Traceurs géochimiques et physiques dans la colonne d`eau

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Traceurs géochimiques et physiques dans la colonne d'eau, indicateurs de l'activité hydrothermale
Jean-Luc Charlou, Jean-Pierre Donval, Dominique Birot, Sergey Sudarikov
Mise à l'eau d'une bathysonde rosette
© Ifremer / Serpentine 2007 / Jean-Luc Charlou
Qu'est-ce qu'un panache hydrothermal ?
Les panaches hydrothermaux sont le résultat du mélange avec l'eau de mer de fluides hydrothermaux générés lors de la circulation de l'eau de mer dans la croûte océanique. La source de chaleur profonde associée à la structure perméable de la croûte océanique contrôle cette circulation qui se manifeste, sur le plancher océanique, par la genèse de monts et cheminées issus de la précipitation de certains minéraux composés de sulfates (anhydrite, barytine) et de sulfures (minerais riches en métaux), et par la formation dans la colonne d'eau de panaches hydrothermaux enrichis en He, CH 4, Mn et H 2S.
Ces panaches dépendent étroitement de la nature des fluides rejetés, sont souvent "noirs" ou "blancs" du fait de la présence de particules minérales qui précipitent rapidement lorsque les fluides de haute température (350°C) se mélangent avec l'eau de mer froide (autour de 2°C). Certains fluides peuvent être de basse température et pratiquement absents de particules, mais les panaches noirs généralement trouvés ont à leur origine des fluides chargés en métaux appelés couramment "fumeurs noirs".
Comment les détecte-t-on ?
Les panaches hydrothermaux peuvent être détectés dans la colonne d'eau au-dessus des champs hydrothermaux actifs et bien au delà (de 10 à 100 kilomètres) le long, sur les flancs et murs de la dorsale, du fait qu'ils présentent des caractéristiques physiques et géochimiques très différentes de celles de l'eau de mer. De nombreux traceurs physiques et géochimiques sont applicables dans l'exploration et de nombreuses méthodes et stratégies ont été mises au point pour cartographier les panaches hydrothermaux toutes basées sur la détection d'anomalies physiques (température, néphélométrie) et géochimiques (Mn, CH 4, H 2S, hélium, radon...).
Ces paramètres sont donc d'excellents traceurs de la présence ou non d'une activité hydrothermale. Quelle stratégie utiliser dans l'exploration de l'activité hydrothermale ?
Les programmes de recherches liées à la circulation hydrothermale le long des dorsales médio-océaniques, qui se sont développés depuis une vingtaine d'années, ont plusieurs objectifs :
- le développement de méthodes d'exploration afin de localiser, cartographier et connaître la distribution des panaches hydrothermaux associés aux champs hydrothermaux actifs ;
- l'enregistrement et le suivi des variations temporelles et l'évolution des systèmes hydrothermaux, en particulier leur comportement après des évènements tectoniques et volcaniques ;
- la connaissance des liens entre processus hydrothermaux, magmatiques et tectoniques le long du système "dorsales médio-océaniques" au sens large (cycle magmatotectonique) ;
- l'étude des processus physiques, géochimiques, thermodynamiques contrôlant la circulation hydrothermale.
La recherche des zones actives utilisant les traceurs physiques et chimiques se fait en trois étapes. Une exploration régionale à l'échelle de 1000 kilomètres de dorsale permet de détecter les anomalies géochimiques majeures. Une étude plus fine à l'échelle d'un segment de dorsale (10 à 100 kilomètres) permet d'étudier la variabilité de l'activité hydrothermale et de localiser plus précisément les zones actives.
Ces deux premières étapes sont réalisées lors de campagnes océanographiques de surface. La troisième, probablement la plus délicate, consiste en la découverte et l'étude de détail du site hydrothermal à l'aide de submersibles et engins télé-opérés (ROV) lors de campagnes de plongées.
Cette exploration sous-marine se réalise alors en général à l'échelle de "boîtes" de 10 kilomètres sur 10. Cette stratégie d'approche scientifique, impliquant les traceurs, a montré son efficacité et permis de découvrir récemment de nombreux sites actifs tels que Menez Gwen, Broken Spur, Rainbow, Ashaze sur la dorsale médio-Atlantique.
Présence d'anomalies de température, de conductivité, de néphélométrie, toutes de forte intensité identifiées sur les sites Ashaze (13°N) (à gauche) et Logachev (14°
45'N) (à droite) au cours de la campagne Serpentine (mars 2007)
Quelle instrumentation utiliser ?
Après établissement d'une carte bathymétrique la plus précise possible, le travail consiste à rechercher les diverses anomalies physiques et géochimiques (traceurs) créées dans la colonne d'eau par les apports hydrothermaux. La présence de ces anomalies, formant des panaches hydrothermaux, est synonyme d'activité hydrothermale.
Les mesures physiques (température, présence de particules) et prélèvements d'eaux se font à l'aide d'une bathysonde-rosette (photo de présentation) associant divers capteurs (température, conductivité, néphélométrie, analyseur chimique in situ) et des prélèvements d'eaux qui sont analysés à bord (méthane, manganèse).
Ces équipements analytiques sont installés dans un container laboratoire embarqué facilement à bord des navires océanographiques français ou étrangers. Le traitement des données physiques et l'analyse à bord permet de détecter en temps réel les anomalies physiques (ex : température, conductivité, densité) dans la colonne d'eau, de détecter en temps réel les panaches de particules (ex : mesures de transmissométrie, néphélométrie...), et détecter les anomalies géochimiques (ex : méthane, manganèse). Ces informations obtenues à bord permettent de guider la campagne océanographique, de repérer les zones actives, de les délimiter et préparer ainsi les campagnes de plongée en submersible à venir et généralement programmées les années suivantes sur les chantiers découverts.
Pourquoi étudier les panaches hydrothermaux ?
Au dessus des zones actives, les panaches hydrothermaux s'élèvent dans la colonne d'eau tant que la densité des fluides est moins dense que celle de l'eau de mer. Après leur éjection, mélange avec l'eau de mer ambiante, transport par advection à partir de la source, les fluides se dispersent latéralement au gré des courants océaniques et atteindrent un état d'équilibre.
Ainsi, outre la détection des sites actifs le long des dorsales médio-océaniques, les panaches hydrothermaux permettent de suivre la dispersion, le mélange, l'évolution des fluides et des particules associée dans le temps et à différentes distances des sources, et contribuent ainsi à étudier et mieux comprendre le comportement géochimique et le cycle des éléments dans l'eau de mer.
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