginale qui s’établit sur le marché en fonction de l’offre et de la demande, selon les préférences des consommateurs qui ont tendance à donner plus de valeur à ce qui est rare. Toutefois, les entreprises ne peuvent vendre indéfiniment au prix du marché si ce prix ne couvre pas leurs coûts de production. 3.2. Tentative de proposition d’un nouveau mécanisme de fixation de prix d’achat du coton graine au producteur et simulations Le calcul du prix plancher est soutenu par la nécessité de garantir au producteur un revenu minimum lui permettant de couvrir au moins ses charges d’exploitation quelles que soient les conditions de vente du coton-fibre. Sa détermination à bonne date chaque année renforce le climat de partenariat entre les cotonculteurs, la SODECOTON et la C.N.P.C.C. Le prix minimum garanti doit être fixé chaque année. Mais dans certains pays, notamment le Mali, le prix minimum garanti du coton graine est fixé pour une durée de 3 ans; toutefois, il est révisé tous les ans sur la base uniquement de l’évolution des coûts des intrants. La connaissance de ce prix avant les semis permet au producteur de prendre la décision de produire ou non et lui évite toutes déconvenues qui pourraient provenir de la variation de son revenu au regard des fluctuations enregistrées sur le marché international. Son niveau ne doit pas être trop élevé à l’effet de ne pas inciter les producteurs à accroitre les volumes de leurs productions quand les cours du coton sur le marché international sont bas tout en couvrant l’ensemble de leurs coûts. Le mécanisme de détermination du prix plancher du coton graine préconisée dans le cadre de cette étude s’inspire de la formule de Wadell. Cette formule, contrairement au mécanisme en vigueur, présente l’avantage de prendre en compte l’ensemble des charges des producteurs, en l’occurrence les charges liées à la 7 valorisation du terrain, à la main d’œuvre et à l’acquisition des intrants agricoles. Elle se présente de la manière suivante : - En cas de prise en compte des subventions 𝑷𝑷 = (𝑫𝑽𝑻𝑴𝑶 + 𝑫𝑰 − 𝑺)(𝟏 + 𝑹𝑴𝑩𝑵𝑪)/𝑹𝑷 - En cas de non prise en compte des subventions 𝑷𝑷 = (𝑫𝑽𝑻𝑴𝑶 + 𝑫𝑰)(𝟏 + 𝑹𝑴𝑩𝑵𝑪)/𝑹𝑷 𝑷𝑷 représente le prix plancher du coton graine en FCFA. 𝑫𝑽𝑻𝑴𝑶 représente les dépenses liées à la valorisation du terrain et de la main d’œuvre par hectare de surface exploitée. Ces dépenses mesurent, en valeur monétaire, les charges associées à la location du terrain, le nettoyage, le premier passage des herbicides, le labour, les semis, le deuxième passage des herbicides, le sarclage, l’épandage ou enfouissement des engrais, le buttage, le traitement à l’insecticide, la main d’œuvre à la récolte, le chargement des caisses, le bâchage et la coupes vieux cotonniers. 𝑫𝑰 représente les dépenses liées à l’acquisition des intrants agricoles par hectare de surface cultivée. Ces dépenses évaluent, en valeur monétaire, les charges associées à l’obtention des semences agricoles, des produits de traitement des semences, le diuron, le glyphosate, les engrais, les insecticides. 𝑹𝑴𝑩𝑵𝑪 représente le ratio de la marge bénéficiaire nette des cotonculteurs. Il peut être une donnée exogène c’est-à-dire arrêtée par l’autorité en charge de la fixation des prix dans la filière coton. Mais, il peut aussi être une variable endogène, déterminée à partir des données d la dernière campagne cotonnière : 𝑹𝑬𝑽−𝑫𝑽𝑻𝑴𝑶−𝑫𝑰 𝑹𝑴𝑩𝑵𝑪 = 𝑹𝑬𝑽 {𝑹𝑬𝑽+𝑺−𝑫𝑽𝑻𝑴𝑶−𝑫𝑰 𝑹𝑬𝑽+𝑺 𝒆𝒏 𝒄𝒂𝒔 𝒅′ 𝒂𝒃𝒔𝒆𝒏𝒄𝒆 𝒅𝒆 𝒔𝒖𝒃𝒗𝒆𝒏𝒕𝒊𝒐𝒏𝒔 𝒆𝒏 𝒄𝒂𝒔 𝒅𝒆 𝒔𝒖𝒃𝒗𝒆𝒏𝒕𝒊𝒐𝒏𝒔 Il faut noter que 𝑹𝑬𝑽 désigne le revenu total des cotonculteurs par hectare, 𝑹𝑷 le rendement à l’hectare de la production du coton graine et S le montant des subventions octroyées par l’Etat pour l’acquisition des intrants agricoles. Les données utilisées ont été collectées lors auprès des services de la SODECOTON, de la CNPCC et des cotonculteurs au mois de mars 2016 à Garoua, Pitoa et Yaoundé. Garoua et Pitoa sont des agglomérations situées dans la région du Nord Cameroun, qui est l’un des 3 principaux bassins de production du coton au Cameroun. La SODECOTON dont le siege social se trouve à Garoua est chargé de l’organisation de la production et de la commercialisation du coton au Cameroun. Yaoundé, capitale politique du Cameroun, héberge l’un de ses démembrements. La CNPCC, dont le siège social est aussi à Garoua, est l’organisation faitière des producteurs de coton. Elle compte plus de 200 000 cotonculteurs. La visite à Pitoa a permis de discuter avec un groupe de cotonculteurs sur leurs difficultés rencontrées dans la filière. 8 Les montants des dépenses liées à la valorisation du terrain et de la main d’œuvre par hectare de surface exploitée est de 143 000 FCFA. Les montants des dépenses liées à l’acquisition des intrants agricoles par hectare de surfaces cultivées non subventionnées s’élèvent à 150 505 FCFA. Il correspond au rapport entre le crédit des intrants accordé aux cotonculteurs non subventionné et la surface totale cultivée. Le crédit des intrants au cours de la campagne cotonnière 2014/2015 était de 29 593 329 000 FCFA. La superficie totale des plantations de coton était au cours de ladite campagne de 209 930 hectares. Le ratio de la marge bénéficiaire nette des cotonculteurs par hectare est de 0,212 en cas d’absence de subventions et 0,231 en cas de subventions. Le revenu total des cotonculteurs s’élevait à 78 212 630 000 FCFA; par conséquent le revenu total des cotonculteurs par hectare 𝑅𝐸𝑉 est de 372 565 FCFA. Le rendement à l’hectare de la production du coton graine 𝑅𝑃 était de 1 406. Le montant de la subvention de l’Etat lors de la dernière campagne cotonnière était 2 000 000 000 FCFA. Lors de la campagne cotonnière 2014/2015, le mécanisme actuel de fixation du prix d’achat du coton graine au producteur soutenu par la SODECOTON avait prévu d’établir ce prix à 242 FCFA/kg. Mais, l’Etat du Cameroun avait décidé de le fixer à 265 FCFA. Pour un montant total de subventions d’intrants de 2 000 000 000 FCFA, chaque surface agricole a reçu la somme de 9540 FCFA par hectare tandis que chaque producteur a perçu une dotation de 9 784, 11 FCFA. Pour une marge bénéficiaire nulle, le prix-plancher est 249 FCFA/kg si on prend en compte les subventions de l’Etat sur les intrants agricoles. Si par contre, on ne prend pas en considération lesdites subventions, le prix plancher du coton graine est de 253 FCFA/kg. En conséquence, pour un kilogramme de coton graine produit, l’Etat supporte le coût de 4 FCFA. On constate par ailleurs que ce prix plancher est supérieur à celui qu’avait prévu le mécanisme actuel de gestion risque prix lors de cette campagne cotonnière. Ceci faisait perdre à chaque cotonculteur à la somme 11 FCFA si les subventions ne sont pas prises en compte et 7 FCFA si elles sont prises en considération. Cette perte aurait pu induire, ceteris paribus, une baisse de la marge bénéficiaire des cotonculteurs et par conséquent, le découragement de ces derniers. Une diminution du prix d’achat du coton graine aux producteurs peut avoir un effet négatif sur les performances macroéconomiques du Cameroun, en l’occurrence sur la réduction de la pauvreté, la baisse des inégalités de revenus et l’augmentation de la croissance économique. Dans une étude réalisée au Mali, Nubukpo & Keita (2005) trouvent qu’une baisse de 50 FCFA/kg du prix d’achat du cotongraine aux producteurs peut entrainer une réduction du PIB du Mali entre 1,8 et 3,9%. Les cotonculteurs camerounais affichent des bénéfices unitaires relativement inférieurs à ceux de leurs alter egos des pays tels que le Burkina Faso, le Mali et le Bénin. Nos estimations trouvent une corrélation positive entre le prix d’achat du coton aux producteurs en début de campagne et le rendement depuis la campagne 2000/2001. En 9 effet, entre la campagne 2000/2001 et la campagne 2014/2015, le coefficient de corrélation entre le prix du coton et les rendements agricoles est de 0,3811. Selon le théorème de Schmidt, « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après demain ». Le prix d’achat du coton aux producteurs camerounais en début de campagne, fixé à 265 FCFA lors des campagnes 2014/2015 et 2015/2016, était le plus élevé en Afrique Subsaharienne. A ce prix, l’Etat du Cameroun a amené le fonds de gestion risque prix de la filière coton à supporter un coût supplémentaire de 12 FCFA par kilogramme. La fixation d’un prix d’achat du coton-graine aux producteurs correspondant au prixplancher à marge nulle semble nécessaire dans le souci : (i) de prendre en compte les effets pervers sur l’ensemble de l’économie camerounaise de la fixation d’un prix d’achat initial en deçà des coûts de production ; (ii) de garantir aux cotonculteurs une plus grande stabilité et une relative justesse dans la formation de leurs anticipations de production ; (iii) de se conformer aux dispositions de la Décision de la Dixième Conférence Ministérielle de l’OMC (2015) qui interdisent aux pays développés et aux pays en développement de subventionner la production du coton ; (iv) d’accroitre les rendements agricoles; et (v) de permettre à l’Etat d’économiser des ressources budgétaires. 4. Mécanisme d’abondement du FGRPC-C Dans cette section, on va faire un examen critique du mécanisme actuel d’abondement du FGRPC-C. Ensuite, on va suggérer un nouveau mécanisme d’abondement. 4.1. Analyse critique du mécanisme actuel d’abondement du FGRPC-C Le mécanisme actuel d’abondement du FGRPC-C a prévu que le montant plafond de son approvisionnement est de 12 000 000 000 FCFA. L’abondement de ce fonds se fait par versement annuel. Il doit être proportionnel à la marge brute positive dégagée par la SODECOTON de la vente du coton-fibre, et inversement proportionnel au taux de remplissage du fonds. La marge brute est donnée par la formule : 𝑀𝐵+ = (𝑃𝑚𝑣 − 𝐶𝑡 ) ∗ 𝑇𝑓𝑖𝑏𝑟𝑒 Avec 𝑀𝐵+ qui représente la marge brute positive de la vente de la fibre de coton ; 𝑃𝑚𝑣 le prix moyen de vente du coton sur le marché international ; 𝐶𝑡 le cours tendance présenté à la section 2 ; et 𝑇𝑓𝑖𝑏𝑟𝑒 la production nette de la fibre de coton. La quote-part de la marge brute (𝒁) qui sera versée au FGRPC-C est déterminée par la formule de l’abondement progressif suivante (qui s’inspire de celle proposée par Louis Goreux) : 𝒁 = 𝟎, 𝟖 + 𝟎, 𝟓𝑿 − 𝟎, 𝟖𝒀 − 𝟎, 𝟎𝟎𝟓𝑿𝒀 (si la marge brute est positive) et 𝒁 = 𝟎 (si marge brute nulle ou négative). 10 Avec 𝑿 qui représente le rapport, exprimé en pourcentage, entre la marge brute et le plafond du FGRPC-C; et 𝒀 est le ratio entre le montant actuel du fonds avant l’abondement et le montant maximum du fonds. Le montant de l’abondement du FGRPC-C est donné par la formule : 𝑨𝒃𝒅 = 𝑴𝑩+ ∗ 𝒁 Cette somme est versée par la SODECOTON au FGRPC-C à l’issue de la campagne de vente et d’embarquement de la fibre de coton, au plus tard le 30 décembre de l’année t. par ailleurs, après l’approvisionnement du FGRPC-C, le reliquat de la marge brute est reparti à part égale entre les cotonculteurs et la SODECOTON, sous la forme d’un complément de prix. Le complément de prix aux cotonculteurs (𝑪𝒑 ) est donné par la formule: 𝑪𝒑 = ( 𝑴𝑩+ −𝑨𝒃𝒅 𝟐 )/𝑻𝒄𝒈 Où 𝑻𝒄𝒈 représente le tonnage du coton graine collecté par la SODECOTON. Le mécanisme actuel d’abondement du FGRPC-C semble présenter 3 principaux inconvénients: (i) il ne valorise pas assez la graine de coton puisqu’il ne prend pas en compte ses coproduits dans le calcul de la marge brute. Le calcul de la marge brute nette dans le mécanisme actuel d’abondement du fonds de gestion omet les variables telles que l’ensemble des produits encaissables de l’entreprise (le chiffre d’affaire global, la production globale immobilisée, les subventions totales d’exploitation, la production générale stockée, etc.) et les charges décaissables de l’entreprise (les salaires, les impôts sur la production, autres charges d’exploitation de l’entreprise) ; (ii) il semble incongru dans la filière cotonnière, de plafonner l’abondement du fonds de gestion risque prix. En effet, dans le marché mondial du coton, les prix sont sujets à de fortes variations ou à une grande instabilité. Actuellement, le FGRPC-C ne dispose pas de la somme nécessaire pour satisfaire financièrement la SODECOTON et les cotonculteurs ; (iii) la législation encadrant le fonctionnement du FGRPC-C n’autorise pas le prêt de ses ressources. Cette épargne est donc improductive pourtant elle pourrait générer des revenus supplémentaires pouvant servir à la couverture des risques. C’est cette épargne improductive pouvant être assimilée à une thésaurisation que les keynésiens fustigent (Gnos, 2000 ; Montoussé, 2007). 4.2. Essai de proposition d’un nouveau mécanisme d’abondement du FGRPC-C Ce fonds de gestion risque prix sera annuellement abondé. Il n’y aura pas de plafond au montant des réserves financières du fonds. L’abondement du fonds de gestion risque prix sera, sauf en cas de risques de catastrophes, proportionnel à la marge brute (ou excédent brut 11 d’exploitation) positive de la SODECOTON. Les ressources du FGRPC-C ne seront plus thésaurisées ; elles seront prêtées dans le marché bancaire pour générer des revenus supplémentaires. La marge brute positive est donnée par la formule : 𝑴𝑩𝑷 = 𝑷𝑬 − 𝑪𝑫= 𝑽𝑨 + 𝑺𝑬 − 𝑺𝑨 − 𝑰𝑴 MBP représente la marge brute positive, PE les produits encaissables, CD les charges décaissables de l’entreprise, VA la valeur ajoutée, SE les subventions d'exploitation, SA les salaires et IM les impôts sur la production. Le montant annuel de l’abondement du FGRPC-C (AFS) est donné par la formule : 𝑨𝑭𝑺 = 𝑴𝑩𝑷 ∗ 𝟐𝟓% Ce montant sera versé par la SODECOTON au fonds de gestion risque prix à l’issue de la campagne de vente et d’embarquement de la fibre de coton, au plus tard le 30 décembre de chaque année, sauf en cas de la survenance des incidents résultant des retards observés dans l’embarquement de la fibre de coton pour des causes exogènes. L’avantage de cette méthodologie proposée est qu’elle prend en compte les valeurs des co-produits. Hormis le coton fibre, la SODECOTON produit et commercialise les huiles végétales, les tourteaux, les coques et les graines pour semences. Par ailleurs, en cas de marge brute positive et après l’abondement du FGRPC-C, le reliquat de cette marge sera reparti équitablement entre les cotonculteurs et la SODECOTON. Ainsi, le reliquat à l’ensemble des cotonculteurs se formule de la manière suivante: 𝑹𝑴𝑩 = (𝑴𝑩𝑷 − 𝑨𝑭𝑺)/𝟐. Individuellement, chaque producteur percevra une somme de ce reliquat au porata de sa production de coton graine vendue à la SODECOTON. Lorsque la marge brute de la SODECOTON sera négative, un prélèvement sur le fonds de gestion risque-prix sera effectué à hauteur du niveau des pertes ; mais à condition que les ressources du fonds le permettent. Le prélèvement sur le fonds de gestion risque prix qui est la propriété exclusive des producteurs, est effectué au profit de la SODECOTON en vue de (i) l’aider à supporter les pertes qu’elle aurait réalisées suite à une chute exceptionnelle des cours sur les marchés internationaux, et (ii) l’inciter à ne pas répercuter les effets de cette chute des cours dans la fixation des prochains prix de base, lissant ainsi les fluctuations du prix d’achat de base d’une campagne sur l’autre. 5. Conclusions et recommandations de politique économique En somme, la filière coton au Cameroun a enregistré quelques performances notables au cours des 15 dernières années, en l’occurrence l’accroissement du chiffre d’affaire de la SODECOTON, de la production de tourteaux, de la production d’huiles raffinées de coton, la 12 production de coton-graine et de coton-fibre. Cependant, la production cotonnière de la campagne 2014/2015 parait encore très éloignée de la valeur cible à l’horizon 2020/2021, à savoir 600 000 tonnes par an, et ces performances peuvent occulter certaines difficultés rencontrées par les acteurs de la filière coton. La mise en œuvre des mécanismes efficaces de fixation des prix plancher d’achat du coton graine aux producteurs et la révision du mécanisme d’abondement du FGRPC-C paraissent louables dans ce contexte. Le nouveau mécanisme de fixation du prix d’achat du coton que nous proposons s’inspire de la formule de Waddell qui, contrairement au mécanisme en vigueur, présente l’avantage de prendre en compte l’ensemble des charges des producteurs, en l’occurrence les charges liées à la valorisation du terrain, à la main d’œuvre et à l’acquisition des intrants agricoles. En effet, le mécanisme actuel est essentiellement indexé sur les cours mondiaux de la fibre. Pourtant, à travers le nouveau contrat mondial sur le coton, qui confère désormais au coton camerounais le caractère de référentiel en matière de fixation du prix, la prise en compte de son coût de revient réel devient un impératif. Le nouveau mécanisme d’abondement du FGRPC-C proposé présente l’avantage de ne pas fixer un montant plafond d’abondement du FGRPC-C, de valoriser suffisamment le coton grain en intégrant ses co-produits et d’éviter la thésaurisation des ressources dudit fonds. L’Etat du Cameroun doit supprimer les subventions octroyées à cette filière et respecter les prix arrêtés par le nouveau mécanisme. 6. Bibliographie Bagayoko, K. (2013). L’importance et l’avenir du coton en Afrique de l’Ouest: cas du Mali. Thèse de Doctorat soutenue publiquement le 12-07-2010 à l’Université de Grenoble, sous la direction du Pr Fontanel, J. 419p Bourdet, Y. (2004). “A Tale of three countries - Structure, Reform ad Performance of the Cotton Sector in Mali, Burkina Faso and Benin, Swedish International Development Authority, Stockholm. Country Economic report, N° 2. 58p Chatel, B. (2002). « Coton : état des lieux "dramatique", dans Marchés Tropicaux, pp. 22152216 Deleplace, G. & Lavialle, C. (2008). Histoire de la pensée économique. Editions DUNOD, 204p Fok, A. C. M. (1993). « Le développement du coton au Mali par analyse des contradictions : Les acteurs et les crises de 1895 à 1993 ». CIRAD, Montpellier, Document de travail de l'UR Economie des Filières N° 8. pp. 237. 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